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Document generated on 09/14/2021 2:50 a.m. Lien social et Politiques La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques internationaux : le cas de Hochelaga à Montréal Planned Social Mix in Residential Areas in the Face of International Criticism: The Case of Hochelaga in Montreal Annick Germain and Damaris Rose Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux Article abstract Number 63, printemps 2010 The debate on planned social mix in residential areas has surfaced again, notably with respect to programs designed to revitalize old neighbourhoods URI: https://id.erudit.org/iderudit/044146ar where there is significant poverty. On the basis of a study of the positions of the DOI: https://doi.org/10.7202/044146ar various players who were involved in the Lavo project in Montreal’s Hochelaga district, which was part of an international comparative study of views on social mix, the various meanings of this concept are explored with specific See table of contents reference to Montreal. A typical pragmatic real estate compromise in a context of neoliberal governance, relying to an increasing extent on community-based and private-sector players, the social mix created by a small dose of Publisher(s) gentrification is part of the struggle against ghettoization, but in Montreal, unlike other cities, it is rarely touted as an opportunity to strengthen social Lien social et Politiques cohesion. ISSN 1204-3206 (print) 1703-9665 (digital) Explore this journal Cite this article Germain, A. & Rose, D. (2010). La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques internationaux : le cas de Hochelaga à Montréal. Lien social et Politiques, (63), 15–26. https://doi.org/10.7202/044146ar Tous droits réservés © Lien social et Politiques, 2010 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 15 La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques internationaux : le cas de Hochelaga à Montréal Annick Germain et Damaris Rose Peut-on encore aujourd’hui moyennes, par un meilleur climat rons plus particulièrement ici sur programmer des opérations de démocratique, une amélioration les contextes de revitalisation mixité sociale sans être cynique des services de proximité, voire urbaine. Ces contextes diffèrent ou… naïf ? Est-il encore possible † une pédagogie de la diversité en effet de ceux des années 1970 de faire fi des critiques qui ont cir- (Sarkissian, 1976) ? N’est-elle pas † et 1980 où la mixité sociale était culé depuis plusieurs années dans en définitive contre-nature en fai- pensée, du moins dans le contexte les cercles académiques et ont été sant fi des mérites de l’entre-soi canadien, dans des opérations de diffusées dans les milieux de la (Genestier dans Béhar et al., 2004 : † redéveloppement de vastes fri- décision et de l’intervention (Dan- 123-124) et des distances minimales ches industrielles à des fins sereau et al., 2002 ; Tunstall et† qui conditionnent les échanges d’aménagement de nouveaux Fenton, 2006) ou dans le sillage entre catégories sociales contras- quartiers résidentiels (Harris, des mouvements sociaux, et ce, de tées (Chamboredon et Lemaire, 1993). Aujourd’hui, l’intervention part et d’autre de l’Atlantique 1970 ; Gans, 1961) ? Peut-elle en † † porte davantage sur des quartiers (Fraser et Kick, 2007 ; Lees, 2008) ? † † fin de compte encore incarner les existants ou alors sur des La mixité sociale peut-elle être principes de justice sociale et ensembles de logements sociaux autre chose qu’une idéologie néo- d’équité des politiques urbaines qu’il s’agit de remodeler. À pro- libérale au service des classes contemporaines (Ascher, 2008) ? † pos de ce deuxième cas de figure, moyennes, surtout dans les con- notons tout de suite qu’à la diffé- textes de revitalisation des quar- Avant de déclarer forfait et de rence de la France, le Québec est tiers où elle favorise et rend substituer aux politiques de mixité engagé dans une véritable opéra- socialement acceptable la gentrifi- sociale des politiques d’accessibi- tion de réhabilitation du loge- cation (Kipfer et Petrunia, 2009 ; † lité et de mobilité (Donzelot, ment social public (HLM), plutôt Slater, 2006) ? A-t-elle la moindre † 2006), il n’est pas superflu de que de rénovation. Et les tenta- vertu pour améliorer le sort des regarder les nouvelles formes tives pour introduire un minimum catégories défavorisées, que ce prises par les opérations de mixité de mixité sociale en modifiant soit par « l’exemple » que pour- † † sociale, ainsi que les discours qui très légèrement les critères d’at- raient leur donner les classes les orientent. Nous nous attarde- tribution (Germain et Leloup, à Lien social et Politiques, 63, Le logement et l’habitat : enjeux politiques et sociaux. Printemps 2010, pages 15 à 26.
