Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...

La page est créée Nadia Gregoire
 
CONTINUER À LIRE
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
#89   jan.-fév. 2019
                                                         bimestriel

                                                         Natagora asbl
                                                         Traverse des Muses 1
                                                         B-5000 Namur
                                                         www.natagora.be

                                           Le moineau
                                           déchante en ville

                                           Replanter le bocage
                                           avec les agriculteurs

                                           50 ans de nature
                                           à la Cussignière

                          mousses
                          Indispensables
Rollin Verlinde / Vilda
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
13                                      16

6                                                         22                                                               26

    1       édito                                      16 conservation
                                                               Natagora aide
    2       en bref                                            les agriculteurs à
                                                               restaurer le bocage
    4       ça s'est passé
            chez nous                                  20 rencontre
                                                               Éric Dubois,
    6       en couverture                                      animateur nature
            Indispensables
            mousses                                    22 nos réserves                                            Supplément disponible
                                                               50 ans de nature                                   dans votre kiosque.
    13 ornitho                                                 à la Cussignière
            Le moineau
            déchante en ville                          26 ils l'ont fait

                                       Natagora se développe dans tout l’espace Wallonie-Bruxelles. Le grand objectif de l’association est d’enrayer la
                                       dégradation de la biodiversité et contribuer au rétablissement d’un meilleur équilibre entre l’homme et la nature.
                                       Pour ce faire, elle s’est assigné différentes missions.
                                       Protéger : plus de 200 réserves naturelles Natagora, gérées par de nombreux volontaires, sont constituées de
                                       milieux diversifiés et souvent menacés. Elles abritent quantité d’espèces rares.
                                       Étudier : l’identification des menaces, le soutien direct aux espèces les plus menacées et la supervision de
                                       nombreux programmes de suivi font partie des préoccupations majeures de l’association.
                                       S’impliquer : influer sur les décisions politiques, promouvoir la biodiversité, prévoir les atteintes qui pourraient
                                       lui être portées, réagir quand nécessaire : les nombreux volontaires de l’association nous y aident au quotidien.
                                       Éduquer : formations, Centres régionaux d’initiation à l’environnement, événements de sensibilisation, mise en
                                       réseau des particuliers : Natagora est fortement impliquée dans l’Éducation à l’Environnement.
                                       En étant membre de Natagora, vous soutenez ce vaste mouvement : www.natagora.be/membre
                                       Vous désirez faire un don pour nous soutenir ? BE53 0682 1403 3153

        Natagora est le partenaire belge francophone de BirdLife International, alliance mondiale d'organisations
        de protection des oiseaux et de la nature dont la sphère d’action s’étend du travail local de terrain aux plus
        hautes instances internationales. La mission de BirdLife est de protéger les oiseaux sauvages, leurs habitats et
        la biodiversité mondiale, en œuvrant à l’utilisation durable des ressources naturelles. En rejoignant les 20 000
        membres de Natagora, vous devenez aussi membre de BirdLife International.
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
édito

                Le temps
                de l’action
                M
                         i-décembre, le ministre en charge de la nature a lancé ses ateliers de
                         la biodiversité. Grenelle de l’environnement à la sauce wallonne, ils ont
                         pour but de « proposer une série de recommandations, en faveur de la
                nature et de la prise en compte de la biodiversité dans les politiques, les plans, les
                pratiques et les projets ».

                Un plan pour le moins ambitieux pour clore une législature marquée par la
                suppression de toute aide à la création de réserves naturelles aux associations.
                Malgré ce piètre bilan, nous participerons aux ateliers qui auront lieu dans les mois
                à venir, en préférant nous imposer comme acteurs plutôt que de boycotter et nous
Henri Dineur,   plaindre ensuite. Pas question, dès lors, d’aller faire de la figuration. La biodiversité
 président      est en chute libre, la Wallonie a du pain sur la planche pour inverser le processus.
                Nous développerons donc sept axes de travail lors de ces ateliers.

                Il est tout d’abord impératif (1) de doter la Wallonie d’une véritable stratégie pour la
                biodiversité, avec des objectifs chiffrés, un calendrier et un processus d’évaluation
                périodique. Le Réseau Wallonie Nature ne constitue actuellement pas une stratégie
                opérationnelle.

                Il importe ensuite de (2) doter la Wallonie d’un réseau cohérent de réserves
                naturelles. Il faudrait au moins 5 % d’aires protégées. En Wallonie, nous ne sommes
                qu’à 1 %, tandis que la Flandre atteint déjà les 3 % ! Une première étape est
                d’atteindre 2 % de réserves pour 2024.

                Par ailleurs, il est temps de (3) réduire les effectifs de sangliers par trois. La Wallonie
                doit interdire les différentes formes de nourrissage et mettre en place un plan de
                réduction drastique des populations. Cela permettra le retour de la biodiversité
                forestière et la régénération des forêts.

                Priorité impérative en terme de biodiversité : il faut (4) implanter 10 % de structure
                écologique dans les milieux agricoles. La Wallonie doit définir des objectifs ambi-
                tieux pour les animaux des champs et le maillage écologique en zone agricole.
                Elle se doit aussi de (5) soutenir l'agriculture paysanne là où elle existe encore, et
                d’accélérer la transition vers une agriculture respectueuse des sols.

                Il est également urgent de (6) restaurer le réseau Natura 2000 qui est en très mauvais
                état de conservation. Enfin, (7) la Wallonie doit prendre en compte les enjeux de bio-
                diversité le plus en amont possible dans ses décisions d’aménagement du territoire.

                En intégrant ces recommandations, et sous réserve d’un rapportage impartial
                auprès du Parlement de Wallonie, ces ateliers insuffleront les bases d’une politique
                à la hauteur des enjeux de la biodiversité. Mais ne soyons pas dupes des initiatives
                de fin de législature : une fois les principes acquis, c’est de moyens dont nous
                aurons besoin. Natagora devra se montrer très vigilante lors de la mise en place des
                futures majorités. Sans volonté et sans moyens, les belles intentions resteront des
                espoirs déçus.

                Passé le temps de la réflexion, le temps de l’action est maintenant !

