L'Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales - OpenEdition Journals
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Géocarrefour 94/4 | 2020 Varia L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales The farm incubator as a tool for local authorities Pierre-Mathieu Le Bel et Marine Pizette Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/15374 DOI : 10.4000/geocarrefour.15374 ISSN : 1960-601X Éditeur Association des amis de la Revue de géographie de Lyon Référence électronique Pierre-Mathieu Le Bel et Marine Pizette, « L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales », Géocarrefour [En ligne], 94/4 | 2020, mis en ligne le 14 mai 2020, consulté le 16 mai 2020. URL : http://journals.openedition.org/geocarrefour/15374 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ geocarrefour.15374 Ce document a été généré automatiquement le 16 mai 2020. © Géocarrefour
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 1 L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales The farm incubator as a tool for local authorities Pierre-Mathieu Le Bel et Marine Pizette Les auteurs remercient les personnes qui se sont prêtées aux entretiens, les membres du RENETA, ainsi que les chercheurs du PSDR4 USUS dans lequel ce travail s’inscrit. Introduction 1 Le dernier recensement agricole français fait état de la perte de près de 200 000 actifs agricoles entre 2000 et 2010 et de 26 % de ses exploitations. En 2015, en France, 885 000 personnes (chef d’exploitation, coexploitant, conjoint, actif non-salarié) travaillaient de manière régulière dans les exploitations du secteur. C’est moins de 4 % de la population active du pays (contre plus de 35 % au milieu du XXe siècle). Les agriculteurs partant en retraite ont du mal à transmettre leur exploitation. Leurs enfants reprennent plus rarement l’exploitation familiale et, lorsque les exploitations trouvent repreneurs, c’est généralement au profit de l’agrandissement d’une exploitation existante plutôt que d’un nouvel agriculteur. Cet agrandissement rend ensuite plus difficile encore l’installation de nouveaux porteurs de petits projets agricoles. 2 Pour autant, « il n’y a pas de crise des vocations agricoles » (Martin, 2016) : on trouve de nouveaux porteurs de projets, bien qu’on observe une évolution des profils sociologiques chez ces derniers. Il s’agit surtout d’agriculteurs hors cadre familial (HCF) et non issus du territoire où ils désirent s’implanter (ASP, 2009). Ils s’installent avec une conception différente de l’agriculture et du travail agricole, préférant les petites exploitations et une pratique plus raisonnée de l’agriculture (Martin, 2016 ; Le Blanc, 2011). Les premières difficultés qu’ils rencontrent concernent l’accès au foncier, le coût élevé de l’investissement de départ, le manque de réseau et de connaissance du territoire ainsi que le manque de formation. Cela a pour conséquence de fragiliser la pérennisation des installations ou de la ralentir fortement (InPact, 2016). Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 2 3 Face à ces constats, des dispositifs d’appuis existent parmi lesquels on trouve les espaces-test agricoles. Un espace test-agricole (ETA) est un dispositif réversible d’accès au foncier pour des individus qui souhaitent tester leur projet agricole. Peu de contributions scientifiques ont à ce jour abordé directement et exclusivement les ETA. Cavalier (2013) l’a fait en détaillant leur fonctionnement et s’arrêtant la contribution des structures associatives qui l’anime ainsi qu’à l’accompagnement et l’installation des porteurs de projet. Le présent article renverse la perspective en s’arrêtant plutôt aux collectivités territoriales où ils s’implantent. Nous chercherons à comprendre ce que les espaces-test représentent pour les collectivités territoriales. Pourquoi les collectivités territoriales s’engagent-elles dans des projets d’espace-test, et de quelle manière ? En quoi peuvent-ils constituer pour elles des objets spatiaux intégrateurs dans le déploiement de politiques publiques locales ? 4 Dans ce texte, le terme de collectivité territoriale embrasse aussi bien les collectivités territoriales au sens strict (communes, départements…) que les EPCI. Les données mobilisées proviennent de visites de terrains, d’observations non participantes à des comités de pilotage d’ETA, et surtout de 25 entretiens semi-dirigés individuels conduits entre janvier 2017 et août 2019 au sein de 7 collectivités et 6 ETA avec des agents des collectivités territoriales, élus et chargés de mission, animateurs et accompagnateurs, tous impliqués dans un projet d’ETA, en fonctionnement ou en construction (fig. 1). Nous ne mentionnons que la structure d’appartenance et la fonction des personnes interrogées afin de préserver autant que possible leur anonymat. Les collectivités territoriales agissant dans des espaces-test sont la Communauté de communes Val de Drôme et Valence, Romans Agglomération, Agglomération de Limoges, Monts du Lyonnais, Mond’Arverne Communauté, Billom Communauté et Mond’Arvene communauté, réunis en Syndicat mixte d’étude et d’aménagement du territoire (tableau 1). Tableau 1 : Synthèse des ETA à l’étude et de leurs liens aux collectivités Rôle de la Collectivité/ Objectif de la Projet alimentaire ETA Productions Collectivité dans lieu-test collectivité territorial l’ETA • Manque en Foncier, maraîchage bio bâtiment, forage, Limoges • Demande en Oui Pouss & bio Maraichage financement, Métropole accompagnement produits locaux sur les débouchés / restauration collective Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 3 • Volonté de transmission d’une ferme Communauté de Vache • Combattre la Ferme de communes laitière et