Le Chant Inachevé Avant-Propos

 
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Le Chant Inachevé
                       Avant-Propos
 Noble lecteur, qui de tes yeux parcours ce vieux grimoire, laisse-moi te conter l’histoire d’un
des plus grands personnages du Royaume d’Ulthuan la Blanche, mère-patrie de la race
maudite des Elfes…
 Permets-moi de te guider à travers la vie d’un de ses héros mythiques, qui par sa vaillance et
son courage servit mille fois ses Dieux hautains.
 Abandonne-toi à la lecture de ses exploits, et assiste-le dans les peines et les souffrances de
son existence…
 Cet elfe, aujourd’hui oublié de notre mémoire, s’est depuis longtemps égaré par-delà les
brumes de l’histoire. Mais dans ce livre, son souvenir rejaillit, tel un torrent impétueux !
 Ainsi renaît le souvenir de l’Archimage Lorindil, serviteur de la Déesse Morai Hegg !

 Avant toute chose, je crois qu’il est bon de te prévenir : ce que tu vas d’abord lire, à travers
mes mots, n’est autre qu’une compilation de chants et de sagas elfiques, traduites en un
langage compréhensible pour tous.
 Je connais ta soif de poésie, et ton amour pour la prose, ô érudit humain. Mais la pensée des
Elfes échappe parfois à celle des Hommes, aussi je préfère t’ avertir dès à présent ; je ne suis
point un poète. Mais un esprit soucieux de rapporter les faits tels qu’ils sont. Je ne te propose
donc que la vérité, telle qu’elle t’apparaît à travers ces parchemins poussiéreux ...
 Mais le poète fut-il dans le Vrai ? Il m’en reviendra de t’en avertir, le moment venu, afin de
pouvoir, à mon tour, rétablir la vérité telle qu’elle me fut dévoilée…

  Ces premiers textes sont des extraits des chants narrant la naissance et la jeunesse de
l’Archimage Lorindil, tels que les composa le barde Yvalin d’Avelorn dans ses Chants
d’Yvresse.

 Yvalin était un elfe sage, grand dramaturge au talent reconnu jusqu’en la Cour du Roi
Phœnix. Mais son style tapageur n’a rien de bien passionnant, dans notre quête de savoir.
Aussi n’ai-je rapporté qu’une partie de ses quelques 900 Chants d’Yvresse…
 Le premier passage cité provient du Livre de Lorindil, Chants 405-450 :
PREMIER CHANT : L’enfance

Ecoutez, noble auditoire, le récit du mage Lorindil et de la guerrière Laetheniä :

Il y a de cela fort longtemps, peu de temps avant que Grom la Panse ne dévaste notre beau royaume
d’Ulthuan, naquit Lorindil.

Fils du seigneur Lomendol de Tor Nalessi et de la ravissante Finelia, l’enfant à la chevelure châtain
aux reflets d’or passa sa petite enfance à la cour de sa mère. Là, il y développa ses talents innés pour
les arts et la musique, entouré de l’affection des siens.

Depuis des siècles, Lomendol et le seigneur Galendel de la maison voisine de Tor Aqualë s’étaient
juré amitié et secours. Aussi dès son plus jeune âge, Lorindil eut pour camarade de jeu la fille unique
du seigneur Galendel, la jeune Laetheniä.

Les deux enfants, nés durant le même hiver, ne tardèrent pas à devenir inséparables : déambulant à
travers les couloirs de marbre du palais ou gambadant dans les prairies. Quiconque les apercevait les
croyait jumeaux, à la seule différence que la chevelure châtain or de Lorindil tranchait avec les
cheveux noirs aux reflets d’argent de Laetheniä.

Les années s’écoulèrent, paisibles, et les deux elfes grandirent ensemble. A l’aube de l’adolescence,
les deux enfants choisirent pour terrain de jeu les immenses bois entourant les domaines de leurs
parents. Un jour, alors que les deux elfes exploraient un sombre sous-bois, ils débouchèrent dans une
clairière, où un poulain blanc était tombé entre les griffes de deux énormes loups affamés. Laetheniä,
n’écoutant que son courage, tira de sa ceinture une fine dague et se jeta sur le loup le plus imposant,
une énorme bête grise mesurant près d’un mètre au garrot. D’un seul geste, elle terrassa la créature en
lui tranchant la gorge de son arme.

Lorindil, quant à lui, s’apprêtait à attaquer, lorsque tirant sa dague, sa main gauche se mit à crépiter
d’étincelles magiques. Inconsciemment, il capta la puissance des vents magiques, qu’il transforma en
un éclair blanc. La décharge magique s’abattit sur le second loup, qui sur le choc, fut carbonisé.

A peine eurent-ils le temps de se remettre de leur surprise que le poulain disparut dans un éclat de
lumière, pour laisser place au spectre d’une femme elfe au visage ridé.

La déesse Morai-Hegg venait de leur apparaître. Leur souriant, elle unit entre ses paumes leurs mains
et leur déclara :

" Soyez bénis pour votre courage, car vous avez sauvé une de mes incarnations. Aussi, pour vous en
remercier, je vais vous offrir à chacun un don. "

" Laetheniä, voici Sabots d’Or, elle sera ta monture ". Et d’un geste du menton, elle fit apparaître entre
les arbres une magnifique licorne blanche.

" Lorindil, que ton pouvoir soit béni, car tu seras le plus grand mage de ta génération. "
Puis, d’un geste tendre, elle mit la petite main de Laetheniä dans celle de Lorindil, et leur dit, avant de
disparaître :

" Allez en paix, mes Enfants, ne m’oubliez jamais "

De retour à Tor Nalessi, les deux elfes narrèrent leurs aventures. De nombreux guerriers félicitèrent
Laetheniä, et il fut décidé que la jeune elfe serait une guerrière. Finelia, qui dans sa jeunesse avait été
une mage, sonda le pouvoir de son fils, et s’en réjouit : tous les espoirs de le voir un jour devenir un
grand mage lui étaient permis. Aussi décida-t-elle de l’envoyer à Tor Emnry, chez sa sœur la maîtresse
mage Elëa, pour que son fils y développe ses facultés magiques.

Ainsi pendant de longues années, les deux inséparables amis se perdirent de vue. Les saisons se
succédèrent, et Laetheniä devint une grande guerrière à la beauté sans égal. A l’âge de 17 ans, son
père, fatigué par le poids des siècles, désira la marier au plus tôt. Mais la guerrière cachait depuis son
enfance une grande affection pour Lorindil, aussi dans l’attente du retour de son bien aimé, elle
n'accepta d’épouser que le premier elfe qui parviendrait à la battre en combat singulier.

