Le plancher de Jeannot - d'Ingrid Thobois mise en scène Sylvain Gaudu avec Catherine andreucci - Le pavillon 33
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Trente-trois ans, Jeannot. Les gens, c’est tout ce qu’ils ont retenu. Tu as été vite, comme du bois mort : le temps de mettre le feu au reste et puis qui disparaît avec tous ses secrets. Moi, c’est que tu aies pu vivre si longtemps que je comprends pas. Avec tellement de monde faufilé sous ta peau et tout ce sable tassé dans ta tête. Trente-trois ans à trier les pièces du puzzle, à chercher l’angle droit du ciel, les bords plats des nuages. Trente-trois ans à te mordre le poing, la couronne des dents imprimée au dos de la main. Tu étais tout juste revenu d’Algérie. Tu avais encore sur toi mille choses de là-bas : une manière d’avoir froid, une façon de pas vouloir regarder. Je me souviens à ton retour comme chaque nuit tu te réveillais. * En transcendant un fait divers en un monologue paranoïaque et poétique, Le Plancher de Jeannot nous fait vivre la descente aux enfers d’une fa- mille qui traverse les méandres de l’isolement et de la maladie mentale dans une France en pleine guerre d’Algérie.
texte Ingrid THOBOIS* adaptation et mise en scène Sylvain GAUDU avec Catherine ANDREUCCI scénographie Alix BOILLOT création sonore Jean GALMICHE création lumière Antoine GAUTIER production, diffusion Suzanne VEIGA GOMES création le 31 mars 2020 au théâtre Les Déchargeurs A partir de 14 ans Production Le Pavillon 33 avec le soutien de la Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, du Théâtre de l’Usine d’Eragny sur Oise, de la MJC-Théâtre de Colombes, du Théâtre Le Hublot et du Théâtre Gérard Philipe, centre dramatique national de Saint-Denis dans le cadre du dispositif de compa- gnonnage 2019-2020. * d’après Le plancher de Jeannot (éditions Buchet-Chastel, 2015) Photos © lp33/achile bird
Note de l’autrice L’écriture de ce roman dit mon refus catégorique de la dichotomie (les désaxés d’un côté / les sains d’esprit de l’autre) qui rassure et permet l’exclusion. La dérive mentale est d’une tragique banalité et je n’éprouve ni fascination ni attrait morbide pour ce qu’on appelle « la folie ». Je suis simplement obsédée par la simplicité du réflexe de l’abandon, le retour spontané à l’archaïque bannissement dès lors qu’une société (grande, petite) frémit, confrontée à l’Autre différent. Dans mon livre, il n’est jamais question du Plancher et moins encore de sa gravure. Il est question d’un père, d’une mère, d’une fratrie, d’une campagne, « d’un dehors [qui] a quatre côtés et une ferme en plein milieu », dehors qu’on enferme, et d’un rapport au monde que le langage ne dit pas mais désigne brusquement. Le basculement des vies m’obsède et recèle souvent des explications. Comment se franchit la frontière ? Autrement dit comment le fil se rompt-il ? Comment l’accès aux autres se referme-t-il ? Jeannot est schizophrène, d’accord. Mais nombre de schizophrènes mènent des vies sans histoire. Entre les faits avérés de cette histoire et les mots pour la dire, j’ai voulu réduire la distance jusqu’à l’infinitésimal, écrire au plus proche du réel, à l’os, le mot collé au monde comme j’imagine que Jeannot et sa sœur se confrontaient à la succession des jours et des nuits, à la succession des tragédies qui ont émaillé leurs vies. Donner la parole à Paule a été l’ultime étape du retravail de ce texte qui était d’abord né sous la forme d’un dialogue entre Jeannot et Paule. C’est le minuscule décalage de point de vue auquel j’ai consenti. Minuscule, parce que Paule participe au délire de son frère, parce que les deux parfois peuvent se confondre, parce qu’elle lui aura survécu vingt ans dans une solitude qui l’a expulsée à son tour de la condition humaine, aussi parce qu’elle semble bien souvent parler à la place de son frère, sœur témoin de tout, y compris de ce à quoi elle ne peut pas avoir assisté… à l’image du romancier ? Ingrid Thobois
Notes d’intention Mise en scène Aborder un sujet comme la maladie mentale nous im- pose de travailler avec délicatesse. D’abord pour ne pas catégoriser le personnage de Paule comme fou, ce qui empêcherait notre empathie pour elle et ce qu’elle tra- verse. Ensuite pour ne pas nous précipiter dans le cliché, dans ce que nous croyons connaître de la folie. Pour cela nous misons sur une corporalité confiante, précise et sereine, débarrassée de tensions et de mou- vements parasites. Le texte est traité avec la même lim- pidité, nous cherchons une parole concrète et fluide qui contrebalance la poésie de la langue et l’éclatement de la pensée. Cette simplicité crée un espace équivoque où tout peut arriver, où tout peut être traversé et