La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche - Érudit
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Document généré le 26 sept. 2022 06:14 Management international International Management Gestiòn Internacional La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche Sylvie St-Onge et Marie-Laure Buisson Volume 16, numéro 3, printemps 2012 Résumé de l'article La transformation des organisations publiques Après avoir décrit ce que le secteur public des États-Unis, de l’Angleterre et de The transformation of public organizations la France font en matière de rémunération basée sur la performance La transformación de las organizaciones públicas individuelle, nous présentons une synthèse des études sur ses incidences Se pose alors la question : pourquoi de nombreux États persistent à adopter et à URI : https://id.erudit.org/iderudit/1011418ar maintenir la rémunération au mérite alors qu’elle comporte des limites semblables à celles qui ont été identifiées dans le secteur privé mais qu’en sus, DOI : https://doi.org/10.7202/1011418ar le secteur public présente des contraintes particulières additionnelles ? Pour expliquer ce paradoxe, nous recourons aux perspectives des théories Aller au sommaire du numéro institutionnelle et conventionnaliste. Éditeur(s) HEC Montréal Université Paris Dauphine ISSN 1206-1697 (imprimé) 1918-9222 (numérique) Découvrir la revue Citer cette note St-Onge, S. & Buisson, M.-L. (2012). La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche. Management international / International Management / Gestiòn Internacional, 16(3), 75–91. https://doi.org/10.7202/1011418ar Tous droits réservés © Management international / International Management Ce document est protégé par la loi sur le droit d’auteur. L’utilisation des / Gestión Internacional, 2012 services d’Érudit (y compris la reproduction) est assujettie à sa politique d’utilisation que vous pouvez consulter en ligne. https://apropos.erudit.org/fr/usagers/politique-dutilisation/ Cet article est diffusé et préservé par Érudit. Érudit est un consortium interuniversitaire sans but lucratif composé de l’Université de Montréal, l’Université Laval et l’Université du Québec à Montréal. Il a pour mission la promotion et la valorisation de la recherche. https://www.erudit.org/fr/
NOTE DE RECHERCHE La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche SYLVIE ST-ONGE MARIE-LAURE BUISSON HEC Montréal Aix-Marseille Université RÉSUMÉ ABSTRACT RESUMEN Après avoir décrit ce que le secteur public After presenting an overview of individual Después de dar una descripción de lo que se des États-Unis, de l’Angleterre et de la performance-based pay in the public sector hace en el ámbito de la retribución basada France font en matière de rémunération in the United States, England and France, en el desempeño en el sector público de los basée sur la performance individuelle, nous the authors provide a synthesis of studies Estados Unidos, Inglaterra y Francia, los présentons une synthèse des études sur on merit pay. The question raised is this : autores presentan una síntesis de los estu- ses incidences Se pose alors la question : Why do so many states persist in adopting dios llevados a cabo sobre la incidencia de pourquoi de nombreux États persistent à and maintaining merit-based compensation dicha remuneración. Al ver los resultados adopter et à maintenir la rémunération au despite similar limitations to those identi- de tales estudios, se plantea la pregunta mérite alors qu’elle comporte des limites fied in the private sector, in addition to sobre el por qué numerosos Estados per- semblables à celles qui ont été identifiées added constraints specific to the public sec- sisten en adoptar y mantener una remune- dans le secteur privé mais qu’en sus, le tor ? To explain this paradox, the authors ración por méritos cuando esta contiene, secteur public présente des contraintes adopt the perspective of conventionalist además de limitaciones similares a aque- particulières additionnelles ? Pour expli- and institutional theory. llas ya identificadas en el sector privado, quer ce paradoxe, nous recourons aux sus propias restricciones particulares. Para perspectives des théories institutionnelle et Keywords: merit compensation, merit pay, explicar tal paradoja, los autores recurren a conventionnaliste. performance-based pay, flexible pay, pub- las teorías institucional y convencionalista. lic sector Mots clés : rémunération au mérite, salaire Palabras claves: remuneración por méritos, au mérite, rémunération basée sur la per- salario por méritos, retribución basada en formance, rémunération variable, secteur el desempeño, remuneración variable, sec- public tor público A u cours des 30 dernières années et encore tout récem- ment, plusieurs chercheurs ont analysé l’efficacité des programmes de rémunération au mérite dans le secteur dernières années, plusieurs pays ont mis en place une rémunération basée sur la performance individuelle pour l’ensemble des agents publics (p.ex., Australie, Danemark, public, principalement aux États-Unis et au Royaume Uni. Finlande, Allemagne, Corée, Japon, Royaume Uni, États- Malgré le caractère plutôt négatif et tout au plus mitigé de Unis) ou seulement pour leur encadrement supérieur (p.ex., leurs résultats, les dirigeants du secteur public de nombreux Canada, Irlande, Italie) alors que des pays ont adopté un pays persistent à vouloir implanter et gérer des programmes plan collectif pour rémunérer la performance d’équipe de rémunération au mérite. En effet, régulièrement, la foi en ou de département (p.ex. Espagne, Finlande, États-Unis). ces pratiques refait surface, tant du côté des gestionnaires Une question s’impose alors : pourquoi vouloir implanter du secteur public que de celui des politiciens ou ministres, et gérer la rémunération variable dans le secteur public sur qui l’on exerce des pressions pour conserver ou alimen- alors que plusieurs bilans sur son efficacité se révèlent très ter la logique du mérite (Lewin, 2003). mitigés ? Dernièrement, le Congrès américain a approuvé la réin- Dans ce texte, nous analysons la fréquence et l’effi- troduction de la rémunération variable au sein des départe- cacité de l’adoption de la rémunération au mérite dans le