Ego #100 H - Association Aurore

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Ego #100 H - Association Aurore
Hiver 2019-2020
alter                                                                         #100
ego /le journal
                                                                                                                                                                                                             AUTOMNE 2019

                                                                                                                                                  alter
                                                                                                                                                  ego/
                                                                                                                                                                                                           #99
                                                                                                                                                                                    le journal
                                                                                                                                                                                    Réalisé par des usagers de drogues,
                                                                                                                                                                                    des bénévoles et des travailleurs sociaux
                                                                                                                                                                                    de l’association Aurore

                                                                                                                                                  DROGUE ET CULTURE / LA               CULTURE POUR TOUS ? / DROGUE
                                                                                                                                                  ET (CONTRE) CULTURE / RÔLE SOCIAL ET POLITIQUE DES MUSÉES
                                                                                                                                                  FACE   AUX   PUBLICS   ÉLOIGNÉS   DE   LA   CULTURE    / QU’EST-CE   QUE
                                                                                                                                                  CULTURES DU CŒUR / 101 RAISONS DE SE DROGUER...? / MENDICITÉ
                                                                                                                                                  CRÉATIVE / UN ÉTÉ À LA DÉCOUVERTE DU TRAVAIL SOCIAL FRANÇAIS

                                                      HIVER 2018

   alter
   ego/
                                                #95
                         le journal
                         Réalisé par des usagers de drogues,
                         des bénévoles et des travailleurs sociaux
                         de l’association Aurore

   [ÉCHOS D’EGO / FÊTE DE FIN D'ANNÉE / EXPOSITION
    ÉPHÉMÈRE À STEP / VIE DE QUARTIER / SOLIDARITÉ
                                                     [
   AVEC LES MIGRANTS / L’HÉBERGEMENT / UN CHEZ-SOI
     D’ABORD / L’HÉBERGEMENT À PARIS / OPINION /
            LA POSTURE PROFESSIONNELLE

                                                                     [1
                                                                          [

                                                                                                                                       ÉTÉ 2018                                                                                                                                   AUTOMNE 2017

                                                                              alter                                                                                                                                             alter
                                                                                                                                                                                                                                ego/
                                                                                                                                                                                                                                                                               #94

                                                                              ego/
                                                                                                                             #96
                                                                                                      le journal                                                                                                                                        le journal
                                                                                                      Réalisé par des usagers de drogues,                                                                                                               Réalisé par des usagers de drogues,
                                                                                                      des bénévoles et des travailleurs sociaux                                                                                                         des bénévoles et des travailleurs sociaux
                                                                                                      de l’association Aurore                                                                                                                           de l’association Aurore

                                                                              [
                                                                              ÉCHOS D’EGO / STEP, LE DIMANCHE AUSSI / FÊTE DE LA
                                                                                   GOUTTE / VIE DE QUARTIER / LE CARILLON /
                                                                                  DOSSIER / ET SI ON CHANGEAIT DE REGARD ? /
                                                                              VAINCRE LES PRÉJUGÉS / VOUS AVEZ DIT « ZOMBIES » ? /
                                                                                                                                  [                                                                                             [
                                                                                                                                                                                                                                ÉCHOS D’EGO / INFIRMIÈRE EN CAARUD / RENCONTRE
                                                                                                                                                                                                                                    AVEC CYROU / VIE DE QUARTIER / LA GOUTTE
                                                                                                                                                                                                                                 D'ORDINATEUR / OPIUM ET OPIOÏDES / DES GUERRES
                                                                                                                                                                                                                                DE L'OPIUM À NOS JOURS / LES OVERDOSES, COMMENT
                                                                                                                                                                                                                                                                                      [
                                                                                          IDÉES REÇUES SUR LE CRACK                                                                                                                LES PRÉVENIR / J'ESSAIE D'ARRÊTER LE SUBUTEX /
                                                                                                                                                                                                                                          OPINION / PENSER LA VIOLENCE

                                                                                                                                                                                                                                                                                                    [1
                                                                                                                                                                                                                                                                                                         [
Ego #100 H - Association Aurore
Hiver 2019-2020

    SOMMAIRE                                                                                             / #100

                          ÉDITO

    Cents fleurs pour Alter Ego.................................................................................................................... 3

    Alter Ego 39, le dernier numéro?.......................................................................................................... 4

        DOSSIER ANNIVERSAIRE

    Alter Ego, indissociable de l’histoire de l’association Espoir Goutte d’Or.......................... 5

    La caisse à outils de la Réduction des Risques (RdR)................................................................ 8

    Bande dessinée : Suite à une prise de Risque...................................................................................10

    Sans-Papiers................................................................................................................................................12

    Alter Ego, les Femmes et la consommation...................................................................................14

    « La Garçonne », nouvelle image de la femme...............................................................................16

    Politiques publiques en matière de drogues en France et à l’étranger..............................17

    Cent bonnes raisons de venir à EGO................................................................................................19

    Directeur de la publication
    Léon Gomberoff

                                                                                                                                                                     ego
                                                                                                                                                      (
    Secrétariat de rédaction
    Maria Arrieta
    Réalisation graphique
    Paula Jiménez
    Ont participé à ce numéro
    Didier Agnes, Eléonore Alwest, Abdel
                                                                                                                                                                                       (
                                                                                                                                                                        est un service de
                                                                                                                                                                     l’association Aurore.
                                                                                                                                                                Il reçoit et accompagne des
                                                                                                                                                               usagers de drogues dans une
    Berghachi, Camille Bertrand, Lia                                                                                                                               démarche de réduction
    Cavalcanti, Choukri, Claude, Anne                                                                                                                                      des risques
    Coppel, Mélanie Gros, JPK, Dieynaba
    Kaba, Clémentine Lalot-Jadot, Claire                                      Imprimerie ADVENCE
    Noblet, Bernard Masséra, Alexandre                                        139 rue Rateau – 93120                                                       EGO – Association AURORE
    Prevost                                                                   La Courneuve                                                                  13, rue Saint-Luc – 75018
    Photos et illustrations                                                   Parution trimestrielle                                                            Tel : 0153099949
    Camille, Fil, Paula Jiménez, Elie Punk                                    ISSN 1770-4715                                                                 alterego@aurore.asso.fr

