La place de la résilience familiale lors d'un suicide à l'adolescence - Érudit

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Document généré le 22 avr. 2020 04:17

Frontières

La place de la résilience familiale lors d’un suicide à
l’adolescence
Christine Genest et Francine Gratton

Résilience et deuil                                                               Résumé de l'article
Volume 22, numéro 1-2, automne–printemps 2009–2010                                Le concept de résilience est utilisé en sciences sociales depuis 30 ans. Il renvoie
                                                                                  à la capacité de rebondir et d’apprendre d’une expérience difficile. La
URI : https://id.erudit.org/iderudit/045026ar                                     résilience familiale est un concept plus récent pour lequel aucun consensus
DOI : https://doi.org/10.7202/045026ar                                            n’est établi actuellement. Une analyse de concept, basée sur l’approche de
                                                                                  Walker et Avant, est menée pour aider à la définir. Après avoir différencié les
                                                                                  notions de coping et d’invulnérabilité de la résilience familiale, les antécédents,
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                                                                                  conséquences et attributs sont présentés afin d’en arriver à une définition.
                                                                                  Pour que se développe la résilience familiale, il doit y avoir une situation
                                                                                  perçue, par la famille, comme un défi. Le développement et l’apprentissage
Éditeur(s)                                                                        effectués par une famille à la suite du suicide d’un(e) adolescent(e) semblent
                                                                                  liés à la résilience familiale. Les particularités du deuil familial suite à un
Université du Québec à Montréal
                                                                                  suicide à l’adolescence sont présentées après l’analyse de concept afin
                                                                                  d’énoncer les particularités de ce lien potentiel.
ISSN
1180-3479 (imprimé)
1916-0976 (numérique)

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Citer cet article
Genest, C. & Gratton, F. (2009). La place de la résilience familiale lors d’un
suicide à l’adolescence. Frontières, 22 (1-2), 42–49.
https://doi.org/10.7202/045026ar

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                                                                                 Cet article est diffusé et préservé par Érudit.
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                                                                                 l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à
                                                                                 Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche.
                                                                                 https://www.erudit.org/fr/
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                                                               La place de
  Résumé
                                                        la résilience familiale
  Le concept de résilience est utilisé en
  sciences sociales depuis 30 ans. Il renvoie
  à la capacité de rebondir et d’apprendre
  d’une expérience difficile. La résilience
                                                           lors d’un suicide
  familiale est un concept plus récent
  pour lequel aucun consensus n’est établi
  actuellement. Une analyse de concept,
  basée sur l’approche de Walker et Avant,
                                                            à l’adolescence
  est menée pour aider à la définir. Après
  avoir différencié les notions de coping
  et d’invulnérabilité de la résilience fami-
  liale, les antécédents, conséquences et
  attributs sont présentés afin d’en arriver
  à une définition. Pour que se développe
  la résilience familiale, il doit y avoir une
  situation perçue, par la famille, comme
  un défi. Le développement et l’apprentis-
  sage effectués par une famille à la suite
  du suicide d’un(e) adolescent(e) semblent
  liés à la résilience familiale. Les particula-
  rités du deuil familial suite à un suicide
  à l’adolescence sont présentées après                          Christine Genest, cand. Ph. D.,                     le concept de résilience peut s’appliquer à des
  l’analyse de concept afin d’énoncer les               chargée d’enseignement, Faculté des sciences infirmières,    situations cliniques rencontrées par les pro-
  particularités de ce lien potentiel.                                  Université de Montréal,
                                                                                                                     fessionnels. C’est donc pour répondre à ces
  Mots clés : résilience familiale – deuil –                                                                         questions que, dans un premier temps, une
                                                                      Francine Gratton, Ph. D.,
  suicide – adolescence.                                  professeure titulaire, Faculté des sciences infirmières,
                                                                                                                     analyse du concept de résilience familiale
                                                                         Université de Montréal.                     inspirée de l’approche de Walker et Avant
  Abstract                                                                                                           (1995) sera effectuée. Par la suite, afin d’ap-
                                                           Depuis une trentaine d’années, le                         pliquer le concept à une situation clinique,
  The concept of resiliency has been used
  in the social sciences for 30 years. It refers       concept de résilience est de plus en                          une définition théorique de ce que représente
  to the ability to bounce back, to grow,              plus présent dans les écrits en sciences                      le deuil à la suite du suicide d’un adolescent1
  and to learn when confronted with a                  sociales de même qu’au sein de la disci-                      sera proposée. Finalement, une application
  situation perceived as a challenge. Family           pline infirmière (Mu, 2005 ; Callahan, 2003 ;                 du processus de résilience familiale sera illus-
  resiliency is a newer concept and there is           Leske, 2003 ; Chen et Rankin, 2002 ; White                    trée par le vécu des familles endeuillées par
  no consensus on its definition. A concept            et al., 2002 ; Board et Ryan-Wenger, 2000 ;                   le suicide d’un adolescent.
  analysis, based on Walker and Avant’s                Rungreangkulkij et Gillis, 2000 ; Robinson,
  approach, was used to help define family             1997). Ce concept gagne en popularité
  resiliency. First, the concept was distin-                                                                             LA RÉSILIENCE FAMILIALE
                                                       actuellement compte tenu, entre autres,                           Le concept de résilience et, plus préci-
  guished from coping and invulnerability.
                                                       du changement paradigmatique dans les                         sément, celui de la résilience familiale sont
  Antecedent, consequences and attributes
  of family resiliency were then identified.           sciences sociales. Dorénavant, l’accent est                   des concepts de plus en plus pertinents
  In a broad sense, families should be fac-            mis sur les forces et les conséquences posi-                  pour les sciences sociales et les sciences
  ing a challenge for family resiliency to             tives d’un événement. Plusieurs auteurs et                    de la santé. Toutefois, il n’y a pas encore
  develop. Family development and learn-               chercheurs ont tenté de définir ce concept                    consensus quant à la définition. Afin de
  ing following the suicide of one of its              sans pour autant en arriver à un consensus.                   faciliter la compréhension du phénomène,
  adolescent members seem intricately                  Pour ce qui est de la résilience familiale, les               il s’avère nécessaire de mener une analyse
  linked to family resiliency. The charac-             écrits sont encore moins nombreux et le tra-                  du concept qui permettra de proposer une
  teristics of family mourning following the           vail de définition du concept est toujours en
  suicide of an adolescent are presented                                                                             définition de la résilience familiale. Pour
                                                       cours. Pourtant, ce concept peut s’avérer très                ce faire, le processus d’analyse de concept
  after the concept analysis in order to help
                                                       utile pour les intervenants invités à travailler              élaboré par Walker et Avant (1995) a été
  understand this potential link.
