La maternité aujourd'hui - Ce que les femmes en disent - Axelle Magazine
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mai 2018 / n°209 chroniques d’une grève QUAND LES ESPAGNOLES ONT ARRÊTÉ LE MONDE reportage Un village de femmes au Kurdistan syrien Mensuel. Bureau de dépôt : Bruxelles . Vie Féminine, 111 rue de la Poste, 1030 Bruxelles La maternité aujourd’hui Ce que les femmes en disent
sommaire actualités En couverture 4 Et puis quoi encore ? La grève des femmes 6 Dans l’œil d’axelle Mai 2018 : on va en entendre 8 Brèves d’ici et d’ailleurs parler, des cinquante ans de 11 À Vie Féminine, on dit quoi ? Mai 68 ! En attendant qu’on nous démontre que les femmes ont réellement bénéficié de dossier cette révolte, nous préférons 12 La maternité aujourd’hui : ce que les femmes en disent mettre en couverture et au cœur de ce numéro la grève des femmes espagnoles, qui s’est tenue le 8 mars. Bien magazine sûr, nous n’avons pas de 18 Féminismes | Chroniques d’une grève. distance historique vis-à-vis Quand les Espagnoles ont arrêté le monde d’un événement aussi récent, mais il nous semble que cette 22 Société | Voix de femmes sans papiers journée, qui fut assurément 24 Femmes face à la Justice | Victimes de violences conjugales, extraordinaire, marque une elles ont tué leur agresseur étape sur le chemin vers 27 Vues de Flandre | « Rire avec » et pas « rire de » l’égalité. Rendez-vous en page Reportage | Un village de femmes au Kurdistan syrien 28 18 pour vivre de l’intérieur une grève où l’imagination a pris le L a chronique benoîte de Benoîte Bennett 31 pouvoir… 32 Le mot ne fait pas la femme | Femme multitâche : le superpouvoir culture 34 Musique | Juicy 35 Agenda 36 Cinéma | Foxtrot 37 Bouquins en pratique 40 Elles sont partout | La plateforme féministe contre les violences faites aux femmes 43 Nos droits | Chauffe-eau en panne : la locataire peut-elle arrêter de payer son loyer ? 43 Bricolage | Comment faire de la peinture suédoise ? 45 Brèves 46 Jeu-concours 47 L’histoire avec un grand elles | Les Penn Sardin Rédactrice en chef : Sabine Panet. Ont collaboré à ce numéro : axelle magazine est édité Secrétaire de rédaction : Queralt Castillo, Stéphanie Dambroise, par Vie Féminine, Stéphanie Dambroise. Diane Delafontaine, Cécile De Wandeler, Mouvement féministe 111, rue de la Poste – 1030 Bruxelles Vanessa D’Hooghe, Constanza Escriche, d’action interculturelle Tél : 02/227 13 19 Éditrice responsable : Anne Boulvin. Patricia Horrillo, Julie Joseph, Irène Kaufer, et sociale. Crédits photographiques : contact@axellemag.be La bricoleuse, Véronique Laurent, Manon www.viefeminine.be lorsqu’elle est indiquée, la mention www.axellemag.be Legrand, Marie Lhoir, Vanessa Lhuillier, Il est réalisé par une rédaction spécifique « CC » fait référence aux licences Florence Lonnoy, Natacha Mangez, Aurélie au sein du mouvement, ainsi que par des www.facebook.com/axellemagazine « Creative Commons » dont les détails Moreau, Sabine Panet, Aline Rolis, Méri T. journalistes indépendant·es. sont disponibles ici : Silanes, Joana Vicente, Camille Wernaers. https://creativecommons.org/choose Photographie de couverture : © Cordonpress / Eduardo Parra 2 n° 209 / Mai 2018
¥ édito Ce qu’on ne peut pas L vous raconter Le façonnage de ce numéro de mai a été d’une grande complexité. Je ne sous-entends pas que d’habitude, axelle se « boucle » comme sur des roulettes mais ce mois-ci, jusqu’au der- nier moment, certains articles ont été remis en question, déplacés, annulés, réédités… Je pense à un sujet en particulier. Mais je ne peux pas vous dire lequel. Et je ne peux pas vous expliquer pourquoi. C’est le cœur de cet édito : comme je ne peux pas écrire en toutes lettres ce qui vous mettrait sur la voie, je vais essayer de vous le faire deviner. Si vous ne trouvez pas, ce n’est pas grave. Ce qui est grave, c’est que cet article, nous n’avons À Herstal, fin mars, deux femmes ont été assassinées par l’ex- compagnon de l’une d’entre elles alors que récemment, elle avait plusieurs fois porté plainte à l’encontre de celui-ci pour menaces de mort. Le temps de l’instruction et le manque de protection de cette femme et de son entourage par nos institutions ont rendu service au tueur. Ce n’est pas une histoire isolée : Vie Féminine vient de publier une étude – à découvrir sur notre site internet – basée sur des témoi- gnages de femmes résidant dans toute la Wallonie et à Bruxelles. Partout, la police banalise les violences qu’elles vivent et leur en attribue la responsabilité ; l’accueil des victimes laisse cruelle- pas pu l’écrire comme nous l’aurions voulu. ment à désirer. Les quelques expériences positives que soulignent Il s’agit d’un sujet tabou, terrible. Il y a une femme au centre, que les femmes sont de l’ordre individuel ; les mauvaises, elles, sont la journaliste a rencontrée et qui s’est confiée longuement, heu- institutionnelles, systémiques, massives. L’État n’assure pas ses reuse de pouvoir livrer une parole jusqu’alors peu entendue, et de missions ; les conséquences sont dramatiques. le faire « pour toutes les femmes ». Aujourd’hui, cette femme est Quand écoutera-t-on vraiment la parole des femmes ? Quand les dans l’attente : elle ne connaît pas encore le sort que lui réserve prendra-t-on au sérieux et les protégera-t-on au plus vite, avec l’institution qui aurait dû la protéger, il y a longtemps, et qui va leurs enfants et leurs proches, afin qu’elles n’aient pas