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Ego #100 H - Association Aurore
100 fleurs
      pour                                       alter ego
A
         vec ce numéro, Alter Ego en est          4. Développer un ancrage local. Alter Ego     la rigueur à travers les contributions.
         à son centième numéro, signe                 est né dans le quartier de la Goutte          Il est cependant légitime de se
           d’une longévité remarquable.               d’Or et n’a cessé de se nourrir des dif-   demander, en guise de conclusion, si
Après tant d’années, continuer de                     férentes cultures qui la composent ;       Alter Ego a bien répondu à sa mission
paraître n’est pas un mince exploit, sur-             un quartier mythique, dont les ramifi-     durant toutes ces années.
tout lorsqu’on se rappelle que ce maga-               cations s’étendent bien au-delà de ses        Nous ne pouvons évidemment pas en
zine est parti de rien.                               limites géographiques, et qui demeu-       juger par nous-mêmes, car notre juge-
   Créé par des gens qui n’appartenaient              rera à jamais le lieu d’enracinement de    ment serait empreint de partialité. Nous
pas au monde du journalisme, ils ont su               la revue.                                  pouvons en revanche assurer que les
dépasser cette lacune par leur connais-            A ce propos, la Goutte d’Or occupe            équipes de professionnels, d’usagers,
sance profonde des problèmes liés à              également une place incontournable              de spécialistes ou d’acteurs associatifs
l’usage des drogues, ainsi que par la            dans l’histoire parisienne de la drogue         qui ont collaboré ou qui collaborent
volonté de créer un organe de presse             et de la lutte pour la reconnaissance des       encore à cette revue, ont essayé, d’une
militant et une tribune pour défendre            droits des usagers, dont l’histoire reste à     voix modeste mais résolue, de porter à
leurs idées.                                     écrire. Pour ceux qui s’y intéressent, ils      la connaissance du public les probléma-
   Dans l’esprit des fondateurs, qui             trouveront de la matière dans nos diffé-        tiques qui traversent le champ des addic-
irrigue encore ce numéro 100, l’idée             rents numéros qui font la part belle aux        tions. Nous avons également œuvré de
phare est de porter la voix des usa-                                                             tout notre possible pour que le problème
                                                 mouvements culturels, artistiques ainsi
gers, éclairer l’opinion publique sur les                                                        de la drogue ne soit plus traité unique-
                                                 qu’aux luttes politiques et aux actions
problèmes liés aux addictions, tout en                                                           ment sous le prisme sécuritaire, mais dans
                                                 des milieux associatifs qui dynamisent
prenant activement part aux débats                                                               ses différentes et complexes dimensions.
                                                 ce quartier.
autour de cette thématique. Dans cette                                                              A travers ce journal, nous avons aussi
                                                   Bien qu’engagé localement, Alter
optique, nous avons été portés par une                                                           voulu présenter un autre visage de la
                                                 Ego s’est toujours ouvert à l’internatio-
quadruple ambition :                                                                             question de la drogue en ouvrant nos
                                                 nal. Nos équipes de « journalistes » ont
1. Rendre compte de l’expertise des usa-        voyagé à travers l’Espagne, le Brésil,          colonnes à nos usagers artistes, poètes
    gers. C’est pour eux que nous avons          la Hollande, la Géorgie ou le Canada            ou musiciens. En agissant de la sorte,
    ouvert les colonnes de notre journal,        pour voir et rapporter ce qui s’y fait en       nous espérons avoir contribué à l’avan-
    et ils continuent de s’y exprimer en         matière de prévention, de réduction             cée d’une cause qui a longtemps souffert
    toute liberté. Parmi eux, nombreux ont       des risques ou de lutte pour les droits         d’un regard négatif, chargé d’aprioris, et
    pu publier des pages d’opinion. Nous         des consommateurs de drogues. L’enra-           souvent loin des réalités du terrain.
    leurs accordons régulièrement des            cinement local et l’ouverture vers l’in-           Cette modeste action n’est pas étran-
    interviews sur leurs expériences, leurs      ternational sont les deux pôles qui ont         gère aux récentes transformations qu’a
    problèmes personnels, ou encore pour         constamment guidé notre tribune.                connu le champ des addictions, notam-
    exprimer des revendications.                   Aussi, la particularité de cette revue        ment avec la multiplication des centres
2. Partager l’expérience acquise par            est d’avoir toujours été un produit arti-       de traitement, d’accueil, d’échange de
    les travailleurs sociaux et les acteurs                                                      matériel, ou encore avec l’ouverture
                                                 sanal, ouvert aux professionnels, aux
    associatifs engagés en première ligne.                                                       de salles de consommation à moindre
                                                 usagers, comme aux militants asso-
    Ils dressent souvent des constats,                                                           risque. Certes, nous ne sommes pas
                                                 ciatifs. Tous ceux qui le souhaitent
    essayent d’apporter des idées                                                                les seuls sur le terrain, mais Alter Ego
                                                 peuvent y contribuer, à condition que
    constructives, s’inspirent de la situa-                                                      constitue une voix non négligeable dans
                                                 leurs interventions soient conformes à
    tion du terrain et de ce qui se fait de                                                      ce mouvement.
                                                 nos principes fondateurs (lutte pour les
    mieux ailleurs afin d’apporter des pro-                                                         Pour conclure, saluons les cents bou-
                                                 droits, humanisme, respect de la per-
    positions alternatives adaptées.                                                             gies d’Alter Ego, et profitons de cette
                                                 sonne, santé communautaire et solu-
                                                                                                 occasion pour inviter tous ceux qui le
3. S’intéresser à l’évolution de la             tions alternatives à l’option répressive).
                                                                                                 souhaitent à nous rejoindre, pour que
    recherche. Nous suivons de près l’ac-        Les articles et les interventions sont
                                                                                                 cette tribune continue de jouer de son
    tualité de ce qui se fait en matière         débattus de manière démocratique,
                                                                                                 influence auprès des décideurs et de
    d’addictions, de traitements ou d’expé-      avec le souci de la diversité des points
                                                                                                 l’opinion publique ! Car, si bien des pro-
    riences novatrices. Beaucoup de spé-         de vue et des compétences. L’équipe de
                                                                                                 grès ont été accomplis, il reste encore
    cialistes et d’experts ont pu apporter ici   rédaction a constamment veillé à main-
                                                                                                 énormément à faire.
    leur contribution aux différentes pro-       tenir l’équilibre entre la volonté d’at-
    blématiques de l’usage des drogues.          teindre le grand public et l’exigence de                             Abdellah Berghachi

                                                                                                                                          3
Ego #100 H - Association Aurore
39                                                            N°
                                                                                                                            3   9/
                                                                                                                                   20   03

                               LE DERNIER NUMÉRO?
    Hiver 2003. Alter Ego va mal. On murmure même que le n°39 pourrait être le dernier
    du nom. Pourtant, loin de se laisser aller à la résignation, Lia Cavalcanti nous livrait un
    éditorial plein d’espoir. C’est avec fierté que nous le reproduisons dans ce n°100 !

