La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

La page est créée Didier Rousseau
 
CONTINUER À LIRE
La musique, pourquoi elle rythme
                 nos vies ?
     Depuis près de trente ans, le succès populaire de la Fête de la musique ne se dément pas. Le 21 juin
     prochain, nous serons encore nombreux à gratter une guitare, à pousser la chansonnette ou tout
     simplement à avoir un petit air qui nous trotte dans la tête. Preuve que la musique tient une place très
     importante dans notre vie...

     Mais sait-on vraiment tout ce qui se joue dans notre cerveau lorsque nous écoutons notre disque préféré ?
     D’autre part, quel a été le rôle exact de cet art millénaire dans l’histoire des sociétés à travers le monde ?
     Et quels enseignements tirer des tendances actuelles ? Sur ces questions et bien d’autres, de nombreuses
     recherches sont menées. Le journal du CNRS vous entraîne dans la danse.

1. La symphonie neuronale
     L’été arrive et nous rejoue ses tempos endiablés, mélodies fredonnées et autres airs cadencés. Cette
     année encore, la Fête de la musique est célébrée dans plus de 120 pays. D’où nous vient ce goût pour la
     musique, partagé par toutes les cultures à toutes les époques ? « La musique offre aux passions le moyen
     de jouir d’elles-mêmes », disait Nietzsche dans Le gai savoir. Parfois angoissante, souvent apaisante ou
     stimulante, elle influence les comportements humains. Impossible donc de limiter cet art aux seules
     sensations auditives ! Alors, des chercheurs du CNRS déjouent les cheminements perceptifs et cognitifs à
     l’œuvre. Ils analysent les signes révélateurs des émotions produites et les processus cérébraux activés par
     ce langage non verbal, décryptent ce qui apparaît être une véritable stratégie commune de perception...
     Depuis janvier 2006, une grande partie de ces spécialistes français de la musique ont d’ailleurs regroupé
     leurs savoir-faire dans un projet financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR) et intitulé « La
     spécificité de la musique : contribution de la musique à l’étude des bases neurales et cognitives de la
     mémoire humaine et applications thérapeutiques ». En effet, étudier la musique sous le rapport de la
     biologie permet, au-delà des enseignements musicaux, de mieux saisir comment fonctionne le cerveau.

     Qui n’a jamais eu de frissons dès les premières notes d’un morceau ? Intriguée, Stéphanie Khalfa,
     chercheuse CNRS au Laboratoire de neurophysiologie et neuropsychologie de l’Inserm, à Marseille,
     examine les réponses physiologiques du corps humain aux différentes musiques chez cinquante sujets. «
     Des changements apparaissent très tôt, une à trois secondes après le début de l’écoute. Ils révèlent des
     émotions de gaieté ou de peur. Les muscles zygomatiques au niveau des pommettes faciales s’activent, la
     pression sanguine varie et on observe une micro-transpiration au niveau des paumes des mains »,
     explique-t-elle. Quant à notre respiration, elle est entraînée par le tempo mais réagit peu aux autres
     caractéristiques musicales, comme les graves et aigus ou le volume. De plus, après un stress
     psychologique induit, une musique apaisante - mélodie d’ambiance lente, harmonique et au tempo
     régulier - diminue significativement la concentration sanguine en hormone de stress, dite cortisol, au
     bout d’un quart d’heure d’écoute. La musique adoucirait donc les mœurs ? « Toutes n’ont pas cet effet
     bénéfique, précise Stéphanie Khalfa. Une musique comportant des disparités de rythme et des
     dissonances, comme la techno, augmente le stress, même lorsqu’elle est appréciée. »

                                                                                                                 1
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

D’autres chercheurs, au Laboratoire d’études de l’apprentissage et du développement (LEAD) de Dijon
1
  , ont observé des réponses émotionnelles à la musique instrumentale dès 250 millisecondes d’écoute.
Ces émotions ne sont pas seulement la conséquence d’effets de surface (explosion sonore, forte
dissonance) mais résultent de traitements cognitifs très élaborés, de l’harmonie notamment.

Mais par quels processus neuronaux une mélodie peut-elle ainsi stimuler nos émotions ? Les oreilles
captent les mouvements de molécules d’air créés par l’instrument de musique ou les baffles du
haut-parleur, puis les transforment en influx nerveux. Ensuite, des réseaux distincts du système nerveux
central de l’organisme réagissent à l’écoute musicale et au style de musique. Séverine Samson,
professeure de psychologie à l’université de Lille et neuropsychologue à l’hôpital de la Salpêtrière à
Paris, collabore avec le laboratoire CNRS de neurosciences cognitives et imagerie cérébrale (Lena). Elle
observe des patients épileptiques ayant subi une ablation de certaines zones cérébrales pour le traitement
de leurs crises. Résultat : « L’amygdale est essentielle à la perception de la peur induite par l’écoute
musicale, une lésion d’une seule amygdale entraîne un fort déficit dans le traitement de ce stimulus.
Lorsqu’il s’agit de juger des dissonances désagréables dans l’harmonie d’un morceau, ce sont là des
structures proches de l’hippocampe qui jouent un rôle déterminant. »