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 16 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 nant environ 200 logements privés et Montréal, sur les discours des et sociaux. acteurs locaux concernant la signi- La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques fication et les effets attribués à la Dans le présent article, nous internationaux : le cas de Hochelaga à mixité sociale, à l’occasion d’opé- Montréal nous intéresserons moins au pro- rations récentes de revitalisation jet urbain en tant que tel qu’aux dans trois quartiers (La Goutte discours des divers intervenants d’Or, Easton et Hochelaga)1. engagés dans sa réalisation. Ce projet, encore modeste, est d’ores Après avoir brièvement rap- et déjà en train de marquer un pelé l’histoire du concept de tournant dans l’histoire du quar- mixité sociale et son évolution tier, et plus largement dans les récente dans le discours des inter- politiques urbaines montréalaises. venants en Angleterre, en France 16 Comment en est-on arrivé là, alors et au Canada, et avoir décrit le que le contexte réunissait à la fois déclin du quartier Hochelaga qui paraître), n’ont pas grand-chose à des acteurs publics bien au fait de a amené les acteurs à entre- voir avec les transformations l’évolution des idées et des cri- prendre un programme de revita- significatives du tissu social tiques en matière de mixité lisation, nous retracerons, au engendrées par les opérations sociale, et des acteurs sociaux très moyen d’une recherche par entre- françaises de démolition-recons- engagés et avertis des effets per- tiens semi-directifs, l’histoire de la truction impliquant la relocalisa- vers de la mixité sociale et de la mobilisation qui a mené au projet tion d’une proportion importante gentrification pour leurs clien- Lavo. Nous insisterons particuliè- des anciens résidants au profit tèles ? Nous montrerons que le † rement sur les discours des d’une clientèle plus « mixte » † † Québec (et le raisonnement vaut acteurs-clés de cette opération de (Lelévrier, 2005). Ce n’est cepen- aussi pour le Canada) et Montréal revitalisation résidentielle et sur dant pas ce type de situation sur en particulier, possèdent une la place qu’y occupe la mixité lequel nous souhaiterions revenir longue tradition de pragmatisme sociale. dans les pages qui suivent, mais dans la planification des opéra- sur le premier cas de figure, plus tions de mixité sociale program- La mixité sociale : directement présenté du point de mée ou non, et que s’est bâtie une un vieux concept pour des vue de la revitalisation urbaine de culture réflexive en matière de enjeux nouveaux quartiers anciens à forte concen- politique sociale urbaine, alimen- tration de pauvreté. tée tant par des recherches locales La mixité sociale fut d’abord que par les connaissances des une utopie née en Angleterre Le secteur Lavo dans le quar- expériences d’autres villes et par dans le sillage de la Révolution tier Hochelaga à Montréal est une la circulation internationale des industrielle avant de ressurgir expérience récente de revitalisa- idées. Cette culture est jusqu’à un périodiquement à la faveur de tion d’un milieu résidentiel certain point partagée par une nouveaux paradigmes en aména- dégradé, où, pour reprendre le diversité d’acteurs, tant publics gement urbain tout au long du mot d’un élu municipal, on a res- que sociocommunautaires, et a XXe siècle tant en Europe qu’en pecté « la règle d’or de la mixité † « inspiré » la construction de com- † † Amérique du Nord et de faire sociale » (Gagnon, 2009). Ce pro- † promis ou du moins l’a facilitée. l’objet de nombreux débats tant jet entrepris en 2000 et complété Nous situerons également l’expé- parmi les chercheurs que dans les en 2006, mené par la Ville de rience montréalaise par rapport milieux de l’action publique (voir Montréal de concert avec plu- au discours sur la mixité sociale introduction). Au Canada, l’his- sieurs acteurs des secteurs com- mis en avant en France et en toire de la mixité sociale est à la munautaire et privé, consistait à Angleterre. Notre propos s’appuie fois indissociable de la prédomi- relocaliser une ancienne usine sur une recherche comparative nance de la propriété d’occupa- polluante afin d’y réaliser un pro- internationale effectuée en 2006- tion dans le parc résidentiel (66 %† jet résidentiel « mixte » compre- † † 2008 dans trois villes, Paris, Bristol au Canada, 53 % dans le Grand †
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 17 Montréal), de la portion congrue sur d’anciens terrains industriels l’éventail social somme toute réservée au logement social vu dont le projet des Shops Angus, la limité des ménages habitant sur comme une alternative de dernier mixité sociale apparaît comme le ce site (Dansereau, Germain et recours (autour de 6 % des † résultat de négociations entre une Eveillard, 1997). Le désengage- ménages), et d’un secteur locatif diversité d’acteurs parmi lesquels ment subséquent des différents en voie de résidualisation. Les le mouvement sociocommunau- paliers de gouvernement rendra interventions en faveur de la taire joue un rôle clé (Germain, toutefois difficile la répétition de mixité sociale dans les quartiers Rose et Twigge-Molecey, 2010). ce genre de projet basé en partie pauvres passeront donc principa- sur le leadership des pouvoirs Rappelons en quelques mots lement par une augmentation du publics. Mais il alimentera néan- l’histoire de ce projet-phare que parc en propriété d’occupation. moins les débats subséquents, sont les « Shops Angus ». Lancé † † Le système d’habitation est aussi notamment sous forme d’exper- vers la fin des années 1970 par un marqué par un contexte institu- tises commandées par les acteurs 17 promoteur immobilier pour déve- tionnel particulier reposant à la publics (Dansereau et al., 2002) ou lopper du commerce et de l’habi- fois sur un État fédéral régissant lors de séances de consultation tat sur le terrain désaffecté des l’articulation des compétences publique (Montréal [Ville], 2004) ateliers Angus2, le projet ne com- entre trois niveaux de gouverne- ou de sessions de formation auprès prend au départ aucune compo- ment et sur des contextes locaux d’intervenants communautaires. sante