Nombreux furent les prétendants à se mesurer à la guerrière, mais aucun ne parvint à la surpasser dans
sa maîtrise des armes blanches.

Or il advint que cet été-là, Lorindil revint enfin de Saphery. Ayant eu vent du défi lancé par Laetheniä,
il décida de le relever sur le champ, car au plus profond de son cœur brûlait aussi un grand amour pour
la jeune guerrière.

Le lendemain de son arrivée, conformément à la coutume, Lorindil demanda la main de Laetheniä à
son père. Ce dernier accepta, à la condition que le champion mage triomphe de l’épreuve imposée par
sa fille.

Lorsque dans l’après-midi, autour d’une foule de spectateurs, Laetheniä revit pour la première fois
Lorindil depuis six longues années, son souffle fut coupé. Mais même si son cœur, submergé par ses
sentiments envers le mage, lui hurlait de capituler, la raison l’obligea à accepter le défi.

Lorindil regardait avec délice la jeune femme qu’il aimait tant. Celle qu’il avait quitté encore enfant
était devenue une magnifique jeune elfe.

Sous un soleil de plomb, le duel commença. Armée d’une lance, Laetheniä tentait de désarmer son
adversaire. Lorindil, quant à lui, parait tant bien que mal de sa rapière le flot de coups.

Soudain, le mage évita la cruelle lance, pour d’un élégant écart se retrouver derrière son adversaire.
Profitant de l’effet de surprise, il bloqua de son épée la lance tandis qu’il déséquilibrait sa bien-aimée,
avant de la faire chuter d’un rapide mouvement de faux de la jambe droite.

La foule acclama le vainqueur. Mise à terre pour la première fois, Laetheniä se releva pour féliciter et
enlacer tendrement son futur époux.

De nombreuses fêtes précédèrent la cérémonie, et c’est le royaume tout entier qui fêta les retrouvailles
de Lorindil et de Laetheniä. Puis, conformément à la tradition, les deux fiancés se séparèrent un mois,
pour sceller leur alliance par des présents à la pleine lune suivante.

Lorindil s’enferma dans la tour de sa mère et y forgea arme et armure magiques pour sa compagne.
Laetheniä partit en quête sur le dos de Sabots d’Or, pour en revenir ses vêtements déchirés et couverte
d’égratignures, une large épée attachée en travers de son dos.

Les deux fiancés se retrouvèrent en une nuit d’été, à l’endroit même où la Déesse leur était apparue.
Lorindil lui remit une épée magique capable de terrasser d’un seul coup n’importe quel ennemi, ainsi
qu’une armure sertie d’un énorme saphir runique capable d’épargner son porteur des coups les plus
mortels. Laetheniä, quant à elle, lui donna la lame de Lune, une imposante épée à deux mains capable
de trancher chairs et armures avec une facilité presque méprisante.

Les deux époux chevauchèrent ensemble jusqu’à leur future maison. Arrivant en vue de Tor Nalessi,
ils virent briller de grands feux au sommet des tours de marbre. Accourant au galop, ils ne stoppèrent
leurs montures que pour contempler la cité se consumer dans le flammes, le regard plein d’effroi.

Un groupe de soldats s’approcha d’eux, le regard triste. Ils leur apprirent comment les gobelins, telle
une marée verte, avaient submergé les elfes surpris, comment Lomendol et son épouse Finelia
combattirent avec courage, avant qu’un imposant chef gobelin ne les terrasse de sa terrible hache,
chassant les derniers défenseurs de la cité et y mettant le feu.

A ces paroles, Lorindil éprouva un vif émoi. Tirant sa nouvelle épée, il jura solennellement de
combattre la menace gobeline au péril de sa vie.

Lorindil et Laetheniä décidèrent de se réfugier à Tor Aqualë. Mais arrivés aux portes de la cité, la
même désolation les attendait. Un garde agonisant leur révéla le nom de ce terrible gobelin qui
menaçait leur royaume tout entier : Grom la Panse.

En silence, Laetheniä tira elle aussi son épée, partageant ainsi le terrible serment de son compagnon.

                                   SECOND CHANT : la guerre

Chevauchant à travers leur royaume saccagé, les deux jeunes elfes tentèrent de rattraper l’armée
ennemie. N’écoutant que leur courage, ils fonçaient dans les arrières-gardes des gobelins, mettant en
fuite les viles créatures, et sauvant ainsi de nombreux villages des flammes. Au fur et à mesure de leur
progression, de nombreux elfes les suivirent, reprenant espoir en ces deux messies inattendus. Bientôt,
les deux jeunes elfes se retrouvèrent à la tête d’une petite armée composée principalement de lanciers
et d’archers. Lorsque enfin le jour se leva, une centaine de guerriers les suivaient, reconnaissant en
Laetheniä et Lorindil deux héros.

Nombreuses furent les escarmouches durant les jours qui suivirent ; à Tor Yvralii, la petite ost défit les
assiégeants gobelins, libérant ainsi les gardiennes du temple d’Isha. Devant la rivière d’argent, une
horde de chevaucheurs de loups fut taillée en pièce par le seul courage de Laetheniä et la magie de
Lorindil. Peu à peu, les Elfes reprenaient foi en la victoire, et des régiments entiers de soldats citoyens
rejoignirent les rangs glorieux de l’armée d’ Yvresse.

Cependant les nouvelles ne cessaient d’empirer : Grom la Panse progressait inéluctablement en
direction de Tor Yvresse, et les armées elfiques en étaient réduites à des combats d’arrière garde.
Cependant les régents de Tor Yvresse ne semblaient pas prendre au sérieux l’invasion, bien au
contraire ; dans leur orgueil démesuré, ils n’entreprirent aucun travail de siège et préparaient une sortie
suicidaire. Seul le courage du noble Eltharion sauva la cité de Morai Hegg …

Pendant ce temps, l’ost de Lorindil et Laetheniä entreprenait la libération du nord du pays, espérant
ainsi couper en deux l’immense horde de peaux vertes. Contre toute attente, plusieurs chefs de guerre
orcs s’étaient rangés sous la terrible bannière de Grom la Panse, et opposaient aux deux amants une
vile résistance.

Après plusieurs jours de marche, l’ost rencontra une impressionnante compagnie de chevaliers
Heaumes d’ Argent : ces derniers appartenaient à l’ordre de l’ Elenfëa, et bien que menant un
perpétuel combat contre le Chaos, les chevaliers de la garnison de Tor Gelendi avaient du se résoudre
à quitter leur forteresse, sous peine de se retrouver totalement submergés par les hordes de gobelins.
Profitant de cette aide inespérée, Laetheniä lança un grand raid destiné à scinder en deux une fois pour
toutes les forces maléfiques.

