La Vie économique Plateforme de politique économique - Die Volkswirtschaft

 
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93e année   N° 7 / 2020 Frs. 12.–

             La Vie économique
                            Plateforme de politique économique

         ENTRETIEN                      DOSSIER          UN CERTAIN REGARD                  L’ÉCONOMIE EN BREF
La qualité, la naissance et la       La concurrence       Le rôle de docteur                   La croissance et
 mort vues par le directeur        internationale sous     des économistes                      la conjoncture
   d’hôpital Gregor Zünd                 la loupe                52                                     54
             28                            33

                                 L’ÉVÉNEMENT
                      Prendre le pouls des
                        coûts de la santé
La Vie économique Plateforme de politique économique - Die Volkswirtschaft
ÉDITORIAL

Si seulement c’était simple
          Avez-vous vu le montant inscrit sur le stéthoscope en couverture ? C’est le coût annuel
          de la santé en Suisse, soit plus de 12 % du produit intérieur brut. Seuls les États-Unis
          dépensent davantage.
          En Suisse, une personne sur douze travaille dans le domaine de la santé. Aucun autre
          secteur ne pourvoit autant d’emplois. Certains de ceux qui peinent à s’acquitter de
                                        leurs primes d’assurance-maladie gagnent donc leur
                                        vie dans cette branche. Accepteraient-ils une baisse de
                                        leur revenu ou, en tant que patients, un catalogue de
                                        prestations moins fourni ? Et qui serait prêt à renoncer
                                        à une médecine de pointe et de proximité ? Tout cela a
                                        un coût.
                                          L’augmentation des dépenses de santé étant appelée à
                                          se poursuivre, le Parlement examine actuellement un
                                          premier volet de mesures visant à maîtriser les coûts.
                                          Un deuxième volet sera prochainement mis en consul-
                                          tation par le Conseil fédéral. Mais est-il ­réellement
          nécessaire ou souhaitable d’enrayer la hausse des coûts ? Des coûts élevés ne constituent
          pas en soi une tragédie, à condition d’être supportables et d’apporter une valeur qui
          compense la dépense, estime par exemple Fridolin Marty, de la faîtière des entreprises
          Economiesuisse. Gregor Zünd propose quant à lui de mettre l’accent sur la qualité plu-
          tôt que sur les coûts : « La même conception de la qualité devrait prévaloir de Genève à
          Saint-Gall », explique le directeur de l’Hôpital universitaire de Zurich dans l’interview.
          Cependant, à droite comme à gauche, tout le monde s’accorde à dire que des amélio-
          rations peuvent être apportées au système de santé et aux incitations qu’il prévoit.
          « L’Événement » du mois fait la lumière sur les coûts de la santé et donne la parole aux
          acteurs concernés.
          Cette édition aborde également le thème de la concurrence internationale, une
          expression bien souvent galvaudée. Un classement des pays les plus compétitifs place
          la Suisse au cinquième rang mondial. Mais les pays peuvent-ils vraiment se faire
          concurrence ? Et est-il vrai que la concurrence fiscale intercantonale et internationale
          tend à s’amenuiser ?

Bonne lecture !

Guido Barsuglia et Nicole Tesar,
rédacteurs en chef
La Vie économique Plateforme de politique économique - Die Volkswirtschaft
SOMMAIRE

  4                                                                          10

L’ÉVÉNEMENT

Prendre le pouls des coûts de la santé
 4	Parler des coûts de la santé               7	Un éclairage sur la boîte noire    10	Les cantons, plaque tournante
    n’est pas une option, mais                    des coûts de la santé                  du s­ ystème de santé
    une obligation                                 Stefan Felder                      Lukas Engelberger
                                                   Université de Bâle                 Conférence suisse des directrices et
                                                                                     	
      Thomas Christen
      Office fédéral de la santé publique                                             directeurs cantonaux de la santé

13    PRISE DE POSITION                       14   PRISE DE POSITION

      Mieux écouter les patients                   Vers un changement de
 Barbara Gassmann                                  perspective ?
 Fondation Organisation suisse des patients
	                                              Jürg Schlup
                                              	FMH

15    PRISE DE POSITION                       16   PRISE DE POSITION

      Pour un juste prix des                       De nouveaux médicaments
      médicaments                                  coûteux
      Pius Zängerle                                Christophe Kaempf
      Curafutura                                   Santésuisse

 17	Politique de santé                       20	Viser le moins cher peut aussi
     financièrement ­viable :                     nuire à la santé
     qu’entend-on par là ?                         Jérôme Cosandey
                                                   Avenir Suisse
      Fridolin Marty
      Economiesuisse
                                                                                                    28   ENTRETIEN

23	Prendre en compte l’effet                 26	Prévention en matière de
                                                                                          « Seul un pays riche
    d’apprentissage médical                       santé : a­ pprendre de la nature         peut se permettre
      Beat Hintermann                              Thomas Mattig                            un tel système »
      Université de Bâle                           Promotion Santé Suisse
      Matthias Minke                                                                 Entretien avec Gregor Zünd, directeur de l’Hôpital
      Canton de Bâle-Ville                                                                        universitaire de Zurich.
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SOMMAIRE

 34                                                                                     40

DOSSIER

La concurrence internationale
34	Course à la compétitivité : la                37	David Ricardo et la
    Suisse au c­ inquième rang                        concurrence internationale
      Roberto Crotti                                  en 2020
      Forum économique mondial
                                                       Rolf Weder
                                                       Université de Bâle

40	La compétitivité, synonyme                    42	Atténuer la concurrence
    poétique de la productivité                       fiscale internationale sur             45	Zurich, concurrente
      Simon Jäggi                                     la base du modèle suisse                   des métropoles
      Secrétariat d’État à l’économie                                                          Anna Schindler
                                                       Kurt Schmidheiny
                                                                                             	Ville de Zurich
                                                       Université de Bâle

47	Qui supervise la concurrence                  50   PRISE DE POSITION                     51   PRISE DE POSITION
    à l’échelle mondiale ?
  Niklaus Wallimann, Carla Beuret
                                                       Sans l’étranger, pas de reprise            L’horlogerie, un vrai
	Secrétariat de la Commission de la                   Simone Wyss Fedele                         ambassadeur
  concurrence                                          Switzerland Global Enterprise
                                                                                                  Jean-Daniel Pasche
                                                                                                  Fédération de l’industrie horlogère suisse

