La crise de la pandémie : catastrophe ou catalyseur ? Réflexions sur la situation du Covid 19 en Inde à partir d'une perspective teilhardienne
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La crise de la pandémie : catastrophe ou catalyseur ? Réflexions sur la situation du Covid 19 en Inde à partir d'une perspective teilhardienne Valerian Mendonca, sj. Crise de la pandémie en Inde actuellement1 Depuis plus d'un an, le monde entier traverse une crise due à la pandémie de Covid-19 causée par le virus SRAS-CoV-2, communément appelé Coronavirus. En Inde, la crise a atteint un niveau catastrophique car le tsunami de la deuxième vague de la pandémie - avec le Coronavirus double mutant hautement transmissible - fait des ravages dans de nombreuses régions du pays. Selon les chiffres fournis par le tableau de bord Covid-19 du gouvernement indien2 et le centre de ressources sur les coronavirus de l'université John Hopkins3, depuis le 21 avril 2021, l'Inde a dépassé le seuil des 300.000 infections quotidiennes par le Covid-19, battant ainsi tous les records mondiaux précédents. En deux semaines, les cas quotidiens signalés ont franchi la barre des 400.0004 et plus de 3 500 personnes meurent chaque jour. Au moment où je commence à écrire cet article, le nombre total de cas positifs confirmés de Corona a dépassé les 21 millions et le nombre total de décès signalés est supérieur à 230.0005. Avec une charge de travail actuelle de 3,6 millions de cas, dont beaucoup nécessitent des soins médicaux, les hôpitaux du pays sont sollicités au-delà de leurs capacités en raison du manque d'oxygène, de ventilateurs et de lits6. Le système de santé indien est au bord de l'effondrement. Chaque jour, j'entends la nouvelle que de plus en plus de mes confrères, amis et parents jésuites sont infectés par ce virus. Comme quelques-unes de ces personnes touchées - souvent de jeunes adultes que je connaissais très bien - ont succombé à ce virus mortel, la situation semble terriblement sombre et effrayante. Dans une situation sans précédent comme celle-ci, que puis-je faire pour atténuer la crise ? Je reste désemparé. À part les actions qui suivent : collecter et distribuer du matériel de secours de base pour les migrants pauvres de la ville, durement touchés à la fois par la pandémie et par le confinement, ou aider l'administration de la ville par l'intermédiaire des ONG à résoudre les problèmes des migrants grâce à des "centres d'appel de détresse", ou organiser quelques camps afin de donner du sang pour les nécessiteux dans les hôpitaux, ou organiser des services de prière en solidarité avec ceux qui souffrent et ceux qui sont morts, on se sent impuissant en ces temps de crise. Il semble qu'il y ait très peu de possibilités de tendre la main aux autres physiquement. Le variant actuel du coronavirus se propageant rapidement comme une traînée de poudre, la seule solution prudente 1 Article terminé le 10 juin 2021. 2 Voir "Government of India - Covid-19 Dashboard.” 3 Voir "“John Hopkins Corona Virus Resource Center.” 4 Selon le Professeur Ashish Jha, Directeur de l'Ecole de Santé Publique de l'Université Brown, "bien que l'augmentation quotidienne officielle du nombre de cas soit de 412.000 (au 5 mai), il pense qu'elle se situe probablement entre 15 et 20 millions par jour si l'on inclut les infections non détectées". Thaper et Jha, "Kumbh Mela Shahi Snans Biggest Super-Spreaders in Pandemic's History". 5 Selon Murad Banaji, Maître de conférences en mathématiques à l'université Middlesex de Londres, "Au 8 mai, le nombre officiel de décès est légèrement supérieur à 238.000 et Murad Banaji affirme que cela signifie que les décès non enregistrés seront cinq fois plus nombreux, ce qui porte le nombre total de décès (décès officiels et non enregistrés confondus) à un million, voire plus." Thaper et Banaji, "1 Million Indians May Have Already Died of Covid-19" ; Voir également Thaper et Tumbe, "A Million Indians Will Likely Have Died". 6 Voir Bajekal, "India's Covid-19 Crisis Is Spiraling Out of Control".
