LE RAPPORT AU SAVOIR DES ADULTES EN DIFFICULTE SOCIALE
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LE RAPPORT AU SAVOIR DES ADULTES EN DIFFICULTE SOCIALE (Présentation du travail de recherche) Malini Sumputh, Doctorante en Sciences de l’Education à Paris VIII La volonté d’une recherche sur la problématique du rapport au savoir des adultes en difficulté sociale émane d’une réflexion que j’ai menée sur plusieurs années. Cette réflexion a trouvé sa source dans mon parcours scolaire et académique, social et familial. Ce cheminement a été jalonné de difficultés d’insertion sociales et économiques, qui souvent a engendré un rapport au savoir, à la fois douloureux et passionné. De cette tension et cette dialectique, je tente d’examiner le rôle de la formation dans l’insertion sociale et professionnelle des adultes en difficulté sociale. Pour ce faire, j’ai émis l’hypothèse qu’une situation de rupture pouvait favoriser un désir de savoir. Ce texte met en avant, dans un premier temps, les facteurs de l’essor de la formation des adultes. Une brève présentation des dispositifs de formation auxquels ont recours les adultes, ainsi que la méthodologie adoptée pour cette recherche, font l’objet de la deuxième partie de cette présentation. Enfin une définition de la notion de formation à travers différents auteurs (Paolo Freire, Carl Rogers, Pierre Dominicé, Olivier Reboul, Christine Josso, René Barbier) permet de mesure l’ambivalence du concept de formation. Les facteurs de l’essor de la formation des adultes La formation des adultes, qui est au cœur des préoccupations sociales et des enjeux économiques et politiques, se traduit par un dialogue social1 de plus en plus complexe. Les plans sociaux mis en place par les entreprises ont favorisé une explosion en matière de demande de formation. Les centres de formations ou les organismes paritaires collecteurs agréés2 tentent d’y répondre pour faciliter le reclassement ou la reconversion professionnelle, et ainsi faire face aux exigences de qualifications nouvelles. L’accès aux loisirs est également à l’origine de cette explosion car on peut désormais s’adonner à ses passions, à ses rêves, parallèlement à une activité professionnelle qui, avant le 1 Cf. L’article paru dans le journal le Monde, le 13 décembre 2003 «!Les députés approuvent le nouveau droit à la formation!». Projet de loi sur la formation professionnelle comprenant deux volet!: le premier portant sur la formation professionnelle est censé transcrire l’accord interprofessionnel signé le 20 septembre 2003 par l’ensemble de confédérations syndicales et patronales et le second traite du dialogue social. Ce projet de loi permet aux salariés en contrat à durée indéterminée (CDI) et à temps plein de bénéficier d'une formation d'une durée minimale de 20 !heures par an, cumulable sur six !ans, le cumul des droits ouverts devant être au minimum de 120 !heures sur six ans. Les heures de formation pourront s'effectuer durant le temps de travail, avec maintien du salaire, ou en dehors, ouvrant alors droit à une allocation de formation équivalant à 50 !% de la rémunération nette de référence. Pour un salarié en contrat à durée déterminée ayant quatre mois de présence dans l'entreprise ou un salarié à temps partiel, ce droit est calculé au prorata du temps de travail effectué. 2 Sont usuellement appelés O.P.C.A, ces organismes paritaires crées par voie d’accords conclu entre les organisations syndicales de salariés et d!‘employeurs. Ils sont agrées par l’Etat, pour collecter les contributions des entreprises destinées au financement de leur plan de formation, des contrats d’insertion en alternance et du congé individuel de formation
vote de la loi des 35 heures, était un pari qu’il fallait gagner sur l’organisation familiale et professionnelle. Si, historiquement la formation des adultes est un phénomène ancien et qui a connu avec l’extension du salariat au XIXème siècle un essor important, ce n’est que récemment qu’on accorde un intérêt plus conséquent à la formation des adultes, lié au fait que les individus ont davantage de temps libre. Une masse de plus en plus considérable de jeunes qui, il y a un siècle, seraient entrés dans la vie active dès l’adolescence, remplissent aujourd’hui les écoles secondaires et les universités. En France, on compte plus de dix millions3 d’adultes chaque année en situation de formation volontaire, dont