La théorie de l'évolution : savoir et croyance
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La théorie de l’évolution : savoir et croyance La distinction entre savoir et croyance dans l’enseignement de la théorie de l’évolution : étude des programmes et des manuels scolaires de SVT RÉSUMÉ Dans cet article, nous nous proposons d’étudier la prise en compte de la distinction entre savoir et croyance dans les nouveaux programmes (2015 et 2019) et les manuels scolaires de SVT. En ef- fet, le travail de cette démarcation pourrait aider certains élèves à dépasser les confusions qu’ils expriment entre savoir et croyance lorsqu’il s’agit de travailler sur la théorie de l’évolution. Notre analyse montre que les programmes du cycle 4 et du lycée insistent sur la distinction entre savoir et croyance, mais ne l’opérationnalisent pas clairement pour les enseignants. De plus, les manuels du cycle 4 révèlent une diversité dans le contenu des pages concernées ce qui témoigne de la complexi- té de l’étude. Toutefois, les enjeux semblent moins importants dans les manuels du lycée où cette distinction n’est pas transposée lorsque la théorie de l’évolution est étudiée. Cette hétérogénéité pourrait poser des difficultés aux enseignants qui peuvent s’appuyer sur ces différentes ressources. Hanaà CHALAK MOTS CLÉS : Maîtresse de conférences, Université de Nantes, Inspé, savoir, croyance, théorie de l’évolution, enseignement, CREN, sciences de la vie et de la Terre Marco BARROCA-PACCARD Docteur en sciences, CREN, Université de Québec en Outaouais 124 / Ressources n°23 // mars 2021
La théorie de l’évolution : savoir et croyance INTRODUCTION de l’évolution pose bien des diffi- cultés aux enseignants. Face à ces Les programmes de sciences de difficultés, les enseignants peuvent la vie et de la Terre (SVT) abordent se référer à différentes ressources. de nombreux thèmes qui peuvent Les programmes scolaires récents être polémiques notamment l’évo- (M.E.N. 2015, 2019a, b et c) et les ma- lution des êtres vivants. Les ensei- nuels scolaires intègrent ceci en sou- gnants de SVT sont ainsi confrontés lignant l’importance pour les élèves à l’expression, par certains élèves, de différencier croyance et savoir de croyances religieuses opposées à scientifique, et les enseignants pour- la théorie de l’évolution des espèces rait y trouver des éléments d’appui. ce qui remet en cause la légitimité Cependant au-delà de cette prise en d’un savoir scolaire validé (Alpes & compte, il importe de mieux com- Barthes, 2013). On peut considérer prendre quels éléments apportent que les élèves concernés ne diffé- les programmes et les manuels. Ceci rencient pas la croyance qui peut se nous a conduit à nous demander fonder « sur une intuition, un senti- comment ces nouveaux programmes ment, une intime conviction ou en- opérationnalisent-ils la distinction core sur la confiance ou l’autorité ac- entre savoir et croyance ? Comment cordée à une personne (…) » (Wolfs, cette distinction est-elle présentée 2013, p. 41) du savoir scientifique qui et travaillée dans les manuels sco- est fondé « sur la raison, la démons- laires ? Avant de répondre à ces ques- tration, la preuve, c’est-à-dire sur tions et de proposer une analyse des des arguments que l’on doit pouvoir programmes et des manuels de SVT, communiquer et justifier, dont on doit nous nous attardons sur l’interven- pouvoir rendre compte publiquement, tion des croyances religieuses dans afin qu’ils soient examinés, débattus l’enseignement et l’apprentissage de et mis à l’épreuve par d’autres, (…) » la théorie de l’évolution puis discu- (Wolfs, 2013, p. 41). Pour remédier à tons la distinction entre savoirs évo- cela, certains enseignants mettent lutionnistes et croyances religieuses. en place des débats pour aider les élèves à dépasser l’opposition entre arguments scientifiques et création- LA PRISE EN COMPTE DES nistes, débats dans lesquels chacun CROYANCES RELIGIEUSES DANS reste sur sa position sans prendre L’ENSEIGNEMENT ET en compte les arguments des uns et L’APPRENTISSAGE DE LA THÉORIE des autres (Fortin, 2014). Ces débats DE L’ÉVOLUTION ont cependant une faible efficacité pédagogique, probablement parce A la suite des études menées sur le que, selon C. Fortin (ibid.), la ges- positionnement des élèves entre le tion des croyances religieuses des registre explicatif scientifique et les élèves n’est pas prise en compte par croyances religieuses, J.