L'éco-bLanchiment : une stratégie à risque face à la résistance des consommateurs
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Rubrique « À propos de » L’éco-blanchiment : une stratégie à risque face à la résistance des consommateurs Jean-François Notebaert supposés porter aux problèmes so- Pour mieux comprendre comment De nombreuses entreprises se ciaux et environnementaux, sans se présente aujourd’hui l’éco-blan- positionnent en utilisant une stra- toutefois les forcer à s’engager ni à chiment, nous allons revenir dès tégie de communication appelée se compromettre de manière nette maintenant sur une brève revue éco-blanchiment. Elle est douteuse et précise. Il suffit pour cela que le à caractère historique des événe- d’un point de vue éthique et a des sens premier du terme reste vague. ments qui ont marqué l’évolution conséquences néfastes sur l’en- vironnement. A court terme, cette Ce qui est le cas. Bref, un tour de de ces pratiques plus que douteu- stratégie peut sembler payante. passe-passe au départ bien réussi. ses. Mais à plus long terme, la résis- tance de consommateurs avertis Par exemple, dans le secteur bancai- risque de pénaliser ces entreprises. re, dans les industries de l’automo- bile et pétrolières, ou bien encore dans celui de la grande distribution, les annonceurs s’engagent dans le développement durable à travers des campagnes de communication destinées à améliorer leur image de marque au niveau corporatif. Nous voyons aujourd’hui ainsi apparaître des publicités assez surprenantes où le développement durable est Jean-François Notebaert est Maî- tre de Conférences à l’IUT de Dijon D utilisé pour promouvoir des pro- duits ou des activités polluantes à – Université de Bourgogne epuis une vingtaine souhait ! Contact : notebaertjf@iut-dijon.u- d’années, la responsa- bourgogne.fr bilité sociale des entre- Mais les choses tournent. Fort heu- Cet article s’inscrit dans le cadre du prises s’affirme, particulièrement reusement, ce paradoxe criant, projet NACRE (New Approaches to dans le domaine du développe- face à une crise écologique qui ne Consumer Resistance) soutenu par ment durable. Hélas, et au fil de la cesse de se développer, commence l’ANR (Agence Nationale pour la multiplication des campagnes de sérieusement à provoquer (et avec Recherche). communication tournant autour raison) des réactions de résistance de ce positionnement précis, l’ex- auprès d’un nombre croissant de pression même de développement consommateurs avertis. De plus, durable s’est vidée peu à peu de un certain malaise semble enfin ga- son sens premier et s’est transfor- gner une partie de la profession pu- Christian Dussart, professeur à mée en une expression passe-par- blicitaire. Le moins que l’on puisse H.E.C. Montréal est responsable de tout finalement bien pratique pour dire est qu’il était plus que temps : cette rubrique « A propos de » les annonceurs. Cela leur permet un peu d’éthique professionnelle Contact : de montrer l’intérêt qu’ils sont semble nécessaire. christian_dussart@hotmail.com Décisions Marketing N°53 Janvier-Mars 2009 – 71
L’éco-blanchiment Eco-blanchiment et rons quelques exemples édifiants, me la première source d’émission développement durable puis nous étudierons les formes de de CO2 (34 % de ces émissions) et résistances que les consommateurs que ce véhicule particulier ne soit mettent en place. vraiment pas un bon exemple de Le terme de développement du- respect de l’environnement ; sur rable a été utilisé à partir de 1987 le site de l’ADEME (Agence de suite au rapport Brundtland inti- L’éco-blanchiment : l’Environnement et de la Maîtrise tulé : Notre avenir à tous. Il s’agit du nom de l’ancien Premier minis- une pratique pour le de l’Energie), nous pouvons voir que cette voiture émet 400 g/CO2 tre norvégien qui a assuré la prési- moins douteuse par km. Il s’agit réellement d’une dence de la Commission mondiale manipulation marketing invitant sur l’environnement et le dévelop- De plus en plus de produits sont les consommateurs à sous-estimer pement mise en place par l’ONU. présentés comme protégeant la les conséquences de leurs agisse- Ce rapport le définit comme un biodiversité ou encore l’environ- ments. « développement qui répond aux nement, alors qu’il s’agit en fait et besoins du présent sans compro- entre autres de grosses voitures, de La plus emblématique des publi- mettre la capacité des générations produits chimiques, de sociétés pé- cités usant de l’éco-blanchiment futures de répondre aux leurs ». trolières... dans le secteur des véhicules tout terrain est peut-être celle de