à mourir maintenant la punir. Mais nous ne pouvons pas vous raconter sous les coups ou à se défendre par elles-mêmes ? tout ce qu’elle nous a dit, tout ce que ses amies nous ont confié. Sabine Panet Parce que cela pourrait se retourner contre elle. Elle est coupable, certes. Mais elle est aussi victime, dans une société où la police et la Justice ferment les yeux sur les violences envers les femmes et AXELLE Sur le web attendent le dernier acte des tragédies quotidiennes pour « agir ». Exclu web : une fois par mois, Et encore, pour faire quoi ? axelle prend une personnalité belge par la main, pour la connaître… sur le bout des doigts. © Laetizia Bazzoni Ce mois-ci : l’athlète Cynthia Bolingo. Rendez-vous sur axellemag.be Abonnement Infos : Adwoa Oppong, 02 227 13 22 du mouvement, et vous recevez tous les Publicité : Publicarto (053 82 60 80) Pour vous abonner, il suffit de faire la ou par mail : abonnement@axellemag.be numéros d’axelle (voir p. 48). Magazine publié sans but lucratif. demande par écrit, téléphone ou mail. Vous pouvez aussi, sur simple demande, Cotisation : 24 € par an. Les annonces publicitaires n'engagent Référez-vous au talon page 10. recevoir ou faire parvenir à quelqu’un un Compte : BE33 7775 9958 3146 que leurs auteur·es. Abonnement d’un an Belgique : 29 € exemplaire d’axelle gratuitement, sans de Vie Féminine (BIC : GKCCBEBB). Graphisme et Mise en pages : pour 10 numéros (8 numéros mensuels, engagement. Si vous êtes membre de Vie Courrier des lectrices : Cécile Crivellaro. 1 numéro double hors-série janvier-février, Féminine, vous recevez automatiquement axelle, courrier des lectrices Impression : Corelio Printing. 1 numéro hors-série juillet-août). tous les numéros d’axelle. 111 rue de la Poste - 1030 Bruxelles Étranger : Europe 64 €, hors Europe 78 € Affiliation contact@axellemag.be (la différence de prix avec la Belgique est En devenant membre de Vie Féminine, Les courriers anonymes due aux frais postaux). vous soutenez un mouvement féministe, ne sont pas pris en considération. Compte: BE13 7755 9620 2639 de Vie vous bénéficiez de tarifs avantageux Féminine (BIC : GKCCBEBB). pour des activités et des publications n° 209 / Mai 2018 3
Et p u Corps des femmes Le prix du silence et deniers publics islamologue et conférencier à femme vivant en Belgique ? À seraing, certaines personnes ont le sens du timing. C’est succès, tariq ramadan est Cette dernière avait début mars, peu avant la Journée internationale des droits des accusé par différentes entretenu une relation avec femmes, qu’a été lancé par l’intercommunale L’immobilière femmes de viol et de l’islamologue et détiendrait Publique l’appel d’offres pour la construction d’un « eros violences sexuelles. Celles qui des preuves au sujet de son center » : en gros, il s’agit d’une maison close financée par la ont porté plainte contre lui comportement envers les commune. À cette occasion, le bourgmestre alain mathot (Ps) sont actuellement menacées femmes. Contre finances, elle vante dans les médias le design du bâtiment prévu de mort, ainsi que leur aurait fait disparaître ces (www.rtbf.be, 1er mars 2018) : « C’est un bâtiment assez famille, par des « fans » de preuves. L’avocate belge inès moderne, de forme ovale, avec des salons qui permettent tariq ramadan, et l’une Wouters, qui défend tariq aux clients de faire un choix. » Quelle délicate attention ! Un d’entre elles a été passée à ramadan dans cette affaire-ci bâtiment moderne, limite chic : on espère que les femmes le tabac en bas de chez elle. s’il (chacun·e son métier…), seront aussi, pour que les clients soient encore plus contents. y a d’autres victimes, voilà de explique au Vif et à Y aura-t-il un contrôle qualité ? Des enquêtes de satisfaction ? quoi les dissuader de dire Mediapart, qui ont révélé en tous les cas, les bénéfices issus de la prostitution devront « me too »… mais comme ensemble l’information le permettre de rembourser les sommes faramineuses que la l’affirme la page Facebook 4 avril dernier : « Un accord commune a investies dans ce projet à la limite de la légalité, à « Contre la calomnie. en transactionnel peut avoir commencer par les sept millions d’euros de l’appel d’offres... soutien à tariq ramadan » beaucoup de raisons, oui, sept millions. À seraing, on n’est pas radins. attention, (12.000 « j’aime », quand notamment éviter un litige qui houla, rien à voir avec du proxénétisme puisque l’affaire même, et 17.000 pour la est très coûteux. Il n’est pas sera gérée par une asbl. À but non lucratif, donc. ou juste page « Comité de soutien à nécessairement une un tantinet lucratif, car il faut rentrer dans ses frais. À ce tariq ramadan »), les reconnaissance de quoi que ce propos, avant même l’ouverture du centre, l’asbl rémunérerait plaignantes sont « fragiles, soit. » C’est ça, la Justice ? généreusement son administratrice déléguée, l’équivalent manipulatrices » et « atteintes ouf alors : « Même si Tariq de 48.000 euros par an pour environ 10 heures de travail de mythomanie aiguë ». Ramadan est condamné, sa par semaine (Le Soir, 3 juillet 2017) : l’abnégation, ça va un est-ce donc pour éviter pensée reste intacte », moment. Bref : allez les femmes, au boulot ! À seraing, les d’avoir affaire à une déclarait le 31 mars amar finances publiques comptent sur vous. et si un doute féministe « mythomane » que dès Lasfar, président de vous assaille, sachez que la commune ne vous veut que du 2015, tariq