                                                       auprès de familles comme c’est souvent le                     utilisé. Ainsi, dans un premier temps, sont
  Keywords : family resiliency – mourning –            cas, par exemple, pour les infirmières, les tra-              analysées les différentes conceptions de la
  suicide – adolescence.                               vailleurs sociaux, les psychoéducateurs. De                   résilience individuelle et familiale, et ce,
                                                       plus, il peut s’avérer difficile de voir en quoi              à travers le temps et les disciplines. Par

FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2                                                       42                                                   AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
la suite, la résilience familiale sera diffé-        et Sloboda, 1999 ; Walsh, 1998 ; Jacelon,         prochaines années, d’effectuer des études
renciée d’autres concepts qui y sont reliés.         1996 ; Jonhson, 1995). Ce manque de               sur ce sujet afin de mieux définir concrè-
Finalement, après avoir mieux circonscrit            consensus a donc pu nuire à l’utilisation du      tement ce concept.
le concept de résilience, nous ferons res-           concept par les professionnels étant donné
sortir les attributs essentiels de la rési-          le flou entourant sa définition. Il était alors      LA RÉSILIENCE PARMI
lience familiale ainsi que ses antécédents           difficile de s’entendre sur ce que représen-         D’AUTRES CONCEPTS
et conséquences, ce qui permettra d’en               tait la résilience et sur la façon d’interve-        Par ailleurs, afin de bien circonscrire
proposer une définition conceptuelle.                nir pour la favoriser. Cette coexistence de       le concept de résilience et d’en éviter un
                                                     définition a également certainement eu un         recours erroné, il est utile de préciser com-
   DIFFÉRENTES CONCEPTIONS                           impact sur le nombre de recherches scien-         ment la résilience se distingue d’autres
    Ce n’est qu’au cours des années 1980             tifiques portant sur la résilience. En effet,     concepts similaires comme, entre autres,
que le concept de résilience a été asso-             il est difficile pour un chercheur d’élaborer     le coping et l’invulnérabilité.
cié, pour la première fois, aux sciences             une recherche quand le sujet d’étude en soi
sociales. Ce sont les psychologues améri-            n’est pas clairement défini.                         Le coping
caines Emmy Werner et Ruth Smith qui,                    Ainsi, à travers les écrits plutôt théo-         Le coping fut développé principale-
les premières, utilisèrent le terme rési-            riques associés à la résilience, il est pos-      ment par Lazarus et Folkman au début
lience dans une recherche longitudinale              sible de remarquer que le développement           des années 1980. Il fait référence au pro-
portant sur l’ensemble des enfants, 698,             du concept s’est effectué, principalement,        cessus d’adaptation déployé par l’individu
nés en 1954 sur l’île hawaïenne de Kauai             en deux vagues. Les premiers auteurs ont          ou la famille afin de faire face à une situa-
(Anaut, 2003 ; Tomkiewicz, 2003 ; Werner             davantage tenté de définir les caracté-           tion de risque. Ce qui distingue surtout la
et Smith, 2001, 1982 ; Daly, 1999). Cette            ristiques à l’origine de la résilience chez       résilience du coping, ce sont les notions
étude a permis de suivre l’évolution de ces          un individu, c’est-à-dire les qualités de         de croissance et de rebondissement qui
enfants durant la période périnatale, ainsi          la personne résiliente. Cette vision de           représentent une conséquence de la rési-
qu’à 1, 2, 10, 18 et 32 ans pour identifier les      la résilience fait davantage référence à          lience (Psiuk, 2005 ; Anaut, 2003 ; Poilpot,
facteurs permettant à certains enfants d’évo-        un élément stable de l’individu, donc à           2003 ; McCubbin, 2001 ; Hawley, 2000 ;
luer positivement malgré des conditions ini-         un trait de personnalité (Anaut, 2003 ;           Joubert et Raeburn, 1998 ; Dyer et Minton
tiales de vie plutôt difficiles (stress périnatal,   Richardson, 2002 ; Wilkes, 2002 ; Luthar          McGuiness, 1996 ; Jonhson, 1995). Ainsi,
pauvreté chronique, environnement familial           et al., 2000). Par la suite, les auteurs se       lorsqu’une personne/famille s’adapte à une
difficile). Pour ces auteures, la résilience ren-    sont davantage intéressés au processus par        situation de risque, elle n’a pas nécessai-
voie à la capacité de certains enfants, pré-         lequel l’individu parvient à acquérir les         rement à grandir ou à apprendre de cette
sentant plus de quatre facteurs de risque, de        qualités associées à la résilience (Anaut,        expérience, ce qui est le cas lorsqu’elle
cheminer positivement. Ce choix des auteurs          2005 ; Richardson, 2002 ; Wilkes, 2002).          fait preuve de résilience. De plus, selon
de tenir compte des enfants présentant plus          Dans cette deuxième vague d’écrits, la            Tomkiewicz (2003), une autre distinction
de quatre facteurs de risque est bien entendu        résilience est envisagée davantage comme          entre les deux concepts vient du fait que
arbitraire mais il s’agit de facteurs ayant une      un concept dynamique qui évolue dans              le coping fait davantage référence à une
forte influence sur l’évolution des enfants.         le temps et en fonction des événements.           résistance, à une réponse immédiate alors
Selon les résultats de cette étude quan-             C’est également dans cette deuxième vague         que la résilience, au contraire, implique
titative, les environnements familial et             que certains chercheurs ont commencé à            un effet durable, un projet de vie. En effet,
communautaire exercent un impact sur                 étudier la résilience à partir d’un point de      lorsqu’une personne/famille fait preuve de
la résilience des enfants tout comme cer-            vue systémique comme l’ont fait McCubbin          résilience face à une situation, il semble
taines caractéristiques personnelles tels            et ses collègues (1997, 1996, 1993, 1988).        y avoir davantage de changements pro-
le sentiment de cohérence et le contrôle                 De plus, le paradigme dans lequel les         fonds chez elle en lien avec le processus
interne (Werner et Smith, 2001, 1982).               auteurs se situent influence également            de résilience développé. On peut noter, par
Cette recherche est donc à l’origine de              la conception qu’ils ont de la résilience.        exemple, des changements de valeurs, du
l’utilisation du concept de résilience dans          Ainsi, un des paradigmes qui ont été              sens donné à la vie, etc. D’un autre côté, la
les sciences sociales. Les résultats de cette        influents dans l’étude de la résilience est       définition du coping ne fait pas nécessai-
étude sont pertinents pour le développe-             la psychologie développementale. Selon            rement référence à un changement à long
ment du concept même si ces derniers ne              cette spécialité de la psychologie, la rési-      terme chez la personne/famille.