-L. Wolfs le curriculum. D’autres enseignants (2013) constate qu’il peut être conçu traitent la question d’un point de vue de six manières possibles : le rejet de uniquement scientifique sans abor- la science au nom de conceptions fi- der la question des croyances en se déistes, le concordisme classique ou référant à une neutralité des savoirs inversé, l’autonomie de la science, et au principe de laïcité (Fortin, 2014 ; la complémentarité et les critiques Urgelli, Guelladress & Quentin, 2018). rationalistes à l’égard de croyances Cette position ne fait cependant que religieuses. Dans le cas du concor- mettre à distance les croyances, mais disme (croyants évolutionnistes), la ne permet pas aux élèves de différen- confusion des registres « constitue cier leurs croyances du savoir scien- un obstacle épistémologique fort, car tifique. il va de soi que, quand le professeur Ainsi, l’enseignement de la théorie de sciences de la vie et de la Terre Ressources n°23 // mars 2021 / 125
enseigne la sélection naturelle, il seignement de la théorie de l’évolution n’enseigne pas seulement un méca- pour déstabiliser l’obstacle de l’amal- nisme de transformation du vivant. Il game des référentiels argumentatifs enseigne aussi une explication non scientifiques et religieux. Cette ré- téléologique de l’histoire du vivant. flexion permettrait d’initier les élèves Explication qui ne peut pas laisser aux « critères de scientificité » (ibid.) insensibles les élèves créationnistes de cette théorie et à sa méthodologie. (…) » (Fortin, 2014, p. 76). G. Lecointre (2009, p. 11) promeut de Or, le créationnisme, qui regroupe même une approche épistémologique l’ensemble des courants qui s’op- de l’évolution : « mieux comprendre posent à la théorie de l’évolution en la démarche scientifique pour mieux s’appuyant sur des considérations comprendre l’évolution ». religieuses, est un obstacle majeur à l’appropriation des concepts évo- lutionnistes. Pour les créationnistes, LA DISTINCTION ENTRE LES l’une des « preuves » que l’évolution SAVOIRS ÉVOLUTIONNISTES ET n’existe pas, c’est que l’on n’assiste LES CROYANCES RELIGIEUSES DU à aucun changement des animaux POINT DE VUE DES SCIENTIFIQUES et végétaux d’un jour à l’autre, ni ET DES CHERCHEURS EN même au cours d’une vie humaine. ÉDUCATION Pour éviter cette dérive de la pensée, G. Lecointre (2012, 2018) insiste sur La question de la séparation des re- l’importance de réhabiliter le contrat gistres scientifiques et religieux ne méthodologique des chercheurs. Il fait pas consensus chez les évolu- rappelle que la théorie contempo- tionnistes. En effet, pour S.-J. Gould raine de l’évolution est le cadre théo- (1997), le domaine de la science et de rique dont les scientifiques disposent. la religion ne doivent pas se recouvrir. Il a été élaboré, testé, modifié, affiné Il s’agit du principe de non-recouvre- par la communauté et s’avère, encore ment des magistères « NOMA » aujourd’hui, le plus cohérent pour (Non-Overlapping Magisteria) qui re- penser la biologie, la paléontologie et joint la position adoptée dans les pro- l’anthropologie. grammes scolaires actuels concer- Si la théorie de l’évolution n’est plus nant la distinction entre savoirs et une question scientifiquement vive, croyances. Cependant, d’autres évo- car elle est acceptée par la majorité lutionnistes ont un point différent. des scientifiques, elle demeure tou- Dawkins (2006), dans un ouvrage in- jours une question socio-scientifique titulé The God Delusion, considère que vive (Fortin, 2014 ; Urgelli et la science doit intervenir et se pro- al., 2018). Pour enseigner noncer par rapport à l’existence de Une réflexion épistémologique et l’évolution en assumant