1.1. Paroles et musique

Là où s’arrête le pouvoir des mots commence celui de la musique, disait Richard Wagner... Les effets
d’une mélodie sur notre cerveau sont souvent étudiés à la lumière de ceux d’un matériel sonore complexe
mieux connu : le langage. Ces systèmes perceptifs sont liés, mais distincts. D’ailleurs, près de 5 % de la
population est « amusicale » congénitale : ces personnes n’ont aucun problème cognitif ou de langage
mais ont des problèmes de perception musicale. Par exemple, elles ne détectent pas une fausse note.
Depuis plusieurs années, les chercheurs de l’Institut de neurosciences cognitives de la Méditerranée
(INCM)2 à Marseille effectuent des études comparatives entre langage et musique grâce aux techniques
d’imagerie, par électroencéphalogramme (EEG) et par résonance magnétique fonctionnelle (IRMf),
celle-ci mesurant l’activité cérébrale selon la consommation d’oxygène des zones du cerveau. Ainsi,
selon Mireille Besson, directrice de recherche à l’INCM,« le rythme et les règles de l’harmonie ou du
contrepoint sollicitent des zones de l’hémisphère gauche souvent attribuées au langage, en particulier à la
syntaxe. Mais le timbre de l’instrument stimulerait plutôt l’hémisphère droit. » Bref, la perception du
langage comme de la musique s’effectue par étapes, explique Daniele Schön, chercheuse à l’INCM. «
Par exemple, dans l’apprentissage d’une langue étrangère, le cerveau segmente d’abord les informations
sonores. Puis, du sens est attribué aux chaînes des sons. » Résultat étonnant : la vitesse d’émergence d’un
mot est multipliée par trois si l’information est chantée plutôt que parlée ! « D’où l’intérêt des comptines
destinées aux jeunes enfants », note Daniele Schön. La quantité d’informations extraite est énorme
durant la première minute, puis elle augmente lentement.

1.2. La mémoire entre en jeu

Si plusieurs réseaux neuronaux sont impliqués dans la perception de la musique, comment le cerveau
parvient-il à traiter la complexité de l’information musicale ? Les scientifiques savent aujourd’hui qu’il
élabore une stratégie basée sur la familiarité, l’apprentissage implicite et la mémoire. Démonstration :
Barbara Tillmann, chargée de recherche dans l’unité « Neurosciences sensorielles, comportement,

                                                                                                             2
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

cognition »de Lyon, s’est intéressée à la reconnaissance de mélodies familières. « Après 500
millisecondes d’écoute, les jugements de familiarité des auditeurs se différencient pour des morceaux
musicaux connus ou non. » Les réseaux neuronaux impliqués lors de cette perception de la familiarité
musicale sont similaires à ceux activés par les odeurs familières, selon ses résultats publiés en février
dans la revue Cerebral Cortex4.Une langue étrangère est apprise trois fois plus vite si elle est chantée.

Une part de mémoire à court terme spécifiquement auditive influe également. Laurent Demany,
chercheur au laboratoire bordelais « Mouvement adaptation cognition », a observé un phénomène
paradoxal dû à cette mémoire. Il a constaté qu’il est possible d’entendre consciemment un mouvement
mélodique (un changement de hauteur tonale) entre deux sons successifs... alors que pourtant le premier
de ces sons a été masqué par un ensemble d’autres sons simultanés et n’a pas été perçu consciemment !«
Cela peut se produire même si les deux sons successifs sont séparés par plusieurs secondes de silence, et
s’ils ne sont pas présentés à la même oreille. Le cerveau relie automatiquement des sons dans le temps et
détecte des changements indépendamment de l’attention et de la conscience », explique-t-il. « Cette
mémoire auditive est hypersensible aux changements de fréquence, et donc de hauteur tonale », précise
le chercheur : dans un délai d’une demi-seconde à deux secondes, la mémoire à court terme oublie plus
vite l’intensité d’un son que sa hauteur.

Après quinze secondes d’écoute d’un morceau musical, un autre processus de mémoire entre en jeu,
comme l’a montré Barbara Tillmann : il nous devient plus facile de discriminer avec précision les autres
caractéristiques de cet extrait (mélodie, harmonie, etc.). Notre mémoire musicale aurait donc tendance à
se bonifier avec le temps d’écoute. Pour détecter les capacités d’apprentissage de notre cerveau, Barbara
Tillmann a utilisé avec Bénédicte Poulin-Charronnat, chercheuse au LEAD à Dijon, une nouvelle
grammaire musicale établissant des règles d’écriture de suites de notes. Elles ont créé des séquences de
cinq et six notes, fréquentes ou impossibles d’après cette grammaire. Elles ont alors testé la sensibilité de
quarante personnes à ces règles musicales. « Dans 60 % des cas, les transgressions aux règles suivies
sont détectées en moins d’un quart d’heure d’écoute. Les auditeurs ne s’en rendent pas compte, mais ils
ont saisi certaines des caractéristiques de la nouvelle structure musicale », commente Bénédicte
Poulin-Charronnat. Cet apprentissage implicite existe au sein de chaque culture, où une musique
environnante est omniprésente.

1.3. Nous sommes tous des musiciens en herbe

Mais alors, il n’y aurait aucune différence entre musiciens et non-musiciens, dès lors que chacun perçoit
de manière implicite et rapide la musique ? En fait, les experts sont plus performants pour distinguer la
dimension élémentaire du son musical (la hauteur, la durée ou l’intensité), mais lorsqu’il s’agit de
comprendre des structures des extraits, la perception musicale des experts et des non-experts est proche.
Ainsi, d’après Emmanuel Bigand, directeur du LEAD, qui a mené de nombreux tests entre musiciens et
non-musiciens, « les novices ont des connaissances très sophistiquées, même s’ils ne savent pas les
exprimer ». « Et ce dès l’âge de six ans », annonce le directeur de recherche. Pour le découvrir, il a
analysé avec son équipe les attentes perceptives qui se forment automatiquement à l’écoute d’un
morceau de musique (tâche d’amorçage).

