La réalisation du développement durable à Madagascar: Le contrat de transfert de gestion n'est pas une fin en soi
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La réalisation du développement durable à Madagascar: Le contrat de transfert de gestion n’est pas une fin en soi Mino Randrianarison* Philippe Karpe** Pierre Montagne*** Alain Bertrand**** Il y a plus de dix ans, Madagascar a renouvelé le respect de conditions précises avant comme sa politique de gestion durable de ses ressources après la conclusion du contrat et tout au long naturelles. Dorénavant, les populations locales de la vie de celui-ci. Fixées par la loi elle-même, peuvent les gérer elles-mêmes sur la base d’un ces conditions ont été mises en œuvre, complé- contrat de transfert de gestion conclu avec l’État tées et enrichies par des projets, des programmes selon la Loi Gelose de 1996 relative à la gestion et des organismes de développement durable. locale des ressources naturelles renouvelables. La Elles sont ainsi bien nécessaires pour assurer un réussite de ce nouveau mode de gestion ne repose développement durable de ressources naturelles à pas sur la seule signature du contrat. Elle exige Madagascar. Over a decade ago, Madagascar renewed its the respect of specific conditions to be undertaken policy on the sustainable management of its throughout the life of the contractual relation- natural resources. By entering into a contract ship. Required by the law, these conditions have with the State under the auspices of the Gelose been implemented, completed and enriched by Law of 1996, local populations can now manage projects, programs and sustainable development their own natural resources. The success of this organizations. They are necessary to ensure a new mode of management does not rest solely on sustainable development of natural resources in the conclusion of the contract; rather, it requires Madagascar. * Mino Randrianarison est doctorante en sciences sociales du développement à l’Université d’Antananarivo – Madagascar, et en sciences de l’environnement à l’ENGREF - France. ** Philippe Karpe est chercheur en droit au CIRAD à Madagascar. *** Pierre Montagne est chercheur en socio-économie au CIRAD à Madagascar. **** Après avoir fait toute sa carrière en tant que chercheur en socio-économie au Cirad, Alain Bertrand est consultant chez Edenia Consult Tanja au Maroc.
1. INTRODUCTION 2. LE PROJET PILOTE DE PROTECTION ET DE VALORISATION DE LA BIODIVERSITE FFEM – BIODIVERSITE A DIDY 3. LES CONDITIONS DE REUSSITE DES CONTRATS DE TRANSFERT DE GESTION A DIDY 4. LES CONDITIONS ANTERIEURES A LA CONCLUSION DU CONTRAT DE TRANSFERT DE GESTION 4.1 Les conditions utiles pour une réelle appropriation sociale du contrat 4.2 Les conditions utiles pour une garantie de bénéfices réels 4.2.1 La sécurisation des pouvoirs 4.2.2 Le renforcement des capacités de gestion 4.2.3 L’adaptation du contrat 5. LES CONDITIONS POSTERIEURES A LA CONCLUSION DU CONTRAT DE TRANSFERT DE GESTION 5.1 Les conditions utiles pour une sanction réelle du contrat 5.1.1 La consolidation du Dina 5.1.2 La consolidation du contrôle forestier 5.1.3 L’institutionnalisation d’une fiscalité incitative et différentielle 5.2 Les conditions utiles pour une capacité réelle de mise en œuvre du contrat 6. CONCLUSION
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 173 Montagne & Bertrand À Madagascar, depuis plus d’une décennie, les populations locales ont le droit de gérer elles-mêmes leurs ressources naturelles. À cette fin, l’État conclut avec ces populations locales des contrats de transfert de gestion qui reconnaissent et structurent ce droit. Il s’agit d’une politique fondamentale qui renouvelle les modes publics de gestion durable de l’environnement. Longtemps, en effet, l’État malgache a mené en la matière une politique de gestion centralisée répressive ayant recours à des mesures générales et impersonnelles. Avec la persistance des feux de brousse et la dégradation continue des environnements naturelles, entre autres, on ne peut que dire que cette politique a échouée. On a incorrectement parlé de « tra- gédie des communaux ». Il aurait été préférable de dire que la dégradation environnementale ne pouvait pas être évitée, faute notamment d’une capacité opérationnelle adéquate – et sans cesse en baisse – du service forestier. Aucune amélioration de cette capacité n’étant prévisible dans un avenir proche, il convenait donc de poursuivre le même objectif par des voies dif- férentes. Les populations locales et leurs pratiques ne pouvaient plus être ignorées. Il s’agissait seulement de les orienter de telle manière qu’elles poursuivent le but commun d’intérêt général – le développement durable. À cette fin, l’outil privilégié dès le départ fut le contrat. Horning affirmait ainsi, dès 1995, que l’utilisation des contrats est prometteuse pour une décentralisa- tion effective de la gestion des ressources, même si l’option comporte des risques. Loi nº 96-025 du 30 septembre 1996 relative à la gestion locale des ressources naturelles renouvebles, art. 1 [Loi Gelose]. Nadia R. Horning, La décentralisation de la gestion des ressources naturelles : l’expérience de Madagascar au cours de la Première Phase du PAE : Rapport pour le Global Environmental Facility, Ithaca, New York, Global Environment Facility, 1995.