de mixité sociale. Au final, il marqués par la société civile aura perdu toutefois sa compo- À l’aube des années 2000, le (Harris, 1993). C’est tout particu- sante de mixité fonctionnelle (le discours sur la mixité sociale lièrement le cas au Québec où développement commercial ayant s’inscrit dans une conjoncture l’action communautaire est omni- été fortement critiqué) et affi- particulière. Il devient de plus en présente dans les expériences de chera une diversité de modes plus associé aux débats sur les mixité sociale programmées. Le d’occupation (coopératives, orga- présumés « effets de quartier » † † concept a cependant fait moins nismes à but non lucratif [OBNL], (induits, plus particulièrement qu’ailleurs l’objet de politiques condos, etc.), diversité utilisée dans la littérature étasunienne, volontaristes ou de discours mobi- depuis comme étalon de réfé- par le fait d’être pauvre et de lisateurs formulés dans une pers- rence, notamment dans le projet vivre, pendant une longue période, pective de cohésion sociale à des Ateliers municipaux Rose- dans un quartier à forte concen- l’échelle sociétale. À Montréal, les mont ou dans celui de Benny tration de pauvreté), bien que la projets exemplaires qui jalonnent Farm (Riel-Salvatore, 2006). C’est documentation scientifique sur l’histoire de la mixité sociale sont qu’il fera l’objet d’une forte l’importance des effets de quar- moins le résultat d’une volonté mobilisation des milieux commu- tier soit restée très peu con- délibérée de mélanger des catégo- nautaires et des partis politiques cluante (voir, inter alia, Musterd ries sociales au nom de principes pour inclure une proportion et Andersson, 2005). Qu’en est-il d’équité ou de progrès social, que significative (40 %) de logement † ailleurs, notamment en France et d’un bricolage sociopolitique à social (300 logements en HLM, au Royaume-Uni ? † l’échelle d’ensembles résidentiels 552 en coopératives, 200 en de taille modeste, bricolage qui OBNL). Une étude post-occupa- La mixité sociale dans les porte souvent avant tout sur des tionnelle conclura au relatif suc- politiques urbaines britanniques modes d’occupation (modes de cès de l’opération sur le plan de et françaises récentes propriété ou de location) plus que la cohabitation sociale, grâce sur des catégories sociales propre- notamment à l’aménagement de Au Royaume-Uni, après les ment dites. Qu’il s’agisse des nombreux espaces semi-publics années Thatcher marquées entre coopératives d’habitation qui faisant office de tampon entre les autres par la privatisation par- seront appelées à remplacer dans différents îlots occupés chacun tielle du logement social public les années 1970 le logement social par des clientèles de statut socio- due à des politiques d’accession à public de type HLM, ou du déve- économique différents et appro- la propriété pour les locataires, loppement de nouveaux quartiers priés par celles-ci, ainsi qu’à politique qui a eu l’effet pervers
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 18 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 consultative sur l’habitat et de matière d’habitation connaît de rapports sur les « communautés † façon générale des évolutions La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques viables ». On y pose la question de † importantes (accent mis sur l’ac- internationaux : le cas de Hochelaga à la mixité sociale à une échelle plus cession à la propriété, aide à la Montréal vaste, car on reconnaît l’exclusion personne plutôt qu’aide à la croissante des populations défa- pierre, ouverture du marché du vorisées de tous les développe- logement social à des partenaires ments résidentiels récents pour privés), tout comme la Politique classes moyennes. Il faut alors de la Ville toujours centrée sur les promouvoir l’idée de logement quartiers difficiles, mais avec une « abordable » auprès des dévelop- † † diminution des ressources publi- peurs privés, par une directive de ques pour soutenir la promotion 18 portée nationale mais appliquée sociale des individus les plus défa- localement. La « viabilité des com- † vorisés. Ainsi depuis 2003 voit-on munautés » passerait aussi par le † un recentrage sur la rénovation d’accroître les disparités socio- maintien ou l’accroissement de la urbaine et une recentralisation spatiales, le gouvernement néo- présence de classes moyennes des financements avec la création travailliste reprend en partie le dans les quartiers défavorisés. de l’Agence nationale de rénova- discours américain de l’exclusion Ainsi dans le cas du quartier tion urbaine. On ne parlera pas ici sociale et se penche sur le rééqui- Easton à Bristol3, les enjeux de de l’objectif de démolition de librage social des quartiers et mixité tournent-ils beaucoup logements sociaux, si ce n’est pour ensembles résidentiels les plus autour de la revitalisation d’une souligner l’importance prise par le défavorisés. En 2001, la National rue commerçante locale où une remodelage du tissu urbain, de sa Strategy for Neighbourhood Rene- démarche de gentrification com- texture sociale et de l’image des wal, avec comme slogan « Per- merciale (voir à ce sujet Bridge et † sonne ne devrait être désavantagé quartiers dans cette entreprise de Dowling, 2001) est portée par rééquilibrage social (Donzelot, en fonction de son lieu de rési- l’entrepreneuriat ethnique local, 2006 ; Lelévrier, 2005). Il est plus dence » appuie des initiatives † ainsi qu’autour du contrôle des † locales pour améliorer le sort des pertinent pour notre propos de « comportements antisociaux » au † † regarder la philosophie d’inter- habitants des secteurs les plus moyen d’une surveillance accrue vention dans les quartiers cen- défavorisés. Mais on insiste aussi et de projets portés par le milieu traux inclus dans la géographie sur le besoin de stabiliser (voire communautaire (Manzi, 2010), prioritaire, comme le quartier normaliser ?) ces quartiers en dif- sans compter la promotion d’une † ficulté par des interventions sur le pauvre et multiethnique de la image de quartier axée sur sa Goutte d’Or (Paris) où une admi- cadre de vie, pour empêcher « viabilité » tant sociale qu’envi- nistration de gauche a adapté la † † l’exode des habitants de