Le rapport aux traitements médicamenteux chez des personnes atteintes d'un cancer incurable - Érudit
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Document generated on 07/15/2022 7:30 p.m. Frontières Recherche Le rapport aux traitements médicamenteux chez des personnes atteintes d’un cancer incurable Suzanne Mongeau, Serge Daneault, Véronique Lussier and Louise Yelle Volume 16, Number 1, Fall 2003 Article abstract Remède ou poison ? This paper pursues an objective to better know and understand the relationship that exists between individuals afflicted with an incurable cancer URI: https://id.erudit.org/iderudit/1073762ar and the medications offered as treatment. A qualitative research guideline DOI: https://doi.org/10.7202/1073762ar based on the relevant literature has been selected. An analysis of an ensemble of personal narratives suggests that the relationship developed by the patients interviewed with the medication treatments is marked by a discourse of battle. See table of contents Throughout the illness, patients adopt two different positions with respect to medications. To conclude, questions are raised with respect to the structure of the intervention services offered. Publisher(s) Université du Québec à Montréal ISSN 1180-3479 (print) 1916-0976 (digital) Explore this journal Cite this article Mongeau, S., Daneault, S., Lussier, V. & Yelle, L. (2003). Le rapport aux traitements médicamenteux chez des personnes atteintes d’un cancer incurable. Frontières, 16(1), 57–63. https://doi.org/10.7202/1073762ar Tous droits réservés © Université du Québec à Montréal, 2003 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
R E C H E R C H E LE RAPPORT Résumé À notre époque, l’expérience pharma- cologique de la maladie cancéreuse est devenue d’une grande complexité. Cette AUX TRAITEMENTS MÉDICAMENTEUX étude poursuit comme objectif de mieux connaître et comprendre le rapport que des personnes affligées d’un cancer incu- rable entretiennent à l’égard des traite- chez des personnes ments médicamenteux. Un devis qualitatif faisant appel à une analyse de contenu par théorisation a été retenu. L’analyse de l’ensemble des récits révèle que le rap- atteintes d’un port développé par les sujets rencontrés à l’égard des traitements médicamenteux s’inscrit dans une logique de combat. Tout au long de la maladie, les sujets cancer incurable adoptent deux postures différentes à l’égard des médicaments. En guise de conclusion, des questions en regard de la structure des services offerts et en regard de l’intervention sont soulevées. Mots clés : cancer incurable – traite- ments médicamenteux – combat – intervention. Abstract pharmacologique de la maladie cancéreuse This paper pursues an objective to better Suzanne Mongeau, Ph.D., est devenue pour les personnes malades et know and understand the relationship Travail social, UQÀM. pour les soignants d’une grande complexité. that exists between individuals afflicted with an incurable cancer and the medica- En effet, on retrouve une panoplie de médi- Serge Daneault, M.D., Ph.D., caments qui peuvent être prescrits selon tions offered as treatment. A qualitative Hôpital Notre-Dame, CHUM. research guideline based on the relevant diverses combinaisons et qui peuvent être literature has been selected. An analysis administrés par la bouche, par voies sous- Véronique Lussier, Ph.D., cutanées, intramusculaires ou intraveineuses. of an ensemble of personal narratives psychologie, UQÀM. suggests that the relationship developed En lien avec ces nombreuses avancées by the patients interviewed with the au plan pharmacologique, plusieurs études medication treatments is marked by a dis- Louise Yelle, M.D., se sont penchées sur la problématique des course of battle. Throughout the illness, FRCP, hémato-oncologue, Hôpital Notre-Dame, CHUM. traitements médicamenteux mais en l’abor- patients adopt two different positions dant, cette fois-ci, sous un angle psycholo- with respect to medications. To conclude, questions are raised with respect to