Mieux comprendre l'empowerment du consommateur - Reseau CHU

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Mieux comprendre l'empowerment du consommateur - Reseau CHU
VARIA
MARIE-GEORGES FAYN
VÉRONIQUE DES GARETS
ARNAUD RIVIÈRE
IAE Tours Val de Loire, VALLOREM EA6296,
Université de Tours

      Mieux comprendre
      l’empowerment du
      consommateur
      Clarification conceptuelle et
      enrichissement théorique

      Bien que le marketing se soit intéressé tardivement à
      l’empowerment, la profusion et la diversité des recherches,
      ainsi que l’absence d’une vision consensuelle, nécessitent un
      travail de clarification. Cet article propose ainsi de faire état des
      débats au sein de la littérature scientifique et de préciser les
      distinctions conceptuelles avec des notions connexes. Par
      ailleurs, considérant les évolutions récentes engendrées par
      le web participatif et le nouveau statut du consommateur-
      citoyen, ce travail propose, à partir d’une vision multidisci-
      plinaire du concept originel, un enrichissement de l’approche de
      l’empowerment en marketing.

                                              DOI: 10.3166/rfg.2019.00307 © 2018 Lavoisier
122    Revue française de gestion – N° 278/2019

L
          a relation client est-elle forcément            L’empowerment, au sens de « conscience
          une relation de pouvoir ? Long-                 soumise qui se libère » (Freire, 1970), a très
          temps, le consommateur, « amateur               vite été adopté par les chercheurs en
en matière d’achat » (Giese et Weisenberger,              sciences humaines et sociales, à la diffé-
1985), a eu recours au conseil des vendeurs               rence du marketing qui s’y est intéressé
pour pallier son manque de connaissances, et              tardivement, près de 30 ans plus tard, et de
à la protection de la loi pour se préserver de            manière confuse du fait d’une production
fournisseurs pouvant tirer profit de son                   effervescente et de positionnements contra-
inexpérience. Avec l’avènement du consom-                 dictoires. Les statistiques montrent qu’entre
mateur empoweré, les échanges se rééquili-                janvier 2000 et janvier 2017, plus de 80 000
brent et le rapport de force tend à s’inverser.           publications sur l’empowerment ont été
Désormais, l’entreprise traite d’égal à égal              indexées en sciences de gestion sur Ebsco,
avec des clients conscients de leur puissance             Sciencedirect et Wiley, contre 17 000 entre
et de leurs connaissances, libres de leurs                1982 et 19992. Cette profusion a brouillé la
choix et en mesure de se constituer en                    compréhension d’un terme polysémique et
groupes d’influence dès lors que leurs intérêts            très ancien3. Son sens devenu ambigu et très
ou principes sont menacés. Face à eux, les                partial témoigne de la difficulté du market-
entreprises éprouvent la fragilité de leur                ing à s’affranchir d’un penchant pour le
réputation et l’impérieuse nécessité d’être               contrôle des comportements et d’une appro-
attentives aux émotions, aux usages et aux                che entreprise-centrée, déconnectée des
questionnements des consommateurs. Mais                   mouvements qui traversent la société. Le
le client empowéré ne représente pas qu’une               marketing est apparu timoré sur la question
menace. Son engagement peut être vécu                     de la prise de pouvoir du consommateur. Il a
comme une opportunité. Considéré comme                    tout d’abord limité l’empowerment au choix
un partenaire par l’entreprise, il participe à la         puis exprimé des positions antagonistes tout
co-création de valeur. Dans un contexte de                particulièrement sur la nature du pouvoir,
marché saturé et de concurrence accrue, une               accordé ou conquis, et sur son périmètre,
meilleure compréhension de l’empower-                     circonscrit par l’entreprise ou bien plus
ment1 du consommateur se révèle donc                      vaste englobant un projet de société. Pour
stratégique pour les entreprises qui cherchent            pallier l’absence de consensus parmi les
à privilégier les relations durables avec des             chercheurs, un travail de clarification
clients engagés, fidélisés, dotés de compé-                conceptuelle apparaît donc nécessaire au
tences accrues et en interaction permanente               regard de cette notion complexe, embléma-
sur les réseaux sociaux.                                  tique d’un nouveau rapport à la

1. Les traductions d’empowerment sont multiples mais partielles, mettant l’accent soit sur le gain en pouvoir
(« enpouvoirement » qui désigne l’accès, la prise et l’augmentation de pouvoir, « l’autonomisation »,
« l’émancipation »), soit sur l’acquisition de compétences (« habilitation », « capacitation ») (Paquet, 2001 ;
Corteel et Zimmermann, 2007). À ces notions s’ajoutent encore celles de travail communautaire et de réforme
sociétale. Aussi, faute d’équivalent français satisfaisant traduisant pleinement la notion abordée, le terme
d’empowerment, largement diffusé au sein de la littérature francophone, est conservé dans cet article.
2. Requête menée le 24 janvier 2017 sur les plateformes des éditeurs Sciencedirect, Wiley et Ebsco.
3. Une recherche étymologique sur l’empowerment fait remonter ce vocable au Moyen-Âge avec la découverte d’une
des premières références dans le dictionnaire anglais d’Oxford du XVIIe siècle.
Comprendre l’empowerment du consommateur                   123