sont pas nécessairement généralisables               lience est un processus dynamique et
aux générations actuelles. En effet, ils se          modulable qui ne sera jamais acquis défi-            L’invulnérabilité
rapportent à une population bien précise             nitivement (Anaut, 2003 ; Kumpfer, 1999).             Selon les définitions de l’invulnérabi-
constituée principalement d’immigrants de            Le stress familial est un autre domaine qui       lité, celle-ci fait référence à une caracté-
première, deuxième et troisième généra-              a influencé le développement du concept           ristique intrinsèque et stable qui permet
tions, née au cours d’une période d’après-           de résilience. Cette perspective précise que      à l’individu ou à la famille d’éviter d’être
guerre sur une île où l’agriculture était la         la personne, la famille ou la communauté          blessé. La personne/famille n’est pas
principale source d’économie.                        ne peut devenir résiliente que si elle a été      nécessairement pleinement consciente
    Dans les années qui ont suivi, le concept        soumise à un risque ou à une situation            de cette invulnérabilité, et ce, même si de
de résilience s’est développé à travers dif-         considérée comme potentiellement dan-             l’extérieur il est possible de le constater.
férents écrits davantage théoriques que              gereuse (Gilgan, 1999).                           De plus, l’invulnérabilité, tout comme le
scientifiques. Toutefois, on constate qu’il              À la lumière de tous ces écrits, il est       coping, signifie une résistance, donc une
n’existe pas une seule façon de définir ce           intéressant de constater l’évolution théo-        réponse immédiate. La résilience, pour sa
qu’est la résilience puisque celle-ci peut           rique du concept de résilience au cours des       part implique davantage un effet durable
être comprise en termes de conséquence,              ans. Même si quelques recherches ont été          et se caractérise par son aspect dyna-
de processus ou de trait (Lecomte, 2005 ;            menées pour favoriser une définition de           mique (Dyer et Minton McGuiness, 1996 ;
Anaut, 2003 ; McCubbin, 2001 ; Glantz                la résilience, il s’avère pertinent, dans les     Tomkiewicz, 2003). De plus, pour qu’il y

AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010                                              43                                                 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
ait résilience, il doit y avoir présence non     le processus de résilience. La majorité des       LA RÉSILIENCE FAMILIALE :
seulement de contraintes mais aussi de           auteurs rapportent que, pour parler de            LES ATTRIBUTS
la vulnérabilité de l’individu qui, touché       résilience, il doit y avoir présence de con-       Bien que la résilience individuelle ait
par les contraintes, travaille à s’y adapter     séquences positives inattendues (Luthar        davantage fait l’objet des discussions pré-
et à croître à travers elles (Delage, 2008 ;     et al., 2000 ; Glantz et Sloboda, 1999 ;       cédentes, il est intéressant de constater
Joubert, 2003). Ainsi, l’invulnérabilité         Dyer et Minton McGuiness, 1996). Pour          que ce concept peut également être défini
n’est pas synonyme de résilience puisque,        certains auteurs, les conséquences posi-       sur les plans familial et communautaire.
pour que cette dernière se développe, l’in-      tives se limitent au maintien d’un proces-     Bien que chacune des formes de résilience
dividu ou la famille doit, en quelque sorte,     sus normal de développement malgré des         soit distincte, il n’en demeure pas moins
être vulnérable à l’obstacle rencontré et se     conditions de vie difficiles (Anaut, 2003).    qu’elles sont interdépendantes et complé-
sentir menacé par la situation.                  Pour illustrer ce type de conséquence liée     mentaires les unes par rapport aux autres
                                                 à la résilience, on peut penser à la déter-    (Anaut, 2005, 2003 ; Bell, 2001 ; Hawley,
    ANTÉCÉDENTS ET CONSÉQUENCES                  mination d’enfants issus de milieux très       2000). Les premiers développements du
    DE LA RÉSILIENCE                             défavorisés où règnent violence, pauvreté      concept de résilience familiale sont surtout
    Afin de bien cerner en quoi consiste un      et drogues qui réussissent à atteindre         attribuables à deux groupes d’auteurs, soit
concept, dans leur méthode d’analyse de          un objectif professionnel de devenir,          McCubbin et McCubbin (1988) ainsi que
concept, Walker et Avant (1995) suggèrent        par exemple, médecin ou avocat malgré          Walsh (1996). Ces auteurs ont tenté de
de déterminer quels sont les antécédents,        de nombreuses embûches et de pauvres           définir et de modéliser en quoi consiste
les attributs essentiels et les conséquences     conditions de développement.                   la résilience familiale qui est plus que la
du concept à l’étude. Cette façon de pro-           Toutefois, même si cette première           simple somme des résiliences individuelles.
céder est en accord avec la vision de la         forme de conséquence est possible, pour        Toutefois, après la lecture de leurs écrits,
résilience comme étant un processus,             la plupart des auteurs, la notion de rebon-    il est possible de constater qu’il n’existe
vision stimulante pour les professionnels        dissement face à l’adversité caractérise       toujours pas de consensus quant à la défi-
qui peuvent alors avoir un pouvoir d’ac-         principalement la résilience (Delage, 2008 ;   nition de la résilience familiale.
