La filière des INM : une réponse aux transitions démographiques, sanitaires, économiques et environnementales actuelles - iCEPS 2021

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La filière des INM : une réponse aux transitions démographiques, sanitaires, économiques et environnementales actuelles - iCEPS 2021
La filière des INM : une réponse aux transitions démographiques,
sanitaires, économiques et environnementales actuelles.
     Les interventions non médicamenteuses (INM) sont devenues des solutions
     incontournables pour mieux vivre, pour prévenir des maladies, pour se soigner en
     complément de traitements biomédicaux et pour augmenter la longévité sans perte
     de qualité de vie. Elles constituent une filière prometteuse en matière d’activités
     économiques, d’innovations et d’emplois pour une santé humaine pensée au 21ième
     siècle de manière systémique, intégrative, prédictive, préventive et participative.

       Par Grégory NINOT                                            gregory.ninot@umontpellier.fr

       Professeur à l’Université de Montpellier
       Co-directeur de l’Institut Desbrest d’Épidémiologie et de Santé Publique, UA11 INSERM - UM
       Chargé de recherche à l’Institut du Cancer de Montpellier
       Fondateur et directeur de la Plateforme universitaire collaborative CEPS

              Le 6 mars 2021

Des maladies à problème
Le siècle dernier a permis d’identifier des mécanismes physiopathologiques ciblés et de trouver des
traitements de masse pour guérir certaines maladies organiques. Si cette logique a donné l’espoir
de découvrir les traitements curatifs de toutes les maladies, force est de constater que de
nombreuses maladies dites chroniques, évolutives et d’origine multifactorielle (épigénétique,
comportementale, exposomique, environnementale) y échappent : diabètes, obésités, cancers,
maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires, maladies articulaires, maladies
neurodégénératives, troubles anxieux, dépressions, fibromyalgies… Ces maladies se cumulent avec
l’avancée en âge (comorbidités) et toutes sortes de précarités (économiques, sociales, territoriales,
environnementales). Ces maladies complexes ne répondent pas au modèle pensé par Claude
Bernard « 1 maladie => 1 mécanisme physiopathologique => 1 traitement biomédical ». Elles
touchent 1 français sur 2, puis 3 sur 4 à partir de 60 ans. Ces proportions vont encore augmenter en
particulier à cause du vieillissement de la population et des progrès des dépistages précoces
(cancers, diabètes, maladies neurodégénératives, BPCO…).

Un problème, des solutions
Le modèle « 1 problème => 1 solution curative » (autrement dit la guérison complète par un
traitement biomédical unique) est ainsi révolu pour plus de 70% des maladies. Les maladies
complexes imposent des solutions multiples, à la fois préventives et thérapeutiques, personnalisées
et proportionnellement ajustées au fil du temps. Cette évolution inexorable pointée par l’OMS
depuis 2006 rend caduque toute approche thérapeutique négligeant les soins et les préventions de
proximité et toute démarche paternaliste niant la liberté et la participation active de l’usager (par
exemple l’empowerment). Elle impose d’inventer des organisations répondant à ces nouveaux
besoins de santé intégrative, personnalisée et partagée (OMS, 2013). Toutes et tous le réclament,
citoyens inquiets, familles démunies, professionnels de santé aussi épuisés que désemparés (Ninot,
2019). La mutation disruptive de notre système de santé est nécessaire, irrémédiable,
indispensable, vitale, c’est selon.