consommation. Dans cette perspective,                       de cet article vise à proposer une clarifica-
après avoir fait état des débats théoriques                 tion conceptuelle de l’empowerment en
au sein de la littérature académique, cet                   marketing, tandis que la seconde partie
article s’attache à distinguer l’empowerment                s’attache à offrir un enrichissement théo-
des notions connexes en marketing pour en                   rique dans l’appréhension de cette notion,
dégager ses spécificités. Par ailleurs, si                   sur la base d’une approche multidiscipli-
jusqu’à présent le marketing n’a retenu                     naire. En conclusion, de nouvelles per-
qu’une acception parcellaire de l’empower-                  spectives managériales sont proposées,
ment, un travail d’enrichissement théorique                 notamment en matière de stratégies rela-
semble nécessaire au regard du développe-                   tionnelles, et un agenda de recherche est
ment et de l’influence du web participatif,                  défini, visant à consolider et approfondir la
ainsi que des travaux révélant le nouveau                   déclinaison marketing de l’empowerment.
statut du consommateur-citoyen engagé
(McShane et Sabadoz, 2015) et des recher-
ches introduisant les différents niveaux                    I – CLARIFIER LA VISION
d’émancipation des consommateurs (et                        MARKETING DE
notamment le rôle joué par les communau-                    L’EMPOWERMENT
tés dans leur prise de pouvoir) (Papaoiko-                  Bien que tardif, l’intérêt des chercheurs en
nomou et Alarcón, 2015). Afin de répondre                    marketing pour l’empowerment n’a fait que
à ce besoin, une définition actualisée et                    s’accroître durant ces dernières années, se
approfondie de l’empowerment en market-                     traduisant par une multiplicité des appro-
ing est proposée dans cet article, sur la base              ches théoriques proposées (Wright et al.,
d’une vision multidisciplinaire du concept                  2006). Cette profusion de travaux a conduit à
originel en sciences humaines et sociales4.                 de nombreuses ambiguïtés théoriques et à une
Une telle approche permet de mieux cerner                   absence de vision consensuelle de la notion.
la nature de l’empowerment et de bénéficier                  Face à de tels constats, un effort de clarification
des réflexions approfondies des chercheurs                   théorique a été engagé, permettant d’apprécier
d’autres disciplines. Tout en mobilisant une                les points de divergence et les débats théoriques
démarche alternative, ce travail s’inscrit                  au sein de la littérature. Puis, une analyse des
dans le prolongement de recherches récen-                   distinctions avec d’autres concepts connexes
tes (McShane et Sabadoz, 2015 ; Papaoi-                     amène à mieux cerner la nature spécifique de
konomou et Alarcón, 2015), et vise à                        l’empowerment.
enrichir l’appréhension de l’empowerment
en proposant une vision plus compréhen-
sive, renouvelée et intégratrice de la notion               1. La variété des approches de
en marketing, notamment en insistant sur                    l’empowerment en marketing
l’approche communautaire et sur la grada-                   La définition non stabilisée de l’empo-
tion de la démarche d’empowerment.                          werment nourrit une grande diversité
En cohérence avec les deux objectifs                        d’approches. Par exemple, l’empower-
affichés de ce travail, la première partie                   ment est-il une redistribution ou une prise

4. Ces disciplines ont intégré, dès les prémices de leurs réflexions sur l’empowerment, sa force démocratique.
124    Revue française de gestion – N° 278/2019

de pouvoir ? La question reste ouverte car,       up » lié à un engagement communautaire
pour certains, l’empowerment désigne une          spontané, parfois comme un état
permission donnée aux consommateurs de            psychologique.
contrôler certaines variables du produit.
On parlera alors de mouvement « top-
                                                  L’empowerment comme un processus :
down » impulsé par l’entreprise vers son
                                                  absence de consensus entre dynamiques
client. Mais il arrive aussi que l’empo-
                                                  « top-down » et « bottom-up »
werment caractérise une dynamique
inverse, « bottom up », où le consomma-           Selon certains chercheurs, le customer
teur s’affranchit de l’expertise du pro-          empowerment appelé également « déléga-
fessionnel en s’appuyant sur sa propre            tion du pouvoir » (Bonnemaizon et al.,
expérience et sur celles de ses pairs pour        2008) relève d’une relation « top-down »,
affirmer une position indépendante et              subtile combinaison d’informations et d’ou-
définir ses besoins de manière autonome.           tils d’éducation qui facilitent le choix du
Il n’existe pas non plus de consensus sur le      client. Avec l’essor du numérique, certaines
sens de l’empowerment, ni sur sa nature           tâches ont pu être concédées au consom-
(état psychologique ou processus). Quant          mateur comme le choix des caractéristiques
à son amplitude, elle s’avère fluctuante,          techniques ou esthétiques du produit, de son
allant de la simple relation commerciale          design, de son mode de distribution ou de
au champ plus vaste de la société dans son        son prix. L’empowerment se rapproche
ensemble. Le tableau 1 reflète cette               alors d’une autorisation accordée au
diversité d’approches, parfois contradic-         consommateur de contrôler certaines varia-
toires, de l’empowerment en marketing.            bles. L’entreprise va accompagner les
Au-delà d’une distinction structurante            clients dans la maîtrise de leurs expériences
entre l’empowerment appréhendé comme              de consommation, puis les intégrer dans la
un processus ou comme un état psycho-             création de valeur. Cet empowerment situé
logique, d’autres auteurs définissent cette        au croisement du relationnel et du marchand
notion au travers de ses conséquences.            est un mix d’échanges et d’apprentissages
Le point commun à l’ensemble de ces               collaboratifs. De telles coopérations estom-
acceptions est la reconnaissance du pouvoir       pent les différences de statut et les
du consommateur. Mais les similitudes             consommateurs deviennent des co-produc-
s’arrêtent là car selon les auteurs, le pouvoir   teurs, co-innovateurs, assistants marketing,
est tour à tour synonyme de davantage de          relais, exécutants ou encore des employés à
choix, de décision indépendante, de co-           temps partiel (Bonnemaizon et al., 2012).
création, d’adhésion aux valeurs civiques,        Ils éprouvent alors un sentiment de
ou à l’extrême de piège sournois. Ces             contrôle, de maîtrise, de dépassement des
antagonismes, relatifs à la nature même de        obstacles, de capacité à faire des choix
l’empowerment, se retrouvent dans les             judicieux (Barak et al., 2008). Inversement,
débats théoriques : l’empowerment est             selon d’autres chercheurs, l’empowerment
parfois considéré comme un processus,             exprime une aspiration qui part de la base
s’inscrivant au sein d’une démarche               et s’élève, libérant le consommateur du
« top-down » de l’entreprise ou « bottom-         carcan imposé (démarche « bottom-up »).
Comprendre l’empowerment du consommateur            125

        Tableau 1 – Acceptions marketing de l’empowerment du consommateur

Approches de l’empowerment en tant que processus (top-down ou bottom-up)

                                   C’est un processus de développement personnel qui
                                   permet aux individus d’affirmer leurs besoins et
Harrison et al. (2006, p. 974)
                                   d’influencer la manière dont ils se rencontrent et
                                   participent en tant que citoyens à une communauté.

