LE PARTI SOCIALISTE PEUT-IL EXPLOSER ?
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Les Éditions Regards 5, villa des Pyrénées, 75020 Paris 09-81-02-04-96 Sommaire N°44 redaction@regards.fr Direction p.4 Autoportrait Clémentine Autain & Roger Martelli Directeur artistique Francis Parny Sébastien Bergerat - da@regards.fr Comité de rédaction p.6 Dossier Benoît Borrits, Sophie Courval, Guillaume Liégard, Le PS peut-il exploser ? Roger Martelli, Aline Pénitot, Emmanuel Riondé, Catherine Tricot, Tribune d’Éric Coquerel Nathanaël Uhl Interview de Jean-Daniel Lévy Secrétariat de rédaction de Harris Interactive Sophie Courval Administration et abonnements p.24 ABCD de l’égalité Karine Boulet - abonnement@regards.fr Comptabilité Le gouvernement renonce comptabilite@regards.fr Publicité p.34 Intermittents Comédiance - BP 229, 93523 Saint-Denis Cedex Scop Les Éditions Regards « Faire sauter Directrice de la publication et gérante le paritarisme » Clémentine Autain p.36 Par Clémentne Autain Sélection Livres pour l’été p.22 Isabelle Lorand Nous voilà deux ans après
ÉDITO Nous n’avons pas les mêmes amis Pour clore une année scolaire douloureuse sur le plan politique, deux infor- mations se croisent en un triste écho. La pauvreté a augmenté régulièrement depuis 2008 pour atteindre 14,3% de la population en 2011, nous rapporte l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) dans son dernier rapport annuel sur « Les revenus et le patrimoine des ménages ». Les inégalités se creusent, atteignant leur plus haut niveau depuis 1996. Les personnes victimes de la pauvreté ont de plus en plus de difficulté à en sortir. Alors qu’en 2010, toutes les catégories étaient touchées par la baisse du niveau de vie, seuls les quatre premiers déciles ont été dans ce cas en 2011. En revanche, les quatre derniers ont augmenté. Le redressement des très hauts revenus s’explique en grande partie par le rebond des revenus du patrimoine. C’est ainsi que les riches sont plus riches et les pauvres plus pauvres. La dynamique globale à l’œuvre, mesurée par l’INSEE seulement pour l’année 2011, risque de s’être amplifiée puisque la croissance française a depuis chuté et qu’aucune politique en faveur du partage des richesses n’a été enclenchée. Quelques jours après l’annonce de ce triste constat, le ministre des Finances Michel Sapin renvoyait aux poubelles de l’histoire l’hypothèse d’une offensive gouvernementale contre le néolibéralisme, pourtant seule à même de lutter contre la pauvreté et les inégalités. En tordant le coup à la phrase du discours du candidat François Hollande lors du meeting du Bourget, « Mon adversaire, c’est le monde de la finance », Michel Sapin vient d’enterrer la petite hache de guerre socialiste sortie le temps d’une campagne. Le ministre des Finances a ainsi osé cette réplique lors des « Rencontres économiques d’Aix-en-Provence » organisées par le Cercle des économistes : « notre amie c’est la finance : la bonne finance ». Nous avions bien remarqué que ce gouvernement mangeait dans la main du MEDEF, que les mots de la gauche ne faisaient plus partie du vocabulaire de la majorité socialiste mais l’aveu d’amitié avec la « bonne finance » résonne comme un bras d’honneur aux militants, sympathisants et électeurs de gauche qui ont permis la victoire de François Hollande. Peut-être auront-ils envie de répondre en chœur : « notre amie, c’est la gauche : la bonne gauche ». Celle qui ne gouverne pas. Pas encore. clémentine autain
AUTOPORTRAIT Francis Parny répond à notre questionnaire de Proust 67 ans Vice président du Conseil Régional d’Ile de France Membre de l’exécutif national du PCF JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 4
Ma vertu préférée La générosité. Ce que j’apprécie le plus chez mes ami-e-s L’intransigeance. Mon principal défaut L’intransigeance. Mon occupation préférée Faire la cuisine. Mon rêve de bonheur L’insatisfaction. Mes héroïnes de l’histoire Ce que je voudrais être Lucie Aubrac. Ce que je suis. Ce que je déteste Le pays où je désirerais vivre par-dessus tout Une métropole au bord de la mer. Ce questionnaire. Ma couleur préférée Personnages historiques Le rouge. que je méprise le plus La fleur que j’aime Les inquisiteurs de tout poil. L’orchidée. La réforme que j’estime le plus Mes auteurs favoris en prose Celle à venir. Yourcenar, Glissant, Pujade-Renaud.... Les fautes qui m’inspirent le Mes héros dans la fiction plus d’indulgence Arsène Lupin. Celles qui sont provoquées par Mes héroïnes favorites dans la passion. la fiction Ma devise Bonnie Parker. Ne pas plier. Mes héros dans la vie réelle Mon état d’esprit actuel « j’aime pas les héros ». Alternatif. JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 5