les trois quarts avec l’aide des entreprises (loi de 1971). Un nouveau système d’éducation permanente, enfant-adolescent-adulte, fondé sur une révision de l’obligation et du volontariat, sur une révision du temps de travail professionnel ou scolaire et du temps de loisir dans le cycle de vie, semble nécessaire pour sortir le système scolaire de sa crise actuelle. La démocratisation de l’accès à l’université4 a transformé le rapport au savoir et permis aux classes populaires d’y pénétrer, mêlant ainsi toutes les classes sociales à la production de nouvelles connaissances. L’accroissement et la diversification de la population universitaire entraînent une différenciation des institutions et fait émerger d’autres finalités (professionnalisation des diplômes…). L’immigration présente un paramètre important dans le champ de la formation des adultes, les centres d’alphabétisation ou de remise à niveau sont des passages obligés pour une insertion sociale et professionnelle réussie tant de l’adulte immigré!que de ses enfants5. Quant à l’éducation informelle6, elle demeure une des façons de se former sans pressions extérieures. Nous entendons ici par éducation informelle, la prise en compte des phénomènes éducatifs qui se passent hors structures éducatives formalisées. Les contenus ne sont pas définis d’avance, et ne sont pas organisés suivant une logique académique. Il n’existe aucun programme préétabli, ni d’exigence de connaissances préalables de la part de l’individu pour que son intérêt soit éveillé. Le rapport des adultes en difficulté sociale à travers les dispositifs de formation Cette étude tente de mettre en évidence le rapport au savoir des adultes en difficulté sociale à travers différents dispositifs de formation!: université, centre d’alphabétisation et de remise à niveau, centre de formation professionnelle, association de quartier mais également à travers un «!dispositif!» plus large, celui de la vie7. Pourquoi s’engage-t-on dans un processus de formation!? L’entreprise d’une formation favorise-t-elle une meilleure insertion sociale et professionnelle!? Telle est la question de départ de cette étude. 3 En 2000, 13.731.953 salariés sont entrés en formation, cf http://www.centre-inffo.fr/maq100901/pdf/iffchiffres- 2003.pdf 4 À partir de 1956, le nombre des étudiants s’accroît sensiblement 5 Une des actions de l’association des Femmes Relais et Médiatrices Interculturelles «!Moi aussi j’aide mon enfant!» a pour mission de former les parents d’élève des écoles du quartier à la langue française, ainsi améliorer la communication entre l’institution scolaire et ces derniers. 6 L’éducation informelle a du mal à être accepté en France compte tenu de la place de la formation continue professionnelle des adultes. 7 L’approche de l’histoire de vie est l’outil adopté pour la mise en évidence de ce rapport au savoir. 2
L’hypothèse de cette recherche est qu’une rupture de situation c’est-à-dire une rupture sociale, familiale, liée à l’immigration ou bien une rupture dite axiologique (l’existence d’un rapport intime à soi-même dans la connaissance de soi), entraînerait une remobilisation au savoir. Cette remobilisation serait aidée par des instances institutionnelles ou par un vif désir de savoir de la part de l’individu. La formation aurait une fonction organisatrice chez l’individu (au niveau psychique, cognitif, affectif, social et philosophique) et favoriserait un nouveau positionnement. Cette étude entre dans une approche qualitative centrée sur des entretiens qualitatifs et semi-directifs. Une observation participante dans deux organisations (association de quartier8 et cellule de reclassement professionnel9) a également permis le recueil des données. Tentative de définition!: formation ou éducation!? La notion de formation est souvent utilisée pour désigner des changements personnels qui ne relèvent jamais d’un déroulement linéaire. Elle suppose des expériences personnelles, des interactions sociales ainsi que l’acquisition de connaissances transmises. Le savoir se construit au gré des multiples interactions sociales qui accompagnent la plupart des expériences de vie. Afin de clarifier la notion de formation, nous faisons appel à plusieurs auteurs qui ont mis en lumière cette notion. Une conscientisation par un changement de la vie personnelle Le courant humaniste a renforcé l’importance acquise par le développement de