174 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand Plusieurs colloques se sont succédés, regroupant les scientifiques, les autorités publiques et les populations locales. Grâce aux discussions qui s’y sont déroulées, ces colloques ont pro- gressivement permis d’organiser, d’expliquer et de structurer cette nouvelle politique. Celle-ci a été finalement institutionnalisée en 1996 par la Loi nº 96-025 relative à la gestion locale des res- sources naturelles renouvelables (la Loi Gelose). Cette loi résulte d’un processus législatif qui con- verge avec une participation vigoureuse et des demandes sociales des populations locales. Les concepteurs de la Loi Gelose croyaient qu’il existait des capacités locales de gestion durable des ressources renouvelables sur la majorité du territoire de Madagascar. La Loi Gelose fut conçue comme une loi-cadre d’application souple, concernant l’ensemble des ressources renouvelables – des forêts aux ressources marines – et correspondant à un engagement politique national de longue durée, sur plusieurs décennies. Les expériences développées à Madagascar, au Niger et au Mali pour assurer le transfert contractuel de gestion des forêts de l’État aux populations restent, à ce jour et à cette ampleur, uniques en Afrique. Leurs caractéristiques communes et principales sont d’avoir mis en place un cadre juridique et réglementaire qui garantit aux populations riveraines les droits de com- mercialisation exclusive de leurs ressources. Les trois pays diffèrent par la vitesse du processus de décentralisation de l’État, par des modalités très différentes de la fiscalité et du contrôle forestier et par des bilans différents de ces expériences. Depuis l’adoption de la Loi Gelose, plus de 450 contrats de transfert de gestion des res- sources naturelles renouvelables ont été conclus par les représentants de l’État malgache chargés des forêts, de l’élevage ou de la pêche d’un côté, et de l’autre côté par les représentants des Par exemple, le colloque sur les Occupations Humaines dans les Aires Protégées, tenu à Mahajanga du 22 au 26 novembre 1994, et celui consacré à la Gestion Communautaire Locale des Ressources Naturelles, tenu à Antsirabe du 8 au 12 mai 1995. Voir Mino Randrianarison, Philippe Karpe et Armelle Guignier, « La protection de l’environnement à Madagascar. Enjeux de la protection contractuelle de l’environnement à Madagascar » dans Philippe Joseph, dir., Ecosystèmes forestiers des Caraïbes, Paris, Karthala, 2009, 632. Alain Bertrand, Nadia R. Horning et Pierre Montagne, Gestion communautaire ou préservation des ressour- ces renouvelables: Histoire inachevée d’une évolution majeure de la politique environnementale à Madagascar, Montréal, Vertigo, 2009. Alain Bertrand et Pierre Montagne, « Les difficiles mutations des politiques forestières : d’une gestion autoritaire et exclusive vers une politique publique intégrée » dans Alain Bertrand, Pierre Montagne et Alain Karsenty, dir., L’état et la gestion locale durable des forêts en Afrique francophone et à Madagascar, Paris, L’Harmatan, 2006, 37. Ibid. Alain Bertrand et Pierre Montagne, « Les Stratégies Energie domestique au Niger et au Mali et la gestion durable des ressources forestières (Aménagement, domanialité, fiscalité & contrôle forestier) » (2009) 301 Bois et Forêts des tropiques, 83. Les contrats Gelose sont le plus souvent signés par l’administration des Eaux et Forêts au niveau des DIREEF (Directions inter-régionales de l’Environnement et des Eaux et Forêts).
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 175 Montagne & Bertrand communautés locales de base10 – appelées Vondron’Olona Ifotony (VOI) en malgache – et les représentants élus des collectivités territoriales décentralisées concernées, c’est-à-dire le maire de la commune dont relèvent les ressources qui font l’objet du transfert de gestion. Les contrats confèrent aux différentes communautés locales de base « la gestion de l’accès, de la conserva- tion, de l’exploitation et de la valorisation des ressources objets du transfert de gestion sous réserve du respect des prescriptions et des règles d’exploitation définies dans le contrat de gestion »11. L’exercice de ces pouvoirs doit conformer à l’objectif du développement durable. Le contrat de transfert de gestion est d’une durée initiale de trois ans. Il peut être renouvelé indéfiniment sous réserve que la communauté locale de base ait bien accomplie ses obligations contractuelles. Chaque renouvellement est d’une durée de dix ans12. 10 La communauté locale de base est un « groupement volontaire d’individus unis par les mêmes intérêts et obéissant à des règles de vie commune. Elle regroupe selon le cas les habitants d’un hameau, d’un village ou d’un groupe de villages » (Loi Gelose, supra note 1, art. 3). Le plus souvent, elle correspond concrètement au Fokon’olona. Celui-ci est « un clan (ou parfois un lignage) de type patrilinéaire et patri- local unissant sur un même territoire (fokontany) les descendants d’un même ancêtre (razana) dont la tombe constitue le pôle mystique où le groupement vient trouver sa cohésion. C’est bien cet ascendance commune que traduit le nom de chaque fokon’olona : teraka ou zanaka (…) suivi du nom de l’ancêtre éponyme. » (Georges Condominas, Fokon’olona et collectivités rurales en Imerina, Paris, Berger-Levrault, 1960 à la p. 24). La communauté locale de base est dotée de la personnalité morale et fonctionne selon les règles applicables aux associations (Loi Gelose, supra note 1, art. 3). La Loi Gelose n’encadre pas la désigna- tion des représentants des communautés locales de base mais impose la reconnaissance par la commune de leur existence réelle. 11 Loi Gelose, supra note 1, art. 43. 12 Ibid., art. 39.