Le PS peut-il exploser ? Après la déroute des municipales et européennes, le PS et le gouvernement continuent de désorienter à gauche. Les «frondeurs» donnent de la voix. Jusqu’où la contestation peut-elle aller ? Deux ans après l’élection de François confidentiel-défense en France. Toute- Hollande, le Parti Socialiste désormais fois, il est généralement admis que le seul au gouvernement apparaît en piteux Parti Socialiste comptait 175 000 adhé- état. Le rejet profond de la politique gou- rents en Octobre 2012, au moment de vernementale par le peuple de gauche l’élection de son premier secrétaire, le a produit deux défaites électorales ma- peu regretté Harlem Désir. Et depuis ? jeures en 2014. L’attention médiatique Au sein même du PS, on évoque une s’est beaucoup focalisée sur la fronde perte de 10% des effectifs depuis le 31 au sein du groupe parlementaire, inédite décembre 2012. C’est sans doute un sous la V° République, mais d’autres minimum. phénomènes, la diminution du nombre Mais plus encore que le nombre de d’adhérents et l’effondrement du nombre militants, les déroutes électorales ont des élus devraient avoir des effets du- sérieusement entamé le principal trésor rables dans la capacité même du Parti socialiste : son capital d’élus. Selon les Socialiste a maintenir son ancrage dans chiffres de la Fédération Nationale des la société française. élus socialistes et républicains (FNSER) elle-même, le nombre d’élus socialistes « Chérie j’ai rétréci le PS ! » aurait fondu de moitié après les élections Les effectifs des organisations politiques municipales. « Nous étions un peu plus relèvent en général de la classification de 60 000 élus, nous sommes tombés JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 7
à environ 30 000 » explique l’ex-maire d’Epinay en 1971 sur les décombres de Toulouse, Pierre Cohen, Président de la vieille SFIO, est bel est bien en de cette Fédération. Mais le désastre ne bout de course. Ce constat, loin d’être s’arrête pas là, des centaines de direc- le seul fait d’observateurs critiques, est teurs ou de chefs de cabinet d’élus se aujourd’hui partagé au plus haut niveau sont retrouvés sans poste, du jour au de l’exécutif :« Nous sentons bien que lendemain (prés de 600, selon l’Associa- nous sommes arrivés au bout de quelque tion des Directeurs de cabinet des Col- chose, au bout peut-être même d’un lectivités locales ). Avec les secrétaires cycle historique pour notre parti » a ainsi particuliers, les attachés de presse, déclaré Manuel Valls, le 14 juin 2014 ce serait près de 1 500 collaborateurs devant le Conseil National de son parti. qui seraient désormais sur le carreau La politique libérale menée depuis le dé- depuis les municipales. L’avenir s’an- but du quinquennat, accentuée depuis nonce sombre pour les élus socialistes. le début de l’année 2014, n’est pas une La perte du Sénat en septembre 2014 parenthèse. La majorité de la direction du est déjà une certitude après la claque Parti Socialiste est désormais acquise des municipales et les élections territo- aux thèses libérales, à la politique de riales - cantonales, régionales – de 2015 l’offre avec comme corollaire l’attaque du devraient être un désastre. Le PS est monde du travail comme seule variable aujourd’hui hégémonique dans ces ins- d’ajustement. Au terme d’un long pro- titutions (21 des 22 régions et, avec ses cessus, la conversion à la doxa libérale alliés radicaux ou divers gauche, 58 des est désormais achevée dans les hautes 101 départements) mais le cumul de la sphères du Parti Socialiste. Ni François désaffection populaire et de la réforme Hollande, ni Manuel Valls n’entendent territoriale devrait être sanglant. changer le fond de leur politique. Le Ne nous y trompons pas, c’est un res- bilan des municipales comme des eu- sort puissant qui a disparu. Pour un parti ropéennes s’est traduit par « plus vite, d’élus, de collaborateurs d’élus auquel plus fort ». Les évolutions idéologiques on pourrait ajouter ceux qui aspirent à laissent poindre, désormais, un possible le devenir, la situation est lourde de me- rapprochement avec le centre droit : naces. La puissante machine à distribuer Modem et Udi voire une partie de l’UMP. postes et prébendes est durablement Les références répétées de Manuel Valls enrayée. à Georges Clémenceau sont en soi le signe d’une perte de substance. Le pré- Un libéralisme assumé sident du conseil de 1906 à 1909 et Ce bilan est d’abord le produit de la poli- de nouveau de 1917 à 1920, recevra tique voulue par François Hollande. Le le titre mérité de « briseur de grèves » : Parti Socialiste actuel, né au congrès tout un programme, en somme. Certes JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 8
Les militants désertent, l’électorat s’évapore et la fronde s’exprime avec vigueur au Parlement. les références habituelles aux figures Sonnés par la violence de la politique tutélaires du socialisme français, Jaurès gouvernementale, « les gauches » du PS et Blum, relevaient de la figure imposée hésitent sur la voie à emprunter. Fin juin, et ne correspondait en rien aux politiques l’ensemble des différents courants de la menées. De là à convoquer les mânes du gauche (Un monde d’avance, Maintenant Parti Radical, il y a un pas. la gauche, Socialistes affligés, motion 4 du dernier congrès) se sont réunis dans Gauche du PS, une opposition l’Allier pour faire le point. Une étape im- pour quoi faire ? portante dans la convergence de ces dif- La politique économique menée depuis férents regroupements mais qui marque le début du quinquennat a pris à rebours aussi les limites des batailles menées et nombre de militants socialistes. C’est à venir, tant sur le fond que sur le type bien à la poursuite voire à l’aggravation de bataille retenues. L’intervention en de la politique de Nicolas Sarkozy que conclusion d’Emmanuel Maurel laisse nous assistons. Cette situation a semé dubitatif : «nous sommes les derniers un trouble profond au sein de la gauche des Hollandais, notre programme ce du parti socialiste. Les démissions de sont les 60 engagements d’Hollande». responsables ont été peu nombreuses Pas sûr que ce profil soit ne nature à à cette étape : Caroline de Haas cofon- retisser les liens avec toute la fraction de datrice d’Osez le féminisme, quelques l’électorat populaire qui se réfugie dans conseillers régionaux et c’est à peu près l’abstention. Les votes successifs de la tout. Les militants eux désertent, l’électo- loi ferroviaire puis du collectif budgétaire rat s’évapore et c’est au sein du groupe rectificatif marquent d’ailleurs la portée parlementaire que la fronde politique limitée des critiques. s’est exprimée avec le plus de vigueur. Surtout, pour les « contestataires » de la JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 9