Lorindil, de son côté, ressentait de plus en plus de grands bouleversements dans les vents magiques : il
ignorait encore que les gobelins avaient entrepris de détruire les monolithes sacrés, ces immenses
réceptacles magiques guidant les flux magiques en direction du Vortex.

Les chevaliers parvinrent à ouvrir une voix sanglante parmi la horde de peaux vertes, et au cours d’une
charge épique à travers les rangs gobelins, l’ost parvint à briser le siège de Tor Naëmessi. L’on dit que
ce jour là, chaque guerrier de l’ost tua cent peaux vertes, et que le sol verdoyant de la prairie se
transforma en un lac visqueux de sang noir âcre. La foule de citadins accueillit avec joie l’armée des
libérateurs, et de nombreuses fêtes célébrèrent leur victoire.

Dans un temple consacré à Morai Hegg, Lorindil et Laetheniä scellèrent leur union par les liens sacrés
du mariage. Mais les deux jeunes elfes n’eurent point le temps de profiter plus longuement de leur
bonheur. Le surlendemain, une nouvelle horde de gobelins entoura la ville.

Durant vingt jours, les défenseurs de Tor Naëmessi luttèrent pour repousser la marée verte. Les
gobelins construisaient d’imposantes machines de guerres, et de nombreux lance rocs soumettaient la
ville à un long et dévastateur pilonnage.

Les chevaliers de L’Elenfëa menèrent en réponse de nombreuses sorties, épaulés du contingent de
patrouilleurs ellyriens de la cité. N’écoutant que leur courage, ces nobles guerriers harcelaient les
positions ennemies, se jouant de la couardise et de l’indiscipline de leurs ennemis. Grands furent leurs
exploits, si bien qu’ils parvirent à anéantir les redoutables catapultes gobelines.

Pendant ce temps, Lorindil entreprenait d’armer les citoyens de la cité. Avant leur arrivée, la plupart
des forges avaient été détruites par les bombardements gobelins. De nombreux forgerons, maçons,
charpentiers se trouvaient dans les rangs de l’ost libératrice. Aussi les forges de la cité furent remises
en état et tout le fer et l’acier disponibles furent refondus en armes et armures.

Bientôt, l’effort de guerre permit aux soldats de supporter le long siège :

Sur les créneaux, Laetheniä redoublait de courage et d’audace. L’un après l’autre, elle vainquit les
chefs gobelins de l’armée ennemie, les tranchant de son épée avec une facilité presque méprisable,
tandis que son armure absorbait sans se briser les moindres coups portés à sa propriétaire.
Des milliers de flèches volaient au-dessus du champ de bataille, aussi bien sur les rangs compacts de
gobelins que sur les défenseurs de la cité. Chaque assaut apportait son flot de violences et d’horreurs.
Et avec chaque elfe mort s’effaçait un peu de l’espoir d’une proche victoire.

                         TROISIEME CHANT : la mort de la guerrière

Et pourtant, un matin, la brume se leva sur les hordes hésitantes de gobelins. Depuis deux mois, la
horde menait le siège devant la cité, en vain. Des rumeurs circulaient parmi les gobelins selon
lesquelles Grom la Panse avait été vaincu par le seigneur de guerre Eltharion.

Un vent de panique souffla parmi les assiégeants lorsque Lorindil et Laetheniä, profitant de
l’incertitude de leurs ennemis, ouvrirent les massives portes de la cité et entamèrent une sortie.

Les gobelins ne résistèrent guère à la foule de guerriers assoiffés de vengeance : tous avaient perdu un
parent ou un ami dans cette guerre, et la haine animait maintenant leurs cœurs.

Les gobelins rompirent les rangs, poursuivis par les chevaliers, Laetheniä en tête. La plupart des
petites créatures furent écrasées sous les sabots des coursiers elfiques, ou brûlés par les terribles
flammes ardentes lancées par Lorindil.

Alors que la bataille semblait gagnée, une immense horde de chevaucheurs d’araignées, de loups et de
sangliers se profila à l’horizon. L’armée ennemie, dirigée par Nazbroc, un puissant orque noir,
représentait les dernières forces ennemies en présence dans le Nord d’Yvresse ; mais à eux seuls, ils
pouvaient écraser les ultimes défenseurs de Tor Naëmessi.

Eperonnant sa licorne, Laetheniä se lança à l’assaut de l’ennemi, suivie par des centaines de cavaliers.
Elle défia le seigneur de guerre orque Nazbroc dans un duel épique. Ce dernier accepta dans un
grognement inhumain. Un terrible duel s’engagea. Les cavaliers, submergés par le nombre, tombaient
les uns après les autres. Lorindil, fou d’inquiétude, sonna la charge : les milliers de fantassins elfes se
ruèrent en direction du combat. Pendant ce temps, Laetheniä parvint à tuer la wyvern de Nazbroc.
Hélas, sa triomphante licorne fut terrassée par le seigneur de guerre orque.

Les milliers de cavaliers peaux vertes se ruèrent à contre les assaillants elfes, créant une terrible mêlée.
Ouvrant à grand coup d’éclairs magiques un chemin de sang parmi les gobelins, Lorindil ne pensait
qu’à rejoindre sa bien-aimée.

Le combat semblait durer éternellement entre Laetheniä et Nazbroc, lorsque, d'un revers d'épée
magique, la guerrière blessa à mort l’orque noir. Mais ce dernier, alors que sa vie s’échappait de son
corps puant, porta à son adversaire un coup si violent qu’il l'empala de son épée.

Lorindil hurla : Laetheniä venait de s’écrouler. Terrassant ses derniers adversaires, il se précipita en
direction de sa bien aimée, prêt à la défendre au péril de sa propre vie.

Mais les peaux vertes étaient vaincus ; et tandis que les elfes poursuivaient les derniers gobelins,
Lorindil prit tendrement dans ses bras sa compagne agonisante.
L’on dit qu’avant de mourir, Laetheniä fit jurer à son époux de continuer la lutte, mais de ne jamais
renoncer à fonder sa propre maison. Elle déboîta de son armure le saphir runique, et le remit à
Lorindil, lui demandant de le garder auprès de lui, et de le donner à celle qui guérirait son cœur, afin
qu’au-delà de la mort, elle puisse veiller sur son compagnon et sa descendance.

Alors que Laetheniä expirait, la rune se mit à briller intensément, et Lorindil sut que sa bien aimée
avait ressuscité au cœur même du bijoux.

Ainsi s’achève le récit de Lorindil et Laetheniä, unis par leur amour au delà même de la Mort. Noble
seigneur, aie pitié de leur sort, car Lorindil portera longtemps le lourd fardeau de son inconsolable
peine.