Financement baisse des actifs Non l’Arbiche Mont du maraichage agricoles Lyonnais •Développement de circuits- courts Syndicat Mixte d’Etude et d’Aménagement Touristique • Revalorisation Local technique, (SEAT), de terrains Ecopôle du forage/ regroupant Maraichage • Demande de Oui Val d’Allier irrigation, Communautés porteur de financement, de communes projet de Mond’Arverne et Billom. • Préservation des paysages Verger-test Mond’Arverne Bâtiment, Pommes/jus Et du savoir- Non des Cheires Communauté financement faire local traditionnel ETA en archipel Maraichage/ Foncier, forage, La Fabrique donc multisite à petits fruits Matériel de la Paysanne (à Valence • Combattre la ferme, l’origine Les Romans Agglo Plantes baisse des actifs Oui financement, compagnons et Communauté aromatiques agricoles accompagnement de la terre) de commune du et sur les débouchés Val de Drôme médicinales Foncier, Un ETA • Manque en bâtiments, permanent et maraîchage bio Maraichage, financement, des lieux test en Etamine brebis accompagnement • Demande en archipel à laitière sur les produits locaux Roannais techniques et le / restauration agglomération collective débouché 5 Dans chacun des exemples abordés, nous verrons que le rôle de la collectivité est central dans la réalisation des projets. La seconde partie fera ressortir les motivations poussant les collectivités à s’engager dans leur mise en place. La consolidation de politiques territoriales et le renforcement de l’attractivité des territoires ressortent comme des motivations majeures des élus et chargés de mission locaux. Cela fait ressortir le rôle de l’ETA comme objet spatial intégrateur idoine pour la mise en place Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 4 de politiques publiques locales. La prochaine partie détaille cette notion d’objet spatial intégrateur avant de poursuivre plus avant dans la définition de l’ETA et le rôle des collectivités au sein ces dispositifs. L’ETA, un objet spatial intégrateur pour saisir les politiques publiques locales ? 6 Plusieurs contributions ont souligné la place de l’aliment comme interface entre les politiques publiques et les initiatives citoyennes (Morgan, 2009 ; Lardon et al., 2016) ainsi que comme champ d’action transversal où se rejoignent de multiples compétences publiques en santé, éducation, environnement, etc. (Wiskerke 2010 ; Lamine et al., 2012). De nombreuses collectivités se saisissent justement de l’agriculture en ce qu’elle participe d’un ensemble de relations autour de l’alimentation (comme les Projets alimentaires territoriaux que nous évoquerons plus loin). Lardon et al (2016 ; 2017) considèrent l’aliment comme objet spatial intégrateur positionné à l’intersection du produit agricole, de la marchandise et de l’objet de projets collectifs. Cela lui attribue la capacité à fédérer les actions autour du développement territorial. Ces objets sont dits intégrateurs en ce qu’ils possèdent une capacité à rassembler des acteurs multiples et variés derrière des enjeux qui se recoupent. À travers ces objets « les acteurs s’approprient bien une vision prospective du territoire » (Lardon et al., 2016, p. 275). « [C]e sont des objets spatiaux, tant matériels comme les réseaux de drainage en plaine, les terrasses dans la colline ou les zones de production agricole, qu’idéels comme le fleuve, support de mobilité, ou le réseau de fermes, lieu de rencontre entre mondes agricole et urbain, qui ont du sens pour les acteurs. L’intérêt est que, quel que soit le thème abordé en entrée, ces objets spatiaux lient, relient et interagissent, contribuant ainsi à un ancrage concret dans le territoire, tant dans les pratiques des agriculteurs que dans les stratégies des politiques, mais contribuant aussi à une visée pour le futur, parce que référés aux objets du quotidien et aux enjeux de demain » (Lardon et al., 2016, p. 282). 7 Lardon et al. (2017) soulignent cependant les limites de l’aliment comme objet intégrateur en ce qu’il peine à constituer un objet intermédiaire entre monde agricole et monde urbain. On peut également se questionner sur l’opérationnalisation en termes de politiques publiques nécessaires au rassemblement des acteurs derrière de tels objets intégrateurs. À travers l’usage qu’en font les collectivités territoriales, nous verrons que les ETA constituent des objets spatiaux intégrateurs qui permettent justement d’incarner sur le terrain les politiques publiques locales et de rassembler les acteurs. 8 Des travaux font ressortir de manière globale une volonté de prise en compte des enjeux agricoles au sein des politiques publiques par les collectivités territoriales, « échelon privilégié et incontournable de mise en œuvre des politiques d’action sociale » (Avenel, 2017). L’action agricole est peu à peu prise en charge par les intercommunalités qui peuvent ainsi agir sur le développement local et le foncier agricole (Martin, 2016 ; Thareau et Fabry, 2013 ; Jarrige et Perrin, 2017). Thareau et Fabry font ainsi ressortir l’influence de la participation de la collectivité locale à la définition des formes d’agriculture légitimes sur le territoire par la défense de systèmes dominants localement ou par le soutien au développement de systèmes minoritaires. Des stratégies foncières sont mises en œuvre dans cette optique, dont l’acquisition. Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 5 L’acquisition publique de foncier agricole peut permettre d’empêcher l’urbanisation et d’orienter vers des pratiques agricoles durables. 