2 semble être de rester chez soi afin de ne pas être infecté par le virus et, en l'absence de tout symptôme dans les premiers jours, de ne pas le transmettre aux autres sans le savoir. Bien que la crise actuelle du Covid-19 en Inde soit tellement sombre et désolante, il est réconfortant d'apprendre que l'Inde reçoit le soutien et l'aide de nombreux pays éminents. "Plus de 40 pays se sont manifestés pour offrir leur aide dans la mesure du possible. Nous avons reçu des engagements d'assistance d'Europe, de la région du Golfe et même d'autres parties du monde, d'Australie, de la Nouvelle-Zélande et de pays comme la Guyane qui sont géographiquement plus éloignés", rapporte The Hindu7, un journal de premier plan, citant un fonctionnaire du gouvernement central. On peut trouver dans d'autres journaux de tels rapports décrivant l'aide qui afflue de la part de plusieurs partenaires et voisins de l'Inde. Jamais auparavant nous n'avons connu à ce point ce sentiment positif d'être aidés par d'autres nations. Je commence à me demander : cette crise nous a-t-elle rapprochés de la communauté mondiale beaucoup plus qu'auparavant ? Pratiquement obligé de rester chez moi dans le Tamil Nadu, l'État où je vis en Inde, à cause du confinement - et aussi isolé dans ma chambre depuis qu'un des membres de notre communauté jésuite a été testé positif au Covid-19 - je suis assis à mon bureau et je réfléchis à la crise que nous traversons en ce moment. Qu'est-ce qu'une crise ? En termes simples, le terme de crise peut être expliqué comme une situation où un système significativement complexe a atteint une phase critique dans laquelle quelque chose ou quelqu'un est affecté, ou menace d'être affecté, par un ou plusieurs problèmes graves. Une crise survient lorsque la situation est ou est devenue complexe : elle survient de manière inattendue, crée de l'incertitude et représente un danger imminent pour le système existant. En d'autres termes, une crise appelle un changement immédiat car l'ancien système ne peut plus être maintenu. Il existe différents types de crises : économiques, politiques, environnementales, sanitaires, etc. Ces crises peuvent soit entraîner une défaillance catastrophique du système - en raison de la gravité du problème ou de l'absence de changement en temps voulu - soit, grâce à une action décisive, servir de catalyseur pour un ordre nouveau. À mon avis, la crise découlant de la deuxième vague de Covid-19 peut être transformée de catastrophe en catalyseur de changement grâce à une action immédiate et à une solution durable. Opinion de Teilhard sur les crises Pour transformer la crise en catalyseur de changement, nous pouvons, à mon avis, trouver quelques idées philosophiques significatives chez Pierre Teilhard de Chardin (1881-1955), philosophe, théologien, géologue et paléontologue très doué, dont on a célébré le 140ème anniversaire de la naissance le 1er mai 2021. Ses réflexions sur l'une des plus grandes crises du XXème siècle - la Grande Guerre - sont très pertinentes aujourd'hui. Il est certain que son expérience de la crise de la Grande Guerre8 a eu un impact immense sur le développement de sa pensée. Comme je l'ai expliqué ailleurs9, la Grande Guerre elle-même a été le résultat de l'explosion de la collusion de nombreux facteurs complexes, parmi lesquels la crise inhérente à la vision du monde de la modernité était un facteur sous-jacent et dominant. Cette guerre interminable, avec son lot de souffrances intenses, d'immenses frustrations et d'innombrables pertes de vies, provoquait chaos chez les soldats du front une crise d'ambivalence et de chaos, ainsi que chez les civils, dans une certaine mesure. Il est intéressant de noter que, comme le montrent ses Écrits du temps de la guerre10, les premières réflexions de Teilhard naissent de la blessure de la guerre elle-même. Au milieu de cette crise, il acquiert la conviction que toute crise - si nous la regardons avec la perspective adéquate - peut devenir 7 Bhattacherjee et Peri, "Oxygen and Medical Support Coming from 40 Countries" ; Patel, "French Oxygen Giant Diverts Supply to India's Overwhelmed Hospitals" ; Haider, "22 Tonnes of Covid-19 Supplies from Russia". 8 Teilhard a servi dans la Grande Guerre sur le front occidental du 20 janvier 1915 à la fin de la guerre le 11 novembre 1918. Il est mobilisé en décembre 1914 comme brancardier non-combattant attaché au 4e régiment mixte de tireurs d'élite et de zouaves. Il est démobilisé le 10 mars 1919. 9 Voir Mendonca, " Panentheistic Interconnectedness ",p 43. 10 Voir Teilhard de Chardin, Ecrits du temps de la guerre.
3 le catalyseur d'un nouvel éveil. Dans son premier essai datant de la guerre, il écrit : "Presque sans condamnation, donc, je verrai, pour commencer, sévir dans la pensée et les passions humaines la crise, compagne de tous les éveils, je [la] regarderai naître et se développer dans le secret des âmes."11 Sans nier l'énorme tragédie, il se rend compte que la guerre a rapproché les nations et que l'humanité se rapproche d'une plus grande unité12. "Que sortira-t-il de cette effroyable lutte ?", demande-t-il ; puis il la définit comme "la crise et l'évolution désespérément lente d'un renouveau européen."13 Ainsi, au lieu de se trouver dans une " impasse " de désespoir et de fatalisme aveugle pendant la guerre, le prêtre-soldat s'est engagé dans la bataille intellectuelle pour s'élever au-dessus de la tranchée de la crise jusqu'à un catalyseur d'espoir qui évoque l'interconnexion entre Dieu, les humains et le monde14. Les réflexions de Teilhard pendant la guerre deviennent un cadre qui sera celui de sa pensée tout au long de sa vie. Le concept de crise est un élément intégré dans le schéma de la théorie de l'évolution biologique de Teilhard. Au cours de l'évolution, explique Teilhard dans Le Phénomène humain, une crise survient au seuil de chaque couche lorsque celle-ci atteint un certain niveau de complexité.15 Par exemple, la naissance de la vie dans la cellule ou la naissance de la pensée chez l'être humain est le résultat d'une crise dans la couche précédente lorsqu'elle a atteint un degré de complexité suffisant. Lorsque la complexité atteint un seuil, elle donne naissance à une nouvelle couche en se repliant ou en s'enroulant sur elle-même par un processus de convergence. En d'autres termes, c'est à la suite de la crise ou de l'instabilité de la complexité dans la géosphère que la vie dans la cellule est née, ouvrant la voie à une nouvelle couche, à savoir la biosphère. De même, lorsque la conscience dans la couche de la biosphère atteint un niveau de complexité, la