          Il n’existe de mots assez justes pour décrire la douleur de la perte d’un être cher. Même un poète de la
        trempe d’Yvalin échoua dans cet exercice. Le récit s’achève ici, avant que ne soit cité à nouveau le nom
        de Lorindil :

         Voici le résumé du Livre des Fils de Sang ; écrit par le Barde Yvalin d’Avelorn dans ses Chants
        d’Yvresse ; Chants 550 à 600. Notre barde présente à son auditoire une nouvelle menace pour le
        royaume tout entier :

                                     *** Har Garond la Maudite ***

 Loin au Nord se trouve Naggaroth, le terrible royaume de Malekith. Terre de malheur, de haine et de
désolations glacées, ce domaine maudit se divise en de nombreuses terres, à la manière des royaumes
d’Ulthuan.
 Au sud-est de ces terres de toundras et de forêts putrides se trouvent les Collines de Granite, de
vastes montagnes de roche grisâtre aux sommet usés par le poids des siècles.
 Sur le plus haut plateau fut fondé Har Garond, la cité sanglante, par Garandrach’, un prince de
Caledor ayant choisi le parti de Malekith lors de la Grande Déchirure.
 La ville tout entière semble élever de longs doigts crochus en direction des cieux, tandis que des
innombrables geôles de la cité s’échappent les hurlements de captifs torturés pour le seul plaisir de
citadins dépravés.

 Et les furies ne cessaient de sacrifier, les miliciens de surveiller l’horizon depuis leurs sombres tours,
et le seigneur Ganor de méditer ses sombres projets de carnages…

 Le sombre monarque s’était taillé à la mort de son père une réputation de dictateur sanglant, lorsque,
contraint à l’exil par un concile de bourgeois de la cité, il revint quelques mois plus tard, couvert d’or
et de crânes de guerriers vaincus, suivi par une ost de pillards fanatiques.
 Durant la Nuit du Pouvoir, il remonta sur le trône familial, non sans livrer aux furies les usurpateurs
et leurs nombreux disciples…
 Il entreprit alors de nombreux raids par-delà le monde ; pillant les désolations nordiques, il écrasa
une horde de guerriers de Khorne. Ravageant les alentours d’Athel Loren, il ne laissa du Clan des Gui
qu’une sinistre rangée de têtes plantées sur des piques, au milieu d’une clairière ravagée.
L’Empire ne fut pas non plus épargné, et lors de la bataille du Col Maudit, l’armée de Karl Frantz fut
terrassée.
  De nombreux héros profitèrent de cette période ; Malenor devint le bras droit de son Seigneur, Malus
l’assassin attitré de Ganor, Laeneth ravagea maintes fois les lignes ennemies de sa sombre magie, et
Dulmorwen s’imposa comme la meilleure guerrière de l’armée.
  Mais la folie s’empara de l’âme du monarque. Il projeta d’envahir les royaumes nains ; la bataille se
solda par un cinglant échec. Le sang ne fut nullement coulé ; il suffit aux guerriers d’ Har Garond de
voir leur seigneur gravement blessé par un éclat d’obus pour fuir le combat.
  De nombreux officiers furent exécutés en réponse à cette inadmissible couardise. Mais rien n’y fit.
Ganor perdait de son charisme, et de nombreux héros tentaient régulièrement de le faire assassiner.
  Afin de rétablir son prestige, le Sombre Monarque leva une immense armée contre l’Empire. Une
Arche Noire accosta à l’ouest de Marienburg, prête à répandre mort et désolation, tandis qu’une
seconde arche noire voguait en direction des Désolations du Chaos.
  Karl Frantz revint défendre sa nation, et lors d’une bataille sanglante, défia le Sombre Monarque.
  Les deux empereurs combattaient depuis des heures sans qu’aucun camp ne parvienne à triompher ;
le flanc gauche impérial fut anéanti, mais la couardise des chevaliers druchii condamna le flanc gauche
elfique. Karl Frantz en profita pour défier Ganor. Le combat fut intense, et pendant un bref moment,
l’elfe noir sembla l’emporter. Mais ce fut l’empereur des Humains, qui d’un puissant coup de son
marteau de guerre, éclata le torse de son adversaire.
  Le centre de l’armée Druchii s’enfuit, l’infanterie, la cavalerie impériale et Karl Frantz à ses trousses.
Les survivants elfes noirs, menés par Laeneth, parvinrent à s’échapper et à regagner Naggaroth.
  Dans la Cité Sanglante, la consternation fut de taille. Les multiples factions rivales s’affrontaient
pour prendre le pouvoir, et durant cette mesquine lutte politique, Malenor et Laeneth trouvèrent la
mort de la lame experte de Malus…
  Dulmorwen voulut rentrer en Har Garond. Elle savait que son armée pouvait s’imposer face aux
milices rivales, et caressait l’espoir de succéder à son défunt cousin sur le trône. Mais sa rivale,
Duthaurmen, complotait les mêmes projets. Et c’est elle que l’armée de l’arche noir décida de suivre.
  Dulmorwen, à bord d’un navire maraudeur, rejoint Naggaroth. L’on dit que de sinistres pactes furent
signés avec le Seigneur Magarch de Karond Klar. Du moins la Vipère, ainsi que la surnomment ses
ennemis, s’éclipsa durant de longs mois de la scène politique pour le moins tourmentée d’Har
Garond…

 Loin au Nord, Duthaurmen et son ost périssaient entre les griffes des démons…

 Dans la cité sanglante, l’anarchie régnait.
 En Ulthuan, la consternation tombait : une horde de pillards Druchii était parvenue à écraser les
défenses d’ Avelorn. Les survivants tremblaient en racontant le récit de ces sinistres semaines de
combat, tandis que les chauds rayons du soleil d’août inondaient les forêts du royaume d’Isha. De
leurs bouches revenait le même mot, prononcé à la fois avec crainte et défiance, celui de la Vipère…