Montebourg, le drôle de recours Les médias dominants orchestrent depuis plusieurs semaines la sortie prétendue programmée d’Arnaud Montebourg du gouvernement. L’ancien candidat à la primaire socialiste, qui avait en son temps incarné la gauche du PS, a pourtant fait le choix de suivre Manuel Valls quand Cécile Duflot, par exemple, renonçait à soutenir en tant que ministre la politique austère et toujours plus éloignée des valeurs de la gauche de François Hollande. Le ministre du redressement productif a le verbe haut et de la détermina- tion antilibérale plein la bouche mais l’action est à la peine. La solidarité gouvernementale mutile son volontarisme affiché. Quittera-t-il fin août ou au moment du vote du budget le gouvernement pour préparer la prési- dentielle ? L’hypothèse bruisse avec institance. L’homme pourrait alors redevenir mordant à l’égard de la ligne de Matignon et Solférino. La cri- tique de l’Union européenne comme de la Ve République reprendraient du service. Au point d’incarner une candidature rassembleuse pour tout le spectre à la gauche du PS ? Ou dans l’objectif d’une candidature à la candidature du PS, si elle a lieu ? Difficile de le prédire. Il serait en tout cas bien curieux que l’un des hommes forts de la politique Valls/Hollande incarne en 2017 le profil consensuel d’une gauche bien à gauche. Mon- tebourg a peut-être déjà raté son heure.
politique gouvernementale, les batailles L’explosion du PS à venir se concentrent sur deux aspects purement internes : le prochain congrès est-elle souhaitable ? du PS (sans doute au printemps 2016) La réponse est oui. et le maintien d’une primaire à l’automne 2016 pour désigner le candidat socia- liste. La question du congrès est évidem- ment une étape importante qui peut per- mettre d’unifier dans une même motion toute la gauche du PS, mais pourquoi faire ? L’idée saugrenue que la gauche du parti pourrait remporter le congrès est évidemment sans fondement. Quant à la question de s’inscrire dans le cadre d’une primaire, c’est un piège qui se refermera sur les différents courants opposition- nels. Participer à une telle consultation, c’est s’engager à en respecter le verdict. Si François Hollande, ou à défaut Manuel Valls, devait porter les couleurs du PS à la prochaine élection présidentielle, on voit mal quel serait l’acquis pour les por- teurs d’une autre orientation à gauche. Le Parti Socialiste va-t-il exploser ? Le pronostic est à cette étape peu probable, mais sans doute que la vraie question est un peu différente et peut se formuler ain- si : cette explosion est-elle souhaitable ? Et la réponse est oui. La démarcation entre politique de justice sociale et poli- tique d’ajustements structurels est une ligne de fracture qui traverse ce parti de part en part. Il n’existe pas de synthèse possible, ces deux options sont irréconciliables. guillaume liégard JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 11
ENTRETIEN AVEC Jean-Daniel Lévy de Harris Interactive regards. Le gouvernement a l’air de permet de qualifier la politique gouver- tirer comme enseignement des résul- nementale depuis deux ans, ils restent tats électoraux qu’il faut mettre un en panne de réponse. Ils restent sans coup de barre à droite. Est-ce l’attente termes, sans mots pour qualifier cette des électeurs de François Hollande ? politique. Même les Français déclarant accorder leur confiance en François jean-daniel lévy. Les sympathisants de Hollande ne mobilisent pas d’arguments gauche ont comme problème principal « forts ». Tout au plus laissent ils entre- avec la gauche, qui est aujourd’hui incar- voir une forme d’attente bienveillante née par François Hollande, : de compré- considérant que le Président n’a pas eu hension. Ils ne comprennent pas ce que encore le temps de faire ses preuves. fait le gouvernement. Quelle est la ligne Les Français étaient assez attachés à politique ? Quel est le fil rouge. Cette l’idée d’une politique juste et en faveur incompréhension se double d’une ab- de l’égalité. C’est ce qu’ils attendaient sence de fierté : ils n’ont pas la fierté de de la politique de François Hollande, der- l’avoir porté à l’Elysée. Ils ne perçoivent rière les efforts demandés : une politique pas d’acte « lourd » permettant d’iden- plus favorable aux catégories populaires tifier sa politique. Aujourd’hui, quand on qu’aux catégories aisées. Or sa politique interroge les sympathisants de gauche n’est pas perçue comme telle : ni acte et les électeurs de Hollande sur ce qui fort, identifiant, ni axe marquant dans les discours permettant de connaître la direction globale donnée au pays. Nico- Jean-Daniel Lévy las Sarkozy avait réussi, au début de est Directeur du son mandat, à donner des gages à une Département partie de son électorat, avec le bouclier Opinion & Corporate fiscal par exemple. Là, le gouvernement chez Harris n’adresse pas de message clair et au- Intercative dible à son électorat.