l’expression corporelle ou artistique dans des activités non-verbales et ouvre l’éducation des adultes aux dimensions d’une nouvelle spiritualité. Paolo Freire10 apporte une réflexion critique sur la pratique éducative des adultes!; il offre des instruments d’analyse dans une perspective de renversement de la conscience des opprimés. Cette perspective permet de passer d’une dépendance idéologique à l’égard des modèles de la classe dominante, à la revendication d’une prise en charge sociale et politique de leur destin collectif. P. Freire met en place une méthode d’alphabétisation dite de «!conscientisation!» dans un mouvement d’éducation de base. Cette méthode part de la «!conscience dominée!» des ruraux brésiliens pour atteindre leur conscience libérée. Ici, le but de l’éducateur n’est pas seulement d’apprendre quelque chose à son interlocuteur, mais de rechercher avec lui, les moyens de transformer le monde dans lequel ils vivent, de lui donner des moyens de se conscientiser pour s’alphabétiser afin de se problématiser, de se rendre compte de sa condition de personne, de sujet et d’évaluer son rapport au politique. Cette pédagogie des opprimés est élaborée avec les opprimés et non pour eux. Elle n'a de sens que si les opprimés, dans leur désir de récupérer leur humanité ne deviennent pas oppresseurs des oppresseurs, mais restaurateurs de l’humanité, tant chez les opprimés que chez les oppresseurs. Deux moments sont à noter dans cette pédagogie!: d’une part, le moment où les opprimés découvrent le monde de l’oppression et s’engagent dans la praxis pour sa transformation, c’est-à-dire lorsqu’ils lient l’action et la 8 Association des Femmes Relais et Médiatrice Interculturelle de Champigny sur Marne a pour objectif la lutte contre l!‘exclusion. 9 Les cellules de reclassement professionnel ou autrement dit les antennes emploi sont mis en place par les entreprises qui procèdent à un licenciement économique. L’objectif de cette cellule de reclassement est d’apporter un soutien psychologique aux salariés licenciés et de leur proposer des solutions adaptées en fonction des situations de chaque salarié (recherche de formation, recherche d’emploi, accompagnement dans le dispositif de la validation des acquis, accompagnement des salariés handicapés dans le dispositif COTOREP, dans le montage des dossiers de demande de retraite). 10 Paolo Freire, La pédagogie des opprimés, 1969 3
réflexion. Et d’autre part, le moment, où la réalité oppressive étant transformée, cette pédagogie n'est plus celle des opprimés mais celle des hommes en marche vers une libération. Un développement personnel Si Paolo Freire met en avant l’idée d’une conscientisation pour un changement de la vie personnelle, Carl Rogers7 converge lui vers le même point en introduisant la notion de développement de soi dans une approche de la psychologie humaniste. Cette approche consiste à aider le potentiel humain à trouver sa voie, ses modes d’expressions, sa sensibilité propre. Les barrières sociales peuvent être franchies dès lors que l’adulte a trouvé le chemin qui lui appartient. Dans cette optique, se former veut dire s’épanouir, se développer. Il développe l’idée de la relation d’aide, des relations dans lesquelles l’un ou au moins des deux protagonistes cherche à favoriser chez l’autre la croissance, le développement, la maturité et un meilleur fonctionnement, une plus grande capacité d’affronter la vie. Cette relation est une mise en évidence des ressources latentes interne de l’individu, et de ses possibilités d’expression. La relation d’aide est basée sur l’idée de congruence, c’est-à-dire des sentiments ou des attitudes en accord avec la conscience que l’individu a de lui-même. Dans ce processus, la confiance occupe une place importante. Le développement de la personne est fortement lié au développement qu’a atteint l’autre, à l’acceptation de soi. Cette acceptation de soi est une satisfaction paisible qu’on éprouve à être soi-même. La relation d’aide, lorsqu’elle réunit toutes les conditions, peut alors déboucher sur un moment où un changement est en train de s’opérer. Carl Rogers définit ce processus de changement par un continuum comprenant sept stades!: le premier exprime un refus de communiquer, la communication est uniquement portée sur des sujets extérieurs. Il n’y a aucun désir de changement. L’individu à ce stade se laisse décrire en termes d’immobilité, de fixité, à l’opposé de toute fluidité, de tout changement. Quand l’individu a prouvé qu’il était totalement accepté, alors il passe au second stade. Le second stade se caractérise par une prise de conscience. L’expression concernant des personnes autres que lui-même devient moins superficiel. Les sentiments sont décrits comme des objets que l’on ne possèdent pas ou parfois comme appartenant au passé. Au troisième stade, le discours ayant le «moi!» pour objet devient plus facile. Les sentiments sont décrits plus longuement. Les contradictions de l!