ments de la Sécurité nationale et de la Défense (Perry et al., secteur public de trois pays : les États-Unis, l’Angleterre 2009). Un tel maintien de la croyance dans la rémunération et la France. Le secteur public des États-Unis et celui de variable dans le secteur public ne semble pas être propre l’Angleterre doivent être analysés étant donné que ces pays à l’Amérique du Nord. En Europe, un nombre significatif ont été les premiers à adopter la rémunération à la per- de fonctionnaires est concerné (OCDE, 2005; Lah et Perry, formance dans les années 1980. De fait, la quasi-totalité 2008). De fait, aujourd’hui, plus des deux tiers des pays de des études sur la rémunération au mérite dans le secteur l’Organisation de coopération et de développement écono- public a été menée aux États-Unis ou au Royaume-Uni. miques (OCDE) ont adopté des dispositifs de rémunération La situation est très différente en France, où les premières liée à la performance. Comme l’a constaté Elsa Pilichowski pratiques de rémunération au mérite ont été introduites en (2009), administratrice à l’OCDE, au cours des quinze 2004 seulement, et ce, dans six ministères pilotes et en
76 Management international / International Management / Gestión Internacional, 16 (3) rendant celles-ci applicables uniquement aux directeurs. de critères tels que les résultats obtenus, les qualifications Selon Desmarais et Abord de Chatillon (2008), la frontière et les compétences techniques, les qualités relationnelles, entre le secteur public et le secteur privé en France est tradi- l’aptitude à travailler en équipe et les capacités d’encadre- tionnellement considérée comme plus étanche que dans les ment et de gestion. contextes anglo-saxons pour diverses raisons (par exemple, Toutefois, d’un pays à l’autre, les modèles de rémuné- l’existence d’un droit distinct, le droit public, les représen- ration de la performance varient selon le type d’administra- tations et stéréotypes forts). Cela peut expliquer pourquoi la tion, le mode de détermination de la rémunération, le degré France a été l’un des derniers pays de l’OCDE à mettre en de centralisation ou de délégation dans la gestion des bud- place la rémunération au mérite. Ce faisant, elle est à même gets ou du personnel. Dans cette section, nous présentons d’analyser les bilans des expériences d’autres pays en la les caractéristiques de la rémunération de la performance au matière afin de mieux intervenir à son tour. sein des deux pays qui ont été les premiers à l’adopter – les Ce texte décrit d’abord la logique de la rémunération États-Unis et le Royaume Uni – et en France, un pays qui au mérite au sein des services publics des États-Unis, du commence tout juste à l’introduire. Royaume-Uni et de la France. Nous présentons ensuite une synthèse des résultats des recherches qui ont analysé les incidences de la rémunération au mérite dans le secteur LES ÉTATS-UNIS public. Nous constatons ensuite combien ces sont compa- Aux États-Unis, la rémunération au mérite dans le sec- rables à celles qui ont été menées dans le secteur privé et teur public a été formalisée en 1978 avec la Civil Service ce, tant sur le plan de leurs résultats que de leurs limites Reform Act (CSRA) qui rendait effective, en 1981, l’admis- méthodologiques. De fait, force sera alors de constater que sibilité des cadres supérieurs au Merit Pay System (MPS). la rémunération au mérite dans le secteur public comporte Trois ans plus tard, en 1984, on révisait certaines moda- des limites semblables à celles qui ont été identifiées dans lités du MPS en le renommant Performance Management le secteur privé mais qu’en sus, le secteur public présente and Recognition System (PMRS). La révision apportée des contraintes particulières additionnelles. Se pose alors la avait pour but d’étendre l’admissibilité au PMRS aux question : pourquoi de nombreux États persistent à adopter cadres intermédiaires et à faire en sorte que tous les fonc- et à maintenir la rémunération au mérite ? Pour expliquer tionnaires admissibles dont la performance est jugée au ce paradoxe, nous recourrons aux perspectives des théories moins « satisfaisante » reçoivent une augmentation géné- institutionnelle et conventionnaliste que nous verrons en rale et une prime. En 1989-1990, on a encore modifié le parallèle avec l’éclairage offert par d’autres perspectives PMRS afin d’introduire des mécanismes pour contrôler le (comme celles de la théorie configurationnelle et de la théo- nombre de cotes de performances élevées accordées aux rie basée sur les ressources). fonctionnaires, d’étendre encore plus l’admissibilité des fonctionnaires au PMRS et de créer un comité de révision ou d’appel. En 1991, en raison des nombreux problèmes La rémunération au mérite dans le secteur public : relatifs au PMRS, l’État a aboli ce système. état des lieux des pratiques Par le passé, aux États-Unis, les régimes de salaire « au Selon l’Organisation de coopération et de développement mérite » permettaient donc de considérer la performance économiques (OCDE, 2005), la rémunération au mérite ou individuelle des employés dans la détermination de leurs encore, la rémunération liée aux performances consiste à augmentations de salaire annuelles. Ordinairement, on « remplacer ou compléter le système traditionnel d’aug- proposait aux cadres des grilles ou des matrices d’aug- mentation automatique de la rémunération en fonction de mentations de salaire qui indiquaient quel pourcentage l’ancienneté par un dispositif récompensant les bonnes per- d’augmentation verser à un fonctionnaire selon sa cote formances ». De manière générale, la rétribution des perfor- de performance individuelle et la position de son salaire mances prend la forme soit de compléments s’ajoutant de dans l’échelle salariale (soit son ratio comparatif). On manière permanente au salaire de base, soit de versements calcule le ratio comparatif d’un employé en divisant exceptionnels qui ne s’intègrent pas à la rémunération de son salaire actuel par le salaire correspondant au point base et sont donc ponctuels. La tendance est actuellement à milieu (aussi qualifié de « point maxi-normal » ou « point l’attribution de primes, plus flexibles que les augmentations de contrôle ») de son échelle salariale. Une telle