regards. Y a t il une attente de gauche ? jean-daniel lévy. Oui. La population n’a regards. Ce désarroi et cette décep- pas basculé dans l’ultralibéralisme et le tion expliquent la claque prise par le tout sécuritaire. Les attentes concernent PS aux municipales et européennes… le chômage, les inégalités sociales, un jean-daniel lévy. Il n’y a pas eu de rebuf- peu la sécurité et beaucoup les perspec- fade de l’opinion sur les mesures prises tives individuelles et collectives, notam- stricto sensu. Au moment de l’ANI par ment autour de la question du pouvoir exemple, il n’y a pas eu de cristallisation d’achat. La gauche n’est pas disqualifiée d’une critique des Français à l’égard de pour y répondre. Mais les Français ne Hollande : au moment du débat sur la ré- croient pas dans le gouvernement. Ils forme des retraites, pas de mobilisation demandent à Manuel Valls de remettre intense non plus dans l’opinion ; quand un peu d’ordre, c’est-à-dire que le pays le rapport Gallois est présenté, pas de soit bien dirigé et gouverné. Notre pays scandale ressenti chez les Français alors est assez bonapartiste… que les conclusions tournaient le dos Si une force arrive demain à gauche avec au programme du candidat Hollande ; un état des lieux et un projet apparais- même le Pacte de responsabilité, quand sant comme crédibles, un espace peut nous l’avons testé, ne suscitait pas de se créer. Il y a un fond politique deman- révolte. L’électorat est déboussolé, dés- dant à être compris et à avoir une pers- tabilisé. Il est davantage critique sur la pective. Elle n’est pas encore cristallisée façon dont le pays est gouverné que à gauche mais le potentiel est là. Le plus sur l’efficacité de l’action en elle-même. gros problème du PS aujourd’hui, c’est Les Français cherchent donc des solu- son incapacité à être le reflet de la so- tions ailleurs. Quand ils ne trouvent pas, ciété française. Manuel Valls avait fait un ils s’abstiennent. Ceux, nombreux, qui constat qui semble avéré : « la gauche votent FN voient en lui déjà une force parle une langue morte ». La gauche doit politique capable de décrire une partie en effet retrouver un discours, un état de la situation qu’ils vivent, de mettre des des lieux qui parlent au pays si elle veut, mots sur leur quotidien, ce qui leur paraît déjà, être entendue. propos receuillis déjà une première étape. par rosa lafleur
TRIBUNE Éric Coquerel Avec des socialistes peut-être. Avec le PS non ! Eric Coquerel revient sur les deux scénarios défendus à gauche, de type Marceau Pivert ou Syriza. Selon lui, changer le PS de l’intérieur est une illusion. Une autre gauche doit s’affirmer. Début juin, en conclusion du colloque qui impose de construire du neuf à côté des socialistes affligés, Liêm Van Noc et en confrontation avec le PS pour lui décrivait deux stratégies possibles pour contester sa domination sur la gauche. les socialistes contestant la politique du La première hypothèse suppose que le gouvernement. En substance : celle de PS est transformable de l’intérieur. Nous Marceau Pivert (leader de historique de serions donc finalement face à un parti l’aile gauche de la SFIO) consistant à social-démocrate somme toute « clas- peser à l’intérieur du PS pour changer sique » kidnappé un temps par son cou- sa ligne et, du coup, celle de la politique rant le plus droitier mais qu’un congrès de François Hollande, et celle de Syriza pourrait remettre dans le bon sens, celui de la transformation sociale… Avec toute la force de persuasion que lui donnent ses convictions, Gérard Filoche pousse Eric Coquerel est la logique jusqu’au bout : la ligne Valls conseiler régional et qui gouverne est celle qui a obtenu 5 % secrétaire national du aux primaires, elle est donc minoritaire. Parti de gauche De facto, on peut donc considérer le PS
« Nous n’avons plus comme potentiellement opposé à cette à faire à un parti politique libérale. Il suffirait donc que ses parlementaires se réveillent pour, unis socialiste, ni même au FDG et à EELV, renverser la table à social-démocrate l’assemblée et imposer un changement de gouvernement et de politique à Hol- mais social-libéral » lande. Mathématiquement c’est vrai, politiquement c’est autre chose. Je vais ambigüité de ce type retarde, au mieux, y venir. annihile, au pire, la solution « Syriza », au profit de l’impossible victoire politique CONTRE L’AMBIGUITE d’un nouveau Pivert… Mais avant, voyons les conséquences de cette illusion, parce qu’il s’agit bien Le PS, loin d’Epinay d’une illusion. Ceux qui l’entretiennent, Pourquoi impossible ? Parce qu’avant au PS, on le voit, mais aussi jusqu’au Valls, il y a eu Hollande et que lui a bien sein du FDG, en reviennent du coup, gagné la primaire. Et en face de lui, hor- c’est logique, à remettre au goût du jour mis Montebourg, on ne peut pas dire la stratégie de Front unique : favoriser que les autres s’étaient positionnés sur des modifications de rapport de force un programme très différent que celui du interne au PS nécessite de continuer à futur Président de la République. Parce s’adresser à lui en tant que tel, à l’inclure qu’avant Hollande candidat puis Prési- dans le mécanisme d’alliance possible dent de la République, il y a eu Hollande de toute la gauche. Cela a évidemment premier secrétaire, partisan du TCE puis un coût politique : pour beaucoup de du Traité de Lisbonne. Bref parce que nos concitoyens, à qui déjà les medias depuis des années, on va dire l’orée rabâchent à longueur de journée que du XXIème siècle, nous n’avons plus à c’est LA gauche qui gouverne, tout ce faire à un parti socialiste, ni même social- beau monde est dans le même camp, démocrate mais à un parti franchement celui d’une gauche assimilée à une poli- devenu, comme ses homologies euro- tique d’austérité qui fait la part belle aux péens, social-libéral. Le PS, sa ligne, actionnaires contre les salariés et qu’en ses ministres, ses cadres dirigeants, réalité plus rien ne sépare de la droite son cœur, sa composition sociologique sauf que, elle, phénomène aggravant, même, n’est plus celui du congrès avait promis autre chose ! Ils perçoivent d’Epinay, ni de mai 81, ni même de la bien qu’il en est qui râlent mais au final gauche plurielle de 1997, mais est bien la photo de famille réunit tout le monde. plus proche du New Labour des années Du coup, tout ça est envoyé à la pou- Blair. Il n’est plus le parti du compromis belle, surtout en s’abstenant. Bref, toute entre le capital et le travail une fois un JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 15