les Dieu. G. Lecointre (2009) se prononce historique pourrait aider les élèves croyances religieuses des lui en faveur d’une « acceptation de à dépasser l’amalgame entre le élèves sans remettre en discuter en cours de sciences et de registre scientifique et religieux.. cause le principe de laïci- philosophie, dans le cadre de la ra- té, C. Fortin (2014) propose tionalité scientifique, d’épistémologie des pistes curriculaires et suggère sociale et de croyances, afin de diffé- d’éviter la bipolarisation science vs re- rencier les argumentaires création- ligion ou évolution vs croyance. « Une nistes et évolutionnistes » (Urgelli, piste possible serait un enseigne- 2012, p. 173). ment du fait religieux par contextua- Du point de vue des chercheurs en lisation du savoir enseigné au travers éducation, B. Urgelli (2012) défend de certaines controverses socio-his- l’idée « que l’exclusion de toute consi- toriques » (ibid., p. 76). S. Aroua, dération à l’égard des fondements M. Coquidé et S. Abbès (2009) pro- idéologiques du créationnisme ne posent ainsi d’intégrer une réflexion permet pas aux élèves de comprendre épistémologique et historique à l’en- les particularités et l’importance des 126 / Ressources n°23 // mars 2021
La théorie de l’évolution : savoir et croyance réponses scientifiques apportées à l’enseignant. En effet, si les registres la question des origines de l’Homme argumentatifs du cadre religieux et du et de la vie » (ibid., p. 167-168). Nous cadre scientifique peuvent être distin- rejoignons ce positionnement et nous gués, le risque est de penser que les pensons que l’évitement et la neutra- explications ne sont pas scientifiques lisation ne sont pas forcément favo- dès que la religion est présente et rables au développement de l’esprit d’encourager l’opposition « problé- critique des élèves. Bien au contraire, matisation religieuse / problémati- dans une perspective de construction sation scientifique » (Chalak & Rou- du savoir scolaire, la dimension pro- quet, 2020). Il est nécessaire pour les blématique est essentielle et la place élèves de savoir à la fois distinguer et de la critique une nécessité. articuler les jeux de langage qui inter- Par ailleurs, les rapports entre la fèrent dans le traitement de la ques- science et la religion sont complexes tion (Fabre, 2016). L’enjeu principal et leur distinction n’est pas aussi est de développer chez eux une pos- simple qu’on pourrait le ture réflexive critique sur les sciences croire. Bien que certaines (Mattews, 2012) en particulier sur les Ce travail de délimitation des positions religieuses rapports complexes entre sciences et champs de la science et de la adoptent le fixisme, la té- religions. Ceci nous conduit à nous croyance appelle une vigilance léologie et la centration intéresser à l’étude de cette distinc- épistémologique de la part de sur l’homme, cela ne signi- tion dans les programmes et les ma- l’enseignant. fie pas que les personnes nuels scolaires de SVT. religieuses ne peuvent pas accepter la théorie de l’évolution. On peut être évolutionniste et croyant en LA DIFFÉRENCIATION ENTRE distinguant bien les deux registres de SAVOIRS ET CROYANCES DANS LE la croyance et de la science. Teilhard CADRE DE L’ENSEIGNEMENT de Chardin (1881-1955), par exemple, ACTUEL DE LA THÉORIE DE est scientifique quand il publie ses dé- L’ÉVOLUTION couvertes sur le sinanthrope et théo- logien quand il problématise l’évolu- Nous avons analysé les programmes tion de façon religieuse en la centrant de SVT du cycle 4 et du lycée en re- sur l’homme et en faisant du divin le pérant d’abord, par une recherche de point Oméga de l’évolution. Toute- mots-clés, les termes « savoir » et fois, le rôle de l’idéologie, affirme G. « croyance ». Puis, nous avons étudié, Canguilhem (1966), n’est pas forcé- dans chaque programme, les conte- ment négatif dans le travail des cher- nus des thèmes relatifs à l’évolution cheurs. Dans l’histoire des sciences, (« Le vivant et son évolution » au cycle nous pouvons citer Linné (1707-1778) 4 ; « La Terre, la vie et