                   *** Du carnage en Avelorn, et de l’avènement de Valdelia ***

 L’on sait peu de choses de ces jours maudits.
 La première bataille eut lieu lors d’une chaude journée d’août. Et Dulmorwen massacra bon nombre
de ses adversaires. Cependant, les demoiselles d’honneur et les auriges de Tiranoc permirent de
vaincre les furies, tandis que les heaumes d’argent enfonçaient le centre de l’armée.
La seconde bataille eut lieu dix jours plus tard. Dulmorwen avait retenu la sanglante leçon du
précédent conflit ; elle envoya ses éclaireurs déborder le flanc gauche, tandis que la horde Druchii se
ruait sur le flanc droit. Le piège fonctionna à merveille, et le centre se retrouva totalement encerclé,
avant d’être annihilé…
 L’heure était grave, mais les autres royaumes elfes n’avaient point le temps d’intervenir : en Yvresse
se profilait l’ombre de Grom la panse, menaçant de détruire l’île continent tout entière.
 Ce fut une jeune demoiselle d’honneur, au passé inconnu, qui osa défier la horde de Dulmorwen. Les
elfes noirs avaient repérés un temple au sud du royaume. La jeune guerrière, que ses consœurs
nommaient Valdelia, organisa la défense de l’édifice en un ultime carré. Les Elfes Noirs tombèrent
dans le piège et se ruèrent à l’assaut. Cependant Dulmorwen préféra n’envoyer qu’une ultime avant-
garde ; ses devoirs envers son Sombre Monarque l’appelant à quitter Ulthuan afin de Lui prêter main
forte dans les Désolations du Chaos. Cette retraite fut certainement la seule raison à la réussite du plan
suicidaire de la jeune elfe ; les cavaliers noirs furent exterminés, et les guerriers des milices d’Har
Garond vaincus dans une orgie de sang.
 En Avelorn, cette victoire mineure fut considérée comme l’œuvre d’Isha elle-même, et les prêtresses
de la Déesse Mère exhortèrent leurs semblables à une croisade sainte contre la Vipère, responsable de
tous les tords perpétrés contre Isha…

 Les années s’écoulèrent. le seigneur archimage Lorindil goûtait à la paix légendaire du royaume
forestier d’Athel Loren, en compagnie de son épouse, la belle Luthien. Il croyait avoir accompli son
destin et goûtait au repos aux côtés de la gardienne de l’âme de Laethenia. Mais il se trompait.

 Un matin, Morai-Hegg lui apparut une ultime fois. Elle lui ordonna de rejoindre l’armée d’Avelorn
au plus vite. Là, il devait retrouver un être de son sang, disparu peu de temps avant sa naissance, et y
réaliser sa destiné.
 Lorindil obéit. Il embrassa sa compagne, et quitta pour toujours les vertes clairières d’Athel Loren…

          Le barde reste muet, quant au devenir du mage Lorindil. Curieux oubli, mystérieux récit inachevé que
        voilà !
          Les Elfes ignorent encore beaucoup de choses sur leur propre histoire ; non pas celle de leurs Rois, de
        leur guerre contre le Monde extérieur, mais celle, plus modeste, de leurs héros, véritables artisans de la
        culture elfique.
          Mais qu’importe ! Il existe d’autres voies que les parchemins de la Tour de Hoeth pour percer les
        secrets des plus illustres personnages d’Ulthuan, il en est même une transcendant le corps lui-même,
        séparant l’âme de son enveloppe pour un voyage à travers le temps et l’espace, le possible et la
        réalité…
          C’est ce voyage, ami lecteur, que je te propose d’effectuer. Laisse-moi te conduire à travers les
        brumes du passé jusqu’en la demeure de Lorindil l’exilé, en Athel Loren, et permets que je te narre ses
        exploits obscurs, et son combat face au Poids de son Destin…
Le Poids du Destin

  L’élégante fenêtre ovale laissait pénétrer les doux rayons du soleil, réchauffant le vieux
plancher de bois vivant. Les vitres avaient été ouvertes, afin de profiter de l’air frais de cet
après-midi de printemps. Une brise rafraîchissante pénétrait de temps à autre dans la demeure,
se glissant dans les rideaux de lin, charriant une agréable odeur d’essence de pin et de fleurs
fraîchement écloses.

 Assis autour d’une table de merisier, deux élégants elfes, l’un vêtu de la bure blanche des
mages d’Ulthuan, l’autre d’une magnifique robe de sorcière d’Athel Loren, se délectaient
d’une tasse de thé.

  La femme, une ravissante mage aux yeux noisettes, ne cessait de dévorer du regard son mari.
L’homme, un grand elfe aux cheveux brun dorés, le regard sombre, lui renvoyait son regard
avec la même intensité, la même passion. Et pourtant. Une teinte de désespoir semblait
masquer l’éclat de ses yeux verrons. De temps à autre, son visage se crispait, s’assombrissant
brusquement, alors que son regard glissait du visage angélique de sa compagne jusqu’à
l’énorme saphir qu’elle portait contre sa poitrine...

                                 1. En la Demeure du Mage

 Ainsi s’écoulaient les journées des deux jeunes époux, installés depuis peu dans cet arbre-
demeure d’Athel Loren, à quelques miles seulement de la Clairière Sacrée.

  Le mage haut elfe, malgré la stupéfiante jeunesse de ses traits, était considéré comme un
puissant sorcier parmi ses pairs ; le dernier répondant encore du Culte de Morai Hegg. Tous
ici le connaissaient pour ses aventures avec le Tueur Kundin Oakenshield lors de la Grande
Guerre de la Confédération ; bien que certains s’étaient laissé conter les ballades composées
en son honneur en Ulthuan, relatant son combat contre l’envahisseur gobelin, ou narrant le
récit d’une mystérieuse quête à travers le Temps et l’Espace en compagnie de la noble
Prêtresse Syvirine...

 Tous les nobles guerriers d’Athel Loren connaissaient donc l’imposante réputation de leur
hôte, le mage Lorindil de Tor Yvresse, et quelques ménestrels s’essayaient déjà à la rédaction
d’une ballade en l’honneur de l’hymen qui l’unissait à la ravissante mage Luthilenal
Gilglinael...
La Mage Aux Mille Lances Acérées, celle qui sous un déluge de foudre et de glace terrassa
le dragon du Chaos Grinderblagh, avait rangé pour un temps sa haine du Chaos, se consacrant
entièrement à l’élu de son cœur. Et c’était dans cette charmante demeure, aux murs ruisselant
de vie et de sève, que les deux époux tentaient de vivre en harmonie avec la Nature même,
oubliant petit à petit les horreurs qui se déroulaient en dehors des frontières du Royaume
Forestier...

 Ainsi passèrent de longues années, sans qu’aucun autre rythme que l’écoulement des saisons
ne vienne troubler leur quiétude. Au printemps, Orion conviait les époux aux festivités de la
Renaissance. Lorindil chassait en compagnie des plus grands nobles d’Athel Loren,
parcourant sur le dos d’un étalon brun les étendues boisées d’Athel loren, Luthilenal, à ses
cotés, menait avec grâce sa jument blanche. Que lui importait-il de recevoir des nouvelles de
son ancien royaume, lui qui se considérait comme un renégat à l’autorité du Roi Phœnix ? A
quoi bon rentrer en un royaume qui lui rappelait tant de souffrances passées ?

