LA PREPARATION AU RETOUR DE SERVICE AU TENNIS : DIFFERENCES EXPERTS - NOVICES

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Claude GOULET, Michelle FLEURY, Chantal BARD, Laboratoire de performance
motrice humaine, Université LAVAL

     LA PREPARATION AU RETOUR DE SERVICE AU
      TENNIS : DIFFERENCES EXPERTS - NOVICES

LA PREPARATION AU RETOUR DE SERVICE AU TENNIS :
DIFFERENCES EXPERTS - NOVICES

Pour plusieurs sports, la qualité de la performance n'est pas garantie par la justesse de
l'exécution des techniques de base de l'activité. Au grand désarroi du joueur débutant,
en tennis, le fait de simplement savoir exécuter des coups droits ou des revers ne lui
permet pas de gagner des matches. Il est aussi important de savoir «quand» préparer
un revers que de savoir «comment» le faire. Dans une activité de type ouvert (Poulton,
1957) comme le tennis, la qualité de la performance est en grande partie liée à la
pertinence des indices visuels sélectionnés. Ce sont ces indices qui sont traités et qui
permettent au performant d'anticiper le comportement de l'adversaire et par
conséquent, de programmer efficacement la bonne réponse motrice.
La recherche de facteurs pouvant expliquer les différences dans la performance
d'experts et de novices en activités sportives suscite un intérêt considérable, aussi bien
de la part des chercheurs en comportement moteur (Keele et Hawkins, 1982) que des
psycho-cognitivistes (Chase et Simon, 1973 a, b).

Les comparaisons experts/novices à l'aide de paramètres reliés au «hardware»
perceptif tels l'acuité visuelle, la perception de la profondeur, la vision des couleurs,
l'équilibre des muscles oculaires et l'étendue du champ de vision périphérique et les
mesures de vitesse de réponse (le temps de réaction simple ou la vitesse de
conduction nerveuse) ne semblent pas susceptibles d'expliquer la différence entre les
deux groupes de sujets (Starkes et Deakin, 1984). Même si le «hardware» d'un
performant servait à établir la limite supérieure du potentiel de ses performances visuo-
perceptives (Rothstein, 1977), c'est plutôt au niveau des composantes cognitives de la
performance («software») que se situerait la différence entre experts et non-experts. Le
«software» fait référence à des caractéristiques comme :
a - l'habileté à catégoriser et à regrouper les différents patrons d'événements
spécifiques à une activité («chunking»),
b - l'habileté à rapporter les éléments d'une situation sportive structurée («recall»),
c - l'habileté à traiter efficacement l'information visuelle disponible («use of advance
visual cues»),
d - la qualité de l'anticipation perceptive,
e - l'organisation de patrons de prospection visuelle,
f - la vitesse de prise de décision.
Le besoin de structure et de stratégie sont des caractéristiques inhérentes aux activités
ouvertes ; les athlètes performants dans ce type d'activité sont sûrement les meilleurs
sujets et représentent des sources d'informations idéales pour l'étude des facteurs
cognitifs, qui pourraient permettre de discriminer experts et novices (Allard et Burnett,
1985). En effet, la supériorité des experts à catégoriser, à encoder et à rapporter les
éléments d'une situation structurée fut démontrée chez des joueurs de basket-ball
(Allard, Graham et Paarsalu, 1980 ; Allard et Burnett, 1985), de volley-ball (Borgeaud et
Abernethy, 1987) et de hockey sur gazon (Starkes, 1987). Dans des sports où
l'anticipation des trajectoires est importante, les experts utilisent plus efficacement les
indices précédant le déplacement de l'objet (Abernethy et Russell, 1984, 1987 ; Isaacs
et Finch, 1983 ; Jones et Miles, 1978 ; Starkes, 1987) et leur prise de décision sur la
réponse motrice requise dans une situation spécifique se fait plus rapidement (Bard et
Fleury, 1976 ; Starkes, 1987). De plus, l'étude de l'organisation de patrons de
prospection visuelle révèle des différences reliées à l'expertise des sujets (Bard,
Guézennec et Papin, 1980 ; Bard et Fleury. 1981 ; Bard, Fleury, Carrière et Hallé,
1980 ; Goulet et al., 1988).
Nous savons que l'information disponible avant l'impact balle/raquette est déterminante
pour l'identification du point de chute de la balle (Keller, 1985), donc indispensable à
l'élaboration de la réponse motrice du relanceur.
Comparativement au joueur novice, l'expert tire un grand profit de l'information visuelle
pré-impact, pour estimer le point de chute de la balle (Isaac et Finch, 1983 ; Jones et
Miles, 1978).
Cependant, peu de chercheurs s'intéressent au traitement de l'information visuelle lors
de l'identification du type de service délivré. L'anticipation du type de service permet au
joueur de prévoir la réaction de la balle au moment de l'impact sur la surface de jeu. Il
s'agit certes d'une information importante.
La présente étude a un double but :
a - étudier la contribution relative des différentes phases de service pour l'identification
du type de service au tennis,
b - comparer des joueurs experts et novices au niveau de l'utilisation de l'information
visuelle disponible pour anticiper le type de service délivré.
Nous posons les hypothèses suivantes :
1 - Les experts sont plus rapides que les novices pour identifier le type de service,
2 - les experts obtiennent un plus grand nombre de bonnes réponses,
3 - les experts ont recours à une plus petite quantité d'information pour identifier le
service délivré.
C'est à l'aide de la technique d'occlusion visuelle temporelle que nous vérifions nos
hypothèses.
METHODOLOGIE