‘expérience immédiate sont reconnues. Le quatrième moment est celui où l’individu se sent compris, accepté. Il se produit un relâchement progressif de ses schèmes, un débit plus libre de ses sentiments. Durant le cinquième stade, les sentiments sont pleinement éprouvés. Ils commencent à remonter à la surface, en dépit de la peur et de la méfiance que la personne éprouve à les vivre dans l’immédiat. Il y a là, un plus grand degré d’acceptation de tous les sentiments. Au sixième stade, les communications internes sont libres et peu bloquées. Le sujet se sent détaché du monde où il avait vécu jusqu’alors. La septième et dernière phase est celle où le sujet s’efforce consciemment d’utiliser ses critères pour savoir d’une façon de plus en plus claire qui il est, ce qu’il désire et quelles sont ses attitudes!? Le degré d’acceptation de soi croît de manière continue, et une confiance solide dans sa propre évolution se manifeste. Le moi devient de plus en plus la conscience subjective et réfléchie de l’expérience immédiate. Le sujet se communique librement dans ses relations avec les autres et vit pleinement sa vie personnelle comme un processus constamment changeant. Pour résumer, ce continuum est un processus par lequel le sujet passe de la fixité à la fluidité. La personne devient une unité en mouvement, et sa capacité de changer fait corps avec elle. D’une non-congruence elle passe à la congruence. La formation se présente alors comme un épanouissement créatif de l’individu où seules les connaissances qu’il découvre peuvent influencer son comportement de manière à se les approprier. 7 Carl Rogers, Le développement de la personne, Dunod, Paris 1998 4
Une réalisation de soi-même Carl Gustav Jung8 aborde la formation comme tâche de la conscience. La conscience doit orienter la personne par l’adaptation à l’environnement humain et naturel. La construction de la personne réside dans un conflit psychique ayant pour dialectique le conscient et le refoulé, le moi et le soi. La formation devient un processus d’individuation où l’être émerge du collectif culturel et biologique à travers la prise de conscience de son individualité. En développant le concept d’individuation et de soi, Jung définit la formation en tant que réalisation la plus intime de l’individu, une réalisation de soi-même, une réalisation de son soi, et devient donc une nécessité et un défi. L’apport de la psychopédagogie dans la formation est centré sur l’observation et l’analyse de la production du savoir des adultes dans des situations d’enseignement, c’est-à- dire sur la façon dont ils se situent face aux connaissances qu’ils ont à maîtriser. Tandis que le courant fonctionnaliste fournit des éléments de solution pédagogique dans la résolution des conditions de gestion efficace à mettre en œuvre dans l’action éducative. Une histoire de vie Pierre Dominicé aborde la question de la formation à partir de l’histoire de vie de l’adulte. De ce fait, l’adulte doit être considéré dans la globalité des sources qui l’ont formés. Il doit rechercher l’articulation entre les apprentissages formels et les expériences de vie telles qu’elles façonnent son devenir. La formation prend naissance dans le milieu d’origine, se poursuit à l’école et est influencée par les conditions économiques et professionnelles. Il s’intéresse aux raisons pour lesquelles les adultes s’engagent dans des nouveaux apprentissages. A quel moment de sa vie professionnelle ou de son évolution personnelle, un adulte éprouve-t-il le besoin de se confronter à un savoir plus formel!? Quelles représentations du savoir les incitent à s’approprier de nouvelles connaissances!? Pierre Dominicé présente l’adulte comme sujet de sa formation, sa vie devient un véritable espace de formation. Selon lui, la biographie se présente en tant qu’instrument éducatif et établit