couche fait un bond16 ou un saut17 pour donner naissance à la pensée ou à la conscience de soi chez l'être humain. Teilhard appelle cette couche de pensée planétaire - qui est le stade actuel de l'évolution - la noosphère18. Il explique qu'un enveloppement planétaire a lieu à ce stade par l'entrelacement phylétique des particules réfléchissantes qu'il appelle "la conscience collective."19 Dans L'Avenir de l'Homme, il entrevoit que "dans un point de réflexion collective où l'Humanité, ayant réalisé (à la fois techniquement et intellectuellement), en soi et autour de soi, le maximum de cohérence possible, se trouvera portée à un point critique supérieur."20 Or, selon Teilhard, toute convergence est une forme de crise, une perturbation du rapprochement. Néanmoins, comme nous l'avons déjà mentionné, la crise profonde deviendra un catalyseur pour dépasser le présent et faire naître quelque chose de nouveau. L'évolution humaine et les virus À la lumière de notre discussion sur les vues de Teilhard quant à la pertinence de la crise comme catalyseur de changement dans le cours de l'évolution, voyons maintenant comment nous pouvons comprendre notre crise actuelle due à la pandémie de coronavirus. Peut-être ses idées peuvent-elles nous aider à situer les pandémies dans un schéma évolutif et ses idées peuvent-elles nous guider pour répondre aux crises pandémiques. Tout d'abord, examinons les virus et leur rôle dans l'évolution humaine. 11 Teilhard de Chardin, “La Vie cosmique(1916),” p 7. 12 Voir Genèse d'une Pensée, Lettres 1914 – 1919, p 160. 13 Speaight, Teilhard de Chardin, p 68. 14 Voir Teilhard de Chardin, “La Vie cosmique(1916), p 6. 15 Voir Mendonca, " Panentheistic Interconnectedness ",p 166 16 Voir Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, p 128. 17 Voir Teilhard de Chardin, “La Structure phylétique du Groupe humain" (1951), dans L'Apparition de l'Homme”. 18 Voir Teilhard de Chardin, “La Formation de la Noosphère (1947),” p 227. 19 Voir Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain. 20 Teilhard de Chardin, “Le rebondissement humain de l'Evolution (1947),” p 255
4 Du point de vue de l'évolution, la coexistence des cellules et des virus est aussi ancienne que la naissance de la vie dans la cellule. En d'autres termes, l'interaction entre les hôtes (cellules) et les parasites (virus) est importante pour l'évolution biologique. Les virus sont définis comme des "éléments génétiques transmissibles à base d'acide désoxyribonucléique (ADN) ou d'acide ribonucléique (ARN) qui ont besoin d'une cellule pour se multiplier"21. En termes simples, un virus est un parasite génétique moléculaire non autonome qui utilise des cellules pour sa réplication22. En tant que non-autonome, il est non-vivant ; mais, en tant que parasite, il peut se répliquer dans une cellule hôte. En se répliquant dans la cellule, il peut simplement tuer les hôtes moins adaptés. Dans les organismes vivants, cette activité de réplication des virus en nombre amplifié entraîne soit une maladie, et parfois même la mort de l'organisme, soit une réponse immunitaire de l'hôte aux parasites. Bien que les virus soient, en tant qu'ennemis parasites invisibles, des agents de la maladie, ils sont également bénéfiques dans la toile de la vie. La crise générée par les virus dans les cellules est peut- être la force motrice qui pousse les organismes à faire évoluer en permanence leur système immunitaire. L'interaction des êtres humains avec les virus a peut-être été un facteur clé dans le façonnement de l'évolution, de la culture et de la civilisation humaines23. Selon une étude récente, un agent pathogène viral aurait contribué à la disparition complète de l'espèce Neandertal24. S'inspirant de la mortalité massive des Amérindiens immunologiquement naïfs - suite à l'introduction de maladies virales comme la rougeole et la variole - lorsqu'ils sont entrés en contact avec les Européens au cours des premières invasions, l'étude soutient que les humains modernes qui ont migré de l'Afrique vers l'Europe étaient porteurs d'un agent pathogène viral étranger aux Néandertaliens en Eurasie. Alors que le système immunitaire des humains modernes était adapté au virus avant qu'ils ne quittent l'Afrique, les Néandertaliens - bien que physiquement plus forts que les humains modernes - ont été anéantis de manière catastrophique par l'attaque du virus. Bien que l'espèce des Neandertals ait été conduite à l'extinction par le virus mortel inconnu, les humains modernes ont providentiellement survécu à la crise grâce à un catalyseur d'adaptation évolutive. Mais leur conflit avec les virus n'a jamais cessé. Comme le montre l'histoire, à travers les maladies infectieuses, les virus ont régulé la répartition géographique ainsi que la densité des populations. Les épidémies provoquées par divers virus ont réduit de manière drastique des villes densément peuplées, et parfois même anéanti complètement certaines civilisations. Une autre étude récente25, basée sur l'analyse paléopathologique des restes squelettiques de Harappa, conclut que la civilisation de la vallée de l'Indus (3000-2000 avant J.-C.) - connue pour ses villes bien conçues - pourrait avoir été conduite à l'extinction principalement par une explosion épidémique de certains types de pathogènes viraux, alimentée par la croissance démographique et la dégradation de l'environnement. L'histoire regorge d'exemples de ce type qui montrent que les villes densément peuplées sont vulnérables aux épidémies virales26. Néanmoins, comme les populations humaines ont rapidement augmenté en nombre et en densité, grâce aux progrès technologiques, de nouveaux types d'agents viraux ont également évolué, émergé ou ré-émergé. En outre, en raison de la mobilité croissante des êtres humains due à la navigation transocéanique et aux migrations transcontinentales rapides, les virus se sont eux aussi répandus rapidement et largement. Si l'histoire récente a connu de nombreuses épidémies virales, la grippe espagnole de 1918, la grippe asiatique de 1957, la grippe de Hong Kong de 1968 et la grippe porcine 21 Domingo, “Introduction to Virus Origins and Their Role in Biological Evolution.” 22 Voir Villarreal, Viruses and the Evolution of Life, ix. 23 Voir de Souza Leal and de Andrade Zanotto, “Viral Diseases and Human Evolution,” p 193. 24 Voir Wolff and Greenwood, “Did Viral Disease of Humans Wipe out the Neandertals?” 25 Voir Robbins Schug et al., “Infection, Disease, and Biosocial Processes at the End of the Indus Civilization.” 26 Voir Clark, How Epidemics Shaped Who We Are Today (Chapitre 4).
