Ego #100 H - Association Aurore
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Hiver 2019-2020 alter #100 ego /le journal AUTOMNE 2019 alter ego/ #99 le journal Réalisé par des usagers de drogues, des bénévoles et des travailleurs sociaux de l’association Aurore DROGUE ET CULTURE / LA CULTURE POUR TOUS ? / DROGUE ET (CONTRE) CULTURE / RÔLE SOCIAL ET POLITIQUE DES MUSÉES FACE AUX PUBLICS ÉLOIGNÉS DE LA CULTURE / QU’EST-CE QUE CULTURES DU CŒUR / 101 RAISONS DE SE DROGUER...? / MENDICITÉ CRÉATIVE / UN ÉTÉ À LA DÉCOUVERTE DU TRAVAIL SOCIAL FRANÇAIS HIVER 2018 alter ego/ #95 le journal Réalisé par des usagers de drogues, des bénévoles et des travailleurs sociaux de l’association Aurore [ÉCHOS D’EGO / FÊTE DE FIN D'ANNÉE / EXPOSITION ÉPHÉMÈRE À STEP / VIE DE QUARTIER / SOLIDARITÉ [ AVEC LES MIGRANTS / L’HÉBERGEMENT / UN CHEZ-SOI D’ABORD / L’HÉBERGEMENT À PARIS / OPINION / LA POSTURE PROFESSIONNELLE [1 [ ÉTÉ 2018 AUTOMNE 2017 alter alter ego/ #94 ego/ #96 le journal le journal Réalisé par des usagers de drogues, Réalisé par des usagers de drogues, des bénévoles et des travailleurs sociaux des bénévoles et des travailleurs sociaux de l’association Aurore de l’association Aurore [ ÉCHOS D’EGO / STEP, LE DIMANCHE AUSSI / FÊTE DE LA GOUTTE / VIE DE QUARTIER / LE CARILLON / DOSSIER / ET SI ON CHANGEAIT DE REGARD ? / VAINCRE LES PRÉJUGÉS / VOUS AVEZ DIT « ZOMBIES » ? / [ [ ÉCHOS D’EGO / INFIRMIÈRE EN CAARUD / RENCONTRE AVEC CYROU / VIE DE QUARTIER / LA GOUTTE D'ORDINATEUR / OPIUM ET OPIOÏDES / DES GUERRES DE L'OPIUM À NOS JOURS / LES OVERDOSES, COMMENT [ IDÉES REÇUES SUR LE CRACK LES PRÉVENIR / J'ESSAIE D'ARRÊTER LE SUBUTEX / OPINION / PENSER LA VIOLENCE [1 [
Hiver 2019-2020 SOMMAIRE / #100 ÉDITO Cents fleurs pour Alter Ego.................................................................................................................... 3 Alter Ego 39, le dernier numéro?.......................................................................................................... 4 DOSSIER ANNIVERSAIRE Alter Ego, indissociable de l’histoire de l’association Espoir Goutte d’Or.......................... 5 La caisse à outils de la Réduction des Risques (RdR)................................................................ 8 Bande dessinée : Suite à une prise de Risque...................................................................................10 Sans-Papiers................................................................................................................................................12 Alter Ego, les Femmes et la consommation...................................................................................14 « La Garçonne », nouvelle image de la femme...............................................................................16 Politiques publiques en matière de drogues en France et à l’étranger..............................17 Cent bonnes raisons de venir à EGO................................................................................................19 Directeur de la publication Léon Gomberoff ego ( Secrétariat de rédaction Maria Arrieta Réalisation graphique Paula Jiménez Ont participé à ce numéro Didier Agnes, Eléonore Alwest, Abdel ( est un service de l’association Aurore. Il reçoit et accompagne des usagers de drogues dans une Berghachi, Camille Bertrand, Lia démarche de réduction Cavalcanti, Choukri, Claude, Anne des risques Coppel, Mélanie Gros, JPK, Dieynaba Kaba, Clémentine Lalot-Jadot, Claire Imprimerie ADVENCE Noblet, Bernard Masséra, Alexandre 139 rue Rateau – 93120 EGO – Association AURORE Prevost La Courneuve 13, rue Saint-Luc – 75018 Photos et illustrations Parution trimestrielle Tel : 0153099949 Camille, Fil, Paula Jiménez, Elie Punk ISSN 1770-4715 alterego@aurore.asso.fr 2
100 fleurs pour alter ego A vec ce numéro, Alter Ego en est 4. Développer un ancrage local. Alter Ego la rigueur à travers les contributions. à son centième numéro, signe est né dans le quartier de la Goutte Il est cependant légitime de se d’une longévité remarquable. d’Or et n’a cessé de se nourrir des dif- demander, en guise de conclusion, si Après tant d’années, continuer de férentes cultures qui la composent ; Alter Ego a bien répondu à sa mission paraître n’est pas un mince exploit, sur- un quartier mythique, dont les ramifi- durant toutes ces années. tout lorsqu’on se rappelle que ce maga- cations s’étendent bien au-delà de ses Nous ne pouvons évidemment pas en zine est parti de rien. limites géographiques, et qui demeu- juger par nous-mêmes, car notre juge- Créé par des gens qui n’appartenaient rera à jamais le lieu d’enracinement de ment serait empreint de partialité. Nous pas au monde du journalisme, ils ont su la revue. pouvons en revanche assurer que les dépasser cette lacune par leur connais- A ce propos, la Goutte d’Or occupe équipes de professionnels, d’usagers, sance profonde des problèmes liés à également une place incontournable de spécialistes ou d’acteurs associatifs l’usage des drogues, ainsi que par la dans l’histoire parisienne de la drogue qui ont collaboré ou qui collaborent volonté de créer un organe de presse et de la lutte pour la reconnaissance des encore à cette revue, ont essayé, d’une militant et une tribune pour défendre droits des usagers, dont l’histoire reste à voix modeste mais résolue, de porter à leurs idées. écrire. Pour ceux qui s’y intéressent, ils la connaissance du public les probléma- Dans l’esprit des fondateurs, qui trouveront de la matière dans nos diffé- tiques qui traversent le champ des addic- irrigue encore ce numéro 100, l’idée rents numéros qui font la part belle