matrice de salaire, le montant des gratifications en fonction des permet d’exercer un suivi de la position concurrentielle des performances représentant ordinairement un pourcentage salaires, de s’assurer du respect des budgets salariaux et de assez modeste du salaire de base. Toujours selon l’OCDE, contrôler les coûts des salaires des fonctionnaires. le montant maximal des primes est généralement inférieur à 10 % du salaire de base quoiqu’il puisse atteindre 20 % pour Depuis 2004, la rémunération en fonction du rende- les cadres et les augmentations au mérite représenteraient ment vise à faire correspondre la rémunération de chaque au maximum 5 % du salaire. Par ailleurs, on constate que employé à la contribution qu’il apporte au service. Ainsi, les systèmes de notation des performances sont plus for- les objectifs fixés aux plus hauts fonctionnaires sont ali- mels et détaillés qu’il y a 10 ans et qu’ils tiennent compte gnés sur les plans stratégiques de leur agence, avant d’être
La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche 77 déclinés pour l’ensemble de la hiérarchie en une cascade conditions d’évaluation, de notation et d’avancement des d’accords ou de programmes dont le but est d’assurer un fonctionnaires. Le « modèle compétence » a été introduit alignement du haut vers le bas (IGPDE, 2009). Dans ce dans la plupart des classifications des emplois et des procé- cadre, l’évaluation des performances peut se traduire par dures d’évaluation des fonctionnaires, dans lesquelles « les une augmentation de salaire ou un montant forfaitaire. La critères relatifs à la personnalité de l’agent, à ses capacités prise en compte du mérite peut aussi signifier qu’un fonc- « professionnelles » prennent une place croissante et déter- tionnaire, promu à une fonction de direction et qui n’atteint minent de plus en plus son avancement, son déroulement de pas des résultats jugés suffisants, risque d’être rétrogradé, carrière et sa rémunération » (Mercier, 2000, p. 4). voire de subir des sanctions pouvant aller jusqu’à l’exclu- Promulguée en 2001 et entrée en vigueur en 2006, la sion de la fonction publique. Loi Organique relative aux Lois de Finances permet d’éla- Finalement, si, aux États-Unis, on a consacré la recon- borer des formes de rémunération individualisées visant à naissance du rendement individuel dans le secteur public promouvoir une gestion orientée sur les résultats dans le surtout en recourant aux augmentations de salaire, on a éga- secteur public. Adopté en août 2006, un autre décret (n° lement octroyé des primes ou des montants forfaitaires en 2006-1019) introduit une « indemnité de performance des sus du salaire de base. directeurs » modulée (en faveur des directeurs d’adminis- trations centrales) qui doit se situer dans la limite de 20 % de leur rémunération globale de base. Cette indemnité est L’ANGLETERRE fonction de la capacité des directeurs à atteindre leurs objec- tifs en tenant compte de leurs actions et de leurs résultats. En 1988, l’Angleterre a été un des premiers pays à accorder Chacun des ministères met en place un comité des rému- des primes à la performance individuelle dans le secteur nérations – composé d’au moins trois membres, dont un public afin de motiver le personnel et d’attirer davantage de membre doit être extérieur à l’administration – « chargé de candidatures du secteur privé. Une prime correspond à un conseiller les ministres sur le montant de cette part variable montant forfaitaire versé en plus du salaire. Au fil des ans, de la rémunération » (IGPDE, 2009, p. 2). la définition de la performance a évolué pour correspondre à un dialogue sur la contribution de la personne – appré- En 2008, la fonction publique française a instauré les ciée par les supérieurs, les pairs et les subordonnés – aux « primes de fonctions et de résultats » (PFR) afin qu’elles résultats collectifs. L’aspect pécuniaire de l’évaluation a se substituent aux multiples régimes d’indemnités existants été relativisé au profit d’une dynamique axée sur le déve- (décret n° 2008-1533 du 22 décembre 2008). Les primes loppement des personnes par la mobilité, la formation et auxquelles était d’abord admissible l’ensemble des corps le coaching. Ainsi, avec les années, un certain nombre de administratifs de l’État (administrateurs, attachés, secré- ministères ont modifié leur programme de primes à la per- taires administratifs, adjoints administratifs) (voir la cir- formance individuelle pour introduire des incitations recon- culaire n° 2184 du 14 avril 2009) ont été subséquemment naissant les résultats d’équipe afin de limiter l’adoption de étendues à la fonction publique territoriale, et notamment comportements individualistes pouvant nuire à l’esprit du aux administrateurs territoriaux, aux attachés territoriaux service public (Pilichowski, 2009). Encore aujourd’hui, le et aux secrétaires de mairie (arrêtés du 9 octobre 2009 et programme de primes à la performance fait l’objet de cri- du 9 février 2011). À terme, les primes de fonctions et tiques. Ainsi, on déplore qu’il impose d’octroyer les cotes de résultats s’appliqueront à l’ensemble du personnel des de performance individuelle selon une distribution particu- trois fonctions publiques. Comme leur appellation le laisse lière. Par exemple, en 2008, il fallait que les cotes de per- entendre, ces primes sont constituées d’une partie qui tient formance se répartissent comme suit : de 20 % à 25 % des compte des fonctions – soit les responsabilités, le niveau employés devaient être « très performants », de 60 % à 70 % d’expertise et les sujétions liées aux fonctions –, mais aussi devaient être « normalement » performants et de 5 % à 10 % des résultats mesurés par l’atteinte d’objectifs préétablis. devaient avoir une performance « insuffisante » (IGPDE, Les montants annuels de référence à verser en primes pour 2009). chaque grade ou emploi visé sont déterminés par un arrêté du ministre chargé de la fonction publique et du ministre chargé du budget fixe (arrêté du 22 décembre 2008). LA FRANCE En conclusion, si l’augmentation des salaires au mérite En France, la rémunération au mérite dans le secteur public a été privilégiée comme forme de reconnaissance dans le est appliquée depuis peu même si elle a été évoquée il y secteur public américain, les primes et le montant forfai- a longtemps. En effet, le décret du 6 août 1945 prévoyait taire au mérite ont été retenus au Royaume-Uni, quoique déjà l’octroi de primes forfaitaires, mais « la politique de certains départements américains aient aussi versé des saupoudrage budgétaire avait progressivement conduit à primes au mérite plutôt que des augmentations de salaire au transformer tous les éléments supplémentaires de rémuné- mérite, voire en plus de ces dernières. Certains organismes ration en indemnités forfaitaires » (Rouban, 2004, p. 804). du secteur public américain et anglais peuvent aussi opter En avril 2002, la France a adopté un décret modifiant les pour diverses approches mixtes, versant des augmentations