entendu sans a priori ni éloignement. Le texte et le dispositif prennent en charge l’effondre- ment le rapetissement de l’espace mental. La mala- die est solidaire de la structure du texte, la parole de Paule n’a pas de repères temporels, les époques se mélangent, les souvenirs surgissent et se heurtent. Ils reviennent la hanter périodiquement et créent une spi- rale dont elle devient prisonnière. La scénographie, la lu- mière et le son soulignent cette structure et viennent, par vague, dessiner l’intériorité tourmentée de Paule. Ce contraste entre la limpidité de Paule et le tumulte du dispositif nous permet, plutôt que d’exhiber un monstre, de trouver l’empathie pour traverser avec elle les sou- venirs d’enfance, l’amour de son frère puis la détresse de l’isolement et le moment charnière où l’esprit bascule définitivement dans le cauchemar. Sylvain Gaudu
Scénographie Création sonore Création lumière Le quotidien de Paule apparaît, au Le traitement sonore du Plancher de Paule mystérieuse, comme son dis- premier abord, normal. Il semblerait Jeannot se fait du point de vue de cours, est éclairée indirectement, la- qu’une dispute ait eu lieu, ou un em- l’intérieur. L’intérieur d’une coque : le téralement. En biais, on ne révèle ja- portement, quelque chose de violent logis, refuge familial contre les parois mais son entièreté, comme la Lune. : Paule commence par mettre un peu duquel viennent se heurter les débris La lumière décrit le passage d’un d’ordre. Un intérieur simple, dont les du monde extérieur. L’intérieur du degré standard du récit vers une dé- quelques meubles sont faits pour ac- crâne aussi où se bousculent les gradation progressive des souvenirs. cueillir la collection d’œufs de Paule. souvenirs et les visions. Un cerveau Elle en a des dizaines, de toutes les au sein duquel germent parfois les Progressivement, l’angle change. La tailles, et elle leurs accorde beau- graines d’obsessions tentaculaires. bascule, très lente, induit le malaise coup de soin. d’un événement que l’oeil du spec- Une chaine de salon, familiale et tateur sent mais que sa pensée ne Comme toutes les collections, elle d’un autre temps, vient souligner la réussit pas à décrire. La teinte évo- intrigue. Elle semble banale, elle pensée de Paule, la déranger, en lue de la même manière et définit ressemble aux collections que l’on contraste avec le bruit du dehors. deux univers, le présent du récit et connaît. Mais on commence à y dé- L’Extérieur et ses manifestations so- le souvenir, liés par une tempora- celer le début de sa névrose — ce nores se cognent contre la paroi de lité générale indéterminée et non sera notre premier indice. Elle joue la maison. Celle-ci résonne de ces linéaire. C’est le retour, plus brus- avec les œufs et peu à peu, ils s’em- attaques sourdes, le son y pénètre et que - comme la pensée de Paule, au parent de l’espace, jusqu’à nous se déforme. degré standard qui révèle le change- donner un ultime signe : au sol, trans- ment par contraste. formés en culbuto, dressés à la verti- A la lisière du field recording, de la cale, la presque centaine d’œufs qui serinette et de la composition acous- Les ombres - éléments rationnels dé- ne tiennent désormais plus compte matique, notre bande son se veut crits par la physique de l’optique de de la gravité nous indique que nous une musique de chambre étouffée notre monde, sont malmenées au fur avons changé de norme. mais présente. et à mesure que l’étrange apparaît et participent à notre perte de repères. Alix Boillot Jean Galmiche Antoine Gautier
Le plancher de Jeannot aujourd’hui Notre démarche essaie de faire tomber les a priori sur la folie et d’en reconsidérer l’approche. Ceux que l’on veut percevoir comme fous font peur, sont jugés, mis à dis- tance, ce qui ne fait qu’augmenter ce trouble par une os- tracisation et un manque de communication. Ce fait divers est un exemple tragique des conséquences de l’isolement social sur notre construction mentale. Le Plancher de Jeannot traite des non-dits, de la violence et de la peur de l’autre au sein d’une famille mais nous questionnons également ce processus à l’echelle de nos sociétés. Dans une époque où les frontières se ferment, où les liens sociaux ne cessent de se tendre et où les com- munautarismes s’exarcerbent, nous souhaitons réfléchir sur le regard que nous posons sur l’autre et sur la manière dont nous traitons la différence. Travailler autour de ce texte et le partager est pour nous un moyen de combattre la dynamique tragique de l’isole- ment. La médecine psychiatrique ne cesse de chercher de nouveaux moyens d’accompagnement pour les malades, à nous d’imaginer le chemin pour enrayer le confinement de nos sociétés.
