La Lettre du Conseil - Ordre des avocats de ...
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La Lettre du Conseil Editorial du Bâtonnier / Le retour de Bamako ; second volet du séminaire d’échange avec le Mali / Délibération du jury du prix international des droits de l’homme Ludovic-Trarieux 2016 / Brève lecture dans l’évolution du régime juridique de l’investissement direct international / Aspects choisis de la reddition de compte / La modification du droit des raisons de commerce / Gestation pour autrui et intérêt supérieur de l’enfant : un nœud gordien à démêler prudemment / Le retour des instincts primaires / La vie du Barreau en images / L’Individu en droit financier : un statut juridique en perpétuelle évolution / Admissions à l’Ordre des avocats / Méditation de pleine conscience « Contemplaction » pour avocats / Effet de clauses Med-Arb / Modifications des dispositions pénales incriminant la corruption / Le point sur le projet de nouveau palais de justice / La formation juridique dans les universités américaines et en Suisse : quelles particularités ? N°63 04.2017
Numéro 63 « There’s a passion about pro bono that is... stronger than in some of the preceding generations. And I think we need to harness that energy, that altruistic energy in a better way than we have. » — Singapore Law Society’s new president Gregory Vijayendran, February 2017
AVRIL 2017 Cette nouvelle Lettre du Conseil vous plaira, j’espère. L’idée de consacrer ressources et énergies, ne fût-ce que deux fois par année, à la publication d’une revue de qualité peut paraître excessive. Je suis pourtant de ceux qui sont attachés à l’objet. Une revue, toute comme un livre, c’est « une hospitalité qui est offerte, une sorte d’abri que l’on peut emporter avec soi »1. Tenir ces pages entre ses mains, découvrir quelque chose de celles et ceux qui les ont écrites, c’est prendre conscience, de façon autrement plus sensible qu’à travers les lignes d’un écran, de la dimension collective de notre Ordre, de tout ce que nous pouvons réaliser ensemble. Cette parution coïncide avec la fin d’une première année de bâtonnat haletante et passionnante. Au nombre des joies figure incontestablement le succès de cet événement phare que devient L’Avocat dans la Cité. L’avocat, lorsqu’il prend le temps d’expliquer qui il est et à quoi il sert surprend agréablement son interlocuteur, ce citoyen qui ne savait rien de notre métier jusque-là et qui pensait que l’avocat, c’était pour les autres. Autres sources de bonheur, l’importance prise par la Commission des droits de l’homme, qui doit refuser du monde, et qui porte avec une énergie assez folle de multiples projets qui tous nous grandissent ; mais aussi la nouvelle Commission Innovations et modernisation du barreau, qui nous aide à prendre la mesure des transformations qui nous attendent et dont il faudra essayer de faire une chance. 5 1 La belle formule est empruntée à l’anthropologue Michèle Petit.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 De nombreux thèmes, qui peut-être se transformeront un jour en projets, sont sur la table du Conseil. Vous en trouverez quelques-uns à la fin du rapport d’activité 2016-2017 que vous avez reçu. D’une manière générale, l’entier de l’action du Conseil est guidé par plusieurs exigences fondamentales : l’amélioration de la qualité de nos prestations d’avocat ; l’amélioration de l’image de l’avocat dans le public ; la modernisation de notre barreau, de nos pratiques, et de nos outils ; et la pacification de nos rapports, par la multiplication des occasions d’échanges et de dialogue. Le simple fait de savoir qu’au-delà du Conseil et de son engagement de tous les instants, un nombre toujours plus important de nos membres fassent part de leur désir de participer aux réflexions qui sont à l’origine de ces projets, rend compte de la force de notre vie associative et d’un regain certain des ambitions collectives, en dépit des individualismes et des exigences empressées et dévorantes de notre temps. Pour faire vivre cette nouvelle Lettre du Conseil, il faut maintenant un véritable comité de rédaction ; des plumes inspirées et inspirantes ; des avocats journalistes qui iront interviewer les acteurs de notre barreau ; qui rendront compte de son actualité, de l’actualité des études qui le composent. J’invite toutes celles et ceux qu’intéresse le double objectif poursuivi par cette nouvelle revue, soit la 6
AVRIL 2017 transmission des savoirs et l’échange d’informations sur notre barreau et ses acteurs pour mieux nous connaître, à se manifester. Par l’écriture ou la réécriture de notre (petit) monde d’avocat, nous créons et construisons pour nous et pour les autres. 7
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 Sommaire Editorial du Bâtonnier 4—7 Me Grégoire Mangeat Le Retour de Bamako ; Second Volet du 12 — 17 Séminaire d’Échange avec le Mali Pour la Commission des Droits de l’homme, Mes Philippe Currat, Marie Berger, Fanny Margairaz, Gaetan Droz et Arnaud Moutinot Délibération du Jury du Prix 18 — 20 International des Droits de l’Homme Ludovic-Trarieux 2016 Me Fanny Margairaz Brève lecture dans l’évolution du régime 21 — 23 juridique de l’Investissement direct international Me Taoufik Ouanes Aspects choisis de la reddition de 24 — 28 compte (art. 400 CO) Me Sofian Ghezala La Modification du Droit des Raisons de 29 — 32 Commerce Mes Niels Schindler et Frédéric Ney Gestation pour autrui et intérêt 33 — 37 supérieur de l’enfant : un nœud gordien à démêler prudemment Pour la Commission de droit civil et administratif, Me Sophie Montalcini 8
AVRIL 2017 Le retour des instincts primaires 38 — 39 M. Christophe Donay La Vie du Barreau en Images 40 — 43 Quels défis pour une meilleure 44 — 49 représentation des femmes dans la profession d’avocat Me Julie Wynne L’individu en droit financier : un statut 50 — 53 juridique en perpétuelle évolution Dr Guillaume Braidi Admissions à l’Ordre des Avocats 55 — 58 Méditation de pleine conscience 59 — 61 « Contemplaction » pour avocats Prof. Benoît Chappuis et M. Boaz Feldman Effet de clauses Med-Arb 62 — 63 Pour la Commission ADR, Me Laurent Hirsch Modifications des dispositions pénales 64 — 68 incriminant la corruption Me Miguel Oural Le point sur le projet de Nouveau 69 — 71 Palais de Justice Patrick Becker, Secrétaire général du Pouvoir judiciaire La formation juridique dans les 72 — 80 universités américaines et en Suisse : quelles particularités ? Me Jeanne Arn 9