aux tions. Nous avons également œuvré de phare est de porter la voix des usa- tout notre possible pour que le problème mouvements culturels, artistiques ainsi gers, éclairer l’opinion publique sur les de la drogue ne soit plus traité unique- qu’aux luttes politiques et aux actions problèmes liés aux addictions, tout en ment sous le prisme sécuritaire, mais dans des milieux associatifs qui dynamisent prenant activement part aux débats ses différentes et complexes dimensions. ce quartier. autour de cette thématique. Dans cette A travers ce journal, nous avons aussi Bien qu’engagé localement, Alter optique, nous avons été portés par une voulu présenter un autre visage de la Ego s’est toujours ouvert à l’internatio- quadruple ambition : question de la drogue en ouvrant nos nal. Nos équipes de « journalistes » ont 1. Rendre compte de l’expertise des usa- voyagé à travers l’Espagne, le Brésil, colonnes à nos usagers artistes, poètes gers. C’est pour eux que nous avons la Hollande, la Géorgie ou le Canada ou musiciens. En agissant de la sorte, ouvert les colonnes de notre journal, pour voir et rapporter ce qui s’y fait en nous espérons avoir contribué à l’avan- et ils continuent de s’y exprimer en matière de prévention, de réduction cée d’une cause qui a longtemps souffert toute liberté. Parmi eux, nombreux ont des risques ou de lutte pour les droits d’un regard négatif, chargé d’aprioris, et pu publier des pages d’opinion. Nous des consommateurs de drogues. L’enra- souvent loin des réalités du terrain. leurs accordons régulièrement des cinement local et l’ouverture vers l’in- Cette modeste action n’est pas étran- interviews sur leurs expériences, leurs ternational sont les deux pôles qui ont gère aux récentes transformations qu’a problèmes personnels, ou encore pour constamment guidé notre tribune. connu le champ des addictions, notam- exprimer des revendications. Aussi, la particularité de cette revue ment avec la multiplication des centres 2. Partager l’expérience acquise par est d’avoir toujours été un produit arti- de traitement, d’accueil, d’échange de les travailleurs sociaux et les acteurs matériel, ou encore avec l’ouverture sanal, ouvert aux professionnels, aux associatifs engagés en première ligne. de salles de consommation à moindre usagers, comme aux militants asso- Ils dressent souvent des constats, risque. Certes, nous ne sommes pas ciatifs. Tous ceux qui le souhaitent essayent d’apporter des idées les seuls sur le terrain, mais Alter Ego peuvent y contribuer, à condition que constructives, s’inspirent de la situa- constitue une voix non négligeable dans leurs interventions soient conformes à tion du terrain et de ce qui se fait de ce mouvement. nos principes fondateurs (lutte pour les mieux ailleurs afin d’apporter des pro- Pour conclure, saluons les cents bou- droits, humanisme, respect de la per- positions alternatives adaptées. gies d’Alter Ego, et profitons de cette sonne, santé communautaire et solu- occasion pour inviter tous ceux qui le 3. S’intéresser à l’évolution de la tions alternatives à l’option répressive). souhaitent à nous rejoindre, pour que recherche. Nous suivons de près l’ac- Les articles et les interventions sont cette tribune continue de jouer de son tualité de ce qui se fait en matière débattus de manière démocratique, influence auprès des décideurs et de d’addictions, de traitements ou d’expé- avec le souci de la diversité des points l’opinion publique ! Car, si bien des pro- riences novatrices. Beaucoup de spé- de vue et des compétences. L’équipe de grès ont été accomplis, il reste encore cialistes et d’experts ont pu apporter ici rédaction a constamment veillé à main- énormément à faire. leur contribution aux différentes pro- tenir l’équilibre entre la volonté d’at- blématiques de l’usage des drogues. teindre le grand public et l’exigence de Abdellah Berghachi 3
39 N° 3 9/ 20 03 LE DERNIER NUMÉRO? Hiver 2003. Alter Ego va mal. On murmure même que le n°39 pourrait être le dernier du nom. Pourtant, loin de se laisser aller à la résignation, Lia Cavalcanti nous livrait un éditorial plein d’espoir. C’est avec fierté que nous le reproduisons dans ce n°100 ! U ne revue n’est-elle pas un luxe- ne soupçonnaient pas : dessiner, rai- que, eux aussi, ont le droit d’exprimer dans une structure d’accueil sonner, faire des poèmes. Une revue leur désarroi et parfois leur coup de bas seuil pour toxico- gueule. Et même, de temps manes ? A quoi peut-elle ser- en temps, leur joie. vir au juste ? A faire plaisir à Elle sert aussi à amélio- l’équipe ? A se faire mousser ? rer l’écriture de ceux qui A quoi bon se battre autant ne la maîtrisent pas, pour pour quelque chose qui n’est qu’elle soit enfin domesti- pas essentiel ? quée, et pour qu’on puisse C’est ainsi que nous arrivent parler autrement. Cette les commentaires en off qui revue nous apporte donc font suite à la crise financière des mots pour mieux dire qui menace notre associa- ce que l’on a longtemps tion et plus particulièrement désiré exprimer sans savoir Alter Ego le journal. Et malgré trop comment. Et elle les multiples commentaires emporte ces mots à travers de soutien et solidarité, nous le quartier mais aussi vers pensons que ces questions d’autres terres lointaines, méritent des réponses claires qui découvrent ainsi qu’à la et directes. Goutte d’Or, on se permet Oui, une revue sert beaucoup le luxe de se battre pour et de multiples façons. Elle sert nos idéaux ; que la parole tout d’abord à communiquer, à n’est pas un luxe mais aller vers l’autre, à se rencon- un droit inaliénable de trer, à se poser des questions l’homme ; qu’elle est