ramadan a l’organisation musulmans de bien : fin mars, son conseil a voté une charte en faveur de négocié un accord financier France. Plus intacte que ses l’égalité entre les femmes et les hommes. non mais sans de 27.000 euros avec une victimes, probablement. blague ! Un seul homme condamné et le patriarcat n’est pas dépeuplé La fameuse loi belge contre le sexisme faisons, n’est-ce pas ? Bon, il faut dire que menaces. « C’était un bon cas pour tester dans l’espace public, souvent évoquée les circonstances n’ont pas joué en faveur cette loi : un cas concret et très clair, avec dans axelle, est entrée en vigueur en 2014. du condamné : en juin 2016, lors d’une de nombreux témoins », explique au Soir sortez les confettis : un homme a enfin interpellation pour une infraction au code (6 mars 2018) Gilles Blondeau, porte-pa- été condamné sur base de cette loi ! on de la route, l’homme s’en était pris à… role du parquet du procureur du roi de pensait pourtant qu’elle était très difficile une policière. Début mars 2018, il a donc Halle Vilvorde. allez, on parie : le prochain à appliquer pour l’immense majorité des été reconnu coupable d’atteinte grave à condamné, ce sera avant 2022 ! femmes victimes de sexisme dans l’espace la dignité de la personne en raison de son public… Quelles mauvaises langues nous sexe, mais aussi d’outrage à agent·e et de 4 n° 209 / Mai 2018
s u i quoi encore ? révolte ’ac tualité qui nous L expertes portées disparues Permis de violer « sudpresse se dote qu’à Verviers, les femmes les femmes d’experts », annonce fièrement le titre de qui s’y connaissent un tant soit peu en quelque prostituées l’article de laprovince.be (2 mars). Voici donc, à titre d’exemple, les onze chose ont toutes été enlevées par des extraterrestres. Une Les femmes qui se prostituent sont-elles des êtres humains ? À en talents dénichés par question avant de lancer croire quelques juges, on en doute. Deux Liégeoises ont porté La Meuse Verviers : un l’avis de recherche : plainte pour viol contre un client, la première pour des faits expert en enseignement, puisqu’il n’y a remontant à 2015 et la seconde, à 2017. L’homme les aurait un expert en musique, un apparemment pas menacées avec un couteau pour leur imposer un acte sexuel qui expert en gastronomie, d’expert « femmes » à la n’avait pas été prévu dans leur accord initial. mais voilà : « Après un expert en nature, un Meuse, qui va analyser analyse du dossier, le tribunal n’a relevé aucun élément permettant expert en justice, un sérieusement le fait que d’établir des faits de viol ou des relations imposées sous la menace autre en tourisme, un le centre hospitalier d’une arme. Les juges ont souligné qu’en raison de la nature de la septième en histoire et régional de Verviers ne profession exercée par les dames, leur absence de consentement patrimoine, un huitième prend plus en charge les était délicate à démontrer », explique l’agence Belga, relayée par en économie et victimes de viol qui sudinfo.be (28 mars 2018). Le consentement d’une femme ne commerce et puis un auraient besoin de vaut déjà pas grand-chose face à la machine judiciaire. Pensez, autre en cinéma et puis recueillir les traces de celui d’une femme qui se prostitue… un autre en diversité et leur agression pour les enfin un dernier en rendre valables devant un agriculture. onze tribunal (La Libre, 6 mars hommes, donc. Parce 2018) ? Un médecin violeur et récidiviste Et vous, qu'est-ce qui vous révolte ? C’est une affaire révélée par La Libre (26 mars 2018). Un médecin urgen- Vous voulez faire savoir aux autres lectrices d’axelle tiste, qui avait été licencié pour viol, a récidivé dans un autre hôpital… ce qui vous indigne dans notre monde sexiste, raciste en septembre 2017, il avait commis un viol sur une patiente. Quelques et capitaliste ? jours auparavant, il avait déjà été accusé d’attouchements sur une jeune femme souffrant de problèmes psychiatriques, qu’il avait accusée d’affabuler. Écrivez-nous à axelle magazine, rapidement après la seconde agression, dénoncée par la jeune femme sous Et puis quoi encore ? le choc, l’homme est emmené par des policiers au parquet et placé en garde 111 rue de la Poste – 1030 Bruxelles à vue. il est licencié le lendemain midi pour faute grave. L’instruction est ou à axelle@skynet.be toujours en cours et il a été libéré sous conditions : il n’a par exemple plus le droit de prendre des patientes en charge autrement qu’en présence d’un·e autre prestataire de soins. mais dans l’hôpital de la province du Luxembourg où il a trouvé un nouveau travail, on n’en a rien su. et voilà qu’une autre patiente vient de déposer plainte contre lui pour « attitude inappropriée ». Comme le pointe La Libre, le dispositif de suspension d’urgence d’un médecin ne fonctionne pas… et les femmes en payent le prix. ntaine e Delafo on: Dian 5 n° 209 / Mai 2018 illustrati