                                   L’élaboration de stratégies marketing centrées sur le client
                                   et fondées sur l’information, qui visent à la fois à
Pires (2006, p. 1)                 favoriser et à encadrer la délégation, révèlent le rôle du
                                   marketing dans le contrôle de l’empowerment du
                                   consommateur.

                                   L’empowerment conduit les individus à « participer par
                                   leurs compétences à un mouvement de prise de pouvoir
                                   sur leur consommation et par là même à être des
Cova et Cova (2009, p. 96)
                                   consommateurs (…) avec un risque de perte de
                                   compétences dans de nombreux domaines de la vie
                                   quotidienne ».

                                   L’empowerment est une stratégie adoptée par les
Fuchs et al. (2010, p. 65)         entreprises pour donner aux consommateurs « l’impression
                                   de contrôler le système de sélection des produits ».

                                   Le premier stade (du processus d’empowerment) est la
                                   création d’une offre alternative à la consommation
                                   traditionnelle. Le second correspond à l’affirmation d’un
Papaoikonomou et Alarcón
                                   contre-pouvoir à travers des mobilisations civiques et des
(2015, p. 2)
                                   actions collectives. Le troisième relève d’un engagement
                                   civique en faveur de macrostructures sociales plus
                                   durables et démocratiques.

                                   L’empowerment est un processus par lequel le client prend
                                   le contrôle du déroulement du service et l’influence. C’est
Prentice et al. (2016, p. 39)      lui qui détermine le sens qu’il donne à sa consommation,
                                   qui apporte ses compétences, prend les décisions et
                                   apprécie le résultat.

Approches de l’empowerment en tant qu’état psychologique

                                   L’empowerment est un état pouvant être caractérisé par
1) Spreitzer (1995, p. 1 443) ;    plusieurs composantes :
2) Fuchs et al. (2010, p. 67),     1) la compétence, le choix, l’auto-détermination,
Pranic et Roehl (2012, p. 246) ;   l’influence ;
3) Ben Ayed et El Aoud (2016,      2) le sens (objectif), l’information, la compétence et le
p. 13)                             contrôle-influence ;
                                   3) l’auto-conscience, l’auto-détermination, l’auto-efficacité.

                                   L’empowerment est un état mental généralement
                                   accompagné par une action qui permet à un
                                   consommateur ou à un groupe de consommateurs
Wright et al. (2006, p. 926)
                                   d’affirmer ses propres choix et de prendre ses décisions à
                                   partir de ses besoins, de ses désirs et de ses demandes vis-
                                   à-vis d’autres individus ou organismes sur le marché.
126   Revue française de gestion – N° 278/2019

                                      Tableau 1 – (suite)

 Approches de l’empowerment en tant que processus (top-down ou bottom-up)

                                       L’empowerment correspond au sentiment que le
 Guintcheva (2014, p. 64)              consommateur a de pouvoir contrôler, comprendre son
                                       environnement et essayer activement de le maîtriser.

                                       L’empowerment correspond à une motivation individuelle
 Morrongiello et al.
                                       fondée sur la conscience de soi en tant qu’acteur au sein
 (2017, p. 69)
                                       d’un marché.

 Approches de l’empowerment au travers de ses conséquences

                                       Les approches de l’empowerment varient en fonction de la
 Denegri-Knott et al.
                                       conception que l’on se fait du pouvoir et des approches
 (2006, p. 963)
                                       utilisées pour l’identifier, le délimiter, le mesurer.

                                       La délégation du pouvoir au consommateur (Customer
 Bonnemaizon et al.                    Empowerment) est le rééquilibrage nécessaire du pouvoir
 (2008, p. 4)                          dans la relation par une revalorisation du consommateur et
                                       de ses compétences.

                                       L’empowerment est devenu un concept vague et
                                       faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix
 Calvès (2009, p. 21)                  individuels et économiques (…) et est instrumentalisé pour
                                       légitimer les politiques et les programmes top down
                                       existants.

                                       L’empowerment est l’affirmation d’un consommateur-
 McShane et Sabadoz                    politique, capable de poursuivre à la fois des intérêts
 (2015, p. 548)                        économiques/rationnels et des objectifs humains plus
                                       larges à travers une citoyenneté de la consommation.

L’initiative revient au consommateur. Il ne         acheteur conciliant, expert influent, ou
s’agit pas de partenariat mais de prise de          citoyen vigilant. Elles interpellent aussi
contrôle. Sur la toile, des groupes se forment      sur le paradoxe de l’empowerment qui tout
spontanément pour échanger des expérien-            à la fois libère et discipline (Shankar et al.,
ces, pour partager le même attachement à un         2006). Ainsi, la maîtrise des circuits de
produit ou pour s’ériger en contre-pouvoir          l’entreprise peut être vue comme une
du système marchand. Sur ces réseaux, un            émancipation du client ou au contraire,
simple post peut susciter la création de            dans une perspective foucaldienne, comme
groupes de pression qui se changent en              une intériorisation de contraintes extérieu-
forces politiques et sociales (Dubuisson-           res, comme une « mise au travail » (Canel-
Quellier, 2010) ayant le pouvoir de mettre à        Depitre, 2012) déguisée derrière un senti-
mal une organisation. Dynamiques top-               ment de liberté. Se pose alors la question de
down ou bottom-up, ces processus renvoient          la nature de l’empowerment, vecteur
à des conceptions différentes du client,            d’émancipation ou moyen d’asservissement
Comprendre l’empowerment du consommateur        127

caché derrière les faux semblants d’un                 partir de ses besoins, de ses désirs et de ses
transfert de pouvoir ? Si certains chercheurs          demandes vis-à-vis d’autres individus ou
considèrent l’empowerment comme un                     organismes sur le marché ». Fuchs et al.
processus (« top-down » ou « bottom-                   (2010) montrent que faire participer active-
up »), d’autres l’étudient en tant qu’état             ment le consommateur en lui proposant de
psychologique.                                         personnaliser le produit est un moyen de
                                                       développer chez lui un sentiment plus fort
                                                       « d’attachement psychologique » à son achat.
L’empowerment comme un état
                                                       « Limité à la prise d’autonomie au sein de la
psychologique : définitions divergentes et
                                                       sphère marchande, ce « sentiment » va au-delà
échelles de mesure partielles
                                                       de l’affirmation de soi pour s’étendre « au
L’empowerment psychologique5 du consom-                contrôle de l’environnement » selon Guint-
mateur a été peu étudié en marketing. Les              cheva (2014). Pour mieux cerner cet état, des
définitions recueillies révèlent des divergen-          échelles de mesure ont été élaborées. Pranic et
ces profondes. Pour Wright (2006), il s’agit           Roehl (2012) ont identifié quatre grandes
« d’un état mental généralement accompagné             composantes : le sens (objectif), l’informa-
par une action qui permet à un consommateur            tion, la compétence et le contrôle-influence.
ou à un groupe de consommateurs d’affirmer              Ces dimensions sont reprises par Prentice
ses propres choix et de prendre ses décisions à        et al. (2016) qui les déclinent en 11 items.