5 de 2009 sont considérées comme des pandémies de grippe27. Parmi celles-ci, la plus grande attaque virale enregistrée à l'échelle mondiale est la pandémie de 1918, généralement appelée "grippe espagnole"28. Une étude approfondie de cette pandémie - la façon dont la crise s'est transformée en catastrophe - peut nous fournir des connaissances cruciales pour comprendre la pandémie de Covid- 19. La pandémie de 1918 : Une crise catastrophique Il n'existe pas de consensus clair au sein de la communauté scientifique concernant l'origine de la grippe espagnole ou de la grande grippe de 191829. Quoi qu'il en soit, cette épidémie de grippe serait restée une épidémie - comme toutes les autres épidémies du passé - sans la Première Guerre mondiale, ou la "Grande Guerre" comme on l'appelle souvent, qui a alimenté son explosion au niveau mondial. En effet, ce sont les soldats et les ouvriers - recrutés dans le monde entier - qui ont permis au virus d'atteindre les différents continents en un rien de temps. Cependant, les véritables champs de bataille étaient les navires surpeuplés, les camps militaires et les casernes où l'ennemi invisible a mené sa puissante guerre, tuant peut-être plus de soldats et de civils que la guerre. Le virus a attaqué en trois vagues. La première vague de grippe, qui a débuté au printemps 1918, a d'abord attaqué les camps militaires aux États-Unis, en Europe et dans les pays coloniaux, puis s'est propagée aux civils locaux. Les deuxième et troisième vagues, qui ont éclaté respectivement à l'automne 1918 et à l'hiver 1918-1919, ont été meurtrières en termes de volume d'infections et de décès30. Avec un virus muté, la grippe des deuxième et troisième vagues a frappé au-delà des militaires, infectant la majorité des populations dans les villes du monde entier. Si la première vague a tué quelques personnes, les deuxième et troisième vagues ont été létales. Selon certaines sources, la Grande Grippe a provoqué une maladie aiguë chez au moins 500 millions de personnes31 - 25 à 30 % de la population mondiale de l'époque - et a tué au total au moins 50 millions de personnes dans le monde, et peut-être même jusqu'à 100 millions32. Il est choquant de constater que, rien qu'en Inde, on estime que 20 millions de personnes ont succombé à ce virus mortel33. Il est étonnant que le souvenir de la pandémie de 1918-20 - peut-être la plus grande catastrophe démographique du sous- continent indien, qui a fait disparaître 20 millions de personnes en quelques mois - ait été complètement oublié. Malheureusement, la pandémie de 1918-20 n'est pratiquement pas abordée dans les livres d'histoire indiens enseignés dans les écoles et l'épidémie de grippe de 1918 n'est pas non plus étudiée dans les facultés de médecine. On peut dire que si, en Occident, la pandémie a été éclipsée par la crise de la Première Guerre mondiale, en Inde, elle a été éclipsée par le mouvement pour la liberté34. 27 Voir Morens and Fauci, “The 1918 Influenza Pandemic: Insights for the 21st Century”; voir également Prentice, Managing Epidemics: Key Facts about Major Deadly Diseases, 144; et aussi Akin and Gözel, “Understanding Dynamics of Pandemics.” 28 On l'appelle "grippe espagnole" parce qu'elle a été signalée pour la première fois par les médias libres dans une Espagne neutre sur le plan de la guerre. De nombreux autres pays - ne voulant pas affaiblir davantage le moral des citoyens et des soldats, déjà déprimés par la guerre qui entrait dans sa quatrième année en 1918 - avaient censuré les informations relatives à la pandémie. Voir Brown, Influenza : The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History (chapitre 3). 29 Voir Brown (Chapitre 3). 30 La troisième vague a été tout aussi meurtrière que la deuxième, bien qu'elle ait fait deux fois moins de victimes que cette dernière. 31 Voir Taubenberger, “The Origin and Virulence of the 1918 ‘Spanish’ Influenza Virus.” 32 Voir Barry, The Great Influenza: (Prologue); Voir Arnold, Pandemic 1918: Eyewitnesses; Voir Brown, Influenza: The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History; Voir Morens and Fauci, “The 1918 Influenza Pandemic: Insights for the 21st Century.” 33 Voir Tumbe, The Age of the Pandemics (Chapt 4: Influenza); See also Barry, The Great Influenza, p 397. 34 Voir Tumbe, The Age of the Pandemics (Chapt 4: Influenza/The Disappearance of Memory).