des effets formateurs. La biographie interprète un parcours de vie et une expression libre. Le récit biographique crée des liens entre les époques et offre une valeur réflexive. Cette valeur réflexive se structure autour de l’idée que le récit biographique est fondé sur des conflits existentiels. De ce fait, la formation peut être considérée chez l’adulte comme un processus marqué par une dialectique entre deux mouvements, l’un de détachement du monde, de l’éducation, et l’autre l’affirmation sociale de son existence personnelle. Le processus de formation s’apparente alors à la dynamique constructive de l’identité de l’adulte, et devient une affirmation de soi. Un apprentissage A l’instar d’Olivier Reboul11, la formation comprend trois aspects relatifs au renseignement qui serait de l’ordre de l’information, à l’apprentissage qui est du domaine du savoir-faire et à l’étude qui amènerait à la notion de compréhension. Il distingue différents niveaux dans l’acte d’apprendre, parmi lesquels l’information de l’apprentissage est le niveau inférieur de l’acte d’apprendre. Il nuance également la notion de l’étude de celle de l’apprentissage. L’étude se présente en tant qu’un savoir désintéressé, où l’individu cherche un savoir qui s’acquiert d’un seul coup!; contrairement aux savoir-faire qui s’acquièrent graduellement par l’exercice. L’information peut désigner l’acte de communiquer, c’est-à-dire communiquer à autrui un élément de connaissance qu’il ne possédait pas et ne pouvait pas trouver lui-même, 8 Cf. Christine Josso, Cheminer vers soi, Age d’Homme, Lausane, 1991 11 Olivier Reboul, Qu’est ce qu’apprendre, P.U.F, Paris, 1980 5
mais il ne faut pas conclure pour autant que l’information est une connaissance. Ainsi faut-il distinguer deux sources d’informations, le ouï-dire (tout ce qu’on reçoit des autres), et l’expérience, (tout ce que nous enseigne nos sens sur les choses et sur le monde). Pour Reboul, réduire l’enseignement à l’information, c’est désirer maintenir l’individu et son esprit dans un état de passivité, à apprendre sans comprendre. Dès lors que l’information est de l’ordre de la formation, il y a déformation. Elle a uniquement une «!fonction utilitaire dans la mesure où elle sert à vivre et non à savoir, « apprendre que!» reste inférieure de l’acte d’apprendre!; et l’information, dans la mesure où elle reste incomprise, n’a d’autre vérité que son utilité.12!». Sous le terme d’apprentissage, Reboul désigne une activité d’apprendre en général. Il cite De Landsheere pour définir l’apprentissage!: un «!processus d’effet plus ou moins durable par lequel des comportements nouveaux sont acquis, ou des comportements déjà présents sont modifiés en interaction avec le milieu ou l’environnement.!» Contrairement à l’information, l’apprentissage met l’individu dans une posture plus active où il va acquérir des savoir-faire!; une « conduite utile au sujet ou à d’autres que lui, et qu’il peut reproduire à volonté si la situation s’y prête!». Il place l’apprentissage à un niveau supérieur de l’information du fait qu’un savoir-faire n’est pas seulement une reproduction des conduites acquises, mais aussi une adaptation à des situations nouvelles qui donne la possibilité d’innover. Cependant, il fait également une distinction entre l’apprentissage et le dressage, où l’importance n’est pas l’acquis mais l’acquisition. La notion de formation peut également être saisie à travers celle de l’enseignement. La formation se définit comme un apprentissage. Cet apprentissage passe par la capacité et le pouvoir dont l’enseignant dispose pour informer, donc choisir des informations disponibles. Mais c’est aussi le choix des moyens d’apprendre pour les adapter à chaque élève. L’enseignant doit avoir la capacité de communiquer des savoir-faire et des savoirs qui ne sont pas utilisables dans l’immédiat et qui permettront d’acquérir d’autres connaissances, de s’adapter aux exigences les plus diverses. En ce qui concerne la notion d’étude, Olivier Reboul considère que c’est le niveau supérieur de l’acte d’apprendre. Il définit l’étude comme une action intelligente qui se distingue de l’automatisme, par la présence et la pensée (où réside la souplesse et la créativité de l’action). L’étude est la recherche méthodologique d’un savoir pur. C’est aussi une activité désintéressée qui découle de l’étonnement, c’est-à-dire une activité libre où l’on échappe à l’irréversibilité du temps. C’est «! pouvoir remonter de l’après à l’avant, de l’effet à la cause, du «!que!» au «!parce que!»