Mieux comprendre l'empowerment du consommateur - Reseau CHU
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VARIA MARIE-GEORGES FAYN VÉRONIQUE DES GARETS ARNAUD RIVIÈRE IAE Tours Val de Loire, VALLOREM EA6296, Université de Tours Mieux comprendre l’empowerment du consommateur Clarification conceptuelle et enrichissement théorique Bien que le marketing se soit intéressé tardivement à l’empowerment, la profusion et la diversité des recherches, ainsi que l’absence d’une vision consensuelle, nécessitent un travail de clarification. Cet article propose ainsi de faire état des débats au sein de la littérature scientifique et de préciser les distinctions conceptuelles avec des notions connexes. Par ailleurs, considérant les évolutions récentes engendrées par le web participatif et le nouveau statut du consommateur- citoyen, ce travail propose, à partir d’une vision multidisci- plinaire du concept originel, un enrichissement de l’approche de l’empowerment en marketing. DOI: 10.3166/rfg.2019.00307 © 2018 Lavoisier
122 Revue française de gestion – N° 278/2019 L a relation client est-elle forcément L’empowerment, au sens de « conscience une relation de pouvoir ? Long- soumise qui se libère » (Freire, 1970), a très temps, le consommateur, « amateur vite été adopté par les chercheurs en en matière d’achat » (Giese et Weisenberger, sciences humaines et sociales, à la diffé- 1985), a eu recours au conseil des vendeurs rence du marketing qui s’y est intéressé pour pallier son manque de connaissances, et tardivement, près de 30 ans plus tard, et de à la protection de la loi pour se préserver de manière confuse du fait d’une production fournisseurs pouvant tirer profit de son effervescente et de positionnements contra- inexpérience. Avec l’avènement du consom- dictoires. Les statistiques montrent qu’entre mateur empoweré, les échanges se rééquili- janvier 2000 et janvier 2017, plus de 80 000 brent et le rapport de force tend à s’inverser. publications sur l’empowerment ont été Désormais, l’entreprise traite d’égal à égal indexées en sciences de gestion sur Ebsco, avec des clients conscients de leur puissance Sciencedirect et Wiley, contre 17 000 entre et de leurs connaissances, libres de leurs 1982 et 19992. Cette profusion a brouillé la choix et en mesure de se constituer en compréhension d’un terme polysémique et groupes d’influence dès lors que leurs intérêts très ancien3. Son sens devenu ambigu et très ou principes sont menacés. Face à eux, les partial témoigne de la difficulté du market- entreprises éprouvent la fragilité de leur ing à s’affranchir d’un penchant pour le réputation et l’impérieuse nécessité d’être contrôle des comportements et d’une appro- attentives aux émotions, aux usages et aux che entreprise-centrée, déconnectée des questionnements des consommateurs. Mais mouvements qui traversent la société. Le le client empowéré ne représente pas qu’une marketing est apparu timoré sur la question menace. Son engagement peut être vécu de la prise de pouvoir du consommateur. Il a comme une opportunité. Considéré comme tout d’abord limité l’empowerment au choix un partenaire par l’entreprise, il participe à la puis exprimé des positions antagonistes tout co-création de valeur. Dans un contexte de particulièrement sur la nature du pouvoir, marché saturé et de concurrence accrue, une accordé ou conquis, et sur son périmètre, meilleure compréhension de l’empower- circonscrit par l’entreprise ou bien plus ment1 du consommateur se révèle donc vaste englobant un projet de société. Pour stratégique pour les entreprises qui cherchent pallier l’absence de consensus parmi les à privilégier les relations durables avec des chercheurs, un travail de clarification clients engagés, fidélisés, dotés de compé- conceptuelle apparaît donc nécessaire au tences accrues et en interaction permanente regard de cette notion complexe, embléma- sur les réseaux sociaux. tique d’un nouveau rapport à la 1. Les traductions d’empowerment sont multiples mais partielles, mettant l’accent soit sur le gain en pouvoir (« enpouvoirement » qui désigne l’accès, la prise et l’augmentation de pouvoir, « l’autonomisation », « l’émancipation »), soit sur l’acquisition de compétences (« habilitation », « capacitation ») (Paquet, 2001 ; Corteel et Zimmermann, 2007). À ces notions s’ajoutent encore celles de travail communautaire et de réforme sociétale. Aussi, faute d’équivalent français satisfaisant traduisant pleinement la notion abordée, le terme d’empowerment, largement diffusé au sein de la littérature francophone, est conservé dans cet article. 2. Requête menée le 24 janvier 2017 sur les plateformes des éditeurs Sciencedirect, Wiley et Ebsco. 3. Une recherche étymologique sur l’empowerment fait remonter ce vocable au Moyen-Âge avec la découverte d’une des premières références dans le dictionnaire anglais d’Oxford du XVIIe siècle.