6 Néanmoins, en 1918, le monde n'était pas prêt pour cette crise sans précédent. La crise pandémique s'est transformée en catastrophe pour trois raisons importantes, parmi d'autres : le monde n'avait pas les connaissances nécessaires sur le virus, d'où la peur ; il n'était pas du tout préparé à une telle épidémie, d'où la panique ; il n'a pas pu réagir rapidement pour contenir la maladie, d'où la réaction du monde au seul virus35. À tous points de vue, la pandémie de Covid-19 ressemble beaucoup à la grippe de 1918 en ce qui concerne les schémas de comportement du virus dans le déroulement de la pandémie36. Comme le virus de la grippe de 1918, le coronavirus de 2019 aime les voyages transocéaniques et transcontinentaux, il se régale des populations denses et attaque par vagues. Préparation à une crise pandémique : Les leçons du passé Les virus ne cesseront jamais d'apparaître et de réapparaître. Dans un passé lointain, les agents pathogènes viraux ont provoqué des épidémies et des pandémies qui ont souvent réduit les populations de diverses civilisations, voire les ont complètement anéanties. Bien que nous ne disposions pas actuellement de suffisamment de preuves pour déterminer si les épidémies et les pandémies apparaissent dans des "cycles prévisibles", un coup d'œil sur les trois derniers siècles nous incite à supposer raisonnablement qu'il semble y avoir une sorte de périodicité. Au cours des 300 dernières années, il y a eu au moins 14 pandémies, dont Covid-19. Lors de leur apparition périodique, l'intervalle inter-pandémique le plus court est de 8 ans tandis que le plus long est de 42 ans37. Il y a tout juste trois ans, dans un livre célébrant le centenaire de la pandémie de 1918, une question cruciale a été soulevée : "Sommes-nous prêts pour la prochaine pandémie de type 1918, celle dont l'arrivée, selon les experts, n'est qu'une question de temps ?"38 Un autre plan de lutte contre la pandémie de grippe affirme catégoriquement que "la grippe pandémique n'est pas une menace théorique, mais plutôt une menace récurrente. Même ainsi, nous ne savons pas quand la prochaine pandémie se produira, ni quelle sera sa gravité."39 Aussi effrayant que cela puisse paraître, les scientifiques et les virologues affirment que les pandémies se produiront de temps en temps, car de nouveaux virus apparaissent - ou, parfois, les descendants d'un virus "éteint" réapparaissent - contre lesquels la plupart des gens ne sont pas immunisés.40 Cela signifie que nous ne pouvons pas éviter les crises pandémiques, mais qu'avec une meilleure planification, nous pouvons les empêcher de devenir des catastrophes. En évaluant la crise de la pandémie de 1918, comme nous l'avons fait précédemment, nous pouvons raisonnablement affirmer que, pour s'organiser contre une pandémie, nous devons nous concentrer sur trois domaines majeurs : (1) une connaissance suffisante du virus, (2) la préparation à l'apparition d'une pandémie, et (3) une réponse rapide pour contrôler la pandémie. L'acquisition de connaissances sur le virus est la première et la plus importante étape de notre lutte contre toute pandémie. Il ne fait aucun doute que la communauté scientifique a fait un énorme bond en avant à cet égard. En 1918, alors que des millions de personnes dans le monde étaient malades et mouraient, la communauté scientifique n'avait aucune idée de cette maladie mystérieuse et de sa cause. En l'espace d'un siècle, grâce à des recherches avancées, la communauté scientifique a "découvert l'existence des virus, les a classés en fonction de leur structure et de leurs effets, a suivi la manière dont ils se déplaçaient et mutaient, et a même pris leurs photographies."41 Le traitement des maladies infectieuses virales a connu une révolution médicale sans précédent : des antibiotiques ont été créés pour guérir les infections virales, des respirateurs peuvent aider ou prendre en charge les 35 Voir Brown, Influenza: The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History (Epilogue). 36 Voir Franchini et al., “Covid-19 and Spanish Flu Pandemics.” 37 Voir Morens and Fauci, “The 1918 Influenza Pandemic: Insights for the 21st Century” (voir le schéma 4); Voir aussi Prentice, Managing Epidemics: Key Facts about Major Deadly Diseases, p 144. 38 Brown, Influenza: The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History (Epilogue). 39 Voir “Pandemic Influenza Plan in 2017.” 40 Voir Prentice, Managing Epidemics: Key Facts about Major Deadly Diseases, p 143. 41 Brown, Influenza: The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History (Epilogue).
7 poumons affaiblis, des unités de soins intensifs avec des spécialistes peuvent fournir des soins d'urgence 24 heures sur 24. Plus impressionnant encore, des vaccins ont été développés pour prévenir toute attaque virale en apprenant au système immunitaire à reconnaître les antigènes et à produire des anticorps spécifiques pour les combattre. Le fait qu'en l'espace de neuf à douze mois, de nombreux pays du monde entier, y compris l'Inde, aient mis au point et déployé des vaccins contre le coronavirus prouve l'aptitude et la capacité de nos communautés scientifiques. Nous avons donc fait de grands progrès à cet égard. La préparation à l'apparition d'une pandémie est une question complexe. Si la communauté scientifique engagée dans la recherche biomédicale, comme nous l'avons vu plus haut, donne ses recommandations en matière de préparation, la responsabilité de leur mise en œuvre incombe aux gouvernements et aux administrations civiles. La préparation à une pandémie nécessite une planification stratégique et opérationnelle avec des décisions politiques en mettant en place des plateformes, des structures et des mécanismes de surveillance et de suivi de la situation.42 Ces plateformes, structures et mécanismes doivent être testés, évalués, révisés et rendus familiers aux principaux acteurs impliqués dans la mise en œuvre. Cela doit s'accompagner de programmes de sensibilisation aux virus et aux pandémies pour informer et éduquer les gens. L'ignorance engendre la peur et la panique chez les gens, ce qui entraîne le chaos en période de pandémie. Sans la coopération active de la population, aucun plan, aussi bien conçu soit-il, ne peut être mis en œuvre. La préparation comprend également l'allocation de fonds et de ressources adéquats pour augmenter la capacité médicale et la disponibilité des infrastructures (par exemple, lits d'hôpitaux, personnel médical, médicaments et fournitures) afin de répondre aux besoins d'au moins 25 à 50 % de la population qui pourrait tomber malade pendant une pandémie.43 En outre, la préparation à une pandémie nécessite également des plans spéciaux pour assurer la continuité de l'activité économique pendant une pandémie, afin que, comme cela s'est produit en 1918, la pandémie ne mette pas les économies à genoux. Lorsque la pandémie frappe, il faut une réponse rapide pour la contrôler. Bien qu'il soit possible d'anticiper une pandémie en se basant sur les études des pandémies passées, les données disponibles sur la surveillance continue et la simulation des données dans la modélisation mathématique, il n'est jamais possible de la prévoir avec précision. Et les pandémies aiment arriver à l'improviste ! Là encore, les gouvernements et toutes les parties prenantes du secteur de la santé et de la gestion des catastrophes doivent agir rapidement en adoptant une approche globale de la société pour maîtriser les perturbations qu'une pandémie peut provoquer dans la société. La tâche la plus importante est de prévenir - ou du moins de réduire efficacement - la morbidité et la mortalité44. Dans les premiers temps, pour réduire la morbidité ou les maladies infectieuses, il faut mettre en place des interventions non pharmaceutiques efficaces, comme le port de masques, l'observation d'une distance sociale et le maintien d'une hygiène personnelle par le lavage ou l'assainissement des mains, afin d'arrêter ou de ralentir la transmission du virus. Si la pandémie devient grave, des mesures extrêmes telles que la restriction des déplacements et des rassemblements ainsi que des confinements intelligents sont nécessaires. Pour prévenir la mortalité, dans toute situation de pandémie, un traitement précoce à l'aide d'antiviraux et d'autres aides médicales est la clé. Les pandémies peuvent rendre malade un grand nombre de personnes en l'espace de quelques semaines. Une pandémie devient une catastrophe lorsque le système de soins de santé est submergé par le volume de personnes nécessitant une assistance médicale. Pour éviter un tel scénario, la réponse rapide exige, comme mentionné dans la section sur la préparation, de mettre à disposition une assistance médicale à grande échelle avec une 42 Voir “Why Is Pandemic Preparedness Planning Important?” 43 Voir Morens et Fauci, “The 1918 Influenza Pandemic: Insights for the 21st Century.” 44 Voir Prentice, Managing Epidemics: Key Facts about Major Deadly Diseases, p 142.