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La filière des INM : une réponse aux transitions démographiques, sanitaires, économiques et environnementales actuelles - iCEPS 2021
Des solutions innovantes pour la santé humaine, les INM
Un arsenal de nouvelles solutions préventives et thérapeutiques pertinentes pour la santé fondées
sur la science arrive depuis le début du siècle, les interventions non médicamenteuses ou INM (HAS,
2011 ; Ministère des Solidarités et de la Santé, 2018 ; INSERM, 2019). Leur intégration dans une
médecine et une approche de la santé devenues personnalisées est chaque jour plus évidente
(Académie Nationale de Médecine, 2013 ; Ernst, 2009 ; Falissard, 2016 ; Ninot, 2013, 2020). Les INM
vont jouer un rôle majeur au cours de ce siècle. Elles se distinguent des médecines alternatives
(médecines parallèles…), des pratiques pseudo-scientifiques (charlatanisme, ésotérisme…) et des
offres socioculturelles (pratiques artistiques…) par une recherche continue, une démarche qualité
et une traçabilité des usages (Fig. 1). Elles vont au-delà des messages promotionnels de santé
publique (campagnes publicitaires sur un principe hygiéno-diététique). La Haute Autorité de Santé
(HAS, 2011), le Ministère de la Santé (Stratégie Nationale de Santé 2018-2022) et la Caisse Nationale
de Solidarité pour l’Autonomie (Plan Maladie Neuro-Dégénératives, 2014-2019) par exemple
invitent à s’intéresser aux INM, à mieux les évaluer et à mieux les utiliser. Des INM prennent place
au côté des traitements biomédicaux réglementés (Ninot, 2019, 2020). Hélas, elles ne profitent pas
à tous pour l’instant. Seuls les plus privilégiés des pays riches ont la connaissance, le temps et les
moyens de les utiliser à bon escient et de ne pas errer à travers un dédale d’informations abusives
et de conseillers obscurs.

                                                             Ac2ons éduca2ves,
                                Interventions non
                                                                 sociales,
                                médicamenteuses
                                                                ar2s2ques,
                                      (INM)
                                                                spirituelles

               Traitements                                                           Démarches
               biomédicaux                                                       environnementales

                                                    Santé

Figure 1 : Un nouvel arsenal de méthodes préventives et thérapeutiques fondées sur la science, les
                                             INM

Un inventaire des INM et des métiers en construction
En une vingtaine d’années, la recherche a permis d’isoler des méthodes efficaces et sûres pour la
santé humaine, les INM. Les scientifiques les appellent les « non-pharmacological interventions ».

Définition courte
« Interventions non pharmacologiques, non invasives, ciblées et fondées sur des données probantes, hors
chirurgie et dispositif médical »
Définition longue
« Intervention psychologique, corporelle, nutritionnelle, numérique ou ergonomique sur une personne visant
à prévenir, soigner ou guérir. Elle est personnalisée et intégrée dans son parcours de vie. Elle se matérialise
sous la forme d’un protocole. Elle mobilise des mécanismes biopsychosociaux connus ou hypothétiques. Elle
a fait l’objet d’au moins une étude interventionnelle publiée menée selon une méthodologie reconnue ayant
évalué ses bénéfices et risques ».
Auteurs : G. Ninot, C. Barry, S. Ben Khedher Balbolia, F. Carbonnel, J. Kopferschmitt, F. Paille, J. Nizard, M.
Nogues, L. Rochaix, B. Falissard (2020)

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La filière des INM : une réponse aux transitions démographiques, sanitaires, économiques et environnementales actuelles - iCEPS 2021
Les professionnels disposent aujourd’hui d’INM mieux décrites, mieux validées, mieux ciblées,
mieux dosées, mieux personnalisables, mieux combinables et mieux suivies. Les patients disposent
ainsi de solutions leur permettant de se donner toutes les chances d’aller mieux. Elles complètent
les traitements existant sans les remplacer. Elles se déclinent en 5 catégories (Fig. 2).

                           Figure 2 : Catégories et sous-catégories d’INM

Le marché des INM
La dernière étude du Global Wellness Institute (2018) estimait le marché mondial à 3 745 milliards
d’euros (Fig. 3) avec une augmentation annuelle de 5%. La France, avec ses 66% d’utilisateurs,
rattrape progressivement les pays leaders, la Suisse, l’Allemagne, les États-Unis et le Japon. L’usage
touche toutes les générations, tous les âges, tous les sexes et tous les niveaux socioéconomiques.
La demande concerne la prévention, la potentialisation des traitements biomédicaux, la remise en
forme, la connaissance de soi, le bien-vieillir, l’accompagnement du handicap, la santé mentale, la
fin de vie. L’offre d’INM complète la médecine biotechnologique. Elle constitue un marché
prometteur pour les professionnels de santé, du bien-être et des services à la personne, pour les
entrepreneurs, pour les complémentaires santé et pour les médias. Ce marché n’est pas une bulle
car il intègre tous les ressorts des mutations actuelles, transition épidémio-démographique,
digitalisation, mondialisation, rationalisation et segmentation (personnalisation, pluralisme de
choix) dans un domaine qui n’a pas son pareil pour réunir les humains, la santé. Ce n’est pas par
hasard si les industriels du numérique, du tourisme, de la grande distribution et du grand âge s’y
impliquent.