78 Management international / International Management / Gestión Internacional, 16 (3) de salaire et des primes en fonction de la performance indivi- attendus sur la motivation des agents dans un centre d’im- duelle. En comparaison, en France, les dispositifs initiale- pôts. En effet, si les salariés adhèrent à l’idée de la rému- ment adoptés pour reconnaître le mérite vont au-delà de la nération des performances et estiment pouvoir atteindre rémunération (primes ou salaires) pour se concrétiser sous le niveau de rendement exigé, la plupart considère que la forme d’indemnités et de promotions. Dans ce pays, les l’atteinte de leurs objectifs n’entraîne pas une récom- mécanismes de reconnaissance de la performance peuvent pense particulière ou entraîne une récompense trop faible donc être plus variés, allant du salaire de base ou de l’avan- pour constituer une incitation suffisante. Des études sub- cement liés aux performances ou aux compétences, à la séquentes menées au sein du service public de l’emploi et modulation des indemnités fonctionnelles suivant les res- de celui des impôts, ainsi que dans des hôpitaux publics et ponsabilités ainsi qu’aux primes basées sur la performance des établissements d’enseignement primaire et secondaire, collective et/ou individuelle (Rouban, 2004). corroborent le fait que si la majorité des agents se disent favorables à la rémunération au mérite, ils ne la trouvent pas incitative (Marsden, 2004; Marsden et French, 1998). Bilan des études sur la rémunération au mérite En outre, plusieurs fonctionnaires jugent que les salaires au dans le secteur public mérite ont un effet délétère sur les relations de travail, aug- mentant les perceptions d’injustice et de favoritisme. Dans Cette partie vise à synthétiser les résultats des études qui la même veine, une enquête réalisée annuellement depuis ont analysé les incidences de la rémunération au mérite 2000 par Industrial Relations Service, un cabinet d’exper- dans le secteur public. Tout d’abord, nous constatons que tise privé, montre que successivement moins de 18 % et le nombre des études sur l’efficacité générale de la rému- 25 % des cadres rapportent que la prime à la performance nération au mérite est peu élevé non seulement dans le sec- les aide à accroître leur performance et à s’engager envers teur public, mais aussi, et paradoxalement, dans le secteur les objectifs collectifs. Selon cette enquête, la majorité des privé où son usage peut être quasi généralisé, notamment en agents publics estime que les cadres ne sont pas suffisam- Amérique du Nord. Il apparaît important d’observer que les ment formés aux techniques d’évaluation de la performance caractéristiques méthodologiques des études sur la rému- et que, pour près de 75 % d’entre eux, les sommes en jeu nération au mérite limitent également la portée de leurs sont trop faibles pour motiver le personnel. résultats, somme toute très mitigés tant pour le secteur privé que pour le secteur public. Nous présentons ici les résultats Dès 2003, Reilly exprime le paradoxe suivant : bien que d’études sur la rémunération au mérite au sein du secteur le gouvernement de l’Angleterre accorde depuis plus de public des États-Unis, de l’Angleterre et de la France, avant 15 ans davantage de latitude aux agences du secteur public d’exposer les résultats de deux méta-analyses (Eisenberg et pour rémunérer les mérites individuels, les structures de Ingraham, 1993; Perry et al., 2009). rémunération n’évoluent quasiment pas. Selon lui, cette absence de prise en compte de la performance dans la ges- tion de la rémunération s’explique par diverses raisons : la LES ÉTUDES MENÉES DANS LE SECTEUR PUBLIC prime de performance est en porte-à-faux avec la loi sur DES ÉTATS-UNIS, DE L’ANGLETERRE ET DE LA FRANCE l’égalité de la rémunération que le secteur public doit res- pecter; il est difficile de savoir ce qu’est une rémunération La plupart des textes qui analysent l’efficacité de la rému- au mérite compétitive dans la mesure où il n’y a pas d’orga- nération au mérite ou qui en proposent une synthèse pour nisation concurrente; les syndicats s’opposent à la rémuné- le secteur public américain ont été publiés à la fin des ration au mérite; les budgets disponibles pour reconnaître la années 1980 et au début des années 1990 (voir les revues performance sont trop faibles; et, enfin, les fonctionnaires de Ingraham, 1993; Kellough et Lu, 1993; Milkovich et craignent le favoritisme et doutent que les cadres aient les Wigdor, 1991 comme membres du National Research compétences pour évaluer les performances. Council; Perry, 1986, 1988, 1992). Ces chercheurs avaient alors pour but d’étudier les retombées du Merit Pay En 2002 ainsi qu’en 2008, la London School of System (appelé par la suite Performance Management and Economics a fait et refait une enquête auprès de 2 500 fonc- Recognition System). Globalement, dès 1983, les cher- tionnaires des impôts sur la rémunération au mérite. Seule cheurs avaient relevé certains problèmes relatifs au Merit une faible part des personnes interrogées estiment qu’elle Pay System (Pearce et Perry, 1983), notamment un budget s’avère être un facteur de motivation et la plupart des répon- insuffisant pour reconnaître le mérite, une iniquité entre les dants pensent qu’elle est un frein à la solidarité au travail. catégories de personnels admissibles à la rémunération au En outre, de nombreux répondants critiquent les modalités mérite, des évaluations de la performance peu valides, des d’attribution des récompenses et l’insuffisance des budgets cotes de performance presque toutes dans la moyenne ou alloués à la rémunération variable (en 2008, un maximum encore surévaluées, une faible variance dans les augmenta- de 8 % du salaire pour les employés les plus performants). tions de salaire au mérite octroyées. En France, les études sur la rémunération au mérite En Angleterre, Marsden et Richardson (1994) ont dans le secteur public sont rares étant donné que celle-ci trouvé que la rémunération au mérite n’a pas les effets vient d’être implantée. L’étude de Karvar et Rouban (2004),