Abreu vée d’images, axelle ch oisit d e décaler so n regard sélection et ne chaqu un ins tan e mois tané oub d e l’act u lié alité. L e 2 février dernier, en autriche, des manifestantes au profil inhabituel ont défilé dans les rues de Vienne. La tête recouverte d’un « pussyhat » – en référence à la marche des femmes américaines contre Donald trump –, environ 200 « grands-mères contre la droite » ont exprimé publiquement leur opposition à la politique d’asile et de migration menée par leur gouvernement. elles ont notamment chanté les paroles suivantes, rapportées par le quotidien autrichien Der Standard (5 février) : « Nous sommes inquiètes que la vie soit si infecte récemment, parce qu’on entend la progéniture des nazis grogner de plus en plus ouvertement ! Le pays est divisé et nous disons clairement : ça suffit ! Ces messieurs ont trahi l’Autriche ! » Le groupe, créé au départ par monika salzer, psychothérapeute et pasteure protestante à la retraite, comptait huit femmes. elles ont d’abord pris part à différentes manifestations (comme le 13 janvier, voir photo) avant de rassembler de nouvelles membres et d’initier elles-mêmes la marche du 2 février qui avait pour but premier de commémorer la mémoire de Ute Bock, une militante engagée auprès des réfugié·es décédée le 18 janvier dernier. Ute Bock fut notamment la fondatrice d’un centre qui accueille des centaines de personnes demandeuses d’asile. Les manifestantes ont rappelé l’importance de l’expérience de leur génération : après la seconde Guerre mondiale et ses horreurs, elles ont essayé de reconstruire une meilleure société, basée sur la solidarité. actuellement, devant les mesures prises par la coalition au pouvoir pour restreindre drastiquement le droit d’asile (nombre de personnes acceptées plafonné, obligation d’avoir déjà des proches dans le pays et de fournir des preuves de persécution…), elles s’exclament : « Il ne faut jamais oublier le passé ! Méduse [sous-entendu : le nazisme] peut facilement prendre un autre visage… » et, toujours en chantant, elles citent sophie scholl, grande résistante allemande au nazisme, exécutée à munich en 1943 : « Si on a peur, on se laisse plus facilement manipuler. » n° 209 / Mai 2018 7
és act ualit D’ici et d’ailleurs Une manifestation Vatican : féministe réprimée des sœurs dans la capitale dénoncent Belgique. Le 31 mars dernier à Bruxelles, la manifestation féministe, pacifique et leur nocturne « Reclaim the Night » (« reprendre la nuit ») a été brutalement stoppée par les forces de l’ordre. Il y a un peu plus d’un an, une précédente marche « Reclaim exploitation the Night » fut également réprimée (voir notre article « Violences policières lors d’une marche féministe à Bruxelles », à lire sur axellemag.be). Mais les souvenirs de économique ces violences n’ont pas empêché les organisatrices de prendre à nouveau la rue, un samedi soir de pleine lune. « Après avoir subi une violence policière décomplexée lors Italie. Peu avant le 8 mars, Journée de la précédente Reclaim the Night le 11 février 2017, nous avons choisi de marcher internationale des droits des femmes, trois à nouveau ensemble hier soir, sans se résigner au bon vouloir d’un État autoritaire et sœurs employées au service d’hommes patriarcal qui nous opprime quotidiennement », expliquent les organisatrices sur d’Église ont témoigné anonymement dans leur site internet, au lendemain de la manifestation. le mensuel Femmes Église Monde, distribué L’objectif de la marche était de dénoncer les violences sexistes et policières qui par la publication officielle du Vatican. visent les femmes et les personnes trans dans l’espace public. C’est d’ailleurs parce Elles dénoncent des conditions de travail qu’elles poussent jusqu’au bout leur raisonnement que les organisatrices n’ont ahurissantes et le mépris dont elles font pas demandé d’autorisation officielle pour manifester : « Nous estimons que nous l’objet de la part de leurs drôles de patrons. devrions avoir le droit de nous approprier la rue sans avoir à négocier. […] Nous trou- « Sœur Cécile » explique dans l’article : « Les vons extrêmement paradoxal de demander une autorisation à un État patriarcal pour sœurs sont perçues comme des volontaires pouvoir manifester contre lui. » Par ailleurs, prenant l’exemple de diverses marches dont on peut disposer comme on veut, récemment interdites ou réprimées, elles pensent que leur manifestation n’aurait ce qui donne lieu à de véritables abus de probablement pas été autorisée. Quant au porte-parole de la police de Bruxelles pouvoir ». « Sœur Marie », qui vient d’Afrique Capitale-Ixelles, Olivier Slosse, interrogé par BX1 (2 avril 2018), voici comment il subsaharienne, raconte en effet : « Certaines justifie l’intervention : « Étant donné qu’il y avait eu des incidents l’an dernier, il a été sœurs, employées au service d’hommes décidé de bloquer la manifestation et d’interpeller administrativement les personnes d’Église, se lèvent à l’aube pour préparer le présentes. » petit-déjeuner et vont dormir une fois que le Le 31 mars, une centaine de manifestant·es se sont donc rassemblé·es place Sainte- dîner a été servi, la maison mise en ordre, le Catherine, dans le centre de Bruxelles. Mais dix minutes plus tard, un important dis- linge lavé et repassé... » Dans le monde de positif policier les encercle : les personnes ont été attrapées brutalement, « plaquées l’Église, ce sont toujours des femmes qui au sol, tirées par les cheveux, fouillées » et menottées avec des colsons, racontent servent les dignitaires masculins, même les organisatrices. Cela s’est passé derrière des barrières opaques dressées, selon lorsqu’elles pourraient leur en remontrer la police, « pour protéger les manifestantes et éviter un éventuel malaise parmi les question connaissances théoriques. « Sœur badauds » ou, selon les manifestantes, « pour nous rendre invisibles à la foule amassée Paule » évoque le sort d’une religieuse, aux alentours et aux soutiens ». Puis docteure en