                  LES 11 ITEMS DE L’ÉCHELLE D’EMPOWERMENT*

Choix du service
– Je peux choisir de profiter du produit dans différents endroits
– Je peux choisir différents employés pour me servir
– Je peux choisir de profiter du service de différentes façons
Impact
– L’employé pourra ajuster la prestation en fonction de ma demande
– L’employé pourra ajouter des services supplémentaires en fonction de ma demande
– L’employé pourra personnaliser le service en fonction de mes besoins personnels
– L’employé pourra recommander le service en fonction de ma situation personnelle
– L’employé pourra fournir l’information appropriée en fonction de ma demande
Obtention de l’information
– Je suis en mesure d’obtenir les informations de base de l’entreprise
– Je suis en mesure d’obtenir des informations sur la marque
– Je suis en mesure d’obtenir une variété d’informations sur le portefeuille de services

* validée par Prentice et al. (2016).

5. Customer Psychological Empowerment (CPE).
128     Revue française de gestion – N° 278/2019

Prentice et al. (2016) insistent sur les                     un groupe pour faire évoluer un produit ou un
relations entreprise-client à travers le prisme              service, ou de manière plus vaste, pour
du « Service Dominant Logic »6 (Vargo et                     promouvoir des enjeux civiques. À la suite
Lusch, 2004). L’accent est mis sur la                        de ce travail de clarification, et en complément
collaboration avec le prestataire pour co-                   de l’analyse des approches théoriques déve-
construire davantage de services mais il                     loppées dans la littérature, une réflexion sur le
n’est pas fait mention d’attentes plus larges                positionnement de l’empowerment au sein
du client comme le partage de savoirs entre                  d’un ensemble de notions connexes en
consommateurs ou l’acquisition de compé-                     marketing peut être menée.
tences. Dans le registre de la santé où les
échelles de mesure sont fréquentes, Ben
Ayed et El Aoud (2016) recourent à quinze                    2. Analyse des liens entre
items pour apprécier l’empowerment du                        l’empowerment et les notions connexes
consommateur/patient chronique diabé-                        en marketing
tique. Ils ont rassemblé leurs items en trois                Nombreux sont les auteurs qui ont utilisé le
dimensions : l’auto-conscience, l’auto-                      terme empowerment pour évoquer la parti-
détermination, l’auto-efficacité. Le patient                  cipation du client, son interaction avec les
est ici considéré comme un sujet isolé et                    professionnels et sa contribution à la co-
centré sur lui-même, plus ou moins à l’aise                  construction de produits ou services. Afin de
dans la gestion de sa maladie. Leur échelle                  mieux délimiter le périmètre et la nature
rejoint celle de Prentice et al. (2016) sur deux             spécifique de l’empowerment, une réflexion
points : la reconnaissance de l’autonomie du                 sur son positionnement théorique est menée
client et le respect de son libre-arbitre. Mais              au regard de cinq notions connexes :
les auteurs n’abordent pas l’empowerment                     l’engagement, la communauté de marque,
collectif. Ils ne considèrent pas le patient dans            le knowledge marketing, le marketing
sa relation aux équipes de soins, au système                 relationnel et le consumérisme. Dans la
de santé et ne traitent pas de la possible                   littérature, ces notions sont fréquemment
exclusion sociale des personnes malades. La                  associées à l’empowerment, générant ainsi
proximité avec une communauté de pairs, les                  une certaine confusion et ambiguïté théo-
interactions avec l’environnement ne sont                    riques ; elles se rattachent toutes à l’idée
pas non plus évoquées.                                       commune d’un consommateur acteur,
Au terme de cette section, l’empowerment                     détenteur d’un certain pouvoir qui interagit
renvoie donc à une notion polysémique.                       avec l’entreprise et le système marchand
Dans le prolongement de cette réflexion, un                   (Cova et Pace, 2006 ; Bonnemaizon et al.,
nouveau positionnement est proposé. Initié                   2008 ; Filser et Vernette, 2011 ; Morron-
par le consommateur ou l’entreprise, l’em-                   giello et al., 2017). Ces notions traduisent
powerment se construit sur un partage de                     l’amplitude possible de ces interactions et
connaissances et d’expériences. Pour le                      reflètent certaines étapes du processus
consommateur, il peut se poursuivre par un                   d’empowerment. Ces interactions débutent
gain en influence et par une capacité à mobiliser             par un engagement individuel sous forme

6. SDL. Le consommateur qui utilise les produits ou services d’une entreprise co-crée la valeur de l’entreprise.
Comprendre l’empowerment du consommateur      129