52    LE REGARD DES ÉCONOMISTES                   54   L’ÉCONOMIE EN BREF                    56   INFOGRAPHIE
      EN CHEF                                          La croissance et la conjoncture            Le PIB de la Suisse par canton
      Le rôle de docteur des                           Aymo Brunetti
                                        Série                                   Série
      économistes                                      Université de Berne

      Beata Javorcik
      Banque européenne pour la reconstruction
       et le développement

57	
   DANS LE PROCHAIN NUMÉRO / IMPRESSUM
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COÛTS DE LA SANTÉ

       Parler des coûts de la santé n’est pas
         une option, mais une obligation
La crise du coronavirus a clairement montré l’importance du système suisse de santé. La
discussion concernant son coût doit toutefois se poursuivre – dès maintenant.
Thomas Christen

Abrégé Entre 1996 et 2019, le montant global des prestations nettes de                ne se justifiaient pas médicalement et qu’il res-
l’assurance obligatoire des soins est passé de 11 à 33 milliards de francs            tait par conséquent un potentiel inexploité pour
environ. Or, ces coûts sont en partie liés à la multiplication de certaines           maîtriser les coûts de l’assurance-maladie – ce
prestations médicales injustifiées. Pour freiner cette inflation quantitative         que confirme une étude1 à paraître réalisée sur
et éviter les coûts qu’elle implique, le Conseil fédéral a adopté en août 2019
                                                                                      mandat de l’Office fédéral de la santé publique
le message relatif au premier de deux volets de mesures. Alors que ce
message est actuellement débattu au Parlement, le gouvernement enverra                (OFSP). L’inefficacité mentionnée relève de plu-
bientôt le deuxième volet de mesures en consultation. Objectif : maîtriser            sieurs facteurs : une augmentation quantitative
la hausse des coûts à la charge de l’assurance de base et freiner l’augmen-           injustifiée de l’offre et de la demande de presta-
tation des primes.                                                                   tions, le manque de coordination des différents
                                                                                      prestataires ou encore le prix trop élevé de
                                                                                      certains produits thérapeutiques. Différentes

                              L    a pandémie a changé la donne dans de
                                   nombreux domaines, y compris en matière
                              de politique sanitaire : alors que les discussions
                                                                                      estimations évaluent la part des prestations
                                                                                      injustifiées entre 15 et 20 %. C’est beaucoup, et
                                                                                      même trop.
                              portaient essentiellement sur les coûts avant la            Parallèlement, les besoins médicalement
                              crise, elles concernent désormais surtout l’ac-         fondés augmentent. D’abord, en raison de
                              cès rapide à une offre de soins suffisante et de        l’évolution démographique : les plus de 80 ans,
                              qualité.                                                qui souffrent souvent de maladies chroniques,
                                  C’est tout à fait légitime. La pandémie de          devraient être deux fois plus nombreux dans
                              coronavirus a démontré de manière exemplaire            25 ans. Ensuite, du fait de l’émergence de nou-
                              l’importance d’un système public de santé doté          velles méthodes d’examen et de traitement dans
                              d’un financement solide. Ce qui n’empêche pas –         le sillage des progrès technologiques.
                              bien au contraire – de garder les coûts en ligne
                              de mire.                                                Une lourde charge à tous les niveaux
                                  La maîtrise des coûts n’est pas une finalité
                              en soi, et ne l’était pas non plus avant la crise. Il   Or, si nous n’arrivons pas à réserver les ressources
                              ne s’agit pas de limiter les prestations médicales      disponibles à la couverture des besoins indiscu-
                              nécessaires, mais de supprimer ce qui est ineffi-       tables, le système de santé atteindra rapidement
                              cace. Autrement dit : de mettre fin à la consom-        ses limites en termes de charge financière : alors
                              mation médicalement inutile de prestations de           que les prestations de l’assurance-maladie coû-
                              soins et de produits thérapeutiques – précisé-          taient 11 milliards de francs en 1996, elles avoi-
                              ment afin de pouvoir financer les prestations           sinent 33 milliards aujourd’hui. À ce train-là, il
                              nécessaires.                                            nous faudra plus de 50 milliards de francs dans
1 Étude réalisée par Infras
                                  Il est largement admis que le système de santé      dix ans pour financer les soins en Suisse.
  et l’Institut d’économie    suisse présente une certaine inefficacité. Un rap-          Cette augmentation représente une charge
  de la santé de la Haute
  école des sciences          port d’experts commandé par le Département              colossale pour la Confédération et les cantons.
  appliquées de Zurich
  (ZHAW). Parution prévue
                              fédéral de l’intérieur (DFI) constatait en 2017         La part des coûts de la santé connaît une hausse
  à l’automne 2020.           qu’un nombre trop élevé de prestations fournies         supérieure à la moyenne aux deux échelons de

4   La Vie économique 7 / 2020
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Chaque intervention médicale doit
être examinée de manière critique.