tion sur cette résilience. Dans un premier       Poilpot, 2003 ; Hawley, 2000, Joubert et           Le modèle de McCubbin et ses collabo-
temps, l’antécédent et les conséquences de       Raeburn, 1998). Ainsi, selon ces écrits,       rateurs a été développé progressivement à
la résilience seront présentés. Les attributs,   pour qu’il y ait résilience, il doit y avoir   partir du début des années 1980. Le résul-
spécifiques à la résilience familiale, seront    croissance de l’individu ou de la famille.     tat final du modèle publié à partir de 1993
identifiés et définis dans la ­prochaine         En effet, lorsqu’on parle de résilience à      est le Resiliency Model of Family Stress,
­section.                                        la suite d’une situation de vie difficile on   Adjustment and Adaptation (Van Breda,
                                                                                                2001). Ce modèle fait état d’une phase
AINSI, IL EST POSSIBLE DE CONSTATER QUE LA RÉSILIENCE, AUTANT                                   d’ajustement et d’adaptation de la famille.
                                                                                                La phase d’ajustement survient lorsque la
INTRA- QU’INTERINDIVIDUELLE, PERMET UN SURPASSEMENT DE                                          famille est confrontée à un stresseur plutôt
                                                                                                mineur. Un des facteurs influençant l’ajus-
SOI DANS DES CONDITIONS DE VIE TRÈS DÉFAVORABLES OU UN                                          tement des familles est le type de fonc-
                                                                                                tionnement de celles-ci. Dans les premiers
REBONDISSEMENT QUI, LUI, SE MANIFESTE PAR UNE CROISSANCE OU                                     écrits portant sur ce modèle, McCubbin
                                                                                                et McCubbin (1993, 1988) mentionnaient
UN APPRENTISSAGE POSITIF À LA SUITE D’UN ÉVÉNEMENT DE VIE DIFFICILE.                            qu’un type de fonctionnement familial
                                                                                                correspondait à la famille résiliente. Par
                                                                                                contre, pour éviter la confusion, à partir
    Ainsi, l’antécédent de la résilience,        remarque, chez l’individu ou la famille,       de 1996, les auteurs ont préféré parler de la
c’est-à-dire l’élément de base pour qu’il        une augmentation des ressources person-        famille versatile (McCubbin et McCubbin,
y ait résilience, est la présence d’un évé-      nelles, une amélioration des habiletés de      1996 ; Van Breda, 2001). Pour ce qui est
nement de vie perçu, par l’individu ou la        résolution de problèmes et de recherche        de la phase d’adaptation, il s’agit plutôt de
famille, comme étant un défi nécessitant         d’aide ainsi que la perception d’un meilleur   l’effort fait par la famille pour faire face à
une mobilisation d’énergie. La grande            sentiment de contrôle (Kulig, 2000). Par       des stresseurs multiples, sévères et/ou pro-
majorité des auteurs s’entendent sur cet         ailleurs, une des premières études portant     longés. Ce modèle est intéressant puisqu’il
antécédent (Anaut, 2005, 2003 ; Joubert,         sur le concept de résilience a été menée       présente plusieurs facteurs pouvant avoir
2003 ; Rapin, 2003 ; Vanistendael, 2003 ;        par Wagnild et Young (1990) et s’intéres-      un impact sur l’ajustement et l’adapta-
Hawley, 2000 ; Glantz et Sloboda, 1999 ;         sait aux femmes âgées endeuillées. Cette       tion de la famille en plus de suggérer des
Kumpfer, 1999 ; Rolf, 1999 ; McCubbin            étude en théorisation ancrée a permis          échelles de mesure pour chacun de ces
et al., 1997 ; Rutter, 1993 ; McCubbin et        d’identifier certaines conséquences de la      facteurs. Toutefois, pour certains auteurs,
Thompson, 1987). Ainsi, la maternité au          résilience chez ces personnes comme la         l’adaptation en soi peut être une consé-
même titre qu’un deuil ou un trauma-             croissance de l’individu lors du proces-       quence de la résilience familiale mais n’est
tisme peut susciter de la résilience chez        sus de deuil vécu. Ainsi, il est possible de   pas la seule. Dans ce contexte, le modèle
l’individu ou la famille si cette situation      constater que la résilience, autant intra-     ne permet pas d’identifier ce qui pousse
est perçue comme un défi provoquant une          qu’interindividuelle, permet un surpasse-      certaines familles à apprendre et à grandir
mobilisation d’énergie.                          ment de soi dans des conditions de vie         lorsque confrontées à certains stresseurs.
    Dans un deuxième temps, il importe           très défavorables ou un rebondissement             Plus récemment, Delage (2008) a publié
aussi de s’intéresser aux conséquences de        qui, lui, se manifeste par une croissance      un livre portant spécifiquement sur la rési-
la résilience que représentent les résultats     ou un apprentissage positif à la suite d’un    lience familiale. Selon lui, le concept de
pour les personnes/familles ayant traversé       événement de vie difficile.                    résilience ne peut être dissocié du trau-

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matisme. De plus, pour Delage (2008), la         (Loiselle et al., 2005). Plusieurs auteurs        interrelations, caractérisées par le main-
résilience familiale est un processus dyna-      font d’ailleurs mention de l’importance,          tien de frontières souples et perméables
mique pour lequel chaque famille a un            pour la famille, dans le processus de rési-       ainsi qu’un leadership partagé, permettent
potentiel. Cette définition de la résilience     lience, de maintenir une perception posi-         le développement de la résilience familiale.