Bilan : tous les auditeurs, issus du conservatoire ou non, anticipent les mêmes structures musicales

                                                                                                            3
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

complexes (harmoniques, par exemple). De plus, en situation de découverte, la forme d’un morceau est
difficilement détectée si sa durée dépasse les trente secondes, même si l’on est musicien de haut niveau.
C’est en situation d’écoute répétée que cette forme se précise. Une écoute passive quotidienne de
musique permet donc un apprentissage implicite, dont le traitement est plus précis et plus rapide chez les
musiciens.

Mireille Besson, de l’INCM, a cherché avec son équipe à préciser cette sensibilité affinée : « Si la même
mélodie est jouée un tout petit peu plus aiguë ou un tout petit peu plus grave (d’un cinquième de ton,
c’est-à-dire d’un cinquième de la différence entre do et ré par exemple), cette différence est facilement
perçue par les musiciens mais pas par les non-musiciens » (72 % des non-musiciens ne la perçoivent pas,
contre 35 % des musiciens). Cela relève-t-il d’une prédisposition génétique ? Vingt enfants
inexpérimentés ont suivi un entraînement à la musique. Bilan : en six mois, ils ont développé les mêmes
capacités auditives que celles connues chez des enfants ayant suivi quatre ans de conservatoire. L’oreille
musicale n’est donc pas innée, elle s’acquiert ! François Madurell est musicologue, responsable du
groupe Museco à l’Observatoire musical français et collaborateur du LEAD. Selon lui, ces résultats
confirment l’idée que « la ségrégation entre musique pour auditeurs profanes et musique savante relève
de connotations sociales. Les représentations liées à certains répertoires peuvent provoquer des refus,
mais il n’y a pas d’obstacle cognitif. Par exemple, les réticences face à la musique de chambre dépendent
souvent de facteurs extérieurs à la musique, comme la tenue vestimentaire des musiciens, les codes de
comportement lors du concert et le sentiment que cette musique est destinée à des catégories sociales
privilégiées. »

Quant à l’oreille absolue, elle consiste à « identifier la hauteur précise d’un son et à le nommer sans
l’aide d’une note de référence. De grands musiciens ne l’ont pas, elle serait davantage liée à un
apprentissage instrumental précoce, avant quatre ans. » Elle favorise la reconnaissance de chaque note
sans influer sur la perception et l’appréciation d’un morceau dans son ensemble. Parfois même, l’oreille
absolue est ressentie comme une gêne durant l’écoute musicale. Pour François Madurell, la qualité de
l’oreille du futur musicien pourrait dépendre du type d’apprentissage. Les méthodes traditionnelles
reposent sur un couplage « visuo-moteur » : l’élève associe la lecture d’une note à un geste sur
l’instrument. « Des apprentissages privilégiant d’autres couplages (audition/chant et audition/action
motrice) seraient plus propices au développement de l’écoute intérieure et de l’intelligence musicale. »
Bref, l’enseignement de la musique permet de développer la rapidité d’analyse et la sensibilité des
musiciens. Mais les capacités de perception lors de l’écoute restent très proches entre experts et profanes.

1.4. Thérapies musicales

Si la musique adoucit les mœurs, soigne-elle les maux ? Que pensent nos chercheurs de la
musicothérapie ? Des études récentes menées chez des enfants dyslexiques (problèmes de lecture et
d’écriture) et des personnes souffrant de la maladie d’Alzheimer démontrent peu à peu l’intérêt de la
musique à stimuler le cerveau. Mireille Besson et Michel Habib, de l’INCM de Marseille, ont fait
écouter à des jeunes dyslexiques de dix ans des comptines, en variant la hauteur tonale.

« Même lorsque la variation de hauteur est très perceptible par des enfants qui lisent normalement, 45 %
des enfants dyslexiques ne l’entendent pas. » Après un entraînement phonologique de huit semaines, leur

                                                                                                          4
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

perception auditive est améliorée. « Ils ne font plus d’erreur sur ces grandes variations d’un demi-ton,
seulement 3 % d’entre eux se trompent encore. Cette sensibilité sonore augmente leurs capacités de
lecture. Pourquoi ? Peut-être parce que s’ils ne reconnaissent pas les différences entre certains sons de
leur langue, ils ne les repèrent pas à l’écrit », propose la chercheuse. D’autres résultats montrent
également de fortes relations entre la sensibilité des dyslexiques à la prosodie, c’est-à-dire à la musique
du langage (intonation des voix, etc.), et le développement des capacités de lecture. La musique pourrait
alors pallier certains troubles de la dyslexie en favorisant la sensibilité auditive. Et ce, sans confronter
l’enfant à son déficit, à la différence des entraînements actuels basés sur des exercices de langage.

À l’université de Caen, Hervé Platel, professeur de neuropsychologie, étudie des patients déments
Alzheimer en clinique. « Malgré les troubles avérés du langage et des concepts sémantiques, certaines
capacités musicales sont conservées », explique Hervé Platel. Pour savoir si un apprentissage musical est
encore possible chez ces patients, le chercheur leur a organisé six séances d’une heure et demie
d’enseignement de chansons nouvelles. « Ils sont effectivement capables de restituer une mélodie
lorsqu’on les aide à retrouver les paroles de la chanson. Maintenant, il faut déterminer quels substrats
cérébraux sont alors activés, car l’apprentissage ne s’effectue pas pour des textes présentés sans mélodie.
» À suivre donc... Décidément, la musique n’a pas fini de jouer avec notre corps et notre esprit !