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 « VI. Être heureux. » C’est le titre du chapitre VI du Rapport Haeri sur « L’avenir de la profession 57,8% d’avocat » (février 2017) C’est la proportion de femmes parmi les En un Coup d’Œil avocats stagiaires membres de l’Ordre Tous les faits marquants qui nous ont surpris, fait des Avocats de Genève sourir ou déçus en un simple coup d’œil Le marché français du droit ne s’est pas rétréci à la mesure de l’augmentation du nombre d’avocats : 1500% 1995 2014 C’est à peu près la différence 29’368 1.4 Mrd entre le nombre de saisines 13:15 du Bâtonnier genevois et le nombre de saisines du Avocats Milliards d’€ Président de l’Association des C’est l’heure de début de avocats zurichois, l’Assemblée générale 2017 de à nombre l’Ordre des avocats d’avocats égal… 58’596 4.4 Mrd « Le multiculturalisme est alors un outil supplémentaire qui permet 120 d’envisager le monde sous un C’est le nombre moyen de dossiers ouverts dans le rôle autre regard. » du Bâtonnier Jeanne Arn — Voir l’article complet en pages 72 — 81 Voir l’édito en page 4 10
AVRIL 2017 La Phrase qui Nous a Fait Réagir : 1985 « L’instauration de l’interdiction C’est l’année où le prix Ludovic-Trarieux a été d’exercer habilite désormais la descerné pour la première fois. Il avait été remis à Nelson Mandela. FINMA à sanctionner spécifiquement Découvrez en pages 18 — 20 à qui le prix 2016 a été descerné les individus(...) » Mille huit cent Le tirage de la nouvelle formule de « La Lettre du Conseil » 18% C’est le pourcentage d’avocates associées aux Etats-Unis voir plus en pages 44 — 49 69.29 « Dans les pays anglo-saxons, la méditation est largement utilisée dans le monde du travail pour aider les professionnels à faire face aux contraintes de Le taux de réussite au Certificat de spécialisation en matière d’avocature à la leur métier et les effets délétères session de juin 2016 qu’elles ont sur eux, en particulier dans le monde du barreau. » BAMAKO C’est le nom de la capitale qui est à l’honneur dans ce numéro. Les membres de l’Ordre ont eu l’occasion de s’y rendre lors du séminaire organisé avec le Mali. Voir l’article complet en pages 59 — 61 Lire l’article complet en pages 12-17 11
Photographie: Joe Penny Pour la Commission des Droits de l’homme, Mes Philippe Currat, Marie Berger, Fanny Margairaz, Gaetan Droz et Arnaud Moutinot
Le Retour de B A M A K O Second volet du séminaire d’échange avec le Mali
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 La Commission des droits de l’homme (CDH) œuvre à la protection et la promotion des droits humains en Suisse et à l’étranger. Elle accorde une attention particulière à la « défense de la défense », soit le droit de tout avocat de pouvoir exercer sa profession en toute liberté et en toute indépendance, protégé de toute entrave, intimidation, harcèlement ou ingérence dans ses fonctions professionnelles. C’est dans ce cadre que s’est tenu, du 9 au 13 mai dernier, un séminaire de formation à l’attention d’avocats et procureurs en exercice au Mali. Cet événement fait suite à la mission De manière plus générale, cette tous postes confondus, environ de mai 2015, qui avait vu la CDH formation visait à permettre trois cents magistrats également. déléguer deux de ses membres sur le renforcement des capacités La création récente, en 2015, des place et a fait l’objet d’un article judiciaires du Mali. Cinq avocats deux pôles de poursuites contre le dans la présente lettre du Conseil1. et trois magistrats en exercice ont terrorisme et en matière de criminalité C’est dans une optique de suivi de fait le déplacement, la formation économique s’est faite en redéployant ce premier échange que la CDH s’est conjointe de procureurs et avocats des ressources existantes, non en en attelée cette année à l’organisation visant à renforcer leurs capacités à créant de nouvelles. d’un séminaire à Genève, reprenant, mener leurs missions respectives Le Mali est confronté à une criminalité avec un nombre plus restreint de dans le cadre commun de procès ordinaire, le plus souvent du ressort participants, le fil de la formation équitables conformes aux standards extrajudiciaire des chefs de famille, entamée l’année dernière. internationaux en la matière. chefs de village ou chefs religieux Les participants se sont vus remettre, Un remerciement spécial doit locaux. Le recours au juge n’intervient sous forme numérique, plusieurs outils être adressé aux hôtes qui ont qu’à titre subsidiaire. La présence pédagogiques élaborés tant par la généreusement accepté d’accueillir de groupes armés, terroristes ou CDH elle-même que par les différents chez eux les confrères et magistrats djihadistes dans le pays y développe intervenants, le but du séminaire étant maliens le temps de cette une criminalité multiple, faite de également d’inciter les participants passionnante semaine. trafics en tout genre, soit notamment à diffuser l’information reçue à leur de drogue, d’armes et de migrants, qui retour au Mali. Le Contexte Malien suivent la boucle du fleuve Niger, voie L’événement de cette année s’est tenu de communication ancestrale. Cette en collaboration avec le Barreau pénal La situation au Mali reste extrêmement criminalité emporte une dimension international (BPI), et avec le soutien précaire depuis le coup d’Etat de 2012. internationale, dans une région où les de la Mission Multidimensionnelle Dans le nord du pays, et en particulier frontières sont impossibles à surveiller Intégrée des Nations Unies pour la dans la région de Tombouctou, ou à contrôler. Stabilisation au Mali (MINUSMA), de la c’est une situation de guerre qui Dans ces circonstances, il est Fédération Suisse des avocats (FSA), demeure. Les différents groupes nécessaire pour le Mali de de la Direction du Développement et de armés, terroristes et djihadistes, développer des capacités d’enquêtes la coopération (DDC) du Département ont également acquis la capacité transnationales et de coopération et fédéral des Affaires étrangères de la de frapper la capitale, Bamako. Le entraide internationale en matière Confédération suisse, ainsi que de la pays reste sous-équipé en matière pénale. Les attaques terroristes, Ville et du Canton de Genève. judiciaire. Le Mali est trente-huit comme la situation de conflit armé L’objectif de cette semaine de formation fois plus grand que la Suisse, mais dans le nord du pays, ont généré la s’inscrit dans l’objectif de soutien de seulement deux fois plus peuplé. commission de crimes internationaux, la défense de la défense, cher à l’Ordre Néanmoins, l’Ordre des avocats du Mali notamment de crimes de guerre, des avocats de Genève, et en particulier ne compte que trois cents avocats, et le pays est également un Etat à appuyer des avocats œuvrant dans quasi exclusivement installés dans la de situation devant la Cour pénale des conditions sensibles et risquées. capitale, et l’ordre judiciaire malien, internationale, laquelle mène un 14 1 Lettre du Conseil n° 61, Août 2015, p. 36.