                              le magazine         #89
                                         1
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
en bref

                                           Apprendre l’ornithologie en ligne

                   Après plus de 15 ans de formation Ornitho et de nom-         passer aux familles et aux cours d’identification. Le
                   breuses demandes de Français trop éloignés pour la           dernier pack aborde l’éthologie des oiseaux.
                   suivre, Natagora, en partenariat avec la LPO, a lancé        Les cours sont présentés sous format de petites vidéos
                   une formation disponible en ligne en novembre : le           bien structurées afin de faciliter l’apprentissage. Ces
                   MOOC (Massive Open Online Course) Ornitho.                   vidéos sont suivies d’exercices ludiques et variés pour
                   La première session a rencontré un franc succès              aider à assimiler la matière, et accompagnées de notes
                   avec plus de deux cents inscrits. En mars 2019, nous         de cours à télécharger. Un animateur est disponible
                   lancerons une nouvelle session. Les premiers cours           sur la plateforme du MOOC et la LPO organise des
                   posent les jalons indispensables pour se lancer dans         sorties sur le terrain pour compléter l’apprentissage.
                   l’ornithologie : vocabulaire, taxinomie, etc. Les oiseaux    Tout renseignement et inscription sur
                   sont présentés dans des groupes intuitifs avant de           www.mooc-ornitho.org

                          Natagora lance le                                     Après treize ans d’existence au sein de Natagora,

                         WC accessible à tous                                   « Nature pour tous », le projet nature accessible de
                                                                                l’association, vient de mettre au point AdMoSe. De
                                                                                quoi s’agit-il ? D’un WC Ad(apté), Mo(bile) et Se(c)
                                                                                qui vise à faciliter l’accueil des publics à mobilité
                                                                                réduite et le rendre plus écologique. Présente sur
                                                                                tous les fronts touchant à la différence, l’équipe a
                                                                                donc créé un outil écologique permettant d’offrir un
                                                                                maximum de confort aux publics accueillis.
                                                                                AdMoSe se distingue des WC adaptés existants : il
                                                                                s’agit d’une toilette sèche, non chimique, à copeaux
                                                                                et éclairage solaire. De plus, elle est réellement ac-
                                                                                cessible à tous : aux personnes handicapées, mais
                                                                                également aux poussettes. Enfin, elle est mobile et
                                                                                déplaçable n’importe où, par n’importe qui. Utilisée
                                                                                pour la première fois le 21 octobre dernier à la Jour-
                                                                                née de la forêt de Soignes, elle a fait l’unanimité,
Nature pour tous

                                                                                avec sa cuvette et son évier. L’équipe travaille encore
                                                                                à son amélioration : un urinoir et une table à langer
                                                                                sont à l’étude. De nombreux partenaires se sont déjà
                                                                                montrés intéressés.

                                                                 le magazine          #89
                                                                            2
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
en bref

Le Vert prend ses Quartiers                                 Le projet « Quartiers Verts » est un des axes du pro-
                                                            gramme « Inspirons le quartier » de Bruxelles Environne-
       chez Natagora                                        ment. Porté depuis peu par Natagora, « Quartiers Verts »
                                                            offre la possibilité à des groupes d’habitants d’aider la
                                                            nature à trouver sa place en milieu urbain, en recevant un
                                                            soutien technique et une bourse allant jusqu’à 3 000 €.
                                                            Les projets peuvent faire appel aux services d’un accom-
                                                            pagnateur de Natagora tout au long de l’aventure. Il a
                                                            pour rôle, entre autres, de prodiguer des conseils utiles en
                                                            matière d’aménagements végétaux urbains et de choix de
                                                            plantes indigènes favorables à la biodiversité locale.
                                                            Les projets sélectionnés ont pris des formes diverses et
                                                            originales, comme l’installation de jardinières fleuries, le
                                                            placement de bacs en bois fleuris dans la rue, la
                                                            plantation de fleurs indigènes aux pieds des arbres
                                                            de voirie ou la mise en place de plantes grim-
                                                            pantes en façade, qui offrent le gîte et le couvert
                                                            aux insectes et aux oiseaux. Autant d’initiatives qui
                                                            inspirent le quartier, permettent la rencontre entre
                                                            voisins, embellissent l’espace public et donnent un
                                                            vrai coup de pouce à la nature en ville.
                                                            Pour les Bruxellois qui n’ont pas eu l’occasion d’intro-
                                                            duire une demande d’accompagnement cette année,
                                                            pas d’inquiétude. Un nouvel appel à projets s’ouvrira
                                                            dès 2019. Pensez-y cet hiver avec vos voisins !

                       La bergerie de Fratin prend forme

                                                                                                                           Xavier Janssens

Une bergerie Natagora est en cours de construction          à fleurs typiques, souvent rares. Celles-ci favorisent à
en Gaume. L’objectif est d’y abriter environ deux cents     leur tour une grande diversité d'insectes dont l'abon-
brebis (roux ardennais et mérinos) en hiver, ainsi que      dance attire autant d'espèces qui s'en nourrissent.
du foin et du matériel agricole. Les brebis, comme
le matériel, sont utilisés pour la gestion de plus de       Cet automne a été l’occasion pour l’entreprise de
250 hectares de réserves naturelles dans la région.         construction S. Hermann (de Virton) de terminer son
                                                            travail de gros œuvre. Le staff de Natagora a ensuite
Les milieux sensibles qui vont être pâturés par nos         mis la main à la pâte. Bardage, dallage, aménage-
moutons sont liés aux pratiques agropastorales tra-
                                                            ments intérieurs, installations extérieures et finitions
ditionnelles. Ouverts par l'homme il y a des siècles
                                                            voient peu à peu le jour.
pour y faire paître les bêtes ou produire du foin, ils
accueillent de très nombreuses espèces de plantes           Infos : www.life-herbages.eu

                                             le magazine          #89
                                                        3
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
ça s'est passé chez nous

                                       L’arbre du
 Une fois n’est pas coutume,
nous ouvrons cette chronique

                                       vivant s’élargit !
         avec une nouvelle en
   provenance du Canada, de
   l’Université d’Halifax pour
  être précis. Des chercheurs
       y ont découvert rien de
 moins qu’un nouveau règne
        du vivant ! L’info a été
   publiée en novembre dans
              la revue Nature.

Une laborantine a découvert,
par hasard, une nouvelle espèce
d’un groupe d’organismes très
peu connus appelés hémimas-
tigotes. Il s’agit de minuscules
créatures unicellulaires à la fois

                                                                                  Dalhousie University
eucaryotes (avec une cellule
complexe comme celles des ani-
maux) et protistes (en dehors
des règnes animal, végétal et
fongique). Hors de tout schéma
connu, ils constituent donc une        POUR TOUT SAVOIR SUR LA SITUATION
nouvelle branche de l’arbre du
                                       D'UNE ESPÈCE OU ENCODER UNE OBSERVATION,
vivant. Les chercheurs suggèrent
que pour trouver un ancêtre com-       RENDEZ-VOUS SUR observations.be
mun entre les hémimastigotes et
tout autre être vivant, il faudrait
remonter à environ un milliard
                                               L’année est exceptionnelle
d'années !
                                             pour les petits fruits tardifs.
                                              Tandis qu’un membre nous
La nouvelle espèce a été nommée              mentionnait encore manger
Hemimastix kukwesjijk, (en pho-            tous les jours des framboises
to), d’après le Kukwes, un ogre               de son jardin fin novembre,
du folklore local. Elle piège et         les aubépines n’ont jamais été
mange en effet sa proie comme              aussi chargées de cenelles et
un ogre, selon les chercheurs,           les épines noires croulent sous
                                            les prunelles grosses comme
les attrapant avec des sortes de
                                                des cerises. Ce qui fait le
petits harpons, puis les enroulant
                                           bonheur tant des oiseaux que
avec ses flagelles avant d’aspirer                         des cueilleurs.
le contenu du cytoplasme.
                                                       Photo : Benjamin Legrain