                                     ALAMY
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COÛTS DE LA SANTÉ

l’État. Pour que les fonds publics – probable-          pour but de corriger l’augmentation injustifiée
ment encore plus limités à l’avenir en raison de        du volume des prestations et la hausse des coûts
la crise du coronavirus – puissent couvrir l’aug-       correspondante.
mentation des besoins médicalement fondés, il
s’avère nécessaire de maîtriser les coûts là où         Instaurer des garde-fous
c’est possible.
    Car les dépenses de santé sont aussi, et sur-       Le deuxième volet de mesures visant à maîtriser
tout, une charge pour ceux qui paient les primes.       les coûts devrait être bientôt envoyé en consul-
Une enquête périodique de l’OFSP montre que             tation. Il comprend principalement l’introduc-
ces dépenses représentaient 10 % du revenu dis-         tion d’un plafond en matière de hausse des coûts
ponible des ménages modestes en 2010, contre            relatifs à l’assurance de base. Ce plafond doit
12 % quatre ans plus tard et 14 % en 2017 – ten-        permettre de renforcer la transparence, de res-
dance à la hausse.                                      ponsabiliser les acteurs de la santé et de réduire
    Il est donc urgent d’agir et la crise actuelle ne   le nombre de prestations médicales inutiles.
fait que le souligner : des centaines de milliers           Ce volet englobe également d’autres mesures
de personnes se trouvent au chômage partiel,            visant à améliorer la coordination des traite-
le taux de chômage explose et la croissance du          ments et à éviter ceux qui sont inutiles. Il s’agit
PIB est négative. Tous les signaux sont au rouge.       non seulement de réaliser des économies, mais
L’impact économique du coronavirus va perdu-            aussi (et surtout) de renforcer la sécurité des
rer plusieurs années, ce qui aura également des         patients, la qualité et la transparence. Enfin,
répercussions sur le pouvoir d’achat de la popu-        les mesures visent à garantir l’accès rapide et le
lation et alourdira encore le fardeau des primes        moins cher possible aux médicaments novateurs
pour les assurés.                                       et chers. Pour y parvenir, l’idée est d’inscrire
                                                        l’application de modèles tarifaires dans la loi.
Tous les acteurs doivent                                    Nous pouvons être fiers de notre système
                                                        de santé et du fait qu’il profite à tous, en temps
faire leur part
                                                        normal comme en période de crise. Il est donc
Il y a un an, le Conseil fédéral a adopté le premier    essentiel de chercher dès maintenant à garantir
de deux volets de mesures visant à maîtriser les        sa pérennité. Parce que les ressources publiques
coûts, actuellement débattu au Parlement. Ce            sont limitées ; parce que les primes représentent
volet comprend l’introduction d’un article rela-        une charge croissante pour les assurés ; et
tif aux projets pilotes qui doit permettre de me-       parce que la société doit avoir les ressources
ner des programmes de maîtrise des coûts inno-          nécessaires pour soutenir de manière solidaire
vants pour que les assurés paient au final moins        celles et ceux qui doivent avoir accès à un trai-
de primes. Le Conseil fédéral demande égale-            tement médicalement justifié. Voilà pourquoi
ment à l’industrie pharmaceutique d’apporter            nous devons mettre un frein aux prestations
sa contribution par le biais d’un système de prix       médicalement inutiles. Et pourquoi parler des
de référence : les génériques étant deux fois plus      coûts de la santé n’est pas une option, mais une
chers en Suisse qu’à l’étranger, il s’agit de défi-     obligation.
nir un prix maximal pour tous les m   ­ édicaments
ayant la même substance active.
     Les partenaires tarifaires doivent par ail-
leurs créer une organisation tarifaire nationale
pour le secteur ambulatoire, à l’image de celle
qui existe pour le stationnaire, afin de mettre
fin aux blocages qui subsistent entre les four-
nisseurs de prestations et les assureurs. Enfin,
                                                            Thomas Christen
ces deux acteurs doivent également prévoir des              Vice-directeur, responsable de l’unité de direction
mesures pour certains secteurs médicaux et les              Assurance maladie et accidents, Office fédéral de la santé
                                                            publique (OFSP), Berne
inscrire dans des conventions nationales, avec

6   La Vie économique 7 / 2020
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L’ÉVÉNEMENT

                 Un éclairage sur la boîte noire
                     des coûts de la santé
La réglementation du secteur de la santé par l’État est inefficace. L’obligation de ­contracter
reste un point critique, tout comme le financement des hôpitaux par les cantons.
Stefan Felder

Abrégé La forte croissance des dépenses de santé reste problématique                Premièrement, pour certains assurés, la
dans la mesure où elle s’accompagne d’une augmentation constante                couverture d’assurance-maladie prescrite par
du financement et de la réglementation du secteur par l’État. Soumis en         l’État est trop généreuse par rapport à ce qu’ils
automne 2019 au Parlement par le Conseil fédéral, le premier volet de
                                                                                contracteraient dans le privé. Ensuite, les coûts
mesures visant à maîtriser les coûts peut être qualifié de globalement
                                                                                d’opportunité de l’offre étatique sont impor-
positif. Son succès dépendra toutefois de la suppression de l’obligation de
contracter, une question que le Conseil fédéral ne veut hélas pas aborder.      tants et les fonds publics qu’ils absorbent pour
Le nœud gordien du financement uniforme des prestations ambulatoires            la santé font défaut dans les domaines de la
et stationnaires pourrait être tranché si la Confédération se substituait aux   formation, des infrastructures, de la protection
cantons en matière de financement des hôpitaux.                                de l’environnement ou de la défense. Troisième-
                                                                                ment, les dépenses publiques de santé induisent
                                                                                une perte de prospérité puisque les impôts qui

                       L     es dépenses de santé en Suisse ont plus que
                             doublé depuis le milieu des années 1990.
                       Elles sont passées de près de 38 milliards de
                                                                                les financent faussent des décisions sur les mar-
                                                                                chés du travail, des capitaux et des biens. Dans
                                                                                un système économique libéral, l’intervention
                       francs lors de l’introduction de l’assurance obli-       de l’État doit toujours être justifiée. Or, elle ne
                        gatoire des soins (AOS) en 1996 à 82 milliards          l’est souvent pas dans le secteur de la santé.
                        en 2018. Les dépenses annuelles par habitant ont
                        quant à elles bondi de 5400 à 9600 francs. Dans         Un signal positif de Berne
                        le même temps, la part des dépenses de santé
                        rapportée au produit intérieur brut a grimpé            Le « premier volet de mesures visant à maîtri-
                        de 9 à 12 % : ce chiffre est le plus élevé des pays     ser les coûts » soumis l’automne dernier par le
                       ­industrialisés après celui des États-Unis.              Conseil fédéral au Parlement est globalement
                            Malgré sa forte ampleur, cette hausse des           encourageant. Le gouvernement a en partie re-
                        coûts n’est pas troublante en soi du point de           pris les propositions d’un groupe international
                        vue de l’économie de la santé, car la population        d’experts mandaté par le Département fédéral de
                        montre une propension très nette et crois-              l’intérieur (DFI). Dans le secteur ambulatoire, le
                        sante à dépenser pour sa santé. Le problème             projet propose judicieusement de revenir sur la
                        tient plutôt au fait que le secteur de la santé         rémunération à la prestation pour la remplacer
                        devient toujours plus une affaire d’État. La part       en partie par des tarifs forfaitaires, de mettre en
                        publique du financement par les caisses d’assu-         place une organisation tarifaire nationale et de
                        rance-maladie, les autres assurances sociales           maintenir à jour la structure tarifaire. Un aspect
                        et l’impôt est en effet passée de 53 % en 1995 à        est néanmoins absent de ces propositions : la
                        63 % en 2017. Durant la même période, la part           possibilité, pour les prestataires de services am-
                        des assurances privées a en revanche reculé de          bulatoires et les assureurs, d’avoir toujours une
                        10 % à moins de 7 %. La proportion des parti-           option de sortie et d’être autorisés à conclure
                       cipations individuelles et autres financements           des contrats sélectifs.
                       privés s’est également contractée de 36 à 30 %.              Les assureurs devraient également être
                       Cette évolution est problématique pour au                libérés de l’obligation de passer contrat avec
                       moins trois raisons.                                     tous les médecins – une exigence que le groupe