    U
             ne revue n’est-elle pas un luxe-   ne soupçonnaient pas : dessiner, rai-    que, eux aussi, ont le droit d’exprimer
             dans une structure d’accueil       sonner, faire des poèmes. Une revue      leur désarroi et parfois leur coup de
             bas seuil pour toxico-                                                                 gueule. Et même, de temps
    manes ? A quoi peut-elle ser-                                                                   en temps, leur joie.
    vir au juste ? A faire plaisir à                                                                  Elle sert aussi à amélio-
    l’équipe ? A se faire mousser ?                                                                 rer l’écriture de ceux qui
    A quoi bon se battre autant                                                                     ne la maîtrisent pas, pour
    pour quelque chose qui n’est                                                                    qu’elle soit enfin domesti-
    pas essentiel ?                                                                                 quée, et pour qu’on puisse
       C’est ainsi que nous arrivent                                                                parler autrement. Cette
    les commentaires en off qui                                                                     revue nous apporte donc
    font suite à la crise financière                                                                des mots pour mieux dire
    qui menace notre associa-                                                                       ce que l’on a longtemps
    tion et plus particulièrement                                                                   désiré exprimer sans savoir
    Alter Ego le journal. Et malgré                                                                 trop comment. Et elle
    les multiples commentaires                                                                      emporte ces mots à travers
    de soutien et solidarité, nous                                                                  le quartier mais aussi vers
    pensons que ces questions                                                                       d’autres terres lointaines,
    méritent des réponses claires                                                                   qui découvrent ainsi qu’à la
    et directes.                                                                                    Goutte d’Or, on se permet
       Oui, une revue sert beaucoup                                                                 le luxe de se battre pour
    et de multiples façons. Elle sert                                                               nos idéaux ; que la parole
    tout d’abord à communiquer, à                                                                   n’est pas un luxe mais
    aller vers l’autre, à se rencon-                                                                un droit inaliénable de
    trer, à se poser des questions                                                                  l’homme ; qu’elle est aussi
    et à fournir des pistes pour                                                                    importante que la nour-
    trouver des réponses, à don-                                                                    riture et le toit ; que c’est
    ner des informations et à en                                                                    la parole qui nous rend
    recueillir, à se présenter et à                                                                 définitivement       humains
    s’expliquer, à créer un espace                                                                  — sujets de notre histoire,
    où l’autre peut lui aussi donner                                                                avec passé, présent et ave-
    son opinion et développer son                                                                   nir. Et c’est pour tout ça et
    point de vue, à échanger. Puisque un                                                 surtout pour tout ça que nous nous
    journal sert aussi à travailler ensemble,   est parfois un moyen d’expression        battons pour Alter Ego le journal —
    à sortir de son enfermement, et à faire     d’un « trop plein », pour exprimer       parce que c’est notre parole. Et cette
    avec les autres : on y apprend le res-      son coup de gueule autrement que         parole se répand et interpelle. ElIe est
    pect de la différence.                      par la violence physique. Et elle sert   écoutée par des personnes qui par-
       Mais une revue permet aussi l’ex-        à apprendre des choses qu’on ne          fois ne comprenaient pas grand chose
    pression des personnes qui habituel-        savait pas pour mieux se protéger        à notre travail et par d’autres qui se
    lement n’ont pas droit à la parole,         et aussi pour protéger les autres.       doutaient de son intérêt mais quand
    puisqu’elles n’ont pas l’habitude           Elle apprend aussi à respecter l’en-     la parole est respectueuse et honnête,
    d’être écoutées. Elle permet à cha-         vironnement et elle donne la parole      elle est comprise.
    cun de découvrir des talents qu’ils         à ceux qui habitent le quartier. Parce                            Lia Cavalcanti

4
Ego #100 H - Association Aurore
ALTER EGO
Indissociable de l’histoire de l’association

espoir goutte d’or
L
       ’histoire d’Alter Ego est indis-
       sociable de l’histoire du centre
       « Espoir Goutte d’Or » et de son rap-
port étroit au quartier du 18ème arron-
dissement parisien.
   Rappelons tout d’abord que le nom
de notre quartier vient du nom d’un
petit hameau et de son auberge — tous
deux nommés « Goutte d’Or » — où l’on
buvait au 19ème siècle un vin blanc issu
des vignes dorées de Montmartre. Des
consommateurs dans une auberge…
L’histoire ne date donc pas d’hier dans
ces ruelles du 18ème !
   L’ancrage historique d’EGO au plus
proche du quotidien des consommateurs
de drogues et de leurs proches (familles,
voisins, commerçants) a permis de légi-
timer ses actions dans la durée, suivant
une approche de santé communautaire.
   Le premier numéro d’Alter Ego paraît                                                                                                                08
en mai 1990. Ce support de communi-                                                                                                             / 20
                                                                                                                                     N   ° 57
cation, créé pour et avec les usagers de
drogues, a toujours eu pour objectif de
                                                           Bernard Masséra un « métallo » à la Goute d’Or
relayer l’un des principes fondateurs                 « Nous avons inventé des manifestations pour donner envie aux gens de venir à
d’EGO : déstigmatiser la problématique                la Goutte d’Or et montrer qu’il n’y avait pas à avoir peur. La première initiative
de la « toxicomanie » afin de réduire la              a été le cross de la Goutte d ’Or, un peu sur le modèle du marathon de Paris, où
distance entre les consommateurs et                  des équipes internationales sont venues pendant des années courir un dimanche
l’ensemble de la population. Ce journal                matin dans les rues du quartier. L ’autre a été d’organiser un concert avec une
vise à relier les actions d’EGO à celles                vraie tête d’affiche dans l’église St-Bernard. C’est là l’origine de la Fête de la
qui sont menées plus largement sur le                   Goutte d’Or. Il s’agissait de montrer qu’on vivait dans un quartier comme les
territoire.                                                 autres, en plus de la mobilisation sur les questions architecturales. »
   La relecture des anciens numéros per-                                              Témoignage de Bernard Masséra, Alter Ego n°57, 2008.
met d’effectuer un voyage dans le temps,
un retour dans les années 80, celles qui
ont vu naître la plupart des associations      de cette vie associative passionnée et          40 ans. Il est l’un des membres fonda-
encore présentes et actives aujourd’hui        passionnante, de nombreuses pages               teurs d’une association d’habitants qui
dans ce quartier.                              ont permis, dans Alter Ego, de mettre           existe toujours, « Paris Goutte d’Or ».
   Il apparaît alors évident que l’éner-       à l’honneur certains partenaires et de            Pour ce numéro anniversaire, nous
gie et la solidarité qui caractérisent la      relayer l’actualité du quartier.                avons fouillé dans les archives d’Alter
Goutte d’Or sont liées aux combats               Ainsi un portrait de Bernard Masséra,         Ego puis extrait certains portraits ou
menés avec force et détermination              paru dans le numéro 57, souligne l’en-          articles issus des rubriques dédiées
par ses habitant(e)s et les associations       gagement militant de cet habitant dont          année après année à l’actu du quartier :
qu’ils/elles ont contribué à constituer.       le visage est bien connu de nos asso-           « Echos d’EGO », « Éclats Goutte d’Or »,
   S’il est impossible d’énumérer une liste    ciations. Et pour cause : Bernard s’im-         « Vie de quartier », « Notre Goutte d’Or »,
exhaustive des acteurs incontournables         plique dans le quartier depuis quelques         « La Goutte d’Or en fête » …