théologie, envoyée « nettoyer des Une partie du dispositif policier les militant·es ont été entassé·es plats ». Ainsi que le rappelle malicieusement qui a réprimé la manifestation dans des bus et des camionnettes Le Vif (2 mars 2018), le pape François avait féministe du 31 mars 2018. de la police et emmené·es aux caser- justement conseillé en mai 2016 à l’Union nes d’Etterbeek pour être fiché·es internationale des supérieures générales : et relâché·es dans divers endroits « Quand on vous demande une chose qui relève de Bruxelles afin d’éviter un nou- davantage de la servitude que du service, ayez veau rassemblement. Une dizaine le courage de dire non. » Au cours de cette © Collectif Féminisme Libertaire de témoignages rendus publics sur même rencontre, il avait malgré tout précisé les réseaux sociaux font état de qu’il ne fallait pas non plus « sombrer dans le violences physiques et verbales. Et féminisme ». racontent aussi la résistance et la solidarité des militant·es. 8 n° 209 / Mai 2018
12 Harcèlement dans les transports : une résolution millions du Parlement wallon Belgique. Selon diverses études citées thème et invite à l’action : publication de dans le texte du Parlement wallon, 98 à données genrées, travail sur la préven- Le chiffre 100 % des femmes ont déjà été victimes tion, sécurisation des arrêts, rapidité de la de harcèlement de la part d’hommes réaction à la suite d’une agression, mais du mois dans les transports en commun. Le aussi travail au sein de l’entreprise de 28 février dernier, le Parlement a donc transports en commun, féminisation des C’est le nombre de filles mineures approuvé à l’unanimité une résolution professions de chauffeurs et contrôleurs, mariées de force chaque année depuis réclamant la fin du harcèlement sexiste lutte contre les images sexistes dans les dix ans, selon les calculs de l’Unicef dans les transports en commun. Cette publicités, planification urbaine, etc. La rendus publics en mars. Ce chiffre est en résolution, à lire sur le site du Parlement, résolution intègre ces recommandations léger recul (moins 15 %) en comparaison fait suite à de nombreuses mobilisations et appelle, entre autres, à mener des avec la décennie précédente, notamment d’associations féministes (notamment campagnes de sensibilisation dans les grâce à l’augmentation du taux d’éduca- Garance, mentionnée dans le texte), à transports publics, à installer des boutons tion des filles, au travail des associations de multiples témoignages de femmes d’arrêt automatique en cas de harcèle- et à des politiques gouvernementales victimes, à différents projets de représen- ment ou encore à former les travailleurs/ favorables. En Inde en particulier, il a tant·es politiques ainsi qu’à des études euses à détecter et mieux réagir quand quasiment été divisé par deux. réalisées par l’organisation JUMP, par elles/ils sont témoins d’une agression. Vie Féminine ou par l’Université libre de Comme l’indique la résolution, 59 % Bruxelles. Coordonné par les chercheuses des femmes utilisent quotidiennement Patricia Mélotte et Laurence Rosier, le les transports en commun : l’accès à la rapport de l’ULB propose un état des mobilité est un vecteur d’autonomie fon- lieux de 139 études déjà réalisées sur ce damental pour les citoyennes.. La femme du mois Cancer du sein dans Epsy Campbell Barr. Le Costa Rica vient de se choisir les maisons de repos : la première vice-présidente noire d’Amérique latine : Epsy Campbell l’inquiétude d’un médecin Barr. Économiste et féministe de gauche, écrivaine et cofonda- Belgique. Dans notre pays, un tiers des femmes touchées par le cancer du sein ont plus trice du parti politique « Action de 70 ans. Celles qui résident en maison de repos sont-elles détectées trop tardivement ? citoyenne », elle a 55 ans et elle Interviewé par la RTBF (19 mars 2018), le médecin liégeois Pino Cusumano tire la sonnette est actuellement députée. d’alarme. En effet, dans son cabinet, il voit arriver des patientes âgées, vivant dans une mai- son de repos ou une structure similaire, à un stade avancé de la maladie. Pino Cusumano incrimine tout d’abord une maltraitance créée par le système de prise en charge de ces personnes : « On a mis tellement de normes et de restrictions budgétaires que, notamment, un des postes qui a été le plus réduit, c’est le poste des soignants. Un soignant qui doit faire 30 toilettes sur une matinée, il ne peut pas tout voir. Tout le monde sait qu’en Belgique, il y a une pénurie croissante de médecins généralistes. Elle est également croissante dans les maisons de repos. » Il déplore aussi le manque de vision globale concernant le vieillissement de la population. Par ailleurs, le contexte politique ne le rassure certainement pas : la ministre de la Santé Maggie De Block (Open Vld) souhaite supprimer le remboursement du dépistage du cancer du sein pour les femmes de moins de 45 ans et de plus de 74 ans. Elle vient de suspendre son projet, simplement parce que l’annonce publique de cette mesure a sus- CC MadriCR cité un vif émoi et qu’un « débat serein est impossible dans une telle atmosphère », a-t-elle indiqué dans un communiqué (RTBF, 12 mars 2018). 9