Comprendre l’empowerment du consommateur 123 consommation. Dans cette perspective, de cet article vise à proposer une clarifica- après avoir fait état des débats théoriques tion conceptuelle de l’empowerment en au sein de la littérature académique, cet marketing, tandis que la seconde partie article s’attache à distinguer l’empowerment s’attache à offrir un enrichissement théo- des notions connexes en marketing pour en rique dans l’appréhension de cette notion, dégager ses spécificités. Par ailleurs, si sur la base d’une approche multidiscipli- jusqu’à présent le marketing n’a retenu naire. En conclusion, de nouvelles per- qu’une acception parcellaire de l’empower- spectives managériales sont proposées, ment, un travail d’enrichissement théorique notamment en matière de stratégies rela- semble nécessaire au regard du développe- tionnelles, et un agenda de recherche est ment et de l’influence du web participatif, défini, visant à consolider et approfondir la ainsi que des travaux révélant le nouveau déclinaison marketing de l’empowerment. statut du consommateur-citoyen engagé (McShane et Sabadoz, 2015) et des recher- ches introduisant les différents niveaux I – CLARIFIER LA VISION d’émancipation des consommateurs (et MARKETING DE notamment le rôle joué par les communau- L’EMPOWERMENT tés dans leur prise de pouvoir) (Papaoiko- Bien que tardif, l’intérêt des chercheurs en nomou et Alarcón, 2015). Afin de répondre marketing pour l’empowerment n’a fait que à ce besoin, une définition actualisée et s’accroître durant ces dernières années, se approfondie de l’empowerment en market- traduisant par une multiplicité des appro- ing est proposée dans cet article, sur la base ches théoriques proposées (Wright et al., d’une vision multidisciplinaire du concept 2006). Cette profusion de travaux a conduit à originel en sciences humaines et sociales4. de nombreuses ambiguïtés théoriques et à une Une telle approche permet de mieux cerner absence de vision consensuelle de la notion. la nature de l’empowerment et de bénéficier Face à de tels constats, un effort de clarification des réflexions approfondies des chercheurs théorique a été engagé, permettant d’apprécier d’autres disciplines. Tout en mobilisant une les points de divergence et les débats théoriques démarche alternative, ce travail s’inscrit au sein de la littérature. Puis, une analyse des dans le prolongement de recherches récen- distinctions avec d’autres concepts connexes tes (McShane et Sabadoz, 2015 ; Papaoi- amène à mieux cerner la nature spécifique de konomou et Alarcón, 2015), et vise à l’empowerment. enrichir l’appréhension de l’empowerment en proposant une vision plus compréhen- sive, renouvelée et intégratrice de la notion 1. La variété des approches de en marketing, notamment en insistant sur l’empowerment en marketing l’approche communautaire et sur la grada- La définition non stabilisée de l’empo- tion de la démarche d’empowerment. werment nourrit une grande diversité En cohérence avec les deux objectifs d’approches. Par exemple, l’empower- affichés de ce travail, la première partie ment est-il une redistribution ou une prise 4. Ces disciplines ont intégré, dès les prémices de leurs réflexions sur l’empowerment, sa force démocratique.
124 Revue française de gestion – N° 278/2019 de pouvoir ? La question reste ouverte car, up » lié à un engagement communautaire pour certains, l’empowerment désigne une spontané, parfois comme un état permission donnée aux consommateurs de psychologique. contrôler certaines variables du produit. On parlera alors de mouvement « top- L’empowerment comme un processus : down » impulsé par l’entreprise vers son absence de consensus entre dynamiques client. Mais il arrive aussi que l’empo- « top-down » et « bottom-up » werment caractérise une dynamique inverse, « bottom up », où le consomma- Selon certains chercheurs, le customer teur s’affranchit de l’expertise du pro- empowerment appelé également « déléga- fessionnel en s’appuyant sur sa propre tion du pouvoir » (Bonnemaizon et al., expérience et sur celles de ses pairs pour 2008) relève d’une relation « top-down », affirmer une position indépendante et subtile combinaison d’informations et d’ou- définir ses besoins de manière autonome. tils d’éducation qui facilitent le choix du Il n’existe pas non plus de consensus sur le client. Avec l’essor du numérique, certaines sens de l’empowerment, ni sur sa nature tâches ont pu être concédées au consom- (état psychologique ou processus). Quant mateur comme le choix des caractéristiques à son amplitude, elle s’avère fluctuante, techniques ou esthétiques du produit, de son allant de la simple relation commerciale design, de son mode de distribution ou de au champ plus vaste de la société dans son son prix. L’empowerment se rapproche ensemble. Le tableau 1 reflète cette alors d’une autorisation accordée au diversité d’approches, parfois contradic- consommateur de contrôler certaines varia- toires, de l’empowerment en marketing. bles. L’entreprise va accompagner les Au-delà d’une distinction structurante clients dans la maîtrise de leurs expériences entre l’empowerment appréhendé comme de consommation, puis les intégrer dans la un processus ou comme un état psycho- création de valeur. Cet empowerment situé logique, d’autres auteurs définissent cette au croisement du relationnel et du marchand notion au travers de ses conséquences. est un mix d’échanges et d’apprentissages Le point commun à l’ensemble de ces collaboratifs. De telles coopérations estom- acceptions est la reconnaissance du pouvoir pent les différences de statut et les du consommateur. Mais les similitudes consommateurs deviennent des co-produc- s’arrêtent là car selon les auteurs, le pouvoir teurs, co-innovateurs, assistants marketing, est tour à tour synonyme de davantage de relais, exécutants ou encore des employés à choix, de décision indépendante, de co- temps partiel (Bonnemaizon et al., 2012). création, d’adhésion aux valeurs civiques, Ils éprouvent alors un sentiment de ou à l’extrême de piège sournois. Ces contrôle, de maîtrise, de dépassement des antagonismes, relatifs à la nature même de obstacles, de capacité à faire des choix l’empowerment, se retrouvent dans les judicieux (Barak et al., 2008). Inversement, débats théoriques : l’empowerment est selon d’autres chercheurs, l’empowerment parfois considéré comme un processus, exprime une aspiration qui part de la base s’inscrivant au sein d’une démarche et s’élève, libérant le consommateur du « top-down » de l’entreprise ou « bottom- carcan imposé (démarche « bottom-up »).