l’organisation qui a fait référence à Dieu dans ses du vivant » en seconde et première travaux sans que cela masque ses générale). Concernant les manuels apports scientifiques puisqu’il a éta- scolaires, nous avons étudié les pages bli les règles d’une nomenclature consacrées à la compétence « dis- binomiale : « chaque espèce est dé- tinguer ce qui relève d’une croyance signée par deux noms latins, celui de ou d’une idée et ce qui constitue un l’espèce proprement dite et celui du savoir scientifique » (M.E.N., 2015, genre auquel elle appartient » (Mo- p.342) pour voir comment ces ma- range, 2016, p. 96). Selon le cadre nuels proposent de la travailler. théorique de la problématisation des Lorsque cette compétence n’était pas savoirs (Fabre, 2016) dans lequel clairement exprimée dans les ma- nous nous situons, ce travail de déli- nuels, nous nous sommes intéressés mitation des champs de la science et à l’ensemble des pages consacrées de la croyance est intéressant, mais à la théorie de l’évolution afin de re- compliqué à la fois et appelle une vi- pérer si la distinction entre savoir et gilance épistémologique de la part de croyance est travaillée et de quelle Ressources n°23 // mars 2021 / 127
manière. L’objectif de l’ensemble de et c). Toutefois, comme pour le cycle ces analyses est d’étudier les « sa- 4, elle n’est pas remobilisée dans la voirs à enseigner » (Chevallard, 1998) présentation des thématiques à abor- disponibles à travers les programmes der. Par ailleurs, les programmes et les manuels scolaires concernant d’enseignement scientifique de pre- la distinction entre savoir et croyance. mière générale (M.E.N, 2019b) pré- cisent que l’un des objectifs généraux Dans les programmes de SVT du cy- de la formation est de cle 4 et du lycée En SVT, l’une des compétences men- Comprendre la nature du savoir scien- tionnées dans l’introduction des pro- tifique et ses méthodes d’élaboration. grammes du cycle 4 est celle de « dis- Le savoir scientifique résulte d’une tinguer ce qui relève d’une croyance construction rationnelle. Il se distingue d’une croyance ou d’une opinion. Il s’ap- ou d’une idée et ce qui constitue un puie sur l’analyse de faits extraits de la savoir scientifique » (M.E.N., 2015, réalité complexe ou produits au cours p.342). Cette compétence est égale- d’expériences. Il cherche à expliquer ment reprise dans les nouveaux pro- la réalité par des causes matérielles. » grammes du lycée (M.E.N., 2019 a, b (ibid., p. 2) et c). Cependant, lorsque nous regar- dons de plus près comment la théorie Nous voyons ici que les savoirs et de l’évolution est présentée dans les leurs caractéristiques sont valorisés programmes du cycle 4, la référence alors que ce qui les différencie des aux croyances, aux opinions et aux dé- croyances n’est pas présenté. De plus, bats n’apparaît étonnement pas dans il est demandé aux enseignants du ly- la présentation du thème 2 « Le vivant cée de SVT en première spécialité de et son évolution ». Ces programmes « Participer à la formation de l’esprit proposent aux enseignants de convo- critique » (MEN, 2019c, p.2). Une jus- quer l’histoire des sciences pour que tification étant portée dans le préam- l’élève puisse situer l’évolution des bule : « l’exercice de l’esprit critique connaissances dans un contexte his- est particulièrement nécessaire face torique et technique sans d’autres à la quantité croissante de mises en précisions. Cette référence à l’his- question des apports des sciences ». toire des sciences est probablement Le développement de l’esprit critique considérée comme un moyen de re- permettrait ainsi aux élèves de distin- trouver certains débats y compris guer notamment ce qui relève de la ceux mettant en jeu des croyances. science et de la religion. Ainsi, nous pouvons dire que ces pro- Nous pouvons voir que la dimension grammes n’opérationnalisent pas de scientifique est assez présente dans façon claire la différenciation entre les programmes scolaires, mais il croyance et science. Fortin (2014, p. n’est jamais question de religion dans 72) disait