classe ronnementale. moyenne. Cette politique natio- politique nationale aux contextes nale fait donc appel à une pano- L’approche française est moins parisien et local particuliers plie d’acteurs régionaux et locaux, décentralisée. Elle plonge ses (Bacqué et Fijalkow, 2006). Pour dont le secteur municipal, le sec- racines dans la Politique de la Ville éviter la « ghettoïsation » tout en † † teur communautaire et le secteur qui, depuis le tournant des années faisant de ce quartier un endroit privé, regroupés en partenariats 1980, dessine une géographie prio- attirant pour les couches moyennes divers. En 2005, la Mixed Com- ritaire dans une perspective de parisiennes coincées par un mar- munities Initiative, fortement justice sociale redistributive. À ché immobilier de plus en plus influencée par les expériences partir de 1990, des lois affirment le inaccessible, on cherche à diversi- américaines de dispersion de la droit au logement, puis le droit à fier les modes d’occupation, à pauvreté (HOPE VI et Moving to la ville et l’on tente d’imposer aux accueillir des classes moyennes Opportunity) et le discours sur villes un quota de 20 % de loge- † dans le logement social et à chan- les effets de quartier, intègre les ments sociaux (Lelévrier, 2005). ger la dynamique du tissu com- recommandations d’une politique Mais la politique nationale en mercial en le dé-ethnicisant. On
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 19 favorise aussi l’émergence de nou- clusion sociale pour contrer la [Ville], 2002). Bref, un quartier velles dynamiques associatives polarisation entre les riches ban- « sinistré » et fortement stigmatisé † † portées par les nouveaux habi- lieues et les vieux quartiers en dans les médias locaux. Mais en tants de classe moyenne pour déclin (Canada. Comité consulta- même temps, comme c’est souvent changer les modes de socialité, tif externe sur les villes et les col- le cas à Montréal, la défavorisa- notamment dans les espaces lectivités, 2006). tion en quartier populaire devient publics. Bref, promouvoir un pro- un terrain de luttes sociales et le cessus de gentrification « contrô- † L’opération Lavo, discutée ci- quartier se distingue aussi par la lée » au moyen de la mixité sociale † dessous, appartient à cette mou- densité et la combativité de son pour viser implicitement à diluer vance idéologique. Mais elle réseau communautaire. Un des son caractère multiethnique. révèle aussi le rôle clé des interve- chefs de file de ce réseau est, en nants sociocommunautaires qui matière d’aménagement urbain, Mais au-delà des différences depuis les années 1980 se sont le Collectif d’aménagement urbain 19 séparant les politiques anglaises et professionnalisés et ont appri- d’Hochelaga-Maisonneuve françaises, on voit bien que désor- voisé le terrain de l’économie (CAUHM), composé d’interve- mais la mixité sociale engage les sociale au point de se réorganiser, nants issus du secteur de logement acteurs locaux et repose forte- à l’occasion, en véritables déve- sans but lucratif et coopératif, de ment sur leur capacité de mobili- loppeurs communautaires. Quel- travailleurs communautaires asso- sation. À cet égard, on peut dire ques mots cependant, auparavant, ciés au Centre local de services que ces expériences convergent pour décrire le quartier où se communautaires (CLSC) ainsi avec la tradition multi-scalaire qui déroulait cette opération. que de représentants d’autres prévaut depuis longtemps au organismes locaux. Canada. Aujourd’hui, il n’existe Hochelaga : un quartier en pas de politique urbaine pancana- déclin… mais socialement Pour contrer le déclin du quar- dienne, pour des raisons constitu- combatif ! tier, les leaders du Collectif, après tionnelles certes, mais surtout du avoir inventorié les bâtiments bar- fait que, dans le sillage du virage Hochelaga est un ancien quar- ricadés, mettent sur pied un projet néolibéral radical pris par le gou- tier ouvrier, faisant partie de l’ar- local de revitalisation « qui visait à † vernement fédéral depuis la fin rondissement municipal Mercier- briser le cercle infernal de la des années 1980, les politiques Hochelaga-Maisonneuve, et forte- dégradation du cadre bâti et de la d’habitation provinciales sont ment affecté par le mouvement de détérioration du milieu social » † devenues très disparates. Plusieurs désindustrialisation qui secoue (CAUHM, 2002 : 5). Pour amorcer † métropoles partagent cependant Montréal. Le déclin est accentué la réhabilitation physique et con- encore des préoccupations en dans les années 1970 par le dépla- trer l’hémorragie démographique matière de déstigmatisation des cement des activités du Port de qui affecte le quartier, le Collectif quartiers défavorisés, et soutien- Montréal vers l’est de l’île et par fera beaucoup de lobbying auprès nent à l’occasion des opérations la démolition de 1200 logements des élus des différents paliers de de gentrification « contrôlée » ou † † pour faire place à une autoroute gouvernement durant la seconde diverses mesures pour attirer des en bordure du fleuve. L’exode en moitié des années 1990. Il fait représentants de la « classe créa- † banlieue de ses catégories les plus notamment appel au Programme tive » dans les quartiers centraux † socialement mobiles le vide quasi de revitalisation des quartiers cen- au nom des impératifs de compé- littéralement : il perd 42 % de ses † † traux que viennent de mettre sur titivité urbaine (Kipfer et Keil, habitants entre 1961 et 1986 et pied le Gouvernement du Québec 2002 ; Rantisi et Leslie, 2006). En † affiche, plus qu’ailleurs, des signes et la Ville de Montréal, visant les même temps, on note la multipli- d’abandon, en plus d’être sous poches de pauvreté qui subsistent cation, dans les discours acadé- l’emprise de diverses formes de alors que Montréal semble sortir miques et dans les cercles de déviance (drogue, prostitution, de la crise de la désindustrialisa- formulation de politiques, de réfé- etc.) (Bibeau et Perreault, 1995) et tion (un programme modeste rences aux thèses sur les effets de de défavorisation (pauvreté, décro- cependant car les ressources quartier et à la rhétorique de l’in- chage scolaire, etc.) (Montréal publiques sont devenues rares).