familiale est très utile pour les profes-        tive du futur et d’être capable également de      D’autres auteurs, comme Hawley (2000),
sionnels puisqu’elle permet l’intervention.      s’y projeter (Delage, 2008 ; Vanistendael,        Silliman (1994) et Tomkiewicz (2003),
Toutefois, malgré ces écrits sur la résilience   2003 ; Daly, 1999). De plus, cette ouver-         insistent sur la nécessité qu’il y ait cohé-
familiale, il est important de noter que les     ture vers le futur peut aussi être reliée à la    sion entre les membres de la famille pour
notions de résiliences interindividuelle,        capacité d’envisager les aspects positifs du      qu’il y ait résilience familiale. Pour Delage
familiale et communautaire sont moins            changement (Daly, 1999). Ainsi, l’ouver-          (2008), cet attribut fait référence à la fois
développées que celle de la résilience           ture vers le futur permet à la famille de         à la fonctionnalité de la famille, soit les
individuelle. D’ailleurs, certains articles      demeurer déterminée et de s’engager dans          rôles de chaque membre, et à l’éthique rela-
scientifiques qui mentionnent s’intéresser       le processus de résilience car elle a un          tionnelle, c’est-à-dire le souci de prendre
à la résilience familiale étudient plutôt la     espoir positif et réaliste quant à ce que lui     soin des autres, d’être attentif à chacun.
résilience de certains individus au sein         réserve l’avenir.                                 Selon lui, la résilience familiale passe par
de la famille que la résilience du système                                                         la capacité de la famille à maintenir une
familial.                                           Les attitudes prosociales                      certaine fonctionnalité malgré le trauma-
   Afin d’en arriver à une définition de la         Dans un contexte familial, les attitudes       tisme.
résilience familiale, il faut, au préalable,     prosociales font davantage référence à la
identifier les attributs essentiels à ce         clarté de la communication au sein de la             DÉFINITION DE LA RÉSILIENCE FAMILIALE
concept. À la lumière des nombreux écrits        famille caractérisée aussi par de l’ouver-            Ayant identifié ce qui favorise le déve-
sur le sujet, nous avons identifié six attri-    ture en ce qui a trait à l’expression des         loppement de la résilience familiale, ce
buts ou caractéristiques essentiels devant       émotions. De plus, la présence d’attitudes        qui la caractérise et ce qui en résulte, il
être présents au sein de la famille pour         prosociales au sein de la famille permet          devient possible de présenter une défini-
que la résilience puisse se développer. Ces      de résoudre les problèmes de façon colla-         tion de la résilience familiale. D’un point
attributs sont : la souplesse, le sentiment      borative (Patterson, 2002 ; Walsh, 1998 ;         de vue interindividuel, ou plus précisément
d’un contrôle interne, l’ouverture vers le       McCubbin et al., 1997 ; Cowan et al.,             familial, la résilience fait référence : à la
futur, les attitudes prosociales, la capacité    1996). Par ailleurs, tout comme dans la           souplesse de la famille face aux diverses
de donner un sens à une expérience ainsi         résilience individuelle, les attitudes proso-     situations rencontrées et face aux straté-
que la présence d’interrelations positives       ciales permettent également à la famille de       gies déployées pour répondre à la situation,
entre les membres.                               rechercher le soutien social venant de l’ex-      au sentiment de contrôle interne qu’elle
                                                 térieur et d’avoir recours à des ressources       peut avoir sur les événements qu’elle ren-
   La souplesse                                  externes lorsque nécessaire.                      contre, à son ouverture vers le futur, à
    La souplesse est une dimension essen-                                                          ses attitudes prosociales, à sa capacité
tielle de la résilience car elle la distingue       La capacité à donner un sens                   à donner un sens à l’expérience et à ses
de la simple résistance qui, elle, véhicule                                                        interrelations entre les membres. Ces attri-
                                                    à l’expérience
l’idée de rigidité (Anaut, 2003). Il s’agit de                                                     buts permettent à la famille de rebondir
                                                     Plusieurs auteurs mentionnent que l’indi-
la capacité de la famille résiliente à faire                                                       et de croître lorsqu’elle est confrontée à
                                                 vidu et la famille doivent pouvoir donner un
preuve de flexibilité dans le choix des stra-                                                      une situation perçue comme un défi ou
                                                 sens à ce qu’ils vivent s’ils veulent s’y adap-
tégies de réponse (Delage, 2008 ; Anaut,                                                           un stress et nécessitant une mobilisation
                                                 ter. Dans le même ordre d’idées, plusieurs
2003 ; Golby et Bretherton, 1999 ; Kaplan,                                                         d’énergie de la part du système familial.
                                                 écrits rapportent que la capacité à donner
1999 ; McCubbin et al., 1997).                                                                         Ainsi, d’un point de vue théorique,
                                                 un sens aux événements est essentielle au
                                                                                                   la résilience fait référence au processus,
                                                 développement de la résilience (Tousignant
   Le sentiment d’un contrôle interne                                                              suivi par une famille ou par un individu
                                                 et Ehrensaft, 2003 ; Greef et Van Der
   Un tel sentiment incite la famille                                                              confronté à une situation de vie qui néces-
                                                 Merwe, 2004 ; Daly, 1999). En effet, pour
à croire qu’elle a personnellement du                                                              site une certaine adaptation, qui l’incite à
                                                 que la résilience familiale soit activée, il
contrôle sur une situation. Cette caracté-                                                         rebondir ou à croître. De plus, la résilience
                                                 faut que la situation soit tout d’abord perçue
ristique est importante pour la résilience                                                         familiale est plus que la somme des rési-
                                                 comme comportant un risque, une menace
(Delage, 2008 ; Joubert et Raeburn, 1998 ;                                                         liences individuelles (Delage, 2008 ; Simon,
                                                 ou un défi. De plus, pour certains auteurs,
Mederer, 1999). Elle permet au système                                                             et al., 2005 ; Rayens et Svavarsdottir, 2003 ;
                                                 le degré de résilience des familles varie en
familial d’être actif dans la résolution d’un                                                      Walsh, 2003, 1998, 1996). L’étude de la
                                                 fonction du sens qu’ils accordent aux évé-
problème étant donné sa conviction de                                                              résilience familiale incite à tenir compte,
                                                 nements de la vie (Joubert, 2003). Pour
pouvoir modifier la situation. Ainsi, les                                                          non seulement de la résilience des diffé-
                                                 Delage (2008), la capacité de mentalisation
individus et les familles caractérisés par                                                         rents membres d’une famille, mais aussi de
                                                 des familles, qui permet de donner un sens
un foyer de contrôle interne perçoivent la                                                         l’ensemble de cette famille. Une fois cette
                                                 à un traumatisme, est au centre même de
possibilité de transformer les situations                                                          définition théorique posée, il devient fort
                                                 la résilience. Sur le plan familial, le sens
auxquelles ils ont à faire face. Ils ne se                                                         pertinent d’établir comment elle peut s’ap-
                                                 accordé à un événement est largement
perçoivent pas comme des « victimes » du                                                           pliquer concrètement. De plus, des études
                                                 influencé par le système de valeurs de la
hasard ou du destin.                                                                               effectuées auprès de familles vivant une
                                                 famille et à ses expériences passées (Moos
                                                                                                   situation de crise ou une situation pré-
                                                 et Scaefer, 1986).