AVRIL 2017 Photographie : Thomas Dutour - 123RF procès à l’encontre d’Ahmad AL FAQI Le pays fait face au défi de devoir nombreuses interventions de qualité. AL MAHDI, à qui il est reproché d’avoir coordonner des formes de justice Le lundi 9 mai 2016, après une in- participé à la destruction de mausolées traditionnelle, ordinaire, internationale troduction de Monsieur le Bâtonnier de la ville de Tombouctou classés au et transitionnelle, combinées à une Grégoire Mangeat ainsi que de Son patrimoine mondial de l’UNESCO2. Le nécessité de coopération et d’entraide Excellence Madame l’Ambassadeur pays est donc également confronté pénale internationale avec d’autres Aya Thiam Diallo, Cheffe de la Mission à la justice pénale internationale et Etats, tout en étant liée par des permanente de la République du Mali aux besoins de coopération avec la obligations de coopération avec la Cour auprès des Nations Unies à Genève, Cour pénale internationale. Celle-ci pénale internationale. C’est dans cette Me Philippe Currat, Vice-président ne visant que les cas les plus graves, constellation que s’intègre l’échange de la CDH, Me Xavier-Jean Keïta, le principe dit de complémentarité de connaissances initié en 2015 avec Conseil principal, Bureau du Conseil implique que la Cour n’est compétente la CDH. Le soutien de la MINUSMA, en public pour la défense, Cour pénale que si l’Etat concerné n’a pas la particulier de sa Division des droits internationale, ainsi que Me Arnaud capacité ou la volonté de juger lesdits de l’homme, à cette formation est Moutinot animèrent un panel sur les crimes par lui-même. primordial pour assurer la mise en droits de la défense. Enfin, la MINUSMA déploie dans le œuvre du suivi dans le travail quotidien La journée fut clôturée par une inter- pays des effectifs importants qui des avocats et magistrats dans le pays. vention du Professeur Marco Sassoli, viennent d’être renforcés, le 29 juin Directeur du département de droit 2016, et portés dès lors à plus de Le Premier Jour international public et organisation 15’000 personnes, militaires et civils, internationale, sur le thème « Le droit et développe le projet de mise en place Les thèmes abordés furent variés et la international face aux acteurs non de formes de justice transitionnelle3. Maison des avocats servit d’écrin à de étatiques et au terrorisme ». 2 https ://www.icc-cpi.int/fr_menus/icc/situations and cases/situations/icc0112/related-cases/ICC- 15 3 01_12-1_15/Pages/default.aspx. http ://minusma.unmissions.org.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 Le Deuxième Jour de l’exercice de la profession par le Instance de la Commune VI du District Prof. Benoît Chappuis, suivi de la de Bamako, ainsi que en matière des La matinée du lendemain, 10 mai surveillance et le contrôle disciplinaire crimes relevant de la compétence 2016, fut consacrée aux visites du de l’exercice de la profession de la Cour pénale internationale, par Palais des Nations et du musée d’avocat, par Me Jean-Louis Collart, Monsieur Sylvain Sana, enquêteur en du CICR, tandis que l’après-midi Président de la Commission du chef à la Cour pénale internationale. fut consacré à un atelier sur la Barreau. Le troisième intervenant compétence universelle, présidé de la matinée, Monsieur Richard Le Quatrième jour par Me Sandrine Giroud, Présidente Nsanzabaganwa, Conseiller en de la CDH, et animé par Me Jean- coopération internationale auprès du Le jeudi vit les participants se rendre René Oettli, de l’Organisation non- Bureau du Procureur de la Cour pénale à Berne, dans les locaux de l’Office gouvernementale TRIAL, ainsi que Me internationale se fit l’écho de l’exposé fédéral de la justice, pour y rencontrer Alain Werner, de Civitas Maxima. de Me Jean-Louis Collart s’agissant Monsieur l’Ambassadeur Jürg Un mardi soir dans un contexte plus de l’exercice du métier devant la Cour LINDENMANN, Chef de la délégation festif aux Halles de l’Île a permis pénale internationale, évoquant en suisse à l’Assemblée des Etats parties aux organisateurs, participants et miroir à la déontologie de l’avocat, à la Cour pénale internationale au intervenants de faire plus ample les règles éthiques auxquelles les Département fédéral des affaires connaissance avant d’affronter le procureurs sont également soumis étrangères, sous la présidence duquel programme chargé du mercredi. dans leurs enquêtes. se tint le panel suivant consacré à la L’après-midi fut consacré aux coopération des Etats parties avec Le Troisième Jour enquêtes pénales, sous la présidence la Cour pénale international et au Me Miguel Oural, le thème étant principe de complémentarité. Le mercredi fut quant à lui consacré abordé sous trois angles distincts, Dans ce cadre intervinrent Madame dans un premier temps au thème ô soit en matière de criminalité Florence ALBERTINI et Monsieur combien essentiel de la déontologie et économique, présenté par Monsieur Giuseppe AUFIERO, membres de l’éthique professionnelle. Yves Bertossa, Premier procureur à respectivement de l’Unité Entraide Sous la présidence de Monsieur le Genève, en matière de terrorisme, judiciaire ainsi que de l’Unité Bâtonnier Grégoire Mangeat furent présenté par Monsieur Mahamane Extraditions au sein de l’Office abordés les thèmes du serment de Tembine, Substitut du procureur de la fédéral de la justice. Le panel en l’avocat et des règles fondamentales République près le Tribunal de Grande question pu également compter sur 16