9 Les stratégies foncières ont une importance croissante au sein des collectivités pour définir une politique agricole et alimentaire (Barthès et Bertrand, 2016 ; Perrin, 2014 ; Margetic, Rouget et al., et Jarrige et Perrin, 2017). Cependant, comme action isolée, elles ne sont pas suffisantes pour impulser une dynamique agricole locale. En effet, les collectivités font face à des limites financières et temporelles qui nécessitent la mise en place de partenariats, par exemple des conventions de stockage avec la SAFER (Martin, 2016). Perrin questionne également la légitimité de l’échelon communal sur ces questions et préconise de travailler à un niveau intercommunal. Certains évoquent succinctement les ETA parmi les stratégies de développement territorial. C’est le cas de Margetic et al. (2016) qui analysent les différentes motivations à la mobilisation du foncier des métropoles. Ils évoquent la création d’un ETA en région lilloise dans le cadre d’une démarche multi partenariale, qui est vu comme une « co-construction d’un bien public à enjeu collectif ». Dans leur conclusion, ils soulignent sans le nommer explicitement le caractère désormais incontournable et intégrateur d’une politique foncière qui devient le pilier d’un projet alimentaire local impactant d’autres volets tels que la nutrition, la santé ou le bien-être et prenant en compte de nouveaux acteurs. 10 L’ETA est un dispositif concret à travers lequel les acteurs sont intégrés via, d’une part, l’action de la ou des associations portant le dispositif et, d’autre part, les politiques publiques locales. L’avantage de s’arrêter au rôle intégrateur de l’ETA comme déclinaison de l’action foncière des collectivités est que, contrairement à l’aliment conçu soit comme produit, soit comme marchandise, soit comme objet d’action collective, il est conçu par les collectivités comme un outil d’action sur un territoire. Mobilisés à la fois par des acteurs associatifs, des porteurs de projet individuels et des acteurs publics, comment les ETA s’articulent-ils à l’action des collectivités ? 11 Lardon et al. (2016, p. 282) écrivaient qu’« [i]l serait nécessaire d’analyser ce processus d’apprentissage collectif par des objets spatiaux ayant du sens pour les dynamiques territoriales, en distinguant les types d’acteurs concernés et les modalités de passage de l’individuel au collectif ». Nous cherchons à répondre en partie à cet appel puisque nous nous penchons ici sur ce qui caractérise les motivations et manières de faire des collectivités territoriales dans leur instrumentalisation des ETA. Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 6 Figure 1 : Localisation des ETA étudiés Comment fonctionne un espace-test agricole ? 12 L’ETA permet à une personne, qui peut être non issue du milieu agricole ou en reconversion professionnelle, de tester un projet en conditions réelles et réversibles sur une période oscillante entre 1 et 3 ans tout en réduisant les risques associés à l’acquisition de foncier. Un espace-test est un dispositif où convergent quatre fonctions autour d’un testeur ou porteur de projet. La première est la fonction couveuse qui met à disposition un cadre juridique où le testeur s’inscrit (par un contrat d’appui au projet d’entreprise, CAPE par exemple) et où il reçoit de l’aide-comptable. La seconde est la fonction pépinière qui donne l’accès à des moyens de production. Cela peut prendre la forme d’accès à du foncier, des bâtiments ou du matériel. La troisième fonction est celle d’accompagnement technique, mais surtout humain de l’acquisition graduelle des compétences requises par le projet agricole du testeur. Ces différentes composantes du test peuvent être portées par une seule organisation, mais sont le plus souvent le fait de plusieurs structures. La quatrième fonction, celle de l’animation, concerne la mise en cohérence des trois fonctions précédentes autour du testeur et de son projet. Elle peut être portée par un autre acteur ou par un acteur assumant l’une des trois premières fonctions. Les testeurs n’ont ainsi que très peu d’investissement à apporter pour se tester. Cet apport varie en fonction de chaque ETA, de rien du tout à un forfait annuel, voire un capital de départ. On soulignera donc la différence d’avec les pépinières d’entreprises qui ne rassemblent pas ces fonctions et pour qui l’évaluation du succès des projets repose sur des indicateurs comptables classiques comme le chiffre d’affaires alors qu’un test a du succès si le porteur de projet peut à la fin prendre une décision éclairée sur son activité, y compris celle de ne pas s’installer. Ces dispositifs de test, qui préexistaient dans d’autres secteurs d’activité (Favrelière, 2009), sont rassemblés depuis 2012 en un Réseau national des ETA (le RENETA). Ce réseau compte près de 80 Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 7 membres et permet leur mise en relation tout en facilitant le partage d’expériences de plus de 500 porteurs de projet. 13 L’ETA est donc le dispositif permettant la réalisation du test, qui se déroule sur un lieu- test. Ce dernier est dépendant de la structure mise en place et de la conception du test. Ce lieu peut être un espace mis à disposition dans une ferme, une ferme entière en transmission, ou d’autres types de terrains. Il peut être mis à disposition par la structure d’ETA, par un particulier, par une collectivité territoriale ou une association, comme Terre de Liens1. Le lieu-test peut être permanent, lorsque le terrain aura vocation à rester en test en voyant se succéder les testeurs, ou bien provisoire s’il est décidé que le testeur s’y installera définitivement au terme de la période de test. Un ETA peut comprendre plusieurs lieux-test et sera donc dit « en archipel ». Chaque structure créée est ainsi unique du fait de son fonctionnement, son territoire et les partenaires prenant part au projet. Car un espace-test se base généralement sur un multipartenariat et peut compter