Comprendre l’empowerment du consommateur 125 Tableau 1 – Acceptions marketing de l’empowerment du consommateur Approches de l’empowerment en tant que processus (top-down ou bottom-up) C’est un processus de développement personnel qui permet aux individus d’affirmer leurs besoins et Harrison et al. (2006, p. 974) d’influencer la manière dont ils se rencontrent et participent en tant que citoyens à une communauté. L’élaboration de stratégies marketing centrées sur le client et fondées sur l’information, qui visent à la fois à Pires (2006, p. 1) favoriser et à encadrer la délégation, révèlent le rôle du marketing dans le contrôle de l’empowerment du consommateur. L’empowerment conduit les individus à « participer par leurs compétences à un mouvement de prise de pouvoir sur leur consommation et par là même à être des Cova et Cova (2009, p. 96) consommateurs (…) avec un risque de perte de compétences dans de nombreux domaines de la vie quotidienne ». L’empowerment est une stratégie adoptée par les Fuchs et al. (2010, p. 65) entreprises pour donner aux consommateurs « l’impression de contrôler le système de sélection des produits ». Le premier stade (du processus d’empowerment) est la création d’une offre alternative à la consommation traditionnelle. Le second correspond à l’affirmation d’un Papaoikonomou et Alarcón contre-pouvoir à travers des mobilisations civiques et des (2015, p. 2) actions collectives. Le troisième relève d’un engagement civique en faveur de macrostructures sociales plus durables et démocratiques. L’empowerment est un processus par lequel le client prend le contrôle du déroulement du service et l’influence. C’est Prentice et al. (2016, p. 39) lui qui détermine le sens qu’il donne à sa consommation, qui apporte ses compétences, prend les décisions et apprécie le résultat. Approches de l’empowerment en tant qu’état psychologique L’empowerment est un état pouvant être caractérisé par 1) Spreitzer (1995, p. 1 443) ; plusieurs composantes : 2) Fuchs et al. (2010, p. 67), 1) la compétence, le choix, l’auto-détermination, Pranic et Roehl (2012, p. 246) ; l’influence ; 3) Ben Ayed et El Aoud (2016, 2) le sens (objectif), l’information, la compétence et le p. 13) contrôle-influence ; 3) l’auto-conscience, l’auto-détermination, l’auto-efficacité. L’empowerment est un état mental généralement accompagné par une action qui permet à un consommateur ou à un groupe de consommateurs Wright et al. (2006, p. 926) d’affirmer ses propres choix et de prendre ses décisions à partir de ses besoins, de ses désirs et de ses demandes vis- à-vis d’autres individus ou organismes sur le marché.
126 Revue française de gestion – N° 278/2019 Tableau 1 – (suite) Approches de l’empowerment en tant que processus (top-down ou bottom-up) L’empowerment correspond au sentiment que le Guintcheva (2014, p. 64) consommateur a de pouvoir contrôler, comprendre son environnement et essayer activement de le maîtriser. L’empowerment correspond à une motivation individuelle Morrongiello et al. fondée sur la conscience de soi en tant qu’acteur au sein (2017, p. 69) d’un marché. Approches de l’empowerment au travers de ses conséquences Les approches de l’empowerment varient en fonction de la Denegri-Knott et al. conception que l’on se fait du pouvoir et des approches (2006, p. 963) utilisées pour l’identifier, le délimiter, le mesurer. La délégation du pouvoir au consommateur (Customer Bonnemaizon et al. Empowerment) est le rééquilibrage nécessaire du pouvoir (2008, p. 4) dans la relation par une revalorisation du consommateur et de ses compétences. L’empowerment est devenu un concept vague et faussement consensuel, qui assimile le pouvoir aux choix Calvès (2009, p. 21) individuels et économiques (…) et est instrumentalisé pour légitimer les politiques et les programmes top down existants. L’empowerment est l’affirmation d’un consommateur- McShane et Sabadoz politique, capable de poursuivre à la fois des intérêts (2015, p. 548) économiques/rationnels et des objectifs humains plus larges à travers une citoyenneté de la consommation. L’initiative revient au consommateur. Il ne acheteur conciliant, expert influent, ou s’agit pas de partenariat mais de prise de citoyen vigilant. Elles interpellent aussi contrôle. Sur la toile, des groupes se forment sur le paradoxe de l’empowerment qui tout spontanément pour échanger des expérien- à la fois libère et discipline (Shankar et al., ces, pour partager le même attachement à un 2006). Ainsi, la maîtrise des circuits de produit ou pour s’ériger en contre-pouvoir l’entreprise peut être vue comme une du système marchand. Sur ces réseaux, un émancipation du client ou au contraire, simple post peut susciter la création de dans une perspective foucaldienne, comme groupes de pression qui se changent en une intériorisation de contraintes extérieu- forces politiques et sociales (Dubuisson- res, comme une « mise au travail » (Canel- Quellier, 2010) ayant le pouvoir de mettre à Depitre, 2012) déguisée derrière un senti- mal une organisation. Dynamiques top- ment de liberté. Se pose alors la question de down ou bottom-up, ces processus renvoient la nature de l’empowerment, vecteur à des conceptions différentes du client, d’émancipation ou moyen d’asservissement