AVRIL 2017 l’intervention de Monsieur Richard Substitut du Procureur, suivi d’une Les liens tant professionnels NSANZABAGANWA, conseiller en analyse de la gouvernance du qu’amicaux tissés entre nos barreaux coopération internationale auprès système judiciaire et la lutte contre respectifs témoignent d’un projet dont de la CPI. la corruption au Mali, animé par les deux premiers volets appellent un Les participants eurent ensuite Madame Binta DIAKITE, Substitut du suivi régulier et soutenu. la chance d’être accueillis dans Procureur, puis d’une intervention Cet événement n’aurait pas été les locaux du Ministère public de de Monsieur Aldjouma Abdoulaye possible sans le soutien des différentes la Confédération, à l’invitation du YALKOUYE, Juge de Paix, sur le institutions suivantes que nous tenons Procureur général suppléant de la rôle et l’établissement de la justice à remercier chaleureusement : Confédération Jacques RAYROUD, transitionnelle au Mali. Le témoignage —L e Département fédéral des affaires pour y entendre un exposé de Madame personnel du Juge YALKOUYE, lorsqu’il étrangères et en particulier la Julie NOTO sur les problématiques expliquait avoir été le dernier magistrat Direction du développement et de la traitées par son service en tant à quitter la région de Mopti alors coopération (DDC) ; que Procureur fédéral responsable en plein conflit et à fuir à pied pour —L e Ministère public de la du domaine terroriste. Suivit une rejoindre le Niger après une traversée Confédération ; intervention de Monsieur Jacques du désert de près de 400 km, a été un —L ’Office fédéral de la justice ; RAYROUD sur l’indépendance des moment particulièrement fort. —L a MINUSMA ; Parquets, puis de Monsieur Charles —L a République et canton de Genève ; NAVARRO, Procureur fédéral Une expérience à réitérer et des —L a Ville de Genève ; assistant, sur l’entraide judiciaire remerciements —L a Fédération Suisse des Avocats ; internationale. —L e Barreau pénal international. Le séminaire fut clôturé par une S’agissant du deuxième volet d’un intervention des participants eux- programme entamé l’année dernière, Ce remarquable évènement n’aurait mêmes avec un exposé sur la lutte la CDH se félicite de l’énergie et de pas pu voir le jour non plus sans la contre l’impunité et la répression l’enthousiasme déployé par les parti- participation sans faille des nombreux des violations graves des droits cipants tout au long du séminaire et intervenants qui ont accepté de venir de l’homme au Mali, animé par des échanges fructueux qui y furent partager leur expertise. Qu’ils en soient Monsieur Mahamane TEMBINE, entretenus. chaleureusement remerciés. 17
Délibération du Jury du Prix International des Droits de l’Homme Ludovic-Trarieux 2016 18 Texte — Fanny Margairaz
— Fanny Margairaz Fanny Margairaz est avocate chez Mangeat Avocats. Après des études de droit partagées entre les universités de Genève, de Lucerne et de Sheffield, elle obtient son brevet d’avocat en 2012 et rejoint son équipe actuelle. Depuis 2011, elle est également membre de la Commission des droits de l’Homme de l’ODAGE. Le 4 juin 2016 s’est tenue à Athènes la délibération du Jury du Prix International des droits de l’homme Ludovic-Trarieux 2016. Me Isabelle BÜHLER GALLADÉ et Me Fanny MARGAIRAZ y ont représenté l’Ordre des 19 avocats de Genève, membre du Jury depuis 2013.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 Hommage des avocats à un avocat, Prix International des droits de l’homme Ludovic-Trarieux est décerné depuis plus de trente ans à « un avocat sans distinction de nationalité ou de barreau, qui aura illustré par son œuvre, son activité ou ses souffrances, la défense du respect des droits de l’homme, des droits de la défense, la suprématie du droit, la lutte contre les racismes et l’intolérance sous toutes leurs formes ». Fondé en 1984 par l’Institut des de subversions contre l’État, un En parallèle de la délibération du jury, les droits de l’homme du barreau de crime passible de la prison à vie. membres ont également signé les statuts Bordeaux, le Prix avait été remis pour Dans la foulée de son arrestation, de la nouvelle Académie internationale des la première fois en 1985 à une centaine d’autres avocats droits de l’homme Ludovic-Trarieux, desti- Nelson MANDELA. chinois avaient été arrêtés dans née à reprendre à l’avenir l’organisation de Il est aujourd’hui remis un mouvement de répression sans la remise du Prix. annuellement par un jury composé précédent à l’encontre des avocats Le nombre croissant de dossiers reçus de représentants des barreaux de et défenseurs des droits de l’homme par le Jury avait en effet mené au Paris, de Bordeaux, d’Amsterdam, en Chine, qui fut désigné plus tard constat, en 2015, que le régime existant de Berlin, de Bruxelles, de Genève, comme le « 709 crackdown », en n’était plus adapté à la charge que de Luxembourg ainsi que de l’Unione référence à la date du 9 juillet. représentait l’organisation de la remise forense per la tutela dei diritti Me Wang YU, 45 ans, a été élue dès le du Prix, lequel demande pratiquement dell’uomo (Rome), de l’Institut des premier tour. Le jury a voulu distinguer un travail à temps complet de mars à droits de l’homme des avocats « l’opiniâtreté dans le courage novembre (ou décembre) chaque année. européens (IDHAE) et de l’Union d’une femme qui, avocate de droit internationale des avocats (UIA). commercial à ses débuts, a décidé La nouvelle Académie sera ainsi Cette année, le Prix a été décerné qu’elle ne pouvait plus se taire dans le désormais chargée d’assurer à l’avocate chinoise Wang YU, confort et a choisi d’exposer sa liberté l’organisation, la permanence mais défenseur des droits de l’homme pour défendre les droits des enfants aussi la pérennité du Prix. arrêtée le 9 juillet 2015 et inculpée et des minorités persécutées ». Photographie : Kim Kyung Hoon 20