176 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand De nombreuses évaluations des contrats de transfert de gestion ont été faites. Nationales13 ou locales14, ces évaluations montrent que les impacts des transferts de gestion sur le développe- ment durable à Madagascar sont variables. Diverses difficultés sont évoquées pour expliquer les résultats négatifs, parmi lesquelles on retrouve la déstructuration des sociétés locales par une perte du pouvoir des aînés, l’isolement du VOI (la communauté locale de base), un faible niveau de représentativité d’usage, identitaire ou spatiale au sein du VOI, l’élaboration de stra- tégies de contournement par les principaux acteurs impliqués dans la procédure de transfert de gestion, l’inadéquation de l’échelle socio-spatiale du transfert de gestion, et les conflits d’usage entre autochtones et non-autochtones. 13 Pierre Montagne, Zo Razanamaharo et Andrew Cooke, dir., Le transfert de gestion à Madagascar, dix ans d’efforts: Tanteza (tantanana mba hateza : gestion durable), Montpellier, CIRAD, 2007 [Montagne et al., Transfert]. 14 Voir : Sophie Moreau, « Le développement durable au Sud : l’exemple de Madagascar » dans Yvette Veyret, dir., Le développement durable : approches plurielles, Paris, Hatier, 2005, 251 ; Grazia Borrini-Feyerabend et Nigel Dudley, Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), Commission des poli- tiques environnementales, économiques et sociales (CEESP) et Commission mondiale des aires proté- gées (WCPA), Les Aires Protégées à Madagascar: bâtir le système à partir de la base. Rapport de la seconde mission UICN (version finale), Antananarivo, UICN, 2005 ; Frank Muttenzer, Déforestation et droit cou- tumier à Madagascar : l’historicité d’une politique foncière, Genève, Université de Genève, Institut uni- versitaire d’études du développement, 2006 ; Pierre Montagne, « Transfert de gestion, gestion locale et décentralisation à Madagascar » dans Alain Bertrand, Pierre Montagne et Alain Karsenty, dir., L’état et la gestion locale durable des forêts en Afrique francophone et à Madagascar, Paris, L’Harmatan, 2006, 405 ; Sigrid Aubert, Production normative et modalités d’application des normes de gestion intégrée de la biodi- versité dans un contexte de recherches interdisciplinaires. Habilitation à diriger des recherches, Université de Paris I, UFR 7 Etudes Internationales et Européennes, 2006 ; Fonds Français pour l’Environnement Mondiale (FFEM), Evaluation du projet FFEM (Rapport) par Rakotobe Henri, Antananarivo, FFEM, 2007 [Rapport Rakotobe] ; Jacques Pollini, Slash-and-Burn cultivation and deforestation in the Malagasy rain forests: representations and realities, thèse de doctorat en anthropologie, Cornell University, 2007 [non publiée] ; Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa, «Normes environnementales, transferts de gestion et recompositions territoriales en pays betsileo (Madagascar)» (2007) 15 Natures Sciences Sociétés 253 ; Philippe Collas de Chatelperron et Norbert Razafindrianilana, «Impacts environnementaux des transferts de gestion» dans Pierre Montagne, Zo Razanamaharo et Andrew Cooke, dir., Le transfert de gestion à Madagascar, dix ans d’efforts : Tanteza (tantanana mba hateza : gestion durable), Montpellier, CIRAD, 2007, 129 ; Aurélie Toillier, «Stratégies spatiales des paysans en réponse à la conservation des forêts» dans Georges Serpantié, Rasolofoharinoro et Stéphanie Carrière, dir., Transitions agraires, dyna- miques écologiques et conservation. Le «corridor» Ranomafana-Andringitra. Actes du Séminaire GEREM tenues du 9 au 10 juillet 2006 à Antananarivo, Madagascar, CITE, 2007, 225 ; Aurélie Toillier, «Pour une recherche-action sur l’aménagement des territoires ruraux dans le cadre de la gestion contractualisée des forêts» dans Georges Serpantié, Rasolofoharinoro et Stéphanie Carrière, dir., Transitions agraires, dynamiques écologiques et conservation. Le «corridor» Ranomafana-Andringitra. Actes du Séminaire GEREM tenues du 9 au 10 juillet 2006 à Antananarivo, Madagascar, A.I., CITE, 2007 aux pp. 235-241 [Toillier, «Recherche-action»] ; Chantal Blanc-Pamard et Hervé Rakoto Ramiarantsoa, «La gestion contractualisée des forêts en pays betsileo et tanala (Madagascar)», en ligne : (2008) Cybergeo, Environnement, Nature, Paysage, 426 ; Benjamin Pascal, De la «Terre des ancêtres» aux territoires des vivants: Les enjeux locaux de la gouvernance sur le littoral sud-ouest de Madagascar, thèse de doctorat en histoire, Muséum National d’Histoire Naturelle, 2008 [non publiée] ; Joshua E.Cinner et al., «Toward institutions for community-based management of inshore marine resources in the Western Indian Ocean» (2009) 33 Marine Policy 489 ; Philippe Karpe et Mino Randrianarison, «La régulation des ressources naturelles à Madagascar. Théorie et pratique du régime de la sanction dans la loi Gelose » (2009) n° 3 Revue Juridique de l’Environnement 301.
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 177 Montagne & Bertrand Ces difficultés suscitent des contestations de l’efficacité du contrat Gelose15. Elles ne devraient pas, par contre, conduire à sa suppression. Souvent localisées et discutables16, ces dif- ficultés ne signifient pas que la politique de transfert de gestion ou que la politique forestière et environnementale réformée soit un échec. Elles découlent des modalités différentes de mise en œuvre des contrats de transfert de gestion par les divers projets, programmes ou organismes de développement durable17. Les résultats des contrats, donc, ne seront pas uniformes. Ainsi, plutôt que de supprimer l’emploi du contrat, cette contestation devrait notamment conduire à mieux identifier et analyser les conditions de réussite et d’échec des contrats, mais aussi les situations dans lesquelles l’usage du contrat serait pleinement utile. Il est évident qu’un simple contrat, même signé et sanctionné, ne peut suffire à assurer la réussite d’un transfert de gestion des ressources renouvelables. Soucieuse de sa propre effec- tivité18, la Loi Gelose elle-même a posé certaines conditions supplémentaires de forme et de fond à respecter par les contractants et leurs partenaires. Il s’agit, par exemple, de