   L’ouverture vers le futur                                                                       sentant de graves difficultés peuvent per-
   Ce troisième attribut fait davantage                                                            mettre d’établir le processus de résilience
                                                    Les interrelations entre les membres
référence à la capacité de la famille d’en-                                                        tel qu’il est vécu par celles-ci. Comme le
                                                    Cet attribut, plus spécifique à la rési-
tretenir de l’espoir et d’être capable de                                                          suggère également Delage (2008), l’obser-
                                                 lience familiale, a surtout été développé par
conserver un regard positif sur le futur                                                           vation d’un certain nombre de familles
                                                 Walsh (1998). Cet auteur postule que ces

AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010                                          45                                                 FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
faisant preuve de résilience familiale per-          PARTICULARITÉS DU DEUIL                       besoin de comprendre la (ou les) raison(s)
met de faire ressortir en quoi cela consiste         À LA SUITE D’UN SUICIDE                       du suicide, l’état d’esprit dans lequel était
et d’aider les intervenants à adapter leurs           Les études relatives au deuil à la suite     leur proche au moment de poser ce geste
interventions.                                    d’un suicide sont assez récentes. Ce n’est       ainsi que le fil des événements (Clark et
   Ainsi, afin de présenter un exemple de         que depuis le milieu des années 1970 que         Goldney, 1995). Toutefois, même si des
ce que peut être la résilience familiale, une     les chercheurs s’y sont intéressés. Bien que     personnes qui ont mis fin à leurs jours
définition du deuil à la suite du suicide         les écrits soient nombreux sur le sujet, il      laissent des lettres d’adieu, la ou les raisons
d’un adolescent sera présentée ainsi que la       n’existe pas de consensus quant à la spé-        de leur suicide demeurent très souvent une
façon dont cet événement peut engendrer           cificité de ce type de deuil. Plusieurs          énigme. Cette absence de réponse com-
un processus de résilience chez les familles      chercheurs ont voulu comparer le deuil           plique la recherche de sens pour les per-
touchées.                                         à la suite d’un suicide aux autres types de      sonnes endeuillées à la suite d’un suicide.
                                                  deuils, soit les deuils résultant d’une mort
    LE DEUIL À LA SUITE DU SUICIDE                naturelle anticipée, d’une mort naturelle           Culpabilité
    D’UN ADOLESCENT                               subite et d’un accident. Selon les auteurs,          La culpabilité peut être provoquée par le
                                                  certains mentionnent que les similitudes         fait que la personne suicidée ait pu, avant
    LA FAMILLE ENDEUILLÉE                         entre le deuil à la suite d’un suicide et les    sa mort, laissé des indices concernant ses
    Un décès au sein d’une famille est une        autres types de deuil sont plus nombreuses       intentions. Par ailleurs, même lorsque
sorte de processus transactionnel qui             que les différences (Dyregrov et al., 2003 ;     la personne n’a laissé aucun indice, les
ébranle l’ensemble du système familial            Lohan et Murphy, 2002 ; Murphy, 2000 ;           proches peuvent être amenés à se culpa-
qui, par la suite, cherche à retrouver son        Murphy et al., 1999 ; Murphy, 1996 ; Nelson      biliser de ne pas avoir su détecter la souf-
équilibre (Hoogrbrugge, 2002 ; Walsh et           et Frantz, 1996 ; Wagner et Calhoun, 1991-       france ou les changements qui, selon eux,
McGoldrick, 1991). De plus, tout comme            1992 ; McIntosh et Kelly, 1992 ; Thornton        devaient être présents chez leur proche. De
l’individu, le système familial traverse          et al., 1989). Malgré ces similitudes, cer-      plus, cette culpabilité peut être exacerbée
divers stades du cycle de vie à travers les-      tains auteurs ont tenté de faire ressortir en    par des commentaires de l’entourage qui,
quels il doit accomplir des tâches spéci-         quoi le deuil à la suite d’un suicide pouvait    parfois, sont teintés de blâme lorsqu’il s’agit
fiques (Wright et Leahey, 2001). Le stade         se distinguer des autres types de deuil.         d’une mort par suicide (Clark et Goldney,
familial dans lequel se situe une famille         Ces études ont permis de faire ressortir         1995 ; Calhoun et Allen, 1991).
peut exercer un impact sur le processus           des thèmes spécifiques au deuil à la suite
de deuil susceptible de s’enclencher après        d’un suicide comme : le déni, la recherche          Stigmatisation
la mort d’un proche.                              de sens, la culpabilité, la stigmatisation, la       Il existe encore des tabous entourant
    Ainsi, lorsque le suicide d’un adoles-        honte, la colère, le sentiment d’abandon et      le suicide, ce qui peut avoir un impact sur
cent survient dans une famille, celle-ci est      de rejet ainsi que le risque suicidaire.         le soutien social offert aux endeuillés et,
déjà aux prises avec des bouleversements                                                           par conséquent, influencer la phase de
et des changements importants propres à              Déni                                          réorganisation faisant partie du processus
son cycle de vie familiale. Au moment de              Le processus de deuil s’amorce fréquem-      de deuil (Parrish et Tunkle, 2005 ; Gallo
l’adolescence des enfants, ces changements        ment par une certaine forme de déni de           et Pfeffer, 2003 ; Elder et Knowles, 2002 ;
sont reliés aux adolescents qui cherchent         la perte. Toutefois, ce qui caractérise spé-     Jaques, 2000 ; Gratton, 1999 ; Knieper,
à gagner en autonomie, aux parents qui            cifiquement le déni relié au suicide est la      1999 ; Cleiren et Diekstra, 1995). Ce tabou
sont parfois eux-mêmes en période de              tendance des endeuillés par suicide à nier       et la stigmatisation qui en résulte peuvent
remise en question et aux grands-parents          également la cause du décès (Lester, 2004 ;      avoir pour effet d’engendrer un blâme vis-
qui demandent un soutien et une aide sup-         Séguin et Huon, 1999 ; Clark et Goldney,         à-vis des proches (Cvinar, 2005 ; Séguin et
plémentaires. Les auteurs parlent alors de        1995). Selon Séguin et Huon (1999), il se        Huon, 1999). La stigmatisation peut éga-
la crise développementale associée à la           pourrait que ce déni soit à l’origine d’une      lement entraîner un sentiment d’isolement
famille ayant des adolescents. Lorsqu’une         recherche de sens plus importante lorsqu’il      chez les survivants par suicide.