La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche 79 menée auprès de 7 000 cadres français des secteurs privé et Comme ce fut le cas pour nombre d’études antérieures, public, montre que, parmi les cadres dont la rémunération la méta-analyse de Perry et al. (2009) montre aussi que l’ef- est individualisée et en comparaison avec ceux du secteur ficacité de la rémunération variable dans le secteur public privé, les cadres du secteur public : (1) connaissent moins les est fonction de plusieurs facteurs comme la confiance inter- critères d’individualisation en raison d’une gestion moins personnelle, l’ampleur des récompenses, la précision des transparente; (2) sont moins motivés par la partie variable évaluations de la performance, l’engagement dans l’élabo- de leur rémunération puisqu’elle n’est pas suffisante; (3) ration et l’implantation du régime ou la proximité géogra- préfèrent que l’individualisation soit encadrée par des phique des acteurs. Parmi l’ensemble de ces variables, le règles négociées avec les syndicats. Plus récemment, une rôle de l’évaluation de la performance semble prépondé- étude réalisée en France par Buisson (2007) a mis en évi- rant. En effet, de nombreux chercheurs ont constaté que les dence un certain nombre de freins à l’efficacité de la rému- employés du secteur public tendent à penser que leur per- nération au mérite dans les organismes de sécurité sociale : formance est mal évaluée en raison de divers problèmes : une faible variance dans les récompenses, un manque de des erreurs d’évaluation, des critères de performance transparence concernant l’attribution des points au mérite, inadéquats, l’absence de prise en compte de l’effet de un budget trop restreint pour récompenser suffisamment caractéristiques contextuelles sur la performance, le peu les performances, la fixation d’objectifs trop facilement de compétence ou de motivation des cadres quant à l’éva- atteignables, le manque d’expertise ou de compétence des luation des performances (voir notamment Gabris, 1986; superviseurs et des professionnels du service des ressources Gabris et Ihrke, 2000; Gabris et Mitchell, 1986, 1988; humaines, la lourdeur du système et l’absence de prise en Kellough et Selden, 1997). Finalement, cette méta-analyse compte des performances dans les décisions de gestion, etc. révèle que l’efficacité de la rémunération variable dans le Pourtant, selon une enquête IFOP menée en novembre 2008 secteur public est supérieure dans les milieux hospitalier pour Les Échos, 84 % des fonctionnaires sont favorables au et de la santé et moindre dans les milieux financier, légal et fait que l’évolution de la carrière tienne davantage compte de l’éducation. Ses résultats confirment également ceux du de la performance, 49 % sont favorables à ce qu’une partie National Research Council (Milkovich et Wigdor, 1991), à de leur rémunération soit fonction de l’atteinte d’objectifs savoir que, dans le secteur public, les systèmes de rémuné- de performance mais finalement, 60 % et 57 % jugent que ration variable seraient davantage appropriés à des emplois l’évaluation que la hiérarchie fait de leur performance est des premiers niveaux hiérarchiques dont les responsabilités « déconnectée de la réalité de leur travail » et « arbitraire ». sont plus concrètes et mesurables. En résumé, les études sur la rémunération au mérite dans le secteur public ont porté à la fois sur son implan- LES MÉTA-ANALYSES FAITES AUPRÈS DU PERSONNEL tation, sa gestion, son appropriation et ses incidences sur DU SECTEUR PUBLIC DE PLUSIEURS PAYS divers attitudes, comportements et résultats au travail. Tous Dès 1993, une méta-analyse faite par Eisenberg et Ingraham ces éléments sont cependant liés. En effet, pour qu’une sur l’efficacité de la rémunération au mérite dans le sec- telle rémunération soit motivante, il faut que le principe du teur public de divers pays – États-Unis, Canada, Australie, mérite soit accepté et approprié par les différents acteurs Nouvelle-Zélande et Pays-Bas – observait qu’elle se heurte afin qu’elle ait les incidences attendues sur le plan des atti- partout aux mêmes problèmes : l’inflation des cotes de per- tudes, des comportements et des résultats individuels et col- formance, un faible lien entre la performance et la valeur lectifs au travail. de la récompense, le peu d’alignement entre le budget de rémunération variable et la performance collective du sec- teur public, etc. Comparaison avec les études sur la rémunération Récemment, une autre méta-analyse portant sur 57 au mérite dans le secteur privé études réalisées auprès de diverses organisations du secteur Comme bien souvent, la logique de la rémunération au public (Perry et al., 2009) a confirmé que la rémunération mérite dans le secteur public est mise en exergue en réponse variable a une efficacité limitée dans le secteur public. à une tendance issue du secteur privé. Cette section vise à Comme l’ont montré bien des études passées, cette méta- analyser et comparer les études sur le sujet menées dans analyse corrobore le fait que la rémunération variable a des ces deux secteurs. Dans un premier temps, nous synthéti- effets plutôt non statistiquement significatifs et même néga- sons les résultats des études sur la rémunération au mérite tifs sur diverses attitudes des employés du secteur public, menées dans le secteur privé qui, somme toute, s’avèrent notamment leur satisfaction au travail ou face à leur emploi, très mitigés et dépendants de conditions de succès bien par- ainsi que leur perception du lien entre les récompenses et ticulières. Ensuite, nous décrivons les limites méthodolo- la performance (voir, par exemple, Daley, 1987; Dowling giques – qui se révèlent communes – des études qui ont été et Richardson, 1997; Heneman et Young, 1991; Marsden, menées dans les secteurs public et privé. Finalement, nous 2004; Nigro, 1981; Pearce et Perry, 1983; Pearce et al., constatons que, comparé au secteur privé, le secteur public 1985; Perry et al., 1989; Schay, 1988). revêt des particularités contextuelles qui peuvent influer