                                                                                                         La Vie économique 7 / 2020   7
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COÛTS DE LA SANTÉ

                                                                                                                                         KEYSTONE
                                                       Au début de la pandé-
                                                       mie de coronavirus,
d’experts a proposé d’assouplir. Le Conseil            des informations          particulièrement retenu l’attention. Les observa-
fédéral souhaite plutôt contrôler les coûts à          manquaient concer-        teurs étrangers s’intéressent à la formule suisse
la faveur de conventions nationales entre les          nant le nombre de         de l’assurance de base obligatoire qui combine
                                                       lits de soins intensifs
parties contractantes. Il met ainsi la charrue                                   une franchise et une participation des assurés
                                                       disponibles en Suisse.
avant les bœufs et laisse planer une menace de         Le centre hospitalier     (« quote-part ») de 10 % aux coûts. C’est réjouis-
­réglementation en l­ ’absence de résultats.           de Rennaz (VD).           sant, mais les recherches nous apprennent que
     Autre proposition, l’introduction d’un sys-                                 les franchises n’ont guère d’effet. De nombreux
 tème de prix de référence pour les médicaments                                  assurés s’attendent de toute façon à dépasser
 dont le brevet est échu était attendue depuis                                   leur participation maximale avant la fin de l’an-
 longtemps. En Suisse, les prix de ces médica-                                   née et ne limitent donc pas leur consommation
 ments suivent fidèlement les rabais exigés par                                  médicale. Ils anticipent même des prestations
 la loi et différenciés en fonction du chiffre d’af-                             quand la participation maximale annuelle est
 faires de la préparation originale : cela montre                                franchie. Cette situation engendre une hausse
 clairement que la concurrence par les prix dans                                 des coûts et crée des goulots ­d’étranglement
 le domaine des génériques ne fonctionne pas.                                    inutiles pour les prestataires de soins.
                                                                                     Seule la franchise la plus élevée de
Seule la franchise maximale                                                      2500 francs, qui expose les assurés au risque
                                                                                 maximal de 3200 francs par année, fait excep-
a de l’effet
                                                                                 tion : elle réduit en effet les dépenses d’environ un
Le nouvel article autorisant des projets pilotes,                                quart1. En revanche, aucun changement de com-
qui devrait permettre aux cantons et aux parte-                                  portement des assurés ne s’observe pour les fran-
naires tarifaires d’expérimenter des projets no-       1 Voir Trottmann et al.
                                                                                 chises plus basses. La solution pourrait consister
vateurs susceptibles de réduire les coûts, a tout        (2012).                 en un compte santé individuel, un type de contrat

8   La Vie économique 7 / 2020
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L’ÉVÉNEMENT

                        innovant qui voit les assurés assumer eux-mêmes      réductions de primes individuelles que les
                        le risque en le répartissant dans le temps, avec     cantons organisent selon leurs préférences et
                        l’appui d’un prêt initial de leur assureur. Toutes   auxquelles la Confédération ne contribue que
                        les prestations sont réglées via ce compte à l’ex-   sur une base forfaitaire. Pour l’organisation
                        ception des plus coûteuses, qui sont réassurées2.    des prestations médicales, cependant, l’éche-
                        Ce système permettrait de modérer sensiblement       lon cantonal est dépassé. La coordination de
                        le comportement générateur de coûts des assu-        la médecine hautement spécialisée relève de la
                        rés décrit plus haut. Il encouragerait davantage     compétence fédérale et la fourniture de soins
                        la prévention et aurait un effet de redistribution   aigus stationnaires devrait également être
                        plus marqué qu’une a­ ugmentation significative      transférée à la Confédération.
                        de la franchise minimale.                                La planification hospitalière pose par ailleurs
                                                                             un problème de conflit d’intérêts aux cantons,
                        Financement uniforme                                 soucieux d’obtenir des rentrées satisfaisantes en
                                                                             tant que propriétaires, mais tenus d’assurer un
                        Le fait que le Conseil fédéral et le Conseil na-     rapport coût-avantage positif de l’offre médicale
                        tional appellent de leurs vœux un financement        à leurs contribuables. La crise du coronavirus a
                        uniforme des prestations ambulatoires et sta-        mis en évidence les faiblesses d’une fragmenta-
                        tionnaires (Efas) est réjouissant. Aujourd’hui,      tion des soins hospitaliers : aucune information
                        les assureurs ne financent au maximum que            n’était par exemple initialement disponible sur
                        45 % des prestations stationnaires, contre la        l’offre de lits de soins intensifs dans les can-
                        totalité des frais médicaux dans le domaine          tons – que ce soit de la part des cantons, de la
                        ambulatoire : cette situation a contribué au fait    Conférence des directeurs de la santé, de la faî-
                        que de nombreux traitements continuent d’être        tière des hôpitaux H+ ou de la Confédération.
                        dispensés en milieu hospitalier alors qu’ils             Limiter le rôle des cantons au profit de la
                        pourraient l’être à moindre coût en ambulatoire.     Confédération dans le domaine de la santé est
                        L’Efas rectifierait les prix entre ces catégories    politiquement ardu, mais l’opération pour-
                        de prestations et encouragerait les assureurs à      rait réussir si la Confédération s’impliquait
                        investir davantage dans des contrats sélectifs       financièrement en reprenant les contributions
                        avec des médecins en cabinet pour éviter de          cantonales au financement des hôpitaux. C’est
                        coûteux transferts de patients. Le projet est ac-    peut-être là le moyen de réaliser une percée
                        tuellement bloqué par les cantons au Conseil des     vers le financement uniforme des services
                        États : ceux-ci demandent que l’Efas soit étendu     ­ambulatoires et hospitaliers.
                        aux soins de longue durée, dont les assureurs
                        ne prennent également en charge que 45 % des
                        coûts – ce qui serait cohérent.
                            Parallèlement, dans le domaine des soins,
                        le financement des installations (financement
                        de l’objet) devrait être remplacé par la rému-
                        nération des prestations fournies aux patients
                        (financement du sujet), comme dans la réforme
                        du financement hospitalier de 2012. Le finan-            Stefan Felder
                                                                                 Professeur d’économie de la santé, université de Bâle
                        cement uniforme de tous les secteurs de soins
                        médicaux renforce les assureurs et les engage à
                        fournir des prestations médicales c­ onvaincantes      Bibliographie
                        à leurs clients.                                       Felder Stefan (2019). « Die dynamische Franchise mit Wirkung : Modell
                                                                                 Gesundheitskredit ». NZZ, 8 novembre.
                            La Suisse est bien inspirée de cultiver le         Trottmann Maria, Zweifel Peter et Beck Konstantin (2012). « Supply
                        principe de subsidiarité. Dans le secteur de             side and demand side cost sharing in deregulated social health insu-
                                                                                 rance : Which is more effective ? » Journal of Health Economics, 31(1) :
2 Voir Felder (2019).   la santé, cela se traduit par exemple par des            231–42.