aussi et à fournir des pistes pour importante que la nour- trouver des réponses, à don- riture et le toit ; que c’est ner des informations et à en la parole qui nous rend recueillir, à se présenter et à définitivement humains s’expliquer, à créer un espace — sujets de notre histoire, où l’autre peut lui aussi donner avec passé, présent et ave- son opinion et développer son nir. Et c’est pour tout ça et point de vue, à échanger. Puisque un surtout pour tout ça que nous nous journal sert aussi à travailler ensemble, est parfois un moyen d’expression battons pour Alter Ego le journal — à sortir de son enfermement, et à faire d’un « trop plein », pour exprimer parce que c’est notre parole. Et cette avec les autres : on y apprend le res- son coup de gueule autrement que parole se répand et interpelle. ElIe est pect de la différence. par la violence physique. Et elle sert écoutée par des personnes qui par- Mais une revue permet aussi l’ex- à apprendre des choses qu’on ne fois ne comprenaient pas grand chose pression des personnes qui habituel- savait pas pour mieux se protéger à notre travail et par d’autres qui se lement n’ont pas droit à la parole, et aussi pour protéger les autres. doutaient de son intérêt mais quand puisqu’elles n’ont pas l’habitude Elle apprend aussi à respecter l’en- la parole est respectueuse et honnête, d’être écoutées. Elle permet à cha- vironnement et elle donne la parole elle est comprise. cun de découvrir des talents qu’ils à ceux qui habitent le quartier. Parce Lia Cavalcanti 4
ALTER EGO Indissociable de l’histoire de l’association espoir goutte d’or L ’histoire d’Alter Ego est indis- sociable de l’histoire du centre « Espoir Goutte d’Or » et de son rap- port étroit au quartier du 18ème arron- dissement parisien. Rappelons tout d’abord que le nom de notre quartier vient du nom d’un petit hameau et de son auberge — tous deux nommés « Goutte d’Or » — où l’on buvait au 19ème siècle un vin blanc issu des vignes dorées de Montmartre. Des consommateurs dans une auberge… L’histoire ne date donc pas d’hier dans ces ruelles du 18ème ! L’ancrage historique d’EGO au plus proche du quotidien des consommateurs de drogues et de leurs proches (familles, voisins, commerçants) a permis de légi- timer ses actions dans la durée, suivant une approche de santé communautaire. Le premier numéro d’Alter Ego paraît 08 en mai 1990. Ce support de communi- / 20 N ° 57 cation, créé pour et avec les usagers de drogues, a toujours eu pour objectif de Bernard Masséra un « métallo » à la Goute d’Or relayer l’un des principes fondateurs « Nous avons inventé des manifestations pour donner envie aux gens de venir à d’EGO : déstigmatiser la problématique la Goutte d’Or et montrer qu’il n’y avait pas à avoir peur. La première initiative de la « toxicomanie » afin de réduire la a été le cross de la Goutte d ’Or, un peu sur le modèle du marathon de Paris, où distance entre les consommateurs et des équipes internationales sont venues pendant des années courir un dimanche l’ensemble de la population. Ce journal matin dans les rues du quartier. L ’autre a été d’organiser un concert avec une vise à relier les actions d’EGO à celles vraie tête d’affiche dans l’église St-Bernard. C’est là l’origine de la Fête de la qui sont menées plus largement sur le Goutte d’Or. Il s’agissait de montrer qu’on vivait dans un quartier comme les territoire. autres, en plus de la mobilisation sur les questions architecturales. » La relecture des anciens numéros per- Témoignage de Bernard Masséra, Alter Ego n°57, 2008. met d’effectuer un voyage dans le temps, un retour dans les années 80, celles qui ont vu naître la plupart des associations de cette vie associative passionnée et 40 ans. Il est l’un des membres fonda- encore présentes et actives aujourd’hui passionnante, de nombreuses pages teurs d’une association d’habitants qui dans ce quartier. ont permis, dans Alter Ego, de mettre existe toujours, « Paris Goutte d’Or ». Il apparaît alors évident que l’éner- à l’honneur certains partenaires et de Pour ce numéro anniversaire, nous gie et la solidarité qui caractérisent la relayer l’actualité du quartier. avons fouillé dans les archives d’Alter Goutte d’Or sont liées aux combats Ainsi un portrait de Bernard Masséra, Ego puis extrait certains portraits ou menés avec force et détermination paru dans le numéro 57, souligne l’en- articles issus des rubriques dédiées par ses habitant(e)s et les associations gagement militant de cet habitant dont année après année à l’actu du quartier : qu’ils/elles ont contribué à constituer. le visage est bien connu de nos asso- « Echos d’EGO », « Éclats Goutte d’Or », S’il est impossible d’énumérer une liste ciations. Et pour cause : Bernard s’im- « Vie de quartier », « Notre Goutte d’Or », exhaustive des acteurs incontournables plique dans le quartier depuis quelques « La Goutte d’Or en fête » … 5