d’investissement cognitif, émotionnel et                professionnels et consommateurs se retrouve
comportemental du client vis-à-vis de                   dans les logiques du marketing relationnel et
produits ou de marques (Hollebeek,                      du Service Dominant Logic (Vargo et Lusch,
2011). Le consommateur qui accomplit                    2004 ) où le consommateur maîtrise une
cette démarche fait valoir ses capacités                partie de la production. De la même manière,
d’apprentissage, ses connaissances propres              le knowledge marketing sollicite les connais-
et affirme son auto-détermination qui sont               sances conjointes des clients et collabora-
des dimensions intrinsèques à l’empower-                teurs de l’entreprise (Bonnemaizon et al.,
ment. Les interactions peuvent se pour-                 2008). Mais il n’est pas toujours question
suivre avec un collectif de pairs au sein               d’alliance avec le fournisseur. L’empower-
d’une communauté de marque. Par la                      ment peut aussi signer un divorce avec les
richesse et la diversité des échanges, le               marques. Des groupes de pression « empo-
groupe va créer une autre perception du                 wérés » peuvent critiquer l’impact éthique et
produit et en influencer l’image voire même              environnemental des entreprises, et organiser
faire évoluer son usage. Ces éléments                   des actions de résistance citoyenne contre
caractérisent la prise de pouvoir des                   leurs stratégies et contre les lois du marché
consommateurs qui décident si – et quand                (Roux, 2007 ; Dubuisson-Quellier, 2010 ;
– les marques sont invitées (Fournier et                Stolle et Micheletti, 2013). L’empowerment
Avery, 2011). L’inversion du rapport                    relève alors du mouvement consumériste. Les
de force est une caractéristique de l’empo-             différentes notions marketing abordées pré-
werment. L’entreprise peut intervenir                   cédemment traduisent en définitive les deux
dans ces échanges et proposer des coo-                  logiques de l’empowerment : approche top-
pérations à travers la co-création de solutions.        down et/ou bottom-up (figure 1). Le tableau 2
Ce rapprochement constructif entre                      synthétise les principales ressemblances et

Figure 1 – Classification des notions marketing proches de l’empowerment selon l’origine
                  de la démarche (le consommateur et/ou l’entreprise)
130   Revue française de gestion – N° 278/2019

        Tableau 2 – Proximités et divergences entre l’empowerment et des notions
                                 proches en marketing

                                 Proximités avec                   Divergences avec
                                 l’empowerment                     l’empowerment

 Engagement
                                                                   – Individuel, pas de
 Quand le client s’implique      – Processus psychologique
 au-delà de l’achat ou de la                                       prolongement collectif ;
                                 qui comprend des aspects
 transaction (Van Doorn                                            – Limité à l’entreprise, peut
                                 cognitifs et émotionnels
 et al., 2010) ;                                                   réduire l’émancipation et
                                 (Bowden, 2009) ;
                                                                   accroître la dépendance ;
 l’empowerment et la             – Co-construction de valeur ;
                                                                   – N’intègre pas le partage de
 délégation en sont les          – Conscience critique
 2 mécanismes (Dubuisson-                                          savoirs
 Quellier, 2010).
                                 – Nouvelles formes
                                 d’empowerment (Cova et
                                 Pace, 2006), parfois à
                                 l’initiative du
                                 consommateur ;
 Communautés                     – Création d’une                  – Peu d’émancipation par
 de marque                       communauté expérientielle,        rapport à l’entreprise ;
 Relations micro-sociales        complicité de l’entre-soi,        – Peu ou pas de stratégie
 autour d’un même centre         identité forte ;                  d’engagement ou de
 d’intérêt (Arvidsson et         – Importance de l’ambiance        résistance par rapport à des
 Caliandro, 2016).               au sein du groupe, cordialité     questions de société
                                 clanique, le lien importe plus
                                 que le bien (Cova, 1995) ;
                                 – Ton de liberté voire de
                                 subversion sur le forum hors
                                 de contrôle des marketeurs

                                 – Qualité du dispositif
                                 relationnel fondé sur de          – Initié par l’entreprise ;
 Marketing relationnel
                                 l’échange d’informations et       – Pas d’émancipation voulue
 et SDL
                                 de l’apprentissage ;              avec l’entreprise ;
 Instauration de relations       – Montée en compétences           – Pas de contrôle sur
 durables et de qualité qui      des clients et professionnels ;   l’entreprise mais au
 reposent sur la confiance, la    – Importance de                   contraire, une dépendance
 rapidité, la clarté, la         l’information ;                   renforcée ;
 satisfaction, l’engagement et   – Co-création de                  – Échanges avec l’entreprise
 l’empowerment (Mandlik          connaissances et de valeur ;      privilégiés par rapport aux
 et al., 2014)                   – Présence d’agents               liens entre consommateurs
                                 facilitateurs

                                 – Mêmes constats que pour         – Mêmes constats que pour
 Knowledge marketing
                                 le marketing relationnel ;        le marketing relationnel ;
 Mobilisation et                 – Les consommateurs ont           – L’entreprise contrôle les
 développement des               conscience de leurs propres       flux de connaissances et reste
 compétences des clients et      compétences, de leur savoir       maître des modalités
 collaborateurs, à travers un    expérientiel, de leur capacité    d’échange ;
 processus organisationnel de    à fournir des ressources          – Positionnement ambigu du
 création conjointe des          opérationnelles ;                 consommateur expert qui
Comprendre l’empowerment du consommateur         131

                                     Tableau 2 – (suite)

                                 Proximités avec                     Divergences avec
                                 l’empowerment                       l’empowerment

 connaissances (Bonnemaizon      – Les consommateurs                 peut être considéré par
 et al., 2008).                  ressources ou lead users            l’entreprise comme un
                                 aident leurs pairs à monter         consultant et être rémunéré
                                 en compétences                      pour ses services; ce qui
                                                                     pourrait s’apparenter à une
                                                                     forme de corruption ;
                                                                     – Pas de défense du collectif
                                                                     ni de référence à une
                                                                     dimension sociétale

                                 – Remise en cause des
                                 artifices du marketing, du
                                 bien-fondé de ses pratiques
                                                                     – L’accent n’est pas mis sur
                                 et de la logique libérale qui
                                                                     l’acquisition de compétences
                                 les sous-tend, incompatibles
 Consumérisme                                                        mais sur l’opposition et
                                 avec les intérêts du
 Résistance des                                                      l’action ;
                                 consommateur et les droits
 consommateurs caractérisée                                          – L’activisme peut employer
                                 du citoyen responsable ;
                                                                     des moyens illégaux pour
 par des formes d’opposition     – Prise de conscience
 individuelles et collectives                                        attirer l’attention du public,
                                 individuelle qui se prolonge
 manifestées à l’encontre des                                        prendre des formes
                                 dans un projet
 entreprises ou de la culture                                        violentes ; or l’empowerment
                                 communautaire ;
                                                                     reconnaît les principes
 de la consommation (Roux,       – Pression sur les
 2007).                                                              démocratiques même s’il
                                 producteurs et distributeurs
                                                                     plaide pour leur
                                 se manifestant de diverses
                                                                     renouvellement
                                 manières : esquive, boycott,
                                 plainte, contournement ou
                                 détournement, manifestation