Enfin une statue pour une héroïne noire Danemark. au Danemark d’inauguration que le but de la statue est d’interpeller – comme en Belgique –, la plu- l’histoire coloniale et esclavagiste danoise. Les deux scu- part des statues représentent lptrices veulent remettre en question la façon dont cette des héros masculins et blancs. histoire est racontée et rendre hommage aux victimes C’est donc une petite révolution de l’esclavage et du colonialisme. La sculpture, haute de que l’inauguration, le 31 mars sept mètres, s’appelle I am Queen Mary, « je suis la reine dernier, de la statue de mary mary ». La femme représentée est en réalité la fusion en thomas, la « reine des rebelles », 3D du corps des deux artistes. La « reine des rebelles » est dans la capitale danoise, dans assise sur un trône dans une pose qui renvoie à une pho- un endroit très symbolique : tographie iconique de Huey Percy newton, cofondateur Devant la statue de devant d’anciens entrepôts de la des Black Panthers. Queen mary tient dans la main droite © David Berg la « reine des rebelles », Compagnie danoise des indes, une torche enflammée, au creux de la paume gauche, une Jeannette Ehlers (à gauche) où étaient stockés sucre, rhum canne à sucre, en référence aux résistances des esclaves et et La Vaughn Belle. et autres marchandises prove- des personnes colonisées. Une femme royale. nant des colonies. en 1878, mary thomas a mené une révolte d’esclaves de très grande ampleur dans les Îles Vierges (qui étaient Erratum sous domination danoise avant d’être vendues aux États- Merci à la lectrice qui nous a signalé une erreur en page 9 du magazine de mars. C’est bien au Unis en 1917). Les artistes La Vaughn Belle, native des Îles mois d’octobre 2018 qu’auront lieu les élections Vierges, et Jeannette ehlers, danoise d’origine caribéenne, communales ! Ce sera d’ailleurs le thème du qui ont réalisé ce projet, expliquent dans leur vidéo prochain dossier. Infos abonnement Abonnez-vous, abonnez une amie ! Offre spéciale nouvelles abonnées Pour recevoir axelle 10 fois par an (8 numéros mensuels, 1 numéro double hors-série janvier- février, 1 numéro hors-série juillet-août), envoyez-nous ce talon (axelle service abonnements, Pour tout nouvel abonnement, rue de la Poste, 111 – 1030 Bruxelles) ou bien faites la demande par mail axelle vous offre son hors-série hiver 2018 ! (abonnement@axellemag.be). Racisme en Belgique. Abonnement d’un an Belgique : 29€ Solidarités de femmes Le racisme divise les femmes entre elles, de la même Abonnement d’un an Étranger : Europe 64€, hors Europe 78€ façon qu’il hiérarchise l’humanité. Et il n’épargne (la différence de prix avec la Belgique est due aux frais postaux). pas la société belge. Ce numéro spécial ouvre ses pages Je verse ……..€ sur le compte BE13 7755 9620 2639 de Vie Féminine à cette réalité complexe et met en lumière (BIC : GKCCBEBB) avec la mention « Abonnement axelle ». des femmes qui s’entraident et qui fabriquent Je souhaite recevoir le document nécessaire pour effectuer le paiement de la solidarité politique. par ordre permanent. L’abonnement prend cours dès réception du paiement. [Attention, si vous êtes membre de Vie Féminine, vous recevez automatiquement axelle. Infos en page 48] Mes coordonnées (ou celles de la personne à qui j’offre un abonnement) Nom et prénom : ………………………………………………………………………………………………………………………………… Rue et n° : …………………………………………………………………………………………………………………………………………… Code postal, localité et pays :……………………………………………………………………………………………………………… Courriel : ……………………………………………………………………………………………………………………………………………… Date et signature 10 n° 209 / Mai 2018
À Vie Féminine, on dit quoi ? Le mouvement féministe Un congé de maternité égal d’action interculturelle et sociale s’exprime pour toutes ! sur un sujet lié à l’actualité des femmes. Saviez-vous que dans notre pays, votre congé de maternité peut être réduit si vous êtes malade dans les six semaines précédant développement cognitif de l’enfant. Le congé de maternité en Belgique est l’un l’accouchement ? Vie Féminine soutient une mère révoltée par des plus courts au sein de l’Union euro- cette injustice et demande un changement de la loi. péenne, avec 15 semaines. Raboter encore le congé postnatal impacte négativement les premiers mois du bébé et la vie des parents. Rappelons-le également, les indé- pendantes ont aussi un congé de maternité très court, 12 semaines, et qui devrait faire l’objet d’une réforme à part entière. De plus, cette législation est en contradic- tion avec le droit européen. Selon la Cour de justice européenne, de tels jours d’in- terruption ne semblent pas pouvoir être pris en compte dans la période du congé de maternité. CC Joe Green Des justifications inacceptables Les principaux arguments entendus jusqu’à présent pour ne pas toucher à cette mesure En Belgique, le congé de maternité est de Maggie De Block. Nous y demandons pure- nous semblent inacceptables. Ce n’est 15 semaines, dont une semaine prénatale ment et simplement un changement de peut-être pas dans l’accord de gouverne- obligatoire. La plupart des futures mères la loi. ment, mais par ailleurs ce gouvernement essaient d’atteindre cette limite pour ne cesse d’augmenter la pression sur les conserver un « congé » de maternité suffi- Un congé à deux vitesses travailleuses et travailleurs, ce qui a des samment long. Malheureusement, il arrive Cette mesure va à l’encontre de la finalité conséquences. La question des coûts est que des complications surgissent, imposant première du congé de maternité : accueillir importante mais il faut voir qu’aujourd’hui, à la future mère un repos forcé. Une mala- au mieux un·e nouveau-né·e. Cela crée un les coûts sont supportés par les femmes, die