des structures associatives (telles que des Associations pour le développement de l’emploi agricole et rural -ADEAR-, des groupements d’agriculteurs biologiques, ou Terre de Liens, par exemple), des collectivités territoriales, des couveuses d’entreprises ou couveuses d’activités et d’emplois (CAE), l’enseignement agricole, la chambre d’agriculture. L’acteur à l’origine du projet est lui aussi variable ainsi que les types de partenariats établis entre tous. 14 Nous insistons sur le fait que l’ETA n’est pas qu’un lieu physique. Il inclut un lieu-test, mais il est constitué de la rencontre des acteurs responsables des quatre fonctions autour d’un porteur de projet qui teste son activité sur un lieu. Le dispositif de test sert évidemment au porteur de projet (Cavalier, 2013 ; Le Bel, 2020), mais il peut également être saisi comme outil par d’autres acteurs, dont les collectivités. C’est cette possibilité de rencontre entre plusieurs acteurs qui se saisissent de l’ETA comme socle de projet qui lui donne son caractère intégrateur. La mise en place de l’ETA 15 Dans toutes les situations étudiées, une collectivité est, sinon à l’origine, du moins partie prenante au déclenchement du projet. Les projets émergent généralement d’une constatation : un manque (maraîchage bio dans le Roannais), la baisse du nombre des actifs agricoles (à Limoges), un problème de transmission d’activité (Monts du Lyonnais), une perte des paysages traditionnels (Mond’Arvene), ou une demande croissante de produits locaux de la part de la population (Limoges, Roannais, Monts du Lyonnais …). 16 À partir de ces constats, une structure d’ETA est créée pour un projet si aucun n’existe déjà sur le territoire. En Auvergne, l’association Ilots Paysans assume la fonction d’accompagnateur et d’animation d’ETA notamment dans un projet de Verger-test qui nait de la rencontre avec Mond’Arverne Communauté et Terre de Liens autour d’un diagnostic partagé : la conservation des espaces de vergers traditionnels est menacée par la perte au profit d’autres cultures (principalement céréalières) ou par le passage progressif à l’état sauvage s’ils ne sont pas entretenus. Dans la Drôme et dans le cas de l’Ecopôle du Syndicat mixte, les collectivités ont pu dès le départ s’appuyer sur le travail d’associations accompagnatrice d’ETA (les Compagnons de la terre et Ilots Paysans, respectivement). Selon un chargé de mission, les Communautés de communes impliquées dans les projets ne prennent pas part à la structure d’ETA : « La communauté Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 8 de communes ne [fait] pas partie de l’ETA, mais [est] toujours en appui. C’était un choix volontaire de ne pas porter l’espace test parce qu’il y a une asso, mais c’est un projet qu’on supporte [sic] parce qu’il correspond à la politique agricole du territoire et qu’il rentre dans nos priorités ». 17 Si la structure n’est pas préexistante, elle est alors créée en réunissant les collectivités et d’autres acteurs du territoire impliqués de près ou de loin dans le monde agricole. C’est le cas dans le Roannais avec la création d’Etamine, et dans les Monts du Lyonnais, au moment des entretiens2. C’est le cas également de la nouvelle structure drômoise, la Fabrique Paysanne qui succède aux Compagnons de la terre, à propos de laquelle une chargée de mission expose : « L’acteur principal qui gère le projet c’est nous, on est le dénominateur commun avec tous les partenaires […] déjà parce qu’on est propriétaire du terrain donc ça change un peu la donne, mais après ce sera le collectif quoi ». 18 Le rôle des collectivités varie dans le temps et peut passer d’une situation où la collectivité est pleinement partie prenante de la structure d’espace-test, participant à la prise des décisions, et dirigeant le projet (Limoges par exemple), à une collectivité qui se désengage de la structure et laisse l’espace-test gérer le projet en prenant part uniquement à des événements ponctuels (comme à Mond’Arverne Communauté). Il importe également d’opérer une distinction entre la collectivité et les acteurs la représentant (élu, chargé de mission), qui ne sont pas toujours présents dans la durée. Cela peut faire varier le statut plus ou moins prioritaire du projet d’ETA dans la collectivité. En regard des fonctions de l’ETA, les collectivités peuvent aussi s’investir de diverses façons. Quelle implication de la collectivité ? 19 Les collectivités adoptent toutes un rôle de pépinière, c’est-à-dire qu’elles fournissent à minima le foncier pour mettre en place le lieu-test, voire le bâtiment. Mais l’engagement de la collectivité auprès des ETA varie. Il faut distinguer entre les collectivités qui sont intégrées au projet depuis le début, qui adoptent le rôle de pépinière, voire participent à l’accompagnement, en plus de soutenir financièrement le projet (Limoges ; Roannais ; Valence Roman Agglo), et les collectivités intégrées plus tardivement au projet. Ces dernières sont sollicitées pour du soutien financier principalement, et peuvent être impliquées dans la gouvernance du projet et dont le rôle de pépinière s’oriente plutôt vers le matériel agricole et le bâti (Saint Etienne Métropole dans Monts du Lyonnais ; Val de Drôme ; le Syndicat mixte à Billom Communauté ; Mond’Arverne). L’évolution du rôle conféré à la collectivité, ou le rôle qu’elle s’octroie vont influer sur son implication dans le projet. 