dissemblances pouvant être identifiées entre          renforcer le sentiment de contrôle et de
l’empowerment et l’ensemble de ces notions.          satisfaction du client et à motiver sa fidélité,
À l’issue de cette première partie, la notion        tout en organisant sa dépendance vis-à-vis
d’empowerment a pu être clarifiée au travers          de l’entreprise. Or avec Internet, les
de l’analyse des approches théoriques                consommateurs disposent d’une plus grande
développées dans la littérature et de l’étude        capacité de recherche et de collecte de
des différences conceptuelles avec un                l’information, et cette évolution renforce la
ensemble de notions proches en marketing.            nature incontrôlée de leur empowerment
Toutefois, bien que séduit par l’empower-            (Pires et al., 2006). Aujourd’hui, le market-
ment, le marketing n’en prend que l’habil-           ing peine à comprendre et à contrôler des
lage et les tournures mais ne va pas au terme        consommateurs plus éclairés grâce aux
de son expression. Le pouvoir accordé aux            données circulant sur le web (Kucuk,
consommateurs est déterminé et régi par le           2009 ; Bilodeau, 2014). Se pose alors la
fournisseur. Ainsi, le marketing réussit à           question de la maîtrise du processus de
132    Revue française de gestion – N° 278/2019

commercialisation. Le marketing va égale-         Ce faisant, il a limité l’empowerment à une
ment être confronté aux dimensions éman-          concession accordée par celui qui a le plus
cipatrice et politique de l’empowerment,          de pouvoir à celui qui en a le moins, dans un
plus déstabilisantes et tout aussi incontrôla-    cadre préfini par l’entreprise (participation
bles (Kozinets, 2002). Si ces dimensions ont      encadrée). Et c’est ainsi que le marketing a
été peu intégrées jusqu’à présent dans            réussi à conforter son emprise sur le client
l’analyse du comportement du consomma-            tout en l’amenant à se croire plus puissant.
teur, elles ont été largement abordées dans       Toutefois, les nouvelles technologies contri-
les autres disciplines des sciences humaines      buent à modifier ce rapport de force. En
et sociales. Ainsi, compte tenu de la vision      simplifiant la prise de parole des consom-
parcellaire de l’empowerment en marketing,        mateurs et leur regroupement en cercles de
il semble maintenant nécessaire d’entamer         fans ou d’opposants, elles facilitent la
un travail d’enrichissement conceptuel.           confrontation d’expériences, l’acquisition
                                                  indépendante de connaissances, la construc-
                                                  tion d’une conscience et d’une identité
II – ENRICHIR LA VISION
                                                  singulières et le passage à l’action. Le
MARKETING DE
                                                  consommateur et sa communauté se libèrent
L’EMPOWERMENT
                                                  du cadre du marketing. L’entreprise se trouve
Alors que les sciences de l’éducation             alors confrontée à un corps collectif auto-
donnaient à l’empowerment ses bases               constitué et non plus à un marché de
conceptuelles en 1970 et que certaines            consommateurs cibles. Les membres de ces
disciplines des sciences humaines et socia-       groupes agrègent les savoirs, comparent les
les l’adoptaient sans réserve, le marketing       propositions, interagissent et le cas échéant
n’a intégré cette notion que trois décennies      s’engagent pour soutenir les initiatives d’une
plus tard et de manière restrictive (Kozinets,    marque ou s’opposer à sa stratégie (Hollen-
2002 ; Pires et al., 2006 ; Kucuk, 2009 ;         beck et Zinkhan, 2010 ; Russell et al., 2016).
Bilodeau, 2014). Loin des origines sub-           Elles inventent et expérimentent d’autres
versives exposées par l’éducateur brésilien       formes de consommation, créant des ponts
Freire (1970) qui concevait l’empowerment         entre les grands principes civiques et les
comme un « processus de conscientisation          actions de proximité. Cette dynamique
permettant aux opprimés de se mobiliser par       nouvelle peut amener un collectif à mettre
la pratique émancipatrice de l’éducation »,       à l’épreuve le pouvoir des firmes ou des
le marketing a, d’emblée, atténué la portée       institutions, voire à remettre en cause les
de cette notion. Passant sous silence son         fondements du libéralisme. Face à de telles
dessein collectif, sa réflexion critique et ses    évolutions, il semble nécessaire de recon-
visées réformatrices, il s’est concentré sur la   sidérer la notion d’empowerment et d’enri-
relation dyadique entreprise-client. S’ap-        chir les approches théoriques couramment
puyant sur la confiance et les compétences         déployées. Dans cette perspective, un retour
(Davies et Elliott, 2006) et non pas sur la       au concept source est proposé au travers
conscience du consommateur, il lui a              d’une vision multidisciplinaire. En s’ap-
délégué certaines tâches comme la possibi-        puyant sur la richesse des réflexions menées
lité de définir les caractéristiques du produit.   dans la littérature en sciences humaines et
Comprendre l’empowerment du consommateur                  133

