LA FORET Essai de définition

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LA FORET Essai de définition
LA FORET
                                       Essai de définition

Nous verrons d’abord l’étymologie du mot forêt avant d’en faire une tentative de définition,
celle-ci étant succincte dans les différents dictionnaires1.

Etymologie

Le mot « forêt » que nous connaissons a une origine mal connue.

À l'origine « aller en forêt », c'est « aller dehors »...

Il proviendrait soit du francique forh-ist, terme juridique à l'époque carolingienne (751–987),
soit du latin foris qui signifie « en dehors », signifiant alors tout milieu extérieur à la
civilisation, lieu sauvage et peu accueillant. En effet à une période où les forêts occupent
encore une grande partie des territoires et que l'espace ouvert ne se limite qu'aux clairières
naturelles et aux clairières villageoises, la forêt est considérée comme un milieu extérieur : le
« dehors » par rapport au milieu intérieur qu'est la clairière : le « dedans ». Lorsque les
populations sortent de leur maison et par extension de la clairière, ils vont dehors, ils vont
dans la forêt2. Cette dernière affirmation va dans le sens du mot forestier, terme qui apparaît
au XIIe siècle signifiant celui qui vit tel un animal dans les forêts, l'individu sauvage, grossier
donc l'opposition même à l'homme qui habite les clairières, l'homme civilisé 3. À la
Renaissance forestier prendra le sens d'étranger, exilé en référence aux marginaux, aux
personnes rejetées de la société allant se cacher et vivre en forêt.

Sous Charlemagne (747–814) l'expression silva forestis issue du latin classique forum («
forum » puis « tribunal ») signifiait « forêt royale », c'est-à-dire relevant de l'autorité et de la
justice du roi. Au Moyen Âge, ce terme s'appliquait aux chasses seigneuriales ; il signifiait
alors « forêt hors de l'enclos », issu du latin foris (« hors de »), zone dans laquelle il est

1
  Par exemple, pour le Littré : vaste terrain planté de bois ; terrain couvert d’arbres exploités pour le chauffage,
les constructions, etc. Pour le dictionnaire de l’Académie française : Vaste étendue d’arbres, l’ensemble de ces
arbres.
2
  Cet extérieur, cette frontière est nécessaire à l'Homme car si elle disparaît, l'intérieur disparaît également. En
effet l'intérieur constitue le lieu où habite l'Homme et son fondement même repose sur l'existence de l'extérieur.
Donc la crainte de voir disparaître les forêts n'est pas seulement d'ordre écologique, elle relève plus fortement de
l'angoisse pour l'Homme de perdre son propre habitat et tous ses repères.
3
  Habiter à la différence de vivre fait référence à la demeure, à l'habitation dans un lieu donné. Le point d'ancrage
de l'habitant est plus précis, plus repérable (la construction de la maison). L'habitant s'approprie pleinement le
lieu, il modifie le milieu, l'aménage, il s'installe dans la durée, il donne du sens au lieu dans lequel il vit... Au
contraire vivre a un sens plus basique celui de satisfaire nos besoins les plus élémentaires : protection, repos,
nourriture, quelque soit le lieu et le temps que nous y restons. Dans une certaine mesure, vivre a un sens plus
animal que l'habiter qui est le propre de l'Homme ; habiter : c'est vivre plus demeurer.

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LA FORET Essai de définition
défendu de défricher et la chasse est gardée. Le terme foresta, utilisé seul, désigne les forêts à
partir de la seconde moitié du XIIe siècle en France.
La forêt est vécue dès le haut Moyen-Âge comme un milieu en marge de la clairière
villageoise4. Ce comportement vis à vis de la forêt semble paradoxal ; elle est encore à cette
époque essentielle à la survie de populations qui y trouvent de nombreuses ressources et un
lieu de protection contre les diverses oppressions dont elles peuvent faire l'objet, « la
civilisation occidentale a défriché son espace au cœur des forêts ». Il n'en reste pas moins vrai
qu'une frontière est déjà établie entre l'espace civilisé et l'espace forestier. Le langage ne fait
qu'accentuer la marginalisation de la forêt ; for signifie textuellement exclusion, rejet d'un lieu
(la clairière), « la ténébreuse lisière des bois marquait les limites des cultures [de la
civilisation occidentale], les frontières de ses cités, les bornes de son domaine institutionnel ;
et au-delà, l'extravagance de son imagination ».