Donc, pour qu’un développement L’exemple de l’industrie automobi- Mitsubishi montrant un 4x4 (le soit « durable », il doit prendre en le est criant.Très souvent, les publi- Outlander) sur lequel il est écrit compte des aspects non seulement citaires mettent en scène des 4x4 « respect ». Le slogan publicitaire économiques et sociaux mais aussi dans le cadre d’une nature luxu- utilisé est le suivant : « Conçu et environnementaux, les trois étant riante ou encore accompagnés développé au pays des accords de étroitement liés (1 et 2). Bien qu’un d’animaux sauvages représentant Kyoto ». grand nombre de consommateurs un environnement vierge, n’ayant soient devenus vraiment sensibles subi aucune dégradation environ- Dans un autre secteur industriel, aux critères environnementaux, nementale. celui des produits pétroliers, Total ils cernent encore mal le sens pro- joue la carte du développement du- fond de ce terme. En effet, un flou Très concrètement, ce type de pu- rable dans sa communication afin est entretenu par les entreprises blicité, pousse le consommateur à de contrecarrer son image ternie qui, trop souvent, communiquent avoir un comportement de « passa- par les marées noires et les acci- autour de ce thème en détournant ger clandestin » (3), c’est-à-dire qu’il dents industriels. Sur son site Inter- la protection de l’environnement est encouragé à ne pas participer net, les mérites de la biomasse, de à des fins publicitaires. L’argument à l’effort commun pour préserver l’électricité solaire photovoltaïque écologique est largement utilisé l’environnement. Ce qui ne l’empê- sont expliqués. L’engagement de pour vanter des produits en réa- che pas de vouloir bénéficier des l’entreprise envers la sauvegarde lité polluants. Il s’agit d’une straté- résultats de l’action collective en de la biodiversité et de la préser- gie de « blanchiment écologique » faveur de l’environnement. En met- vation de la qualité de l’air est an- (venant du terme Greenwashing tant en scène ce type de véhicule noncé1. Les campagnes d’affichage en anglais) appelée aussi « désin- dans un tel décor, on déculpabilise ou télévisuelles mettent ainsi systé- formation verte » ou encore « éco- sans vergogne le consommateur matiquement en avant l’argument blanchiment ». A lire ces termes, on de son externalité négative envers écologique. se croirait presque dans le domaine les autres individus lorsqu’il achète du blanchiment de l’argent sale… des produits polluants. Le consommateur pourrait pres- Une confrontation entre l’effica- que en arriver à oublier qu’il s’agit cité économique à court terme Ainsi, sa décision de ne pas tenir avant tout d’un groupe pétrolier et des produits et services concernés compte outre mesure de l’impact gazier. Le fait que le groupe Total et la préservation de l’environne- de son achat sur les autres et sur dénonce les méfaits du réchauffe- ment est souvent de mise. Au lieu l’environnement est sans aucun ment climatique brouille encore de taire cette opposition, certaines doute encouragée par ces campa- un peu plus les cartes. Le consom- firmes polluent par leurs activités gnes publicitaires mélangeant pro- mateur peut avoir des difficultés à de production ou vendent des pro- duits polluants et nature préservée comprendre ce qui est de l’infor- duits polluant ce qui ne les empê- ou domestiquée. D’où le slogan mation et ce qui touche à de la che nullement de communiquer publicitaire pour la Jeep Grand communication commerciale. L’ex- sur le respect de l’environnement Cherokee : « L’homme a toujours ploitation d’hydrocarbures est-elle en employant un « discours écolo- rêvé d’apprivoiser la Nature ». vraiment le principal contributeur gique ». Ce marketing « bien trop L’acheteur peut être ainsi rassuré de gaz à effet de serre qui fait fon- vert » pour être vrai (4) est large- car il n’a rien à craindre d’une na- dre les glaciers ? Il est possible d’en ment utilisé dans les campagnes de ture apprivoisée…, bien que les douter lorsque l’on voit la commu- communication. Nous en donne- transports soient considérés com- nication de Total. 72 – Jean-François NOTEBAERT