Le square Léon Puis nous avons rappelé Bernard, afin de recueillir ses commentaires, souvenirs ou anecdotes, et pour évoquer des moments forts ou emblématiques de la construction du tissu inter-associatif. Il y aurait de quoi écrire un livre tant il se souvient avec précision de chaque histoire, en témoignent par exemple les premiers pas de l’EGDO : Nous sommes à la fin des années 70… Ber- nard raconte qu’à la place de l’actuel square Léon (Alter Ego n° 52), la destruction d’im- meubles avait laissé place à une petite colline en friche. On appelait cet endroit « les Démol » (un raccourci pour parler des immeubles démolis). Sous l’impulsion d’un grand frère rassembleur, Youcef Kaid dit « Dadi », certains jeunes décident d’effectuer un grand net- 07 / 20 toyage pour y installer un terrain de foot. Les N ° 52 matchs attirent évidemment de plus en plus « 1983. Une montagne, avec un escalier rue Polonceau qui menait à la rue Léon. Il y avait comme un petit jardin où les gens du quartier venaient se reposer et des d’enfants. Dadi, soutenu par certains habitants buissons où certains marginaux s ’adonnaient sur des sortes de barils à des jeux de dont Simone Viguier (portrait n°1), fonde en hasard, trois cartes et des dés. En 1990, avec de grands tracteurs et des bulldozers, 1978 l’association EGDO (Les Enfants de la la municipalité a complètement rasé la colline pour l’aplanir et ont commencé à Goutte d’Or), le premier club de foot du quar- faire le parc. Au départ le square n ’était pas fermé, ce n ’est que quatre ou cinq tier qui connaîtra un énorme succès (plus de ans plus tard que des grilles ont été placées avec la fermeture le soir 19h. Il y avait quatorze équipes 25 ans plus tard !). même un petit bassin au coin de la rue Léon avec des poissons rouges. » Témoignage d’un ancien habitant de la rue Myrha, Alter Ego n°52, 2007. La Goutte d’Or en Fête A la même époque une autre association, L’ADCLJC (Association pour le Développement de la Culture et des Loisirs des Jeunes de la Chapelle), organise une petite fête annuelle sur « les Démol ». Il s’agit d’abord d’un week-end festif autour d’un méchoui, d’un mât de cocagne et de musiciens du quartier. A partir des années 80, la mobilisation des habitants et l’engagement d’associations, comme Paris Goutte d’Or, permettent de faire entendre la voix des habi- tants et d’organiser une forme de résistance face au projet de restructuration immobilière qui concerne alors la Goutte d’Or. En plus d’organiser un grand moment festif avec les habitants, la fête doit contribuer à casser l’image négative associée au quartier, entretenue par les tra- fics, la prostitution, l’abandon de certains services publics et l’insalubrité de nombreux immeubles. Le 8 comité de la Fête cherche à attirer des personnes / 201Comme chaque année, le quartier de la Goutte d’Or s’anime tout N °96 extérieures au quartier. Des concerts de qualité pri- particulièrement le dernier weekend de juin à l’occasion de la Fête de la vilégiant les musiques traditionnelles des différentes Goutte d’Or. Les habitants, associations, commerçants du quartier se communautés sont organisés dans l’église St-Ber- mobilisent tout au long de l’année pour faire de cet évènement un moment de convivialité, de partage et de fête. EGO était référent du Village festif nard. Le tissu associatif s’étoffe ainsi progressivement qui s’est tenu au square Léon, avec pour thème le monde animal. De et la fête annuelle s’étend sur toute une semaine. Un nombreuses associations ont proposé des ateliers, des animations et les cross organisé par les habitants - reconnu par la fédé- poneys ont baladé les enfants du quartier. Nous avons proposé une ferme ration d’athlétisme - fait venir des sportifs profession- pédagogique au square Bashung, mêlant lectures de contes et intermèdes nels, parfois même de l’étranger. musicaux. La ferme, avec les moutons, lapins, chèvres et l’âne, a rencontré La fête grandit et mobilise de plus en plus de béné- un vif succès auprès des petits et des plus grands qui étaient ravis de voles. Des groupes de musique plus renommés s’y pouvoir caresser, nourrir et parfois tirer les poils des animaux ! Dans produisent (l’orchestre National de Barbès, 113, l’ensemble, la Fête s’est bien déroulée malgré la concurrence de la coupe du Amadou et Mariam…), tandis que les plus jeunes monde de football et la chaleur ! organisent, sous l’impulsion de l’association ADOS Fête de la Goutte d’Or, Alter Ego n°96, 2018. 6
(Alter Ego n°54), une scène ouverte qui de l’ADCLJC à cette époque) ou encore davantage soutenus et accompagnés devient l’un des moments forts de la Anne Coppel (portrait n°6), jeune socio- pour rester du côté des associations. fête. « La Goutte d’Or en Fête » devient logue qui deviendra l’une des principales Concernant la consommation des dro- un évènement majeur, très attendu références de la politique de réduction gues, Bernard estime que les équipes chaque année par les habitants et les des risques en France. d’EGO ont fait beaucoup avancer la amoureux du quartier. Longtemps por- compréhension du problème du côté des tée par l’ADCLJC, l’organisation de la La Goutte d’Or riverains de la Goutte d’Or. Il manque fête annuelle est assurée depuis 2006 Lorsque nous demandons enfin à Ber- cependant, d’après lui, un travail plus par l’association de la Salle Saint-Bruno. nard ce qui caractérise selon lui la Goutte général de médiation pour obtenir l’ad- Crée en 1991, la SSB soutient, mobilise d’Or aujourd’hui, il répond sans hésiter hésion des riverains sur la nécessité de et anime le réseau de partenaires (habi- « la solidarité ». Ce quartier reste chaleu- la mise en place des structures de réduc- tants, associations, institutions...) pré- reux, même s’il doit affronter de façon tion des risques. En effet, le problème sents sur le territoire. récurrente des réalités difficiles telles des consommateurs de drogues à la rue que la grande pauvreté et les situations rend le quotidien très difficile aussi bien Les débuts d’EGO d’exclusion. Il a connu de grandes trans- pour les usagers que pour les riverains. La Vient ensuite l’époque de la création formations avec les différents plans de solution n’est pas une compétence uni- d’EGO : En 1985 Bernard habite rue des rénovation, et l’arrivée de nouvelles quement dévolue aux pouvoirs publics, Gardes, dans le même immeuble que