Les Romains appelaient les forêts par le terme silva. Mais Virgile et Cicéron employaient le
terme nemus signifiant « bois » en latin qui proviendrait de nemo signifiant « personne ». Ce
terme apparaît souvent dans les chartes de l'époque capétienne où il désigne des zones boisées
de faible importance. Salluste5 utilisait le terme saltuosus pour désigner un espace boisé. À
l'époque romaine les saltuarii ou les silvarum custodes administraient les forêts. Aux époques
mérovingienne (481–751) et carolingienne (751–987), le mot saltus est fréquemment employé
pour désigner les régions de bois et de landes. Il semblerait que ce terme sous-entendait
qu'elles appartenaient au fisc royal. Les mots nemus et saltus n'ont pas survécu en français.
De même, le terme « bois » apparaît à l'époque capétienne. Il dérive de la racine germanique
bosc (« buisson ») dont la souche est pré-latine. Contrairement au mot forêt, il est sans
connotation juridique.

Nous pouvons aussi nous intéresser au terme gaulois broglios dérivé de broga signifiant «
champ ». Il devint broglius et désignait au IXe siècle un bois humide ou clos ou un bois
entouré d'une haie. On le trouve aujourd'hui sous la forme « breuil », dans le dictionnaire de
l'Académie française ; il forme surtout des toponymes (cf. Breuil ou le Breuil par exemple).

Le symbolisme de la forêt : le lieu du parcours initiatique des Hommes...
     dit civilisés

La marginalisation de la forêt peut s'expliquer principalement par la morphologie forestière, à
dominante verticale. Elle constitue une importante barrière visuelle dans le paysage, il est
guère possible de voir à l'intérieur de la forêt et au-delà. Or la vue étant le sens principal de
l'être humain, la forêt va très rapidement être considérée comme un obstacle, du moins visuel.
Et ceci va être déterminant au niveau des représentations que les hommes ont de la forêt.
Celle-ci génère des sentiments et même des comportements contradictoires : elle fascine et
fait peur à la fois. Elle figure le mystère, l'inconnu, nous ne voyons pas ce qu'elle cache et ce
qui s'y cache.

Parallèlement la structure de la forêt6 et notamment sa lisière sont une caisse de résonance de
ce que nous avons de plus profond en nous ; passer le seuil de la forêt ce n'est, selon Cécilia

4
    Héritage de la période romaine, voir plus loin
5
    Salluste 86-35 AV J-C., homme politique, militaire, et historien romain.
6
  Forêt : formation végétale constituée d'arbres plantés ou spontanés aux cimes jointives ou peu espacées dominant souvent
un sous-bois arbustif ou herbacé. Cette définition est à comparer avec notre être le plus profond, le siège de nos émotions
s'entremêlant à l'image du branchage des arbres, un endroit très dense, très fourni qui nous échappe souvent.

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RICARD, pas anodin, c'est partir à la découverte de soi-même ; « le seuil de la forêt
représente une frontière que l'on ne franchit pas impunément et qui interdit tout retour en
arrière. En franchissant ce seuil, l'homme se retrouve à l'orée de son destin ». Par ce biais-ci
la forêt acquiert une dimension symbolique très forte, bien ancrée dans nos cultures.
       Le but de la forêt n'est donc pas elle-même [...] mais son au-delà, on ne fait que la
       traverser. Une chose se profile toujours à la sortie de la forêt : la liberté, la liberté de
       devenir ce que l'on a envie d'être, liberté d'une vie en correspondance avec ses envies et
       ses capacités7.