                                                                                                                 La Vie économique 7 / 2020            9
COÛTS DE LA SANTÉ

                Les cantons, plaque tournante
                     du ­système de santé
Acteurs importants du système de santé, les cantons saluent les mesures de maîtrise des
coûts. Un financement uniforme des prestations ambulatoires et stationnaires peut y
contribuer, mais il s’agit d’inclure les établissements médico-sociaux et les services de
soins à domicile. Lukas Engelberger

Abrégé Les cantons jouent un rôle clé dans la fourniture de soins médicaux      identifient les établissements nécessaires pour
à la population. Ils sont notamment responsables des hôpitaux et des éta-       couvrir les besoins d’hospitalisations station-
blissements médico-sociaux ainsi que des soins à domicile. Leur planifica-      naires et détenant un mandat de prestation. Les
tion hospitalière prudente et leur examen systématique de l’économicité
                                                                                traitements sont remboursés selon une clé de
contribuent pour beaucoup à la maîtrise des coûts dans le secteur de la
santé. La Conférence suisse des directrices et directeurs cantonaux de la
                                                                                financement fixe : le canton de résidence d’un
santé est l’organe de coordination des cantons en matière de politique de       assuré prend en charge au moins 55 % des coûts,
la santé et soutient ces derniers dans cet effort. Elle défend leurs intérêts   l’assureur-maladie au plus 45 %. Ces derniers
en intercédant auprès de la Confédération, comme actuellement pour              supportent en revanche la totalité des coûts des
un projet « compatible » visant un financement uniforme des prestations         traitements ambulatoires.
ambulatoires et stationnaires.

                                                                                Les cantons travaillent ensemble

                       P     our maîtriser la pandémie de coronavirus, le
                             Conseil fédéral a ordonné des mesures qui
                        relèvent normalement des cantons, comme le
                                                                                L’automne dernier, le Conseil national s’est
                                                                                prononcé en faveur d’un financement uniforme
                                                                                des prestations ambulatoires et stationnaires
                        prévoit la loi sur les épidémies en cas de menace       (Efas). À l’avenir, les interventions ambulatoires
                        particulière ou extraordinaire pour la santé            devraient donc être financées conjointement
                        publique. Ce transfert temporaire des compé-            par les cantons et les assureurs-maladie.
                        tences ne doit cependant pas faire oublier que               La Conférence suisse des directrices et direc-
                        le système de santé suisse est fortement marqué         teurs cantonaux de la santé (CDS) estime qu’un
                        du sceau du fédéralisme.                                financement uniforme ne fait que rediriger les
                            La Confédération a certes vu ses respon-            flux financiers et ne contribue donc pas notable-
                        sabilités en la matière s’étendre au cours des          ment à la maîtrise des coûts du système de santé.
                        dernières décennies, mais son rôle reste sub-           Les cantons sont néanmoins disposés à soutenir
                        sidiaire. La santé publique est globalement du          ce changement de système. Il faut toutefois que
                        ressort des cantons. Par conséquent, il n’existe        la réforme englobe toutes les prestations pré-
                        pas en Suisse de politique centrale de la santé,        vues par la loi fédérale sur l’assurance-maladie
                        mais des politiques sanitaires cantonales. Les          (LAMal) : la réforme ne peut en effet accroître
                        cantons garantissent la prise en charge de la           l’efficacité des prestations de soins de la LAMal
                        population par les hôpitaux et les établisse-           et contribuer à contenir les dépenses de santé
                        ments médico-sociaux (EMS). Ils sont également          que si le financement uniforme englobe toute la
                        responsables des soins ambulatoires à domicile,         chaîne des soins de santé publique. Le Conseil
                        des services psychiatriques, des soins médicaux         national s’y est refusé et veut exclure les soins
                        d’urgence et des services de sauvetage.                 LAMal des EMS et des soins à domicile.
                            Les listes d’hôpitaux sont l’élément central             La coopération intercantonale dans le
                        de la planification hospitalière. Les cantons y         domaine de la planification hospitalière et de

10   La Vie économique 7 / 2020
L’ÉVÉNEMENT

la médecine hautement spécialisée a également                             Conserver la marge de manœuvre
un effet modérateur sur la hausse des coûts.
Les recommandations de la CDS en matière de                               En février, le Conseil fédéral a mis en consulta-
planification hospitalière constituent un instru-                         tion un projet visant à étendre massivement les
ment de choix pour améliorer la coordination                              critères de planification hospitalière et à établir
entre les cantons.                                                        une échelle d’efficacité pour les tarifs hospita-
    Un autre aspect de cet effort visant à freiner                        liers qui ne permettrait plus guère aux hôpitaux
la hausse des coûts de la santé est l’approbation                         de couvrir les frais des prestations qu’ils four-
ou – si les hôpitaux et les assureurs-maladie ne                          nissent. La CDS est très critique à l’égard des
peuvent pas se mettre d’accord – la fixation des                          changements proposés, car ils rogneraient sans
tarifs hospitaliers par les gouvernements can-                            nécessité la marge de manœuvre des partenaires
tonaux. La CDS aide les cantons à déterminer                              tarifaires et les compétences des cantons.
                                                     Un financement
le tarif axé sur les coûts et fournit la base de     uniforme doit            Ceux-ci estiment que le projet du Conseil
données nécessaire, alimentée par les données        également englober   fédéral visant à limiter l’admission de médecins
sur les coûts hospitaliers échangées entre les       les établissements   dans le secteur ambulatoire apporte une nette
cantons. Elle soumet également aux cantons           médico-sociaux.      amélioration. Contrairement à la réglementa-
                                                     La maison pour
des recommandations pour le contrôle de              personnes âgées
                                                                          tion insuffisante en vigueur, des quotas seront
l’économicité.                                       Herzogenmühle, à     fixés de façon ciblée dans des régions et pour des
                                                     Zurich.