. Sujets
Un groupe de sujets non-experts, composé de huit garçons et deux filles et dont l'âge
moyen est de 21,2 ans, participent à l'étude. Les membres de ce groupe sont étudiants
en éducation physique à l'Université Laval et sont inscrits à un cours de «Fondements
en tennis». Sept garçons et trois filles, âgés en moyenne de 22,1 ans, forment le
groupe expert. Ce sont des joueurs classés dans les 40 premiers au niveau québécois,
ou d'anciens joueurs classés devenus entraîneurs de tennis dans la région de Québec.

. Montage du film et protocole expérimental
La qualité de l'information emmagasinée lors de la réception du service est fonction du
moment où cette information est captée, c'est pourquoi nous avons choisi de faire le
montage du film en considérant les trois parties constituantes de l'exécution du service.
Nous les avons définies ainsi : la première phase, celle de rituel, précède le début du
service et est constituée de rebonds de balle, de placement des pieds et de balanciers
préparatoires. La phase de rituel est suivie de la phase préparatoire, elle commence
avec l'élévation du bras porteur de balle et se termine sensiblement au point le plus
élevé de la trajectoire de la balle. La phase de réalisation débute avec l'extension des
jambes du serveur et se termine avec l'impact entre la raquette et la balle.
Un film 16 mm couleur, présentant un serveur droitier (le serveur est de niveau
national) tel que perçu par le joueur en réception de service, est utilisé pour les fins de
l'expérimentation. Les séquences filmées sont divisées en cinq situations, comprenant
chacune neuf services (trois coupés, trois plats, trois brossés), où des parties du
service sont cachées. Les différentes situations sont présentées aléatoirement. Ces
situations sont :
- situation 1 : phase préparatoire uniquement (875 ms) ;
- situation 2 : phase préparatoire et première partie de la phase de réalisation, c'est-à-
dire jusqu'au moment où le coude atteint sa hauteur maximale (1125 ms) ;
- situation 3 : phase préparatoire et phase de réalisation jusqu'à l'impact balle/raquette
(1208 ms) ;
- situation 4 : du début de la phase de rituel jusqu'à l'impact balle/raquette (4710 ms) ;
- situation 5 : tout le service, jusqu'au moment où la balle franchit le filet (5048 ms).