populations. Mais la souffrance est tou- tout le monde doit s’engager d’une façon Léila Chala (portrait n°2), qui sera la pre- jours là, et les habitants doivent faire ou une autre. Bernard conclut : « nous mière salariée d’EGO. A cette époque, preuve de générosité et d’imagination. devons continuer à aider les habitants à de nombreuses familles du quartier Bernard déplore cependant le manque s’impliquer, tout autour de ces lieux où sont directement concernées par le pro- de moyens alloués à l’accueil et à l’inté- l’humanité est cassée. » blème de la consommation d’héroïne, gration des étrangers. Il regrette éga- qui prend beaucoup d’ampleur. La mort lement que les habitants ne soient pas Claire Noblet par overdose d’une jeune célébrité est un élément déclencheur : Léila et ses amis mobilisent des habitants et certains professionnels, dont Dominique Tar- divel (portrait n°3) le pharmacien de la rue Léon, qui sera président d’EGO pen- dant plus de 20 ans. Un collectif émerge et tente d’apporter bénévolement des réponses pragmatiques et un soutien aux usagers. Lorsque Lia Calavacanti (portrait n°4) les rejoint (elle travaille à cette époque en tant qu’éducatrice à l’ADCLJC, le club de prévention du quar- tier), ils créent l’association EGO. Parmi Le 15 novembre dernier, plus de 200 personnes éta les soutiens de la première heure, il faut pour fêter les 80 ans de Ber ient réunies nard Massera. Dans une chaleureuse et très festive atmosphère citer Michel Neyrneuf (portrait n°5), (qui , ses nombreux amis, voisin s, copains d’usine, et les nombreuse était alors président de Paris Goutte s associations présentes l’honneur et remercié cet ont mis à d’Or), Simone Viguier, Noëlle Savignat, homme inépuisable, toujou rendre service. Nous lui som rs prêt à mes tous très reconnaissan René Favre, Patrick Gosset (directeur ts. 7
La caisse à outils de la RÉDUCTION DES RISQUES La réduction des risques a toujours été au cœur de la mission d’EGO. Nous profitons de ce 100ème numéro d’Alter Ego pour revenir sur les différents outils proposés. L a majeure partie des consomma- teurs de drogues fréquentant EGO a intégré les messages de réduction des risques et contribue à les diffuser. Une étude réalisée par l’INSERM1 en 1999 montrait que 18% des usagers partageaient leurs serin- gues contre seulement 9% en 2008, comme nous l’écrivions dans Alter Ego n°32. La quantité de matériel distribuée à EGO est, elle, en constante augmen- Il comprenait alors du papier d’alumi- usagers eux-mêmes. STEP a gardé tation : 93 672 seringues ont été distri- nium troué et des élastiques. ce fonctionnement, la distribution buées en 2018, contre 61 806 en 2017 ; Le Kit Base sous sa forme actuelle de seringues continue de se faire au 37 133 kits de crack contre 26 053. comprend une pipe droite en verre détail. borosilicate, deux grilles, une crème En effet, selon les modes de consom- Les outils pour inhaler hydratante et deux embouts. Il a été mation et les produits consommés, développé par un collectif issu des les seringues et les aiguilles peuvent Nous avons retracé l’évolution du centres s’occupant des consommateurs être de tailles différentes. Les filtres Kit Base dans Alter Ego n°87. A l’ori- de drogues du nord-est parisien2. Les ont aussi connu plusieurs évolutions. gine, les usagers de crack utilisaient un Kits Base ne sont pas conçus pour un Dans Alter Ego n° 97, Eléonore Alwest, doseur à pastis pour fumer (d’où l’uti- usage unique à la différence des kits qui est une usagère de nos structures, lisation du terme « doseur »), mais cet pour l’injection. prévient : outil très prisé se cassait facilement. La pipe est alors passée par différentes Les outils d’injection « Ami, quand tu t’injectes un formes comme la pipe droite en pyrex, médoc, tu dis le filtrer, ça fait avec ou sans coude en cuivre. Les usa- Les anciens du quartier qui fré- longtemps que tu as accepté ce gers avaient l’habitude de fabriquer les quentent EGO expliquent que le Ste- conseil. Je t’en donne un meilleur : grilles (à mettre au bout de la pipe pour ribox sous sa forme cartonnée n’a pas filtre-le quatre fois ! ». fumer) avec des câbles de frein de vélo. existé tout de suite. Le conditionne- Après un long processus d’évaluation ment (seringues, Stericup, eau PPI et Il y a des usagers qu’utilisent encore en 2003, EGO a proposé le premier tampons alcool) était réalisé par les un filtre en coton ou un filtre à ciga- outil de réduction des risques pour la rette. consommation du crack : le Kit Base. 2. Il s’agit des associations Aides, Charonne, Désormais, des filtres plus adaptés EGO, Gaïa, Proses, CASAT la Terrasse et du comme les Sterifiltres ou les filtres toupie 1. INSERM (dir.). Réduction des risques infec- groupe SOS. Le kit a été évalué dans le cadre sont distribués. Comme l’explique Nico- tieux chez les usagers de drogue. Rapport. Paris. d’une recherche soutenue par l’ANRS initiée en Les éditions INSERM, 2010, XII-573) 2008 avec l’InVS et le CESAMES. las Bontemps dans Alter Ego n° 94, ces 8