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 20 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 Montréal à négocier avec le ailleurs, les regroupements de gouvernement provincial pour commerçants sont aussi très actifs La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques inclure, dans le Programme de et réclament des actions visant les internationaux : le cas de Hochelaga à revitalisation des quartiers cen- rues commerciales, dont la rue Montréal traux, des mesures pour promou- Ontario, elle aussi en déclin. Les voir l’accès à la propriété au ensembles résidentiels seront moyen de constructions neuves donc accompagnés d’aménage- (Rose, 2009). ment d’espaces publics se voulant emblématiques : la récupération † En 2000, d’autres éléments de la bretelle de chemin de fer qui s’ajoutent pour créer un contexte desservait jadis l’usine Lavo mais favorable afin de lancer un impor- était abandonnée depuis 1997, 20 tant projet de développement permet la création d’une place résidentiel à Hochelaga. Des publique, la place Simon-Valois, acteurs municipaux et commu- Le Collectif développe une straté- avec quelques nouveaux com- nautaires constatent un effondre- gie reposant à la fois sur une reva- merces donnant sur la rue Ontario ment des taux d’inoccupation lorisation de l’image du quartier (cette place est une première dans dans le marché du logement alors ancrée dans son histoire, sur une la morphologie de ce quartier qu’ils étaient traditionnellement compréhension des besoins des ouvrier typiquement canadien- fort élevés et qu’il était donc facile habitants en matière de logements français), et un sentier piétonnier de se trouver un logement peu et de services, mais aussi et surtout reliant les nouveaux immeubles cher. Un site potentiel est alors sur le « rééquilibrage » du quartier résidentiels (Goulet, 2009). † † ciblé pour réaliser un important en attirant des petits propriétaires projet de revitalisation. Mais la réalisation de ce projet, capables d’entretenir les loge- dont une partie nécessite une ments, ainsi que des propriétaires- Le projet Lavo consiste à relo- modification au Plan d’urbanisme, occupants, pour retrouver une caliser en banlieue une usine de est conditionnée par une consulta- diversité sociale perdue (Bohémier production d’eau de Javel pour tion publique. Afin de faciliter et Rouleau, 1998 ; Rouleau, 1997). planifier un développement rési- † l’obtention d’un consensus, la Ville Dans tout quartier populaire dentiel composé d’une diversité donne au Collectif le mandat de montréalais, on trouve historique- de modes d’occupation. On faire une large consultation auprès ment une petite classe moyenne, construira 204 logements bien des individus et des organismes du souvent de propriétaires-occu- intégrés dans la trame résiden- quartier avant de déposer le projet pants de duplex ou de triplex. En tielle et commerciale : 71 loge- à l’Office de consultation publique † d’autres termes, les quartiers ments coopératifs (la moitié des de Montréal. Si « les étoiles étaient † populaires ont toujours connu une ménages ont des faibles revenus), bien alignées », pour reprendre † certaine (et certes relative) mixité 93 condominiums (dont 72 % dits l’expression de certains représen- † sociale, jusqu’à ce que l’exode abordables), 40 logements à but tants d’organismes communau- urbain des années 1950-1970 non lucratif. Ces derniers visent taires interviewés5, le projet ne vienne ébranler cette diversité : une clientèle moins pauvre que † faisait cependant pas consensus tous les jeunes ménages désirant celle des logements subventionnés (CAUHM, 2001, 2004). acquérir une propriété pour fon- de la coopérative4. D’autres déve- der une famille fuient en effet vers loppements résidentiels suivront. Mixité sociale, gentrification ou la banlieue, et Montréal com- Le projet suppose des investisse- inclusion sociale ? mence à faire figure de parent ments publics importants pour pauvre face à la banlieue. Ce dia- décontaminer le site, investisse- Si, pour le Collectif, il faut « ren- † gnostic, qui avait fortement ments qui seront consentis en verser le vaste mouvement de imprégné les politiques d’habita- 2002 par le gouvernement provin- désinvestissement dans le quar- tion municipales depuis la fin des cial grâce au lobby exercé par les tier » et d’exode des classes † années 1970, amène la Ville de élus et députés locaux. Par moyennes et, pour ce faire, « réta- †
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 21 blir une mixité sociale » et même † urbaine anglo-américaine quant La Stratégie d’inclusion de favoriser une certaine gentrifica- aux mérites de la propriété d’oc- logements abordables dans les tion, cette position ne fait pas cupation, pour l’entretien de l’ha- nouveaux développements rési- l’unanimité. Des graffitis évo- bitat, le sentiment d’appartenance dentiels, élaborée par la Ville de quant le spectre de la gentrifica- au quartier et la propension des Montréal en 2004-2005 en tenant tion feront d’ailleurs rapidement propriétaires à participer aux ins- compte d’expériences étrangères leur apparition aux alentours tances locales de consultation et en s’appuyant entre autres sur immédiats du site. Mais il n’y a pas pour revendiquer une meilleure l’expérience Lavo en cours à ce non plus de consensus au sein du qualité de services. Toutefois, le moment-là (Montréal [Ville], mouvement communautaire. Plu- Collectif ajoute que certains des 2005), est à cet égard exemplaire : † sieurs groupes, dont les principaux elle vise à inclure, au moyen d’un membres des coopératives d’habi- comités de logement établis dans processus flexible de négociation tation contribuent d’une manière le quartier, réclament d’emblée largement portée par les acteurs 21 semblable à l’amélioration de la 100 % de logements