n’ayant rien à voir avec la grossesse congé de maternité à deux vitesses, récom- les parents, confronté·es à ce problème et peut également survenir. Mais dans les pensant les femmes ayant eu la possibilité qui doivent soit mettre le bébé plus tôt à 6 semaines avant la date présumée de l’ac- de travailler jusqu’à sept jours avant leur la crèche, soit prendre des congés paren- couchement, ce qui devrait être un simple date d’accouchement présumée et punis- taux assez peu rémunérés, sans parler des « congé maladie » se transforme automa- sant celles qui n’ont pas eu cette possibilité. coûts cachés en termes de santé pour le tiquement en congé de maternité, rédui- Sans parler de la lourdeur des démarches bébé et la mère. Enfin, évoquer le risque sant d’autant les semaines postnatales. administratives qui retombent sur ces der- de « fraude » (certificat de complaisance) Confrontée à cette expérience et révoltée nières (remboursement du salaire garanti jette le discrédit sur toutes les mères et les par cette injustice, Valérie Loreaux lançait pour toucher l’indemnisation mutuelle professionnel·les de la santé périnatale qui une pétition en 2016 qui a recueilli plus de équivalente au congé de maternité) à un sont mis·es à mal aujourd’hui par différen- 40.000 signatures. Mais rien n’a bougé. moment où elles ont d’autres choses à faire. tes mesures (notamment la réduction du Autour du 8 mars, plusieurs organisations, Par ailleurs, une réduction du congé post- séjour en maternité). La manière dont la dont la Ligue des familles, Vie Féminine… natal entraîne une entrée plus précoce dans société organise l’accueil et les soins aux ont soutenu cette initiative en adressant les milieux d’accueil de la petite enfance, mères et aux nouveau-né·es dit beaucoup une lettre ouverte à la ministre de la Santé ce qui peut avoir un impact négatif sur le de cette société, et ce n’est pas joli à voir ! n° 209 / Mai 2018 11
dossier 12 n° 209 / Mai 2018
La maternité aujourd’hui Ce que les femmes en disent V ie Féminine a entamé l’an dernier une recherche-action qui n’est pas encore clôturée mais dont certains extraits suscitent déjà une réflexion riche et actuelle au sujet de la maternité. L’expérience et les préoccupations des femmes consultées apportent de nombreux éléments pour analyser la façon dont le vécu de la maternité (et de la non-maternité) a évolué à la lumière du fameux slogan des années 1970, « Un enfant si je veux, quand je veux ! » Pour nourrir ce dossier, focus sur deux initiatives : le service Aquarelle, qui répond aux besoins des mères les plus précarisées, et un collectif d’Arlon qui informe et renforce les femmes au sujet de la maternité. — Cécile De Wandeler et Vanessa D’Hooghe, Vie Féminine (textes), Julie Joseph (illustrations) n° 209 / Mai 2018 13
dossier « Un enfant si je veux, quand je veux ! » Et depuis ? En 2017, Vie Féminine entamait une recherche sur la maternité1 : quelles sont les préoccupations des femmes et les conditions de la maternité au 21e siècle ? Soixante-sept femmes, mères ou prêtes à le devenir, ont échangé sur ces questions, en groupe pour la plupart. En parallèle, sept femmes ont parlé de ce que représente aujourd’hui le fait d’être une femme sans enfant (de façon volontaire ou non), au cours d’entretiens individuels. Cette recherche, toujours en cours, esquisse déjà une vision renouvelée de la maternité, au départ des femmes. Elle permet de réfléchir à une suite au fameux slogan des années 1970 : « Un enfant si je veux, quand je veux ! » Aujourd’hui, où en est-on ? Vanessa D’Hooghe Un enfant si je veux, quand je Un droit fondamental la possibilité d’en vouloir ou non. La veux ! » : ce slogan, porté par qui change la donne contraception et, plus tard, l’avortement les plannings familiaux, une Lorsque l’interdiction est levée en 1973, ont changé la sexualité des femmes, qui partie du monde médical et l’accès à la contraception sûre – dont la se départit de la grande peur de tomber les mouvements féministes, toute jeune pilule – se répand plus large- enceinte mais aussi de la maternité, désor- visait la légalisation de la contraception ment, permettant aux femmes le contrôle mais « choisie ». Avec ce droit fondamen- (dont la publicité était interdite en Belgique de leur capacité de procréation, le choix tal (qui reste tous les jours à défendre) depuis 1923) et de l’avortement. du moment de faire un enfant mais aussi s’est aussi opérée une transformation de la maternité, fortement réduite à une question de « désir » qui masque les nom- breuses réalités vécues par les femmes ayant participé à la recherche entamée par Vie Féminine l’an dernier. En quelques mots Au-delà du choix La recherche-action entamée par Vie Féminine a mobilisé 74 femmes en Toutes les femmes n’emploient pas le Wallonie et à Bruxelles. registre du « choix » pour expliquer leur rapport à la maternité : pour plusieurs Leur expérience montre que la maternité est bien loin d’être uniquement d’entre elles, vouloir un enfant relève de une question de « désir »… l’évidence. Cette évidence est aussi par- À Bruxelles et à Arlon, deux projets répondent chacun à des besoins fois présente parmi les femmes qui ne sou- spécifiques des femmes au moment de la maternité. haitent pas en avoir : c’est quelque chose d’ancré, décrit l’une. Pour d’autres, vouloir 14 n° 209 / Mai 2018