Rubrique « À propos de » Pour ne pas être en reste, le distribu- De l’éco-blanchiment enseigne car elle est difficilement teur Carrefour a, quant à lui, franchi une étape de plus en reprenant le à la résistance du cernable, elle peut être silencieuse ou provoquer un bouche à oreille thème de la décroissance avec le consommateur néfaste à l’entreprise. slogan moralisateur suivant : « Ar- rêtons de consommer plus pour L’objectif de notre rubrique n’est Cependant la résistance peut aussi consommer mieux ». pas seulement de porter un regard être collective. Dans ce cas de fi- quelque peu réprobateur sur cet gure, les consommateurs peuvent Il y a encore là un discours qui éco-blanchiment, mais plutôt de entrer en rébellion et développer peut paraître surprenant. Il sem- mettre en garde les entreprises car un activisme propre à lutter contre blerait qu’il y ait divergence en- une résistance du consommateur cette communication. De plus, In- tre les discours et la pratique. Ce se met en place. Une résistance ternet et les outils du Web 2.0 of- grand distributeur semble orienter qui peut être individuelle ou col- frent la possibilité d’une résistance les individus vers une consomma- lective. Que se passerait-il pour collective accrue. Une véritable tion responsable, en leur indiquant les constructeurs automobiles si bataille contre l’éco-blanchiment qu’il est urgent de mieux consom- les clients de 4x4 décidaient qu’il se met en place sur de nombreux mer. Mais dans la presse économi- n’est plus possible d’acheter ce sites. Des prix sont remis aux fir- que, le discours est fort différent. type de véhicules pour des ques- mes pratiquant l’éco-blanchiment Nous avons sélectionné quelques tions écologiques, si les consom- le plus scandaleux. Il n’y a pas de verbatim édifiants. Dans Les Echos mateurs voyaient uniquement dans quoi pavoiser en les recevant ! A (29/08/08), Carrefour indique avoir la communication de Total une ma- titre d’exemple, sur un site créé enregistré sa « meilleure croissan- nière de cacher sa responsabilité par des ONG, des milliers d’inter- ce depuis 2005 ». Le Directeur Gé- environnementale et si les clients nautes ont décerné le prix « du néral du groupe, José Luis Duran de Carrefour décidaient réellement pire éco-blanchiment de l’UE » en affirme que, et nous citons : « Dans de moins consommer ? 20072 au « Forum Allemand pour un environnement incertain et l’énergie Atomique ». Par ailleurs, exigeant, la mise en place du plan Les effets néfastes que peut avoir le site de Greenpeace offre aux d’action opérationnel que nous cette stratégie publicitaire d’éco- internautes la possibilité de voter avons annoncé en juillet me rend blanchiment pour les entreprises pour les « pires spots de publicité confiant dans l’atteinte de nos sont réels. Le premier danger peut automobile » au niveau de l’éco- objectifs 2008 ». Dans la rubrique être le développement d’une ré- blanchiment et de créer leur pro- économique du journal Le Monde sistance individuelle du consom- pre contre-publicité grâce à une (30/08/08), il confirme que : « Car- mateur. En effet, ce dernier peut interface conviviale pour l’envoyer refour enregistre ses meilleurs trouver choquant ce type de com- aux constructeurs3 (image 1). résultats semestriels depuis 2005. munication et décider de ne plus C’est la preuve de sa solidité et de consommer l’ensemble des pro- Avec Internet et le Web 2.0, qui la pertinence de sa stratégie, qui duits d’une marque, même s’ils ne permettent aux consommateurs s’appuie sur plusieurs formats de sont pas tous touchés par cette d’être non plus seulement des ré- magasins sous une seule enseigne stratégie d’éco-blanchiment. La ré- cepteurs mais aussi des émetteurs que nous déployons à l’interna- sistance individuelle du consom- d’information, un nouveau danger tional. » mateur est dangereuse pour une se profile pour les entreprises dé- Image 1: Site de Greenpeace Décisions Marketing N°53 Janvier-Mars 2009 – 73
L’éco-blanchiment veloppant une stratégie de commu- atteintes à l’environnement : la dé- ment, pour des raisons de profit à nication malhonnête. Les individus forestation, la désertification, le ré- court terme, pourrait bien à plus peuvent créer leur propre blog ou chauffement climatique, le recul de long terme jouer en leur défaveur. enrichir par leur production des la biodiversité, la prolifération de dé- sites Internet. Ils deviennent ainsi chets multiples et autres atteintes à Enfin, pour certains experts en en- des acteurs réels dans le domaine notre environnement, les individus vironnement, la dangerosité de ces de la communication au même ti- sont de plus en plus inquiets. L’im- pratiques commerciales ne devrait tre que les entreprises. pact des activités humaines sur les même pas souffrir des interroga- Les consommateurs investissent de écosystèmes, appelé communément tions sur leurs conséquences néga- plus en plus l’espace virtuel pour l’empreinte écologique, alimente tives et futures possibles auprès des mener des contre-offensives, n’hé- les craintes. Les entreprises respon- entreprises