the gique et socioculturel. Jusqu’à maintenant, structure of the intervention services MISE EN CONTEXTE plusieurs aspects concernant, soit les expé- offered. Les progrès de la biomédecine au cours riences reliées à la chimiothérapie, soit les des dernières décennies ont fait en sorte que expériences reliées au soulagement de la Key words: terminal cancer – medication de nombreuses avancées ont été accomplies douleur et des autres symptômes ont donné treatments – battle – intervention. dans le traitement pharmacologique de la lieu à des recherches. En ce qui a trait au maladie cancéreuse. Ces progrès concer- soulagement de la douleur, de nombreuses nent, d’une part, le groupe des médicaments études ont cherché à identifier les différents servant à éradiquer le cancer, à prolonger facteurs pouvant expliquer que, malgré les la vie ou à améliorer sa qualité, comme c’est avancées importantes faites dans ce champ, le cas avec la chimiothérapie, et, d’autre il demeure un pourcentage important de part, le groupe des médicaments de soins personnes souffrantes (Weiss et al., 2001 ; de confort servant à soulager la douleur Fazeny et al., 2000). À cet égard, la litté- et les autres symptômes (nausée, vomisse- rature suggère que cette situation serait ments, fatigue) pouvant être engendrés par la résultante d’un ensemble de facteurs certains traitements ou par la maladie telles de fausses conceptions sur les médi- elle-même. À notre époque, l’expérience caments antalgiques, que ce soit du côté du 57 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003
prescripteur ou des patients eux-mêmes, un manque de communication entre les per- sonnes malades et le personnel soignant et, enfin, des lacunes dans les méthodes d’éva- luation de la douleur (Ersek et al., 1999 ; Kimberley et al., 1999). Plus précisément, à partir du point de vue des personnes atteintes, Ward et ses collègues (1993, 1998) ont identifié huit obstacles au soula- gement de la douleur : 1) la peur de l’accou- tumance, 2) les préoccupations au sujet de la tolérance, 3) les préoccupations au sujet des effets secondaires, 4) le fatalisme (la douleur fait partie de l’expérience du cancer ; elle est inévitable), 5) le désir d’être un bon patient (les bons patients ne se plaignent pas ; cela ennuie les médecins), 6) la peur de distraire le médecin de la tâche de guérir le cancer, 7) la préoccupation selon laquelle une douleur qui s’accroît signifie que le cancer progresse, 8) la peur des injections. Relativement à la chimiothérapie, cer- taines études se sont penchées sur l’expé- rience des personnes en traitement en l’abordant selon le prisme de la qualité de vie. Dans cette optique, la pertinence des traitements a été examinée en considérant André Clément, Chronotome les risques et bénéfices de ceux-ci (Elit et al., 2003 ; Simes et Coats, 2001 ; Jansen et al., 2001 ; Silvestri et al., 1998). Les regrets des personnes atteintes en regard de leur choix de traitement ont également été explorés (Clark et al., 2001). Les résultats de cette étude établissent une corrélation entre les regrets ressentis et le processus décision- tion à l’égard de la maladie et des traite- personnes malades s’empêchent de deman- nel ayant prévalu lors du choix de traite- ments reçus (Mills et Sullivan, 1999). Cer- der des informations supplémentaires, car ment. Les recherches qui ont étudié les taines d’entre elles l’ont abordée en essayant elles considèrent que le médecin manque de attentes des personnes soumises à des trai- de connaître le niveau de satisfaction des per- temps et que d’autres malades peuvent avoir tements de chimiothérapie ont quant à elles sonnes atteintes quant à l’information reçue des besoins plus importants que les leurs. bien mis en relief à quel point ces traite- (Uitterhoeve et al., 2003 ; Elf et Wikblad, L’étude de The et al. (2000), de même ments sont investis d’un espoir de guérison. 