l’intervention d’un médiateur au cours du processus de négociation du contrat ou de l’adoption de Dina pour veiller au respect des obligations contractuelles par les membres des VOI. Le Dina est un « accord entre les membres d’une communauté déterminée [fokonolona] où chaque membre doit marquer son adhésion par des serments ou des imprécations et dans laquelle des sanctions [Vonodina] ou malédictions sont prévues ou réservées à ceux qui ne respectent ou n’appliquent pas les termes convenus »19. Ces conditions de droit garantissent-elles l’efficacité réelle du contrat? Sont-elles suffisantes? Des réponses à ces questions ont été données par les diverses institutions d’appui ayant contribué concrètement à la mise en œuvre du transfert de gestion 15 Voir : Richard E. Rice et al., «Sustainable forest management: a review of conventional wisdom», Advances in Applied Biodiversity Science, Washington DC, CABS / Conservation International, 2001 ; Union of Concerned Scientists, Center for Tropical Forest Science, Smithsonian Institution, Logging Off: Mechanisms to Stop or Prevent Industrial Logging in Forests of High Conservation Value par T. Gullison, M. Melnyk. et C. Wong, Cambridge, Mass., Union of Concerned Scientists Publications, 2001 ; Eduard Niesten et Richard Rice, «Sustainable forest management and conservation incentive agreements» (2004) 6 International Forestry Review 56 ; Mino Randrianarison, Les ‘paiements pour services environnemen- taux’ pour la protection de la biodiversité de Madagascar, Thèse de doctorat [en préparation], Université d’Antananarivo [Randrianarison] ; Sven Wunder, Payments for environmental services: Some nuts and bolts, CIFOR Occasional Paper 42, A.I., Center for International Forestry Research, 2005 ; Karel Mayrand et Mar Paquin, Commission de coopération environnementale de l’Amérique du Nord, Le paiement pour les services environnementaux : Étude et évaluation des systèmes actuels, Montréal, Unisféra International Centre, 2004 ; Nirina A. Randimby et al., Forest Trends, An Inventory of Initiatives/Activities and Legislation Pertaining to Ecosystem Services Payment Schemes (PES) in Madagascar, Antananarivo, Katoomba Group, 2008. 16 Montagne et al., Transfert, supra note 13 ; Toillier, «Recherche-action», supra note 14 ; Alain Bertrand et al., «Contre un retour aux barrières : Quelle place pour la gestion communautaire dans les nouvelles aires protégées malgaches» présenté au Colloque international, Les parties prenantes de la gestion communautaire des ressources naturelles : coopération, contradictions, conflits tenu du 1 au 3 juillet 2008 à Antananarivo [Bertrand et al., Barrières]. 17 Bertrand et al., Barrières, ibid. 18 Loi Gelose, supra note 1, art. 1. 19 Victorine Razanabahiny, Le Dina (Convention entre membres de communautés villageoises): son opportunité ou non dans la conservation de la nature. Cas de la Réserve Naturelle Intégrale d’Andohahela-Tolagnara, Mémoire de CAPEN en Anthropologie, Université d’Antananarivo, 1995 à la p. 65 [non publiée].
178 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand de l’environnement. Les réponses apportées par le Projet Pilote de Protection et de Valorisation de la Biodiversité FFEM - Biodiversité à Didy, ci-après nommé FFEM, sont ici prises à titre d’exemple20. La thèse de cet article est de démontrer, par le biais de l’exemple du FFEM, que le contrat Gelose est un outil efficace de gestion des ressources renouvelables. Il complète utilement la loi en la matière et en assure la pleine réalisation. Son efficacité est déterminée par certaines conditions, inclues ou non dans le contrat de transfert de gestion, antérieures et postérieures à la conclusion de celui-ci. La première partie de l’article sera consacrée à la description du FFEM, de sa zone d’intervention Didy et des contrats Gelose qu’il y a mis en place. La réussite de ces contrats y sera particulièrement soulignée. Dans une seconde partie, après avoir exposé les causes de l’échec de contrats Gelose conclus dans la même région mais par d’autres organismes que le FFEM, seront décrites et analysées les différentes conditions de réussite des contrats Gelose mis en place par ce dernier. Seront successivement envisagées les conditions antérieures à la conclu- sion du contrat Gelose puis celles postérieures à la conclusion de ce contrat. L’ensemble de ces conditions sera synthétisés sous la forme d’un tableau dans la conclusion de cet article. 2. LE PROJET PILOTE DE PROTECTION ET DE VALORISATION DE LA BIODIVERSITÉ FFEM - BIODIVERSITÉ À DIDY Le FFEM est un projet qui, grâce à un soutien financier du Fonds français de l’environnement mondial, a appuyé de 2003 à 2007 plusieurs communes rurales de deux régions de Madagascar – Alaotra-Mangoro et Melaky – dans leurs actions de gestion de leurs ressources naturelles. La première zone d’intervention correspond au Corridor forestier de Zahamena-Moramanga et aux abords de la Route Nationale n°2 reliant Antananarivo et Fénérive Est. La seconde est située dans la sous-préfecture d’Antsalova. Durant son intervention dans ces zones, le projet a mis en place dix-neuf contrats de transfert de gestion des ressources naturelles renouvelables aux VOI. Située dans la région d’Alaotra Mangoro, dans le district d’Ambatondrazaka, la commune rurale de Didy présente la spécificité d’être constituée dans sa partie orientale d’une forêt tropi- cale humide contenant plusieurs espèces forestières potentiellement exploitables. Exploitées, ces ressources peuvent approvisionner le marché local comme le marché national. Depuis 20 L’objectif spécifique du FFEM est de proposer des méthodes, des techniques et des exemples de gestion viable à long terme de l’environnement et de la biodiversité pour un développement économique des filières d’exploitation des ressources naturelles renouvelables au profit des populations rurales. Il cherche à apporter des améliorations méthodologiques nécessaires dans la gestion de biodiversité qui épousent les réalités des régions géographiques distinctes (FFEM, Cadre logique du projet FFEM Biodiversité, Mise en place de projets pilotes de protection et de valorisation de la biodiversité à Madagascar. 2007).