 Il avait vu mourir tant de compagnons d’armes, tant d’innocents, que la guerre ne lui
inspirait plus qu’une profonde nausée. Il avait combattu, souffert, accepté la cruauté des
combats, vu ses amis et son épouse mourir devant son regard impuissant. Mais dans quel but ?
Pour quel combat avait-il loué son bras ? Pour quel idéal avait-il fait répandre le sang ? Et
pourquoi l’avait-on choisi, lui, et non pas un de ces grands dont le monde entier admirait les
faits d’arme ? Peut-être était-ce cela, le destin de Héros, combattre avec indifférence dans le
seul but de répondre à l’appel d’une imperceptible Force ... Le Destin ...

 Luthilenal baissa un instant son regard, cherchant d’une main distraite son ouvrage de
couture. Alors que la fine aiguille de mithryl insérait sans fin de longs fils colorés de coton,
elle entama la conversation, brisant les sombres méditations de son époux.

" Allons, quel est donc ce tracas ? " Lui demanda-t-elle, d’un air détaché.

-Ho, rien, rien ... " Le jeune mage, bien qu’habile diplomate, n’en restait pas moins un piètre
menteur.

-Je pourrais lire dans ton regard comme dans un livre, Lorindil. Est-ce donc cette missive qui
te perturbe tant ? "

 Les deux regards se tournèrent vers un parchemin, négligemment posé sur un des fauteuils
du salon. Depuis maintenant trois jours, le jeune mage ne cessait de relire ce courrier
inattendu, marqué du sceau du Roi Phœnix.

" Elle ne me perturbe pas... " Le ton sinistre de sa voix trahissait un profond émoi.

-Vraiment ?

-Je n’ai plus aucun lien avec ces gens-là. Ce ne sont que courtisans et arrivistes, incapables de
maintenir des relations amicales avec le moindre peuple... Et pourtant à la tête des armées de
mon pays...
- Est-ce une raison pour ne pas répondre à l’invitation de ton Suzerain ?

- Ce n’est plus mon suzerain.

- Il dirige pourtant tes pairs.

- Peut-être. Mais je n’ai plus aucun lien avec ces gens-là. "

Un silence envahit la pièce, interrompu par le chant d’un rossignol.

" Et ta Déesse ? Et Laethenia ? " s’hasarda-t-elle.

-Ma Déesse... Sait que j’ai accompli mon devoir. Je n’ai plus de dette envers elle... " Il
marqua une pause, touchant de ses longs doigts l’imposant saphir " j’ai suffisamment payé
pour vous sauver... Je ne dois plus rien, à personne... "

-Lorindil... " La jeune elfe arrêta son ouvrage, poussant un long soupir. " Que te veulent-ils
donc pour que tu réagisses ainsi ? "

-Mon soutient. Pour une campagne de grande ampleur. La destruction d’Har Garond, en
Naggaroth.

-Et ?

-Elea de Saphery et Eltharion en personne dirigeront les deux premières légions. On me
propose de mener la troisième ; des guerriers de Chrace. Mais je n’irai pas. Ce n’est plus mon
problème. "

 La jeune elfe secoua lentement la tête, semblant approuver ses paroles.

" Tu as raison, cette guerre de Sang ne les mènera qu’à leur perte. Un jour, ils regretteront de
s’être détournés de la Déesse Mère... "

-Un jour, un jour... " songea-t-il à haute voix. " Parfois il me semble que ce jour fatidique se
rapproche à grands pas... "

 Les jours s’écoulèrent, longs et paisibles, sans qu’un seul nuage ne vienne troubler le ciel de
printemps ; rayonnant le jour, constellé de mille étoiles à la tombée de la nuit.

  Un mois après l’arrivée de cette missive, un violent orage éclata. Des trombes d’eau
s’abattirent sur la foret, flétrissant les fragiles corolles multicolores des fleurs, brisant les
troncs d’arbres fragiles. Une nouvelle lettre venait de troubler la quiétude de l’archimage ;
malgré le tonnerre et le grondement de l’averse de grêle, Lorindil n’avait cesse de lire et relire
le message, fonçant des sourcils. Puis, d’un geste las, il tendit la missive à son épouse.

  Luthilenal hochait lentement de la tête tout en lisant, comme pour approuver les propos de
l’auteur. Son regard devint bientôt aussi songeur que celui de son époux, avant d’entamer une
lecture à voix haute du message :
" Mon cher neveu,

      J’espère que cette missive te trouvera en bonne santé, toi et ton épouse.

      Je m’excuse de n’avoir pu t’écrire plus tôt, bien que je me demande si le sort de notre
     pauvre royaume t’intéresse encore ...

      Je ne te blâme pas, je sais quels raisons t’ont poussé à fuir Ulthuan, et j’espère que tu as
     enfin retrouvé la paix en Athel Loren... Cependant je me dois de te prévenir de certaines
     choses te concernant...

      Le Roi Phœnix t’a destitué de tes bien, et rayé ton nom du Livre des Nobles. Certains
     courtisans osent même insinuer que ta fuite coïncide avec le regain de pillages Druchii
     contre les côtes d’Yvresse...

      Je me refuse à te considérer comme un vulgaire déserteur, et je méprise ces nobles
     prétentieux, qui, quelques année auparavant, saluèrent ta victoire lors de la bataille de la
     Confédération (2)...

      Mais tu connais le proverbe, les absents ont toujours tort... Et il leur fallait un bouc
     émissaire. Ne leur en veux pas, car ils n’en valent pas la peine. Finubar excelle peut-être
     dans la diplomatie et le commerce, mais il n’a jamais pu faire la différence entre une
     rumeur perfide de sa cour et un événement réel...

      J’ai, comme tu l’auras remarqué, fermé cette lettre à l’aide d’un sceau magique. Quelque
     chose me dit que ton départ favorise le dessein d’une quelconque puissance maléfique ; que
     tu connais sous le pseudonyme de la Vipère ... Cette perfide souveraine se complait à
     menacer Avelorn depuis de nombreuses années, et je mettrais ma main à brûler qu’elle se
     cache derrière ces manigances...

      J’attends de tes nouvelles avec une réelle impatience,

      Ta tante et éternelle alliée en Ulthuan la Blanche,
                                                                                                 Elea "
" Et tu vas y aller, hein ? " Lui lança-t-elle, d’un air de reproches.

- Je n’ai rien dit... " Lorindil releva la tête, ses yeux exprimaient un profond émoi.

-Tu es un très mauvais menteur, Lorindil. Je sais très bien ce que cette lettre signifie... Elle t’a
été adressée depuis des mois, peut-être des années. Tu sais que ta tante a répondu au défi
lancé par cette Sombre Souveraine, et combat désormais en Naggaroth, et ton esprit
chevaleresque t’ordonne de suivre l’appel de ton sang...