Voir la vidéo sur les modèles de financement des INM par Michel Nogues et Laurence Fontenelle
de la Plateforme CEPS : https://www.youtube.com/watch?v=7wHnPy9-AA4&feature=youtu.be

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Un secteur d’avenir

 Un marché mondial es0mé à 3 745 milliards d’euros en 2017

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                                   Figure 3 : Marché mondial des INM

   2019, l’Appel pour une meilleure intégration et reconnaissance des INM
   Construire l’écosystème des INM au profit de toutes et tous comme l’y invite la HAS depuis 2011,
   l’OMS depuis 2013 et la Stratégie Nationale de Santé 2018-2022 depuis 2018 dépasse les
   compétences et les prérogatives de notre Plateforme universitaire CEPS. Aussi, nous avons lancé en
   2019 avec cinq partenaires français (C2DS, UMR INSERM CESP, CUMIC, GETCOP, OMNC) un appel
   aux décideurs français et européens, publics et privés, pour sortir des amalgames actuels (abus de
   faiblesse, exercices illégaux, usurpations de titre, désinformations, pertes de chance…). Cette
   mobilisation intitulée l’Appel de Montpellier a fait des propositions opérationnelles aux décideurs
   pour faciliter l’intégration des INM pertinentes dans les parcours de soin, de santé et de vie. Des
   verrous réglementaires (pratiques assimilées à des activités culturelles et non de prévention et/ou
   de soin, manque de labélisation des acteurs professionnels et des INM, non traçabilité des usages
   dans les dossiers médicaux), d’images (confusion avec les médecines alternatives sans fondement
   scientifique…), financiers (manque d’accès aux procédures de remboursement générant des
   inégalités sociales, financement insuffisant de la recherche…) et organisationnels (faible travail en
   commun des acteurs privés et/ou publics). Hélas, l’écoute des décideurs à l’égard de l’Appel de
   Montpellier est restée atone. En effet, sur les 201 courriers envoyés en début d’automne 2019 à des
   Agences nationales et européennes, à des représentants du Gouvernement, à des Collectivités
   territoriales, à des Parlementaires, à des financeurs de santé (Assurance maladie, mutuelles,
   organismes de prévoyance, assureurs…) et à des organismes privés travaillant dans la santé, seuls
   11% ont répondu de manière formelle en éconduisant le sujet. L’Europe nous a renvoyé vers l’État
   français en expliquant étonnamment que ce sujet n’était pas du ressort de la Direction Générale de
   la Santé et Sécurité Alimentaire. Le Premier Ministre, Édouard Philippe, nous a adressé à la Ministre
   de la Santé, Agnès Buzyn, qui n’a pas répondu. Rares sont les parlementaires (5 sur 60 députés et 1
   sur 3 sénateurs) qui se sont emparés du sujet pourtant intégré dans la stratégie nationale de santé
   2018-2022 et dans l’engagement national Ma Santé 2022. Des responsables nationaux se sont
   retournés vers leurs homologues régionaux, et réciproquement. Seule la Région Occitanie en a fait
   un point fort de sa politique en faveur de la recherche et l’innovation dans la santé. L’Appel de
   Montpellier 2019 et son bilan 2020 agrémenté de toutes les dispositions nationales et européennes
   depuis 1997 sont accessibles sur le site www.appel-de-montpellier.fr. Nous avons envoyé le bilan
   de l’Appel de Montpellier fin 2020 à 167 décideurs dont le Haut-Commissaire au Plan.

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La poursuite de l’Appel
Nous ne comptons pas nous arrêter là. Nous travaillons avec les acteurs publics et privés de la filière
pour aller plus loin tellement des « success stories » se multiplient en région (e.g., Occitanie), en
France et en Europe, en particulier dans les domaines de la prévention, du traitement de la douleur,
de l’enfance, de l’accompagnement des maladies chroniques, des maladies rares, de l’oncologie, de
l’accompagnement du handicap, de la santé mentale, des maladies neurodégénératives et du bien-
vieillir. La COVID19 n’a fait que souligner les manques en la matière, notamment en France.