rapport de force établi, il est devenu une «Les socialistes des variantes politique de la promotion de la « société de marché ». Une conver- dissidents doivent sion qu’il a d’ailleurs annoncée très clai- entendre que les rement en 2008 dans sa nouvelle décla- mots ne suffiront ration de principe. Il faut lire les textes parfois. C’est désormais un parti que le plus longtemps» lien grandissant entre affaires publiques et intérêts privés, le cours des actions et la société, ou tout au moins une partie les bienfaits du libre-échange mondialisé importante de la société, en mouve- influent bien plus que des grèves de sa- ment. Il y a donc urgence pour savoir sur lariés et des revendications syndicales. quelles forces, sur quelles personnalités Le symptôme indique une transforma- on peut compter. Autrement dit si l’heure tion structurelle et non conjoncturelle : est encore à l’écoute et au débat avec en un mot, le PS a changé de nature. tous les socialistes dissidents, qu’ils Tout comme pour la SFIO de la fin de soient affligés, frondeurs, énervés… Il la 4ème République, le poids et les inté- faut qu’ils entendent aussi que les mots rêts de la politique coloniale comptaient ne suffiront plus longtemps tant la poli- bien plus que les valeurs internationa- tique gouvernementale se radicalise et listes et la solidarité avec les peuples impose des choix clairs. Pas question, opprimés. Doit-on pour autant rejeter par exemple, de jouer la force d’appoint tout ce qui porte malgré l’étiquette PS ? extérieure au service d’une primaire in- Non ce serait injuste pour des milliers de terne au PS en vue de 2017. Il faut des militants et d’élus de terrain sincères et actes de rupture, vite. Car ils avaient dit malheureux. Surtout ce ne serait pas à la « vous allez voir ce que vous allez voir » hauteur d’une période qui impose de ne pour le budget correctif de l’Etat et on pas gaspiller les énergies militantes réel- n’a rien vu. Ils ont donné rendez-vous lement de gauche. Après tout, bien des pour celui de la sécurité sociale… On militants et dirigeants de la défunte SFIO verra mais on n’est pas optimiste. On ont été utiles pour construire le nouveau veut même bien considérer le vote du parti d’Epinay - on remarquera qu’il a fallu collectif budgétaire à l’automne comme pour cela faire disparaître la SFIO… la dernière session de rattrapage. Mais il leur faut désormais passer du statut de PAS QUESTION D’APPOINT râleurs inutiles et au final handicapant Mais une autre nécessité s’impose pro- par leur ambigüité contagieuse à celui gressivement. Il nous reste peu de temps de « socialistes opposants » avec qui on pour rebondir et bâtir une force porteuse peut refonder l’avenir. Nous n’avons plus d’un projet politique à même de remettre le temps d’être patients. éric coquerel JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 17
ABCD de l’égalité : le gouvernement préfère le B.A.-BA du renoncement Outil élémentaire et indispensable de lutte contre les stéréotypes, les inégalités et les discriminations sexistes, l’ABCD de l’inégalité est remisé par un gouvernement toujours plus faible devant la pression des lobbies rétrogrades. Pas la moindre de ses capitulations. L’alliance des musulmans rigoristes et Vallaud-Belkacem a donné son accord des catholiques intégristes auront eu pour cet abandon en rase campagne sa peau : «l’ABCD de l’égalité», élaboré d’un outil pourtant simple et efficace conjointement par le ministère de l’Édu- pour combattre les stéréotypes gar- cation nationale, sous Vincent Peillon, et çons/filles à l’école. Les cheminots ou le ministère des Droits des femmes, ne les intermittents auraient bien aimé une sera pas généralisé à la rentrée 2014, telle considération pour leurs revendica- contrairement à ce qui était prévu. tions, mais ce gouvernement qualifié de Après un tête-à-tête à Matignon avec gauche écoute à droite, des pigeons à la François Hollande le 27 mai dernier, le manif pour tous. Assommant. nouveau ministre Benoît Hamon a déci- dé de sacrifier le dispositif, préférant « la DU BON POUR L’éGALITé médecine douce » face à la propagande L’objectif de ce dispositif n’était pourtant contre la prétendue «théorie du genre» et pas sorcier : agir dès l’école primaire les «Journées de retrait de l’école». Najat pour lutter contre la formation des inéga- JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 19