                                                                                                                                                  5
Ego #100 H - Association Aurore
Le square Léon
       Puis nous avons rappelé Bernard, afin de
     recueillir ses commentaires, souvenirs ou
     anecdotes, et pour évoquer des moments
     forts ou emblématiques de la construction du
     tissu inter-associatif. Il y aurait de quoi écrire
     un livre tant il se souvient avec précision de
     chaque histoire, en témoignent par exemple
     les premiers pas de l’EGDO :
       Nous sommes à la fin des années 70… Ber-
     nard raconte qu’à la place de l’actuel square
     Léon (Alter Ego n° 52), la destruction d’im-
     meubles avait laissé place à une petite colline
     en friche. On appelait cet endroit « les Démol »
     (un raccourci pour parler des immeubles
     démolis). Sous l’impulsion d’un grand frère
     rassembleur, Youcef Kaid dit « Dadi », certains
     jeunes décident d’effectuer un grand net-                                                                                                                        07
                                                                                                                                                               / 20
     toyage pour y installer un terrain de foot. Les                                                                                                N   ° 52
     matchs attirent évidemment de plus en plus                    « 1983. Une montagne, avec un escalier rue Polonceau qui menait à la rue Léon.
                                                                  Il y avait comme un petit jardin où les gens du quartier venaient se reposer et des
     d’enfants. Dadi, soutenu par certains habitants
                                                                 buissons où certains marginaux s ’adonnaient sur des sortes de barils à des jeux de
     dont Simone Viguier (portrait n°1), fonde en                hasard, trois cartes et des dés. En 1990, avec de grands tracteurs et des bulldozers,
     1978 l’association EGDO (Les Enfants de la                    la municipalité a complètement rasé la colline pour l’aplanir et ont commencé à
     Goutte d’Or), le premier club de foot du quar-                 faire le parc. Au départ le square n ’était pas fermé, ce n ’est que quatre ou cinq
     tier qui connaîtra un énorme succès (plus de                 ans plus tard que des grilles ont été placées avec la fermeture le soir 19h. Il y avait
     quatorze équipes 25 ans plus tard !).                              même un petit bassin au coin de la rue Léon avec des poissons rouges. »
                                                                                     Témoignage d’un ancien habitant de la rue Myrha, Alter Ego n°52, 2007.

                                                                                             La Goutte d’Or en Fête
                                                                                               A la même époque une autre association, L’ADCLJC
                                                                                             (Association pour le Développement de la Culture et
                                                                                             des Loisirs des Jeunes de la Chapelle), organise une
                                                                                             petite fête annuelle sur « les Démol ». Il s’agit d’abord
                                                                                             d’un week-end festif autour d’un méchoui, d’un mât
                                                                                             de cocagne et de musiciens du quartier.
                                                                                               A partir des années 80, la mobilisation des habitants
                                                                                             et l’engagement d’associations, comme Paris Goutte
                                                                                             d’Or, permettent de faire entendre la voix des habi-
                                                                                             tants et d’organiser une forme de résistance face au
                                                                                             projet de restructuration immobilière qui concerne
                                                                                             alors la Goutte d’Or.
                                                                                               En plus d’organiser un grand moment festif avec
                                                                                             les habitants, la fête doit contribuer à casser l’image
                                                                                             négative associée au quartier, entretenue par les tra-
                                                                                             fics, la prostitution, l’abandon de certains services
                                                                                             publics et l’insalubrité de nombreux immeubles. Le
               8                                                                             comité de la Fête cherche à attirer des personnes
        /   201Comme chaque année, le quartier de la Goutte d’Or s’anime tout
N   °96                                                                                      extérieures au quartier. Des concerts de qualité pri-
          particulièrement le dernier weekend de juin à l’occasion de la Fête de la
                                                                                             vilégiant les musiques traditionnelles des différentes
           Goutte d’Or. Les habitants, associations, commerçants du quartier se
                                                                                             communautés sont organisés dans l’église St-Ber-
       mobilisent tout au long de l’année pour faire de cet évènement un moment
          de convivialité, de partage et de fête. EGO était référent du Village festif       nard. Le tissu associatif s’étoffe ainsi progressivement
            qui s’est tenu au square Léon, avec pour thème le monde animal. De               et la fête annuelle s’étend sur toute une semaine. Un
          nombreuses associations ont proposé des ateliers, des animations et les            cross organisé par les habitants - reconnu par la fédé-
         poneys ont baladé les enfants du quartier. Nous avons proposé une ferme             ration d’athlétisme - fait venir des sportifs profession-
        pédagogique au square Bashung, mêlant lectures de contes et intermèdes               nels, parfois même de l’étranger.
        musicaux. La ferme, avec les moutons, lapins, chèvres et l’âne, a rencontré            La fête grandit et mobilise de plus en plus de béné-
           un vif succès auprès des petits et des plus grands qui étaient ravis de           voles. Des groupes de musique plus renommés s’y
           pouvoir caresser, nourrir et parfois tirer les poils des animaux ! Dans           produisent (l’orchestre National de Barbès, 113,
       l’ensemble, la Fête s’est bien déroulée malgré la concurrence de la coupe du          Amadou et Mariam…), tandis que les plus jeunes
                               monde de football et la chaleur !
                                                                                             organisent, sous l’impulsion de l’association ADOS
                                           Fête de la Goutte d’Or, Alter Ego n°96, 2018.

6
Ego #100 H - Association Aurore


                                                                                                                                          
                                                                        

       

                                                                  
                                                                                                                             