sociaux pour municipaux locaux et par les pro- † qualité de vie du quartier les populations locales de ce sec- moteurs communautaires, un (CAUHM, 2002). Lors des entre- minimum de 15 % de logement teur défavorisé, car selon eux les † vues rétrospectives que nous social et 15 % de logement abor- ménages modestes ont de plus en † avons menées avec quelques-uns dable dans les développements plus de difficulté à se loger sur le des principaux protagonistes, résidentiels de plus de 200 loge- marché privé. Ce point de vue ceux-ci soulignent que leur vision ments dans les grands sites publics n’est pas partagé par tous les du développement du quartier, ou à caractère public. L’objectif intervenants qui travaillent avec les personnes démunies du quar- dont le secteur Lavo, comprenait à est plus facile à atteindre lorsque tier. Certains, dont les membres la fois l’accueil de propriétaires- la municipalité possède déjà des du Collectif ainsi que les acteurs occupants et l’ajout de suffisam- terrains, qu’elle peut alors céder municipaux et les commerçants, ment de nouveaux logements à des promoteurs communau- argumentent pendant la consulta- sociaux et communautaires pour taires à des prix inférieurs au tion locale ou les audiences répondre aux besoins locaux. marché. Dans le cas contraire, sa publiques subséquentes que les réalisation dépend de sa capacité La question de la part que de négociation (notamment à nouveaux terrains résidentiels prendra le logement social au sein devraient servir au moins en par- la faveur de changements de du projet Lavo est donc d’emblée zonage) et de celle de ses parte- tie à diversifier la population par au cœur des préoccupations et naires communautaires qui, au fil l’ajout de logements en propriété devient un enjeu central. Or, pour des années, ont appris à travailler d’occupation. Le Collectif signale les pouvoirs publics locaux, il avec le secteur privé mais n’ont que, si on le compare à la n’est plus question que l’État pas pour autant abandonné leur moyenne montréalaise, le quartier assume seul les coûts du logement pouvoir de pression. La Stratégie Hochelaga-Maisonneuve possède social ; il faut donc trouver de vise à la fois les quartiers défa- déjà une plus forte proportion de † nouvelles modalités reposant sur vorisés (plus de logements en HLM et d’autres types de loge- des partenariats avec des acteurs propriété d’occupation) et les ments sociaux (en fait, 13,6 % † privés ou communautaires pour quartiers mieux nantis (plus de selon les estimations de la Ville produire du logement abordable, logements abordables). La notion citées dans le document de et par ailleurs augmenter l’offre d’inclusion très prisée dans les consultation du Collectif), alors de logement en accès à la pro- réseaux de politique publique que la propriété d’occupation y priété pour pouvoir concurrencer (Toye et Infanti, 2004) témoigne est fortement sous-représentée de la marge étroite laissée aux (14 % à Hochelaga-Maisonneuve la banlieue. Bref, il faut un peu de acteurs publics. † et seulement 10 % dans le secteur † tout, et la mixité sociale qui en Hochelaga). Le Collectif invoque résulte est le fruit d’un compro- Au cours de nos entrevues, les les arguments traditionnels large- mis immobilier assez typique d’un fonctionnaires séniors associés à ment répandus dans la sociologie contexte néolibéral. l’élaboration des politiques d’ha-
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 22 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 nants communautaires (dont les gentrification fait partie de l’anti- anciens membres du Collectif et dote à la « ghettoïsation » qui est † † La mixité sociale programmée en milieu résidentiel à l’épreuve des discours critiques les promoteurs communautaires) évoquée par plusieurs de nos internationaux : le cas de Hochelaga à et municipaux sont d’avis que interviewés comme le mal princi- Montréal « Tous les ménages [du quartier] pal qu’il a fallu combattre pour † doivent pouvoir trouver leur changer l’image et la trajectoire compte en matière de logement ». † du quartier. Certains évoquent de On souligne aussi le fait que les façon explicite la présumée ménages en mobilité sociale influence bénéfique des classes ascendante doivent pouvoir se moyennes comme modèles de loger dans le quartier, ce qui rôle pour les « pauvres », dans le † † contribuerait à l’objectif partagé contexte scolaire entre autres, 22 par tous de retrouver un équilibre alors que pour d’autres la pré- qui avait été perdu. D’une cer- sence accrue des nouvelles taine façon, viser la mixité, c’est couches moyennes avec leurs bitation et de revitalisation d’abord s’assurer qu’on n’exclut habitudes de consommation diffé- urbaines aux paliers provincial et personne, ou, si l’on veut, c’est le rentes est globalement un atout, municipal nous ont signalé à quel droit à la ville6. Le risque de gen- non seulement pour casser point la position prise par le trification lié à l’arrivée de nou- l’image négative du quartier, mais Collectif, soit de souhaiter la velles populations plus aisées aussi pour ouvrir les horizons des bienvenue à une mixité sociale d’autres quartiers est souvent résidants traditionnels. À cet même si celle-ci doit être portée évoqué par nos interlocuteurs. égard, un discours particulière- en partie par des populations en Dès la conception du projet Lavo, ment optimiste est tenu par l’un provenance d’autres quartiers, on ne s’attendait pas à ce que tous des élus interviewés qui pense que était inhabituelle pour un groupe les acheteurs des condominiums la diversification de l’offre com- militant dans un quartier défavo- soient des locataires du quartier7. merçante pourrait même avoir un risé. Or cette position a permis de Mais la gentrification est presque effet « mobilisateur » et