20 Ainsi, la métropole de Limoges met du foncier à disposition de l’espace-test, des moyens de production et des bâtiments en plus d’un accompagnement sur les débouchés pour les porteurs de projet. De la même manière, dans le cas du projet de Roannais Agglomération, la collectivité fournit un lieu à la structure d’espace-test, en plus d’un forage pour l’irrigation, des serres et une chambre froide, mais également du personnel pour une aide au démarrage. Valence Roannais Agglo, de son côté, a recentré son implication uniquement sur la mise à disposition de terrain et la réalisation d’un forage, mais ne fournit pas de matériel aux porteurs de projet. Dans le cas de Billom communauté on trouve aussi une fonction de pépinière et la volonté de mettre à disposition les installations et le matériel, mais faute de moyens financiers, ceux-ci sont Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 9 pour l’instant fournis par l’association Ilots Paysans. Enfin, du côté du Verger-test de Mond’Arverne, la collectivité ne met à disposition des porteurs de projet que le bâtiment, le foncier étant une propriété de Terre de Liens, ainsi que les vergers appartenant à Ilots Paysans. Quelques collectivités s’engagent davantage en proposant un accompagnement humain (Limoges, Roannais Agglo), et d’autres complètent leur implication en participant au recrutement. C’est le cas des deux collectivités de la Drôme, dont les agents participent au recrutement des porteurs de projet en coordination avec tous les autres partenaires. Pour un chargé de mission Valence Romans Agglomération, « pour le recrutement, c’est nous et les partenaires pour évaluer le projet, pour faire bien comprendre ce que c’est qu’un espace-test, que ce ne soit pas juste une opportunité foncière, que c’est bien une dynamique un peu particulière ». Et selon un chargé de mission de la Communauté de communes Val de Drôme, l’« idée [est] d’avoir une grille de critères commune. Un porteur de projet n’a pas forcément une compétence agricole, mais s’il n’a pas de diplôme, il faut qu’il ait de l’expérience au moins ». Les financements et contrats 21 L’implication des collectivités au sein des projets de test repose en grande partie sur leur capacité à cofinancer le projet. En effet, sur les sept collectivités enquêtées, une seulement participe en prenant uniquement en charge l’achat et les frais du bâtiment, les six autres ajoutent une contribution financière sous forme de subventions. Elles financent le projet, seules ou en associant d’autres collectivités. Pour l’un de ses chargés de mission, la Communauté de communes Val de Drôme par exemple « intervient depuis le démarrage avec un soutien financier au budget agricole annuel et d’un point de vue technique avec les chargés de mission, sur les statuts des pp, [porteur de projet] portages, montage financier… ». Cinq font appel aux fonds du programme LEADER et aux subventions régionales quand elles existent. 22 L’engagement de la collectivité et des autres participants au projet est quelquefois officialisé dans des contrats ou des conventions-cadres. Ces derniers définissent le fonctionnement de l’espace-test, et la répartition des rôles au sein de ce projet, comme il en a été convenu pour le projet du verger-test par exemple, ou encore dans le cas de Limoges. Parfois, des conventions financières sont également signées entre quelques acteurs (entre la SEM et Monts du Lyonnais ou encore entre Limoges Agglomération et BGE). On trouve également d’autres contrats liés à l’usage du foncier, principalement des baux ruraux. Ces baux ruraux, parfois environnementaux, sont signés entre un propriétaire foncier et un usager agricole. Dans le cas d’un ETA, le propriétaire peut être un particulier, une commune, une communauté de communes, la structure d’espace-test, le testeur lui-même ou encore une association comme Terre de Liens qui permet l’exploitation agricole de son terrain moyennant loyer. Une clause environnementale peut être ajoutée, c’est le cas lorsque Terre de Liens, qui promeut les pratiques durables, est propriétaire. Ilots Paysans et Terre de Liens mobilisent également le bail rural environnemental à domaine congéable. Cette convention particulière permet de définir et de gérer le fait que le foncier soit la propriété de Terre de Liens, tandis que l’espace-test Ilots Paysans est gestionnaire des arbres fruitiers (Chargé de mission Mond’Arverne Communauté). Au-delà des structures mises en place et des sommes investies, les motivations qui poussent les collectivités à accueillir un ETA sur leur territoire vont au-delà de l’acquisition de compétence du testeur. Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 10 Quelles motivations à créer un ETA ? Un outil au service de politiques existantes 23 Pour l’ensemble des collectivités interrogées, l’ETA constitue d’abord un outil au service d’une politique plus large. Il s’intègre dans un projet plus vaste, qu’il ait été décidé par la collectivité ou amené depuis l’extérieur par le monde associatif. Il constitue, par exemple, un élément concret d’une politique agricole et d’une politique alimentaire émergente à l’échelle locale ou encore un moyen d’attirer de nouveaux agriculteurs. Politique agricole et de développement local 24 Les enjeux attachés aux ETA entrent couramment dans le champ des politiques agricoles. L’action dans ce domaine d’activité par une collectivité dépend entre autres de son histoire. Par exemple, à Billon Communauté on compte plusieurs élus qui proviennent du secteur agricole. Le développement de l’action agricole de la part des collectivités dépend aussi des organisations professionnelles agricoles présentes sur le territoire, de leur structuration et de leurs relations avec les élus. Cela peut avoir des conséquences sur la volonté des élus à agir sur la politique agricole, et la manière dont ils agissent, soit en opposition à la chambre avec le risque de ne pas être suivi par les agriculteurs du territoire, soit en coopérant. 