(Alter Ego n°54), une scène ouverte qui        de l’ADCLJC à cette époque) ou encore              davantage soutenus et accompagnés
devient l’un des moments forts de la           Anne Coppel (portrait n°6), jeune socio-           pour rester du côté des associations.
fête. « La Goutte d’Or en Fête » devient       logue qui deviendra l’une des principales             Concernant la consommation des dro-
un évènement majeur, très attendu              références de la politique de réduction            gues, Bernard estime que les équipes
chaque année par les habitants et les          des risques en France.                             d’EGO ont fait beaucoup avancer la
amoureux du quartier. Longtemps por-                                                              compréhension du problème du côté des
tée par l’ADCLJC, l’organisation de la         La Goutte d’Or                                     riverains de la Goutte d’Or. Il manque
fête annuelle est assurée depuis 2006            Lorsque nous demandons enfin à Ber-              cependant, d’après lui, un travail plus
par l’association de la Salle Saint-Bruno.     nard ce qui caractérise selon lui la Goutte        général de médiation pour obtenir l’ad-
Crée en 1991, la SSB soutient, mobilise        d’Or aujourd’hui, il répond sans hésiter           hésion des riverains sur la nécessité de
et anime le réseau de partenaires (habi-       « la solidarité ». Ce quartier reste chaleu-       la mise en place des structures de réduc-
tants, associations, institutions...) pré-     reux, même s’il doit affronter de façon            tion des risques. En effet, le problème
sents sur le territoire.                       récurrente des réalités difficiles telles          des consommateurs de drogues à la rue
                                               que la grande pauvreté et les situations           rend le quotidien très difficile aussi bien
Les débuts d’EGO                               d’exclusion. Il a connu de grandes trans-          pour les usagers que pour les riverains. La
   Vient ensuite l’époque de la création       formations avec les différents plans de            solution n’est pas une compétence uni-
d’EGO : En 1985 Bernard habite rue des         rénovation, et l’arrivée de nouvelles              quement dévolue aux pouvoirs publics,
Gardes, dans le même immeuble que              populations. Mais la souffrance est tou-           tout le monde doit s’engager d’une façon
Léila Chala (portrait n°2), qui sera la pre-   jours là, et les habitants doivent faire           ou une autre. Bernard conclut : « nous
mière salariée d’EGO. A cette époque,          preuve de générosité et d’imagination.             devons continuer à aider les habitants à
de nombreuses familles du quartier             Bernard déplore cependant le manque                s’impliquer, tout autour de ces lieux où
sont directement concernées par le pro-        de moyens alloués à l’accueil et à l’inté-         l’humanité est cassée. »
blème de la consommation d’héroïne,            gration des étrangers. Il regrette éga-
qui prend beaucoup d’ampleur. La mort          lement que les habitants ne soient pas                                               Claire Noblet
par overdose d’une jeune célébrité est
un élément déclencheur : Léila et ses
amis mobilisent des habitants et certains
professionnels, dont Dominique Tar-
divel (portrait n°3) le pharmacien de la
rue Léon, qui sera président d’EGO pen-
dant plus de 20 ans. Un collectif émerge
et tente d’apporter bénévolement des
réponses pragmatiques et un soutien
aux usagers. Lorsque Lia Calavacanti
(portrait n°4) les rejoint (elle travaille
à cette époque en tant qu’éducatrice à
l’ADCLJC, le club de prévention du quar-
tier), ils créent l’association EGO. Parmi                        Le 15 novembre dernier,
                                                                                               plus de 200 personnes éta
les soutiens de la première heure, il faut                        pour fêter les 80 ans de Ber                             ient réunies
                                                                                                 nard Massera. Dans une
                                                                   chaleureuse et très festive                            atmosphère
citer Michel Neyrneuf (portrait n°5), (qui                                                     , ses nombreux amis, voisin
                                                                                                                            s, copains
                                                                      d’usine, et les nombreuse
était alors président de Paris Goutte                                                            s associations présentes
                                                                    l’honneur et remercié cet                             ont mis à
d’Or), Simone Viguier, Noëlle Savignat,                                                        homme inépuisable, toujou
                                                                      rendre service. Nous lui som                          rs prêt à
                                                                                                     mes tous très reconnaissan
René Favre, Patrick Gosset (directeur                                                                                            ts.

                                                                                                                                                7
Ego #100 H - Association Aurore
La caisse à outils de la

RÉDUCTION
DES RISQUES
La réduction des risques a
toujours été au cœur de la
mission d’EGO. Nous profitons
de ce 100ème numéro
d’Alter Ego pour revenir sur
les différents outils proposés.

L
     a majeure partie des consomma-
     teurs de drogues fréquentant
     EGO a intégré les messages de
réduction des risques et contribue à
les diffuser. Une étude réalisée par
l’INSERM1 en 1999 montrait que 18%
des usagers partageaient leurs serin-
gues contre seulement 9% en 2008,
comme nous l’écrivions dans Alter Ego
n°32. La quantité de matériel distribuée
à EGO est, elle, en constante augmen-               Il comprenait alors du papier d’alumi-           usagers eux-mêmes. STEP a gardé
tation : 93 672 seringues ont été distri-           nium troué et des élastiques.                    ce fonctionnement, la distribution
buées en 2018, contre 61 806 en 2017 ;                Le Kit Base sous sa forme actuelle             de seringues continue de se faire au
37 133 kits de crack contre 26 053.                 comprend une pipe droite en verre                détail.
                                                    borosilicate, deux grilles, une crème              En effet, selon les modes de consom-
Les outils pour inhaler                             hydratante et deux embouts. Il a été             mation et les produits consommés,
                                                    développé par un collectif issu des              les seringues et les aiguilles peuvent
  Nous avons retracé l’évolution du                 centres s’occupant des consommateurs             être de tailles différentes. Les filtres
Kit Base dans Alter Ego n°87. A l’ori-              de drogues du nord-est parisien2. Les            ont aussi connu plusieurs évolutions.
gine, les usagers de crack utilisaient un           Kits Base ne sont pas conçus pour un             Dans Alter Ego n° 97, Eléonore Alwest,
doseur à pastis pour fumer (d’où l’uti-             usage unique à la différence des kits            qui est une usagère de nos structures,
lisation du terme « doseur »), mais cet             pour l’injection.                                prévient :
outil très prisé se cassait facilement.
La pipe est alors passée par différentes            Les outils d’injection                                 « Ami, quand tu t’injectes un
formes comme la pipe droite en pyrex,                                                                      médoc, tu dis le filtrer, ça fait
avec ou sans coude en cuivre. Les usa-                Les anciens du quartier qui fré-                     longtemps que tu as accepté ce
gers avaient l’habitude de fabriquer les            quentent EGO expliquent que le Ste-                    conseil. Je t’en donne un meilleur :
grilles (à mettre au bout de la pipe pour           ribox sous sa forme cartonnée n’a pas                  filtre-le quatre fois ! ».
fumer) avec des câbles de frein de vélo.            existé tout de suite. Le conditionne-
Après un long processus d’évaluation                ment (seringues, Stericup, eau PPI et
                                                                                                       Il y a des usagers qu’utilisent encore
en 2003, EGO a proposé le premier                   tampons alcool) était réalisé par les
                                                                                                     un filtre en coton ou un filtre à ciga-
outil de réduction des risques pour la                                                               rette.
consommation du crack : le Kit Base.                2. Il s’agit des associations Aides, Charonne,     Désormais, des filtres plus adaptés
                                                    EGO, Gaïa, Proses, CASAT la Terrasse et du       comme les Sterifiltres ou les filtres toupie
1. INSERM (dir.). Réduction des risques infec-      groupe SOS. Le kit a été évalué dans le cadre    sont distribués. Comme l’explique Nico-
tieux chez les usagers de drogue. Rapport. Paris.   d’une recherche soutenue par l’ANRS initiée en
Les éditions INSERM, 2010, XII-573)                 2008 avec l’InVS et le CESAMES.
                                                                                                     las Bontemps dans Alter Ego n° 94, ces