mort survient dans un tel contexte, il y a        s’agit d’un deuil à la suite d’un suicide. La
alors accentuation de la crise développe-         famille endeuillée peut, en effet, avoir ten-       Honte
mentale en cours (De Montigny et Beaudet,         dance à penser que la personne a été vic-             Les tabous entourant le suicide sont
1997 ; Walsh et McGoldrick, 1991). De plus,       time d’un homicide, qu’elle a été forcée de      également vécus par les endeuillés eux-
lorsqu’il s’agit de la mort d’un adolescent, le   poser ce geste létal ou qu’il y a eu accident.   mêmes. Cela peut les amener à vivre de la
système familial peut avoir encore plus de                                                         honte à la suite du geste létal commis par
difficulté à accepter cette perte puisqu’elle        Recherche de sens                             un de leurs proches. Ce sentiment de honte
ne correspond pas à l’ordre « naturel » des          Cette caractéristique du deuil, sans être     peut être la source d’une certaine auto-
choses (McGoldrick et Walsh, 1991). Cette         spécifique aux personnes endeuillées par         stigmatisation vécue par les endeuillés
perte peut donc surcharger le système fami-       suicide, peut être plus complexe pour cette      eux-mêmes. En effet, l’image négative et
lial. Cette surcharge risque d’être encore        population en particulier (Jordan, 2001 ;        la honte engendrées par le suicide d’un
plus marquée lorsqu’il s’agit d’une mort          Knieper, 1999 ; Wagner et Calhoun, 1991-         proche peuvent amener les endeuillés à
inattendue et violente comme le suicide.          1992). En effet, durant la phase de protes-      craindre le jugement des autres et à se reti-
Une telle situation peut miner l’habileté         tation, les personnes endeuillées tentent        rer eux-mêmes de la vie sociale (Jordan,
d’une famille à gérer des changements sains       d’expliquer le suicide, de lui donner un         2001). Cela a pour effet d’accentuer
(Lohan et Murphy, 2002). Toutefois, bon           sens. Ainsi, après une période de déni du        ­l’isolement vécu par ces endeuillés.
nombre d’auteurs mentionnent également            suicide, elles peuvent tenter de rationali-
la possibilité, pour la famille, de croître       ser cette mort en essayant d’identifier les         Colère
et de mûrir à travers une telle expérience        raisons qui ont incité la personne à mettre         La colère, tout comme la culpabilité,
(De Montigny et Beaudet, 1997 ; Walsh et          fin à ses jours (Jordan, 2001). De façon         peut faire partie de ce qui est vécu lors
McGoldrick, 1991).                                générale, les personnes endeuillées ont          de la phase de protestation des deuils en

FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2                                          46                                              AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010
général. Toutefois, dans le cas du deuil à la       LA RÉSILIENCE FAMILIALE                       cheminement de la famille par la suite. En
suite d’un suicide, la colère se dirige sou-        ET LE DEUIL À LA SUITE DU SUICIDE             effet, il ressort actuellement que lorsque le
vent vers le défunt. En effet, il arrive fré-       D’UN ADOLESCENT                               jeune présente un diagnostic de santé men-
quemment que les endeuillés soient fâchés            Avec la description faite du deuil à la      tale ou qu’il a des antécédents de tentatives
en raison du geste posé par leur proche          suite du suicide d’un adolescent, il est pos-    de suicide, le geste est moins surprenant
ainsi qu’en raison des conséquences qui          sible de constater qu’il s’agit très certaine-   pour la famille. Par conséquent, le proces-
en découlent (Parrish et Tunkle, 2005 ;          ment d’un traumatisme pour les familles          sus de résilience s’amorce plus facilement.
Jordan, 2001 ; Gratton, 1999 ; Séguin et         qui y sont confrontées. Dans ce contexte,        Il est possible qu’on puisse expliquer cette
Huon, 1999 ; Bergeron et Volant, 1998 ;          la résilience familiale, ce processus per-       situation par la période de questionne-
Clark et Goldney, 1995 ; Wagner et               mettant à la famille de rebondir face à          ment et la recherche de sens qui sont moins
Calhoun, 1991-1992). Les auteurs sou-            l’adversité, pourrait contribuer à expliquer     longues et complexes.
lignent toutefois la difficulté, pour le sur-    comment certaines familles parviennent               Lorsque complétés, les résultats de cette
vivant, d’accepter de ressentir une telle        à poursuivre leur cheminement et même            étude aideront certainement à décrire les
émotion alors qu’il devrait plutôt pleurer       à grandir et à apprendre de cette expé-          différents processus de résilience pouvant
la perte de ce défunt. Cette ambivalence         rience difficile. Il existe, par contre, très    être suivis par ces familles vivant le deuil
par rapport à des sentiments si différents       peu d’études portant spécifiquement sur la       de leur adolescent. De plus, les résultats
peut augmenter le sentiment de culpabilité       résilience familiale. De plus, aucun écrit ne    permettront aux intervenants d’identi-
de la personne endeuillée.                       traite du processus de résilience entrepris      fier des pistes d’intervention pour aider
                                                 par des familles à la suite d’une perte aussi    les familles endeuillées à développer leur
   Sentiment de rejet et d’abandon               grave que le suicide d’un de leurs jeunes.       résilience.