d’ouver- † † valider et de légitimer l’incorpo- toujours présentée comme un ture à la sociabilité publique pour ration des objectifs de mixité de risque sous contrôle (on rappelle une population qui jusqu’ici, ne revenus et de modes d’occupa- que les nouveaux condominiums pouvait s’imaginer « aller prendre tion dans les objectifs des poli- † ne sont pas luxueux, et on pense un petit café sur une terrasse »9. tiques de revitalisation. † que la vaste majorité du parc rési- Toutefois, quelques-uns soulèvent Depuis la réalisation du projet dentiel demeurera locatif). On se le défi de conserver la mixité Lavo, dans quels termes les uns et targue même de réussir là où le socioéconomique dans le long les autres évoquent-ils la mixité terme : « il va falloir se donner les quartier gentrifié emblématique † † sociale ? Trois thématiques ressor- moyens pour que la population † qu’est le Plateau (omniprésent tent de nos entretiens. demeure équilibrée et qu’on ne dans les discours) a échoué en se transforme pas ce quartier, de La première, présente depuis le transformant en quartier homo- ghetto de pauvres qu’il était (…) début, concerne le dosage des gène devenu inaccessible aux en ghetto de nouveaux riches ». † modes d’occupation, puisqu’à ménages modestes. L’idée qu’une Montréal, comme ailleurs au gentrification « contrôlée » puisse † † La deuxième thématique con- Canada on l’a dit, il y a une forte être bénéfique pour un quartier cerne la vitalité sociale et écono- corrélation entre statut socioéco- pauvre et stigmatisé est assez mique du quartier. La mixité nomique et mode d’occupation ; la † répandue chez nos interlocuteurs sociale, « c’est plus qu’une question † mixité des modes de « tenure » est † † (à l’exception des comités de loge- de logement » : les commerçants † † donc le principal outil dont dispo- ment) : « on disait à la blague que † † locaux soulignent tous la vitalité sent les acteurs municipaux pour nous aussi on voulait de la gentri- économique et la diversification modifier la composition sociale fication ! »8. La mixité sociale † † des profils de consommateurs, soit d’un quartier. Tous les interve- induite par une petite dose de qu’ils aient dès le début fortement
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 23 appuyé le projet de revitalisation, les résidants de la coopérative la relocalisation des résidents de soit qu’il s’agisse de nouveaux d’habitation et ceux des nouveaux HLM ou par l’attraction de commerces venus élargir la logements privés, du fait non seu- ménages de couches moyennes, gamme de l’offre commerciale lement de l’aspect « yuppie » de † † est présentée comme une réponse pour profiter des nouvelles clien- ces derniers mais aussi de l’ab- à un problème défini plus en tèles. Toutefois, pour certains des sence d’enfants dans le bloc de termes de concentration spatiale commerçants, le maintien de rési- condominiums. À ce chapitre, l’ar- de la pauvreté que de pauvreté en dants de statut très modeste dans rivée de populations issues de l’im- tant que telle. Mais au Québec ce le secteur est également important migration récente, non seulement retour de la mixité prend le visage pour la stabilité de leur chiffre dans l’ancien parc HLM mais aussi du bricolage. d’affaires car il s’agit d’une clien- dans les nouvelles constructions tèle fiable qui n’achète pas beau- de logements sociaux et abor- En fin de compte, comme c’est souvent le cas à Montréal, le pro- coup, mais achète souvent. La dables du projet Lavo, dans un 23 nouvelle image de marque du quartier qui traditionnellement en jet Lavo, qui n’était pas prévu quartier, maintenant appelé fami- comptait peu, est un défi en dans le plan d’urbanisme de lièrement HoMa (pour Hochelaga- quelque sorte inattendu. Montréal, est moins le résultat Maisonneuve sur le modèle de d’une politique urbaine bien arrê- Au total, la grande majorité de tée qu’une expérience qui servira SoHo), est plutôt bien accueillie : † nos interlocuteurs accueillent de projet pilote pour l’élaboration selon un élu, même si le libellé ne favorablement les changements d’une nouvelle politique urbaine, fait pas l’unanimité, « on entend † induits par le projet Lavo mais ce, en l’occurrence la Stratégie mont- une nouvelle réalité dans le quar- tout en sachant que le chemin qui réalaise d’inclusion de logements tier, mais qui s’est imbriquée avec sépare une diversité sociale abordables dans les nouveaux les gens de la place ». † retrouvée et une gentrification projets résidentiels. Cette straté- La troisième thématique donne majeure du quartier est une voie gie incarne parfaitement le type lieu à des commentaires plus rares bien étroite. de gouvernance locale « multi- † (sans doute en partie parce que le acteurs » qui prévaut aujourd’hui † projet Lavo n’était achevé que Conclusion en matière de politique d’habita- quelques mois avant la réalisation tion. En somme, une forme de Même si, dans le cas particulier de nos entrevues) mais aussi plus mixité socio-politique mise au ser- que nous avons étudié, le projet mitigés, et correspond d’ailleurs à vice de la mixité sociale ! En ce final comprend une majorité de † une vision de la mixité qui n’a sens, l’histoire du projet Lavo logements sociaux et abordables, jamais, au Québec comme au illustre le pragmatisme local qui le discours et le processus ayant Canada, fait l’objet d’un discours consiste à incorporer dans la mené à ce résultat sont assez dif- fort, à savoir la cohabitation des fabrication de politiques d’habitat férents de ceux qui ont conduit à différences au service d’une une attitude de réflexivité face la réalisation des grands projets meilleure cohésion sociale. De aux expériences de terrain et aux canadiens des années 1970-1980. fait, et à l’instar des expériences débats locaux, et qui suppose Ces projets étaient aussi