2001). On retrouve toutefois un ensemble que celle de DelVecchio Good et al. (1993) L’étude de Slevin et ses collaborateurs de recherches provenant du domaine médi- ont mis en lumière les diverses stratégies (1990) révèle que la majorité des personnes cal et du domaine de l’anthropologie qui ont utilisées par les personnes malades et par à qui des traitements de chimiothérapie ont étudié cette vaste et complexe question de les prescripteurs pour garder à distance été proposés ont affirmé qu’elles accepte- l’information en l’englobant dans le spectre certaines informations. The et al. (2000) raient de suivre les traitements, même s’il y de la relation soignant-soigné et dans celui démontrent la collusion qui prévaut entre avait seulement un pour cent de chance de du rapport entretenu par les sujets à l’égard le médecin et la personne malade pour guérison. Dans le même sens, pour ce qui de leur maladie et de la mort. L’étude de maintenir un optimisme trompeur à l’égard est de la chimiothérapie palliative, l’étude Leydon et al. (2000) a exploré les différentes de la maladie et des traitements. Dans les de Doyle et al. (2001) révèle que, même s’il raisons qui pourraient expliquer pourquoi, interactions, l’accent est mis sur la tech- a été expliqué très clairement aux femmes à différents moments de leur maladie, cer- nicité des traitements, ce qui confirme atteintes d’un cancer de l’ovaire que les trai- taines personnes atteintes de cancer s’abs- d’ailleurs ce que d’autres études avaient tements avaient un but uniquement palliatif, tiennent de rechercher des informations sur aussi relevé (Uitterhoeve et al., 2003 ; Ford un pourcentage important de participantes leur maladie et son évolution. La confiance et al., 1996). L’étude de DelVecchio Good (42 %) pensait que les traitements allaient que certaines personnes atteintes accordent et al. (1993) a bien mis en relief le fait que probablement les guérir. D’autres études ont à leur médecin ressort comme un motif pour les oncologues se voient confier le mandat exploré plus spécifiquement les souffrances s’abstenir de demander des informations culturel de maintenir l’espoir chez les engendrées par les effets secondaires des supplémentaires. Pour ces patients, le patients, ce que celle de Saillant (1988) traitements comme, par exemple, la perte médecin représente l’expert qui détient le avait déjà mis en évidence. Pour remplir ce des cheveux et la fatigue (Kallich et al., savoir. Dans cette perspective, ces mêmes mandat, ils utilisent diverses stratégies. Pour 2002 ; Richer et Ezer, 2002 ; Morrow et al., patients craignent de transgresser leur rôle éviter d’aborder le dénouement possible 2001 ; Williams et al., 1999). de malade et préfèrent être de bons patients. de la maladie, les échanges entre médecins Mentionnons que l’on retrouve aussi un Le besoin de préserver un espoir est évoqué et soignés sont axés sur l’immédiateté, le nombre significatif d’études qui ont cher- comme un autre motif pour s’abstenir calendrier des traitements, les effets secon- ché à documenter la question de l’informa- d’aller chercher des informations. Enfin, des daires possibles et sur la vie quotidienne. FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003 58
types de cancers reflétant potentiellement diverses expériences avec les traitements reçus sont représentés dans l’échantillon : poumon, sein, foie, ovaire, colon, cerveau, gorge, système hématopoïétique, œsophage, pancréas, voies biliaires et mélanome. Enfin, les sujets provenaient de toutes les classes sociales. Les données ont été recueillies à partir de trois sources : 1) des entrevues indivi- duelles semi-dirigées audio-enregistrées effectuées par quatre cochercheurs, 2) des notes de terrain prises par les interviewers, 3) les dossiers médicaux auxquels les sujets avaient donné accès aux chercheurs par le formulaire de consentement. L’analyse a été effectuée à partir des transcriptions inté- grales de tout le matériel recueilli. Ce matériel a été codifié, catégorisé et analysé en vue de définir des thématiques émer- gentes. Celles-ci ont été soumises à l’accord « interjuges » de trois des cochercheurs