8
Ego #100 H - Association Aurore
filtres ont pour particularité de mieux          Les outils contre les overdoses
filtrer les éléments nocifs pour la santé,
comme certains excipients des médi-                Les overdoses sont malheureuse-
caments et même des bactéries. C’est             ment fréquentes. Afin de prévenir les
ainsi que l’on peut éviter les abcès,            décès, les CAARUD sont habilités à dis-
poussières3, et autres désagréments.             tribuer des kits de naloxone. L’action de
   Les autres outils ont eux aussi évolué :      la naloxone se manifeste en quelques
La cuillère est devenue une Stericup en          minutes, mais son effet est de courte
aluminium (disponible en deux tailles),          durée. Cette molécule est proposée
les chaussettes et ceintures sont deve-          sous deux formes. Alter Ego n° 94 fait
nues des garrots en plastique (cranté ou         état de la naloxone en kit intranasal : le
non, en latex ou non), et l’acide citrique       Nalscue. Il contient une dose à adminis-
est devenu de l’acide ascorbique, ce qui         trer dans chaque narine, normalement
permet d’éviter les brulures. Attention,         suffisante pour réveiller la personne.
tout le matériel lié à l’injection doit être     Il est encore très peu disponible en
à usage unique !                                 France. Depuis peu, il existe un autre
                                                 kit en intramusculaire : le Prenoxad,
                                                 qui contient cinq doses à administrer. Il
                                                 peut être diffusé aux usagers et à leur
                                                 entourage.

                                                                                              Les espaces
                                                                                              de consommation
                                                                                                La première Salle de Consommation
                                                                                              à Moindre Risque (SCMR) a ouvert à
                                                                                              Paris en 2016, à côté de l’hôpital Lari-
                                                                                              boisière et de la Gare du Nord, suivie
                                                                                              par l’ouverture d’une seconde salle
                                                                                              à Strasbourg. Les SCMR ont dû faire
                                                                                              face à divers obstacles pour voir le jour.
                                                                                              Si l’INSERM avait recommandé leur
                                                                                              implantation en 2010, il a fallu attendre
                                                                                              un changement dans la loi de santé en
                                                                                              2016 pour voir le projet aboutir.
                                                                                                Les SCMR permettent de réduire les
                                                                                              risques liés à la pratique de l’injection,
Les outils du sniff 4                                                                         d’éviter les overdoses mortelles, ainsi
                                                                                              que de créer du lien avec des usagers
  Alter Ego n°35 consacre un article                                                          très éloignés des structures d’accom-
entier, rédigé par l’équipe de STEP,                                                          pagnement. Or, suite à l’accroissement
au Kit Sniff. Ce kit était composé d’un          Le préservatif                               de la consommation du crack dans le
miroir, un pilon, une cartonnette, deux                                                       nord-est parisien, des projets d’ouver-
pailles, des cotons-tiges imprégnés de             La RdR est apparue il y a une trentaine
                                                                                              ture de SCMR dédiées aux usagers de
produit cicatrisant, des mouchoirs et            d’années avec le début de la lutte contre
                                                                                              crack mûrissent dans la pensée des
un préservatif.                                  le virus du VIH. Qu’ils soient internes ou
                                                                                              acteurs du territoire.
  Ce kit n’est plus distribué à STEP, il         externes, les préservatifs restent la base
a été remplacé par les Roule-Ta-Paille.          de la RdR. Les Steribox en contiennent
                                                 toujours un. Chez STEP, des gels lubri-      L’importance du dialogue
Ces carnets de papier permettent de
créer des pailles à usage unique en              fiants sont également distribués afin          La distribution de matériel n’est qu’un
roulant les feuilles. Ils ont été inven-         d’éviter la rupture du préservatif et        aspect de la réduction des risques. Il ne
tés à Marseille par des intervenants en          d’éventuelles lésions liées aux pratiques    suffit pas de construire des structures.
RdR dans le milieu festif. Des conseils          sexuelles.                                     La réduction des risques est l’effet
relatifs au sniff sont inscrits sur                                                           d’un dialogue. Les consommateurs de
chaque feuille.                                  Les Traitements de                           drogues ont aussi un rôle actif à jouer
                                                 Substitution aux Opiacés (TSO)               en diffusant autour d’eux ces pratiques.
                                                                                                Enfin, grâce aux moyens mis à leur
                                                   Les Traitements de Substitution aux
                                                                                              disposition et leur sens de la pédagogie,
3. Réaction du corps semblable à une septicé-    Opiacés sont utilisés pour traiter le syn-
                                                                                              les intervenants mettent le dialogue au
mie lors de la présence d’une bactérie dans le   drome de manque qui se produit dès
                                                                                              cœur du dispositif.
sang.                                            qu’une personne dépendante arrête la
4. Le sniff évoque la consommation de cocaïne    consommation. Nous pouvons citer parmi                             Mélanie Gros et
par inhalation.                                  eux la méthadone et la buprénorphine.                        Clémentine Lalot-Jadot

                                                                                                                                       9
Ego #100 H - Association Aurore
1   998
          2   2/
     N°

10
11
Z
D
              S A N S - PA P I E R S
 La situation difficile des
 personnes migrantes en France
 a souvent été traitée dans
 Alter Ego. Pour ce 100ème numéro,
 nous avons choisi de revenir sur
 quelques-uns de ces articles.
         éjà en 1996, l’Alter Ego n°15 s’en-
         gageait en faveur des migrants
         dans un édito au titre explicite
 « NOUS SOMMES TOUS SANS-PA-
 PIERS » en écho à la triste journée du 23
                                                  que chacun a le droit de séjour et nous
                                                  battons au quotidien pour développer le
                                                  « vivre ensemble ».
                                                     Nombreux bénéficiaires des services
                                                  d’EGO ne possèdent pas de papiers,
                                                  y compris lorsqu’ils sont de nationa-
                                                  lité française. Alter Ego n°89 propose
                                                  un dossier spécial intitulé « vivre sans
                                                  papiers ? ». A EGO, nous rencontrons
                                                  différentes générations de « sans-pa-
                                                  piers ». Les nouveaux arrivants sont
                                                  en général originaires du Maghreb,
                                                  d’Afrique, mais aussi de certains pays
                                                                                                    nos travailleurs sociaux, nos conseillers
                                                                                                    juridiques et nos partenaires. Mais, s’en-
                                                                                                    gager dans un processus de soins quand
                                                                                                    on est en situation irrégulière relève
                                                                                                    d’un parcours du combattant, car, mal-
                                                                                                    gré la forte mobilisation des personnes
                                                                                                    accueillies et des équipes, les entraves
                                                                                                    administratives demeurent.
                                                                                                       Notre action doit donc composer
                                                                                                    avec ces logiques contradictoires. Et,
                                                                                                    s’il arrive parfois que les usagers qu’on
                                                                                                    accompagne obtiennent un titre de
                                                                                                    séjour permanent donnant accès à
 août. Depuis l’église Saint-Bernard où           de l’ex-bloc soviétique (Ukraine, Géor-           l’emploi, d’autres n’obtiennent qu’un
 ils s’étaient réfugiés avec l’aide du curé       gie, Tchétchénie…).                               titre de séjour provisoire, que l’admi-
 Henri Coindé, 300 étrangers militaient              Un certain nombre de ces personnes             nistration peut remettre en cause sous
 pour leur régularisation. Un important           désirent s’intégrer dans un processus             divers prétextes. L'un des usagers avait
 dispositif policier fut alors mis en place,      de soins, d’autres avoir accès au travail         reçu par exemple un titre de séjour
 la porte de l’église ouverte à coups de          et pouvoir s’insérer dans la société. Dès         pour raison médicale. Il put commen-
 bélier, et les étrangers envoyés en centre       lors, pour chaque demande, nos équipes            cer à travailler tout en suivant un trai-
 de rétention. Cet épisode douloureux             pluridisciplinaires essayent de traiter           tement contre son hépatite et son
 a marqué durablement la mémoire de               le problème de manière globale, en                addiction. Il s’était malheureusement
 ce quartier solidaire et accueillant. A          tenant compte de l’aspect médical, psy-           vu refuser sa prolongation une fois son
 la goutte d’Or, en effet, nous estimons          chologique et social. Nous mobilisons             hépatite guérie.