8 chaîne d'approvisionnement efficace et régulière en médicaments, équipements et personnel médical. En outre, la réponse rapide nécessite également de sensibiliser la population par une communication efficace. Les gens doivent être informés et éduqués pour éviter les rumeurs qui créent la peur et la panique. Avec une approche globale de la société, il faut engager les individus et les communautés afin d'obtenir de meilleurs résultats dans la lutte contre le virus. En outre, pour réduire la morbidité et la mortalité, la recherche et l'expérience montrent que la réponse rapide doit appliquer cette stratégie : "test, dépistage, isolement, traitement et enseignement" comme en période de guerre45. Une pandémie ne peut être contrôlée que si nous identifions les personnes infectées par des tests préventifs, si nous localisons les contacts des personnes infectées par une recherche rapide des contacts, si nous prévenons les infections secondaires et tertiaires en isolant immédiatement les personnes infectées (avec ou sans symptômes), si nous réduisons la mortalité par un traitement approprié et rapide et, enfin, si nous enseignons ou éduquons les gens en leur communiquant efficacement les bonnes informations. En outre, les vaccins sont le moyen le plus efficace pour protéger les gens pendant une pandémie. Malgré les connaissances approfondies que nous avons sur les virus de la grippe, nous ne disposons pas encore d'un médicament sûr et efficace capable de détruire le virus46. Les vaccins sont donc essentiels pour nous protéger en apprenant au système immunitaire à reconnaître le virus. La catastrophe en Inde : catalyseur de changement ? Après les réflexions ci-dessus sur la planification de la pandémie, permettez-moi de revenir sur la question de la crise actuelle en Inde, avec laquelle j'ai commencé cet article il y a deux semaines. À l'heure actuelle, la quasi-totalité du pays est sous confinement. En deux semaines, environ 4 millions de cas confirmés ont été ajoutés au total et plus de 50.000 personnes sont décédées. Toutefois, par rapport à la semaine précédente, où le nombre de cas quotidiens dépassait largement les 400.000, on constate que le nombre de cas quotidiens est légèrement inférieur à 300.000 cette semaine. Mais le nombre de morts est nettement plus élevé. Plus de 4.000 personnes meurent chaque jour. Ces dernières semaines, les scènes horribles de personnes tombant comme des mouches en raison du manque d'oxygène médical et de lits d'hôpitaux ont hanté nos esprits. Les images effroyables des cimetières et des crématoriums nous rendent malades. Comment et pourquoi cette crise pandémique s'est-elle transformée en catastrophe en Inde avec la deuxième vague alors que, près d'un an après le début de la première vague, il semblait y avoir une réduction drastique de la morbidité et de la mortalité ? Où l'Inde a-t-elle échoué ? Appliquons maintenant brièvement notre discussion sur les trois domaines - à savoir la connaissance du virus, la préparation à la pandémie et la réponse rapide - qui sont essentiels pour transformer une crise en un catalyseur de changement. Sans aucun doute, la deuxième vague était-elle inévitable. Et il est amplement prouvé que la communauté scientifique indienne et étrangère avait une connaissance suffisante du virus doublement mutant, identifié pour la première fois en Inde et décrit par la suite comme le "variant delta" (connu techniquement sous le nom de B1.617.2), et qu'elle avait déjà mis en garde début mars contre l'apparition d'une deuxième vague47. L'arrivée du virus était prévue, mais sa virulence a pris les scientifiques et les virologues par surprise. Le variant indien est plus mortel que la souche originale dans sa transmissibilité. Nous ne pouvions peut-être pas éviter cette crise. Mais la crise s'est transformée en catastrophe en raison du manque de préparation pour faire face à la crise et de l'incapacité à réagir rapidement pour contenir la propagation du virus. La responsabilité en incombe au gouvernement qui a ignoré les avis scientifiques. Comme on le sait maintenant - et comme l'ont férocement critiqué plusieurs intellectuels et scientifiques pour son échec - le gouvernement a fait 45 Voir Park et al., “Application of Testing-Tracing-Treatment Strategy.” 46 Voir Brown, Influenza: The Hundred Year Hunt to Cure the Deadliest Disease in History (Epilogue). 47 Voir Ghoshal and Das, “Scientists Say India Government Ignored Warnings.”