lités hommes/femmes et transmettre des violences faites aux femmes, c’est dès le valeurs d’égalité et de respect entre les plus jeune âge qu’il faut agir. Le kit ima- filles et les garçons. La présentation de giné afin d’outiller le corps enseignant l’ABCD rappelle que « les inégalités de et les élèves semblait pertinent pour traitement, de réussite scolaire, d’orien- une République qui a inscrit dans la loi, tation et de carrière professionnelle tout au long du XXe siècle, son objectif demeurent bien réelles entre filles et gar- d’égalité entre les sexes, sans parvenir à çons. Les pratiques ordinaires dans la lui donner une réalité concrète. classe constituent des phénomènes sou- vent sexués, sans que les enseignants, Victoire des réacs l’ensemble des acteurs de l’éducation, L’ABCD de l’égalité s’est expérimenté les élèves et leurs familles en aient dans plus de 600 classes de 275 écoles nécessairement conscience. Pour les au sein de dix académies volontaires. Il élèves, interagir entre pairs, partager es- s’est décliné en formations des inspec- paces et activités ; pour les enseignants, teurs et inspectrices et du corps ensei- donner la parole, évaluer, sanctionner ou gnant, ainsi qu’en expérimentations dans récompenser, orienter, obéit à des repré- les classes, avec une batterie de docu- sentations le plus souvent implicites sur ments à l’appui pour prendre la mesure les compétences supposées des unes des stéréotypes. Bref, cet ABCD, ce et des autres. Ces représentations, qui n’était que du bon pour l’égalité. relèvent souvent de préjugés et stéréo- Depuis des mois, Farida Belghoul, l’égé- types profondément ancrés, peuvent être rie des «Journées de retrait de l’école», la source directe de discriminations ». propage la rumeur, attise les peurs, unie Ce récit institutionnel est parfaitement les intégristes de divers horizons. Elle or- juste. Si l’on veut enrayer les écarts de chestre une opération de désinformation salaires, la non mixité des métiers ou les inédite, stipulant que les garçons seraient JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 20
obligés de mettre des jupes ou que des Au lieu de mener cours de masturbation seraient donnés l’offensive en maternelle. La force publique est res- tée comme abasourdie et apeurée devant et d’accroître cette offensive. Dans certains quartiers l’information, populaires, plus d’un quart des élèves ont parfois déserté l’école pour les fameuses le gouvernement «Journées du retrait». La rumeur a eu gain a pédalé dans de cause dans de larges franges, ce qui la semoule puis traduit une grave crise de légitimité des institutions. renoncé. Au lieu de mener l’offensive et d’accroître l’information, le gouvernement a pédalé dans la semoule puis renoncé. Dans Le Monde, une tribune signée par des asso- ciations comme Osons le féminisme ou le Collectif éducation contre les LGBT- phobies est aussitôt parue appelant le ministre à généraliser l’ABCD. Le lende- main, Benoît Hamon et Najat Vallaud-Bel- kacem réagissaient par des messages identiques sur leurs comptes Twitter : « L’éducation à l’égalité est une mission essentielle de l’école. Il n’est nullement question d’y renoncer ». On se pince. clémentine autain JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 21
Intermittents et précaires « Faire sauter le paritarisme » Membre depuis 2003 de la Coordination des intermittents et précaires d’Île-de- France (CIP-IDF), Jeanne revient sur les enjeux du conflit actuel et la nécessité d’un nouveau modèle de protection sociale pour l’ensemble des salariés précaires. regards. Le gouvernement avait lisé d’indemnisation du chômage dans assuré avoir « sauvé » le régime les métiers du spectacle, à le vider de sa des intermittents avec la nouvelle substance et à réduire drastiquement le convention. Sur quels points essen- nombre de ses bénéficiaires. La question tiels contestez-vous ce satisfecit ? est : à quel prix ce sauvetage ? C’est On ne le conteste pas : nous ne voulons avant tout la gestion paritaire de l’assu- pas être sauvés. L’argument du sauve- rance chômage que ses protagonistes tage – des annexes du régime comme se félicitent de sauver. Les annexes VIII de l’indemnisation du chômage en et X ne sont pas sorties sauves de la res- général – n’est pas nouveau. Il est très tructuration de 2003… employé par les syndicats signataires et l’État, et consiste à dire que si l’on ne fait regards. Pourquoi êtes-vous oppo- pas de concessions d’importance, il n’y sés à la prise en charge par l’État de aura plus rien. C’est une forme de chan- l’extension du différé d’indemnisa- tage que l’on a connue en 2003, et qui a tion, qui peut paraître une mesure consisté à en finir avec le système mutua- de préservation ? JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 23
Parce que ce n’est pas une mesure Le problème est qu’elles ne remettent structurelle. D’abord, cette mesure-tam- pas en cause le système de décision, pon n’est pas pérenne, et elle est très le paritarisme, où cinq confédérations insuffisante par rapport à la destruc- syndicales et trois organisations patro- tion des droits des intermittents opérée nales nommées par décret décident de depuis 2003. Ensuite, elle ne résout en l’ensemble de la protection sociale. Elles rien les problèmes de l’ensemble de ne sont jamais remis en cause et repré- cette convention d’assurance chômage, sentent très peu de salariés. Elles ont ni pour l’annexe IV qui concerne les inté- travaillé sur la feuille de route du Medef, rimaires, ni pour le régime général qui, dans les locaux du Medef et sur son ini- lui, est mis à mal depuis bien plus long- tiative. Lors de la dernière négociation, temps. Enfin, le risque est que s’impose d’après la CGT, il y a eu onze heures la solution préconisée notamment par la de discussions de couloir, et un quart CFDT, consistant à sortir l’intermittence d’heure autour de la table avant de signer de la solidarité interprofessionnelle, au le protocole. Cela pose un problème de travers de la création d’une caisse pro- démocratie : qu’est-ce qui justifie que fessionnelle. Nous y sommes résolu- cinq confédérations syndicales et trois ment opposés, et demandons un retour organisations patronales désignées ad à la table des négociations ainsi qu’une vitam aeternam sont habilités à décider remise à plat du système de l’assurance du sort social de millions de salariés chômage. qu’elles ne représentent plus ? regards. Justement, les mesures an- regards. Le cycle de discussion noncées le 10 juin laissent-elles la annoncé par le gouvernement inté- porte ouverte à cette remise à plat, grera cependant les autres orga- ou bien ne peuvent-elles qu’accom- nisations et mouvements, comme pagner la réforme ? la Coordination des intermittents JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 24