filtres ont pour particularité de mieux Les outils contre les overdoses filtrer les éléments nocifs pour la santé, comme certains excipients des médi- Les overdoses sont malheureuse- caments et même des bactéries. C’est ment fréquentes. Afin de prévenir les ainsi que l’on peut éviter les abcès, décès, les CAARUD sont habilités à dis- poussières3, et autres désagréments. tribuer des kits de naloxone. L’action de Les autres outils ont eux aussi évolué : la naloxone se manifeste en quelques La cuillère est devenue une Stericup en minutes, mais son effet est de courte aluminium (disponible en deux tailles), durée. Cette molécule est proposée les chaussettes et ceintures sont deve- sous deux formes. Alter Ego n° 94 fait nues des garrots en plastique (cranté ou état de la naloxone en kit intranasal : le non, en latex ou non), et l’acide citrique Nalscue. Il contient une dose à adminis- est devenu de l’acide ascorbique, ce qui trer dans chaque narine, normalement permet d’éviter les brulures. Attention, suffisante pour réveiller la personne. tout le matériel lié à l’injection doit être Il est encore très peu disponible en à usage unique ! France. Depuis peu, il existe un autre kit en intramusculaire : le Prenoxad, qui contient cinq doses à administrer. Il peut être diffusé aux usagers et à leur entourage. Les espaces de consommation La première Salle de Consommation à Moindre Risque (SCMR) a ouvert à Paris en 2016, à côté de l’hôpital Lari- boisière et de la Gare du Nord, suivie par l’ouverture d’une seconde salle à Strasbourg. Les SCMR ont dû faire face à divers obstacles pour voir le jour. Si l’INSERM avait recommandé leur implantation en 2010, il a fallu attendre un changement dans la loi de santé en 2016 pour voir le projet aboutir. Les SCMR permettent de réduire les risques liés à la pratique de l’injection, Les outils du sniff 4 d’éviter les overdoses mortelles, ainsi que de créer du lien avec des usagers Alter Ego n°35 consacre un article très éloignés des structures d’accom- entier, rédigé par l’équipe de STEP, pagnement. Or, suite à l’accroissement au Kit Sniff. Ce kit était composé d’un Le préservatif de la consommation du crack dans le miroir, un pilon, une cartonnette, deux nord-est parisien, des projets d’ouver- pailles, des cotons-tiges imprégnés de La RdR est apparue il y a une trentaine ture de SCMR dédiées aux usagers de produit cicatrisant, des mouchoirs et d’années avec le début de la lutte contre crack mûrissent dans la pensée des un préservatif. le virus du VIH. Qu’ils soient internes ou acteurs du territoire. Ce kit n’est plus distribué à STEP, il externes, les préservatifs restent la base a été remplacé par les Roule-Ta-Paille. de la RdR. Les Steribox en contiennent toujours un. Chez STEP, des gels lubri- L’importance du dialogue Ces carnets de papier permettent de créer des pailles à usage unique en fiants sont également distribués afin La distribution de matériel n’est qu’un roulant les feuilles. Ils ont été inven- d’éviter la rupture du préservatif et aspect de la réduction des risques. Il ne tés à Marseille par des intervenants en d’éventuelles lésions liées aux pratiques suffit pas de construire des structures. RdR dans le milieu festif. Des conseils sexuelles. La réduction des risques est l’effet relatifs au sniff sont inscrits sur d’un dialogue. Les consommateurs de chaque feuille. Les Traitements de drogues ont aussi un rôle actif à jouer Substitution aux Opiacés (TSO) en diffusant autour d’eux ces pratiques. Enfin, grâce aux moyens mis à leur Les Traitements de Substitution aux disposition et leur sens de la pédagogie, 3. Réaction du corps semblable à une septicé- Opiacés sont utilisés pour traiter le syn- les intervenants mettent le dialogue au mie lors de la présence d’une bactérie dans le drome de manque qui se produit dès cœur du dispositif. sang. qu’une personne dépendante arrête la 4. Le sniff évoque la consommation de cocaïne consommation. Nous pouvons citer parmi Mélanie Gros et par inhalation. eux la méthadone et la buprénorphine. Clémentine Lalot-Jadot 9
11
Z D S A N S - PA P I E R S La situation difficile des personnes migrantes en France a souvent été traitée dans Alter Ego. Pour ce 100ème numéro, nous avons choisi de revenir sur quelques-uns de ces articles. éjà en 1996, l’Alter Ego n°15 s’en- gageait en faveur des migrants dans un édito au titre explicite « NOUS SOMMES TOUS SANS-PA- PIERS » en écho à la triste journée du 23 que chacun a le droit de séjour et nous battons au quotidien pour développer le « vivre ensemble ». Nombreux bénéficiaires des services d’EGO ne possèdent pas de papiers, y compris lorsqu’ils sont de nationa- lité française. Alter Ego n°89 propose un dossier spécial intitulé « vivre sans papiers ? ». A EGO, nous rencontrons différentes générations de « sans-pa- piers ». Les nouveaux arrivants sont en général originaires du Maghreb, d’Afrique, mais aussi de certains pays nos travailleurs sociaux, nos conseillers juridiques et nos partenaires. Mais, s’en- gager dans un processus de soins quand on est en situation irrégulière relève d’un parcours du combattant, car, mal- gré la forte mobilisation des personnes accueillies et des équipes, les entraves administratives demeurent. Notre action doit donc composer avec ces logiques contradictoires. Et, s’il arrive parfois que les usagers qu’on accompagne obtiennent un titre de séjour permanent donnant accès à août. Depuis l’église Saint-Bernard où de l’ex-bloc soviétique (Ukraine, Géor- l’emploi, d’autres n’obtiennent qu’un ils s’étaient réfugiés avec l’aide du curé gie, Tchétchénie…). titre de séjour provisoire, que l’admi- Henri Coindé, 300 étrangers militaient Un certain nombre de ces personnes nistration peut remettre en cause sous pour leur régularisation. Un important désirent s’intégrer dans un processus divers prétextes. L'un des usagers avait dispositif policier fut alors mis en place, de soins, d’autres avoir accès au travail reçu par exemple un titre de séjour la porte de l’église ouverte à coups de et pouvoir s’insérer dans la société. Dès pour raison médicale. Il put commen- bélier, et les étrangers envoyés en centre lors, pour chaque demande, nos équipes cer à travailler tout en suivant un trai- de