issus de canadiennes et montréalaises avant tout une connexion étroite compromis immobiliers, mais la antérieures, la Ville de Montréal et constante entre les différents position des acteurs communau- et le promoteur, dans leur marke- niveaux de l’action sociale et poli- taires tranchait clairement en ting des condominiums, ne les tique, dont au premier chef l’ac- faveur du logement social, con- associent pas à un projet résiden- tion communautaire. Mais si à trairement à ce que nous avons vu tiel plus vaste intégrant aussi du dans le projet Lavo, et s’appuyait Montréal la mixité sociale n’est logement social. Au mieux, la aussi sur un ensemble de mesures donc pas une idéologie à propre- mixité apparaît comme un défi de plus généreuses propre à un État- ment parler, elle reste néanmoins cohabitation plutôt que comme providence. logée aujourd’hui à l’enseigne une opportunité. L’un des inter- d’un certain néo-libéralisme du viewés souligne la très forte dis- Dans une période néolibérale, fait des investissements sociaux tance sociale qu’il perçoit entre la mixité sociale, qu’elle passe par limités de l’État et d’une « respon- †
LSP 63-17 25/06/10 14:05 Page 24 LIEN SOCIAL ET POLITIQUES, 63 venant, ont été utilisées dans les trois mixité sociale dans les quartiers aisés villes ; les entretiens étaient enregis- † de l’île de Montréal. La mixité sociale programmée en milieu trés et traduits, et ont fait l’objet de résidentiel à l’épreuve des discours critiques la même grille d’analyse. Pour le ter- 7 Dans les faits, selon les données de la internationaux : le cas de Hochelaga à Ville, 70 % des nouveaux propriétai- rain montréalais, nous avons effectué † Montréal res semblent provenir de l’extérieur des entrevues avec 26 informateurs- clés, dont 2 élus, 9 fonctionnaires, de l’arrondissement. 6 commerçants, 8 représentants d’or- 8 Un article récent dans le journal dis- ganismes communautaires incluant tribué dans le métro (Delfour, 2010) ceux engagés dans le projet Lavo, titrait « Parlons gentrification au † ainsi que l’un des promoteurs privés Valois » à propos d’un nouveau res- impliqués dans ce projet. Pour un sur- † taurant installé sur la place Valois. Le vol du projet, voir Rose et al. (2008). sous-titre « Valois pas Lavalois » (Laval † † 2 Ce promoteur est une filiale du étant une des principales banlieues 24 Canadien Pacifique, compagnie de de Montréal) ajoutait à cette attitude chemin de fer qui, pendant la caustique vis-à-vis de la gentrifica- sabilisation » accrue du secteur † Seconde Guerre mondiale, employa tion une allusion à l’éternelle concur- jusqu’à 12 000 travailleurs dans les rence entre Montréal et la banlieue communautaire pour l’inclusion Ateliers Angus pour l’entretien du dont on souligne le peu d’urbanité. sociale. matériel roulant. 9 Signalons à ce titre qu’il existe des Annick GERMAIN 3 Un quartier central de Bristol jugé recherches montrant, au contraire, Professeure très défavorisé mais attirant l’intérêt que la présence de commerces Institut national de la recherche de jeunes ménages des classes typiques de la gentrification risque scientifique – Centre moyennes pour qui les autres quar- d’exacerber le sentiment d’exclusion Urbanisation Culture Société tiers sont devenus trop chers (Bridge, de la part des résidants de longue 2006). date (Lehman-Frisch et Capron, Damaris ROSE 4 Ceux-ci sont financés dans le cadre 2007). Professeure d’un nouveau programme du gouver- Institut national de la recherche nement fédéral, qui s’était depuis scientifique – Centre longtemps retiré du financement de Urbanisation Culture Société nouveaux logements sociaux, mais qui accepte à partir de 2002 de réin- Références bibliographiques vestir modestement, en partenariat avec les provinces et des acteurs ASCHER, François. 2008. Les nouveaux locaux, dans le logement dit abor- compromis urbains. Paris, Éditions dable. Le logement abordable est de l’Aube. Notes destiné aux ménages à revenu modeste : il est soutenu par une cer- BACQUÉ, Marie-Hélène et Yankel 1 Damaris Rose, Marie-Hélène Bacqué, taine aide à la pierre mais son loyer FIJALKOW. 2006. « En attendant la † Gary Bridge, Yankel Fijalkow, n’est pas fixé en fonction du revenu. gentrification : discours et politiques † Annick Germain et Tom Slater : à la Goutte d’Or (1982-2000) », Socié- Sa définition fait encore aujourd’hui † Mixité sociale et revitalisation des tés contemporaines, 63 : 63-83. l’objet de vifs débats sur ce que l’on † quartiers : ancrer les perspectives retient comme espace géographique publiques internationales dans les réa- BÉHAR, Daniel, Jacques DONZELOT, de référence pour le calcul du revenu lités locales. Vers une comparaison François DUBET, Philippe GENES- médian sur lequel se base la détermi- transatlantique. Projet financé par le TIER, Marie-Christine JAILLÉ, nation de ce qui équivaut à un loyer Fonds d’initiatives internationales du Christine LELÉVRIER et Marco abordable. Conseil de recherche en sciences OBERTI. 2004. « Table ronde : La † † humaines du Canada, 2006-2008. Ce 5 Sauf indication contraire, toutes les mixité urbaine est-elle une politi- projet comparait les discours des citations qui suivent sont tirées des que ? », Esprit, 303 : 121-142. † † † acteurs impliqués dans trois opéra- transcriptions des entrevues menées tions de revitalisation à Montréal, en 2007 dans le contexte de notre BIBEAU, Jacques et Marc PERREAULT. Paris et Londres à l’aide d’entrevues recherche. 1995. Dérives montréalaises : à travers † semi-dirigées durant en moyenne des itinéraires de toxicomanies dans une heure. Les mêmes grilles d’entre- 6 Notons que certains intervenants le quartier Hochelaga-Maisonneuve. vues, adaptées à chaque type d’inter- communautaires réclament aussi la Montréal, Boréal.
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