25 L’un des leviers à la disposition des collectivités pour intervenir sur la politique agricole est d’agir sur le foncier. Six des sept collectivités consultées ont eu recours à des stratégies foncières. C’est le principal axe permettant de soutenir les projets comme les ETA. Pour un élu communal Mond’Arverne Communauté, c’est « une opération intéressante qui permet d’avoir un embryon de politique agricole et qui ne coûte pas grand-chose ». 26 Parfois, la collectivité possède déjà des terres comme à l’agglomération drômoise de Valence, Romans Agglomération, parfois elle fait l’acquisition de terrains agricoles comme dans l’agglomération de Limoges. Depuis 2006, la SAFER informe les élus des mouvements fonciers de leur commune à travers une veille foncière. Elles peuvent aussi s’impliquer à travers des conventions signées avec la SAFER pour du stockage foncier temporaire ou du portage foncier (Léger-Bosch, 2015). Ces conventions permettent aux collectivités de s’impliquer lorsqu’il y a une « inadéquation de calendrier entre cédant et repreneurs de fermes » (Martin, 2016, p. 58). L’action sur le foncier peut également être facilitée par l’intervention de Terre de Liens, qui acquiert du foncier agricole grâce à des dons et à de l’épargne solidaire de citoyens ou en devenant elle- même acquéreuse. L’acquisition est la principale stratégie foncière concernant le développement de l’ETA pour la Communauté de communes Val de Drôme. La collectivité a été l’une des premières à mettre en place une politique de stockage foncier en 2014 en collaboration avec la SAFER. 27 L’orientation de la politique agricole peut également passer par des logiques d’incitation, c’est-à-dire, l’encouragement, explicite ou non, à orienter les productions agricoles dans une direction donnée. Ces incitations peuvent passer par de la démonstration (montrer aux autres agriculteurs que des alternatives existent en termes de production, de débouchés…), mais aussi par la valorisation de certaines Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 11 productions (créer du débouché, de l’accompagnement technique…). À Mond’Arverne Communauté, où le projet de territoire est en cours d’élaboration, le président du Syndicat mixte compte, à partir de l’exemple de l’ETA entre autres, réussir à réorienter les agriculteurs « arrivés au bout de leur système » vers d’autres productions. L’ETA est ici conçu comme un espace de démonstration visant à convaincre et servir de modèle en faveur d’une transition écologique. Ainsi, le Président du syndicat mixte « (je) ne veux pas opposer l’agriculture conventionnelle et l’agriculture bio, mais malgré tout, les conventionnels, on a à se poser des questions, c’est un modèle qui sera une péripétie de l’histoire je pense […] j’espère que ce sera vite oublié. De toute façon, je pense que le modèle il ne tiendra pas ». 28 L’ETA sert ainsi de justification d’une politique agricole et alimentaire locale émergente, ou à tout le moins d’illustration des orientations possibles privilégiées. En ce sens, il est intégrateur, car s’y retrouve des politiques publiques agricoles et alimentaires Les premières concernent la production et la mise en marché alors que les secondes touchent la transformation et la consommation (Fouilleux, 2008). Pour certaines collectivités, il permet d’engager les prémices de cette politique, comme pour Monts du Lyonnais, ou alors il vient en renforcement d’une politique existante et d’une démarche de plus en plus fréquente de développement d’une agriculture de proximité (Guiomar, 2011). Cette politique d’intervention sur le foncier agricole participe également de la compétence d’aménagement du territoire et de développement local qui sont un enjeu central de la coopération intercommunale. Cela ressort des entretiens des agents des collectivités, lorsqu’il s’agit d’évoquer la redynamisation de territoires en déprise. On le retrouve également avec l’idée de faire connaître les rôles de l’agglomération, comme l’évoque un chargé de mission de Valence Romans Agglo : « Comme c’est un peu emblématique et symbolique, l’idée c’est aussi un peu de permettre de faire connaitre l’agglo sur cette thématique-là en se disant que les territoires, via la commune ou via les approches d’agriculture urbaine ou d’aménagement du territoire, sont des acteurs d’aménagement du territoire et donc de la préservation de l’agriculture, et qu’on a un rôle de facilitateur ». Circuits courts alimentaires 29 Liée aux politiques alimentaire ou agricole, la valorisation des circuits courts participe d’un dynamisme économique du territoire et de mise en avant de la production locale et du territoire (Chiffoleau, 2017). Les ETA appuyés par les collectivités sont perçus comme étant susceptibles de participer à l’instauration ou la pérennisation de ces circuits courts. On note chez les collectivités interrogées une volonté politique de la part de collectivités locales de territorialiser l’offre alimentaire et de revenir à une production locale qui mette en avant les atouts régionaux. On trouve dans les entretiens une récurrence de certaines expressions liées aux circuits courts telles qu’« accompagner l’économie circulaire », « tissu économique local et alimentation de qualité », « réseaux de distribution locale », « soutenir la production locale », « développement économique local ». Cette volonté découle également des porteurs de projet, qui pour la plupart souhaitent privilégier la vente en circuit court qui leur permettrait une meilleure valorisation de la production, une réduction de la distance entre le producteur et le consommateur, ainsi qu’une évolution des rapports à l’alimentation et l’agriculture. Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 12 30 Les collectivités vont donc encourager et favoriser la vente en circuit court en proposant des débouchés, par exemple en offrant un contrat avec la cantine scolaire, en mettant en relations les testeurs d’activité avec les consommateurs ou les systèmes de revente en circuits courts. Elles accompagnent les porteurs de projet jusqu’à, parfois, imposer un quota à respecter : la métropole de Limoges prévoit de demander que 20 % de la production des porteurs de projet soit distribuée à la restauration scolaire au sein de l’agglomération, la restauration collective étant l’un des points d’ancrage du projet d’espace-test agricole. Selon un chargé de mission de Limoges Métropole, « ce sera une condition d’entrée en test ». Cependant les autres collectivités interrogées laissent le champ libre aux porteurs de projet concernant leurs débouchés et proposent essentiellement un accompagnement. C’est ce que rappelle un chargé de mission Valence Romans Agglo : « sur les tests on a demandé qu’il y ait une dynamique de circuits courts, pas une exclusivité évidemment, mais qu’ils puissent faire le lien […] Le rôle de la communauté de communes est aussi de faire le lien avec les réseaux de distribution locale, les points de vente collectifs, marchés, paniers, ou les autres opérateurs, comme la restau(ration) co(llective) par exemple ». 31 La promotion des circuits courts est donc un aspect important dans la mise en place des ETA conçu comme devant recréer un lien entre les différents acteurs du territoire. Pour les porteurs de projet, cette dimension leur permet de construire leur réseau de consommateurs et ainsi d’amener les testeurs à s’installer définitivement sur le territoire en sortie de test. Projet Alimentaire Territorial 32 Quelques collectivités placent l’ETA au cœur du projet alimentaire territorial 3 (PAT). L’imbrication des ETA à des PAT peut servir à lever les réticences de certains acteurs, politique notamment, en s’inscrivant dans une politique alimentaire plus large encore. Pour les collectivités plus urbaines, les enjeux agricoles constituent parfois une nouveauté. C’est le cas de l’agglomération de Limoges, où la chargée de mission qui s’occupe du montage de projet d’ETA a fait face à des réticences de la part de la Direction Générale, concernant la légitimité de l’agglomération à travailler sur le domaine agricole alors qu’elle n’avait pas de compétence spécifique en agriculture. Ces réserves se sont dissipées quand l’initiative a été intégrée à un PAT. C’est également le cas de la métropole stéphanoise qui envisageait ainsi au sujet de l’ETA des Monts du Lyonnais, selon son chargé de projet agricole : « Ça nous intéressait parce que nous, on se posait beaucoup de questions par rapport à ces espaces-test, on savait bien qu’il en faudrait un sur le sud de la Loire donc on était très moteur pour en faire un, mais on n’a jamais eu le courage de provoquer l’occasion, donc là, ce projet, c’était vraiment une opportunité ». 33 Limoges pose son projet de test d’activité agricole, en création, « comme maillon essentiel, mais pas unique » d’un PAT. L’un des objectifs principaux de ce futur espace- test sera de fournir les cantines scolaires en produits locaux, selon une volonté actée par les élus. Dans le cas du Syndicat mixte qui porte le projet d’Ecopôle dans lequel se déploie un ETA, son président note « les connexions transversales entre tous les projets, ETA, PCAET, PAT, … ». Il place ainsi non seulement l’ETA au sein de son PAT, mais il l’inclut également comme un outil du plan climat, air, énergie territoriale. Dans la région drômoise, l’ETA est également vu comme un outil au service du PAT, comme le fait remarquer la chargée de mission de Valence Romans Agglomération, en évoquant l’élaboration d’une stratégie agricole « globale » : « Ce qui est intéressant c’est que ça s’est Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 13 articulé avec tout le reste de la politique agricole, stratégie alimentaire, enjeu foncier, avec plein d’autres choses, donc c’est comme ça que ça a recollé et que ça a pris tout son sens dans un dispositif bien plus global que juste l’approche espace-test, qui n’aurait pas eu de sens par lui tout seul au milieu de nulle part ». 34 Le PAT, lancé en 2014, encourage la relocalisation de l’alimentation dans un contexte où des porteurs de projets sont de plus en plus enclins à s’intégrer dans des circuits courts. Dans les ETA comme dans les PAT, ce n’est pas uniquement le plan en tant que tel qui attire l’intérêt des différents acteurs, mais bien l’articulation de différents niveaux d’action et de répercussions. « Si c’est juste posé comme ça au milieu de nulle part sans aucune stratégie autour, dira un chargé de mission Valence Romans Agglo, ça parait compliqué, par contre s’il y a une action avec un projet agricole ou un projet alimentaire avec une volonté de favoriser la production, c’est un outil intéressant ». L’espace-test est donc un outil au service de politiques publiques aux yeux des acteurs des collectivités. Il présente également d’autres avantages que sont la mise en avant d’un territoire agricole et sa redynamisation grâce à l’installation de nouveaux actifs ainsi que le moyen d’un apprentissage collectif au service du territoire. Un instrument d’attractivité territoriale 35 À travers la prise en considération de la politique agricole et l’incitation à la création de circuits-courts, l’adoption d’ETA par les collectivités participe de la promotion du territoire. Le test d’activité agricole est posé comme un accomplissement du territoire, de la collectivité. L’ETA doit en conséquence être vu. Il importe d’en faire un espace pédagogique qui s’adresse à la population, à travers la mise en place d’activités scolaires, de circuits pédagogiques ou de lieux de rencontre collectifs. C’est le cas à Valence Romans Agglo où l’expression « enjeu pédagogique » apparaît à plusieurs reprises dans l’entretien mené auprès du chargé de mission. C’est le cas également à l’Ecopôle de Billom communauté, explicitement affiché comme un lieu de démonstration et de pédagogie dans lequel l’ETA s’intègre. Pour le Président du Syndicat mixte, non seulement l’ambition est qu’il soit un « lieu d’apprentissage et de diffusion », mais au-delà, « il faudrait 10-15 ETA dans la région qui seraient des lieux de démonstration, que les gens aillent voir ». 