1.5. Du disque dur au disque d’or

Il y a cinquante ans, dans l’enceinte des célèbres laboratoires Bell Telephone dans le New Jersey, Max
Mathews réalisait le premier enregistrement numérique et aussi la première pièce musicale synthétisée
par un ordinateur, une composition de 17 secondes. Mathews, ingénieur et musicien américain, avait
compris avant tout le monde que ces énormes calculateurs ouvraient un champ d’exploration musicale
illimité. Très vite, s’est formé autour de lui un groupe de pionniers de l’informatique musicale. Au
carrefour de la programmation, de l’acoustique, de la psychologie de la perception auditive et de la
musique contemporaine, ce groupe hétéroclite a découvert la synthèse sonore, c’est-à-dire les procédés
pour créer des sons à partir de programmes informatiques. Jean-Claude Risset, Médaille d’or du CNRS
en 1999, qui avait rejoint les laboratoires Bell en 1964, figure parmi ces pionniers. Ce chercheur et
compositeur participera plus tard à la création de l’Ircam (Institut de recherche et coordination
acoustique/musique) avec Pierre Boulez, avant de rejoindre le Laboratoire de mécanique et d’acoustique
(LMA) du CNRS à Marseille, où il travaille actuellement. « Ce n’étaient pas tellement les applications
commerciales de ces travaux qui nous motivaient à cette époque. Nous cherchions surtout à créer une
nouvelle musique avec de nouvelles sonorités. Étant donné que tous les sons peuvent être décrits par des
nombres, l’ordinateur permet non seulement de composer avec des sons, mais aussi de composer les sons
eux-mêmes. » Jean-Claude Risset crée alors quelques-unes des premières œuvres musicales importantes,
comme la suite Little Boy, qui ne comprend que des sons synthétiques n’existant pas dans le monde réel.

Dans le même temps, il poursuit son travail de synthèse sonore et élabore un important catalogue de sons
synthétiques. Au fil des ans, les progrès de l’informatique musicale suivent de près l’accroissement de la
puissance des ordinateurs. En 1967, John Chowning met au point la synthèse musicale par modulation de
fréquence, un procédé simple pour créer et contrôler le timbre des sons. Cette invention, dont le brevet
est l’un des plus lucratifs de l’université Stanford, permet l’apparition des premiers synthétiseurs
Yamaha, qui ne sont autre chose que des ordinateurs dédiés exclusivement à la musique. C’est ainsi que
l’informatique musicale, qui était jusque-là un domaine réservé à la musique d’avant-garde, prend

                                                                                                           5
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

     d’assaut la scène pop sous l’impulsion de groupes comme Kraftwerk, puis de la techno et de tous ses
     avatars. À présent, la synthèse sonore est à la portée de quiconque possède un PC, et les catalogues de
     sons en accès libre sont extraordinairement fournis.

     Cependant, la recherche en informatique musicale découvre constamment de nouvelles possibilités.
     Ainsi, au LMA, l’équipe de Daniel Arfib et Jean-Claude Risset cherche à sortir l’informatique musicale
     de son environnement virtuel en inventant des instruments de musique basés sur l’ordinateur. « Ces
     instruments utilisent des périphériques comme des joysticks ou des tablettes graphiques. Nous essayons
     ensuite que le jeu sur ces instruments soit aussi fin que celui sur un instrument classique. Pour cela, il
     faut que les informations qui reviennent à l’utilisateur (le feed-back visuel et auditif) lorsqu’il manipule
     l’instrument soient adaptées et cohérentes », explique Daniel Arfib. Perpétuant l’esprit des pionniers de
     l’informatique musicale, ces travaux sont à la fois une tentative pour repousser les limites technologiques
     et une exploration artistique d’avant-garde.

     Glossaire de cette partie

     •   Tempo : il détermine la vitesse d’exécution d’une pièce musicale. Il est traditionnellement indiqué par
         des termes italiens comme largo pour un tempo lent, andante pour un tempo modéré ou allegro pour
         un tempo rapide.
     •   Rythme : c’est l’un des éléments qui permettent de caractériser une phrase musicale. Le rythme
         détermine la durée des notes les unes par rapport aux autres. Lorsqu’on parle d’un rythme dans le sens
         d’une forme musicale (valse, tango, bossa), il s’agit d’une brève cellule rythmique qui se répète et
         donne son caractère à la pièce.
     •   Dissonance : elle correspond à un ensemble de sons dont la succession ou la simultanéité est
         désagréable ou bien produit un effet de tension musicale qui est parfois recherché. L’impression de
         dissonance varie selon le courant culturel, l’époque et les individus.
     •   Harmonie : c’est l’art d’enchaîner des accords, de combiner des sons entre eux pour les rendre
         agréables à l’oreille.

2. Des rites et des rythmes
     La musique est toujours plus que de la musique », écrivait l’ethnomusicologue Gilbert Rouget. En effet,
     pour la société qui la produit, la musique a des significations et des fonctions très diverses, bien au-delà
     du simple plaisir de l’écoute, même s’il est vrai que dans notre société « moderne », elle semble s’être
     réduite à un simple divertissement ou à un produit de consommation courante. Mais est-ce le cas dans
     toutes les sociétés, et notamment dans celles qui ont su garder leurs traditions ? Quel est le rôle de la
     musique, que représente-t-elle au juste dans d’autres régions du monde ? C’est là l’une des grandes
     questions que se pose l’ethnomusicologie. En décrivant le lien entre des faits d’ordre ethnologique et les
     pratiques musicales, cette discipline apparue dans les années cinquante révèle ces occasions où la
     musique devient absolument indispensable pour une partie des populations.