Plus d’info sur bit.ly/hemimastix

                                             le magazine           #89
                                                        4
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
ça s'est passé chez nous

  Un nouveau record d'oiseaux
      migrateurs observés a été
 établi en Belgique. Le premier
   week-end d’octobre, plus de
   315 000 oiseaux migrateurs
   appartenant à 146 espèces,
   ont été comptés à 61 postes
       d’observation répartis sur
 toute la Belgique. Ce nouveau
      record a été établi dans le
  cadre du 25e EuroBirdwatch,
         un évènement organisé             Les températures élevées de 2018 ont favorisé la présence accrue
      par BirdLife dans 41 pays            de plusieurs espèces de libellules. C'est particulièrement le cas
    d’Europe et d’Asie centrale.           du sympétrum méridional (Sympetrum meridionale), qui continue
        Au total, ce sont plus de          à étendre son aire de distribution en Wallonie. Lors de cette année,
  5,2 millions d’oiseaux qui ont           durant laquelle il n’a jamais été aussi présent, les observations se
    été recensés, en route vers            sont prolongées jusqu’au 21 octobre aux marais d’Harchies.
                           le sud.
                                                 Photo : Alain De Broyer

                                                                                       Un gros passage de
                                                                                        pinsons du nord en migration
                                                                                       a été observé le 6 novembre
                                                                                       au Rouge-Cloître à Auder-
                                                                                       ghem. Plusieurs dizaines de
                                                                                       milliers d’exemplaires en quête
                                                                                       d’un dortoir ont été observés.
   La punaise américaine des pins (Leptoglossus occidentalis), particuliè-             D’autres passereaux ont été
   rement grande et remarquable avec ses deux centimètres de long bat                  particulièrement représentés
    cette année ses records de présence. Cette espèce invasive vient se                en Wallonie : l’alouette lulu,
  réfugier en automne dans les maisons. Inoffensive, son dérangement                   qui bat des records, le pouillot
   provoque l’émission d’une étrange odeur de pin. Si vous l’avez aper-                à grands sourcils, le bruant
     çue, n’hésitez pas à l’encoder sur observations.be, en ajoutant une               ortolan et, chez les rapaces,
  photo, pour permettre de mieux connaître sa répartition en Wallonie.                 le milan royal.

                                                    Photo : Nick Goodrum (CC BY 2.0)         Photo : Ján Svetlík (CC BY-NC-ND 2.0)

  Les insectes sont d’excellents indicateurs des particularités climatiques
       et météorologiques. Ainsi, cette année, les printemps, été et début
d’automne particulièrement chauds et secs ont permis l’apparition d’une
    génération supplémentaire exceptionnelle pour quelques espèces de
papillons de jour (petit mars changeant, machaon…). D’autres espèces,
   profitant également de l’été indien, ont été vues plus tardivement que
                 d’habitude (cuivré commun, demi-argus, petit nacré…).

                                                le magazine                #89
                                                           5
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
en couverture

                               Philippe De Zuttere

mousses
Indispensables

          le magazine    #89
                     6
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
en couverture

           Sur les terrasses, les toits ou les pelouses, « la mousse » est souvent considérée
                          comme un hôte inopportun qu’il convient d’éliminer rapidement.
          Pourtant, ce groupe de plantes, les bryophytes, a une place fondamentale au sein
      des écosystèmes. Les mousses ont de plus de nombreuses qualités qui en font depuis
               des siècles des végétaux incontournables dans diverses activités humaines.

                                                                                                                                 Claude Sottiaux

I
    l y a quatre cent cinquante millions d’années, une             occupent est importante, voire prépondérante. C'est le
    lignée d’algues vertes donnait naissance aux plantes           cas par exemple des berges rocheuses des cours d'eau
    terrestres qui, après de multiples diversifications,           (surtout près des eaux torrentielles) et de divers types de
occupent aujourd’hui la quasi-totalité des espaces de              tourbières. Le rôle des sphaignes dans la formation des
la planète. Les mousses, souvent discrètes, occupent,              tourbières hautes est particulièrement spectaculaire.
elles, les régions tempérées et chaudes, où elles ne
jouent le plus souvent qu'un rôle effacé. On les trouve
dans les milieux humides, notamment dans les forêts, les           Plantes pionnières
landes et les pelouses. Leur constitution les défavorise
particulièrement en régions arides et semi-arides. Pour-           Le rôle des mousses dans beaucoup de formations pion-
tant, dans certains milieux spécifiques, la place qu'elles         nières doit être souligné. Dépourvues de racines, elles
                                                                   n’ont pas besoin de terre où s’ancrer et peuvent ainsi
                                                                   coloniser les rochers (surtout aux expositions ombragées,
                                                                   où les lichens sont souvent peu représentés), les terres
Le sporogone apparaît peu de temps après la                        remaniées, les dunes en voie de fixation ou les souches
fécondation de la tige femelle, au-dessus de celle-ci.
                                                                   forestières. Peu à peu, les mousses contribuent donc à
Il est constitué d’un pied, d’une soie et d’une capsule
dans laquelle se forme les spores.                                 former une couche d’humus qui permet la venue des
Photo : Claude Sottiaux                                            plantes vasculaires à tiges ligneuses et à racines.

                                                    le magazine          #89
                                                               7
Indispensables mousses - Le moineau déchante en ville Replanter le bocage avec les agriculteurs 50 ans de nature à la Cussignière - Page ...
en couverture

                   LES SPHAIGNES,                                                  C'est cependant vers les hautes latitudes et dans la plupart
                  DES BRYOPHYTES                                                   des massifs montagneux élevés que les bryophytes trouvent
                                                                                   leur optimum de développement. Ainsi, leur présence est
                    PARTICULIÈRES
                                                                                   considérable dans la strate inférieure de la forêt boréale de
                                                                                   résineux, de même que dans beaucoup de types de toundras
      Quand on parle de mousses, on parle
                                                                                   arctiques, dépourvues d’arbres. Dans les hautes montagnes,
 généralement des Bryopsidées, une classe
                                                                                   elles atteignent souvent, comme les lichens, une limite d’alti-
        qui comporte 95 % des espèces de
Bryophyta. Mais dans les fanges, les marais                                        tude nettement supérieure à celle des plantes vasculaires.
        et les tourbières se développent les
             Sphagnopsidées, ou sphaignes.
                                                                                   Rôles multiples
                                                                                   et indispensables
                                                                                   Les mousses, par leur importante biomasse, sont un
                                                                                   élément essentiel de la régulation du dioxyde de carbone
                                                                                   et de la production d’oxygène (photosynthèse). Une régu-
                                                                                   lation opérationnelle toute l’année puisque les mousses
                                                                                   ne perdent pas leurs feuilles.