Conclusion
Sélectionnées de manière empirique ou apparues récemment à grand renfort d’innovations
technologiques et d’études épigénétiques, immunologiques, neuroscientifiques, cliniques et
économiques, les INM sont incontournables. Leur essor s’amplifie et se diversifie. Elles constituent
un écosystème composé d’une myriade d’acteurs publics et privés qui demandent une clarification
et une consolidation de leur activité. Elles doivent prendre leur place, toute leur place, mais rien
que leur place. Elles ne remplacent pas les thérapies biomédicales, elles les potentialisent pour
répondre aux besoins de personnes en quête de solutions multiples en vue d’une meilleure santé
et d’une longévité sans perte de qualité de vie. Elles doivent donner des garanties de ne pas prêter
le flanc au charlatanisme, à l’emprise ou à l’abus. La normalisation et la labellisation de ces pratiques
et de ces professionnels au sein d’une filière deviennent aussi indispensables qu’urgentes.

La Plateforme universitaire collaborative CEPS
Nous avons fondé à Montpellier en 2011 la Plateforme CEPS, une plateforme universitaire collaborative
inédite, pour réfléchir aux meilleures méthodes d’évaluation des INM. Nous avions la conviction que cette
réflexion devait être menée avec tous les acteurs de l’écosystème, chercheurs, praticiens, préventeurs,
acteurs sociaux, usagers, décideurs, jeunes et moins jeunes, malades et non malades, mais surtout ensemble.
La Plateforme compte à ce jour 158 collaborateurs de 16 nationalités différentes. Elle propose une liste
d’invariants méthodologiques pour toute étude évaluant une INM. Elle conçoit le programme scientifique
d’un congrès international sur les INM depuis 2011, l’iCEPS Conference www.icepsconference.fr. Elle
développe avec le soutien de partenaires académiques (Europe, État, Région Occitanie, Métropole de
Montpellier, INCa, SIRIC Montpellier Cancer, CARSAT-LR) des outils numériques de science ouverte :
- un méta-moteur de recherche des publications des études cliniques évaluant les INM www.motrial.fr
- une bibliothèque des études interventionnelles en prévention et soin des cancers www.inmcancer.fr
- un système de partage des ressources académiques sur les INM www.nishare.fr
- un système de recueil de témoignages d’utilisateurs d’INM destiné aux chercheurs www.experienceinm.fr
- un annuaire international des institutions et des chercheurs évaluant les INM www.niri.fr

Bibliographie
Académie Nationale de Médecine (2013). Thérapies complémentaires : Leur place parmi les ressources de soins. Paris.
Ernst E (2009). Ethics of complementary medicine: practical issues. British Journal of General Practice, 59, 564, 517-569.
Falissard B (2016). Les médecines complémentaires à l’épreuve de la science. Recherche et Santé, 146, 6-7.
Global Wellness Institute (2018). Global Wellness Economy Monitor. GWI.
HAS (2011). Développement de la prescription de thérapeutiques non médicamenteuses validées. HAS.
Ministère des Solidarités et de la Santé (2018). Stratégie Nationale de Santé. DGS.
Ninot G (2013). Démontrer l’efficacité des interventions non médicamenteuses : Question de points de vue. PULM.
Ninot G (2019). Guide professionnel des interventions non médicamenteuses. Dunod.
Ninot G (2020). Non-Pharmacological Interventions : An Essential Answer to Current Demographic, Health, and
       Environmental Transitions. Cham : Springer Nature.
Ninot G, Ankri J, Blin O, Charras K, Chaouloff F, Clanet M, Dupont JC, Dupre-Leveque D, Hirsch E, Legrand F, Poulain B,
       Rochaix L, Solinas M, Swendsen J, Welter ML (2019). Propositions d’experts pour l’évaluation des interventions
       non médicamenteuses dans les maladies du cerveau. Plan Maladies Neuro-Dégénératives 2014-2019, Paris.
OMS (2013). Stratégie de l’OMS pour la médecine traditionnelle pour 2014-2023. Genève : OMS.

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