AVRIL 2017 Brève lecture dans l’évolution du régime juridique de l’Investissement direct international Texte — Me Taoufik Ouanes1 L’investissement direct international (IDI)2, est un élément important des relations économiques et financières mondiales. Un rapide survol de l’évolution des composantes normatives de son régime depuis le début du XXe siècle révèle une grande fécondité conventionnelle bilatérale mais, à l’opposé, une grande stérilité multilatérale et coutumière. Ces deux remarques peuvent se vérifier en se penchant sur l’évolution des normes de ce régime et sur les modes de règlement des différends issus des IDI. 1 Avocat au Barreau de Tunis, membre du Comité de la Section des barreaux étrangers à Genève (SABE), arbitre au Centre International pour le Règlement des Différends relatifs aux Investissements (CIRDI). 2 Aux fins de ce texte, nous adoptons, à l’instar de l’OCDE, cette expression générique par commodité de 21 rédaction et afin de ne pas se lancer dans les nuances des définitions de l’investissement étranger qui n’ont pas lieu d’être dans cet article.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 L’évolution des normes du droit principes tels que la « Souveraineté croissance. Les développés ont fait de substantiel permanente sur les ressources l’IDI une véritable politique économique naturelles » (Résolution 1803 (XVII) nationale7. Le problème de la protection de l’IDI est de 1962) et la « Charte des droits et Ceci s’est traduit par une grande apparu entre la fin du 19e et le début devoirs économiques des Etats »4 concurrence pour attirer les IDI en du 20e siècle. L’IDI était juridiquement (Résolution A/RES/3281 (XXIX) de offrant des privilèges et des incitations assimilé à l’activité commerciale 1974). Ces instruments ont pu « … de plus en plus importants. De ce fait, internationale et les normes qui jouer le rôle d’un premier pas ou d’une on a assisté à une conclusion massive l’ont régi jusque vers la moitié du première étape dans la recherche de traités d’investissement bilatéraux8 siècle dernier se rattachaient à deux de réponses normatives »5. En effet, ainsi qu’à une certaine répugnance à la institutions du droit international de certaines normes contenues dans ces conclusion de traités multilatéraux en nature coutumière : instruments ont acquis une valeur la matière9. Cette situation a causé une — La « protection diplomatique » juridique non contestée comme multiplication erratique et atomisée et ses modalités de mise en l’acceptation généralisée du droit à la des normes de droit substantiel, œuvre (la nationalité des nationalisation pour raison d’utilité surtout celles du droit applicable. réclamations et l’épuisement publique. De même était accepté un Sur le plan de la consolidation et de des recours internes)3 et, « pouvoir régulateur » de l’Etat afin la promotion des normes du droit — les « standards minimum » de d’empêcher que les IDI ne portent substantiel du régime des IDI, le bilan traitement des étrangers et de préjudice aux droits légitimes à la est plutôt mitigé : ni un statuquo leurs biens. protection de l’environnement, de rigide pour la pérennité du droit l’hygiène publique et des droits international classique, ni une refonte A côté de ce régime général, ont sociaux des citoyens. normative significative de ce régime. Le existé des régimes résiduels, Le large débat ne portait pas pragmatisme et l’individualisation des aujourd’hui disparus, appelés essentiellement sur les principes accords d’investissement demeurent la « régimes de capitulation ». Ces du droit à la nationalisation des pratique générale. régimes consistaient en un statut IDI et le droit à une indemnisation, Une grande disparité dans les « d’extraterritorialité » octroyé par mais les points d’achoppement se décisions relatives au contentieux des arrangements conventionnels sont cristallisés plutôt et surtout des IDI a vu le jour. A force d’être spéciaux aux IDI des Etats occidentaux autour des critères et des conditions spécifiques et parcellisées, ces dans les pays afro-asiatiques restés d’indemnisation suite à des décisions sont encore insuffisantes indépendants. Ces arrangements nationalisations6. pour constituer une jurisprudence accordaient des traitements privilégiés La « révolution cybernétique » et les uniforme et confirmée afin d’être au-delà de ceux prévus par le régime évènements historiques de la fin du considérée comme une source de du droit coutumier. 20e siècle sont venus fortement influer normes du droit international de Excepté ce cas particulier, et malgré le régime des IDI et les normes de son l’investissement. toutes ses scories, le régime du droit droit substantiel. La mondialisation Dans un tel contexte, la disparité coutumier a pu, en général, répondre et la multiplication des échanges et des décisions s’explique aussi par aux besoins juridiques de protection des investissements internationaux des causes propres à l’évolution des des IDI. Le statu quo normatif en place ont engendré aussi l’intégration modes de règlement des différends a pu être maintenu, globalement d’un grand nombre de pays dans le relatifs aux IDI. La question de jusqu’à la décolonisation. cycle des relations économiques et l’attribution de la compétence pour A la fin de la deuxième guerre mondiale financières mondiales. Ceci a généré connaitre de ces différends et le et à la suite de la décolonisation, les un accroissement spectaculaire de la choix par les parties du mode de nouveaux Etats ont déclenché un vaste demande des IDI. Les Etats en voie de règlement ont aussi joué un rôle mouvement pour instaurer un « Nouvel développement, avaient besoin de l’IDI déterminant dans l’évolution de droit Ordre Economique