C'est le cas des épopées chevaleresques avec notamment les romans médiévaux de
CHRETIEN DE TROYES : Yvain ou Le Chevalier au Lion. Yvain part en forêt, il y rencontre
un homme barbare, qui n'est en fait que lui-même. Il se laisse aller à ses émotions, prouve son
courage et sa bravoure d'homme sauvage alors que le chevalier est la figure de la « loi du
contrat social ». « En somme, l'homme sauvage est le double du chevalier, l'ombre de son
héroïsme, de sa bravoure, de sa rage. » (HARRISON, 1992). Ainsi il se purifie de tous ses
fantasmes et travers pour être apte à donner dignement la justice quand il reviendra dans l'aire
civilisée ;
       Tout se passe comme si les champions chevaleresques de l'ordre social (les nobles)
       devaient se perdre périodiquement dans la nature extérieure pour retrouver leur
       intériorité, afin de ressourcer leur vocation de défenseurs de l'ordre social.
Il est à noter qu'en Afrique, chez certaines peuplades indigènes, le parcours initiatique des
jeunes hommes adolescents se fait en forêt, lieu de purification et d'élévation. Devenus braves
et vaillants à leur retour au village ils sont considérés par la communauté comme des hommes
adultes et responsables.

Nous voyons, au travers de certaines définitions, une tentative de rupture avec les aspects
mythologiques de la forêt, pour les orienter sur un aspect particulier de celles-ci (voir la fiche
sur la forêt et la mythologie), au profit d’une partie de la population.

Définitions

Les deux définitions les plus courantes8 sont : Vaste étendue couverte d’arbres. Formation
végétale où prédominent les arbres au point de modifier les conditions écologiques régnant au
sol.

Ces deux définitions traduisent le primat des données naturalistes de la foresterie et de
l’écologie dans la conception de l’objet forêt. C’est un écosystème avec des composantes
multiples, parfois imperceptibles, et en interaction constante garantissant un équilibre.

Ces définitions paraissent simples et reconnues par tous. Cependant, la comparaison des
définitions précises employées dans différents pays au monde laisse apparaître des
différences. Ces dernières peuvent être d’ordre administratif, liées aux usages de la
population, à leur potentiel de production de bois, leur surface minimum, la hauteur des arbres
ou encore s’appuyant sur la couverture de ces arbres au sol. Certaines définitions incluent
aussi des critères topographiques, ou excluent les forêts plantées. Elles peuvent aussi varier
dans le temps, en fonction de la politique menée sur cette partie du territoire.

7
     RICARD Célia, 2003, Le symbolisme de la forêt dans les contes.
8
    Ce sont celles qui ressortent quand on demande la définition d’une forêt sur Internet.

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Les rôles reconnus que jouent les arbres en matière de biens et services varient aussi selon les
situations. Ils peuvent être résumés par le tableau ci-après :

Les différentes fournitures de biens et services assurés par les arbres (source H. Gyde Lunge,
2000)
Biens et services fournis             Forêt            Forêt urbaine                Plantations
                                      naturelle
Stockage de carbone                         Oui                     Oui             Oui
Bois et biocarburant                        Oui                     Oui             Oui
Production des produits non ligneux         Oui                   Parfois           Parfois
Habitat pour la faune sauvage               Oui                     Oui             Parfois
Diversité biologique                        Oui         Oui, dans un certain sens Faible
Stabilisation du sol                        Oui                     Oui             Oui
Protection de l’eau                         Oui                     Oui             Oui
Loisirs                                     Oui                     Oui             Parfois
Filtration de l’air et de l’eau             Oui                     Oui             Oui

Dans ce contexte, quels sont les usages forestiers et les autres ? Cette qualification d’usage
forestier dépend des acteurs. Cependant, nous voyons que l’avènement d’une société du temps
libre telle qu’elle existe en Europe de l’Ouest conjugué à l’urbanisation des territoires et des
modes de vie ont entraîné une véritable « fièvre de la chlorophylle », la nature devenant une
référence incontournable. Dans ce contexte, la forêt, perçue comme un « archétype de la
nature »9, se trouve plongée au cœur des enjeux sociaux ; la gestion forestière ne se résume
plus à des prescriptions technico-économiques, mais prend en compte des attentes mal
définies et résumées sous le vocable d’attentes sociales 10. De plus, elle intègre la notion de
biodiversité, et de relations du maintien de celle-ci avec les autres usages de la forêt, même si
lesdites relations sont très difficiles à mesurer dans le cadre de nos connaissances actuelles.
Plus récemment, elle commence à intégrer les réflexions sur les bénéfices à long terme
attendus sur non usage de la forêt, avec une réflexion en cours d’évolution.