                                                                                                                                    KEYSTONE

                                                                                                  La Vie économique 7 / 2020   11
COÛTS DE LA SANTÉ

spécialisations spécifiques si certains c­ ritères   potentiel de ressources devront en particulier
sont remplis. Les cantons disposent ainsi d’un       être épaulés pour la mise en œuvre.
instrument permettant à la fois d’éviter une             Malgré ces réserves, la CDS est ouverte à un
offre excédentaire et d’assurer une offre médi-      débat de fond et à des solutions alternatives.
cale conforme aux besoins, efficace et ciblée.       Après tout, les cantons ont un intérêt vital à frei-
   Un premier volet de mesures transmis par          ner la hausse des coûts de santé. Ils y contribuent
le Conseil fédéral au Parlement en août 2019         en s’engageant dans le domaine de la prévention
vise lui aussi à freiner la hausse des coûts. La     et de la promotion de la santé. L’objectif des can-
CDS approuve l’axe de ce projet de maîtrise des      tons et de la Confédération est que la population
coûts, qui comprend notamment un article per-        suisse reste autant que possible en bonne santé
mettant d’expérimenter des projets novateurs         afin de prévenir les maladies ou d’en réduire les
en dehors du cadre de la LAMal et qui prévoit        conséquences.
la mise en place d’une organisation tarifaire            La pandémie de coronavirus a mis le sys-
nationale dans le domaine ambulatoire. Des           tème de santé à l’épreuve et l’a placé encore
corrections s’imposent toutefois pour que la         plus au centre du débat public. Les questions
CDS puisse soutenir l’intégralité de ce volet de     concernant la couverture sanitaire, déjà d’une
mesures.                                             actualité brûlante avant l’apparition du virus,
                                                     intégreront désormais les leçons tirées de la
Les recours, facteurs de coûts                       gestion de la pandémie : quel doit être le paysage
                                                     hospitalier de la Suisse de demain ? Comment
La CDS rejette surtout l’idée d’accorder aux         moderniser le système de déclaration ? Com-
assureurs un droit de recours des associations       ment réussir à couvrir les besoins en personnel
à l’encontre des décisions prises par les can-       à long terme dans les exigeantes professions de
tons en matière de planification hospitalière.       la santé ? Comment garantir une disponibilité
Contrairement aux cantons, les caisses-maladie       permanente de matériel de protection et de
n’assument en effet aucune responsabilité            médicaments ? La CDS jouera un rôle actif et
constitutionnelle quant à la fourniture de soins     constructif dans ces discussions.
médicaux. Ce droit de recours ferait grimper les
coûts, car les assureurs pourraient contester
non seulement les mandats de prestation indi-
viduels, mais également les listes d’hôpitaux et
la planification hospitalière dans leur ensemble.
    Le Conseil fédéral a annoncé pour l’année
en cours un deuxième volet de mesures visant
à freiner la hausse des coûts. La mise en place
                                                         Lukas Engelberger
d’objectifs doit limiter la hausse des coûts             Président de la Conférence suisse des directrices
dans l’assurance obligatoire des soins. Si un tel        et directeurs cantonaux de la santé (CDS), chef du
                                                         Département de la santé du canton de Bâle-Ville
« frein » pour les cantons est en principe sou-
haitable en cas d’augmentation injustifiée des
                                                        Bibliographie
coûts, sa mise en œuvre concrète semble diffi-          CDS (2018). Recommandations de la CDS sur la planification hospitalière.
cile. Il est notamment attendu des cantons qu’ils        Version révisée des recommandations adoptée par le Comité direc-
                                                         teur de la CDS le 14 mai 2009, approuvée par l’assemblée ­plénière de
fixent des objectifs avant même de disposer de           la CDS du 25 mai 2018.
données suffisamment détaillées, t­ ransparentes        CDS (2019). Recommandations sur l’examen de l’économicité. Détermina-
                                                         tion des hôpitaux efficients d’après l’art. 49, al. 1, LAMal. ­Approuvées
et actuelles. En outre, les cantons à faible             par le comité directeur de la CDS le 27 juin 2019.

12   La Vie économique 7 / 2020
L’ÉVÉNEMENT

                             PRISE DE POSITION DE BARBARA GASSMANN

Mieux écouter les patients
La politique de la santé doit d’abord servir les intérêts des patients. À l’heure
actuelle, ceux-ci ne sont pourtant pas suffisamment écoutés.