9 preuve de suffisance et a déclaré la victoire contre le virus trop tôt et, malheureusement, la priorité des hauts dirigeants du pays était ailleurs48. En 1918, on peut comprendre que, tandis que l'Occident était trop préoccupé par la guerre pour prêter attention à la pandémie, l'Inde était complètement engloutie par la fièvre du mouvement pour la liberté pour s'inquiéter des décès causés par la pandémie. Aujourd'hui, malheureusement, les élections d'État sont devenues une priorité pour le gouvernement indien plutôt que la préparation à la deuxième vague. Bien que je laisse de côté le débat politique sur cette question dans cette discussion, il n'en reste pas moins que l'Inde a perdu une occasion de transformer son système de santé lors de la première vague de la pandémie. Il est certain que la première vague de la pandémie a été un signal d'alarme pour réformer le système de santé du pays - ce qui aurait dû être fait depuis longtemps. Le virus de la première vague a lui-même menacé de le submerger. Et maintenant, il semble que le système de soins de santé se soit effondré. En commentant le système de santé, certains disent que le système ne s'est pas effondré, car le "système" existait à peine. Plus que le virus, c'est le manque d'infrastructures qui a tué tant de vies précieuses - et l'énorme souffrance qui en résulte dépasse les mots. Nous avons perdu une occasion de changement. L'échec doit être dû, si ce n'est à l'ignorance, à l'arrogance. Bien que la situation soit catastrophique pour le moment, il est encore possible d'y remédier et de nous préparer à la prochaine crise. Les scientifiques mettent en garde contre d'autres vagues à venir49. Si le virus continue de muter, la situation sera encore plus mortelle qu'aujourd'hui. Si nous ne sommes pas préparés, nous assisterons à une répétition de la pandémie de 1918. Si nous ne tirons pas les leçons de l'histoire, c'est l'histoire qui nous enseigne en se répétant ; et bien sûr, elle nous enseigne à nouveau - comme les enseignants d'autrefois - avec beaucoup de punitions. Afin d'être mieux préparés, en tirant les leçons des réussites du monde entier, je pense que nous devons appliquer énergiquement la stratégie évoquée précédemment, à savoir "tester, dépister, isoler, traiter et enseigner", au moins pour les 12 prochains mois. En outre, bien qu'il s'agisse d'une tâche herculéenne compte tenu de la taille de la population, l'intensification de la vaccination pour couvrir au moins 60 à 70 % de la population peut établir une immunité collective ou une immunité de la population générée par la vaccination50. En d'autres termes, si plus de 60% de la population indienne peut obtenir une immunité acquise par la vaccination, cela peut fournir une protection indirecte aux groupes vulnérables (tels que les enfants ou les personnes souffrant d'autres problèmes de santé) qui ne peuvent pas être vaccinés51. C'est, à mon avis, le seul moyen viable pour éviter une autre catastrophe. Idées de Teilhard pour une approche interconnectée de la crise pandémique Dans nos efforts pour trouver des moyens de sortir d'une crise catastrophique, les idées de Teilhard peuvent certainement nous aider. La solution de Teilhard à la crise de son époque - telle qu'elle est exposée dans son premier essai, La Vie cosmique - consiste à rétablir l'interconnexion cosmique. Dans tous ses écrits, il tente de développer une nouvelle vision dans laquelle Dieu, les êtres humains et la terre sont interconnectés dans une communion cosmique. Bien que le schéma de Teilhard soit celui de l'interconnexion cosmique, à savoir l'interconnexion "Dieu-Homme-Nature", je n'en soulignerai qu'un aspect, à savoir l'interconnexion "Homme-Nature", afin d'éclairer la question dont nous discutons ici. Expliquant cette interconnexion, Teilhard dit : "Je pars de ce fait initial, fondamental, que chacun de nous, qu'il le veuille ou non, tient par toutes ses fibres matérielles, organiques, psychiques, à tout ce qui l'entoure."52 En ce sens, pour lutter contre toute crise pandémique, il faut une approche interconnectée de l'homme et de la nature pour aborder les questions et les problèmes provoquant à 48 Voir Roy, “We Are Witnessing a Crime against Humanity”; Voir aussi Rashid, “India’s Covid-19 Crisis Is an Injustice, Not a Misfortune.” 49 Voir Kannan, “Covid-19 Response over next 6-18 Months Critical.” 50 Voir Randolph et Barreiro, “Herd Immunity: Understanding COVID-19,” p 737 51 Voir DeSouza and Dowdy, “What Is Herd Immunity?”; Voir aussi Suneel and Narasimha Kumar, “Assumption of Herd Immunity against COVID-19.” 52 Teilhard de Chardin, “La Vie cosmique (1916),” p 5
10 distance l'émergence des pandémies. En d'autres termes, bien que les trois domaines que nous avons abordés précédemment - à savoir la connaissance du virus, la préparation à l'apparition d'une pandémie et la réponse rapide à la pandémie - soient essentiels pour éviter la catastrophe d'une crise pandémique, certains problèmes urgents d'aujourd'hui exigent une attention immédiate et à long terme pour sauver l'humanité de fréquentes pandémies. Ainsi, les problèmes tels que la croissance démographique, la pauvreté et la dégradation de l'environnement, qui résultent d'un conflit entre l'homme et la nature, ont une incidence directe sur les flambées pandémiques. Des études indiquent que l'émergence ou la réémergence des virus sont liées aux problèmes de la croissance démographique, de la pauvreté et des changements environnementaux. Un déséquilibre dans l'un ou plusieurs de ces domaines affecte tous les autres. Par exemple, d'une part, la croissance disproportionnée d'une population crée une pénurie de nourriture et d'autres produits de première nécessité, poussant un grand nombre de personnes aux limites de la pauvreté. La lutte résultant de la pénurie de moyens entraîne des dommages environnementaux irréparables par la dégradation des ressources53. En outre, l'exploitation de l'environnement accroît les interactions et les conflits entre les humains et les animaux, en particulier dans les régions pauvres. La perte