Comprendre l’empowerment du consommateur 127 caché derrière les faux semblants d’un partir de ses besoins, de ses désirs et de ses transfert de pouvoir ? Si certains chercheurs demandes vis-à-vis d’autres individus ou considèrent l’empowerment comme un organismes sur le marché ». Fuchs et al. processus (« top-down » ou « bottom- (2010) montrent que faire participer active- up »), d’autres l’étudient en tant qu’état ment le consommateur en lui proposant de psychologique. personnaliser le produit est un moyen de développer chez lui un sentiment plus fort « d’attachement psychologique » à son achat. L’empowerment comme un état « Limité à la prise d’autonomie au sein de la psychologique : définitions divergentes et sphère marchande, ce « sentiment » va au-delà échelles de mesure partielles de l’affirmation de soi pour s’étendre « au L’empowerment psychologique5 du consom- contrôle de l’environnement » selon Guint- mateur a été peu étudié en marketing. Les cheva (2014). Pour mieux cerner cet état, des définitions recueillies révèlent des divergen- échelles de mesure ont été élaborées. Pranic et ces profondes. Pour Wright (2006), il s’agit Roehl (2012) ont identifié quatre grandes « d’un état mental généralement accompagné composantes : le sens (objectif), l’informa- par une action qui permet à un consommateur tion, la compétence et le contrôle-influence. ou à un groupe de consommateurs d’affirmer Ces dimensions sont reprises par Prentice ses propres choix et de prendre ses décisions à et al. (2016) qui les déclinent en 11 items. LES 11 ITEMS DE L’ÉCHELLE D’EMPOWERMENT* Choix du service – Je peux choisir de profiter du produit dans différents endroits – Je peux choisir différents employés pour me servir – Je peux choisir de profiter du service de différentes façons Impact – L’employé pourra ajuster la prestation en fonction de ma demande – L’employé pourra ajouter des services supplémentaires en fonction de ma demande – L’employé pourra personnaliser le service en fonction de mes besoins personnels – L’employé pourra recommander le service en fonction de ma situation personnelle – L’employé pourra fournir l’information appropriée en fonction de ma demande Obtention de l’information – Je suis en mesure d’obtenir les informations de base de l’entreprise – Je suis en mesure d’obtenir des informations sur la marque – Je suis en mesure d’obtenir une variété d’informations sur le portefeuille de services * validée par Prentice et al. (2016). 5. Customer Psychological Empowerment (CPE).
128 Revue française de gestion – N° 278/2019 Prentice et al. (2016) insistent sur les un groupe pour faire évoluer un produit ou un relations entreprise-client à travers le prisme service, ou de manière plus vaste, pour du « Service Dominant Logic »6 (Vargo et promouvoir des enjeux civiques. À la suite Lusch, 2004). L’accent est mis sur la de ce travail de clarification, et en complément collaboration avec le prestataire pour co- de l’analyse des approches théoriques déve- construire davantage de services mais il loppées dans la littérature, une réflexion sur le n’est pas fait mention d’attentes plus larges positionnement de l’empowerment au sein du client comme le partage de savoirs entre d’un ensemble de notions connexes en consommateurs ou l’acquisition de compé- marketing peut être menée. tences. Dans le registre de la santé où les échelles de mesure sont fréquentes, Ben Ayed et El Aoud (2016) recourent à quinze 2. Analyse des liens entre items pour apprécier l’empowerment du l’empowerment et les notions connexes consommateur/patient chronique diabé- en marketing tique. Ils ont rassemblé leurs items en trois Nombreux sont les auteurs qui ont utilisé le dimensions : l’auto-conscience, l’auto- terme empowerment pour évoquer la parti- détermination, l’auto-efficacité. Le patient cipation du client, son interaction avec les est ici considéré comme un sujet isolé et professionnels et sa contribution à la co- centré sur lui-même, plus ou moins à l’aise construction de produits ou services. Afin de dans la gestion de sa maladie. Leur échelle mieux délimiter le périmètre et la nature rejoint celle de Prentice et al. (2016) sur deux spécifique de l’empowerment, une réflexion points : la reconnaissance de l’autonomie du sur son positionnement théorique est menée client et le respect de son libre-arbitre. Mais au regard de cinq notions connexes : les auteurs n’abordent pas l’empowerment l’engagement, la communauté de marque, collectif. Ils ne considèrent pas le patient dans le knowledge marketing, le marketing sa relation aux équipes de soins, au système relationnel et le consumérisme. Dans la de santé et ne traitent pas de la possible littérature, ces notions sont fréquemment exclusion sociale des personnes malades. La associées à l’empowerment, générant ainsi proximité avec une communauté de pairs, les une certaine confusion et ambiguïté théo- interactions avec l’environnement ne sont riques ; elles se rattachent toutes à l’idée pas non plus évoquées. commune d’un consommateur acteur, Au terme de cette section, l’empowerment détenteur d’un certain pouvoir qui interagit renvoie donc à une notion polysémique. avec l’entreprise et le système marchand Dans le prolongement de cette réflexion, un (Cova et Pace, 2006 ; Bonnemaizon et al., nouveau positionnement est proposé. Initié 2008 ; Filser et Vernette, 2011 ; Morron- par le consommateur ou l’entreprise, l’em- giello et al., 2017). Ces notions traduisent powerment se construit sur un partage de l’amplitude possible de ces interactions et connaissances et d’expériences. Pour le reflètent certaines étapes du processus consommateur, il peut se poursuivre par un d’empowerment. Ces interactions débutent gain en influence et par une capacité à mobiliser par un engagement individuel sous forme 6. SDL. Le consommateur qui utilise les produits ou services d’une entreprise co-crée la valeur de l’entreprise.