36 L’ETA peut aussi être un espace de démonstration à destination d’autres collectivités, afin de faciliter le transfert d’expérience, à l’exemple de l’ETA de Billom communauté, dont la chargée de projet assume l’« idée d’être un modèle dans les démarches pour transposer ailleurs »4. Le lieu-test est donc toujours objet de démonstration, mais cette fois avec pour objectif l’essaimage d’une démarche et le retour d’expérience. On retrouve cette situation dans le Val de Drôme, ce que décrit un chargé de mission de la Communauté de communes : « L’argument c’est de dire que l’ETA de la Communauté de communes Val de Drôme c’était l’ETA des ETA : un des premiers espace-test en France, un des fondateurs du RENETA, donc on ne peut pas laisser toute cette expérience, cette capitalisation d’expérience […] il faut faire une transmission aux acteurs du territoire pour se rappeler l’histoire de ce projet, prendre conscience de ce qui a fonctionné, dysfonctionné ». 37 Cette volonté de montrer l’accomplissement de la collectivité est visible à travers des articles de presse dans les magazines des intercommunalités notamment, ou sur les sites web locaux, ou encore par la présence à des fêtes de villages. Lors d’un comité technique, le chargé de projet d’une collectivité territoriale a également proposé Géocarrefour, 94/4 | 2020
L’Espace-test agricole comme outil des collectivités territoriales 14 d’accoler sur les produits de l’ETA une étiquette mettant en avant l’implication de la commune. Les inaugurations de lieux-test fournissent donc des opportunités de mise en visibilité, comme le note un chargé de mission de Mond’Arverne Communauté : « les élus vont adorer, couper du ruban, communiquer à fond, c’est hyper consensuel, c’est royal pour eux [les élus] » peut-être aussi pour ça que le projet a été adopté aussi vite : peu de moyens, très visible et marche bien, pas un pari trop risqué ». Le constat est le même chez un autre chargé de mission : « On coupe les rubans, tout le monde se glorifie un peu ». La dimension du temps politique prend alors toute son importance, notamment lorsque c’est un projet porté et monté par la collectivité plutôt que par un acteur extérieur. Dans le cas du projet de Limoges par exemple, la chargée de mission responsable de l’espace-test précise qu’il est impératif qu’un porteur de projet soit installé en test d’ici 2019 afin d’avoir quelque chose de concret à montrer. 38 On assiste de la sorte à une mise en avant des réalisations de la collectivité et des élus. Les élus assument la fierté qu’ils tirent de la réalisation : « un projet public doit être présenté comme un récit et faire rêver ». De manière plus pragmatique, une chargée de mission de Val de Drôme explique, en parlant des élus : « mais oui ils en sont fiers, comme le fonds d’intervention foncière, ils en sont fiers … Il y a beaucoup de travail de fond de la Communauté de communes, mais du coup avoir aussi des actions phares comme ça c’est important ». À l’inverse, certains acteurs disent se garder de trop communiquer sur les ETA avant qu’ils ne soient considérés par les élus comme « propres » et « présentables » 5 . 39 Davantage qu’un espace de démonstration, l’ETA peut être appréhendé comme un outil de redynamisation du territoire, grâce aux installations futures espérées sur la zone du test, ou dans la région. Ces installations correspondent à des attentes de toutes les collectivités mettant en place des ETA. Attentes qu’on trouve chez les chargés de mission, mais surtout chez les élus qui ont moins conscience que le test peut ne pas déboucher sur une installation et qui sont en demande de retombées visibles. Un chargé de mission de Val de Drôme déclare à ce propos : « Ce que je veux dire c’est que si c’est des financements agricoles il faut un peu installer, sinon on prend des financements du fonds social européen ou de l’aide sociale parce qu’on aide des gens dans une reconversion professionnelle, c’est autre chose ». 40 Lorsque l’ETA n’engendre pas d’installations, certains élus appréhendent d’avoir à rendre des comptes à leurs collègues ou à l’intercommunalité, et doivent expliquer que l’évaluation des retombées d’un ETA doit se faire sur un temps long. Pour un élu de Roanne, « il faut voir ça sur 10 ans, on peut pas faire de bilan avant. Moi c’est comme ça que je vais essayer de le vendre ». Selon un chargé de mission de Valence Romans Agglo, l’espace-test permet ainsi de « créer une dynamique d’installation avec un enjeu économique, pédagogique et environnemental, parce qu’on y met la dimension qu’on veut, c’est un outil hyper intéressant ». L’ETA comme mécanisme d’apprentissage 41 Au-delà des installations, la redynamisation des territoires peut également passer par l’implication de la population du territoire concerné, par la mise en réseau créée par l’ETA même ou par la démarche pédagogique qui s’y inscrit. Par démarche pédagogique, nous n’entendons pas exclusivement la transmission descendante de savoir vers du public scolaire. Cela peut être le cas tel que l’intention affichée à Billom Géocarrefour, 94/4 | 2020
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