                                                                                                                 Mais elles jouent bien d’autres
                                                                       LES TOUFFES                               rôles indispensables : leurs touffes
                                                                        DE MOUSSE
                                                 Frédéric Degrave

                                                                                                                 constituent un microhabitat et
                                                                                                                 une nursery pour des animalcules
                                                                      CONSTITUENT
                                                                                                                 variés (nématodes, collemboles,
                                                                                UN                               amibes ou rotifères). Certains vivent
                                                                     MICROHABITAT                                en symbiose avec des mousses

            La sphaigne croît continuellement                             POUR DES                               et d’autres agissent en véritables
                                                                                                                 parasites. Elles peuvent aussi ser-
  (1 mm par an) par son sommet tandis que                             ANIMALCULES
         la tige basse meurt progressivement.                                                                    vir de bio-indicateurs de la pol-
 Les débris de sphaignes, mêlés à ceux des
                                                                            VARIÉS.                              lution des milieux continentaux.
   autres organismes vivant sur la tourbière,                                                                    On utilise ainsi certaines espèces
ne subissent qu'une décomposition partielle                                        (en même temps que des lichens) comme réactifs de
   et s'accumulent. Ils sont comprimés sous                                        la pollution de l'air, ou d’autres espèces, aquatiques
      le poids de la couche supérieure et for-
                                                                                   et subaquatiques (en même temps que des algues),
 ment ainsi la tourbe. La décomposition des
                                                                                   pour évaluer la pollution des cours d'eau. D’ailleurs, les
 matières organiques est extrêmement lente
                                                                                   bryophytes sont souvent utilisées en raison de leur grand
dans les tourbières car les conditions y sont
   peu favorables pour la microflore du sol :                                      pouvoir de concentration de certaines substances toxiques :
             milieu saturé en eau et pauvre en                                     les teneurs en métaux lourds ou en radionucléides dans
       oxygène, température moyenne basse,                                         ces organismes peuvent être plusieurs milliers de fois supé-
         acidité importante provoquée par les                                      rieures aux teneurs mesurées dans l'eau.
 sphaignes qui, de plus, libèrent différentes
                     substances antibiotiques.

     Les sphaignes jouent également un rôle                                        Une utilité ancienne
      important dans la régulation du régime
           hydrique. En effet, leur anatomie
                                                                                   pour l’homme
   particulière leur permet d'accumuler une
                                                                                   En Wallonie, le mot « mousse » était utilisé pour qualifier
  grande quantité d'eau (plus de 70 kg pour
     1 kg de matière sèche). Un mètre carré                                        aussi bien les bryophytes que les lichens et les lycopodes.
   de tapis de sphaignes peut ainsi contenir                                       Du   xvie   au   xxe   siècle, s'est ainsi développé un vaste com-
    septante-deux litres d'eau et en restituer                                     merce de « mousses d’Ardenne ». Une appellation floue
             lentement cinquante-sept litres.                                      qui concerne probablement l’ensemble de ces végétaux.

                                                                    le magazine            #89
                                                                               8
en couverture

                                                                      Dès l’Antiquité en effet, les mousses furent très utilisées
                                                                      pour améliorer le confort dans les foyers. On s’en servait
                                                                      pour garnir les matelas, les coussins et les oreillers. De
                                                                      nombreuses espèces portent ainsi le nom d’Hypnum qui
                                                                      dérive du mot grec hypnos signifiant « sommeil ». Leur
                                                                      capacité d’isolation thermique a aussi été mise à profit
                                                                      dans les premières chaussures ou sur les toitures, les toits
                                                                      végétalisés faisant toujours partie intégrante de la culture
                                                                      scandinave. Dans les fermes, on s’en servait comme litière,
                                                                      mais aussi comme couveuse à œufs et parfois comme
                                                                      fourrage vu les fortes teneurs en vitamines de certaines
                                                                      espèces. Leur grande faculté d’absorption en a fait les
                                                                      ancêtres de nos éponges et de nos papiers toilette.

                                                                      La liste de toutes les utilisations avérées des mousses est
                                                                      longue. Elles intervenaient ainsi dans la fabrication des
                                                                      câbles de marine, le tressage des cordes, la confection
                                                                      de brosses, de balais et de couronnes mortuaires, le
                                                                      peignage des draps, le calfatage des coques de bateaux,
                                                                      l’étanchéisation des joints, notamment ceux des cuves,
                                                                      et le colmatage des digues, en eaux douces comme
Le polytric est une         Les mousses
mousse largement            apprécient les milieux                    en eaux saumâtres. Elles entraient aussi dans certains
répandue. Il forme          humides et ombragés,                      mélanges pour la fabrication des papiers gris d’embal-
des tapis dans le           qui plaisent aussi à                      lage. Et elles donnaient, réduites en cendres, de la soude
sous-bois des forêts        ce crapaud commun.
tempérées.                                                            utilisée dans les fabriques d’alun, de lessive, de savon et
                            Photo : Richard Bowler /
Photo : Frédérique Dubois   rspb-images.com                           de toute substance qui devait cristalliser.

                                                       le magazine          #89
                                                                  9
en couverture

Bien sûr, la plupart de ces utilisations anciennes sont       entreprises ont pour principale activité la culture des bryo-
aujourd’hui abandonnées, mais d’autres les ont rempla-        phytes, ce qui donne une idée de leur intérêt toujours
cées. Le goût inimitable de certains whiskies, vient du       d’actualité. Enfin, en Malaisie, les forêts d'altitude souffrent
lent fumage, à la tourbe, de l’orge qui s’imbibe ainsi de     aujourd’hui de la trop grande exploitation de mousses par
phénols aromatiques. Aux États-Unis, quelque deux cents       les populations locales qui les utilisent encore largement.