Avant le début de l'expérimentation, un film de familiarisation est présenté au sujet. Sur
ce film, 12 services (quatre de chacun des types) sont enregistrés. Lors de ces 12
essais de pratique, le sujet doit le plus rapidement possible donner la réponse correcte
en indiquant verbalement le type de service. Durant cette pratique, toute erreur est
corrigée par l'expérimentateur.

Les variables indépendantes utilisées sont :
- deux niveaux d'expertise (expert, novice) ;
- cinq niveaux d'occlusion visuelle (situations 1, 2, 3, 4 et 5).
Les mesures dépendantes enregistrées sont :
- le nombre de bonnes réponses (NBR) : pourcentage de bonnes réponses pour les
différentes situations (%) ;
- le temps de décision (TD) : temps entre la présentation de la première image de la
séquence filmée et la réponse verbale du sujet (ms). Des cellules photo-sensibles,
placées sur l'écran de projection, sont activées lors de la projection de la première
image de la séquence filmée. Ces cellules permettent de déclencher le chronomètre
lors de l'apparition de la première image de chaque séquence. Lorsque la réponse
verbale des sujets est captée par le micro sensible qu'ils portent au cou, le chronomètre
est arrêté.
Pour toutes les analyses de variance (NBR, TD), un test a posteriori de Tukey sert à
comparer les moyennes lorsqu'un effet principal s'avère significatif. Pour ce qui est des
interactions significatives, les effets simples sont analysés à l'aide d'un test F.

                              RESULTATS ET DISCUSSION

. Le nombre de bonnes réponses (NBR)
L'analyse de variance 2 x 5 (Expertise x Situation) sur le pourcentage de bonnes
réponses révèle une influence significative des effets principaux expertisé (F (1,18 =
14,91, p
préparatoire et la première partie de la phase de réalisation.
Les novices utilisent l'information différemment. Le pourcentage de bonnes réponses
n'est pas différent pour les situations 1, 2, 3 et pour les situations 3, 4, 5, la seule
différence significative se trouve entre les situations 1, 2 et 4, 5. Contrairement aux
experts, les non-experts doivent voir tout le service jusqu'à l'impact balle/raquette pour
être plus précis.
Nous avions déjà démontré que les joueurs de tennis experts utilisent des patrons de
recherche visuelle différents de ceux des novices, et ce, pendant la phase de rituel de
même que pendant la phase de réalisation. En ce qui a trait à la phase préparatoire,
aucune différence n'est relevée (Goulet et al., 1988).
Pendant la phase préparatoire, experts et novices centrent leur traitement d'information
visuelle autour de la balle et de sa position future (anticipation de balle). Lorsque nous
comparons les deux groupes dans la situation 1 (présentation de la phase préparatoire
uniquement), les experts ont une performance nettement supérieure (F (1.18) = 15.05.
p
. Le temps de décision (TD)
L'analyse de variance 2 x 5 (Expertise x Situation) révèle l'effet significatif des deux
facteurs principaux ; les experts sont plus rapides (F (1,18) = 6.11, p < .02) et les
situations 4 et 5 induisent des temps de décision plus longs (F (4,72) = 1691.79, p
GOULET, FLEURY, BARD
                                  FIGURE 3 :
Temps de décision, lorsque la durée de la phase de rituel (3502 ms) est soustraite
  des temps de décision des situations 4 et 5, des sujets experts et novices, en
                            fonction de la situation.

CONCLUSION

Toutes nos hypothèses ont été vérifiées :
- les experts sont plus rapides que les novices pour identifier le type de service délivré ;
- les experts obtiennent un plus grand nombre de bonnes réponses que les novices ;
- les experts ont recours à une plus petite quantité d'information pour identifier le type
de service délivré.

Nous croyons que la distinction entre experts et novices au niveau des performances
perceptives ne tient pas uniquement au niveau de l'information recueillie, mais aussi et
surtout au niveau de l'utilisation qui en est faite pour établir des liens entre les indices
traités et les actions motrices qui pourraient en découler. C'est pourquoi, dans une
perspective d'entraînement à la prise d'information visuelle, une attention particulière
doit être accordée à la signification du contenu informatif de chacune des phases du
service.
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