« Le gouvernement veut préserver ce qu’il appelle le «dialogue social», c’est-à-dire voir les partenaires sociaux en titre se mettre autour de la table pour signer un texte proposé par le Medef » et précaires ou les entreprises du festivals en danger », mais en attendant, spectacle et d’autres syndicats le protocole s’applique… Cette concer- comme Sud ou Solidaires… tation n’est pas une renégociation de Il y a déjà eu énormément de consul- l’assurance chômage. Il faut de nouvelles tations de ce genre, et nous y avons modalités de décision, associant les pre- souvent participé, mais ce ne sont pas miers concernés (salariés et chômeurs) des négociations Unedic. Le gouverne- et non de consultation. ment veut préserver ce qu’il appelle le «dialogue social», c’est-à-dire voir les regards. Est-ce que l’ambition partenaires sociaux en titre se mettre affichée par Aurélie Filippetti de autour de la table pour signer un texte « construire ensemble (…) un régime proposé par le Medef… Les concerta- d’assurance chômage des intermit- tions libres et ouvertes sur les annexes tents juste, efficace et pérenne, qui VIII et X n’empêchent pas le paritarisme ne soit plus remis en cause à l’occa- de continuer à fonctionner de la sorte sion de chaque renégociation inter- – sachant que nous ne souhaitons pas professionnelle » n’esquisse pas la non plus que ces annexes soient abor- possibilité d’une refonte plus pro- dées indépendamment de la convention fonde ? d’assurance chômage, qui pose de nom- Cela esquisse surtout le scénario d’une breux problèmes pour tous les salariés et caisse professionnelle. Le fait même que en particulier pour les intérimaires. Que ce soit elle qui s’exprime, et non François signifie l’ouverture d’une grande consul- Rebsamen ou Manuel Valls est signifi- tation alors que le nouveau protocole catif, puisqu’en théorie, la ministre de s’applique depuis le 1er juillet ? Ces la Culture n’a pas de rôle décisionnaire braves gens nous disent, dès que l’on fait dans ces dossiers qui relèvent du Travail grève, « On ne discute pas avec un pis- et de Matignon. Dire que les accords tolet sur la tempe », « Ne mettez pas les échapperaient à toute renégociation in- JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 25
terprofessionnelle est plutôt de nature à tés soient encadrées par un plancher, qui nous inquiéter. S’il s’agit de faire une ré- ne peut être inférieur au smic jour, et un serve d’Indiens, un enclos plus ou moins plafond qui limite le cumul des salaires et protégé, financé avec les budgets de la des indemnités. Ce modèle réunirait aus- publicité à la télévision, nous ne sommes si dans une seule annexe artistes et tech- pas preneurs. Les intermittents du spec- niciens, cette distinction nous semblant tacle sont des salariés, et des salariés aberrante. C’est un modèle ouvert, qui n’ont pas besoin d’une caisse profes- peut être rediscuté, mais dont la princi- sionnelle, mais de la solidarité interpro- pale vertu est d’avoir été élaboré par les fessionnelle. personnes concernées au premier chef. regards. Défendez-vous une évolu- regards. Comment aborder la com- tion du système actuel ou bien la plexité et la diversité des situations mise en œuvre d’un nouveau mo- de l’intermittence et de l’emploi pré- dèle ? caire en général ? Nous ne pouvons absolument pas dé- L’idée est aussi, pour définir un modèle fendre le modèle actuel, qui est un dé- juste et efficace, et pour définir son sastre issu du protocole de 2003, qui a champ d’application, de considérer les constitué un changement politique pro- pratiques d’emploi plutôt que les métiers fond. À l’époque, nous avions élaboré un et les secteurs. En résumé : une annexe système d’ « indemnisation des salariés à unique pour tous les salariés intermit- l’emploi discontinu et aux rémunérations tents, pas seulement ceux du spec- variables», à la fois mutualisé et redistri- tacle… Et au-delà de l’intermittence et butif, dont le premier principe était celui de ces salariés définis par des emplois du retour au système mutualiste de la discontinus et des rémunérations va- date anniversaire, auquel avait été subs- riables, il reste à inventer un modèle so- titué en 2003 un système par capitalisa- cial complet, prenant en compte les sala- tion qui éjecte les plus fragiles et favorise riés ayant d’autres pratiques d’emploi : ceux qui travaillent le plus régulièrement les emplois «continus», dans ce qu’on et ont les salaires les plus élevés. Le appelle le régime général (de moins en deuxième principe est que les indemni- moins général), qui méritent aussi d’être JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 26