     Prenons pour commencer le lien indissociable entre rite religieux et musique. « La musique n’est pas un

                                                                                                                6
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

simple accompagnement, un accessoire rituel : elle est l’essence même de la cérémonie », explique
Bernard Lortat-Jacob, chercheur au Laboratoire d’ethnologie et de sociologie comparative1 qui a
consacré l’essentiel de sa carrière à l’étude des musiques du pourtour méditerranéen. « Un bon exemple
est celui des fêtes religieuses en Sardaigne : là, la musique est véritablement l’offrande que l’on fait à
Dieu. Plus que les fleurs que l’on dépose, plus que les processions, c’est le chant qui prouve sa dévotion
envers Dieu. Entre les divers ensembles vocaux qui se présentent à ces occasions, il se crée une sorte de
concurrence : c’est celui qui chantera le mieux qui sera considéré comme le plus fervent. »

2.1. Sous les auspices de la musique

Dans de très nombreuses sociétés, la musique a aussi le don de soigner et de purifier, ce qui n’est pas
sans rappeler les vertus de la musicothérapie. Ainsi chez de nombreux peuples, comme les Bushmen
d’Afrique australe, le chaman, en manipulant des sons, en scandant des paroles aux pouvoirs magiques,
emmène le malade vers la guérison. Chez eux, la musique renferme une puissance surnaturelle qui peut
aussi être invoquée avant de partir en chasse ou pour régler des conflits. Autre exemple : en Inde, on fait
parfois appel aux musiciens mendiants pour purifier certains endroits et aider à regagner la faveur des
divinités.

Mais au-delà des rituels magiques ou religieux, la musique est également essentielle à ces sociétés où la
fête, bien plus qu’un simple moment d’évasion, marque les événements les plus significatifs de la vie des
personnes. « Au Maroc, dans le Haut Atlas, lorsque les gens se marient, c’est la musique qui permet
véritablement au mariage d’avoir lieu. Il serait de très mauvais augure de ne pas avoir de musique
pendant les trois jours de fête qui accompagnent le mariage ! À cette occasion, la qualité de la musique
est relativement secondaire. Ce qui importe c’est le dynamisme collectif qui s’en dégage : plus les gens
participent, chantent, dansent en y mettant toute leur énergie, et plus les musiciens sont appréciés »,
rapporte Bernard Lortat-Jacob.

On le voit, les occasions de faire de la musique sont multiples. À chaque moment sa musique : berceuses,
comptines, chants de travail qui rythment l’effort physique, musiques pour enterrer les morts... De plus,
étant donné que la pratique de la musique n’est pas réservée aux seuls musiciens, chaque individu est le
détenteur d’un important patrimoine musical que les ethnomusicologues cherchent à sauvegarder.

2.2. Unité ou diversité ?

En Sardaigne, lors des fêtes religieuses, des polyphonies de quatre chanteurs s’affrontent dans une sorte
de compétition qui peut durer plusieurs heures.Par ailleurs, la musique peut avoir un rôle identitaire
important. « Les musiques, et en particulier celles de tradition orale, sont très territorialisées : on ne
chante pas de la même manière d’un endroit à un autre. En Sardaigne, comme au Haut Atlas, au Maroc,
par exemple, les chanteurs de chaque région, voire de chaque village ont une façon caractéristique de
chanter. Leurs différences sont très souvent discutées par les habitants eux-mêmes dans les villages, et
ces différences sont hautement productives du point de vue culturel », explique Bernard Lortat-Jacob.
Chacun se reconnaît dans la musique de son lieu d’origine, et cette identification peut se transformer en
un enjeu régional ou national. En Corse, le chant polyphonique est ainsi devenu un des attributs du

                                                                                                          7
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

     nationalisme. « La polyphonie était effectivement pratiquée dans quelques villages, principalement au
     centre de la Corse, et on ne peut pas dire qu’il y a une trentaine d’années elle représentait musicalement
     toute l’île. Pourtant, c’est sur cette pratique minoritaire que se construit désormais l’identité musicale
     corse », affirme le chercheur. Des groupes phares, connus internationalement, sont apparus, comme
     I-Muvrini.

     Mais ce passage d’une pratique traditionnelle à une musique emblème d’une région n’est pas sans
     conséquences. « Presque tous les pays européens ont connu un revival des musiques traditionnelles,
     passant aussi souvent par une certaine uniformisation des pratiques. » Au final, la diversité musicale est
     souvent mise à mal par la transformation de la musique en marchandise. Les ethnomusicologues,
     notamment grâce à leurs enregistrements réalisés dans le contexte traditionnel de chaque style musical,
     participent heureusement à la sauvegarde de cette diversité.

3. Musique et société : l’accord majeur
     De la musique avant toute chose ! » Il y a bien longtemps que l’humanité scande le credo de Verlaine.
     Les plus anciennes traces d’instruments remontent à 45 000 ans, et toutes les sociétés connues, à de très
     rares exceptions près, ont valorisé le « matériau musical » dans la sphère privée, publique ou religieuse.
     Impossible, on s’en doute, de relever sur une carte du monde les ramifications de l’arbre généalogique
     d’une pratique aux racines immémoriales. Certaines époques auront toutefois enregistré des mutations
     décisives. À la fin du premier millénaire, l’Occident chrétien fait ainsi l’apprentissage de la notation.
     L’écrit permet d’inscrire et de (re)composer des mouvements mélodiques. L’invention de l’imprimerie
     démultiplie le phénomène à la base « d’une complexification croissante du langage musical. Des
     "possibles" ainsi ouverts découlera ce que l’on appelle "la musique savante occidentale" », résume
     Nicolas Donin, responsable de l’équipe « Analyse des pratiques musicales » au sein du laboratoire «
     Sciences et technologies de la musique et du son »1.