rétention. Cet épisode douloureux pluridisciplinaires essayent de traiter tement contre son hépatite et son a marqué durablement la mémoire de le problème de manière globale, en addiction. Il s’était malheureusement ce quartier solidaire et accueillant. A tenant compte de l’aspect médical, psy- vu refuser sa prolongation une fois son la goutte d’Or, en effet, nous estimons chologique et social. Nous mobilisons hépatite guérie. Sans-papiers, Choukri, Claude et JPK donnent de leurs nouvelles En 2016, dans le numéro 89 d’Alter Ego, nous avions évoquions le quotidien de trois usagers en situation irrégulière. Ils ont bien voulu nous raconter leur situation trois ans plus tard. Choukri, 53 ans, en France depuis suis sous traitement. De plus, sans titre de de mes droits avec la reconnaissance de 31 ans. séjour, je ne pourrais pas revenir, si je déci- personne en situation de handicap et vivre Choukri a surmonté toutes les galères : dais de rentrer. J’aurais trop peur alors de dignement. J’aimerais également pou- l’addiction à la drogue, l’hépatite C, de ne plus pouvoir me soigner et les répercus- voir me recueillir devant la tombe de mes multiples incarcérations. Usager d’EGO sions risqueraient d’être délicates, compte parents, et passer du temps avec le reste de depuis 2011, il a multiplié les titres de tenu des effets secondaires. Il y a quelques ma famille. Je continuerais de venir France séjours provisoires pour soins et les mois, grâce à l’accompagnement de l’aide pour poursuivre les soins que je ne peux pas petits boulots, jusqu’en janvier 2016 où il se voit refuser une nouvelle prolonga- juridictionnelle et de l’assistante sociale, toutes les OQTF (obligation de quitter la avoir en Tunisie.» tion par la préfecture. Toujours malade France) ont été annulées. Je suis aussitôt Claude, 45 ans, en France depuis et dans l’impossibilité de se soigner parti à la préfecture pour me faire régula- 21 ans. dans son pays d’origine, Choukri était riser, mais j’ai été rattrapé par une condam- Originaire du Congo-Kinshasa, Claude alors miné par la peur de rechuter dans nation qui date de 1992. a fait dès son arrivée en France une la drogue et de retourner en prison. Il Nous avons entamé un recours. Je suis demande d’asile dont il n’aura jamais gardait toutefois l’espoir de régulariser optimiste, car après toutes ces années de nouvelles. Tombé peu à peu dans la enfin sa situation après avoir passé plus en France, quelle que soit ma situation, drogue pour « tenir », il vivote comme d’un quart de siècle en France. il peut avant d’être frappé deux fois par « j’estime avoir au moins droit à un titre de Présentement, ma situation n’a séjour. D’autant plus que je suis malade. J’ai le sort en 2011 : il fait trois semaines de pas évolué comme je l’imaginais. Je suis des droits à la MDPH (maison départemen- prison pour avoir été au mauvais endroit encore prisonnier des médicaments et de tale des personnes handicapées) dont je ne au mauvais moment, puis reçoit une la France. J’ai perdu plusieurs membres peux toujours pas bénéficier, dans l’attente OQTF. C’est alors qu’il commence à fré- de ma famille, notamment mon père, ma de ma régularisation. quenter les structures pour les usagers mère ainsi que mes frères et sœurs restés Mon objectif à court terme est d’obtenir de drogues. Son combat pour se faire en Tunisie. Je ne peux pas y retourner, car je un titre de séjour. Je pourrai alors profiter régulariser n’avait pas cessé lorsque 12
nous l’avions rencontré en 2016. Il nous rattraper toutes ces années de galères, par semaine, dans un parcours d’inser- confiait aussi rêver d’une rencontre dont la plupart résultent directement de tion professionnelle. amoureuse et retrouver du travail pour se sentir utile. ma situation de sans-papier. » Cela avait énormément changé ma vie. Je vivais de mon salaire. J’avais un logement « Á ce jour, sur le plan administratif, c’est JPK, en France depuis 39 ans. Originaire de Djibouti, JPK est arrivé stable à la Bastille, j’avais une carte bleue et le nécessaire pour vivre dignement. presque le statu quo. Mais sur le plan social, Seulement, il y a un an l’ambassade a j’ai trouvé la vie affective dont je rêvais. Car, en France à l’âge de 16 ans. Son inté- gration se passe pour le mieux. Il refusé de renouveler mon passeport, car, durant ces trois années, grâce à l’accompa- entretemps, les règles d’attribution de la gnement d’Ego, l’assistante sociale a pu me obtient ses papiers sans problème, puis le bac dans un lycée toulousain et nationalité djiboutienne avaient changé. trouver un hébergement stable et pérenne C’est le droit du sang qui prévaut désor- dans un hôtel mixte. Là-bas j’y ai fait de décide de poursuivre des études d’his- mais, tandis que mes deux parents sont belles rencontres. Et particulièrement sur le toire et de géographie à la fac. d’origine étrangère. Je ne corresponds donc plan amoureux. Les malheurs commencent en 2000 plus aux nouveaux critères. Aujourd’hui, j’ai repris goût à la vie. De quand il est accusé à tort d’avoir Á ce jour il est impossible pour moi d’ob- plus, je me sens de nouveau utile, vu qu’il usurpé son identité et se retrouve en tenir les documents nécessaires auprès de m’arrive de faire du bénévolat à l’accueil du centre de rétention. Il apprend alors l’ambassade de mon pays de naissance. CARRUD et dans un restaurant solidaire. que sa nationalité française lui a été Face à cette nouvelle tournure de ma situa- Les cheffes de service m’encouragent et retirée. Aidé par la juriste d’EGO, il tion, le juriste d’Ego m’a proposé d’exploiter m’offrent parfois des petits cadeaux. venait