L’équipe Catherine Andreucci Diplômée de l’Institut d’Etudes Politiques de Paris, Catherine Andreucci a d’abord exercé le métier de journaliste dans la presse écrite pendant 10 ans, tout en participant à des créations théâtrales avec le poète et comédien Julien Marcland. Pour donner au théâtre toute sa place dans sa vie, elle se forme pendant deux ans à l’Ecole du Jeu à Paris. Elle approfondit ensuite ses recherches auprès de Valérie Bezançon et Sava Lolov pour le texte, et avec le danseur Philippe Ducou à l’Arta-Cartoucherie de Vincennes. En 2013, elle propose une lecture à voix haute des poèmes de Moris Fahri à la Maison de la poésie à Paris. Depuis, elle conçoit et interprète des lectures avec des comédiens et des écrivains, en bibliothèques, au Salon du livre de Paris ou lors de festivals. Elle participe aussi aux mises en lecture des pièces d’Hanokh Levin organisées par les traductrices Laurence Sendrowicz et Jacqueline Carnaud. En 2017, elle fonde la compagnie Alta Dédales. Elle travaille actuellement à la création du spectacle Pauline, adapté de Sans illustration de Pauline Picquet. En 2018, elle est invitée par la compagnie Le Pavillon 33 à interpréter Le plancher de Jeannot d’Ingrid Thobois, mis en scène par Sylvain Gaudu. Sylvain Gaudu Il suit des études de design industriel et travaille comme dessinateur sur des projets d’ingénierie. En 2011, il affronte son envie de théâtre en multipliant les cours, les ateliers et les créations. Il intègre en 2014 L’Ecole du Jeu dirigée par Delphine Eliet. Il joue en 2016 dans Violences de Didier-Georges Gabily mis en scène par Simon-Elie Galibert au théâtre de Ménilmontant. En 2017 il crée Vous, avec Antoine Gautier, d’après Ou- trage au public de Peter Handke pour le festival Magic-Barbès en partenariat avec le centre culturel FGO-Barbara. Il co-fonde ensuite la compagnie Le Pavillon 33 avec laquelle il met en scène La Pluie d’été de Marguerite Duras qui remporte le Grand-Prix du Jury du festival Nanterre sur Scène 2017. En 2018 il participe aux ENjeUX Pro, dirigés par Delphine Eliet, à la MC93 et au Tarmac.