Comprendre l’empowerment du consommateur 129 d’investissement cognitif, émotionnel et professionnels et consommateurs se retrouve comportemental du client vis-à-vis de dans les logiques du marketing relationnel et produits ou de marques (Hollebeek, du Service Dominant Logic (Vargo et Lusch, 2011). Le consommateur qui accomplit 2004 ) où le consommateur maîtrise une cette démarche fait valoir ses capacités partie de la production. De la même manière, d’apprentissage, ses connaissances propres le knowledge marketing sollicite les connais- et affirme son auto-détermination qui sont sances conjointes des clients et collabora- des dimensions intrinsèques à l’empower- teurs de l’entreprise (Bonnemaizon et al., ment. Les interactions peuvent se pour- 2008). Mais il n’est pas toujours question suivre avec un collectif de pairs au sein d’alliance avec le fournisseur. L’empower- d’une communauté de marque. Par la ment peut aussi signer un divorce avec les richesse et la diversité des échanges, le marques. Des groupes de pression « empo- groupe va créer une autre perception du wérés » peuvent critiquer l’impact éthique et produit et en influencer l’image voire même environnemental des entreprises, et organiser faire évoluer son usage. Ces éléments des actions de résistance citoyenne contre caractérisent la prise de pouvoir des leurs stratégies et contre les lois du marché consommateurs qui décident si – et quand (Roux, 2007 ; Dubuisson-Quellier, 2010 ; – les marques sont invitées (Fournier et Stolle et Micheletti, 2013). L’empowerment Avery, 2011). L’inversion du rapport relève alors du mouvement consumériste. Les de force est une caractéristique de l’empo- différentes notions marketing abordées pré- werment. L’entreprise peut intervenir cédemment traduisent en définitive les deux dans ces échanges et proposer des coo- logiques de l’empowerment : approche top- pérations à travers la co-création de solutions. down et/ou bottom-up (figure 1). Le tableau 2 Ce rapprochement constructif entre synthétise les principales ressemblances et Figure 1 – Classification des notions marketing proches de l’empowerment selon l’origine de la démarche (le consommateur et/ou l’entreprise)
130 Revue française de gestion – N° 278/2019 Tableau 2 – Proximités et divergences entre l’empowerment et des notions proches en marketing Proximités avec Divergences avec l’empowerment l’empowerment Engagement – Individuel, pas de Quand le client s’implique – Processus psychologique au-delà de l’achat ou de la prolongement collectif ; qui comprend des aspects transaction (Van Doorn – Limité à l’entreprise, peut cognitifs et émotionnels et al., 2010) ; réduire l’émancipation et (Bowden, 2009) ; accroître la dépendance ; l’empowerment et la – Co-construction de valeur ; – N’intègre pas le partage de délégation en sont les – Conscience critique 2 mécanismes (Dubuisson- savoirs Quellier, 2010). – Nouvelles formes d’empowerment (Cova et Pace, 2006), parfois à l’initiative du consommateur ; Communautés – Création d’une – Peu d’émancipation par de marque communauté expérientielle, rapport à l’entreprise ; Relations micro-sociales complicité de l’entre-soi, – Peu ou pas de stratégie autour d’un même centre identité forte ; d’engagement ou de d’intérêt (Arvidsson et – Importance de l’ambiance résistance par rapport à des Caliandro, 2016). au sein du groupe, cordialité questions de société clanique, le lien importe plus que le bien (Cova, 1995) ; – Ton de liberté voire de subversion sur le forum hors de contrôle des marketeurs – Qualité du dispositif relationnel fondé sur de – Initié par l’entreprise ; Marketing relationnel l’échange d’informations et – Pas d’émancipation voulue et SDL de l’apprentissage ; avec l’entreprise ; Instauration de relations – Montée en compétences – Pas de contrôle sur durables et de qualité qui des clients et professionnels ; l’entreprise mais au reposent sur la confiance, la – Importance de contraire, une dépendance rapidité, la clarté, la l’information ; renforcée ; satisfaction, l’engagement et – Co-création de – Échanges avec l’entreprise l’empowerment (Mandlik connaissances et de valeur ; privilégiés par rapport aux et al., 2014) – Présence d’agents liens entre consommateurs facilitateurs – Mêmes constats que pour – Mêmes constats que pour Knowledge marketing le marketing relationnel ; le marketing relationnel ; Mobilisation et – Les consommateurs ont – L’entreprise contrôle les développement des conscience de leurs propres flux de connaissances et reste compétences des clients et compétences, de leur savoir maître des modalités collaborateurs, à travers un expérientiel, de leur capacité d’échange ; processus organisationnel de à fournir des ressources – Positionnement ambigu du création conjointe des opérationnelles ; consommateur expert qui
Comprendre l’empowerment du consommateur 131 Tableau 2 – (suite) Proximités avec Divergences avec l’empowerment l’empowerment connaissances (Bonnemaizon – Les consommateurs peut être considéré par et al., 2008). ressources ou lead users l’entreprise comme un aident leurs pairs à monter consultant et être rémunéré en compétences pour ses services; ce qui pourrait s’apparenter à une forme de corruption ; – Pas de défense du collectif ni de référence à une dimension sociétale – Remise en cause des artifices du marketing, du bien-fondé de ses pratiques – L’accent n’est pas mis sur et de la logique libérale qui l’acquisition de compétences les sous-tend, incompatibles Consumérisme mais sur l’opposition et avec les intérêts du Résistance des l’action ; consommateur et les droits consommateurs caractérisée – L’activisme peut employer du citoyen responsable ; des moyens illégaux pour par des formes d’opposition – Prise de conscience individuelles et collectives attirer l’attention du public, individuelle qui se prolonge manifestées à l’encontre