                                                              Fixation des
                                                              substances toxiques
                                                              Utilisées en horticulture et parfois comme auxiliaires
                                                              de cultures, grâce à leurs capacités de répulsion des
                                                              insectes et des gastéropodes, elles font aussi un bon
                                                              engrais en raison de leur teneur élevée en nitrates et
                                                              en magnésium. Leur capacité à fixer les substances
                                                              toxiques, telles que métaux lourds, nitrates ou sulfates,
                                                              en font de très bons marqueurs environnementaux. Elles
                                                              interviennent dans le domaine de l'épuration des eaux
                                                              usées et du traitement des catastrophes écologiques,

                                                                                    La reproduction des mousses
                                                                                    se fait par « alternance de généra-
                                                                                    tions ». Les tiges feuillées portent
                                                                                    des gamètes mâles (spermato-
                                                                                    zoïdes) ou femelles (oosphère).
                                                                                    À maturité, les spermatozoïdes
PETITE BIOLOGIE                         de système vasculaire et donc               sont libérés et, grâce à leurs
                                        de racines, ne disposant que de             flagelles, se déplacent dans l’eau
DES MOUSSES
                                        filaments appelées « rhizoïdes »,           extérieure (pluie, rosée) qui forme
Les mousses constituent                 qui leur permettent de s’accrocher          une couche continue au sommet
l’embranchement des Bryophyta           au substrat. Comme les racines,             des tapis de mousses.
(du grec bruon, « mousse » et           les rhizoïdes peuvent absorber              La fécondation intervient quand un
phyton, « végétal »). On en compte      de l'eau. Mais chez les mousses,            spermatozoïde atteint une oosphère
quelques 575 espèces en Belgique        l'ensemble de l'appareil végétatif          immobile, toujours accrochée à
pour environ 14 500 espèces dans        en est capable grâce à l’absence            la tige. Elle aboutit à la formation
le monde. Ce sont des plantes                                                       d’un œuf (zygote) dont le dévelop-
                                        de « cuticule » (couche externe de
terrestres et, comme la majorité de                                                 pement forme un « sporogone »
                                        protection) qui les rend cependant
leurs cousines, elles possèdent une                                                 (un peu comme une fleur) à
                                        très sensibles à la dessiccation.
tige et des feuilles. La tige, non                                                  l’extrémité de la tige femelle. Ce
                                        Les mousses poussent pendant les
ligneuse, ne peut cependant pas                                                     sporogone est notamment consti-
                                        périodes humides et suspendent
s’élever beaucoup : les mousses                                                     tué d’une capsule qui contient des
                                        leur métabolisme pendant les pé-            spores qui seront libérées (comme
forment ainsi des touffes de
                                        riodes de sécheresse (de quelques           les graines des spermatophytes) à
gazonnement de quelques
                                        minutes à quelques années) en               maturité. Ces spores sont dissémi-
millimètres à 70 cm de haut,
                                        développant des mécanismes qui              nées plus ou moins loin par le vent
en fonction des espèces.
                                        protègent leur organisme et per-            et, après germination, donnent
Contrairement à de nombreux             mettent une restauration rapide de          naissance à de nouvelles tiges
autres groupes de plantes               l’activité cellulaire en cas de retour      feuillées, mâles ou femelles, qui
terrestres, elles sont dépourvues       de l’eau : c’est la reviviscence.           renouvellent le cycle.

                                               le magazine          #89
                                                         10
en couverture

certaines mousses étant capables d'absorber jusqu'à              et ignifuges. Enfin un argument de poids est à porter au
douze fois plus d'hydrocarbures que les filtres à argiles        crédit des mousses en ville : la régulation des eaux de
utilisés actuellement.                                           pluie et l'augmentation de la biodiversité urbaine (flore et
                                                                 faune confondues).
Le secteur pharmaceutique n'est pas en reste puisque
la compréhension de leurs principes actifs reste encore          Ainsi donc, le monde des bryophytes recèle bien des
à approfondir. Leurs composés antibiotiques, antifon-            surprises et il est urgent de s’adonner à leur observation
giques ou phénoliques sont encore mal connus même                consciencieuse et patiente. La chaleur irisée des coussi-
si leurs effets sur les irritations de la peau ou la pression    nets de mousses, verts toute l’année, scintillants de rosée
artérielle sont constatés. Enfin, on assiste aujourd'hui au      matinale, recouvrant poteaux, pavés et vieux murs, et à
développement du concept de ville durable, qui prévoit           l'intérieur desquels tout un petit monde d’animalcules
l'intégration des principes du développement durable et          s'ébroue, pourrait bien être l’une de nos dernières conso-
de l'urbanisme écologique dans l'aménagement du terri-           lations dans ce monde de macadam et de béton.
toire urbain. Une étape vers le retour des mousses dans
notre vie quotidienne pourrait être l'utilisation décorative
de celles-ci à travers la mise en place de murs végétaux
                                                                    Plus d’informations sur le site www.nowellia.be
ou de promenades végétalisées. L'étape suivante consis-
terait à valoriser des qualités utiles au citadin, comme            Pour des stages d’initiation à la bryologie :
leur capacité à fixer polluants atmosphériques et aqua-             www.cercles-naturalistes.be
tiques ou à constituer des barrières thermiques, sonores

                                                                                                                                Marina del Castell (CC)

PHILIPPE DE ZUTTERE, UN BRYOLOGUE PASSIONNÉ
Philippe De Zuttere, auteur de l’article, est décédé à Chimay quelques semaines après nous avoir fait parvenir
son texte. Nous sommes heureux de le publier, malgré les circonstances particulières. Philippe De Zuttere était
un bryologue de renom et grand monsieur du petit monde naturaliste wallon. Né à Bruxelles en 1944, il a suivi
une licence en botanique à l’Université de Liège où il s’est passionné pour la bryologie. Parallèlement à son métier
d’enseignant, il a mené une riche carrière de bryologue et a publié des dizaines d’articles et de brochures.
Il a lancé la revue Nowellia bryologica en 1992 et la Fondation bryologique Philippe De Zuttere en 2010.

                                                  le magazine          #89
                                                            11
ornitho

          Le moineau domestique
             est un des oiseaux les
        plus fréquents dans notre
             environnement direct.
           Il s’est si bien adapté à

                                                                                                                            Ray Kennedy / rspb-images.com
      l’homme qu’il ne peut plus
            vivre sans. Cependant,
      l’évolution des populations,
            globalement en déclin,
       indique qu’il a aujourd’hui
            de plus en plus de mal
                       à vivre avec…
                                                                                  Jean-Yves Paquet, directeur du
                                                                                  département Études de Natagora

             Le moineau                                                           d’Asie centrale et sont écologique-

déchante en ville
                                                                                  ment originaux : migrateurs (alors
                                                                                  que le moineau domestique est sé-
                                                                                  dentaire partout dans le monde), ce
                                                                                  sont les seuls moineaux domestiques
                                                                                  qui évitent les villages et les fermes.
                                                                                  Les progrès récents de la génétique