pro- venant de quatre disciplines différentes (médecine, anthropologie, psychologie, tra- vail social), jusqu’à l’obtention du consen- sus et saturation de l’information. Pour les fins de cet article, seules les catégories ayant trait aux traitements médicamenteux ont été André Clément, Sphère retenues, traitées et analysées. Elles ont, par la suite, été mises en relation afin que nous puissions obtenir une compréhension approfondie du rapport que les sujets entretiennent à l’égard de l’ensemble des traitements médicamenteux. La modélisa- Ce bref regard sur la littérature existante a été retenu (Paillé, 1994 ; Paillé et Muc- tion s’est construite en établissant des liens dans le domaine des traitements médica- chielli, 2003 ; Strauss et Corbin, 1990). Pour entre les différents éléments constituant le menteux pour des personnes atteintes d’un faire partie de cette étude, les sujets devaient phénomène étudié. Celle-ci a été mise à cancer nous permet de constater que les avoir reçu le diagnostic d’un cancer incu- l’épreuve par la recherche de cas négatifs connaissances acquises, bien que significa- rable et avoir été informés de celui-ci par et par une validation des résultats, auprès tives, sont morcelées. Les diverses études leur médecin traitant. Nous avons procédé d’une partie de l’échantillon qui a participé menées se sont penchées soit sur l’expé- à un échantillonnage intentionnel dans le à une deuxième entrevue (N = 5). Toutes les rience des sujets en regard des médicaments but de maximiser la variabilité des sujets. analyses ont été effectuées à l’aide du pouvant servir à éradiquer le cancer ou à Le recrutement s’est effectué dans plusieurs logiciel QSR NUD.IST®. prolonger à tout le moins la vie, soit sur les environnements de soins différents : hôpi- médicaments de confort. Jusqu’à mainte- taux universitaires, hôpitaux non universi- LA DYNAMIQUE RELATIONNELLE nant, aucune étude ne s’est penchée sur le taires, services de soins palliatifs, cliniques SOIGNANT-SOIGNÉ rapport que les personnes affligées d’un de médecine familiale. Vingt-six sujets ont Comme nous l’avons souligné précédem- cancer incurable entretiennent à l’égard de été recrutés entre le mois de novembre 1999 ment, les résultats présentés dans cet article l’ensemble des traitements médicamenteux, et le mois de mai 2001. L’échantillonnage proviennent d’une étude plus vaste poursui- et ce depuis l’obtention du diagnostic d’incu- a été réalisé en plusieurs étapes afin de per- vant comme objectif de mieux comprendre rabilité. La présente étude cherche à pallier mettre une analyse comparative des don- la souffrance des personnes atteintes d’un ce manque de connaissances en poursui- nées. La conceptualisation initiale a donc cancer incurable, et ce en étudiant le rôle, vant comme objectifs de mieux connaître été mise à l’épreuve par une seconde phase sur ces souffrances, des interventions effec- et comprendre ce rapport et d’identifier les d’échantillonnage qui a donné naissance à tuées par les soignants. À cet égard, les don- principales caractéristiques qui s’en dégagent. une théorie émergente, celle-ci validée par nées recueillies ont permis de mettre en une troisième phase de recrutement axée lumière une dynamique propre à la relation MÉTHODOLOGIE sur la recherche de cas infirmatoires, aty- soignant-soigné, que l’on peut caractériser Les résultats présentés ici proviennent piques ou négatifs. Toutes les personnes par un évitement de la souffrance. Comme de témoignages recueillis dans le cadre identifiées par les médecins recruteurs ont chez les sujets rencontrés, cette dynamique d’une étude plus vaste1 menée à Montréal accepté de participer à l’étude. Toutefois, particulière constitue la toile de fond sur et portant sur la souffrance des personnes trois sujets n’ont pas été rencontrés en laquelle se construit le rapport aux traite- atteintes d’un cancer incurable. Compte raison d’une détérioration rapide de leur ments médicamenteux, il nous a semblé tenu de la complexité du phénomène à état de santé. Au total, l’échantillon était important de nous y attarder avant de consi- l’étude, un devis qualitatif faisant appel composé de 16 femmes et de 10 hommes dérer les résultats portant spécifiquement à une analyse de contenu par théorisation dont l’âge variait entre 33 et 91 ans. Plusieurs sur les traitements médicamenteux. 59 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003