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 179 Montagne & Bertrand 2006, huit contrats de transfert de gestion permettant l’exploitation du bois d’œuvre21 ont été mis en place dans la région de Didy, sur une partie de la forêt d’Ambohilero, dans le corridor forestier de l’Est malgache. Les bois d’œuvre légaux en provenance de la forêt d’Ambohilero à Didy sont facilement identifiables par leurs étiquettes plastiques, qui assurent un véritable système de traçabilité des produits. Ils sont très demandés sur Andravohangy, le grand marché de bois d’Antananarivo, qui n’a jamais connu de pénurie et qui fonctionne essentiellement avec du bois d’œuvre exploité illégalement. Ces contrats de transfert de gestion occupent sur la forêt d’Ambohilero une superficie totale de 18 200 ha. Ils présentent la particularité de permettre, sous des conditions de gestion durable, la valorisation des produits forestiers ligneux. Ce choix d’exploiter le bois d’œuvre est déterminé par différents facteurs, notamment le désir des VOI de générer par eux-mêmes des revenus tirés de leurs ressources, l’existence d’une demande en bois d’œuvre des centres urbains qui perdurera à long terme, et l’exigence de mettre en place les conditions d’une exploitation légale où l’État serait en mesure d’assurer ses tâches de surveillance. Les transferts de gestion sont très profitables aux populations locales et aux autorités pub- liques, ce qui en garantit la durabilité. Le chiffre d’affaire total est constitué des revenus des ménages (à partir du bucheronnage et du débardage22), des diverses taxes et des valeurs ajoutées des VOI. Les montants des valeurs ajoutées obtenues par l’ensemble des 8 VOI au cours de la première année d’exploitation forestière sur la forêt d’Ambohilero sont estimés à 6 562 630 ariary, soit environ 2 400 euros ou 4 200 dollars canadiens. Chacun d’entre eux a pu collecter entre 55 000 et 3 millions d’ariary en fonction du mode d’exploitation choisi par le VOI23 et du quota annuel autorisé de prélèvement. Ces montants sont l’équivalent des bénéfices obtenus par les exploitants forestiers étrangers auparavant, desquels les populations locales étaient totalement exclues. L’argent collecté par le VOI par la réalisation de l’exploitation for- estière n’est pas distribué aux ménages qui le constituent. Il sert à améliorer le bien-être collectif de la communauté. Ainsi, avec cet argent, les VOI ont pu entreprendre des activités com- munautaires comme la réhabilitation d’une école ou la mise en place d’un système de micro- crédit local pour permettre des achats d’intrants agricoles pour les membres des VOI. Jusqu’en septembre 2007, la commune rurale de Didy a pu collecter 266 400 ariary de ristournes24 et l’administration forestière a reçu au moins le tiers des redevances forestières, ceci en fonc- 21 À Madagascar, sauf dans les plantations de pins de la Fanalamanga, le bois d’œuvre est toujours exploité manuellement en « traverses » (héritage de la création coloniale du chemin de fer). Les traverses sont des pièces de bois ayant les dimensions suivantes : 20cm x 20cm x 2,50 m. Cette exploitation manuelle se traduit par un rendement de bois d’oeuvre très faible, de l’ordre de 18%, comparé à un rendement moyen de l’ordre de 45% dans les autres pays (CTFT, Mémento du forestier. Éditions Ministère de la coopération, Paris, 1972). Une fois exploité et transformé, le bois d’œuvre est utilisé dans la construction, dans les différentes infrastructures, etc. Le bois d’œuvre n’est pas utilisé en tant que bois de chauffe. 22 À Didy, le bucheronnage et débardage permet à un ménage d’obtenir annuellement 250 000 ariary, soit près de la moitié de son revenu annuel total estimé à 600 000 ariary. 23 L’exploitation peut être réalisée par le VOI même, par un membre d’un VOI qui a ou n’a pas de contrat avec le VOI, ou par sous-traitance avec un exploitant forestier en contrat avec le VOI. 24 Les « ristournes » sont des taxes communales perçues sur diverses activités ou transports de produits, tels le riz et le bois.
180 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand tion de l’avancée des exploitations25. Ces ristournes permettent à la commune rurale de Didy d’effectuer les contrôles en forêt qui étaient délaissés par manque de moyens financiers. Actuellement, les contrats de transfert de gestion font l’objet d’une évaluation car ils sont arrivés au terme des trois premières années d’existence. Les demandes de renouvellement des contrats ont été expressément déposées par les VOI eux-mêmes auprès de l’administration forestière. Ce fait témoigne du niveau d’implication des VOI dans la gestion de leur territoire et de la qualité des transferts de gestion. 3. LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DES CONTRATS DE TRANSFERT DE GESTION À DIDY Pour s’assurer de contrats bien fondés et valablement exécutés, le FFEM a construit une démarche particulière d’élaboration et d’exécution des contrats Gelose. Il a donc respecté les provisions de la loi-cadre et a développé des conditions adaptées à la communauté locale pour assurer la réussite des contrats26. Ces conditions se succèdent suivant un ordre logique et néces- saire. Certaines conditions doivent être respectées avant la conclusion du contrat (4), tandis que d’autres doivent être suivis après la conclusion du contrat ainsi que tout au long de la vie de celui-ci (5). Certaines de ces étapes doivent obligatoirement se suivre. Par exemple, le plan d’aménagement ne peut être rédigé tant que le diagnostic du milieu et l’inventaire n’ont pas été réalisés. Il en est de même pour l’élaboration des outils de gestion qui dépend de l’approbation du plan d’aménagement et de gestion simplifiée, ainsi que pour l’officialisation du contrat qui découle de la validation des outils de gestion. D’autres étapes peuvent être réalisées de façon simultanée, anticipée ou différée. Il s’agit des étapes qui n’attendent pas les résultats de celles antérieures pour leur réalisation. Par exemple, le renforcement des capacités des acteurs occupe beaucoup plus de temps pour sa réalisation et se fait selon les demandes. Cette étape peut être effectuée tout au long de la démarche. Ainsi, la mise en place du VOI peut être faite avant le renforcement des capacités des acteurs. De la même manière, la demande de transfert 25 La redevance est une taxe forestière versée à échéance périodique en contrepartie d’un avantage concédé contractuellement. Dans le cadre de l’exploitation forestière, la redevance est la somme payée par les exploitants forestiers en contrepartie de l’octroi du permis d’exploitation. La tota- lité de la redevance revient à l’administration forestière. Mais dans le cadre des contrats Gelose, leur acquittement se fait progressivement, en fonction de l’avancée des exploitations forestières. Depuis le début des exploitations forestières par les VOI, l’administration forestière n’a pu collecter que le tiers de la totalité des redevances que doivent payer les VOI. Les 2/3 des redevances non encore collectés sont constitués des redevances non payées par les VOI qui n’ont pas encore commencé leurs exploitations et par les restes des redevances devant être acquittées par les autres VOI à la fin des exploitations auprès de l’administration forestière. 26 Le FFEM ne présente pas l’unique condition de réussite des contrats de transfert de gestion. Les condi- tions de réussite sont déjà fixées par la loi. Le FFEM ne fait que les mettre en œuvre, qui le conduit à les préciser, à les enrichir et à les compléter. En réalité, le FFEM ne fait que renforcer les institutions publi- ques dépourvues de moyens financiers, matériels et humains pour pleinement mettre en œuvre la loi. La véritable question vis-à-vis de l’intervention des organismes ou des projets d’appui, tel le FFEM, est de déterminer s’ils respectent les conditions légales de mise en œuvre des transferts de gestion – un respect qui détermine la réussite du transfert.