d'habitat naturel et de moyens de subsistance rend les animaux vulnérables aux maladies et à l'extinction. Tout contact des populations appauvries avec ces animaux présente un risque élevé de propagation de maladies zoonotiques par le saut des virus d'origine animale aux humains54. En outre, les agents pathogènes viraux se déclenchent lorsque la dégradation de l'environnement et la pauvreté créent un point de pression dans les domaines de la famine et de l'assainissement. D'autre part, l'épidémie virale qui en résulte est alimentée par une population disproportionnée et dense. Dans un tel scénario, ce sont dans les communautés marginalisées et peu protégées que les épidémies virales explosent et attaquent les populations par vagues. Néanmoins, à mesure que le virus mute et se renforce, l'épidémie finit par s'étendre à l'ensemble de la population. Pour éviter de futures catastrophes dues au conflit entre l'homme et la nature, nous devons agir maintenant. Une crise est inévitable dans un schéma évolutif de l'univers. Comme Teilhard l'a souligné à plusieurs reprises, les crises, à chaque étape du processus évolutif, sont le moteur de l'évolution des organismes et des espèces. Selon Teilhard, jusqu'à l'arrivée des êtres humains, c'est par "hasard" et "providence divine" que l'évolution a progressé à pas de géant face aux crises. Mais, avec l'arrivée des êtres humains, l'évolution a pris un nouveau caractère. Selon Teilhard, l'homme n'étant "pas autre chose que l'évolution devenue consciente d'elle-même"55, nous avons le rôle et la responsabilité de guider le processus évolutif vers un niveau supérieur en cas de crise. Dans le cas d'une crise provoquée par un pathogène viral, l'humanité peut-elle faillir à sa responsabilité ? En cas de pandémie comme le Covid- 19, ou de pandémie par un virus plus mortel, l'humanité peut-elle finir par disparaître comme les Néandertaliens ? Bien sûr, dotés de la faculté de liberté, nous pouvons choisir d'échouer - si nous refusons d'agir - soit par ignorance, soit volontairement. Bien que Teilhard accepte cette possibilité, avec sa ferme foi en l'humanité, il affirme que "la terre cesserait plutôt de tourner que l'humanité, prise dans son ensemble, de s'organiser et de s'unifier"56 afin de poursuivre le progrès de l'évolution. Il est indéniable que les problèmes de la croissance démographique, de la pauvreté, de la dégradation de l'environnement et autres problèmes connexes ne peuvent être résolus par un seul pays ou dans un seul pays. L'éradication de ces problèmes nécessite un effort international coordonné. Comme nous l'avons mentionné au début, il est assez réconfortant de voir les nations se précipiter avec de l'aide pour aider la crise catastrophique de l'Inde. Bien sûr, en ce moment de catastrophe, c'est la chose la plus louable à faire. Mais, si nous voulons éviter une catastrophe lors de la prochaine crise 53 Voir de Souza Leal et de Andrade Zanotto, “Viral Diseases and Human Evolution,” p 198. 54 Voir Austin, “Degradation and Disease: Emerging Pandemics.” 55 Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, p 149. 56 Teilhard de Chardin, L'Avenir de l'Homme, p 195; Voir aussi Teilhard de Chardin, Les Directions de l'Avenir, pp 196, 197.
11 pandémique, nous avons besoin d'un effort concerté au niveau mondial, tant pour résoudre les problèmes de conflits entre l'homme et la nature que pour étudier la diversité génétique du virus en partageant les informations et les ressources57. Le verrouillage ou la fermeture des frontières et l'arrêt des voyages internationaux ne sont qu'une solution temporaire et d'urgence. Nous devons changer radicalement la façon dont nous nous sommes compartimentés en identités exclusives de riches et de pauvres, d'ethnies et de nations, de castes et de croyances. Le virus ne fait pas de différence ! Il ne différencie pas les langues, il ne différencie pas les religions, il ne différencie pas les pays et il ne différencie pas les frontières. L'apparition de pandémies est peut-être inévitable tant qu'il y aura des virus, mais la fréquence de leur apparition est étroitement liée à la croissance démographique, à la pauvreté et aux changements environnementaux. Tout comme la force d'une chaîne réside dans son maillon le plus faible, la survie de l'humanité face au virus repose sur des personnes immunologiquement vulnérables. Teilhard nous a appris que nous sommes interconnectés et interdépendants. Anticipant une image de la mondialisation, Teilhard suggère que lorsque les peuples et les civilisations ont atteint "sont parvenus à un tel degré, soit de contact périphérique, soit d'interdépendance économique, soit de communion psychique, qu'ils ne peuvent plus croître qu'en s'interpénétrant"58. Cela ne peut se produire qu'avec la coopération des êtres humains qui ne sont, comme mentionné précédemment, rien d'autre que l'évolution devenue consciente d'elle-même. Dans La place de l'Homme dans la Nature, Teilhard parle de "l'Homme : ce sur quoi, et en quoi, l'Univers s'enroule"59. Ainsi, Teilhard attribue un rôle et une responsabilité accrus aux êtres humains pour l'existence et l'avancement du stade évolutif actuel. Si nous manquons collectivement à cette responsabilité d'accorder une attention urgente aux problèmes pressants qui se posent et de nous préparer à faire face aux pandémies, nous pourrions tôt ou tard connaître le même sort que la civilisation harappéenne ou que les Néandertaliens. La seule façon d'avancer, si nous tenons compte de l'appel de Teilhard, est que l'humanité dans son ensemble se rassemble en une seule communauté pour transformer chaque crise pandémique en un catalyseur de changement vers le progrès des hommes et de la nature en tant que réalité interconnectée et interdépendante. ------------------------------------------- 57 Voir de Souza Leal et de Andrade Zanotto, “Viral Diseases and Human Evolution,” p 196–97 58 Teilhard de Chardin, Le Phénomène humain, p 280. 59 Teilhard de Chardin, La place de l'Homme dans la Nature, p 32.
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