International » afin de résoudre leurs problèmes de international de l’investissement. qui comporte aussi une volonté de refondre le régime de l’IDI. A cet effet et sur le plan des législations nationales, ces pays ont promulgué des lois et 3 Le fait que la Commission du droit international des Nations Unies se saisisse pour, en codifier les règles édicté des mesures administratives et en explorer les pistes de développement progressif, témoigne de ce caractère coutumier. (fiscales, douanières sociales et 4 Castaneda Jorge, La Charte des droits et des devoirs économiques des États. Note sur son processus d’élaboration, Annuaire français de droit international, Année 1974, Volume 20, Numéro 1, p. 31 ss. autres) tendant à contrôler l’IDI et à 5 Abi-Saab Georges, Le développement du droit international, Réflexions d’un demi-siècle », Recueil limiter les profits des investisseurs. d’articles réunis par Kohen Marcello K. et Jesko Langer Magnus, Volume I., 1ère ed. PUF 2013, p.136. Pour de plus amples développement sur le rôle la « soft law » en général, voir « Eloge du “droit assourdi” : Dans le même esprit, et dans quelques réflexions sur le rôle de la “soft law” en droit international contemporain » ibid. p. 137 ss. leurs efforts de promouvoir des 6 Les caractéristiques de l’indemnisation ne font pas encore de consensus dans la doctrine ni dans la changements normatifs au droit de jurisprudence. Si le principe de l’indemnisation « juste » n’est pas ouvertement contesté, les paramètres d’évaluation et de calcul des indemnités ne font pas encore de consensus clair (inclut-on le manque à l’investissement international, ces gagner par exemple ?). Par ailleurs, la promptitude de l’indemnisation et ses caractéristiques font encore pays ont œuvré à promouvoir des d’âpres débats. 7 Le flux des investissements dans les pays développés à économie de marché représentent 80% de la totalité de l’investissement mondial. Ces investissements se font surtout de façon croisée, ou « multidirectionnels » entre le Japon, les Etats-Unis et l’Europe. A ce propos il faut souligner le rôle déterminant des multinationales. 8 Avec l’exception de la Convention pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre États et ressortissants d’autres États (1965) ce sont les traités d’investissement bilatéraux qui sont utilisés pour la protection des investissements étrangers. Le nombre de ces traités bilatéraux d’investissement a considérablement augmenté et on l’estime actuellement à plus de 3000 traités. 9 Un exemple significatif de cette résistance est l’échec des tentatives de l’OCDE dans les négociations sur 22 les projets de textes pour un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Ne pouvant pas aboutir, ces négociations se sont arrêtées en décembre 1998. Cf. Note du Secrétariat de l’OCDE, DAFFE/MAI(98)7/REV1.
AVRIL 2017 L’évolution des modes de règlement d’arbitrage ou de conciliation une très large marge à la liberté des différends prévus par cette convention. Afin de de négociation et au pragmatisme garantir le maximum d’efficacité, économique, elle risque de nucléariser, Longtemps revendiquée par les la Convention a créé un mécanisme encore plus, les normes substantielles Etats d’accueil, la compétence multilatéral : Le Centre International du droit international de l’IDI10. Ceci nationale exclusive (administrative de Règlement des Différends Relatifs est de nature à introduire une certaine et judiciaire), pour connaitre du aux Investissements (CIRDI). insécurité juridique aussi bien sur le contentieux de l’IDI, a fait l’objet Obéissant à la même logique, droit applicable que sur les modes de de fortes mises en cause. En droit on ne le répètera jamais à règlement des différends. classique, une telle compétence satiété, les traités bilatéraux La deuxième tendance de l’évolution ne pouvait être contrée qu’une fois d’investissement, contiennent quasi- du régime des IDI se situe sur le le différend est « internationalisé » systématiquement des clauses plan des modes de règlement par le truchement de la protection d’arbitrage et/ou de conciliation. des différends. Les mécanismes diplomatique. Ce mécanisme à deux Ce texte a tenté une lecture rapide classiques des standards minimum niveaux (national puis interétatique) et non exhaustive de l’évolution et de la protection diplomatique pour a été jugé inadéquat car il implique, du régime des IDI en essayant protéger les IDI semblent largement une (ou plutôt deux procédures) d’identifier ses grandes tendances. abandonnés au profit d’un recours longues et tortueuses. En plus, l’octroi quasi-systématique à l’arbitrage. Certes, l’arbitrage international et ses caractéristiques offrent d’immenses avantages. Cependant l’accroissement « A la fin de la deuxième guerre mondiale phénoménal du contentieux arbitral (surtout ad hoc) laisse penser qu’une et à la suite de la décolonisation, les petite dose de « judiciarisation » pourrait être avantageusement nouveaux Etats ont déclenché un vaste instillée. Cette idée a déjà commencé à faire son chemin dans les négociations mouvement pour instaurer un “Nouvel en cours du traité de Partenariat Transatlantique de Commerce et Ordre Economique International” qui d’Investissement entre les Etats Unis et l’Union Européenne (en comporte aussi une volonté de refondre le anglais TTIP ou TAFTA). En effet, le 12 novembre 2015 lors de ces régime de l’IDI. » négociations, l’Union Européenne a fait une proposition pour la protection des investissements et la mise en place d’un système juridictionnel pour le de la protection diplomatique reste La première tendance se situe sur le règlement des différends en matière toujours l’apanage