     Au fil des siècles, l’arsenal instrumental et la production industrielle des instruments vont s’étoffer, les
     pratiques collectives populaires des fanfares s’intensifier, l’orchestre symphonique s’imposer, etc. Pour
     autant, écouter de la musique reste, globalement, un moment d’exception. Mais on n’arrête pas le
     progrès. L’invention du phonographe et de la radio reconfigure les conditions d’écoute de la musique. Un
     vrai tournant culturel. « La figure de l’"auditeur" s’autonomise, insiste Nicolas Donin : on accède à la
     musique de moins en moins en apprenant à la déchiffrer par soi-même, de plus en plus en achetant des
     disques ou en ouvrant "le poste" ».

     L’essor de la télévision, la généralisation de la haute-fidélité, le déploiement des radios musicales
     privées, la Fête de la musique (lancée en 1982 par le ministère de la Culture et devenue une institution
     planétaire), la poussée d’Internet, la vogue du baladeur et maintenant celle de l’iPod et du home studio
     numérique n’ont fait que renforcer la « musicalisation » de nos sociétés. Sur les ondes et les scènes, la
     cornemuse crétoise coexiste avec la percussion mandingue, le rap mongol avec le rock du bocage
     vendéen, le funk brésilien avec la musique arabo-andalouse, le zouk avec la musique flamande... La
     musique est désormais partout (dans les commerces, les ascenseurs, les téléphones portables, sur les
     plages, les pistes de ski...) et « une bonne partie de l’humanité en écoute plusieurs heures par jour »,

                                                                                                                  8
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

constate Nicolas Donin, en déplorant au passage « la passivité des auditeurs et la standardisation du
langage musical qui en résultent » et en s’employant à concevoir des « guides d’écoute » chargés de
faciliter l’accès aux œuvres contemporaines.

Au fait, qui écoute quoi ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que la montée en puissance des genres
populaires (pop, rock...) a marqué les quarante dernières années et que le lien naguère rigide entre genres
musicaux et milieux sociaux s’est considérablement distendu. « Concernant le rock, par exemple, on ne
constate en 2003 aucun écart statistique entre le "taux de préférence" des cadres et le taux des ouvriers »,
analysent, statistiques à l’appui, Hervé Glevarec et Michel Pinet, tous deux en poste au Centre lillois
d’études et de recherches sociologiques et économiques (Clerse)2. « Les goûts populaires sont donc
aussi, dorénavant, ceux des catégories sociales dominantes. Les individus, surtout les plus jeunes, ne
manifestent pas - ou plus - de hiérarchie entre les genres musicaux mais, à l’intérieur d’un genre, entre
les artistes. »

3.1. Musique et pouvoir

Quid des rapports vieux comme le monde qu’entretiennent pouvoir et musique et qu’étudie pour sa part
Esteban Buch, directeur adjoint du Centre de recherches sur les arts et le langage (Cral)3 ? Qui dit «
musique politique » dit musique militaire et hymnes nationaux, un genre où « la fonction de propagande
de l’œuvre est indissociable de l’œuvre elle-même ». Les heurs et malheurs de La Marseillaise née dans
la Révolution, promue officiellement hymne national français par la IIIe République, écartée par Vichy
puis remise à l’honneur par la Libération avant d’être inscrite dans l’article 2 de la Constitution de la Ve
République, le prouvent à l’envi. Et son histoire, loin d’être « figée dans une sorte de régime froid
seulement réchauffé à l’occasion de grands rendez-vous sportifs » se poursuit, constate le même
musicologue. Que l’on se souvienne, entre autres, du scandale provoqué par sa version reggae chantée
par Serge Gainsbourg en 1979.

Une autre œuvre exhibe les rapports entre musique et pouvoir dans toute leur complexité : l’Ode à la
joie, de Beethoven, que le régime raciste de Rhodésie (actuel Zimbabwe) adopta en son temps comme
hymne national et qui sert d’hymne à l’Union européenne ! « Devant un tel parcours, on se dit que, soit
la Freudensmelodie est vide de sens, puisque tous les types de pouvoir peuvent se l’approprier, soit elle
véhicule quelque chose que des États démocratiques auraient en commun avec des États totalitaires ou
racistes. Cette plasticité est un fait historique troublant... », relève Esteban Buch. Sans oublier de
rappeler que la musique politique en général et le chant en particulier « sont fréquemment associés à des
mouvements de contestation » et ne doivent pas être accolés automatiquement « à l’idée d’oppression ».

Justement : quel usage les régimes les plus extrêmes ont-ils fait de l’art musical au XXe siècle ? Tous,
souligne Laurent Feneyrou, chercheur au Cral, s’en sont servis pour « esthétiser la politique », autrement
dit pour « représenter comme une œuvre d’art des événements relevant du politique », à l’exemple des
grandes cérémonies nocturnes du IIIe Reich. S’agissant de l’ex-bloc de l’Est, arc-bouté à la glorification
de la mélodie, « l’utilisation des percussions, jugées archaïques, y a été systématiquement attaquée, et
l’opéra comme la symphonie, qui s’adressent à un large public, ont été les deux registres les plus
sévèrement contrôlés ». Dans la Chine communiste, la musique reste elle aussi soumise - sans surprise -
à un strict encadrement depuis octobre 1949. Sa mission : être écrite pour les masses, briller par son

                                                                                                           9
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

expressivité et traduire des sentiments positifs sur le socialisme, « la marge de manœuvre des musiciens
chinois fluctuant au gré des crispations du régime ».