déjà que « les objectifs cur- le cas de l’enseignement de la théo- riculaires étant fondés sur une exi- rie de l’évolution. La croyance et le gence de formation scientifique des savoir sont opposés et la neutralité élèves, la gestion des croyances reli- est vue comme un moyen d’évitement gieuses en classe n’est pas prise en des discussions sur des propositions compte par le curriculum » et c’est différentes entre science et religion. effectivement le cas dans les pro- Pourtant de nombreuses discussions grammes du cycle 4 en SVT. peuvent permettre aux élèves de dé- Les nouveaux programmes de SVT du velopper une réflexion critique sur les lycée (de seconde et de première gé- rapports entre sciences et religion nérale en vigueur à la rentrée 2019- dans l’histoire des sciences. Les ma- 2020) mentionnent qu’il est égale- nuels scolaires peuvent présenter une ment nécessaire de travailler cette opérationnalisation des programmes compétence en classe de seconde et plus facilement accessibles pour les de première générale (M.E.N., 2019a enseignants. Dans la suite de ce tra- 128 / Ressources n°23 // mars 2021
La théorie de l’évolution : savoir et croyance vail nous allons analyser comment tions consultées. Si nous prenons par cette compétence est présentée dans exemple les pages de l’édition Ma- les manuels du cycle 4 et du lycée. gnard (2017) (extrait en figure 1), nous Nous présentons d’abord l’analyse pouvons remarquer que le terme des manuels du cycle 4 puis celle du « croyance » n’est pas mentionné lycée. alors qu’il figure dans la compétence évaluable de l’activité. Cette dernière Dans les manuels du cycle 4 suggère aux élèves de montrer, à par- Nous nous limitons ici à l’analyse de tir de l’étude des documents, que la trois éditions de manuels de SVT du théorie de l’évolution est un savoir cycle 4 (Hatier, 2016, Belin et Ma- scientifique qui s’appuie sur de nom- gnard, 2017). Nous nous sommes in- breux faits. En réalisant ce travail, les téressés, dans les manuels étudiés, élèves vont pouvoir justifier directe- aux pages qui concernent la compé- ment que la théorie de l’évolution est tence « distinguer ce qui relève d’une un savoir scientifique et indirectement croyance et ce qui constitue un sa- qu’il ne s’agit pas d’une croyance. No- voir scientifique » pour analyser leur tons que le mot « théorie » est men- contenu et les termes utilisés. Notre tionné ici alors que ce n’est pas le cas étude révèle que le travail de différen- dans les autres pages de ce manuel ciation entre savoir et croyance est ni dans les autres éditions consultées réalisé différemment selon les édi- comme nous le verrons plus tard. FIGURE N°1 Extrait du manuel de SVT, cycle 4, édition Magnard (2017) p. 282 Manuel de SVT, cycle 4, © éditions Magnard, 2017, p. 282. p. 287 Manuel de SVT, cycle 4, © éditions Magnard, 2017, p. 287. Ressources n°23 // mars 2021 / 129
Lorsque nous nous intéressons à s’agit de justifier, par des arguments l’édition Belin (2017), nous remar- tirés à partir des documents, que quons que le terme « croyance » est l’évolution biologique est prouvée et cité dans l’activité ainsi que dans le qu’il s’agit d’un fait scientifique dé- bilan (voir extrait en figure 2). La fi- montré. Cependant, c’est l’ « évolu- gure de l’activité en question (p.308) tion » biologique qui est évoquée et présente précisément les relations non plus la « théorie » de l’évolution. entre savoir, opinion et croyance. Il FIGURE N°2 Extrait du manuel de SVT, cycle 4, Belin : éducation, 2017 p. 308 p. 310 Quant à l’édition Hatier (2016) (fi- « croyance » n’est pas employé mais gure 3), la compétence est nommée : les textes évoquent bien la « théorie » 1. La notion de croyance sera trai- « Distinguer faits scientifiques et de l’évolution1. Cependant, nous pou- tée de manière plus explicite dans croyances ». Ici, les « faits scienti- vons signaler que la formulation de la « Mon carnet de réussite SVT 5e fiques » viennent remplacer les « sa- compétence a été modifiée dans l’édi- 4e 3e » que ces éditions publieront au printemps 2021. voirs scientifiques ». La distinction tion Hatier (2017). Les « faits scien- entre faits et croyances se fait par tifiques » ont été remplacés par le des arguments scientifiques tirés à « savoir scientifique » partir des documents proposés dans l’activité. Dans cette édition, le terme 130 / Ressources n°23 // mars 2021