80 Management international / International Management / Gestión Internacional, 16 (3) sur/avoir un impact non négligeable sur les incidences de la l’impact des facteurs contextuels sur le rendement (l’équi- rémunération au mérite. pement, l’organisation du travail, les collègues, etc.). De fait, on attribue de telles limites à la rémunération de la performance individuelle dans le secteur privé, que cette LES ÉTUDES SUR LA RÉMUNÉRATION AU MÉRITE DANS LE dernière se fasse sous la forme d’augmentations de salaire SECTEUR PRIVE : UN BILAN TRÈS MITIGE ET CONFIRMANT LA ou de montants forfaitaires versés en sus du salaire (primes) PRÉSENCE DE CONDITIONS DE SUCCÈS (St-Onge et Thériault, 2006). Dans le secteur privé de bien des pays, le salaire au mérite Verser des augmentations de salaire au mérite : il est quasi universellement adopté depuis longtemps pour s’agit de reconnaître la performance annuelle des employés gérer les cadres et les professionnels. Malgré tout, les résul- au moyen d’une augmentation de salaire, c’est-à-dire d’une tats des recherches effectuées sur l’efficacité de la rému- récompense à vie (une annuité) qui a des effets cumula- nération du rendement individuel dans le secteur privé tifs, augmente la masse salariale et les coûts des avantages sont peu encourageants et assujettis à un grand nombre de sociaux à long terme. Afin de maîtriser l’augmentation des conditions de succès (voir les revues de Eskew et Heneman, coûts, bien des employeurs établissent leur budget d’aug- 2002; Heneman, 1992; Lowery et al., 1996; Risher, 2008; mentations de salaire en présumant – et en imposant ce St-Onge, 2000; St-Onge et Thériault, 2006; St-Onge et al., fait plus ou moins officiellement – que la distribution des 2007). Globalement, la rémunération au mérite dans le cotes de performance des employés présente une courbe secteur privé se heurte aux mêmes problèmes que dans le normale sans égard à la performance réelle des employés. secteur public : le peu de variance dans les récompenses Le caractère permanent et cumulatif des augmentations versées, le faible lien avec les cotes de performance, le de salaire empêche aussi de verser des augmentations caractère peu significatif des sommes versées, les percep- substantielles aux employés enregistrant les meilleures tions d’injustice à l’égard du processus d’évaluation et des performances, ce qui limite du coup le lien performance- évaluateurs, etc. Toutefois, les employés persistent à vou- récompense et peut avoir un impact démotivant. En effet, loir être payés selon leur rendement individuel et à croire en l’écart est souvent faible (environ 2 %) entre les augmenta- la pertinence de cette formule (Heneman, 2002). tions de salaire accordées aux plus méritants et celles ver- En principe, toutes les parties prenantes admettent sées aux moins méritants. l’idée que les augmentations de salaire doivent être fonc- En pratique, les cadres se sentent souvent obligés d’ac- tion du rendement individuel. En pratique, cependant, le corder une hausse de salaire équivalente à celle du coût de personnel admissible tend à considèrer que son rendement la vie à tous les employés dont la performance est satis- est mal évalué. Les salaires au mérite reposent souvent sur faisante. Ils hésitent aussi à accorder des augmentations des évaluations du rendement faites d’après des critères de salaire importantes aux employés exceptionnels parce inadéquats (non pertinents, subjectifs, etc.) ou par des éva- qu’elles amènent trop vite ces derniers au sommet de luateurs incompétents (méconnaissance du travail, absence leur échelle salariale, ce qui ne laissera plus de marge de de suivi, etc.) ou non motivés à évaluer avec précision les manœuvre pour les motiver. Par ailleurs, ils manquent fré- performances (St-Onge et al., 2009). quemment de fonds pour récompenser significativement les La faiblesse du lien existant entre le rendement et l’aug- employés exceptionnels, et les augmentations de salaire, si mentation de salaire dans un contexte de rémunération au modestes soient-elles, deviennent vite un droit acquis aux mérite tient aussi au fait que les cadres tendent à éviter de yeux des employés. La marge discrétionnaire souvent trop distinguer les cotes de rendement et craignent d’octroyer mince dont disposent les cadres pour différencier les aug- des cotes de rendement faibles (Longenecker et al., 1987) mentations de salaire ne les incite d’ailleurs pas à accorder par peur de créer des dissensions, de nuire aux relations de beaucoup d’attention et de suivi à l’évaluation de la per- travail et de ternir leur image (Heneman et Judge, 2000). formance des employés. Par ailleurs, en matière de rendement, les différences indi- De façon générale, il est rare que la progression sala- viduelles sont difficiles à mesurer et la plupart des supé- riale d’un employé repose uniquement sur les résultats de rieurs hiérarchiques sont réticents à faire des évaluations l’évaluation de sa performance. Les organisations adop- plus négatives. Quel que soit le nombre de critères, il reste tent plutôt des grilles ou matrices qui indiquent aux cadres très difficile de différencier les performances moyennes de quelles augmentations de salaire ils doivent accorder selon la majorité des agents qui réalisent un travail satisfaisant. la cote de la performance de l’employé et son salaire actuel. En somme, on reconnaît souvent dans la rémunération au L’objectif d’une telle matrice est de contrôler les coûts des mérite divers problèmes liés à la mesure du rendement, salaires. Ainsi, à l’intérieur d’une même échelle salariale et tels que la présence d’erreurs d’évaluation (l’erreur de la pour une même cote de performance, plus le salaire actuel tendance centrale, l’effet de halo, les préjugés, les enjeux d’un employé est élevé, moins son augmentation de salaire politiques, etc.), d’indicateurs ou de critères de rende- sera grande. L’adoption de telles grilles réduit le caractère ment inadéquats (subjectifs, manquants, redondants, non incitatif des récompenses, dans la mesure où le lien entre la pertinents, etc.) et l’absence de prise en considération de performance et l’augmentation de salaire n’est pas direct