-Encore faudrait-il... Que ce sang coule encore dans d’autres veines...

-Que veux-tu dire ? "
Lorindil sortit une autre lettre de sa longue robe de mage, et la tendit à son épouse, les mains
tremblantes. Luthilenal s’empressa de la lire, parcourant fiévreusement l’écriture elfique,
avant d’hoqueter d’horreur.

" ... Elea Findelwen fut capturée le quatorzième jour. Son cadavre ne fut retrouvé que dans les
oubliettes de Dul Morghul, atrocement déchiqueté. Elle n’a pu en conséquence recevoir les
Derniers Sacrements. Ses cendres recouvrent désormais la sombre terre de Naggaroth... "

-Voilà ce que le second message vint m’annoncer ce matin, en même temps que ce pli
posthume de ma tante. Peut-être voulait-elle m’écarter de ce tragique dénouement, repoussant
toujours plus loin l’envoi de son courrier... Ou n’avait-elle pas moyen de l’envoyer... Qui sait,
était-elle surveillée ? Et par qui ? Non, mon Adorée, je ne peux plus désormais rester neutre.
Plus maintenant...

-Et pourquoi donc ? Où sont passés tes promesses ? N’as-tu pas maintes fois juré de ne plus te
mêler des affaires d’Ulthuan ?

-Je ne me mêle pas de sombres affaires de cours, j’honore la mémoire de ma dernière
parente ! " Lorindil s’était levé d’un seul bond, les yeux brillants.

- Lorindil, je ne t’ai jamais vu t’emporter de la sorte, calme-toi, par Isha ! " lui lança
Luthilenal.

Lorindil se rassit, replongeant dans ses pensées.

" Tu n’as pas à te battre pour son honneur, Lorindil. Elle est morte au combat, bravement, j’en
suis sûre, mais en aucun cas tu te dois de braver monts et marées pour la venger ! " Continua-
t-elle à mi-voix.

- Laethenia... Kundin ... Maintenant Elëa...

- C’est du passé, Lorindil ! Du passé !

- J’ai perdu tant de compagnons... Tant de destins ont défilé devant moi... Je ne veux pas que
tu connaisses le même sort, mon amour… Mais il me faut honorer ma famille, et laver
l’affront. Ce n’est pas ma volonté, mais bel et bien un ordre.

- Un ordre ? Mais de qui ? Lorindil, arrête de jouer aux justiciers romantiques ! » L’exhorta-t-
elle.

- Le Destin, une fois de plus, m’a rattrapé. Ma décision est prise depuis longtemps, Luthilenal.
Le messager n’est pas venu seul... Demain, je suivrai son escorte jusqu’à Ulthuan, et je
combattrai à nouveau… "

  Son épouse se leva, et marcha lentement jusqu’à la petite fenêtre ovale. Un éclair illumina
les sous-bois, avant qu’elle ne se retourne, lentement.

« Soit. Si tu en as décidé ainsi, je ne puis qu’approuver ta décision, en bonne épouse… »
Lorindil se leva, rejoignant son épouse.

« Cependant, promets-moi de ne point m’oublier, Lorindil… Quoi qu’il advienne, quoi qu’il
arrive, je t’aime plus que tout… » Lorindil enserra sa jeune épouse, avant de l’embrasser
tendrement. « Reviens-moi vite, mon amour… »

Le lendemain, un groupe de heaumes d’argent, arborant au bout de leur lance de verts
pennons marqués de la Larme d’Isha, escortés de cavaliers sylvains, s’arrêtèrent au seuil de la
demeure. Un grand guerrier, engoncé dans son armure de mithril, frappa à la porte. Les deux
époux lui ouvrirent. Luthilenal eut un sursaut de surprise en détaillant l’escorte : elle ne savait
que trop bien ce que signifiait la venue d’une telle ambassade. Seule la nécessité de protéger
Avelorn justifiait la présence d’émissaires d’Ulthuan au cœur même d’Athel Loren. Et cette
autorisation ne pouvait être délivrée que par deux personnes seulement en cette foret...

" Et Ariel qui me souhaitait tous ses vœux de bonheur lors de la cérémonie de la
Renaissance ! Elle savait tout, tout ! Quelle garce " Pesta-t-elle, se dressant entre l’archimage
et la porte d’entrée. Lorindil s’était contenté de revêtir une cape de voyage huilée. Son
coursier l’attendait désormais devant le seuil de la chaumière, toujours tenu par le chevalier.
Harnaché et équipé pour sa quête. Un destrier elfique de mage, paré pour livrer bataille...

Le serviteur de Morai Hegg se contenta de soulever tendrement son épouse, et l’embrassa
longuement.

" Avant de partir, réponds à cette question, Lorindil : des nuits entières, je t’ai entendu pleurer
en rêvant... Tu tentais de contrôler ta vie, de vaincre le Destin ! Pourquoi, pourquoi te plie-tu
donc aujourd’hui à sa Volonté?

- Pour mieux le dompter, le moment venu... Qui sait ? Je reviendrai, Luthilenal. Ceci n’est
qu’un contretemps... Je ne le fais pas pour moi, mais pour nous...

- Si tu veux faire quelque chose pour nous deux, alors dis-leur de s’en retourner ! » Lui
répondit-elle, tout en sanglotant

L’archimage l’embrassa. Puis, se retournant, il marcha en direction des cavaliers.

" A bientôt, mon Adorée "

L’archimage mit pied à l’étrier, et se hissa sur le dos de sa monture.

" Lorindil ! Je t’aimerai toujours ! Reviens-moi ! " lui lança Luthilenal

L’archimage tourna la tête en sa direction, le regard triste. La colonne se mit en marche, et
Lorindil la suivit, remontant la file des cavaliers pour en prendre la tête.

Luthilenal les regarda s’éloigner. Dans les arbres, des mésanges pépiaient.