qui les pratiquent. Dere- sitant pas à utiliser les supports of- sables de l’éco-blanchiment, tout chef, elles devraient être purement ferts par les entreprises. Par exem- comme les publicitaires, pourraient sanctionnées car elles concernent ple en 2007, pour le lancement prochainement subir des critiques l’avenir même de notre planète ! d’un nouveau 4x4, le Tahoe SUV qui seront difficiles à canaliser. de General Motors, les internautes u étaient invités à créer un spot pu- Notes blicitaire de trente secondes sur le Conclusion 1 http://www.total.com Web. Ils disposaient d’outils com- me une bibliothèque d’images, des Comme nous l’avons dit, certains 2 http://www.worstlobby.eu/2007/ extraits de musique et avaient aussi publicitaires avertis semblent com- la possibilité de créer leur propre prendre ce danger latent. C’est 3 http://voiture.greenpeace.fr/ texte associé au message publici- pourquoi ils indiquent, dans le taire. Des individus « anti-SUV » ont journal économique La Tribune à 4 Laurent Terrisse, publicitaire, Jean- utilisé le site et créé des spots pour propos de l’éco-blanchiment (26- Marc Gancille (agence Inoxia), Fran- dénoncer les méfaits de ce véhicule 04-2008) que « la profession pu- çois Collet (Heaven), Quitterie Del- en matière de protection de l’envi- blicitaire se trouve dans une si- mas (Heaven), Laure Maud (Green ronnement. Pourtant, le Tahoe s’est tuation où sauver son honneur et is Beautiful), Daniel Luciani (Icom) bien vendu : allez comprendre ? sauver son bifteck se rejoignent »4. et Stéphanie Gentilhomme (Rendez- En conclure alors, et trop rapide- Reste à savoir s’il s’agit d’une véri- Vous-RP) (2007) : Ecoblanchiment ment, que le danger représenté par table prise de conscience ? Laisser publicitaire : l’autorégulation entre amis, La Tribune. la résistance des consommateurs la profession réguler elle-même ces peut donc être écarté serait irres- abus semble bien difficile. Un cer- ponsable. Les réseaux sociaux sur tain parallèle avec la régulation du Références Internet ne cessent de se dévelop- monde de la finance nous semble per et favorisent la création d’une convaincant. (1) Allemand S. (2007), Les para- action collective. Les internautes doxes du développement durable, Le s’approprient les outils nécessaires Ainsi, l’éco-blanchiment peut être Cavalier Bleu. à la diffusion de leur propre messa- perçu comme une récupération ge et essayent ainsi de déclencher marketing de « nouvelles figures (2) Boston P. et Rotillon G. (2007), une réaction en chaîne. La création consuméristes » (6) pour repren- L’économie de l’environnement, Coll. « Repères », La Découverte. de ces réseaux représente claire- dre la terminologie d’Eric Rémy. ment une menace, celle de devenir Il s’agit dès lors de s’approprier le (3) Capron M. et Quairel-Lanoizelée l’arroseur arrosé lors d’une campa- discours écologique et de l’intégrer F. (2007), La responsabilité sociale gne de marketing viral. Car, si dans dans des campagnes publicitaires, d’entreprises, Coll. « Repères », La le cadre d’une relation individuelle de le recycler quitte à le vider com- Découverte. entre l’entreprise et les clients, la plètement de son sens. critique d’un consommateur va (4) Dampérat M. et Dussart C. être traitée de manière confiden- Cependant, la crise environnemen- (2007), Un marketing bien trop vert, tielle, dans celui du Web 2.0, tous tale est devant nous. Les entrepri- Décisions Marketing, 47, 101-106. les internautes seront potentielle- ses qui tentent de récupérer la ment touchés par cette critique. prise de conscience des consom- (5) Notebaert J.-F. (2007), Quelles stratégies développer pour éviter Sur le long terme, la stratégie d’éco- mateurs en matière de consomma- une communication intrusive sur les blanchiment, combattue par des tion durable risquent notamment TIC ?, Décisions Marketing, 45, 91- consommateurs résistants, risque de rencontrer la résistance de ceux 95. bien de porter préjudice aux en- qui luttent contre une publicité de treprises utilisant cette forme de plus en plus intrusive (5) et parfois (6) Rémy E. (2007), De « Que choi- communication. En effet, dans ce malhonnête, en plus d’être irres- sir » à « Casseur de Pub » : Entre domaine, la montée en puissance ponsable. L’exploitation abusive du récupération marketing et nouvelles de la résistance des consommateurs thème écologique par des entrepri- figures consuméristes, Décisions est largement prévisible. Face aux ses ne respectant pas l’environne- Marketing, 46, 37-49. n 74 – Jean-François NOTEBAERT
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