La rémunération au mérite dans le secteur public : bilan des connaissances et avenues de recherche 81 mais fonction du salaire actuel de l’employé dans l’échelle année leur prime, cette approche est moins susceptible salariale (ratio comparatif). En résumé, malgré la très d’alimenter une mentalité de « droits acquis » parmi le per- grande popularité des salaires au mérite, on lui reproche tra- sonnel que la formule du salaire au mérite. Comparées aux ditionnellement les inconvénients suivants (St-Onge et al., augmentations de salaire au mérite, les primes au mérite 2007, 2009; St-Onge et Thériault, 2006; St-Onge, 2012) : facilitent aussi la gestion et le contrôle des coûts de main- d’œuvre . Elles devraient également permettre d’établir un • c’est une formule coûteuse, dans la mesure où elle recon- lien performance-récompense plus étroit que la formule naît la performance d’une année par l’entremise d’une du salaire au mérite, car leur montant n’est lié, du moins augmentation de salaire (une annuité à long terme) qui officiellement, qu’à la performance des employés. De entre dans le calcul des avantages sociaux (ce qui n’est plus, étant donné que les montants des primes accordées pas le cas d’une prime versée en sus du salaire); aux subordonnés peuvent être élevés et différenciés, les • comme on tient généralement compte de la position de superviseurs subiront une plus forte pression pour mieux l’employé sur son échelle, le lien « rendement – aug- gérer et mieux évaluer la performance de leurs employés. mentation de salaire », un déterminant clé de la motiva- La formule des primes permet aussi d’établir un lien per- tion, est plus faible; formance-récompense plus étroit sachant que leur montant n’est, du moins officiellement, fonction que de la perfor- • de faibles montants d’augmentations de salaire sont mance des employés. Du point de vue des subordonnés, souvent octroyés et qu’il y a peu d’écart (environ 2 %) cette formule est plus risquée sachant que l’obtention entre les augmentations de salaires des meilleurs et des de primes n’est pas garantie d’une année à l’autre, elle moins bons employés; n’améliore pas leurs avantages sociaux et il n’est pas cer- • comme les cadres se sentent souvent obligés d’offrir au tain qu’ils désirent qu’on récompense leur performance minimum l’augmentation du coût de la vie, l’augmenta- en différenciant beaucoup les montants accordés aux uns tion de salaire devient vite un droit acquis aux yeux des et aux autres. Par ailleurs, bien des cadres peuvent aussi employés; préférer la formule des augmentations de salaire parce qu’elle leur permet de manifester leur reconnaissance de la • si l’idée de récompenser la performance peut être par- performance sans faire trop de vagues ou, si l’on préfère, tagée parmi le personnel, ce dernier critique souvent les sans établir de différences notables entre les montants des processus de gestion et d’évaluation du rendement. récompenses octroyées au sein de leur équipe. En effet, si En contrepartie, la formule des augmentations de salaire les montants des primes en jeu sont susceptibles de leur au rendement est souvent appréciée des employés en raison paraître trop élevés, les cadres peuvent craindre que leurs de l’importance du salaire de base dans le calcul de nom- subordonnés exercent une trop forte pression à l’égard breux avantages sociaux (p. ex., assurance-vie, prestations de leur manière de gérer et d’évaluer la performance. de retraite). Par ailleurs, la formule de l’augmentation de Rappelons aussi qu’une variance « réelle » et importante salaire est rassurante : le revenu de l’employé ne peut que dans la performance des membres d’une équipe n’est pas rester stable ou augmenter d’une année à l’autre, il ne peut toujours fréquente et qu’il n’est pas forcément bénéfique pas diminuer. De plus, même si l’expérience indique que la de la créer. variance dans les augmentations de salaire annuelles ver- sées à des employés ayant des rendements très différents LES ÉTUDES SUR LA RÉMUNÉRATION AU MÉRITE DANS LES est souvent peu élevée, il faut penser qu’après plusieurs années, le maintien d’un bon rendement peut valoir le coup SECTEURS PUBLIC ET PRIVE : UNE MÉTHODOLOGIE SEMBLABLE ET TOUT AUSSI QUESTIONNABLE SUR LE PLAN DE LA RIGUEUR (Gerhart et Rynes, 2003). Ajoutons que les employés qui ont de meilleures cotes de rendement sont également plus Force est de constater que tant dans les secteurs public que susceptibles d’être promus. privé, l’efficacité des salaires et des primes en fonction du Verser des primes au mérite : Même si cela est mérite individuel reste une question de foi. En effet, il peut moins fréquent que les augmentations de salaire, un cer- sembler surprenant de constater combien peu de chercheurs se sont penchés précisément sur les incidences des régimes tain nombre d’organisations du secteur privé reconnaissent des salaires et des primes au mérite dans le secteur privé le mérite en accordant des primes, soit un montant forfai- nord-américain, alors que leur adoption y est presque géné- taire versé en sus du salaire. Théoriquement, un régime de ralisée à l’ensemble des professionnels et des cadres et ce, primes comporte des atouts. Il permet l’octroi de montants depuis assez longtemps. En plus d’être peu nombreuses, les appréciables parce que ceux-ci ne sont pas intégrés aux études sur les salaires et les primes au mérite dans les sec- salaires et n’ont par conséquent pas d’incidence sur le teurs public et privé comptent plusieurs limites sur le plan coût des avantages sociaux. Dans ce contexte, les budgets méthodologique qui réduisent la validité et la fiabilité de de primes peuvent être plus importants et offrir aux cadres leurs résultats. une plus grande marge de manœuvre pour accorder aux employés exceptionnels des primes d’une valeur significa- D’abord, la quasi-totalité de ces études a surtout ana- tive. De plus, comme les employés doivent mériter chaque lysé les incidences perçues de la rémunération au mérite