 N
           otre pierrot (Passer domes-    d’une sous-espèce particulière (Pas-    permettent maintenant de comparer
           ticus) est ce qu’on appelle    ser domesticus bactrianus). Lorsque     le génome (c’est-à-dire l’entièreté du
           une espèce « commensale        l’homme abandonne un endroit, le        matériel génétique d’un individu) de
 obligée ». « Commensale » car nous       moineau finit par disparaître. Et ce    représentants de moineaux domes-
 lui fournissons sa nourriture (il pi-    n’est pas nouveau.                      tiques « courants » et de bactrianus.
 core littéralement nos miettes) sans                                             Grâce à ces analyses, les chercheurs
 que cela nous nuise et, en fait, sans    Pour comprendre les origines de cette   ont identifié des séquences d’ADN
 que nous nous en rendions compte;        relation particulière, une équipe de    particulières à l’une ou l’autre sous-
 « obligée », car on ne trouve pas de     recherche norvégienne s’est intéres-    espèce et ont alors pu retracer l’his-
 moineau en dehors de nos villes et       sé à la sous-espèce bactrianus. Les     toire de la divergence entre les deux
 de nos villages, à l’exception notable   bactrianus vivent dans les steppes      groupes de moineaux.

                                                 le magazine        #89
                                                           13
ornitho

Le moineau est l'un des
oiseaux les plus répandus
au monde. Il s'est très bien
adapté à l’environnement
urbain.
Photo : Ben Hall / rspb-images.com

SÉLECTION DES                             amidon, grâce à des mutations dans       aujourd’hui dans le monde. Grâce à
VARIATIONS GÉNÉTIQUES                     les gènes qui sont liés aux capacités    ces adaptations génétiques, d’une
                                          digestives (l’homme lui-même et le       obscure espèce de petit granivore des
Bactrianus représente une sous-es-        chien sont déjà connus pour avoir        steppes d’Asie centrale, le moineau
pèce proche de l’ancêtre commun           subi des modifications génétiques        est devenu un des oiseaux les plus
aux sous-espèces actuelles, celui qui     similaires). Son bec et son crâne        répandus et les plus abondants du
préexistait à l’invention de l’agricul-   sont renforcés, de manière à pouvoir     monde. Il y a 6 000 ans, il a conquis
ture. Les deux lignées ont divergé il     briser des grains de céréales plus ro-   l’Europe suite à l’apparition de l’agri-
y a environ 11 000 ans. Lorsque les       bustes que les graines sauvages, tels    culture. Beaucoup plus récemment, il
premiers agriculteurs se sont instal-     que l’agriculture les sélectionnent.     s’est adapté à l’environnement urbain,
lés en Asie centrale, les ancêtres de                                              probablement en suivant les chevaux,
notre moineau ont trouvé avantage à                                                nombreux dans les villes avant le
profiter des graines laissées après les    L’ESTIMATION DE                         développement du moteur à explo-
récoltes ou autour des fermes primi-        LA POPULATION                          sion. Il s’est aussi répandu (parfois à
tives. Peu à peu, certaines variations    MONDIALE DÉPASSE                         partir d’introductions volontaires) sur
génétiques ont été sélectionnées                                                   tous les continents, de l’Océanie à
                                          DE LOIN LE MILLIARD
du fait de ces nouvelles conditions                                                l’Amérique. C’est une des rares es-
environnementales, et le moineau              D’INDIVIDUS.                         pèces d’oiseau dont l’estimation de
domestique tel que nous le connais-                                                la population mondiale dépasse de
sons est apparu. Par rapport au bac-      On peut dire que, par hasard, le         loin le milliard d’individus. Pourtant,
trianus, le « domestique » est par        moineau domestique a ainsi « misé        aujourd’hui, les populations de moi-
exemple capable de profiter d’une         sur le bon cheval ». Peu d’animaux       neau domestique sont globalement
nourriture beaucoup plus riche en         ont en effet aussi bien réussi que lui   en déclin.

                                                 le magazine         #89
                                                           14
ornitho

 CHUTE DE 90 % DES                       fortes d’une région à l’autre. Le moi-    Les mécanismes responsables de
 EFFECTIFS À BRUXELLES                   neau semble surtout diminuer dans         ce déclin sont encore peu com-
                                         les villes. Ainsi, le suivi des oiseaux   pris, mais les hypothèses incluent
 Au vu de cette association de longue    communs mené par les ornitholo-           la pollution urbaine, le manque de
 date, ce recul des populations de-      gues bruxellois de Natagora montre        sites de nidifications et le manque
 vrait nous alarmer particulièrement :   une perte de 90 % des effectifs           de ressources alimentaires (graines
 le programme européen de suivi          depuis 1992, alors qu’en Wallonie,        tout l’année et insectes en période
 des oiseaux communs estime que          le même suivi indique plutôt une          de reproduction). À ce titre, les
 les effectifs ont chuté de 60 % en      stabilité (voir graphe), même si des      programmes de sciences partici-
 moyenne depuis 1980. Ce chiffre         diminutions locales ont aussi été         patives (comme notre « Devine qui
 inquiétant cache des différences très   constatées récemment.                     vient manger au jardin ») pourraient
                                                                                   permettre d’obtenir de nouvelles
                                                                                   données utiles.

                                                                                   Le moineau est une espèce extraor-
                                                 Évolution de l’indice             dinaire : comme le chien, elle est lit-
                                                 d’abondance du moineau            téralement « définie génétiquement »
                                                 en Wallonie (jaune) et
                                                 à Bruxelles (mauve).              par sa relation avec l’homme. Ren-
                                                 L’indice est fixé à 100           dons-nous donc nos villes tellement
                                                 en 1992. Une valeur de
                                                 10 indique une perte de
                                                                                   peu vivables que même ce commen-
                                                 90 % de l’effectif.               sal qui nous accompagne partout
                                                 Source : Programmes de suivis     depuis si longtemps n’arrive plus à
                                                 des oiseaux communs (Aves –
                                                 SPW – IBGE)                       nous suivre ?

 RECENSEZ LES OISEAUX AVEC NOUS
      Chaque hiver depuis 2004, Natagora invite les petits et les
   grands à compter les oiseaux qui visitent les jardins. L’édition
  2019 aura lieu le week-end des 2 et 3 février. Le recensement
nous permet de disposer d’informations sur les oiseaux courants,
  de comprendre l’évolution de leurs populations, et d’aménager
         nos priorités de conservation en fonction des résultats.

 Participez, c'est très simple ! Vous observez les oiseaux de votre
     jardin à plusieurs moments de la journée, ou bien un peu le
 samedi et un peu le dimanche, vous aurez ainsi plus de chance
  d'observer des espèces différentes. Vous notez le nombre maxi-
     mum d'oiseaux que vous avez observés en même temps pour
    chaque espèce identifiée et vous renseignez vos observations
                                   directement sur notre site web.