beaucoup mieux indemnisés (un chô- meur sur deux n’est pas indemnisé par l’Unedic), ainsi que les salariés à l’emploi discontinu mais aux taux de rémunéra- tions fixes. regards. Les syndicats qui agréent les conventions paraissent inca- de la réforme de l’intermittence pables de mener une telle ré- semblent minces dans le contexte flexion… politique actuel… Les syndicats signataires ont des dis- C’est une question de rapport de forces. cours sur l’emploi à des années-lu- Si les mouvements sociaux – pas seule- mière de la réalité des salariés, notam- ment celui des intermittents – ne portent ment quand ils continuent à considérer pas cette question de la protection l’emploi comme l’envers du chômage, sociale, on ne pourra pas obtenir beau- à appeler de leur vœux un plein-emploi coup plus que des réunions quadrangu- qu’il faudrait s’efforcer d’atteindre, et à laires au ministère de la Culture. Je ne rabâcher que pour y parvenir les sala- vois pas de quelle instance un nouveau riés doivent faire des sacrifices. Cela fait modèle pourrait être à l’ordre du jour. Il problème à une époque où la dimension faudrait faire sauter le paritarisme, c’est précaire du travail est devenue structu- un jeu truqué très utile à ceux qui nous relle. Deux discours s’opposent : faut-il gouvernent, et il est un credo du gouver- assortir cette précarité de droits sociaux nement Valls qui se sert de sa préten- permettant d’y faire face (et éventuel- due légitimité pour appliquer la politique lement d’y résister) ou prétendre, de dictée par le Medef. Il faut faire sauter manière complètement oratoire et sans ce verrou décisionnel qu’on appelle dia- avancer le moindre moyen concret, la logue social – qui ne dialogue pas beau- faire disparaître ? coup et qui n’est pas très social –, et revoir complètement le fonctionnement Les chances de voir aboutir un mo- des instances décisionnelles de la pro- dèle inspiré des propositions de la tection sociale, qui constitue un véritable Coordination ou du Comité de suivi déni de démocratie. guillaume liégard JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 27
Vous les avez peut-être raté cette année il vous reste l’été pour les lire Les romans de la révolution Trois romans nous parlent de révolution. La fiction de Yannick Haënel, Les Re- nards pâles, rejoint celle de Loïc Merle dans L’esprit de l’ivresse pour sentir l’insurrection qui vient. « Les révolutions sont toujours précédées, dans l’esprit de l’époque, d’une révolution secrète qui n’est visible que par quelques-uns. Le plus souvent, elle échappe aux pro- fessionnels du commentaire », prévient Yannick Haenel. Ces romanciers nous parlent de la possibilité et de l’ivresse de la révolution, de ce moment inouï qui, telle une drogue, change les sens et les corps, redonne vie dans un arrache- ment à la mort, par un mouvement de liberté. Nous sommes donc prévenus : voici le cycle de la révolte. L’émeute au XXIe siècle est devenu le destin du Yannick Haenel, Les renards pâles, monde. « La situation allait bientôt explo- Gallimard, 2013, 174 ser, car le monde s’était décomposé si pages, 16,90 euros. vite, en Grèce, en Espagne, en Italie,
LA SÉLECTION DE CLÉMENTINE AUTAIN et plus encore dans les pays arabes, Loïc Merle, L’esprit de l’ivresse, que l’émeute était redevenue le moyen Actes Sud, 2013, 286 d’expression le plus naturel », décrit pages, 21,50 euros. l’un. « La France, saccagée par une révolte générale, était parvenue à la fin d’un cycle (…) c’était la fin des jours anciens », écrit l’autre. Dans un style plus déjanté, Descente de mediums de Nahtalie Quintane passe par le spiri- tisme pour appeler au « mouvement des mille vers le bas ». « Qu’on ne soit pas content de la politique, c’est comme ça que ça commence », prévient-elle. L’au- teure s’interroge sur les circonstances qui font que la révolte arrive ni trop tôt, ni trop tard. Dans un récit complexe et ludique, elle nous parle de l’obscurité Nathalie Quintane, du moment, de la difficulté à prédire, de Descente de mediums, ces circonstances du moment qui se P.O.L., 184 pages, 14,50 rappellent à nous. euros. JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 29
Récit de lutte à PSA Juste et percutant, Le salaire de la vie rapporte le témoignage de Ghislaine Tormos, une femme de cinquante ans, veuve et mère de trois enfants, ayant in extremis décroché un CDI chez PSA pour occuper un poste traditionnelle- ment masculin – monitrice sur une ligne de montage. Elle n’est pas née militante syndicale mais l’est devenue au moment Nathalie Quintane, Descente de mediums, de l’annonce de la fermeture de son P.O.L., 184 pages, 14,50 site, à Aulnay. Ghislaine Tormos voulait euros. témoigner de la méthode, des men- songes et du coût humain d’un « Plan de sauvegarde de l’emploi ». Face à la brutalité des méthodes patronales et à la complicité du gouvernement, Gigi formule un espoir, comme un rêve : « Si toutes ces femmes et ces hommes arrêtaient d’avoir peur et disaient tous ensemble ce qu’ils ont sur le cœur, ils n’auraient plus besoin de trembler : ils seraient invincibles ». JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 30
LA SÉLECTION DE CLÉMENTINE AUTAIN Portrait d’un anti-héros des temps moderne Dans un roman hyperréaliste et tra- gique, Nina Bouraoui décrit le repli, la peur, l’oppression du désir par temps néolibéraux. Standard est le récit d’un huis clos dans lequel Bruno Kerjen, trente-cinq ans, tente d’échapper à une vie mécanique, sans désirs. Comme Nina Bouraoui, pétrifié par un monde dont il n’avait pas Standard, les codes, les clés, il n’espérait rien de Flammarion, 283 pages, plus. Broyé par les codes d’un néolibé- 19 euros. ralisme destructeur et déshumanisant, il n’avait d’autre projet que de persévé- rer dans son être. Un jour, il se décide pourtant à aimerBruno Kerjen lâche tout pour Marlène. Kerjen avait enfin un rêve mais celui-ci s’écroule sur l’autel d’un profond malentendu. L’argent tient une fois de plus la corde. L’homme est per- du. Le livre résonne comme un appel à chercher l’issue. JUIN/JUILLET 2014 | Regards | 31
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