Alix Boillot Diplômée en 2015 de l’École nationale supérieure des Arts Décoratifs de Paris, Alix Boillot mène aujourd’hui des projets de théâtre (performance et scénographie), d’objet et d’édition. Elle travaille en tant que scénographe sur des mises en scène de Robert Cantarella, Tamara Al Saadi, Guillermo Pisani, Nicolas Truong, Nicolas Giret-Famin, Olivia Csiky Trnka. Elle a travaillé sur le décor de La nuit des taupes de Philippe Quesne, a assisté Éric Vigner, Mathieu Lorry-Dupuy et Élise Capdenat. Elle joue dans Wow, you’re so young and beautiful de César Vayssié. Elle conçoit Scénographie potentielle (2017), performance déployant les possibles de l’imaginaire. Elle réalise Jouer le jeu, une vidéo d’enfants qui font semblant (2017) et adapte Les aventures d’Alice au pays des merveilles (2015). Jean Galmiche Formé au conservatoire en guitare et solfège classique puis à l’American School of Modern Music dont il sortira diplômé en 2014, il intègre la classe de Composition Electroacoustique du CRR de Paris en 2015. Jean Galmiche s’investit dans de nombreux projets musicaux en tant qu’ins- trumentiste, compositeur et arrangeur aussi bien dans le domaine de la musique classique, du jazz moderne ainsi que des musiques alternatives et expérimentales. Il assume pour un temps les fonctions d’assistant studio et de production au sein d’Humble Musique et Tricatel Record. Il est actuellement artiste associé et programmateur musical à Mains d’Oeuvres. Il entretient d’étroites relations avec le monde théâtral notamment de par ses collaborations en tant que compositeur, instrumentiste et comé- dien au sein du Théâtre de la Suspension, des compagnies Full Petal Machine, Babel, File Agathe, Pierres d’Attente, Le Pavillon 33, l’Eternel Eté et auprès de Paul Toucang et Pierre Jouan. En 2012 il fonde le quintet de Folk expérimentale R.C.O. toujours actif à ce jour. Il est notamment guitariste du sextet Nahima, du trio Forme libre et bassiste du groupe de rock garage Hi Dive. En 2015 il forme avec Clément Le Gall le duo d’electronic minimal GRAND 8. En 2016 il crée l’orga- nisme de programmation live et de production vidéo PSCHIT afin de promouvoir une certaine idée de la scène musicale alternative parisienne.
Antoine Gautier Il suit une formation en sciences physiques et médiation scientifique à l’université. Il développe parallèlement un parcours théâtral. Il se forme à la vidéo depuis 2005 et co-fonde en 2011 le collectif Cepa Possible dans lequel il réalise plusieurs court-métrages et des crations vidéo pour le spectacle. En 2013 il intègre l’école du Jeu (Paris 18). Ce double parcours, dans les sciences et le théâtre, l’amène à rencontrer la compagnie les sens des mots (Thibault Rossigneux) pour laquelle il travaille en production depuis 2014. Il y rencontre Sylvie Desbois avec qui il travaille en 2015 sur la mise en scène de la pièce Toby ou le saut du chien de Frédéric Sonntag et en 2016 pour la forme courte Rage. En 2016, il apparait dans Les mé- moires d’un seigneur d’Olivier Dubois, La pluie d’été de Sylvain Gaudu et Nomades Landes de Morgane Helie puis en 2017 dans En eaux troubles, d’Anissa Daaou. Il créé cette même année avec Sylvain Gaudu Vous, d’après Outrage au public de Peter Handke et fonde la compagnie Le pavillon 33 avec Anne-Céline Trambouze et Sylvain Gaudu. En 2018, il travaille avec Erika Guillouzouic Ce grand besoin de respirer puis avec Roxane Driay, (TR)Oppressés. Il participe cette même année aux Enjeux Pro organisés par l’école du jeu.
Après une rencontre à l’Ecole du Jeu où pendant trois ans nous avons expérimenté nos envies, nous créons Le Pavillon 33. Forts de nos différents parcours, nous imaginons aujourd’hui le Pavillon comme le lieu symbolique de nos expérimentations et de nos créations mais aussi comme un point de rassemblement et de rencontre. Le Pavillon nous abrite et nous donne l’espace d’exister et de créer, il devient notre étendard et notre foyer. Le brandir c’est prendre le large pour l’aventure. Avec Le Plancher de Jeannot et la chute tragique de cette famille nous questionnons les processus d’isole- ments sociaux et mentaux de l’individu mais également de nos sociétés. Nous poursuivons ici le travail entamé sur La pluie d’été, notre première création, en suivant les destinées singulières d’Ernesto et de Jeannot. Tous les deux cherchent l’émancipation en essayant de se libérer du poids de l’héritage familial et social.
CONTACT contact@lepavillon33.fr Sylvain Gaudu 06 49 52 67 51 / Antoine Gautier 06 47 82 32 92 www.lepavillon33.fr Siège social 11 bvd Edgar Quinet 92700 Colombes
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