de la volonté plan des normes du droit substantiel ; d’investissement. Une autre démarche souveraine de l’Etat national. Ces la stérilité normative conventionnelle dans le même sens a consisté à deux éléments ne répondent plus multilatérale et coutumière est proposer un organe « pérenne » pour aux exigences de la multiplication de sans commune mesure avec la connaitre des recours en annulation ces différends et à l’urgence de leur multiplication exponentielle des IDI en des sentences arbitrales rendues règlement. termes d’importance financière et de dans le cadre du CIRDI, à l’instar du Le système de la mise en œuvre diversité géographique. Par contre, la mécanisme des panels de l’OMC. de la protection diplomatique est fécondité normative conventionnelle Le fait que plusieurs pays soient à la devenue donc un mode accessoire et bilatérale a atteint un chiffre très fois pays d’origine et d’accueil des IDI, peu usité pour la protection de l’IDI important, ce qui risque de rendre laisse penser qu’un certain équilibre cédant largement la place à l’arbitrage chaque IDI sui generis non seulement normatif pourrait se profiler dans le international et aux modes alternatifs dans ses volets économiques et cadre des relations de l’investissement de règlement des différends (ADR) tels techniques, mais aussi dans son volet international. Le clivage n’étant plus que la conciliation et la médiation. normatif. Cette situation peut, en pays riches vs pays pauvres, le régime Dans cette optique, la conclusion partie, s’expliquer par l’absence d’un juridique de l’IDI, tout en continuant à de la Convention de Washington de droit international de l’investissement être en perpétuelle mutation, tendra 1965 était un élément fondamental bien établi dans des normes peut-être vers un équilibre viable pour esquiver le « passage obligé » conventionnelles multilatérales et entre la protection des intérêts publics de la protection diplomatique en se nourrissant d’une riche « nappe légitimes des Etats d’accueil et la permettant un accès direct de phréatique » de normes coutumières. protection, toute autant légitime, des l’investisseur étranger aux modes Même si cette réalité juridique offre intérêts des investisseurs étrangers. 10 A ce propos, un effort de développement et de promotion des règles des « standards minimum » serait 23 bénéfique et il serait intéressant d’approfondir la contribution de la doctrine et de la jurisprudence dans ce domaine.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 Aspects choisis de la reddition de compte (art. 400 CO) Texte — Me Sofian Ghezala Selon l’art. 400 al. 1 CO, le mandataire est tenu, à la demande du mandant, de lui rendre en tout temps compte de sa gestion et de lui restituer tout ce qu’il a reçu de ce chef, à quelque titre que ce soit. Cette disposition prévoit ainsi un devoir de rendre compte et un devoir de restituer à la charge du mandataire. Après quelques rappels généraux concernant ces devoirs, nous examinerons la question de l’obligation du mandataire de restituer des rétrocessions et finder’s fees perçus, ainsi que celle de l’éventuelle remise de ses notes internes (sections II à IV). 24
AVRIL 2017 — Sofiane Ghezala 2006 Certificat de Droit Transnational à Genève 2008 Master en Droit international et européen à Genève 2008 stage d’avocat à l’Etude Mentha & Associés 2011 Collaborateur chez LALIVE 2014 LL.M à Berkeley Les modalités de la reddition de compte question des mesures provisionnelles et doit même fournir des informations ainsi que le droit de rétention et de de la requête en cas clair (section VII). sur ses propres manquements dans la compensation du mandataire seront gestion du mandat.3 ensuite analysés, notamment sous L’obligation de rendre compte Les renseignements fournis permettent l’angle de la possibilité pour l’avocat de en outre au mandataire de connaître compenser le cas échéant ses honoraires Par le biais des renseignements qui lui l’objet de l’obligation de restitution avec les provisions reçues de son client sont transmis, le mandant doit pouvoir examinée ci-dessous.4 Dressé par (section V). Notre exposé se portera vérifier si l’activité du mandataire écrit, le compte-rendu de l’activité du ensuite sur l’opposabilité, sous certaines correspond à une bonne et fidèle mandataire doit être accompagné des conditions, du secret professionnel de exécution du mandat.1 L’information pièces justificatives, sauf dans des cas l’avocat et du banquier pour faire face à reçue doit être véridique et complète2, exceptionnels où il ne serait pas d’usage une demande de reddition de compte des ce afin de permettre au mandataire d’en établir.5 Selon le Tribunal fédéral, héritiers d’un défunt client (section VI). d’éventuellement réclamer des « il suffit, pour l’établir, des notes Les aspects procéduraux d’une action en dommages-intérêts pour mauvaise écrites que le mandataire est tenu de reddition de compte seront enfin traités, exécution du mandat. Une partie de la prendre au sujet de sa gestion ».6 Si le y compris s’agissant de l’épineuse doctrine considère que le mandataire mandat implique la gestion de valeurs 1 ATF 139 III 49, JdT 2014 II 217, consid. 4.1.2. 2 TERCIER et al., Les contrats spéciaux, 4ème éd., 2009, p. 775, n°5164. 3 WEBER, Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 6ème éd., 2015, N 4 ad art. 400 ; WERRO, CR CO I, 2ème éd., 2012, n°4 ad art. 400. 4 ATF 141 III 564, consid. 4.2.1. 5 ATF 110 II 181, JdT 1984 I 488, consid. 2 (mandat fondé sur une procuration générale entre une mère et son fils : l’obligation de rendre compte sur la base de pièces justificatives a été confirmée même dans un 25 6 tel cas de proche parenté). Ibid.