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 181 Montagne & Bertrand de gestion peut être déposée après la structuration du VOI ou après la conception du plan d’aménagement et de gestion simplifié27. La pertinence des conditions de réussite est renforcée par l’examen d’autres contrats Gelose conclus dans la même région mais ayant échoués. Conservation International (CI), par exemple, a appuyé la mise en place de 8 contrats Gelose sur la forêt d’Ambohilero dans la région de Didy, correspondant à une superficie totale de 37 320 ha28. Ces contrats n’ont pas les mêmes formes ni le même contenu que ceux mis en place par le FFEM. Ainsi, les VOI FFEM et les VOI CI n’ont pas les mêmes obligations. Dans le cas des VOI encadrés par CI, le contrôle forestier n’est pas systématique. Pour les VOI encadrés par le FFEM, par contre, le contrôle forestier est exécuté par l’intermédiaire de la police locale forestière (polisin’ala). Elles n’exercent pas non plus les mêmes activités. L’exploitation forestière est l’activité de base des VOI FFEM, leur permettant d’avoir des revenus supplémentaires, en sus des revenus tirés de la réalisation des travaux de bûcheronnage. Par contre, cette activité est sévèrement interdite pour les VOI CI, leur objectif principal étant la conservation stricte de l’écosystème forestier. Contrairement aux contrats Gelose appuyés par le FFEM, les résultats des activités de gestion des ressources entreprises par les VOI CI sont mauvais. Ainsi, les VOI ne peuvent plus exercer les activités qui leur permettent d’avoir des moyens de vivre et d’obtenir des revenus assurés et suffisants annuellement. Conséquemment, ces VOI ne respectent plus leurs engage- ments contractuels29. Il y a quelques indicateurs simples de cet échec des VOI CI, facilement visibles et donc vérifiables, notamment les bois illicites qui circulent dans la région de Didy provenant principalement de ces zones, ainsi que les pratiques culturales destructrices (tavy) qui persistent dans la région. Le résultat est que les personnes vivant aux dépens de ces res- sources n’ont aucune activité alternative pour pouvoir survivre. Ceci explique les demandes formulées par ces VOI pour que leurs contrats deviennent des contrats identiques à ceux du FFEM et ainsi avoir la possibilité d’exploiter du bois d’œuvre30. 27 Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), Guide de transfert de gestion: démarche et métho- dologie d’interventions - Madagascar Paris, Fonds Français pour l’Environnement, 2007 [FFEM, Guide de transfert]. 28 Randrianarison, supra note 15. Les 8 contrats correspondent aux régions Ravinala I, Ravinala II, Taratra, Lazasoa Lovasoa, Ezaka, Belanonana, Tsarahonenana et Misi. 29 Randrianarison, supra note 15. 30 « Le renouvellement de ces contrats GCF de préservation sous forme de contrats Gelose ‘valorisation et exploitation durable du bois d’œuvre’ sera de toute façon problématique puisque lors de la mise en place de ces VOI, Conservation International ne s’est pas basée sur les structures spatio-sociales coutumières existantes et n’a tenu aucun compte de l’existence des Kijana, pâturages lignagers qui structurent l’espace de la forêt classée d’Ambohilero depuis plus d’un siècle... Transformer simplement les contrats GCF de conservation en contrats Gelose de ‘valorisation et exploitation durable du bois d’œuvre’ sans reposition- ner les VOI sur la base du découpage des Kijana serait prendre le risque de générer presque à coup sûr, des conflits sur la répartition des revenus et des bénéfices de l’exploitation du bois d’œuvre. » (Bertrand et al., Barrières, supra note 16 à la p. 15. Voir aussi Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM) - Biodiversité et Gestion forestière communale et communautaire (GESFORCOM), Renforcement des transferts de gestion par l’amélioration des techniques d’exploitation du bois d’œuvre et du contrôle forestier. Rapports des missions réalisées du 18 au 25 octobre, du 13 au 16 novembre et le 23 novembre 2007 par Alain Bertrand, Antananarivo, 2007.