!». L’étude se situe dans une logique de compréhension et de construction. Elle consiste à découvrir un système et à y insérer des faits nouveaux même si le système est modifié. L’important c’est de comprendre. Elle est fondée sur l’idée d’un progrès indéfini, et intègre l’individu dans une communauté humaine tout entière. Pour Gregory Bateson13, la formation est prise sous l’approche de l’apprentissage comme un acte communicationnel en interaction avec un contexte prenant place dans les processus de changement. Ce processus se présente comme une exploration des possibles en vue d’être changé. Dans cet acte, l’apprentissage comporte plusieurs degrés. L’apprentissage zéro indique le résultat d’un acte qu’il soit considéré comme positif ou négatif et ne peut servir à améliorer une compétence. L’apprentissage I est un changement dans l’apprentissage zéro, le comportement ou l’acte se modifie au cours d’une exploration pour se stabiliser lorsque le but est atteint (les phénomènes d’accoutumances, les habitudes réflexes). L’apprentissage II présuppose l’expérience d’apprentissage et un emboîtement des niveaux 12 ibid.p.39 13 c.f C.Josso, Cheminer vers soi, Age d’homme, Lausanne, 1991 6
d’apprentissage entre eux. Ce niveau nécessite une capacité de décentration de l’apprenant et implique un apprentissage des différences de temporalité entre les contextes. La constitution d’acte et de comportements routiniers, l’apprentissage relatif au «! faire semblant!», l’apprentissage des rôles socioculturels, des règles de communications, l’apprentissage des relations humaines en général sont classés dans le niveau d’apprentissage II. L’apprentissage III exige une transformation de soi et des référentiels d’interprétations. Les conversions religieuses, les situations interculturelles et les passages d’une vision du monde à une autre appartiennent à ce niveau. Avec le niveau d’apprentissage IV, seules les capacités extraordinaires peuvent être admises. Un cheminement vers soi Quant à Christine Josso, elle définit la formation en distinguant un processus lié aux activités, événements, situations et rencontres d’un parcours de vie qui sont devenus des expériences formatrices, d’un autre se rapportant à la symbolisation intellectuellement construite et conçue comme succession de transformation de ses qualités socioculturelles. La formation ne peut exister sans un projet de connaissance qui engage le sujet dans une perspective de formation. Le projet de connaissance se présente comme une capacité de l’individu à se vivre comme sujet de sa formation, de prise de conscience à se réaliser. Ce projet va exiger un ensemble de connaissances qui impliqueront des transformations profondes dans plusieurs registres des activités quotidiennes. A travers l’analyse du langage courant Christine Josso tente d’éclairer la notion de formation. La formation peut prendre la forme d’une action de l’extérieur sur le formé. Par exemple, l’institution éducative qui joue un rôle fondamental dans la formation et peut aussi être un outil de travail dans toute sorte d’activité si bien qu’elle sert d’appui et facilite l’individu l’accès à des domaines nouveaux, à des pratiques et des connaissances. Le paramètre temps dans la formation implique une organisation d’un ensemble d’activités éducatives et d’actions formatrices, dans ce cas la formation est prise en tant qu’un contenu qui englobe les compétences et connaissances. La vie peut être également considérée par certains comme une modalité de la formation, c’est-à-dire que les événements sont autant de moments formateurs qui façonnent l’individu, et les activités éducatives ne sont pas indispensables à la formation mais c’est l’individu qui est l’agent de la formation. Hormis la description de la formation à travers les usages du langage courant, Christine Josso fait un parallèle pertinent entre formation et socialisation. Elle pose l’hypothèse que si l’on considère le social comme l’ensemble des solidarités, des interdépendances, des œuvres collectives, des univers symboliques, la question du maintien d’une cohésion relative malgré les transformations passe par l’étude des moyens mis en œuvre pour assurer la continuité du lien social. Cependant, il arrive que cette continuité ne soit plus