82 Management international / International Management / Gestión Internacional, 16 (3) sur divers attitudes et comportements du personnel (comme comportements et les attitudes, les ont probablement moins la loyauté, l’engagement, la satisfaction, la motivation, les pour mesurer leurs effets sur la performance des organisa- efforts, l’intérêt pour le travail, la performance individuelle, tions des secteurs privé et public. Il faut aussi admettre que l’absentéisme, le roulement, l’intention de quitter l’entre- les critères des revues scientifiques sont tels que les études prise, le nombre de griefs, les communications, la coopéra- dont les résultats confirment la présence d’une relation tion, le climat de travail). Très souvent, de telles perceptions théorique attendue (ici, très souvent les prémisses des théo- sur les incidences de la rémunération au mérite ont été col- ries de la motivation) ont plus de chances d’être publiées ligées en interrogeant les dirigeants (souvent, les premiers que les autres. responsables RH qui sont plus susceptibles d’être positifs En conclusion, compte tenu la grande variété des inci- pour rationaliser leur décision d’adopter un tel régime) ou les cadres et moins fréquemment, le personnel. En effet, dences étudiées, il reste difficile de tirer des conclusions dans bien des cas, ce sont des cadres qui transmettent le « dans l’absolu » au sujet de l’efficacité d’un régime de la jugement de leurs employés sur le régime de rémunération rémunération au mérite dans les secteurs public et privé. au mérite. Dans la grande majorité des cas, les perceptions Par contre, comme pour tout autre programme de rému- de ces personnes étaient recueillies au moyen de question- nération variable, il n’est peut être pas vraiment important naires remplis sur une base volontaire (sachant que les per- de se demander si la rémunération au mérite est efficace, sonnes qui acceptent de répondre tendent à se montrer plus puisque la réponse est : cela dépend ! Il faut plutôt poser les favorables) ou encore, quoique beaucoup plus rarement, questions suivantes : quels facteurs influent sur le succès dans le cadre d’entrevues. à long terme de la rémunération au mérite ? Qu’est-ce qui rend ces régimes plus ou moins efficaces ou les fait per- Par ailleurs, dans la quasi-totalité des cas, les effets cevoir comme étant plus ou moins efficaces ? En plus de (perçus ou objectifs) à long terme des participants (avant et cela, efficaces selon quelle définition et aux yeux de quels après l’adoption du programme de rémunération au mérite) acteurs ? ne sont pas comparés et dans certains cas, les résultats s’appuient sur des analyses comparant la distribution des réponses sans qu’un test statistique soit effectué. De plus, en LA RÉMUNÉRATION AU MÉRITE : LES DÉFIS PARTICULIERS analysant les incidences de la rémunération au mérite, bon À RELEVER DANS LE SECTEUR PUBLIC nombre de chercheurs ne contrôlent pas les effets d’autres caractéristiques contextuelles, comme la taille et l’âge de Parmi les facteurs pouvant avoir une influence sur l’effica- l’organisation, le secteur d’activité, le style de gestion, la cité et l’incidence de l’implantation de la rémunération au culture de gestion, la forme de récompense versée (aug- mérite, il semble que l’appartenance de l’organisation au mentation de salaire, prime) ou encore, le caractère sélectif secteur public ou au secteur privé joue un rôle prépondé- ou non sélectif des régimes (c’est-à-dire s’ils sont offerts rant. En effet, l’adoption de la rémunération au mérite dans aux dirigeants, aux cadres ou à l’ensemble du personnel). le secteur public repose souvent sur le présupposé qu’il faut gérer la fonction publique comme le secteur privé si l’on Par ailleurs, une corrélation positive entre la présence veut en améliorer la performance. Toutefois et tel qu’ex- de la rémunération au mérite et diverses mesures de perfor- primé dans la citation suivante, il importe de reconnaître mance ou diverses attitudes n’explique en rien le sens de la que les contextes de gestion qu’on observe dans les secteurs causalité. De fait, comme la quasi-totalité des chercheurs public et privé diffèrent à plusieurs égards. n’ont pas adopté une approche comparative et/ou longi- tudinale, ils ne peuvent comparer les incidences des pro- « Staff often does not have the same clear goals as those grammes de rémunération au mérite « avec et sans » régime in the private sector with too many conflicting priori- de rémunération au mérite1 ou encore « avant et après » ties through trying to serve too many masters. It is not l’implantation de ce mode de rémunération. easy to incentivize the police to catch more criminals, Customs and Excise officers to increase their detection Notons aussi que les chercheurs sont généralement des rate, or ambulances to get to accidents more quickly. universitaires ou des consultants participant à l’implanta- A target can be set, but care needs to be taken over the tion des régimes de rémunération au mérite, ou des per- process of reaching the goal. The public might com- sonnes travaillant pour un organisme dont la mission est de plain about over-enthusiastic police, customs officers, promouvoir leur adoption. Ils croient donc aux vertus de or ambulance drivers » (Reilly, 2003, p. 249) ces régimes et, dans plusieurs cas, ont intérêt à ce que leur étude confirme leurs croyances. Il est alors difficile d’éva- Comme l’ont fait ressortir des auteurs, des caractéris- luer l’objectivité de leurs résultats. En outre, les chercheurs tiques propres au secteur public peuvent aider à comprendre sont généralement des psychologues ou des spécialistes les résultats mitigés de la rémunération du mérite dans le du comportement organisationnel qui, bien qu’ils aient secteur public. Selon St-Onge et Thériault (2006), l’aligne- les compétences pour évaluer l’effet des régimes sur les ment des performances individuelles sur la performance 1. Les résultats des organisations qui ont adopté ce régime ne sont pas de contrôle), ou, s’il y a comparaison, la différence n’est pas testée comparés avec les résultats de celles qui n’ont pas de régime (groupe statistiquement.
Vous pouvez aussi lire