182 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand L’échec de ces VOI CI peut directement être imputé à quatre causes principales : 1. le caractère très restrictif des contrats - il n’y a aucune possibilité d’étendre les superficies culturales31 ; 2. le manque de ressources financières qui leur sont attribuées ou qu’ils peuvent générer par eux-mêmes – il n’y a pas de possibilité de faire de l’exploitation du bois d’œuvre dans leurs territoires malgré le fait que tous les VOI possèdent presque les mêmes ressources forestières ; 3. le choix des bénéficiaires de la gestion des ressources dans le cadre des contrats – il n’y a pas d’implication des aînés (Tangalamena) dans la communauté et il y a confusion entre utilisateurs et ayants-droit aux ressources. Toutes les activités entreprises dans les Kijana forestiers – les espaces pastoraux naturels de pâturage – sont tributaires du Tangalamena. Tant que le Tangalamena ne gère pas lui- même le VOI ou s’il n’a pas donné son autorisation pour les différentes activités à mener sur le Kijana, les communautés locales peuvent être réticentes et même non réceptives quant aux différentes innovations qui leur sont apportées ; 4. l’insuffisance des formations et des informations qui ont été données aux membres des communautés locales de base32. Ces causes de l’échec des VOI CI ne sont pas propres à ceux-ci33. Il ne s’agit non plus des seules raisons expliquant l’insuccès d’un contrat Gelose. Le non respect du rythme de concer- tation interne des communautés de base, par exemple, a déjà été souligné comme un facteur contributeur à l’échec de certains contrats Gelose34. En opposition aux raisons pour les échecs d’un contrat Gelose que le texte vient de souligner, la section qui suit évoquera, analysera et vérifiera les conditions de réussite d’un contrat Gelose dans le cadre du FFEM. 4. LES CONDITIONS ANTÉRIEURES À LA CONCLUSION DU CONTRAT DE TRANSFERT DE GESTION Un contrat de transfert de gestion ne peut pas être utilement exécuté s’il n’est pas bien établi. Cette vérité s’est imposée comme une évidence pour le FFEM. Dès le départ, le FFEM a con- sidéré qu’il devait favoriser l’appropriation sociale du contrat et du transfert (4.1) et garantir des bénéfices réels aux populations locales délégataires (4.2) – conditions mandatées par la Loi 31 Le point 6 du plan d’aménagement du VOI Lazasoa Lovasoa, par exemple, stipule que « le droit d’usage non régulé est interdit (…) il est formellement interdit de faire des cultures sur abattis brûlis. » 32 Mino Randrianarison et Philippe Karpe, «Évaluation de l’efficacité et de l’équité des contrats de conser- vation à Madagascar. Cas de la région de Didy». XXIVèmes Journées du Développement de l’Association Tiers-Monde Économie de la connaissance et développement, Université Gaston Berger de Saint-Louis, UFR Sciences Économiques et Gestion, CREDES-Université Nancy 2. Droits et développement, 20, 21 et 22 mai 2008. 33 Montagne et al., Transfert, supra note 13. 34 Gaëtan Feltz et Gérard Andriamandimby, « Transferts de gestion et remaniements sociaux au sein des communautés de base » dans Pierre Montagne, Zo Razanamaharo et Andrew Cooke, dir., Le transfert de gestion à Madagascar, dix ans d’efforts: Tanteza (tantanana mba hateza : gestion durable), Montpellier, CIRAD, 2007, 87 ; Bertrand et al., Barrières, supra note 16.
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 183 Montagne & Bertrand Gelose. À ces fins, le FFEM a par conviction scrupuleusement respecté les conditions succes- sives fixées par la loi. Les jugeant toutefois insuffisantes, il les a enrichies et complétées. 4.1 Les conditions utiles pour une réelle appropriation sociale du contrat La Loi Gelose exige l’appropriation sociale du contrat et pose les jalons de sa réalisation. L’appropriation sociale évite que le contrat soit le résultat d’une contrainte imposée aux popu- lations locales concernées. La Loi Gelose dispose à cette fin que le transfert de gestion doit être initié par les populations elles-mêmes35. Elle garantit par ailleurs à ces populations une partici- pation sur un pied d’égalité aux négociations sur les termes de la délégation de gestion et une prise en compte réelle et pleine de leurs revendications, grâce principalement au médiateur environnemental. Celui-ci a en effet pour mission : de faciliter les discussions et les négociations entre les différents partenaires de la gestion locale des ressources naturelles et à les aider à : comprendre leurs points de vue respectifs sur les ressources naturelles; élaborer une certaine vision commune de l’avenir à long terme de ces ressources; construire des stratégies communes de gestion de ces ressources; définir les procédures permettant leur gestion effective, en bien commun, sur la base de cette vision et de ces stratégies communes36. Le médiateur environnemental assure sa mission « par l’établissement d’un courant d’information entre les parties »37. Il ne peut pas imposer de solution aux parties ou prendre fait et cause pour l’une d’elles38. Sa désignation relève logiquement et utilement « de la dili- gence et de l’appréciation consensuelle des parties »39. Enfin, pour éviter tout conflit d’intérêt nuisible, et ainsi accomplir au mieux sa fonction, il est expressément prévu que le médiateur ne soit lié à aucune des parties prenantes40. De par ces mêmes dispositions, les autres acteurs con- cernés – les administrations déconcentrées et collectivités décentralisées – doivent participer à égalité à la négociation et à la détermination des termes du transfert de gestion. Leur propre appropriation du transfert de gestion est aussi considérée par la loi comme déterminante et indispensable. Cette participation, comme celle des populations locales, doit pleinement être libre et consciente. L’appropriation sociale libre et consciente du transfert de gestion est fondamentale et la loi impose d’en vérifier l’effectivité en ce qui concerne les populations locales41. Le FFEM a développé une démarche afin de garantir cette appropriation sociale qui inclut toutes les con- ditions fixées par la loi. Afin de garantir un engagement libre et conscient de l’ensemble des parties prenantes, il est nécessaire de disposer d’informations fiables et complètes. Le FFEM a développé un outil spécifique pour acquérir ces informations : le diagnostic détaillé du milieu 35 Loi Gelose, supra note 1, art. 9. 36 Ibid., art. 17. 37 Décret n° 2000-028 relatif aux médiateurs environnementaux, art. 2. 38 Ibid., art. 24. 39 Ibid., art. 26. 40 Ibid., art. 4. 41 Loi Gelose, supra note 1, art. 13.