des prendre des formes dans un projet entreprises ou de la culture violentes ; or l’empowerment communautaire ; reconnaît les principes de la consommation (Roux, – Pression sur les 2007). démocratiques même s’il producteurs et distributeurs plaide pour leur se manifestant de diverses renouvellement manières : esquive, boycott, plainte, contournement ou détournement, manifestation dissemblances pouvant être identifiées entre renforcer le sentiment de contrôle et de l’empowerment et l’ensemble de ces notions. satisfaction du client et à motiver sa fidélité, À l’issue de cette première partie, la notion tout en organisant sa dépendance vis-à-vis d’empowerment a pu être clarifiée au travers de l’entreprise. Or avec Internet, les de l’analyse des approches théoriques consommateurs disposent d’une plus grande développées dans la littérature et de l’étude capacité de recherche et de collecte de des différences conceptuelles avec un l’information, et cette évolution renforce la ensemble de notions proches en marketing. nature incontrôlée de leur empowerment Toutefois, bien que séduit par l’empower- (Pires et al., 2006). Aujourd’hui, le market- ment, le marketing n’en prend que l’habil- ing peine à comprendre et à contrôler des lage et les tournures mais ne va pas au terme consommateurs plus éclairés grâce aux de son expression. Le pouvoir accordé aux données circulant sur le web (Kucuk, consommateurs est déterminé et régi par le 2009 ; Bilodeau, 2014). Se pose alors la fournisseur. Ainsi, le marketing réussit à question de la maîtrise du processus de
132 Revue française de gestion – N° 278/2019 commercialisation. Le marketing va égale- Ce faisant, il a limité l’empowerment à une ment être confronté aux dimensions éman- concession accordée par celui qui a le plus cipatrice et politique de l’empowerment, de pouvoir à celui qui en a le moins, dans un plus déstabilisantes et tout aussi incontrôla- cadre préfini par l’entreprise (participation bles (Kozinets, 2002). Si ces dimensions ont encadrée). Et c’est ainsi que le marketing a été peu intégrées jusqu’à présent dans réussi à conforter son emprise sur le client l’analyse du comportement du consomma- tout en l’amenant à se croire plus puissant. teur, elles ont été largement abordées dans Toutefois, les nouvelles technologies contri- les autres disciplines des sciences humaines buent à modifier ce rapport de force. En et sociales. Ainsi, compte tenu de la vision simplifiant la prise de parole des consom- parcellaire de l’empowerment en marketing, mateurs et leur regroupement en cercles de il semble maintenant nécessaire d’entamer fans ou d’opposants, elles facilitent la un travail d’enrichissement conceptuel. confrontation d’expériences, l’acquisition indépendante de connaissances, la construc- tion d’une conscience et d’une identité II – ENRICHIR LA VISION singulières et le passage à l’action. Le MARKETING DE consommateur et sa communauté se libèrent L’EMPOWERMENT du cadre du marketing. L’entreprise se trouve Alors que les sciences de l’éducation alors confrontée à un corps collectif auto- donnaient à l’empowerment ses bases constitué et non plus à un marché de conceptuelles en 1970 et que certaines consommateurs cibles. Les membres de ces disciplines des sciences humaines et socia- groupes agrègent les savoirs, comparent les les l’adoptaient sans réserve, le marketing propositions, interagissent et le cas échéant n’a intégré cette notion que trois décennies s’engagent pour soutenir les initiatives d’une plus tard et de manière restrictive (Kozinets, marque ou s’opposer à sa stratégie (Hollen- 2002 ; Pires et al., 2006 ; Kucuk, 2009 ; beck et Zinkhan, 2010 ; Russell et al., 2016). Bilodeau, 2014). Loin des origines sub- Elles inventent et expérimentent d’autres versives exposées par l’éducateur brésilien formes de consommation, créant des ponts Freire (1970) qui concevait l’empowerment entre les grands principes civiques et les comme un « processus de conscientisation actions de proximité. Cette dynamique permettant aux opprimés de se mobiliser par nouvelle peut amener un collectif à mettre la pratique émancipatrice de l’éducation », à l’épreuve le pouvoir des firmes ou des le marketing a, d’emblée, atténué la portée institutions, voire à remettre en cause les de cette notion. Passant sous silence son fondements du libéralisme. Face à de telles dessein collectif, sa réflexion critique et ses évolutions, il semble nécessaire de recon- visées réformatrices, il s’est concentré sur la sidérer la notion d’empowerment et d’enri- relation dyadique entreprise-client. S’ap- chir les approches théoriques couramment puyant sur la confiance et les compétences déployées. Dans cette perspective, un retour (Davies et Elliott, 2006) et non pas sur la au concept source est proposé au travers conscience du consommateur, il lui a d’une vision multidisciplinaire. En s’ap- délégué certaines tâches comme la possibi- puyant sur la richesse des réflexions menées lité de définir les caractéristiques du produit. dans la littérature en sciences humaines et