d’obtenir en 2016 un titre de la piste d’apatride. Je me sens vraiment inséré dans la société séjour valable pour neuf mois, après Nous avons ainsi envoyé un dossier malgré l’absence d’autorisation de séjour. seize années de procédures judiciaires. d’apatride et reçu l’accusé de réception de Je garde encore espoir que la prochaine demande aboutira. Dans cette démarche, « J’ai 60 ans aujourd’hui. Je suis arrivé l’administration. Je vis dans l’espoir d’une issue heureuse, Ego m’a aidé à obtenir un passeport. Je suis en France durant ma tendre jeunesse. Après qui me permettrait sans doute d’avoir une actuellement en train de rassembler tous seize ans d’attente et de procédures intermi- meilleure qualité de vie et de reprendre un les autres justificatifs nécessaires pour pos- nables, j’ai obtenu un titre de séjour valable travail. Mon projet de vie est d’être en situa- séder mon titre de séjour. pour neuf mois qui a ensuite été renouvelé tion régulière, vivre en toute autonomie, Si je suis régularisé, mon projet de vie est tous les trois mois pendant deux ans. payer mon loyer, remplir mon frigo, vivre de pouvoir travailler, épouser une femme, fonder un foyer, progresser dans la vie et Durant ces deux années, j’ai travaillé à Emmaüs de vingt-cinq à vingt-six heures tout simplement. » Dieynaba Kaba 13
alter les Femmes ego / et la consommation I l existe encore aujourd’hui un La consommation de drogues touche aussi bien les énorme tabou concernant les femmes que les hommes. Pour autant, sont-ils égaux consommatrices de drogues et les femmes à la rue. En effet, notre regard face aux problèmes de l’addiction et de la précarité ? social continue de voir les femmes comme des mères potentielles et de L’accueil et l’accompagnement des femmes sont au les réduire à cette image stéréotypée. cœur des préoccupations des structures comme En 1998, nous abordions déjà les EGO. Retour sur quelques pistes de réflexion parues problèmes de la grossesse, du VIH et de la toxicomanie, et notamment la dans les numéros précédents d’Alter Ego. manière dont les femmes vivaient leur maternité : « […] En dehors de tout aspect personnel, nous avons les uns et les autres, y compris les femmes elles- mêmes, des représentations de la maternité, de la séropositivité et de la toxicomanie qui peuvent être contradictoires. Le souci de la santé de l’enfant à venir oblige ces femmes à se poser de nombreuses questions, en particulier sur les effets des traitements antiviraux et de la substitution. Entre ce qui est bon pour elles et/ ou bon pour l’enfant, il n’est pas toujours facile de faire des choix. » (Alter Ego n°22) Dans le 65ème numéro d’Alter Ego, nous remettions en perspective la situation de ces femmes consomma- trices de drogues. Nous évoquions la soudaine prolifération des médica- ments utilisés spécifiquement contre les troubles « féminins », comme les dépressions, l’angoisse ou ce qu’on appelait à l’époque « l’hystérie ». La lutte féministe fit par la suite de la consommation de drogues un sym- bole d’émancipation : l’alcool et le tabac, autrefois considérés comme des substances masculines, appartiennent désormais également aux femmes. 14
Même si les femmes consomment au Certaines se retrouvent également en relayer le travail de Horizons, un CSAPA même titre que les hommes, leurs addic- situation de prostitution, parfois pour (qui propose un accompagnement à la tions ne sont pas vécues, ni perçues de la payer leur consommation ou celle de parentalité et à la maternité), et de l’es- même manière : leur partenaire, bien que la situation pace femmes de La Boutique Charonne. inverse existe aussi : Même avec un espace dédié, il est « Si les hommes peuvent être encore rare de croiser des femmes au considérés comme des marginaux « Nombreuses sont celles qui Centre d’accueil du CAARUD EGO. voire des criminels, les femmes sont consomment pour supporter ces Largement minoritaires, la durée de systématiquement considérées comme rapports sexuels tarifés » leurs séjours est également plus courte. dévoyées voire prostituées, et même (Alter Ego n°88). Les femmes ont davantage de mal à des mères indignes dont la société a la s'éloigner des sites de consommation. responsabilité de préserver les enfants » Alter Ego a régulièrement mis à l’hon- L’équipe mobile qui a vu le jour derniè- (Alter Ego n°65) neur la parole plurielle des usagères, rement, ainsi qu’un espace de repos dessinant des rapports différents à la Porte de la Chapelle à proximité des Il devient ainsi beaucoup plus com- rue, à l’addiction. Pendant que certaines lieux d’achats, de consommation et de plexe et honteux pour une femme d’as- considèrent que leur situation est sem- vie, sont des initiatives qui permettront, sumer son addiction et de demander blable à celle des hommes consomma- nous l’espérons, de créer du lien avec de l’aide et de l’accompagnement. Le teurs, d’autres mentionnent d’abord les davantage d’usagères, leur garantir un risque d’exclusion est aussi souvent difficultés spécifiques auxquelles elles meilleur accès aux droits et aux soins, et plus important. sont confrontées (violences physiques, lutter contre leur désocialisation. charge des enfants, etc.). Aussi, tout l’enjeu de notre mission est « Elles souffrent […] davantage que les Penser l’accueil et l’accompagne- de faire connaître et d’orienter effica- hommes des violences de rue et des ment des femmes doit ainsi être une cement les femmes vers ces structures conditions économiques » préoccupation majeure dans les struc- d’accueil. (Alter Ego n°88). tures. Nous avons déjà eu l’occasion de Camille Bertrand. 15
Vous pouvez aussi lire