« Choisir le moment pour faire un enfant parce qu’il pourra jouir d’un environnement idéal pour ne suffit pas. Lorsqu’elles vivent l’infertilité, son développement… Oui, elles ont à faire le « deuil de la nature », souvent sans en parler, sous les questions embarrassées ou insistantes de l’entou- c’est bien, mais comment on fait, rage. L’infertilité, les avortements, les fausses couches ou encore les grossesses de nos jours, pour y arriver ? » non désirées… sont des expériences sou- (extrait d’entretien individuel) vent entourées de tabous, de silences, de questionnements. est-ce parce qu’elles sont considérées comme des accidents ou Ces conditions deviennent de plus en plus femmes l’ont dit : tout le monde se sent des cas particuliers, au regard du contrôle compliquées à réunir, dans une société iné- autorisé à donner son avis. Cependant, les de la capacité de procréation ? Pourtant, galitaire qui met à mal les droits socioéco- mères sont encore considérées comme les ces « exceptions » sont répandues parmi les nomiques et rend la stabilité très difficile à principales, voire les seules responsables femmes, et parfois vécues par une même atteindre. Le moment idéal pour une gros- du développement optimal de leur enfant, femme, qu’elle veuille ou non des enfants. sesse, tel qu’elles le projettent mais aussi et témoignent d’un grand isolement dans tel que la société continue de le préconi- le couple (quand il existe), la famille et la La contraception en question ser, devient inaccessible. Pour certaines, société au moment de la maternité. La Le droit à la contraception existe depuis cela les pousse à dissimuler leur choix de réduction de la maternité à un « désir » 45 ans maintenant mais la question n’est faire un enfant en le faisant passer pour individuel a-t-elle accentué l’absence de pas résolue pour autant, si on écoute les un accident aux yeux de leur entourage, partage égalitaire des responsabilités du conditions dans lesquelles les femmes la afin d’éviter les jugements. La culpabilité soin et de l’éducation des enfants et le vivent. Lorsqu’elles ont abordé le sujet, des mères, dont les femmes ont beaucoup désengagement de la société à cet égard ? certaines ont fait part du ras-le-bol de la parlé, peut en réalité commencer avant injonctions contradictoires, culpabilité, contraception hormonale, du poids de sa même la conception. discriminations, contrôle social, inégali- gestion quotidienne insuffisamment par- tés femmes-hommes, isolement, violen- tagée dans le couple, mais aussi du fait « Si je veux » ces, manque d’information, insuffisance qu’elle n’est jamais complètement laissée face à la force de la norme et inadaptation des droits et institutions aux mains des femmes. Être obligée d’aller L’injonction à la maternité reste extrê- aux besoins réels et diversifiés des mères : voir un·e médecin pour lui demander un mement forte. C’est encore un défi pour les participantes ont ciblé de nombreux contraceptif, c’est aussi se soumettre à un les femmes qui ne souhaitent pas devenir domaines de mécontentement. Ces dif- regard extérieur régulier sur sa capacité de mères de faire respecter ce choix, face aux ficultés n’ont pas le droit de se dire car la procréation, un questionnement sur son attentes de la société et aux réactions, maternité doit forcément être heureuse, désir d’enfant : une forme de contrôle que parfois violentes, de leur entourage. Dès constatent plusieurs d’entre elles. jamais les hommes n’ont à subir. qu’elles réunissent une partie des condi- or, concernant les conditions dans les- Qu’elles soient mères ou non, le rapport tions idéales pour faire un enfant (celles-là quelles est vécue la maternité aujourd’hui, entre les femmes et la médecine autour mêmes que les mères ont à réunir : tra- on est encore loin de ce que les femmes de leur (potentielle) maternité montre vail et/ou compagnon…), la pression se désirent. non seulement le « si je veux, que le droit à disposer de son corps est renouvelle. quand je veux ! » n’est pas réalisé, mais incomplet, toujours à négocier. Les témoi- Quant à celles qui souhaitent devenir les femmes aspirent également à sortir du gnages de violences verbales ou physiques, mères et ne peuvent pas, il leur est doulou- « comme je peux ». Lorsqu’elles se réunis- de non-respect des choix, de non-écoute reux de vivre dans une société qui impose sent, elles construisent une autre vision ou encore d’absence d’information sont la maternité comme une norme et qui de la maternité, au-delà du désir indivi- nombreux. leur rappelle de manière incessante leur duel. Une vision qui interpelle la société absence d’enfant. Les mères ne sont pas (médias, politiques publiques, institutions, Le bon moment : inaccessible ? épargnées : après le premier enfant, vient médecine…) sur ses responsabilités et qui Les femmes ont beaucoup parlé de l’« envi- la pression sociale d’en avoir un deuxième. demande des changements. ronnement propice » pour devenir mères. il ne leur a pas suffi de vouloir : pèse Loin de ce que également sur elles la responsabilité de les femmes désirent réunir les « bonnes conditions » pour pou- Les injonctions à faire un enfant et le 1. avec le soutien de la région wallonne et de voir faire un enfant. Équilibre personnel, contrôle social sur la façon de s’en occu- l’assemblée alter Égales de la Fédération couple, diplôme, emploi et logement... per sont pesants. À plusieurs reprises, les Wallonie-Bruxelles. n° 209 / Mai 2018 15
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