sociales, cette démarche amène à approfondir                  tant que participants influents dans la société
la compréhension de l’empowerment et à                        de l’information.
actualiser sa définition en marketing. Elle                    Cette montée en puissance est particulière-
s’inscrit en complémentarité du travail de                    ment visible sur les blogs, les groupes
clarification mené précédemment (I), pro-                      (privés ou non) sur Facebook, les forums
posant un état actuel de l’empowerment en                     (…) Sur ces « supports sociaux » (Turner et
marketing et révélant sa conception limitée.                  Reynolds, 2001), les internautes rencontrent
                                                              leurs pairs en ligne et interagissent en mode
                                                              conversationnel. Les informations et expé-
1. Un besoin d’enrichissement de la                           riences qu’ils partagent forment un flux
notion d’empowerment                                          continu de messages, ressource intarissable
Ce besoin d’enrichissement est principale-                    au service d’un apprentissage collaboratif,
ment lié aux modifications des comporte-                       complice et solidaire. Sur ces plateformes
ments des consommateurs et aux réflexions                      libres de toute contrainte horaire ou
récentes des chercheurs concernant la                         géographique, il règne une nouvelle forme
révolution digitale et l’avènement du statut                  d’intimité,     une     proximité     cordiale
de consommateur-citoyen.                                      (McKenna et al., 2002). Sur les réseaux
                                                              sociaux, les communautés possèdent leurs
                                                              propres normes, rhétorique, culture, humour
La révolution du web participatif                             et références. Les membres peuvent s’ap-
Internet a été qualifié d’outil d’empower-                     proprier une marque, la promouvoir, la
ment extrêmement puissant (Amichai-Ham-                       manipuler (Fournier et Avery, 2011) ou
burger et al., 2014 ; Yuksel, 2014), et dans                  l’attaquer. Sur ce point, les formes digitales
la littérature marketing, le terme « empo-                    d’opposition sont variées : e-mail bombing,
werment du consommateur » est fréquem-                        graffiti sur site, parodie de site, bad buzz,
ment associé aux technologies numériques.                     post, création de page Facebook de résis-
Sur la toile, les internautes accèdent en                     tance, pétition en ligne, appel au boycott, à la
direct à l’information, à la connaissance,                    déconsommation (…) (Holt, 2002). Autre-
apprennent à maîtriser la literacy7 (Dunn et                  fois cible passive, le consommateur est
Johnson-Brown, 2007) et se lient avec des                     devenu un agent économique avisé, connecté
groupes en ligne. Ces connexions renforcent                   à des collectifs hyper informés, hyper agiles
leurs capacités à conduire des actions                        qui savent faire entendre leur voix de
collectives et à réclamer des changements                     citoyens et rappeler à l’entreprise sa respon-
sociaux (Shirky, 2011). Mäkinen (2006)                        sabilité sociale (Kucuk, 2008 ; Cruz, 2012).
définit l’empowerment digital comme un
processus en plusieurs étapes qui offre de                    Le nouveau statut d’un consommateur
meilleures opportunités de communication                      plus politique
et de coopération, et accroît la compétence                   Acteur social (Mena et al., 2010), citoyen
des individus et des communautés à agir en                    engagé (McShane et Sabadoz, 2015), le

7. Ensemble de capacités déployées par les individus pour gérer les informations : reconnaître quand l’information est
nécessaire, la localiser, l’évaluer et l’utiliser efficacement (American Library Association, ALA, 1989).
134     Revue française de gestion – N° 278/2019

consommateur a besoin de donner un sens                      2. Vers la proposition d’une vision
à sa consommation. Il est capable de                         enrichie de l’empowerment en
poursuivre des intérêts économiques,                         marketing
rationnels et des intérêts humains plus
                                                             Afin d’enrichir la conceptualisation et le
larges relevant d’une citoyenneté de la
                                                             cadre d’analyse de l’empowerment déployé
consommation. Socialement responsable,
                                                             en marketing, un retour aux sources de cette
il se révèle peu tolérant envers les
                                                             notion est nécessaire pour une meilleure
producteurs et fournisseurs qui ne rem-
                                                             prise en compte de son sens originel au sein
plissent pas leurs obligations civiques
                                                             de plusieurs disciplines des sciences humai-
(Holt, 2002). Plus puissant, plus libre, il
                                                             nes et sociales qui lui ont accordé une
est devenu un être mobile, en interaction
                                                             attention toute particulière8.
constante avec un réseau de communautés
                                                             Emprunté aux disciplines de l’éducation
en ligne (Kent et al., 2016), en état de vigie
                                                             populaire et de la psychologie, l’empower-
permanente. Sa personnalité et son
                                                             ment se présente tout d’abord comme le fer
comportement ne peuvent plus être dis-
                                                             de lance d’un mouvement de résistance et de
sociés de ses autres rôles sociaux, étu-
                                                             libération des opprimés. Indissociable des
diant, salarié, patient (…).
                                                             mouvements d’éducation populaire « Peo-
Des recherches pointent les attitudes contes-
                                                             ple Empowering People », l’empowerment
tataires de ceux qui se désengagent de
                                                             possède un référent célèbre, Freire (1970).
logiques marchandes jugées menaçantes et
                                                             Le pédagogue brésilien associe l’empower-
dissonantes avec les problématiques plané-
                                                             ment à la pratique émancipatrice de l’éduca-
taires du partage des richesses et de
                                                             tion où enseignants et élèves « lisent
préservation des ressources (Roux, 2007).
                                                             ensemble le mot et le monde ». Dix ans
L’acte d’achat, assimilé au vote (Shaw
                                                             plus tard, après les sciences de l’éducation,
et al., 2006 ; Schwarzkopf, 2011), prend
                                                             le terme apparaît en psychologie, en
une dimension politique et les motivations
                                                             sciences politiques et en géographie qui
du client rejoignent celles du citoyen.
                                                             assimilent l’empowerment aux notions de
L’empowerment « sociétal » du consom-
                                                             résistance, de juste colère (Rogers et al.,
mateur interroge l’entreprise dans sa res-
                                                             1997), de consciences qui se pensent de
ponsabilité dans les affaires de la cité et
                                                             manière indépendante, de revendication de
conduit le marketing à communiquer sur un
                                                             droits et d’accès aux ressources, de libéra-
registre qui n’était pas le sien.
                                                             tion et de changements sociaux. L’un des
Ces différentes réflexions soulignent
                                                             pionniers en psychologie communautaire,
l’importance d’une meilleure prise en
                                                             Rappaport (1981), caractérise l’empower-
compte de l’évolution des attitudes,
                                                             ment comme un processus multi-niveaux
comportements et pratiques des consom-
                                                             par lequel une personne ou un groupe
mateurs dans l’appréhension de l’empo-
                                                             s’élève en contre-pouvoir pour atteindre des
werment en marketing.
                                                             objectifs de changements sociaux. Une des