L’Organisation suisse des patients (OSP)            infrastructures doivent être utilisés systémati-
demande depuis des années des mesures               quement pour le bénéfice des patients.
efficaces pour maîtriser les coûts sans que les          Les patients et leurs organisations doivent
soins médicaux perdent en qualité. Les patients     être mieux intégrés dans les décisions. Celles-
doivent pouvoir évaluer les informations qui        ci veulent être mandatées et indemnisées
leur sont fournies. Ils ont besoin d’explications   par la Confédération pour leurs prestations
détaillées sur les résultats des traitements et     ­individuelles de conseils.
les alternatives possibles avant de donner leur          L’OSP et d’autres organisations de patients
accord de manière éclairée à la proposition d’un     et de consommateurs approuvent largement
professionnel et de pouvoir supporter une théra-     le premier volet de mesures du Conseil fédéral
pie de longue durée. Des compétences sanitaires      visant à maîtriser les coûts. Il est urgent de
et numériques sont des prérequis importants.         renforcer le contrôle des factures et de faire en
   Les consultations de l’OSP montrent que           sorte que les prestataires de soins soient obligés
de nombreuses personnes souffrent à cause            d’établir des copies pour les patients même dans
des coûts élevés de la santé en plus de leurs        le cas où la facturation se fait directement avec
soucis en lien avec la qualité des traitements.      l’assurance-maladie. L’introduction d’un système
Selon le Conseil fédéral, entre 10 et 20 % de        de prix de référence pour les médicaments dont
la population renoncent, pour des raisons            le brevet a expiré et pour les génériques est aussi
financières, à un traitement pourtant néces-         une façon efficace de réaliser des économies.
saire. Les patients éprouvent un sentiment           Enfin, des mesures sont prévues dans le domaine
d’impuissance devant des factures que seuls          des tarifs ambulatoires et de la gestion des coûts :
les spécialistes sont en mesure de décrypter.        elles permettent la mise à jour des tarifs et font
Les payeurs de primes attendent un soutien           baisser les interventions médicales inutiles dont
de leur assurance-maladie pour se défendre           le nombre est estimé entre 20 et 30 %.
contre les prétentions erronées des pres-                La pandémie de coronavirus nous fait prendre
tataires de soins. Nombre d’entre eux sont           conscience, avec une urgence jusqu’ici inconnue,
déçus, car ils ne sont pas entendus.                 de notre dépendance envers les infrastructures
                                                     et de l’importance des flux de marchandises ainsi
Des factures transparentes                           que d’un personnel spécialisé suffisamment
                                                     qualifié. Des investissements supplémentaires
Nous voyons trop souvent des traitements             considérables sont nécessaires dans la formation
inutiles motivés par des considérations              indigène et dans la valorisation des métiers de la
financières. La suppression des incitations liées    santé d’importance systémique.
à la quantité pour les médecins hospitaliers va     Barbara Gassmann est membre de la direction par intérim de
dans la bonne direction. Les processus et les       la Fondation Organisation suisse des patients (OSP), à Zurich.

                                                                                                La Vie économique 7 / 2020   13
COÛTS DE LA SANTÉ

                                              PRISE DE POSITION DE JÜRG SCHLUP

           Vers un changement de perspective ?
            Les coûts ont longtemps dominé les débats sur la politique de la santé. La
            pandémie de Covid-19 offre l’occasion de changer de perspective.
           La politique de maîtrise des coûts de la santé du      les coûts et les avantages du système de santé ?
           Département fédéral de l’intérieur (DFI) a mar-        De premiers indices témoignent de la sensibilité
           qué les discussions ces sept dernières années.         avec laquelle peut réagir la population.
           Elle a débuté en 2013 avec un objectif d’écono-
           mies de coûts de 20 %. Un rapport d’experts a          Éveil du public
           suivi en 2017 et le Conseil fédéral transmettait
           en 2019 un message au Parlement sur un pre-            Fin mars, l’Académie suisse des sciences médi-
           mier volet de mesures visant à freiner la hausse       cales et la Société suisse de médecine intensive
           des coûts. Le 21 février dernier, la Commission        publiaient des directives sur le triage des trai-
           de la santé publique du Conseil national ac-           tements de soins intensifs. Celles-ci ont suscité
           ceptait à l’unanimité d’entrer en matière sur ce       de fortes discussions, y compris dans le public.
           premier train de mesures (incluant une mesure          Beaucoup savent désormais que les malades ne
           similaire à un budget global). La discussion de        pourraient pas tous être traités correctement en
           détail était prévue en mars et les délibérations       cas de pénurie de ressources.
           auraient dû avoir lieu durant la session extraor-         Il est probable que le DFI ouvre tôt ou tard
           dinaire de mai. L’éclatement de la pandémie de         une consultation sur des plafonds ou des bud-
           Covid-19 a stoppé net le projet.                       gets globaux dans le cadre du second train de
               Dix jours après la décision du Conseil fédé-       mesures annoncé depuis longtemps. Et ce, alors
           ral de qualifier la situation de « particulière » au   qu’il est avéré que les budgets globaux péjorent la
           sens de la loi sur les épidémies, le PDC déposait      prise en charge médicale de la population et ne
           le 10 mars l’initiative populaire « pour un frein      sont pas des instruments adéquats pour maîtri-
           aux coûts de la santé ». Mais, interrogée sur les      ser les coûts. Il est également envisageable – et
           adaptations futures du plan de pandémie, la            tout aussi fatal – qu’un plafond non contraignant
           conseillère nationale PDC Ruth Humbel décla-           soit proposé. Dans ce cas, le « gatekeeping » obli-
           rait fin mars dans l’« Aargauer Tagblatt » que         gatoire pourrait devenir le nouveau projet phare
           « nous ne pourrons plus simplement retenir le          de la Confédération. Chaque examen médical
           prix le plus bas, nous devons garantir la sécurité     débuterait par une consultation préalable auprès
           de l’approvisionnement. »                              d’un centre médical d’accueil à créer.
               Puis, au lieu de délibérer sur les mesures de         Nous espérons cependant que ni le Parle-
           maîtrise des coûts, le Parlement avalisait lors de     ment ni la population ne voudront faire des ex-
           sa session extraordinaire de mai des crédits de        périences et menacer le bon fonctionnement et
           plusieurs dizaines de milliards de francs pour         la qualité des soins médicaux après l’épisode du
           amortir les effets de la crise sur l’économie et la    coronavirus.
           société.
               La sécurité de l’approvisionnement devien-         Jürg Schlup est président de la Fédération des médecins suisses
           dra-t-elle un nouveau critère clé pour évaluer         (FMH), à Berne.