Comprendre l’empowerment du consommateur 133 sociales, cette démarche amène à approfondir tant que participants influents dans la société la compréhension de l’empowerment et à de l’information. actualiser sa définition en marketing. Elle Cette montée en puissance est particulière- s’inscrit en complémentarité du travail de ment visible sur les blogs, les groupes clarification mené précédemment (I), pro- (privés ou non) sur Facebook, les forums posant un état actuel de l’empowerment en (…) Sur ces « supports sociaux » (Turner et marketing et révélant sa conception limitée. Reynolds, 2001), les internautes rencontrent leurs pairs en ligne et interagissent en mode conversationnel. Les informations et expé- 1. Un besoin d’enrichissement de la riences qu’ils partagent forment un flux notion d’empowerment continu de messages, ressource intarissable Ce besoin d’enrichissement est principale- au service d’un apprentissage collaboratif, ment lié aux modifications des comporte- complice et solidaire. Sur ces plateformes ments des consommateurs et aux réflexions libres de toute contrainte horaire ou récentes des chercheurs concernant la géographique, il règne une nouvelle forme révolution digitale et l’avènement du statut d’intimité, une proximité cordiale de consommateur-citoyen. (McKenna et al., 2002). Sur les réseaux sociaux, les communautés possèdent leurs propres normes, rhétorique, culture, humour La révolution du web participatif et références. Les membres peuvent s’ap- Internet a été qualifié d’outil d’empower- proprier une marque, la promouvoir, la ment extrêmement puissant (Amichai-Ham- manipuler (Fournier et Avery, 2011) ou burger et al., 2014 ; Yuksel, 2014), et dans l’attaquer. Sur ce point, les formes digitales la littérature marketing, le terme « empo- d’opposition sont variées : e-mail bombing, werment du consommateur » est fréquem- graffiti sur site, parodie de site, bad buzz, ment associé aux technologies numériques. post, création de page Facebook de résis- Sur la toile, les internautes accèdent en tance, pétition en ligne, appel au boycott, à la direct à l’information, à la connaissance, déconsommation (…) (Holt, 2002). Autre- apprennent à maîtriser la literacy7 (Dunn et fois cible passive, le consommateur est Johnson-Brown, 2007) et se lient avec des devenu un agent économique avisé, connecté groupes en ligne. Ces connexions renforcent à des collectifs hyper informés, hyper agiles leurs capacités à conduire des actions qui savent faire entendre leur voix de collectives et à réclamer des changements citoyens et rappeler à l’entreprise sa respon- sociaux (Shirky, 2011). Mäkinen (2006) sabilité sociale (Kucuk, 2008 ; Cruz, 2012). définit l’empowerment digital comme un processus en plusieurs étapes qui offre de Le nouveau statut d’un consommateur meilleures opportunités de communication plus politique et de coopération, et accroît la compétence Acteur social (Mena et al., 2010), citoyen des individus et des communautés à agir en engagé (McShane et Sabadoz, 2015), le 7. Ensemble de capacités déployées par les individus pour gérer les informations : reconnaître quand l’information est nécessaire, la localiser, l’évaluer et l’utiliser efficacement (American Library Association, ALA, 1989).
134 Revue française de gestion – N° 278/2019 consommateur a besoin de donner un sens 2. Vers la proposition d’une vision à sa consommation. Il est capable de enrichie de l’empowerment en poursuivre des intérêts économiques, marketing rationnels et des intérêts humains plus Afin d’enrichir la conceptualisation et le larges relevant d’une citoyenneté de la cadre d’analyse de l’empowerment déployé consommation. Socialement responsable, en marketing, un retour aux sources de cette il se révèle peu tolérant envers les notion est nécessaire pour une meilleure producteurs et fournisseurs qui ne rem- prise en compte de son sens originel au sein plissent pas leurs obligations civiques de plusieurs disciplines des sciences humai- (Holt, 2002). Plus puissant, plus libre, il nes et sociales qui lui ont accordé une est devenu un être mobile, en interaction attention toute particulière8. constante avec un réseau de communautés Emprunté aux disciplines de l’éducation en ligne (Kent et al., 2016), en état de vigie populaire et de la psychologie, l’empower- permanente. Sa personnalité et son ment se présente tout d’abord comme le fer comportement ne peuvent plus être dis- de lance d’un mouvement de résistance et de sociés de ses autres rôles sociaux, étu- libération des opprimés. Indissociable des diant, salarié, patient (…). mouvements d’éducation populaire « Peo- Des recherches pointent les attitudes contes- ple Empowering People », l’empowerment tataires de ceux qui se désengagent de possède un référent célèbre, Freire (1970). logiques marchandes jugées menaçantes et Le pédagogue brésilien associe l’empower- dissonantes avec les problématiques plané- ment à la pratique émancipatrice de l’éduca- taires du partage des richesses et de tion où enseignants et élèves « lisent préservation des ressources (Roux, 2007). ensemble le mot et le monde ». Dix ans L’acte d’achat, assimilé au vote (Shaw plus tard, après les sciences de l’éducation, et al., 2006 ; Schwarzkopf, 2011), prend le terme apparaît en psychologie, en une dimension politique et les motivations sciences politiques et en géographie qui du client rejoignent celles du citoyen. assimilent l’empowerment aux notions de L’empowerment « sociétal » du consom- résistance, de juste colère (Rogers et al., mateur interroge l’entreprise dans sa res- 1997), de consciences qui se pensent de ponsabilité dans les affaires de la cité et manière indépendante, de revendication de conduit le marketing à communiquer sur un droits et d’accès aux ressources, de libéra- registre qui n’était pas le sien. tion et de changements sociaux. L’un des Ces différentes réflexions soulignent pionniers en psychologie communautaire, l’importance d’une meilleure prise en Rappaport (1981), caractérise l’empower- compte de l’évolution des attitudes, ment comme un processus multi-niveaux comportements et pratiques des consom- par lequel une personne ou un groupe mateurs dans l’appréhension de l’empo- s’élève en contre-pouvoir pour atteindre des werment en marketing. objectifs de changements sociaux. Une des 8. Résultats (en nombre de publications) d’une requête menée le 22 février 2017 sur l’empowerment à partir des bases de données bibliographiques de ScienceDirect, Wiley et Ebsco : géographie - aménagement (développement des territoires) : 90 998, sciences de l’éducation : 61 811, sciences politiques : 50 555, psychologie : 49 632.