« Reste un cas paradoxal, celui de l’Italie de Mussolini. Allergique à toutes les formes de modernité,
cette période a vu certains compositeurs fascistes, tel Ildebrando Pizzetti, puiser aux sources de la
polyphonie de la Renaissance. Or, paradoxalement, les figures tutélaires d’avant Verdi seront à la base de
l’écriture vocale et chorale des musiciens d’avant-garde aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale
», dit Laurent Feneyrou. Bref, des musiciens ultra-conservateurs, dans un État dictatorial, ont exploité
des formes d’expression reprises ultérieurement dans une technique d’écriture révolutionnaire.

3.2. Musique et territoire

Mais place aux géographes ! « Partir d’un objet particulièrement flou (la musique) et le corréler avec un
autre objet particulièrement discutable (l’espace) est un exercice périlleux », prévient d’emblée Yves
Raibaud, membre d’« Aménagement, développement, environnement, santé et sociétés » (Ades)4 de
Bordeaux. Pour autant, le couple musique-territoire permet entre autres « aux ethnologues de la musique
brésilienne d’échanger avec les sociologues du rap ou aux géographes qui étudient les rave parties de
dialoguer avec les chercheurs intéressés par les effets du lecteur MP3 sur la sociabilité dans le métro ».
Que l’on appréhende « l’objet musique-espace » par le biais de l’analyse spatiale (pour localiser des
pratiques, interroger des modes musicales...), par celui de la géographie des pratiques sociales (quels
sont les territoires du rap, les musiques du quotidien rural, le rôle des fêtes musicales ?...) ou celui de la
géographie régionale (la description des situations culturelles sur un territoire et à un moment précis), un
même constat soude ces approches : les musiques « font partie des représentations communes à un
groupe ou à une société dans un temps et un lieu donné. Les pratiques musicales et les musiques, quelles
qu’elles soient, produisent en conséquence du social et du territoire », dit Yves Raibaud.

Prenez le cas du rap et de Marseille. Née aux États-Unis dans les quartiers pauvres de New York et
fortement associée aux violences urbaines, cette musique a métamorphosé la cité phocéenne en «
capitale du rap tricolore ». Pour Loïc Lafargue de Grangeneuve, chercheur associé à l’Institut des
sciences sociales du politique (ISP)5, pareille identification entre une grande ville et un genre musical est
« un phénomène unique » en France. Surtout, poursuit-il, les pouvoirs publics locaux, depuis les années
quatre-vingt-dix, « ont mis en place une stratégie politique qui consiste à transformer les stigmates d’une
ville d’immigration en atouts, le soutien apporté à la culture hip-hop s’inscrivant dans le cadre de la
promotion d’une nouvelle image » : celle d’une métropole dynamique, jeune, multiculturelle, tournée
vers l’avenir. Où l’on voit comment, sans minimiser les tensions existant entre une municipalité et « ses »
artistes, la musique peut servir de mode de gouvernance territoriale.

Capter l’univers sonore d’un espace en échappant à la tyrannie de la cartographie et se servir de la
musique comme d’un « géo-indicateur » pour interroger la notion de « culture locale », voilà ce que font
des géographes comme Marie Pendanx, membre d’Ades. Parmi les objets d’étude de cette jeune
doctorante : les « bandas » landaises, qui connaissent actuellement un vif engouement. Ces groupes de «
copains mobiles » qui jouent de la musique dans la rue dans les Landes et le Sud-Ouest pour animer les
fêtes, l’été, « s’inspirent de la culture espagnole, dit-elle. Fidèles à leurs racines, ils cherchent à
conserver des valeurs sociales issues du monde rural (l’entraide, le partage...) et sont fortement ancrés

                                                                                                           10
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

dans un village ou dans un petit ensemble de communes voisines. Les bandas participent ainsi à
l’élaboration d’une véritable construction territoriale et s’avèrent des producteurs efficaces de vie sociale
et d’identité ».

Et les « batucadas », ces rassemblements spontanés et relativement informels de percussionnistes
amateurs qui jouent pour l’essentiel des rythmes brésiliens et qui, depuis une vingtaine d’années, se
produisent partout en Europe dans des manifestations, des festivals et des fêtes publiques ? Comment
expliquer que des musiques a priori brésiliennes occupent aujourd’hui une telle place dans le paysage
sonore du Vieux Continent, loin de son berceau d’origine ? Pour Anaïs Vaillant, anthropologue en poste
à l’Institut d’ethnologie méditerranéenne et comparative (Idemec)6, « l’appropriation de la batucada en
Europe résulte d’abord d’une "démocratisation de l’exotisme". Nos oreilles ont aujourd’hui un accès très
large aux musiques de l’Autre. D’autre part, le Brésil incarne une alterité suffisamment lointaine pour
répondre à cette demande d’exotisme et suffisamment proche pour s’approprier ses musiques. La
batucada, de Paris à Helsinki, est devenue un outil européen de "recréation de la fête" dans de nombreux
espaces où les musiques traditionnelles et orales semblent faire défaut ».