Le soignant, en tant qu’acteur et repré- perçevant la réticence des soignants et du (nausées, vomissements, fatigue) sont alors sentant du système institutionnel de santé, système à ouvrir les digues, en viennent, à placés à l’arrière-scène. L’annonce de la fin et le soigné sont engagés ensemble dans une leur tour, à protéger le système. des traitements de chimiothérapie vient série d’interactions basées sur un évitement Or cet enlisement dans la collusion ne signer la défaite. Les sujets ressentent alors de la souffrance qui s’opère de manière peut durer qu’un temps puisque les per- beaucoup d’amertume envers les traitements circulaire. Malgré l’évidente inégalité du sonnes atteintes vivent avec un cancer de chimiothérapie et les effets toxiques rapport de force en présence (le soignant déclaré incurable. C’est ainsi que devant le qu’ils ont engendrés. Avec l’annonce de et le système au sein duquel il agit détien- constat inéluctable de l’échec curatif, les la fin des traitements, les sujets sont alors nent un pouvoir plus important que celui personnes malades ressentent une brusque confrontés en direct avec la mort. Au niveau que possède le soigné), on peut observer dissolution du pacte conclu avec les soi- des pratiques d’intervention, l’annonce de une certaine forme d’accord implicite gnants car ils ne peuvent plus lutter côte à la fin des traitements est en général couplée entre les deux parties quant à maintenir à côte. Les sujets rencontrés ressentent alors avec l’offre d’un transfert à l’équipe des distance la souffrance. De part et d’autre, il une certaine forme de désolidarisation face soins palliatifs. Dans un premier temps, ce s’agit d’abord de ne pas ouvrir les digues à l’imminence de la mort, maintenant transfert est perçu négativement. Par la de la souffrance, de ne pas donner prise au incontournable. À cette étape et dans un suite, après avoir eu des contacts avec les chaos et au désespoir que la maladie grave premier temps, le transfert aux soins pal- soignants des soins palliatifs, l’ensemble du peut engendrer. Tout ce qui risque d’échap- liatifs symbolise le terme d’un parcours fait discours des sujets est orienté vers l’impor- per au contrôle de soi est considéré comme d’évitements. Les soins palliatifs écopent, tance d’une mort paisible et sans douleur. une menace. en quelque sorte, de ce report de la souf- Tout au long de la trajectoire de leur Au sein du système institutionnel, les france. Pour les soignés qui, par la suite, maladie, les combattants adoptent donc interactions entre soignants et soignés sont réceptifs à l’ouverture des soins pal- deux postures différentes à l’égard des s’opèrent dans un contexte qui décourage liatifs pour ce qui est d’un lâcher prise à médicaments. Pendant les traitements de l’expression de la souffrance. Il suffit de l’égard de la souffrance, il y a une certaine chimiothérapie, ils prennent une position penser à l’achalandage des unités de soins amertume à voir celle-ci accueillie seule- de guerrier qui garde l’espoir de guérir. et à la surcharge de travail du personnel. ment en fin de parcours. Paradoxalement, Après l’annonce de la fin des traitements, À cet égard, une femme qui avouait être la dynamique relationnelle d’évitement de leur imposant un changement de rythme pleine d’inquiétude et d’appréhension nous la souffrance qui a prévalu entre soignants brutal, ils adoptent une position de vaincu. indiquait comment elle avait fait face à ce et soignés jusqu’à l’étape ultime produit Le rapport aux médicaments développé contexte : « J’ai pas commencé à y parler exactement ce qu’elle cherchait à éviter ; pendant le combat, de même