8. Résultats (en nombre de publications) d’une requête menée le 22 février 2017 sur l’empowerment à partir des bases
de données bibliographiques de ScienceDirect, Wiley et Ebsco : géographie - aménagement (développement des
territoires) : 90 998, sciences de l’éducation : 61 811, sciences politiques : 50 555, psychologie : 49 632.
Comprendre l’empowerment du consommateur            135

notions centrales est de considérer la                  Ces travaux issus d’une revue multidisci-
personne comme l’experte de sa situation                plinaire montrent que l’empowerment est
particulière. Zimmerman et Rappaport                    consubstantiel des notions de « libération »
(1988) approfondissent cet aspect et mettent            ou d’« émancipation ». Ils mettent aussi en
en résonnance l’empowerment individuel et               lumière l’importance du travail communau-
l’empowerment civique. Leurs idées trou-                taire qui structure l’acquisition de savoir et
vent un écho en sciences politiques pour                l’action. Ils soulignent enfin le rôle des
reconsidérer la place des plus fragiles et des          médiateurs-éducateurs. Cette analyse a
minorités (Banducci et al., 2004). Ces                  également permis d’identifier les leviers
populations sont caractérisées par leurs                d’empowerment, à savoir : le partage
choix extrêmement limités du fait de leur               d’expériences sans l’arbitrage d’une auto-
manque de moyens et de leur impuissance à               rité, la résistance, l’expression collective, la
négocier avec les institutions de meilleures            revendication de droits, l’accès indépendant
solutions pour elles-mêmes (Banque mon-                 aux ressources, la conception, l’expérimen-
diale, 20029). À leurs côtés, des facilitateurs         tation indépendante de solutions alternati-
interviennent pour les assister dans leur               ves, la saisie de l’opinion publique, la
décision de ne plus subir, d’agir sur leur              désobéissance civile (…).
environnement, de revendiquer une parole                Jusqu’à présent, le marketing a gommé ces
libre et des droits afin d’engager une                   aspects « subversifs » privilégiant une
transformation collective des rapports                  conception utilitariste et « entreprise-cen-
sociaux. L’empowerment se présente alors                trée » de l’empowerment, une idée de la
comme un processus d’apprentissage et                   liberté « achat-centrée » et une approche
d’actions allant de la résistance individuelle          dominatrice de la relation client. Lors de la
aux mobilisations politiques des masses qui             première partie de cet article, la plupart des
défient les relations de pouvoir dans la                 approches théoriques abordées traduisent
société. Dans un cadre géo-politique, les               bien cette vision réductrice de l’empower-
luttes pour l’émancipation se construisent              ment en marketing et son embarras face à la
autour du droit, celui de définir son identité           prise de pouvoir d’un consommateur au
culturelle, de saisir la loi et les différents          sens civique plus aiguisé. Il lui revient
mécanismes de résolution ou de recours                  aujourd’hui de reconnaître dans le consom-
pour mieux contrôler sa vie. Adopté par les             mateur un acteur sensibilisé aux enjeux
théoriciens de la politique de la ville,                politiques et un membre de communautés ;
l’empowerment met les habitants au cœur                 deux dimensions que le web participatif
de projets urbains co-construits. Bacqué et             renforce. En s’appuyant sur les apports des
Mechmache (2013) proposent une politique                sciences humaines et sociales, et en consi-
d’« empowerment à la française » présentée              dérant les réflexions liées à l’essor des TIC
comme un projet d’autonomie de la société               et de la figure citoyenne du consommateur,
civile.                                                 une actualisation de la définition de

9. Empowerment and poverty reduction: a sourcebook (p. 11) : http://siteresources.worldbank.org/INTEMPOWER
MENT/Resources/486312-1095094954594/draft2.pdf
136    Revue française de gestion – N° 278/2019

l’empowerment est proposée sous la forme          de la connaissance et de l’innovation créées
d’un processus en quatre temps : individuel,      en partage et défient les systèmes
collectif, collaboratif, sociétal. En effet, la   traditionnels.
progression des compétences du consom-            « Empowérés », les consommateurs mon-
mateur et de sa capacité à affirmer ses choix      tent en connaissances et en compétences,
est corrélée au soutien de la communauté          co-conçoivent avec les professionnels ou
qui s’organise et se structure graduellement.     créent par et pour eux-mêmes des solutions
Ces mouvements en expansion sont indis-           alternatives et en retirent un sentiment de
sociables l’un de l’autre et plaident pour une    satisfaction et de maîtrise. Mais de nature
approche de l’empowerment en tant que             subversive, l’empowerment ne se contient
processus. Cette définition s’éloigne de celle     pas. Il peut réussir à inverser le rapport de
de Wright et al. (2006) qui considère             force soumettant l’entreprise au pouvoir
uniquement l’impact psychologique de              d’influence du client. Enfin, au-delà du
l’empowerment. Elle diffère aussi de sa           contexte d’achat, il entraîne le consomma-
vision limitée au marché, l’approche retenue      teur-citoyen dans un mouvement global de
considérant l’empowerment dans ses inter-         transformation politique en vue d’une
actions avec l’environnement et la société.       société plus respectueuse des droits, plus
Cette proposition s’inscrit toutefois dans la     éthique, plus socialement responsable.
continuité de la pensée de McShane et
Sabadoz (2015) qui reconnaissent l’enga-
                                                  III – CONTRIBUTIONS
gement politique du consommateur et la
                                                  THÉORIQUES, PERSPECTIVES
dynamique collaborative qui le porte et sans
                                                  MANAGÉRIALES ET AGENDA DE
laquelle cette expression politique ne pour-
                                                  RECHERCHE
rait atteindre le niveau sociétal. Le tableau 3
détaille les quatre stades du processus           Ce travail de réflexion sur l’empowerment
actualisé d’empowerment proposé dans cet          du consommateur présente un ensemble de
article, puis les met en perspective avec les     contributions et permet de proposer un
approches théoriques développées dans la          agenda de recherche.
littérature (en référence au tableau 1) et avec
un certain nombre de notions connexes en
                                                  1. Contributions théoriques
marketing (en référence au tableau 2).
En s’appuyant sur les réflexions menées tout       Cette recherche contribue à une meilleure
au long de cet article, la définition suivante     compréhension de l’empowerment du
de l’empowerment peut être avancée :              consommateur au travers d’un effort de
Processus d’expansion de la puissance             clarification conceptuelle et d’un travail
d’agir et du pouvoir d’influence du consom-        d’enrichissement théorique. Elle a notam-
mateur, l’empowerment se déploie au               ment permis de proposer des critères de
travers de démarches collaboratives,              structuration d’une littérature foisonnante
conduites avec ou sans l’entreprise. Portées      en marketing (en distinguant les approches
par une énergie et une solidarité puisées         processus – top-down/bottom-up et psy-
dans son essence émancipatrice, les commu-        chologique), de préciser le positionnement
nautés conquièrent les nouveaux territoires       singulier de l’empowerment au regard de
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