    Dans le cas d’un suicide, c’est l’individu   Alors, afin de déterminer ce qui caracté-            Finalement, la résilience familiale fait
lui-même qui décide de mettre fin à ses          rise la résilience de ces familles et, ainsi,    référence, entre autres, à la capacité d’une
jours. Cette décision peut amener les sur-       permettre aux intervenants d’agir plus           famille à rebondir, grandir et apprendre
vivants à se sentir rejetés par le défunt qui    efficacement auprès de ces endeuillées,          lorsqu’elle est confrontée à une situa-
a, selon eux, préféré la mort à leur présence    il semble primordial, comme le mention-          tion de défi nécessitant une mobilisation
(Elder et Knowles, 2002 ; Farberow, 2001 ;       nait Delage (2008), d’observer certaines         d’énergie ou à un traumatisme. Le suicide
Jordan, 2001 ; Kalischuk et Hayes, 2004 ;        familles ayant vécu le suicide d’un ado-         d’un adolescent est un des événements
Clark et Goldney, 1995). Ce sentiment de         lescent. Une recherche, en théorisation          pouvant entraîner un traumatisme pour
rejet peut également avoir un impact à           ancrée, est actuellement en cours auprès         la famille. Ce type de deuil est, en effet,
long terme, et ce, surtout durant la phase       de familles endeuillées par le suicide d’un      difficile à vivre en raison du déni, de la
de réorganisation lorsque la personne            adolescent(e) âgé(e) entre 13 et 19 ans          recherche de sens, de la culpabilité, de la
endeuillée tentera d’établir des relations       dont le but est de décrire leur proces-          stigmatisation, de la honte, de la colère, du
avec d’autres individus (Gratton, 1999). En      sus de résilience familiale. Cette étude a       sentiment d’abandon et de rejet ainsi que
effet, ces sentiments de rejet et d’abandon      obtenu l’accord de deux comités d’éthi-          du risque suicidaire, qu’il fait vivre. Malgré
peuvent amener la personne endeuillée à          que lui permettant de mener des entrevues        cela, les études démontrent que la plupart
éviter, voire à fuir, les relations intimes de   plutôt non directives auprès de familles         des familles parviennent à poursuivre leur
crainte de revivre la souffrance associée        endeuillées. Sept familles (12 entrevues         cheminement après un tel décès. La rési-
à l’abandon.                                     avec 18 membres de familles) ayant vécu le       lience familiale pourrait être une explica-
                                                 suicide de leur adolescent depuis au moins       tion. Il reste à savoir maintenant comment
   Risque suicidaire                             un an ont participé à cette recherche. Ce        ce processus de résilience familiale se
   Lorsqu’un proche a choisi de mettre           délai d’au moins une année depuis le sui-        développe après le suicide d’un adolescent.
fin à ses jours, il peut arriver que, par la     cide était nécessaire afin que la famille
suite, le suicide soit vu comme un moyen         ait amorcé le processus de résilience relié         Bibliographie
valable pour mettre fin à des émotions           au deuil.                                           ANAUT, M. (2005). « Le concept de rési-
pénibles (Gallo et Pfeffer, 2003 ; Sethi et          À la lumière des résultats préliminaires,       lience et ses applications cliniques »,
Bhargava, 2003 ; Jordan, 2001 ; Gratton,         il semble qu’à la suite du suicide du jeune,        Recherche en Soins Infirmiers, n o 82,
1999 ; Séguin et Huon, 1999 ; Bergeron                                                               ­septembre, p. 4-11.
                                                 ce processus de résilience ne soit pas uni-
et Volant, 1998 ; Clark et Goldney, 1995 ;       forme pour toutes les familles. Par contre,         ANAUT, M. (2003). La résilience, Sur-
Cleiren et Diekstra, 1995). En effet, le         on remarque un parcours généralement                monter les traumatismes, Paris, Nathan
suicide devient alors une solution faisant                                                           ­Université.
                                                 en « dents de scie » pour les familles après
partie des mécanismes d’adaptation dispo-        cette pénible expérience. Il en ressort             BELL, C.C. (2001). « Cultivating resiliency
nibles pour l’individu. Il importe donc, en      aussi la présence de certains facteurs qui          in youth », Journal of Adolescent Health,
                                                                                                     vol. 29, p. 375-381.
tant que professionnels de la santé, de tenir    semblent favoriser le développement de la
compte de cette influence que peut avoir,        résilience familiale. Il s’agit, par exemple,       BERGERON, A. et É. VOLANT (1998). Le
sur l’entourage, le suicide d’un proche.                                                             suicide et le deuil, Montréal, Éditions du
                                                 de la présence d’un soutien social autour
                                                                                                     Méridien.
   Ainsi, même si aucune étude, actuelle-        de la famille ; de la capacité de cette der-
ment, ne permet d’en affirmer la spécifi-        nière à être perméable au soutien qui lui           BOARD, R. et N. RYAN-WENGER (2000).
cité, il est possible de croire qu’en raison                                                         « State of the science of parental stress and
                                                 est offert ; de la présence d’un autre enfant
                                                                                                     family functioning in pediatric intensive
du caractère soudain, inattendu et violent       (ou petit-enfant) qui semble donner un              care units », American Journal of Critical
de cette mort, la famille du suicidé est ame-    sens au cheminement de la famille ; et              Care, vol. 9, no 2, p. 106-124.
née à vivre un deuil pouvant être parti-         enfin, de la présence de respect mutuel             CALHOUN, L.G. et B.G. ALLEN (1991).
culièrement difficile. Toutefois, comment        entre les membres de la famille. De plus,           « Social reactions to the survivor of a suicide
expliquer que plusieurs familles survivent       les caractéristiques de la famille ainsi que        in the family : A review of the literature »,
et poursuivent leur développement après          celles du jeune lui-même avant le suicide           Omega, vol. 23, p. 95-107.
une telle perte ?                                semblent également avoir un impact sur le

AUTOMNE 2009 / PRINTEMPS 2010                                         47                                                   FRONTIÈRES ⁄ VOL. 22, Nos 1-2
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