   En 2018, le recensement a confirmé le retour des oiseaux aux
   mangeoires. Toutes les espèces de mésanges se sont rétablies
après le creux de 2017 et les populations de plusieurs granivores
             ont explosé. Seul le merle noir a subi un petit recul.

                                         oiseaux.natagora.be

                                                le magazine             #89
                                                          15
conservation

Natagora aide
les agriculteurs à
restaurer
le bocage
                  Textes : Benoît Vignet
                  Photos : Christophe Collas

                                                                                                        Dans quelques années,
                                                                                                les jeunes plants auront atteint
                                                                                             environ deux mètres et changeront
                                                                                                           l’aspect du paysage.

En novembre dernier, le LIFE
Pays mosan a commencé sa

                                                       A
campagne 2018 de                                               u sud-ouest d’Oneux, hameau de la commune de
plantations d’éléments                                         Durbuy, le chemin des Trois-Sapins remonte un
                                                               petit coteau, bordé ci et là de quelques chênes
bocagers. Au programme,                                aux feuilles jaunies. Derrière ces arbres, et jusqu’au mas-
plus de vingt-cinq kilomètres                          sif boisé au loin, un bloc de plusieurs dizaines d’hec-
de haies à planter cette                               tares de prairies et de champs cultivés, entrecoupé de
                                                       quelques clôtures de fils barbelés. Un paysage assez
saison. Nous avons suivi la                            homogène que Sébastien Lens est bien décidé à trans-
plantation d'une douzaine                              former. Le jeune agriculteur, qui exploite une partie des
de kilomètres de haies et de                           terres de l’endroit, met en œuvre une approche très res-
                                                       pectueuse du sol et de la biodiversité (lire l’encadré). Il
nombreux arbres isolés chez                            a donc naturellement fait appel à l’équipe du LIFE Pays
un agriculteur de Durbuy.                              mosan de Natagora.

                                        le magazine         #89
                                                  16
conservation

Colonie de grands                                                                     Les racines sont préalablement
rhinolophes                                                              « pralinées » pour éviter leur dessèchement
                                                                                             et favoriser leur reprise.

« Sébastien nous a contactés il y
a quelques mois pour recréer un
véritable maillage de haies sur son
exploitation, explique Frédéric De-
grave, chargé de mission LIFE Pays
mosan chez Natagora. Elle se situe à
proximité immédiate de la grotte où
a été découverte il y a deux ans la
plus grande colonie de grands rhino-
lophes de Wallonie. » La restauration
du bocage environnant correspond
donc exactement à l’un des objectifs
du projet LIFE (lire l’encadré).

Ce matin de novembre, encadrés et
aidés par l’équipe LIFE, dix ouvriers
retroussent leurs manches pour
planter une dizaine de kilomètres de
haies sur l’exploitation de Sébastien. Quinze mille plants                               SÉBASTIEN LENS,
sont triés sur place pour être placés, un par un, le long                          UN JEUNE AGRICULTEUR
des parcelles. Quelques arbres isolés, chênes, merisiers,                                     CONCERNÉ
tilleuls, complèteront l’ensemble.
                                                                                               « Mon exploitation compte
                                                                                             150 vaches salers et 155 ha

Couloirs écologiques                                                                      de terres. Je suis en bio depuis
                                                                                           2016 et depuis longtemps j’ai
essentiels                                                                               l’idée de réimplanter des haies.
                                                                                              Depuis que je suis passé en
                                                                                               bio, je vois plus d’animaux
Les haies sont constituées d’une majorité d’aubépines                                       dans les champs : des lièvres,
(environ 50 %), complétées par du cornouiller, du viorne,                                   des rapaces. Et je n’ai pas de
du fusain, du noisetier, du charme, de l’érable cham-                                       taupins, contrairement à mon
pêtre, du troène ou encore du sureau. Frédéric précise :                                   voisin en conventionnel ! Il y a
« L’aubépine, essence utilisée traditionnellement pour                                       un an, j’ai arrêté le labour et
                                                                                            je suis passé au semis direct,
former les haies, est un arbuste qui peut vivre très vieux,
                                                                                             sans aucun travail du sol. Et
et les haies d’aubépine de plus de deux cents ans ne                  après chaque culture, je mets de l’engrais vert,
sont pas rares. » Pour l’agriculteur, les haies servent                 ce qui limite le rumex. En bio, il faut toujours
avant tout de délimitation et de clôture. Elles permettent                   garder le sol couvert. Je suis également en
aussi de protéger les troupeaux de la pluie et du vent et                  autonomie fourragère. Au départ, j’ai pensé
                                                                        « haies » pour me protéger des voisins ! Pour
apporte une ombre nécessaire durant l’été. Leur action
                                                                          limiter le ruissellement d’intrants chimiques
antiérosive est importante sur ces sols peu productifs.
                                                                           sur mes parcelles, et aussi limiter l’érosion.
Mais les haies constituent par ailleurs des « couloirs                         Mais l’aspect biodiversité est également
écologiques » essentiels pour de nombreuses espèces,                   important. Je ne savais pas que la plus grande
comme les petits mammifères, qui peuvent y trouver                    colonie de grands rhinolophes gîtait à quelques
refuge ou les utiliser pour se déplacer. Elles attirent               kilomètres ; mais tôt le matin, j’en vois toujours
                                                                            trois ou quatre qui volètent autour de moi.
également les pollinisateurs qui apprécient leurs fleurs,
                                                                            Et bien sûr, l’aspect paysager est essentiel.
les oiseaux qui se nourrissent de leurs baies ou y                     D’ici trois ans, quand les haies auront poussé,
construisent leurs nids, et les chauves-souris qui les par-             on aura un bon retour. Je compte dessus pour
courent la nuit, à la recherche d’insectes.                                                  convaincre mes collègues ! »

                                                 le magazine    #89
                                                           17
conservation