 Sans-papiers, Choukri, Claude et JPK
 donnent de leurs nouvelles
 En 2016, dans le numéro 89 d’Alter Ego, nous avions évoquions le quotidien de trois usagers
 en situation irrégulière. Ils ont bien voulu nous raconter leur situation trois ans plus tard.

 Choukri, 53 ans, en France depuis                suis sous traitement. De plus, sans titre de      de mes droits avec la reconnaissance de
 31 ans.                                          séjour, je ne pourrais pas revenir, si je déci-   personne en situation de handicap et vivre
    Choukri a surmonté toutes les galères :       dais de rentrer. J’aurais trop peur alors de      dignement. J’aimerais également pou-
 l’addiction à la drogue, l’hépatite C, de        ne plus pouvoir me soigner et les répercus-       voir me recueillir devant la tombe de mes
 multiples incarcérations. Usager d’EGO           sions risqueraient d’être délicates, compte       parents, et passer du temps avec le reste de
 depuis 2011, il a multiplié les titres de        tenu des effets secondaires. Il y a quelques      ma famille. Je continuerais de venir France
 séjours provisoires pour soins et les            mois, grâce à l’accompagnement de l’aide          pour poursuivre les soins que je ne peux pas
 petits boulots, jusqu’en janvier 2016 où
 il se voit refuser une nouvelle prolonga-
                                                  juridictionnelle et de l’assistante sociale,
                                                  toutes les OQTF (obligation de quitter la
                                                                                                    avoir en Tunisie.»
 tion par la préfecture. Toujours malade          France) ont été annulées. Je suis aussitôt        Claude, 45 ans, en France depuis
 et dans l’impossibilité de se soigner            parti à la préfecture pour me faire régula-       21 ans.
 dans son pays d’origine, Choukri était           riser, mais j’ai été rattrapé par une condam-        Originaire du Congo-Kinshasa, Claude
 alors miné par la peur de rechuter dans          nation qui date de 1992.                          a fait dès son arrivée en France une
 la drogue et de retourner en prison. Il             Nous avons entamé un recours. Je suis          demande d’asile dont il n’aura jamais
 gardait toutefois l’espoir de régulariser        optimiste, car après toutes ces années            de nouvelles. Tombé peu à peu dans la
 enfin sa situation après avoir passé plus        en France, quelle que soit ma situation,          drogue pour « tenir », il vivote comme
 d’un quart de siècle en France.                                                                    il peut avant d’être frappé deux fois par
     «
                                                  j’estime avoir au moins droit à un titre de
       Présentement, ma situation n’a             séjour. D’autant plus que je suis malade. J’ai    le sort en 2011 : il fait trois semaines de
 pas évolué comme je l’imaginais. Je suis         des droits à la MDPH (maison départemen-          prison pour avoir été au mauvais endroit
 encore prisonnier des médicaments et de          tale des personnes handicapées) dont je ne        au mauvais moment, puis reçoit une
 la France. J’ai perdu plusieurs membres          peux toujours pas bénéficier, dans l’attente      OQTF. C’est alors qu’il commence à fré-
 de ma famille, notamment mon père, ma            de ma régularisation.                             quenter les structures pour les usagers
 mère ainsi que mes frères et sœurs restés           Mon objectif à court terme est d’obtenir       de drogues. Son combat pour se faire
 en Tunisie. Je ne peux pas y retourner, car je   un titre de séjour. Je pourrai alors profiter     régulariser n’avait pas cessé lorsque

12
nous l’avions rencontré en 2016. Il nous            rattraper toutes ces années de galères,          par semaine, dans un parcours d’inser-
confiait aussi rêver d’une rencontre                dont la plupart résultent directement de         tion professionnelle.
amoureuse et retrouver du travail pour
se sentir utile.
                                                    ma situation de sans-papier.  »                     Cela avait énormément changé ma vie. Je
                                                                                                     vivais de mon salaire. J’avais un logement
  « Á ce jour, sur le plan administratif, c’est     JPK, en France depuis 39 ans.
                                                      Originaire de Djibouti, JPK est arrivé
                                                                                                     stable à la Bastille, j’avais une carte bleue et le
                                                                                                     nécessaire pour vivre dignement.
presque le statu quo. Mais sur le plan social,                                                          Seulement, il y a un an l’ambassade a
j’ai trouvé la vie affective dont je rêvais. Car,   en France à l’âge de 16 ans. Son inté-
                                                    gration se passe pour le mieux. Il               refusé de renouveler mon passeport, car,
durant ces trois années, grâce à l’accompa-                                                          entretemps, les règles d’attribution de la
gnement d’Ego, l’assistante sociale a pu me         obtient ses papiers sans problème,
                                                    puis le bac dans un lycée toulousain et          nationalité djiboutienne avaient changé.
trouver un hébergement stable et pérenne                                                             C’est le droit du sang qui prévaut désor-
dans un hôtel mixte. Là-bas j’y ai fait de          décide de poursuivre des études d’his-
                                                                                                     mais, tandis que mes deux parents sont
belles rencontres. Et particulièrement sur le       toire et de géographie à la fac.
                                                                                                     d’origine étrangère. Je ne corresponds donc
plan amoureux.                                        Les malheurs commencent en 2000                plus aux nouveaux critères.
   Aujourd’hui, j’ai repris goût à la vie. De       quand il est accusé à tort d’avoir                  Á ce jour il est impossible pour moi d’ob-
plus, je me sens de nouveau utile, vu qu’il         usurpé son identité et se retrouve en            tenir les documents nécessaires auprès de
m’arrive de faire du bénévolat à l’accueil du       centre de rétention. Il apprend alors            l’ambassade de mon pays de naissance.
CARRUD et dans un restaurant solidaire.             que sa nationalité française lui a été           Face à cette nouvelle tournure de ma situa-
Les cheffes de service m’encouragent et             retirée. Aidé par la juriste d’EGO, il           tion, le juriste d’Ego m’a proposé d’exploiter
m’offrent parfois des petits cadeaux.               venait d’obtenir en 2016 un titre de             la piste d’apatride.
   Je me sens vraiment inséré dans la société       séjour valable pour neuf mois, après                Nous avons ainsi envoyé un dossier
malgré l’absence d’autorisation de séjour.          seize années de procédures judiciaires.          d’apatride et reçu l’accusé de réception de
Je garde encore espoir que la prochaine
demande aboutira. Dans cette démarche,               «    J’ai 60 ans aujourd’hui. Je suis arrivé
                                                                                                     l’administration.
                                                                                                        Je vis dans l’espoir d’une issue heureuse,
Ego m’a aidé à obtenir un passeport. Je suis        en France durant ma tendre jeunesse. Après       qui me permettrait sans doute d’avoir une
actuellement en train de rassembler tous            seize ans d’attente et de procédures intermi-    meilleure qualité de vie et de reprendre un
les autres justificatifs nécessaires pour pos-      nables, j’ai obtenu un titre de séjour valable   travail. Mon projet de vie est d’être en situa-
séder mon titre de séjour.                          pour neuf mois qui a ensuite été renouvelé       tion régulière, vivre en toute autonomie,
   Si je suis régularisé, mon projet de vie est     tous les trois mois pendant deux ans.            payer mon loyer, remplir mon frigo, vivre
de pouvoir travailler, épouser une femme,
fonder un foyer, progresser dans la vie et
                                                      Durant ces deux années, j’ai travaillé à
                                                    Emmaüs de vingt-cinq à vingt-six heures
                                                                                                     tout simplement.     »          Dieynaba Kaba