maintenue. De ce fait, la dimension éducative joue un rôle central dans la reproduction, dans le développement et dans la transmission des qualifications requises aux nouvelles générations. Cette idée rejoint le concept d’enculturation proposé par la sociologie, la psychologie sociale et l’anthropologie qui décrit la formation comme des acquisitions nécessaires à la formation d’individus socialement et culturellement adaptés à l’organisation de la société et à ses activités. La formation est synonyme d’enculturation, c’est -à dire d’«!un processus au travers duquel l’individu acquiert la culture de son groupe, de sa classe, de son segment ou de sa société. Le processus est limité à l’acquisition des modèles de comportements, y compris le langage, les métalangages, les coutumes, les valeurs, les définitions de rôles et d’autres phénomènes de cet ordre!14». A travers cette notion d’enculturation, nous pouvons noter deux aspects fondamentaux. L’aspect du sentiment d’appartenance, c’est-à-dire la connaissance 14 Ibid 7
progressive de l’histoire mythique d’un groupe rassemblant en elle un double capital, le savoir et le savoir-faire qui peut être transmis en principe à toute société. Et le capital spécifique lié à la tradition constitue et nourrit les traits de l’identité d’une communauté ayant pour référence les ancêtres, la mort, les rites, les pratiques, les valeurs et les codes. Sous cet angle anthropologique, la formation ou l’éducation comme enculturation se caractérise par une transmission de valeurs, d’un sentiment de filiation aux nouvelles générations, ainsi qu’une explication du monde tout en alimentant le sens de la vie humaine et tout en l’orientant. En ce qui concerne l’apport piagétien, le processus de formation comme apprentissage pousse à considérer ce concept comme principe d’équilibre entre l’environnement humain et naturel. L’individu se transforme et prend forme dans un agir individuel et collectif puis coopératif dans le but de s’émanciper de la programmation héréditaire. Au regard de l’apport conceptuel des différents auteurs, le concept de formation prend le sens d’une conscientisation des dominés en marche vers la liberté pour une transformation du monde dans lequel ils vivent. C’est également une capacité d’affronter la vie tout en étant en accord avec sa conscience et en mettant en évidence les ressources latentes des individus pour une meilleure acceptation de soi à travers un processus de changement qualifié de continuum, de processus d’individuation dans le but d’une réalisation de soi. Mais c’est aussi le sens d’une interaction entre les apprentissages informels et le sujet qui modifie son comportement dans le cadre de l’histoire de vie. Comme nous l’avons mentionné, la formation peut également être prise en tant que processus d’un apprentissage comportant plusieurs niveaux. D’autre part, elle peut être synonyme de socialisation dans la mesure où on prend en compte la notion d’enculturation comme transmission de valeurs et de savoir-faire. Un projet implié Ces différentes définitions nous font penser la formation en l’englobant dans la notion d’éducation, mais en même temps nous incitent à faire une distinction, car elle implique selon René Barbier un projet «!implié!»15 c’est- à- dire une croissance énergétique, une tension vers un degré supérieur de complexité du vivant qui s’actualise dans une dynamique et dans des micro-situations plus ou moins rationalisées. Nous englobons la notion de formation dans l’éducation dans la mesure où elle devient un moyen par lequel on dirige un être humain vers des résultats. L’éducation serait une meilleure connaissance de soi-même dans un système de connaissances théoriques et pratiques. La formation vue sous cet angle, place l’individu dans un processus complexe où il doit se déconstruire pour naître ou renaître. Le processus formatif se joue dans une trilogie de «!construction!», «!destruction!» et «!création!», et c’est entre ces trois notions qu’on peut donner place aux stratégies formatives. L’individu doit se déformer et détruire tous ses a priori sur le monde afin de se former. Dans cette optique, la formation est une déformation permanente qui tente de donner aux individus des repères dans l’espace, dans le temps mais également dans l’action. 15 Cf. http:/www.barbier-rd.nom.fr/LettreLara1.html 8
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