La théorie de l’évolution : savoir et croyance FIGURE N°3 Extrait du manuel de SVT, cycle 4, Hatier, 2016 p. 213 © Frédérique Labaune © Dale Darwin p. 214 Le tableau 1 ci-dessous résume éditions de manuels de SVT au cycle les analyses menées dans les trois 4. TABLEAU N°1 Termes présents ou absents dans les activités proposées par les trois éditions de manuels de SVT du cycle 4 concernant la compétence « distinguer ce qui relève d’une croyance ou d’une idée et ce qui constitue un savoir scientifique » Théorie de Évolution Savoirs Faits Croyances l’évolution biologique scientifiques scientifiques Magnard (2017) X - X X Belin (2017) - X X X Hatier (2016) X - X Ressources n°23 // mars 2021 / 131
Nous pouvons ainsi constater que nous avons retrouvé dans ces ma- ces éditions présentent de façon nuels, un travail autour de la distinc- différente la distinction entre une tion entre savoir et croyance lorsqu’il croyance et un savoir scientifique. La s’agit d’étudier l’histoire de l’âge de théorie de l’évolution, lorsqu’elle est la Terre. La théorie de l’évolution est considérée comme « théorie », y est évoquée, car l’évolution des êtres vi- présentée comme appuyée sur des vants, selon Darwin, nécessite un faits voire comme un fait en tant que temps plus long que celui proposé tel. Comme dans les programmes, à l’époque par les physiciens. Ainsi, les savoirs et leurs caractéristiques nous avons retrouvé dans l’unité inti- sont valorisés dans les manuels de tulée « le premier calcul du rayon de SVT du cycle 4 alors que ce qui les la Terre » de l’édition (Belin, 2019, p. différencie des croyances n’est pas 131) le même schéma que celui de la présenté. Qu’en est-il des manuels figure 2 concernant les différences de SVT du lycée ? entre savoir scientifique, croyance et opinion. De plus, l’édition Hatier Dans les manuels du lycée (2019, p. 153) propose aux élèves de Nous nous intéressons, dans cette travailler autour de la distinction sa- étude, aux manuels de SVT de la voir et croyance en discutant ce qui classe de seconde ainsi qu’à ceux différencie les démarches de James de l’enseignement scientifique en Ussher (archevêque anglican) et de classe de première générale. En ef- Buffon (scientifique) qui proposent fet, la théorie de l’évolution n’est pas toutes les deux un âge de la Terre en étudiée en tant que telle dans les pro- utilisant une méthode différente. grammes de SVT de première géné- Nous pouvons dire à partir de l’étude rale (spécialité). des manuels du lycée que le travail En classe de seconde, nous avons de la compétence « savoir distinguer analysé les pages de trois manuels une croyance ou une idée et un sa- (Belin, Hatier et Hachette, 2019) voir scientifique » n’est pas transposé consacrées à la « Biodiversité, résul- en lien avec l’étude de la théorie de tat et étape de l’évolution » dans le l’évolution comme nous l’avons vu en thème « La Terre, la vie et l’organi- classe de seconde. Cependant, cette sation du vivant ». Nous n’avons pas distinction est étudiée dans l’ensei- repéré de façon claire, comme c’était gnement scientifique en classe de le cas dans les manuels du cycle 4, la première générale en lien avec l’his- compétence que nous étudions. Il est toire de l’âge de la Terre. Si nous surtout proposé aux élèves de : « Si- comparons avec les manuels du cycle tuer dans le temps quelques grandes 4, nous pouvons remarquer que les découvertes scientifiques sur l’évolu- enjeux de la différenciation entre sa- tion » en étudiant comment la théorie voir scientifique et croyances sont vi- a été construite historiquement. Ain- siblement plus importants au collège si, la compétence « savoir distinguer qu’au lycée en lien avec l’étude de la ce qui relève d’une croyance ou d’une théorie