Nous voyons donc que, tant au travers de l’étymologie -et du symbolisme sous-tendu- que de
ses nombreuses définitions actuelles, que la forêt n’est pas qu’une formation végétale ou un
écosystème, mais aussi et surtout un espace des sociétés humaines. Les groupes humains ont
entretenu depuis toujours une relation ambiguë avec la forêt, celle-ci ayant été considérée
selon les lieux et les époques, tour à tour et/ou en même temps comme un domaine sacré,
voire intouchable, mais aussi comme une zone hostile, répulsive, comme un territoire et une
ressource à domestiquer, à exploiter, protéger, privatiser même, ou tout simplement à
supprimer, généralement au profit de l’agriculture. Lieu de vie pour des peuples entiers,
surtout par le passé et aujourd’hui encore, elle sert souvent de refuge aux marginaux de la
société tout comme à ceux qui en refusent ou en contestent l’ordre établi.

Pour les sociologues, la forêt est un territoire géré par des individus et structuré par des
rivalités de groupes sociaux qui cherchent à contrôler le territoire forestier. De plus, ce
territoire intègre le concept de nature : pour les forestiers, une forêt n’est pas naturelle, tandis
que pour la majorité des Français, elle est au contraire l’archétype même de la nature.

9
   EIZNER Nicole (1995) : « La forêt, archétype de la nature », in La Forêt, les savoirs et le citoyen. Regards
croisés sur les acteurs, les pratiques et les représentations. Le Creusot, Editions ANCR, pp. 17-20
10
   En première approche, ce terme n’intègre pas une véritable réflexion sur ce qu’est un propriétaire forestier,
avec justement ses attentes et son fonctionnement comme petite société locale. Ce point sera développé
ultérieurement.

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C’est aussi une forêt idéalisée, imaginaire, symbolisée pour tout ou partie, dans le
psychosystème.

La forêt est perçue et représentée de bien des façons en s’appuyant sur des éléments
fondateurs et des mythes originels, mais ne laisse aucune société indifférente. C’est par
référence à des écrivains américains de la fin du XIXème ou du début du XXème siècle qui ont
inspiré certains mouvements écologistes actuels que la forêt est investie de valeurs morales et
purifiantes. Ce qui ressemble le plus à une nature supposée originelle est devenu une finalité.
Ainsi, les plantations, jugées trop artificielles sont à proscrire pour les écologistes tandis
qu’elles se justifient pour le forestier par un raisonnement économique. L’idée de paysage
esthétique intervient mais pas nécessairement dans le même sens que celle de nature : le bois
mort ou sénescent est naturel mais pourtant il fait « sale » et inesthétique. Ces valeurs sont
fortement empruntes de romantisme.

Ces définitions diffèrent de celles attachées au mot bois. Ce mot d'usage courant désigne ce
qui n'est pas perçu comme une forêt, ou un bosquet11 (encore qu'avec ce dernier terme il y ait
souvent superposition) mais comme un espace arboré malgré tout 12. Pour les biogéographes,
c’est une formation végétale caractérisée par des arbres plantés ou spontanés, aux cimes
jointives ou peu espacées, dominant souvent un sous-bois arbustif ou herbacé, ou encore un
espace couvert par ce type de végétation.

Voir aussi :
   - Histoire de la forêt française
   - Histoire de la forêt limousine
   - l’arbre cosmique,
   - La forêt et les oracles,
   - les arbres et le mysticisme,
   - la forêt et la mythologie.
   - Définition juridique de la forêt

Retour vers les généralités.

11
   Le bosquet est un bois de très petite étendue, souvent aménagé pour l'agrément. L’inventaire forestier national
en donne la définition suivante : petit massif boisé compris entre 5 et 50 ares avec une largeur moyenne en cime
d'au moins 15 mètres ; ou massif d'une largeur moyenne en cime comprise entre 15 et 25 mètres, sans condition
de surface maximale.
12
   Dans les inventaires forestiers, ce mot est réservé à la matière, à la production ligneuse.

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