184 JSDLP - RDPDD Randrianarison, Karpe Montagne & Bertrand d’intervention. Ce diagnostic constitue l’étape primordiale à réaliser42. Il fournit des données qui aident les intervenants à avoir les différentes informations sur l’état de lieux détaillé du site incluant les contextes socioculturel, économique, physique et écologique. Le diagnostic permet de déterminer l’état actuel des lieux et des ressources naturelles utilisées par les communautés locales et donne des renseignements sur la gestion passée des ressources naturelles renouvelables, le degré de responsabilité et le niveau de savoir faire des acteurs futurs gestionnaires, et l’identification des différents objectifs de gestion43. Ces rensei- gnements ont été d’autant plus utiles que le FFEM a adapté la méthodologie du diagnostic à chaque situation locale, dans chaque communauté de base demanderesse. Par ailleurs, les communautés de base concernées ainsi que toutes les autres parties prenantes identifiées ont été impliquées tout au long du diagnostic, de la reconnaissance du terrain au choix et à la hiér- archisation des objectifs proposés par les communautés de base. Les résultats des enquêtes, des interventions et des études ont été régulièrement et intégralement restitués auprès des parties prenantes au transfert de gestion. Ces dernières pouvaient ainsi faire d’éventuels amendements et adaptations. Au total, dix-neuf documents de diagnostic détaillé des sites d’intervention du FFEM ont été réalisés. Pour consolider l’appropriation sociale, il importe tout d’abord de respecter le rythme des parties prenantes. Conforme à son souci de réaliser cette appropriation, la loi ne fixe logique- ment aucune durée. Le temps mis par le FFEM pour mettre en place les transferts de gestion est de vingt-six mois. Bien que la procédure puisse sembler relativement longue, « la plupart des VOI ont estimé que celle-ci était nécessaire pour leur permettre d’assimiler le concept »44. Il importe également de respecter les institutions et les processus propres des différents acteurs concernés encore en vigueur. À cet égard, concernant les populations locales, il ne faut pas leur imposer le respect de règles coutumières tombées en désuétude. Soucieuse de réaliser une véritable appropriation sociale, la loi a statué en ce sens. Quoiqu’elle prévoie l’usage du Dina – l’accord entre les membres de la communauté où l’on doit marquer son adhésion et dans lequel des sanctions sont prévues – son recours est modulable. En effet, la loi n’en fixe nul- lement le contenu. Elle dispose au contraire que les Dina doivent être établis conformément aux règles coutumières propres de la communauté concernée et de leur évolution45. À Didy, les populations locales sont encore très traditionalistes. Le FFEM a ainsi procédé à la ritualisa- tion des contrats et à la demande de bénédiction des membres du VOI aux ancêtres pour que ceux-ci veillent sur le bon fonctionnement du processus. Par ailleurs, il a respecté les hiérarchies traditionnelles. Ainsi, les VOI sont gérés soit par le Tangalamena – le groupe d’aînés – lui- même ou soit par une personne qui a eu la bénédiction du Tangalamena si ce dernier ne peut pas représenter le VOI. 42 FFEM, Guide de transfert, supra note 27. 43 Ibid. 44 Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), Évaluation à mi-parcours du projet FFEM- Biodiversité - Madagascar par Louis Rasolofo Andriamahaly, Paris, Fonds Français pour l’Environnement, 2007 à la p. 30. 45 Loi Gelose, supra note 1, art. 49.
Randrianarison, Karpe, Volume 5: Issue 2 185 Montagne & Bertrand 4.2 Les conditions utiles pour une garantie de bénéfices réels La création de bénéfices tangibles et durables pour les nouveaux gestionnaires doivent être garantis afin d’offrir la motivation pour la gestion durable des ressources forestières et pour leur apporter une source de revenus alternative aux pratiques non durables. La Loi Gelose habilite et encourage par l’octroi de certains avantages spécifiques les communautés locales à exercer des activités « de commercialisation et [de] valorisation des ressources renouvelables et des produits dérivés »46. Mieux, elle pose comme principe que seul l’exercice de ces activités assure une meil- leure gestion et conservation de la biodiversité47. Pour garantir la création de tels bénéfices, il importe de sécuriser les pouvoirs des commu- nautés locales, de renforcer leurs capacités matérielles et intellectuelles de gestion, et d’adapter les termes du contrat aux réalités écologiques, économiques et sociaux propres de chaque com- munauté délégataire. 4.2.1 La sécurisation des pouvoirs La sécurisation foncière affermit les pouvoirs des communautés locales. « Sans sécurité fonci- ère, il est difficile de demander au paysan de prendre soin de la terre ou de la mettre en valeur de manière rationnelle »48. Cette sécurisation est garantie dans le cadre du contrat Gelose grâce à la procédure de Sécurisation Foncière Relative (SFR). Procédure spécifique à la Gelose et créée pour elle-seule49, la SFR est la constatation, l’inventaire et la délimitation de l’espace contenant les ressources naturelles renouvelables incluses dans le terroir coutumier de la communauté. C’est la délimitation d’ensemble du terroir d’une communauté locale et le constat des occupations comprises dans le terroir50. Ce faisant, la SFR permet au VOI d’être plus responsable du Kijana – l’aire de pâturage en forêt – qui lui est alloué. Il se sent plus libre de faire les activités qui lui paraissent bonnes pour la communauté locale. Incidemment, elle permet également aux divers services étatiques et à la Commune de mieux connaître les limites de leur compétence territoriale, consolidant par la suite son exercice. La SFR a été initiée dans la région de Didy au moment même de la préparation des contrats de transfert de gestion51. C’est dans cette région que la première tentative de mise en place de la SFR a été réalisée en 2005. Les documents de la SFR de ce Kijana ont été signés et 46 Loi Gelose, supra note 1, art. 54. 47 Ibid. 48 Loi n° 90-033 Relative à la Charte de l’Environnement Malagasy, Titre III, Ch. 1, para. 4.3. 49 Décret n° 98-610 réglementant les modalités de la mise en œuvre de la Sécurisation Foncière Relative, art. 1. 50 Ibid. 51 Il a néanmoins été suggéré, « dans le souci de réaliser une SFR à moindre coût et à temps voulu, [de] concrétiser le contrat de transfert de gestion et l’enquête sur la médiation avant d’entamer la procé- dure SFR » (Fonds Français pour l’Environnement Mondial (FFEM), Test d’une Sécurisation Foncière Relative en Transfert de gestion. Élaboration des documents de la SFR de Beririnina - Madagascar (Rapport de mission) par Rabeson Rakotondrasata, Paris, Fonds Français pour l’Environnement, 2005, p.25). Il faut rappeler que, selon l’article 3 du Décret n° 98-610, la procédure de SFR est ouverte dès l’obtention de « l’agrément administratif de la demande de transfert de gestion par la commune ».
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