Pour finir, une visite s’impose aux orchestres d’harmonie qui, rien qu’en Alsace (la région qui donne le
la en la matière, avec le Nord-Pas-de-Calais), regroupent plus de 11 000 musiciens, dont 45 % de
femmes, répartis dans plus de 300 sociétés. Pour avoir piloté la première enquête jamais réalisée sur cette
tradition musicale, le sociologue Vincent Dubois, membre du laboratoire « Politique, religion,
institutions et sociétés : mutations européennes » (Prisme) 7, connaît sa partition par cœur. Si l’âge d’or
des harmonies sous leur forme traditionnelle est probablement révolu, argumente-t-il, « on ne saurait
pour autant diagnostiquer leur extinction rapide et inéluctable », malgré les changements sociaux et
culturels majeurs qu’a connus la société française au cours des dernières décennies : départs pour les
études ou le travail, influence des médias sur le goût, désagrégation des sociabilités populaires... Le
déclin des orchestres les plus proches du modèle orphéonique du XIXe siècle ou des fanfares
d’avant-guerre « s’accompagne en effet d’un certain renouvellement dans le recrutement (les plus de
cinquante-cinq ans représentent une minorité des effectifs) ou les répertoires (plus de morceaux
modernes supposés plaire aux jeunes), et d’une élévation du niveau d’exigence technique ». Autant de
mutations propres à atténuer en partie le vieillissement d’une pratique à forte inscription territoriale si
souvent considérée, avec condescendance, comme désuète. En avant la musique !

3.3. Pirates de l’air

Les achats de musique en ligne progressent, mais la France reste l’un des pays où l’on télécharge le plus
de fichiers de façon illicite.Pourquoi pousser la porte d’un disquaire et dégainer sa carte bancaire, quand
on peut se procurer les derniers disques sortis, d’un clic de souris, sagement assis devant son ordinateur ?

Les internautes français, spécialement, l’ont bien compris, quitte à encourir jusqu’à trois ans
d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende : 48 % des foyers tricolores connectés à Internet
téléchargent de la musique illégalement (contre 24 % au Royaume-Uni et 12 % aux États-Unis). Que
l’industrie du disque tempête et crie au désastre pour les créateurs est de bonne guerre. Les ventes de
CD, dans l’Hexagone, ont dégringolé de 10,7 % en 2006, bien qu’il soit impossible d’imputer la crise
que traverse la filière depuis quelques années au seul piratage. Autre raison de déprimer : les achats de

                                                                                                            11
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

     musique en ligne progressent à pas d’escargot et sont loin de compenser le fléchissement du marché. De
     leur côté, les « pirates », qui jugent légitime la gratuité de la musique en ligne, s’entêtent : pourquoi
     payer ce que des sites d’échange proposent sans bourse délier ? Insoluble...« Les stratégies mouvantes
     des professionnels reflètent leurs interrogations quant au rôle que doivent jouer les mesures techniques
     de protection (les fameux DRM, pour Digital Rights Management) qui, après avoir suscité leur
     enthousiasme, sont de plus en plus largement critiquées », commente Joëlle Farchy, du Centre
     d’économie de la Sorbonne1. Traduction : loin d’enclencher les effets attendus en empêchant la
     reproduction des fichiers acquis légalement, ces « cadenas numériques », en plus de diviser leurs
     promoteurs, attisent la grogne des consommateurs et les détournent des sites payants.

     Comment la situation peut-elle évoluer ? Un rapport, commandé par le gouvernement en janvier 2007 à
     Jean Cédras, avocat général auprès de la Cour de cassation, et rendu public par une association début
     mai, vient de faire grand bruit. Toute solution de répression du téléchargement illégal, explique en
     substance l’auteur, est vouée à l’échec, tant sur le plan technique que juridique. Sa recommandation :
     multiplier les campagnes de sensibilisation sur les dangers du téléchargement illicite pour la création
     artistique. Un travail de longue haleine...

     Quelques sites à consulter

     •   le film Jean-Claude Risset à consulter en ligne (http://videotheque.cnrs.fr/doc.php?id_doc=394)
     •   Une sélection de films sur la musique ( www.cnrs.fr/cnrs-images/jdc0706.html)

4. Section supplémentaire

     4.1. Début

     Ces pages ont pour origine un cours destiné aux étudiants de 2ème année du Master Pro Métiers de la
     Rédaction de l’université Lille III-Charles de Gaulle, à Villeneuve d’Ascq, depuis l’année universitaire
     2005-2006 :

     •   Le but principal de cet enseignement est de sensibiliser des étudiants 3 à la nécessité et l’utilité de la
         séparation données-traitement (c’est-à-dire texte-présentation, ou encore sens-apparence) dans la
         création d’un texte, surtout quand celui-ci est destiné à être manipulé par plusieurs personnes aux
         fonctions complémentaires.
     •   Il est en effet important, par exemple, que celui qui écrit le texte ne se préoccupe pas de la façon dont
         il sera présenté dans sa version finale, mais aussi que celui qui en fait une version papier n’ait pas à
         modifier le texte original, pas plus que celui qui l’utilisera pour produire un site web.
     •   Dans cette optique il est important de choisir une méthode de représentation des données 4 qui
         permette cette séparation, et même qui y oblige. XML est une solution, et DocBook en est une
         application particulière.

                                                                                                                      12
La musique, pourquoi elle rythme nos vies ?

    4.2. Milieu

    C’est pour sa valeur d’exemple représentatif que cette solution a été choisie dans cet enseignement. Mais
    il faut bien garder à l’esprit que d’autres solutions existent (d’autres solutions XML, l’utilisation de
    systèmes de gestion de bases de données, etc.). Le point commun de ces solutions sera la séparation
    données-traitement. Et c’est bien à cette notion que cet enseignement a pour but de sensibiliser

    4.3. Fin

    Ces pages ne sont pas destinées à être un cours autonome : elles ne sont qu’un support de cours, et
    beaucoup de choses, qui sont transmises à l’oral pendant les cours, ne sont pas écrites.

Notes
    1. Laboratoire CNRS / Université Dijon.
    2. Institut CNRS / Université Aix-Marseille-II.
    3. (destinés à devenir des rédacteurs de documents, techniques ou pas)
    4. (ou des textes)

                                                                                                          13
Vous pouvez aussi lire