14   La Vie économique 7 / 2020
L’ÉVÉNEMENT

                               PRISE DE POSITION DE PIUS ZÄNGERLE

Pour un juste prix des médicaments
Les médicaments coûteux vendus en pharmacies doivent devenir plus abor-
dables. Voilà ce que proposent Curafutura et Pharmasuisse au Conseil fédéral.
 Les deux associations faîtières Curafutura et     d’instaurer un système où personne ne subit de
 Pharmasuisse, qui regroupent respectivement       perte douloureuse. La nouveauté réside dans
 les assureurs-maladie et les pharmaciens, ont     le fait que les frais de personnel liés à la four-
 proposé un nouveau modèle tarifaire au Conseil    niture des prestations officinales ne sont plus
 fédéral. Cette solution a l’avantage de rallier   ­intégrés dans le prix des médicaments, mais
 non seulement les membres de Curafutura –          dans le tarif officinal. Celui-ci augmentera, mais
 CSS, Helsana, Sanitas et KPT –, mais aussi         le prix des préparations baissera considérable-
 Swica du côté des assureurs. Les partenaires       ment. Le nouveau modèle tarifaire élaboré par
 tarifaires r­ eprésentent ainsi une majorité du    Curafutura et Pharmasuisse constitue donc une
 secteur.                                           ­redistribution fondée sur la vérité des coûts.
    Nous nous sommes fixé deux objectifs prin-          Cette stratégie fera bouger le marché. La
cipaux : premièrement, la structure tarifaire        marge des médicaments à bas prix délivrés sur
du prix d’un médicament doit se fonder sur des       ordonnance ne permet pas aujourd’hui de cou-
paramètres économiques et scientifiques. Ce          vrir les coûts, ce qui a engendré un subvention-
principe rend les coûts transparents pour les        nement croisé par des préparations plus oné-
patients et élimine les subventionnements croi-      reuses – une solution guère satisfaisante. La
sés qui créent des incitations à la vente pour       nouvelle réglementation sur les marges de dis-
les pharmaciens. Deuxièmement, nous propo-           tribution permettra de compenser le coût logis-
sons au Conseil fédéral une fixation des marges      tique effectif des médicaments. Les préparations
de distribution indépendante des prix pour           bon marché subiront ainsi une augmentation
encourager la prescription de génériques et de       de prix modérée, tandis que les personnes souf-
biosimilaires. Leur effet pharmaceutique est         frant de maladies chroniques – et qui dépendent
identique, mais leurs prix sont sensiblement         souvent de médicaments onéreux, voire très
plus avantageux. Notre modèle atteint ces deux       onéreux durant de longues années – ne seront
­objectifs.                                          plus pénalisées par un subventionnement croisé
                                                     involontaire. Le système de la santé sera sou-
Une situation gagnant-gagnant                        lagé de plusieurs centaines de millions de francs
                                                     par an. Nous avons soumis ce nouveau tarif le
Une marge de distribution neutre sur le plan         14 mai au Conseil fédéral. Il lui appartient main-
incitatif est impérative dans la perspective de      tenant de décider si le potentiel d’économie
l›introduction d'un système de prix de référence     ­profitera à la population.
plus durable et plus efficace. Une remise de
­médicaments basée sur les prestations permet      Pius Zängerle est directeur de Curafutura, à Berne.

                                                                                              La Vie économique 7 / 2020   15
COÛTS DE LA SANTÉ

                                         PRISE DE POSITION DE CHRISTOPHE KAEMPF

            De nouveaux médicaments coûteux
            L’arrivée de thérapies personnalisées engendre des coûts très élevés. Un
            nouveau modèle de prix lié au succès thérapeutique est indispensable.
            Le Conseil fédéral aurait dû mettre en consul-      Les augmentations constatées dans ce
            tation le deuxième volet des mesures desti-         domaine sont doublement problématiques :
            nées à freiner la hausse des coûts de la santé      d’une part, elles coûtent de plus en plus cher
            début 2020. Il envisageait notamment d’exami-       aux assureurs-maladie, et donc aux assurés ;
            ner différents modèles pour la prise en charge      d’autre part, l’efficacité de ces médicaments
            des médicaments, en particulier les prépara-        n’est pas toujours prouvée. Santésuisse veut à
            tions les plus coûteuses. Mais la pandémie de       tout prix éviter que l’on doive rationner l’accès
            coronavirus a bouleversé le calendrier politique    à certains médicaments en raison de leur
            et l’examen de nouveaux de modèles de prise         prix, comme cela s’observe dans d’autres pays.
            en charge des médicaments, entre autres, a été      Toute limitation d’accès aux thérapies oné-
            repoussé. Or, une telle analyse est nécessaire.     reuses mettrait à mal le principe de solidarité
                Ces dernières années, on assiste à l’émer-      qui constitue le fondement du système suisse
            gence de traitements toujours plus person-          d’assurance-maladie. Santésuisse souhaite
            nalisés. Si l’arrivée sur le marché de thérapies    également empêcher que les payeurs de primes
            ­ciblées (notamment dans le domaine des mala-       doivent contribuer au fi ­ nancement de thé-
             dies rares) est évidemment très réjouissante,      rapies dont les bénéfices pour les patients ne
             cette évolution soulève également quelques         sont pas garantis.
             inquiétudes. Ces nouvelles préparations sont           Il est donc impératif d’élaborer de nou-
             en effet souvent extrêmement coûteuses.            veaux modèles de prise en charge qui res-
             Différents indicateurs démontrent qu’elles vont    pectent pleinement les critères d’efficacité,
             encore accroître la pression financière sur le     d’adéquation et d’économicité. Ces critères
             système d’assurance-maladie. Ainsi, les coûts à    sont pourtant requis par la loi fédérale sur
             charge de l’assurance-maladie obligatoire pour     ­l’assurance-maladie pour le remboursement
             les médicaments oncologiques ont presque            de toute prestation.
             doublé ces cinq dernières années, passant de           Une solution consisterait à introduire un
             580 à 935 millions de francs par an.                système de remboursement corrélé au succès
                Les ventes de médicaments coûtant entre          thérapeutique (dit « pay for performance »)
             10 000 et plus de 100 000 francs ont augmenté       pour les médicaments dont le prix dépasse
             de plus de 10 % par an ces cinq dernières           un ­certain seuil, par exemple 50 000 francs
             années. Elles concernent pour moitié des            par an. Avec ce nouveau système, l’assurance-­
             médicaments oncologiques, qui affichent une         maladie obligatoire ne rembourserait les
             croissance à deux chiffres. Santésuisse s’attend    médicaments qu’en cas de guérison ou si
             par conséquent à des coûts supplémentaires          d’importants effets thérapeutiques positifs
             d’environ 200 millions de francs par an pour        sont avérés et prouvés.
             les médicaments dont le prix est supérieur à       Christophe Kaempf est porte-parole de l’association faîtière des
             10 000 francs.                                     assurances-maladie Santésuisse, à Soleure.

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