LA LETTRE DU CONSEIL N°63 financières, le mandataire doit être en ces avantages devraient uniquement à titre illustratif, il a exclu à ce titre mesure de fournir à tout moment des bénéficier au gestionnaire de fortune les études préalables, les notes, les décomptes détaillés, sur la base des ne modifie pas cette conclusion. Ces projets, le matériel rassemblé et la justificatifs idoines.7 avantages doivent être restitués comptabilité du mandataire.17 Le mandant n’a pas à justifier d’un immédiatement au mandant, et non Cela étant, les obligations de rendre intérêt particulier pour formuler sa seulement à la fin du mandat.13 compte et de restituer ne se recouvrent demande de reddition de compte, sous Une renonciation anticipée à la pas entièrement, la première étant réserve des cas d’abus de droit, telle restitution des rétrocessions plus large que la seconde. Ainsi, le une requête chicanière.8 Le Tribunal est possible, à des conditions mandataire peut être amené à devoir fédéral a par exemple confirmé strictes. Sous peine de nullité, une rendre compte de relevés internes (tels l’existence d’un comportement abusif renonciation doit, selon le Tribunal que des comptes-rendus de visites de dans le cas d’un client se prévalant du fédéral, mentionner précisément les clients ou des protocoles d’entretiens caractère soi-disant insuffisamment paramètres « nécessaires pour calculer téléphoniques) afin de permettre au détaillé des notes d’honoraires de son le montant global des rétrocessions et mandant de contrôler son activité, ancien avocat (lesquelles comportaient permett[re] une comparaison avec les alors même que ces relevés ne sont en un « relativement haut degré de honoraires convenus pour la gestion principe pas soumis à l’obligation de détails », selon l’autorité cantonale de fortune ». Le mandant doit ainsi restitution. Si les circonstances du cas supérieure), alors même que le client être informé à l’avance des « valeurs concret justifient une telle obligation de ne les avait pas contestées durant plus déterminantes des conventions de rendre compte, le Tribunal doit encore de deux ans.9 rétrocessions passées avec des tiers procéder à une pesée des intérêts pour ainsi que de l’ordre de grandeur des déterminer si le document interne L’obligation de restituer restitutions escomptées », cette doit être présenté au mandant, et « dernière exigence [étant] satisfaite (…) dans l’affirmative, sous quelle forme — En général lorsque le montant des rétrocessions (extraits, relevés déterminés, etc.).18 escomptées est indiqué dans un Cette pesée d’intérêts opposera l’intérêt L’obligation de restituer à la demande pourcentage de la fortune gérée ».14 du mandataire au maintien du secret à du mandant porte sur tout ce que le Alors qu’un client rompu à la finance l’intérêt du mandant à pouvoir vérifier mandataire peut avoir acquis ou reçu pourra être valablement informé l’activité de ce dernier, respectivement lors de la conclusion ou de l’exécution par la communication des données à être en mesure d’émettre ses du mandat, notamment le solde techniques précitées, un devoir prétentions sur la base des documents de provisions ou d’avances et tout d’information accru des paramètres internes litigieux.19 avantage reçu de tiers, y compris des applicables et des relations avec rabais ou d’éventuels pots-de-vin les tiers sera exigé face à un client Modalités, droit de rétention et octroyés par des tiers. Outre les biens inexpérimenté.15 compensation reçus, la restitution porte également sur ce que le mandataire a lui-même La production de documents internes Les obligations de rendre compte et créé, tels que des rapports, plans, de restituer se prescrivent par dix ans radiographies, etc.10 Seuls les objets ou Selon le Tribunal fédéral, le devoir de à compter de la fin du mandat (art. valeurs qui ne sont pas intrinsèquement rendre compte du mandataire peut 127 CO).20 L’action en revendication liés au mandat sont exclus du devoir de « porter sur la teneur de documents de l’art. 641 al. 2 CC pour des biens restitution ; il en va ainsi des cadeaux internes pour autant qu’elle soit meubles confiés au mandataire est d’usage de tiers.11 pertinente pour contrôler les activités imprescriptible ; il en va ainsi en du mandataire ».16 Des documents principe de papiers-valeurs conservés — Les rétrocessions et purement internes, tels que des dans un dépôt ouvert.21 finder’s fees projets de contrats qui n’ont jamais été Le mandataire peut conserver une copie adressés, n’y sont toutefois pas soumis. des documents originaux restitués à Au titre des avantages indirects, la Notre Haute Cour a également retenu son mandant22 et exiger le rembourse- jurisprudence s’est penchée sur le que l’obligation de restituer ne porte ment de ses frais de photocopie pour cas des rétrocessions et finder’s fees en principe pas sur de tels documents ; des documents lui appartenant.23 (rémunération unique pour apport de clients ou de nouveaux avoirs) pouvant être perçus le mandataire, notamment par le gérant de fortune externe d’une 7 TERCIER et al., Les contrats spéciaux, 4ème éd., 2009, p. 775, n°5165. banque dépositaire. Le Tribunal 8 Arrêt du Tribunal fédéral 4C.206/2006 du 12 octobre 2006, consid. 4.3.1 et 4.3.2. 9 Arrêt du Tribunal fédéral 4A.144/2012 du 11 septembre 2012, consid. 3.2.2 et 3.2.3. fédéral a conclu que de tels avantages 10 TERCIER et al., Les contrats spéciaux, 4ème éd., 2009, pp. 775-776, n°5168. doivent en principe être remboursés 11 FELLMANN, Berner Kommentar, Der einfache Auftrag, Art. 394-406 OR, 1992, n°127. au mandant, et ce quand bien même 12 ATF 132 III 460, JdT 2008 I 58, consid. 4.3 ; ATF 137 III 393, JdT 2012 II 168, consid. 2.1. 13 Arrêt du Tribunal fédéral 4C.125/2002 du 27 septembre 2002, consid. 3.1. ils seraient usuels dans la branche 14 ATF 137 III 393, JdT 2012 II 168, consid. 2.4. considérée.12 Le fait que le tiers – à 15 Ibid., consid. 2.5. 16 ATF 141 III 564, consid. 4.2.1. savoir typiquement la banque de dépôt 17 ATF 139 III 49, JdT 2014 II 217, consid. 4.1.3 et 4.2.2. – considérerait dans un cas donné que 18 Ibid. 19 Pour la comparaison de ces intérêts, cf. FELLMANN, Berner Kommentar, Der einfache Auftrag, Art. 394- 406 OR, 1992, n°19 et 79. 20 Arrêt du Tribunal fédéral 5C.305/2005 du 18 avril 2006, consid. 2.2. ; ATF 133 III 37, consid. 3.2. 21 GUGGENHEIM, Les contrats de la pratique bancaire suisse, 5ème éd., 2014, n°519-520 ; voir également FELLMANN, Berner Kommentar, Der einfache Auftrag, Art. 394-406 OR, 1992, n°168 et 170. 22 WEBER, Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 6ème éd., 2015, N 17 ad art. 400 ; WERRO, CR CO I, 26 2012, N 19 ad art. 400. 23 MOREILLON, Le droit de rétention de l’avocat, in : L’avocat moderne, Regard sur une profession dans un
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