ZOOM SUR LE                                       En pratique, les haies sont plantées en automne pour faciliter leur
LIFE PAYS MOSAN                                   installation et la formation des radicelles avant le printemps. Les
                                                  arbustes sont implantés sur des tronçons préalablement définis
Le projet LIFE Pays mosan (2014-
                                                  avec l’agriculteur. Les trous sont creusés à la tarière, tous les 50 ou
2020), coordonné par Natagora, est
un programme de restauration de milieux           80 cm. Les racines sont préalablement « pralinées » (c’est-à-dire
naturels et semi-naturels menacés dans            enduites de « pralin », un mélange de bouse de vache, de terre
le bassin de la Meuse et de ses affluents.        et d’eau) pour éviter leur dessèchement
Depuis quatre ans, l’équipe œuvre à               et favoriser leur reprise. Les arbustes sont              LES HAIES SONT
la restauration des paysages bocagers
                                                  ensuite distribués le long du parcours puis                   PLANTÉES EN
en collaboration avec les agriculteurs
et propriétaires intéressés. Elle a ainsi         plantés à la main. Les jeunes plants seront               AUTOMNE POUR
déjà permis la restauratoin d’un réseau           enfin protégés du troupeau par l’installa-                FACILITER LEUR
de plus de cinquante kilomètres de                tion d’une clôture électrique et de la dent             INSTALLATION ET
haies, le (creusement de mares, et la             des chevreuils par un latex répulsif.
plantation de plusieurs vergers.                                                                       LA FORMATION DES
                                                                                                       RADICELLES AVANT
Ce projet LIFE s’axe notamment sur la
                                                                                                               LE PRINTEMPS
protection des chauves-souris. Quatre
espèces sont visées : le petit rhinolophe,
                                                  « L’affaire de tous ! »
le grand rhinolophe, le grand murin, et
le vespertilion à oreilles échancrées. Ces        Dans quelques années, les haies auront atteint une hauteur de plus
espèces présentes dans le périmètre du            de deux mètres. Sébastien, qui dispose du matériel nécessaire, les
projet sont particulièrement sensibles à          entretiendra lui-même. Un entretien qui est d’ailleurs souvent une
la disparition du bocage, essentiel à leurs
                                                  contrainte pour les agriculteurs, et qui ne les incite pas à conser-
déplacements entre gîtes de reproduction,
d’hivernage et terrains de chasse.                ver ces structures. « On reproche souvent aux agriculteurs d’arra-
                                                  cher les haies, remarque Frédéric. Mais d’un autre côté, ils ne
Le projet cible par ailleurs plusieurs            reçoivent guère de soutien pour leur entretien. La communauté
types d’habitats en nette régression
                                                  devrait réagir. À Somme-Leuze par exemple, la commune permet
en Wallonie : des habitats dits
« agropastoraux » (pelouses sèches,               aux agriculteurs de bénéficier d’un service d’entretien des haies à
prairies de fauche) et des habitats               bas coût. Heureusement, d’autres initiatives récentes tentent d’in-
d’origine minière ou industrielle                 verser la tendance et visent à rendre leur place aux arbres dans
(pelouses calaminaires).                          les campagnes ». Et le chargé de projet de Natagora conclut : « La
www.lifepaysmosan.eu                              sauvegarde des paysages est importante et ne concerne pas que
www.facebook.com/paysmosan                        les agriculteurs, c’est l’affaire de tous ! »

                                              le magazine         #89
                                                        18
| ...
                                                             NOCULAIRES
                                               | LOUPES | BI
                          LONGUES-VUES
               JUMELLES |

                    BESOIN DE                          MATÉRIEL
                    D’OBSER                          VATION ?

                    Contactez notre                 Mr Optique sera
                     « Mr Optique » !               présent à la
                 gerard.frola@natagora.be
                                                    Maison Liégeoise
                             0477 48 99 13          de l'Environnement
                                                    les samedis 26
                    natagora.be/                    janvier et 16 février
                 materiel-optique                   de 11h à 17h

                                                                            S   NATURE !
                           ENTIELS                             DES FORMATION
               PRIX PRÉFÉR               RA   ET LES ÉLÈVES
                            RES DE NATAGO
               POUR LES MEMB

                                                   En partenariat avec

le magazine        #89
          19
rencontre

                    Éric Dubois,
                            animateur nature
Christophe Collas
rencontre

    Au sein de Natagora, Éric
 s’occupe du projet « Nature
  pour tous » qui œuvre pour
l'intégration, et l'accessibilité
     à la nature… pour tous !
     Une ouverture sociale et
    une connexion entre deux

                                                                                                                                     Nature pour tous
     dimensions (handicap et
 nature) qui apparaît comme
                  une évidence.

       J
             ’ai toujours été passionné d’animation et de nature.      le projet a évolué, et nous proposons aujourd’hui de
             J’ai commencé par de l’animation dans un orphe-           l’éducation et des actions sur le terrain. Notre but est de
             linat de la région bruxelloise, puis j’ai donné mes       tout mettre en œuvre pour que l’ensemble des publics
       premières formations nature à des animateurs scouts.            soient accueillis dans les meilleures conditions lors de
       J’ai ensuite eu la chance de pouvoir expérimenter et            nos activités, en espérant leur donner envie de protéger
       m’améliorer dans les deux domaines, pour moi évidem-            la nature qui les entoure.
       ment liés, de l’animation et de la nature.
                                                                       Peu à peu, l’équipe « Nature pour tous » s’est agrandie et
                                                                       nous avons eu le plaisir de créer des « outils-solutions »
       Lors d’une formation de guide nature, j’ai croisé la route
                                                                       utiles à tous, bien que développés au départ pour des
       de Paul Gailly, alors directeur du département Éducation
                                                                       besoins spécifiques. Les oiseaux en trois dimensions en
       de Natagora. À l’époque, « Nature pour tous » en était
                                                                       sont un bon exemple, et plus récemment AdMoSe, un
       encore au stade de l’idée. J’ai alors participé à une jour-
                                                                       WC « adapté mobile sec » et autonome.
       née de sensibilisation à l’accueil de publics différents
       dans la nature, organisée par Natagora. J’avais déjà été        Notre travail est aujourd’hui largement reconnu en
       en contact avec le milieu du handicap et la connexion           Belgique, et nous avons eu le plaisir d’être invités au
       entre ces deux dimensions (handicap et nature) m’est            deuxième Salon mondial « Destination for all » qui a eu
       alors apparue comme une évidence. J’ai proposé à Nata-          lieu à Bruxelles en octobre dernier. Être coordinateur
       gora de développer le projet dans ce sens et j’ai rejoint       de « Nature pour tous » et profiter d’une équipe hyper
       l’association en 2005. C’est ainsi que « Nature pour tous,      performante est pour moi une véritable chance !
       pôle accessibilité » a démarré, en tissant un réseau de
       partenariats avec les institutions et les associations dé-
       diées aux personnes handicapées.

       Au départ, il s’agissait simplement de permettre à tous
       de vivre des moments de plaisir en pleine nature, mais

       En 2018, Natagora est ambassadrice des Objectifs de développement durable de l’ONU.
       À travers une série de portraits, nous montrons comment la protection de la nature s’inscrit
       dans un projet de société global. L’action d’Éric s’inscrit dans l’objectif 3 « Bonne santé et
       bien-être », appelant notamment à promouvoir la santé mentale et le bien-être.
       Retrouvez le projet Nature pour Tous en vidéo sur natagora.be/sdg

                                                        le magazine          #89
                                                                  21
Vous pouvez aussi lire