                                                                                                                                                      13
alter les Femmes
     ego /                             et la consommation

                                                          I
                                                            l existe encore aujourd’hui un
 La consommation de drogues touche aussi bien les           énorme tabou concernant les
 femmes que les hommes. Pour autant, sont-ils égaux         consommatrices de drogues et les
                                                          femmes à la rue. En effet, notre regard
 face aux problèmes de l’addiction et de la précarité ?   social continue de voir les femmes
                                                          comme des mères potentielles et de
 L’accueil et l’accompagnement des femmes sont au         les réduire à cette image stéréotypée.
 cœur des préoccupations des structures comme               En 1998, nous abordions déjà les
 EGO. Retour sur quelques pistes de réflexion parues      problèmes de la grossesse, du VIH et
                                                          de la toxicomanie, et notamment la
 dans les numéros précédents d’Alter Ego.                 manière dont les femmes vivaient leur
                                                          maternité :

                                                              « […] En dehors de tout aspect
                                                              personnel, nous avons les uns et les
                                                              autres, y compris les femmes elles-
                                                              mêmes, des représentations de la
                                                              maternité, de la séropositivité et
                                                              de la toxicomanie qui peuvent être
                                                              contradictoires.
                                                              Le souci de la santé de l’enfant
                                                              à venir oblige ces femmes à se
                                                              poser de nombreuses questions,
                                                              en particulier sur les effets des
                                                              traitements antiviraux et de la
                                                              substitution.
                                                              Entre ce qui est bon pour elles et/
                                                              ou bon pour l’enfant, il n’est pas
                                                              toujours facile de faire des choix. »
                                                                                      (Alter Ego n°22)

                                                            Dans le 65ème numéro d’Alter Ego,
                                                          nous remettions en perspective la
                                                          situation de ces femmes consomma-
                                                          trices de drogues. Nous évoquions la
                                                          soudaine prolifération des médica-
                                                          ments utilisés spécifiquement contre
                                                          les troubles « féminins », comme les
                                                          dépressions, l’angoisse ou ce qu’on
                                                          appelait à l’époque « l’hystérie ».
                                                            La lutte féministe fit par la suite de
                                                          la consommation de drogues un sym-
                                                          bole d’émancipation : l’alcool et le
                                                          tabac, autrefois considérés comme des
                                                          substances masculines, appartiennent
                                                          désormais également aux femmes.

14
Même si les femmes consomment au               Certaines se retrouvent également en      relayer le travail de Horizons, un CSAPA
même titre que les hommes, leurs addic-        situation de prostitution, parfois pour     (qui propose un accompagnement à la
tions ne sont pas vécues, ni perçues de la     payer leur consommation ou celle de         parentalité et à la maternité), et de l’es-
même manière :                                 leur partenaire, bien que la situation      pace femmes de La Boutique Charonne.
                                               inverse existe aussi :                        Même avec un espace dédié, il est
   « Si les hommes peuvent être                                                            encore rare de croiser des femmes au
   considérés comme des marginaux                  « Nombreuses sont celles qui            Centre d’accueil du CAARUD EGO.
   voire des criminels, les femmes sont            consomment pour supporter ces           Largement minoritaires, la durée de
   systématiquement considérées comme              rapports sexuels tarifés »              leurs séjours est également plus courte.
   dévoyées voire prostituées, et même                                 (Alter Ego n°88).   Les femmes ont davantage de mal à
   des mères indignes dont la société a la                                                 s'éloigner des sites de consommation.
   responsabilité de préserver les enfants »     Alter Ego a régulièrement mis à l’hon-    L’équipe mobile qui a vu le jour derniè-
                         (Alter Ego n°65)      neur la parole plurielle des usagères,      rement, ainsi qu’un espace de repos
                                               dessinant des rapports différents à la      Porte de la Chapelle à proximité des
  Il devient ainsi beaucoup plus com-          rue, à l’addiction. Pendant que certaines   lieux d’achats, de consommation et de
plexe et honteux pour une femme d’as-          considèrent que leur situation est sem-     vie, sont des initiatives qui permettront,
sumer son addiction et de demander             blable à celle des hommes consomma-         nous l’espérons, de créer du lien avec
de l’aide et de l’accompagnement. Le           teurs, d’autres mentionnent d’abord les     davantage d’usagères, leur garantir un
risque d’exclusion est aussi souvent           difficultés spécifiques auxquelles elles    meilleur accès aux droits et aux soins, et
plus important.                                sont confrontées (violences physiques,      lutter contre leur désocialisation.
                                               charge des enfants, etc.).                    Aussi, tout l’enjeu de notre mission est
   « Elles souffrent […] davantage que les       Penser l’accueil et l’accompagne-         de faire connaître et d’orienter effica-
   hommes des violences de rue et des          ment des femmes doit ainsi être une         cement les femmes vers ces structures
   conditions économiques »                    préoccupation majeure dans les struc-       d’accueil.
                          (Alter Ego n°88).    tures. Nous avons déjà eu l’occasion de                              Camille Bertrand.

                                                                                                                                    15
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