de l’évolution. opinion et ce qui constitue un savoir scientifique » (M.E.N. 2019a, p. 2) n’est pas évoquée alors qu’elle figure bien CONCLUSION dans l’introduction des programmes de la classe de seconde, sans être Nous avons souhaité questionner la remobilisée dans la présentation des prise en compte de la différencia- thématiques, comme nous l’avons tion entre savoir et croyance dans les déjà évoqué dans le paragraphe 3.1. nouveaux programmes et les ma- Concernant l’enseignement scien- nuels scolaires de SVT. Notre analyse tifique en classe de première géné- montre que les programmes du cycle rale, la théorie de l‘évolution n’est 4 et du lycée insistent sur cette dis- pas directement travaillée. Toutefois, tinction, mais ne l’opérationnalisent 132 / Ressources n°23 // mars 2021
La théorie de l’évolution : savoir et croyance pas de façon claire pour les ensei- et croyance ne paraît pas si simple et gnants. De plus, on peut voir dans les cela peut poser un certain nombre de manuels du cycle 4 une diversité dans difficultés aux enseignants de SVT, le contenu des pages consacrées au d’où la nécessité de questionner tous travail de cette compétence. Les sa- ces éléments en formation. De plus, voirs scientifiques sont valorisés dans nous pensons que c’est par la for- les programmes et les manuels et mation à l’intégration d’une réflexion c’est en identifiant ce qui caractérise épistémologique et historique dans les savoirs que les élèves devraient l’enseignement et l’apprentissage pouvoir les différencier des croyances. que les enseignants pourraient ai- On peut se demander si la valorisa- der les élèves à travailler sur les cri- tion des savoirs scientifiques et la tères de démarcation entre science mise à distance du mot « théorie » et croyance. Celle-ci peut être effec- peuvent suffire à distinguer croyance tivement très délicate pour certains religieuse et savoir scientifique dans élèves lorsqu’il s’agit de travailler le cas de l’enseignement de la théorie sur la théorie de l’évolution (Cha- de l’évolution. Cependant, les enjeux lak & Rouquet, 2020). Par ailleurs, semblent moins importants dans les nos résultats nous amènent à poser manuels du lycée où cette distinction la question de la transposition di- n’est pas transposée lorsque la théo- dactique de ce « savoir à enseigner » rie de l’évolution est étudiée. en « savoir enseigné » (Chevallard, Ce travail d’analyse montre que les 1998) dans les classes par les ensei- ressources fournies aux enseignants gnants débutants et expérimentés. par les programmes officiels et les Quelles difficultés rencontrent-ils manuels scolaires restent hétéro- sachant que les instructions ne sont gènes et laissent aux enseignants un pas claires à ce sujet ? Comment tra- travail d’opérationnalisation impor- vaillent-ils réellement la distinction tant à réaliser. La distinction science entre savoirs et croyances ? BIBLIOGRAPHIE Alpe, Y. & Barthes, A. (2013). De la question socialement vive à l’objet d’enseignement : comment légitimer des savoirs incertains ? Les dossiers des sciences de l’éducation, 29, 33-44. Aroua, S., Coquidé, M. & Abbès, S. (2009). Overcoming the effect of the socio- cultural context: Impact of teaching evolution in Tunisia. Evolution : Education and Outreach, 2(3), 474-478. Canguilhem, G. (1966). Le normal et le pathologique. Paris : PUF. Chalak, H. & Rouquet, F. (2020). La démarche épistémologique et historique dans l’enseignement de la théorie de l’évolution : Etude de positionnements d’élèves du secondaire lors d’une séquence de SVT. Dans M. Fabre & C. Chauvigné (Eds.), L’éducation et les Lumières. Enjeux philosophiques et didactiques contemporains (p.137-153). Dijon : Raisons et passions. Chevallard, Y. (1998). La transposition didactique : du savoir savant au savoir enseigné. Grenoble : La pensée Sauvage. Dawkins, R. (2006). The God Delusion. Bantam Books. Fabre, M. (2016). Le sens du problème problématiser à l’école ? Louvain-la-Neuve: De Boeck. Ressources n°23 // mars 2021 / 133
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