Comprendre l’empowerment du consommateur 135 notions centrales est de considérer la Ces travaux issus d’une revue multidisci- personne comme l’experte de sa situation plinaire montrent que l’empowerment est particulière. Zimmerman et Rappaport consubstantiel des notions de « libération » (1988) approfondissent cet aspect et mettent ou d’« émancipation ». Ils mettent aussi en en résonnance l’empowerment individuel et lumière l’importance du travail communau- l’empowerment civique. Leurs idées trou- taire qui structure l’acquisition de savoir et vent un écho en sciences politiques pour l’action. Ils soulignent enfin le rôle des reconsidérer la place des plus fragiles et des médiateurs-éducateurs. Cette analyse a minorités (Banducci et al., 2004). Ces également permis d’identifier les leviers populations sont caractérisées par leurs d’empowerment, à savoir : le partage choix extrêmement limités du fait de leur d’expériences sans l’arbitrage d’une auto- manque de moyens et de leur impuissance à rité, la résistance, l’expression collective, la négocier avec les institutions de meilleures revendication de droits, l’accès indépendant solutions pour elles-mêmes (Banque mon- aux ressources, la conception, l’expérimen- diale, 20029). À leurs côtés, des facilitateurs tation indépendante de solutions alternati- interviennent pour les assister dans leur ves, la saisie de l’opinion publique, la décision de ne plus subir, d’agir sur leur désobéissance civile (…). environnement, de revendiquer une parole Jusqu’à présent, le marketing a gommé ces libre et des droits afin d’engager une aspects « subversifs » privilégiant une transformation collective des rapports conception utilitariste et « entreprise-cen- sociaux. L’empowerment se présente alors trée » de l’empowerment, une idée de la comme un processus d’apprentissage et liberté « achat-centrée » et une approche d’actions allant de la résistance individuelle dominatrice de la relation client. Lors de la aux mobilisations politiques des masses qui première partie de cet article, la plupart des défient les relations de pouvoir dans la approches théoriques abordées traduisent société. Dans un cadre géo-politique, les bien cette vision réductrice de l’empower- luttes pour l’émancipation se construisent ment en marketing et son embarras face à la autour du droit, celui de définir son identité prise de pouvoir d’un consommateur au culturelle, de saisir la loi et les différents sens civique plus aiguisé. Il lui revient mécanismes de résolution ou de recours aujourd’hui de reconnaître dans le consom- pour mieux contrôler sa vie. Adopté par les mateur un acteur sensibilisé aux enjeux théoriciens de la politique de la ville, politiques et un membre de communautés ; l’empowerment met les habitants au cœur deux dimensions que le web participatif de projets urbains co-construits. Bacqué et renforce. En s’appuyant sur les apports des Mechmache (2013) proposent une politique sciences humaines et sociales, et en consi- d’« empowerment à la française » présentée dérant les réflexions liées à l’essor des TIC comme un projet d’autonomie de la société et de la figure citoyenne du consommateur, civile. une actualisation de la définition de 9. Empowerment and poverty reduction: a sourcebook (p. 11) : http://siteresources.worldbank.org/INTEMPOWER MENT/Resources/486312-1095094954594/draft2.pdf
136 Revue française de gestion – N° 278/2019 l’empowerment est proposée sous la forme de la connaissance et de l’innovation créées d’un processus en quatre temps : individuel, en partage et défient les systèmes collectif, collaboratif, sociétal. En effet, la traditionnels. progression des compétences du consom- « Empowérés », les consommateurs mon- mateur et de sa capacité à affirmer ses choix tent en connaissances et en compétences, est corrélée au soutien de la communauté co-conçoivent avec les professionnels ou qui s’organise et se structure graduellement. créent par et pour eux-mêmes des solutions Ces mouvements en expansion sont indis- alternatives et en retirent un sentiment de sociables l’un de l’autre et plaident pour une satisfaction et de maîtrise. Mais de nature approche de l’empowerment en tant que subversive, l’empowerment ne se contient processus. Cette définition s’éloigne de celle pas. Il peut réussir à inverser le rapport de de Wright et al. (2006) qui considère force soumettant l’entreprise au pouvoir uniquement l’impact psychologique de d’influence du client. Enfin, au-delà du l’empowerment. Elle diffère aussi de sa contexte d’achat, il entraîne le consomma- vision limitée au marché, l’approche retenue teur-citoyen dans un mouvement global de considérant l’empowerment dans ses inter- transformation politique en vue d’une actions avec l’environnement et la société. société plus respectueuse des droits, plus Cette proposition s’inscrit toutefois dans la éthique, plus socialement responsable. continuité de la pensée de McShane et Sabadoz (2015) qui reconnaissent l’enga- III – CONTRIBUTIONS gement politique du consommateur et la THÉORIQUES, PERSPECTIVES dynamique collaborative qui le porte et sans MANAGÉRIALES ET AGENDA DE laquelle cette expression politique ne pour- RECHERCHE rait atteindre le niveau sociétal. Le tableau 3 détaille les quatre stades du processus Ce travail de réflexion sur l’empowerment actualisé d’empowerment proposé dans cet du consommateur présente un ensemble de article, puis les met en perspective avec les contributions et permet de proposer un approches théoriques développées dans la agenda de recherche. littérature (en référence au tableau 1) et avec un certain nombre de notions connexes en 1. Contributions théoriques marketing (en référence au tableau 2). En s’appuyant sur les réflexions menées tout Cette recherche contribue à une meilleure au long de cet article, la définition suivante compréhension de l’empowerment du de l’empowerment peut être avancée : consommateur au travers d’un effort de Processus d’expansion de la puissance clarification conceptuelle et d’un travail d’agir et du pouvoir d’influence du consom- d’enrichissement théorique. Elle a notam- mateur, l’empowerment se déploie au ment permis de proposer des critères de travers de démarches collaboratives, structuration d’une littérature foisonnante conduites avec ou sans l’entreprise. Portées en marketing (en distinguant les approches par une énergie et une solidarité puisées processus – top-down/bottom-up et psy- dans son essence émancipatrice, les commu- chologique), de préciser le positionnement nautés conquièrent les nouveaux territoires singulier de l’empowerment au regard de
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