" Lorindil, ne m’abandonne pas... " Ses larmes ruisselaient sur son visage. Instinctivement,
elle porta ses mains à son bas-ventre, trahissant une attention maternelle.
" Car tu vas être père... " Murmura-t-elle à la silhouette de cavaliers, se fondant maintenant
dans la pénombre des sous-bois…

               " Vole, vole, pauvre papillon, vers l’irrésistible flamme de ton Destin

                         Car ce qui a été séparé doit à nouveau être réuni

                     Dans les forets d’Avelorn où à nouveau les Elfes désunis

                  Ecriront de leur propre sang une page du Terrible Dessein... "

                                                                       Les Prophéties de Kasandolea
La lourde patte reptilienne d’un énorme sang froid s’abattit sur le cadavre d’un garde
phœnix, lui broyant la cage thoracique dans un craquement sec.
  Du haut de cette colline, couverte des cadavres d’un bataillon de guerriers Hauts Elfes, la
cavalière contemplait, d’un sourire narquois, l’étendue du champ de bataille :
  Des centaines de corps, atrocement mutilés, recouvraient l’herbe de la plaine. Tuniques
blanches couvertes de sang, écailles d’argent atrocement déchirées, sombres carcasses de
métal tachetant le charnier de leur masse noire, chevaux éventrés, machines de guerre
démantelées …
  L’assaut avait été bref, mais d’une rare violence. Rien ne subsistait du détachement de Tor
Falensi. Le fortin lui-même, assailli par les corsaires de la flotte Druchii, se détachait à
l’horizon, pointe noire enfumée face à l’océan, livré aux flammes destructrices…
  Lentement, la cavalière fit craquer ses phalanges, dans un rictus de mépris. Dressant à
nouveau sa hallebarde, elle n’avait de cesse de fixer la route de terre qui s’enfonçait dans les
proches sous-bois de sapins. Son Sang Froid remuait stupidement la queue, tout en broyant
entre ses terribles mâchoires une tête d’elfe. Un cavalier, encapuchonné dans sa cape noire, la
rejoignit, son sombre destrier marchant avec prudence en direction de l’imposant reptile de
guerre.
« Maîtresse ; les derniers prisonniers ont été exécutés, selon tes ordres. La Légion a établi son
campement dans les sous-bois ; des éclaireurs surveillent déjà la région… » Annonça
l’estafette, d’une voix atone et glaciale.
-Bien, Très Bien. Que leurs corps servent de nourriture à nos braves. Inutile de gaspiller nos
vivres. Les consignes ont-elles circulé parmi tes rôdeurs, Vandaleïr ?
- Oui, Maîtresse. Les plus proches fermes et villages brûlent déjà…
- Parfait… Tout à fait parfait… »
  La jeune elfe planta son hallebarde au sol, et de ses deux mains, retira son heaume de sombre
acier, découvrant un magnifique visage, ses yeux verrons brillant dans le crépuscule, tandis
que la douce brise du soir se prenait dans sa longue chevelure noire. Machinalement, elle
porta sa main à une fine cicatrice qui lui parcourait la joue de l’œil gauche jusqu’à son
menton.
  « Il est temps pour ces chiens d’apprendre ce que le mot Vengeance signifie… Bientôt, il ne
restera que ruines sur ces terres, et tout Avelorn tremblera devant Dulmorwen ! »
  La générale Druchii éclata d’un rire frénétique, entrecoupé d’hurlements démentiels, criant
sa rage et sa folie aux cadavres indifférents …

                                  2. La Marche de la Vipère

  « Mer, mer… Source de toute vie, Mère de toute créature, berce-moi de ton chant apaisant !
Murmure-moi encore les douces paroles des Dieux, qui de leurs mains habiles
t’ensemencèrent…
« Mer, mer, Douce mère… Qui jusqu’à notre rivage charrie l’espoir ; donne moi la force de
Ceux qui les premiers te marièrent à la Vie … »
  La jeune prêtresse d’Isha se releva, l’eau ruisselant le long de ses hanches nues. D’un pas
lent mais assuré, elle regagna la plage, laissant une dernière fois les vaguelettes se briser
contre ses cuisses cuivrées.
  Deux demoiselles d’honneur l’attendaient, la recouvrant d’une longue robe blanche aux
motifs turquoise, rabattant ses longs cheveux blonds en une élégante natte. La jeune mage se
laissait faire, le regard grave, le murmure de l’Océan résonnant encore dans son cerveau.
  Une troisième demoiselle s’approcha, tenant à sa ceinture une imposante épée à double
tranchant. Les deux autres guerrières, à sa vue, s’inclinèrent avec élégance. La jeune épéiste,
aux cheveux roux en bataille, et au visage encore couvert de tâches de rousseur, dégaina son
arme : une longue épée de saphir jaillit de son fourreau, qu’elle planta dans le sable, ses fines
mains entourant la poignée. Un genou posé à terre, elle salua sa supérieure, la tête basse.
« Mawraël, Gardienne de l’Epée Cristalline… Relève-toi, mon enfant… » La prêtresse prit
son visage entre ses mains cuivrées, incitant doucement la guerrière à la regarder dans les
yeux.
« Le Sang de Valdelia coule dans tes veine, Mon Enfant. Tu as les mêmes yeux que ta mère…
Quelle noble famille Isha nous a donc confiée !…
« Mais tu saisis certainement déjà pourquoi je t’ai convoquée… »
- Oui, Ma Mère… » Répondit la jeune guerrière, d’un ton sinistre.
- Elëa de Saphery n’a point été tuée. Nous nous en réjouissons toutes. Mais hélas, une bonne
nouvelle n’arrive jamais seule.. C’est ta mère, lors de la bataille de Tor Falensi, qui fut
vaincue par la Vipère… Valdelia était notre meilleure stratège… Avelorn lui sera
éternellement reconnaissante pour avoir repoussé, il y a deux cent ans de cela, la première
attaque d’Har Garond… Mais l’ennemi a su triompher de la Championne. Et de nouveau, le
Carnage s’est abattu sur notre beau royaume… »
  La prêtresse marqua un silence, une larme perlant sur sa joue.
« Maintenant, te voilà en possession de l’Epée Cristalline… Sois en fière, comme ta mère le
fut avant toi, et comme tes ancêtres avant elle, et ce depuis que les Elfes marchent sur Ulthuan
la Blanche… Puisse ce don d’Isha t’apporter force et vaillance… »
  La guerrière dressa l’arme au-dessus de sa tête, laissant la lumière du soleil envahir sa
structure cristalline, reflétant des milliers de petits spectres lumineux…
« Je saurai m’en montrer digne, Ma Mère… L’ Epée ne reposera pas au seuil du Trône d’Isha
tant que les Druchii fouleront le sol d’Ulthuan… » Lui répondit Mawraël. Malgré son regard
déterminé, une larme coulait le long du doux visage de la jeune elfe.
- Espérons-le, Mon Enfant, espérons-le… »

 Un imposant navire elfique accosta dans le port de Tor Yvresse, accueilli par une foule de
badauds et de guerriers, venus acclamer un des héros du Royaume d’Yvresse.
 Sur le pont, en tenue de Grand Prêtre de Morai-Hegg, l’Archimage Lorindil, son épée à
double tranchant à sa ceinture, saluait la foule. Jamais, dans ses rêves les plus fous, il n’aurait
imaginé tel accueil. Depuis le Temple de la Déesse Ridée, une procession de prêtres et de
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