que celui de ça. Pas grand temps… J’ai dix minutes une souffrance qui s’additionne à celle que développé après la défaite sont maintenant avec elle. Pis c’est plein dans la salle le seul fait de la maladie implique. Dans la décrits et analysés dans ce qui suit. d’attente. Non, elle ne me connaît pas » présentation des résultats qui suivent, nous (Louise). Il semble donc que les personnes verrons comment cette dynamique parti- PENDANT LE COMBAT souffrantes doivent se résoudre à taire beau- cipe des rapports que les sujets entretiennent Comme nous l’avons déjà souligné, pour coup de choses. Les sujets rencontrés ont avec les traitements médicamenteux. contrer l’effroi qui les a submergés lors du aussi mentionné la rigidité du système ; pour diagnostic de l’incurabilité, tous les sujets eux, il est risqué de vivre le doute, de porter RÉSULTATS rencontrés se sont mobilisés rapidement un regard critique sur les soins reçus, de L’analyse de l’ensemble des récits révèle et se sont engagés avec énergie dans un poser des questions, d’insister. Les per- que le rapport développé par les sujets ren- combat contre la maladie et la mort : « […] sonnes atteintes ressentent l’importance, contrés à l’égard des traitements médica- là, j’ai piqué ma crise dans l’bureau du voire la nécessité de ne pas s’aliéner le menteux s’inscrit dans une logique bien médecin, pis après, je me suis dit je suis personnel soignant si elles veulent être en spécifique : celle du combat. Un combat capable de me battre, je suis capable de mesure de vaincre le cancer. Les demandes mené, bien sûr, contre la maladie grave, passer par-dessus. Pis je me suis toujours que les sujets perçoivent du système, et aux- mais aussi et surtout contre la mort. Selon battue » (Lynne)2. Dans cette logique du quelles dans la très grande majorité des cas l’évolution de la maladie, mais toujours combat, les traitements de chimiothérapie ils obéissent, sont en fait des demandes dans la logique du combat, les médicaments sont alors fortement investis. Ils signent, propres à la culture ambiante : on doit être sont perçus tantôt comme des armes puis- bien sûr, la gravité de la maladie, mais ils courageux, stoïque et positif. Au cœur de santes, tantôt comme des adversaires redou- incarnent surtout un espoir de guérison, et cet enchaînement d’interactions, la souf- tables, tantôt comme des alliés qui peuvent ce, même si tous les sujets ont été avisés du france est à l’étroit. Elle doit prendre des apporter un répit temporaire. Bien que les caractère incurable de leur cancer : proportions raisonnables, être contenue et sujets aient fait référence dans leur discours Ah ! Au début, je me disais si… si j’ai se vivre sur le mode de la sagesse. En quête à différents médicaments, c’est principa- des traitements de chimio, ça veut dire de structure et de remparts contre la mort, lement autour des traitements de chimio- que c’est quasiment la fin, t’sais […] les sujets malades vont ainsi se plier à ces thérapie que s’organise le rapport aux Au début, j’ai pensé ça, après ça, je me contraintes et s’adapter à l’étroitesse de cette traitements médicamenteux. suis dit, il y en a beaucoup qui sont… zone car leurs propres besoins cadrent avec Après l’annonce du diagnostic où une qui ont passé au travers ça fait que je les exigences du système. Où il y aurait lieu frayeur extrême a été ressentie à l’égard de me suis dit, ben, j’vas essayer. Pis j’ai de s’attendre à une évolution plus souple la mort, tous les sujets rencontrés se sont continué à avoir les traitements. vers l’issue fatale de la maladie, on observe mobilisés rapidement pour mettre en branle (Adèle) une certaine forme d’enlisement dans la col- le combat. À cette étape, la chimiothérapie, lusion. En somme, de leur côté les soignants même si elle n’a que des visées palliatives, Dans leur état de grande vulnérabilité, pressentent et respectent en quelque sorte est perçue comme l’arme la plus efficace les personnes malades ont besoin de pro- le besoin des sujets de se prémunir contre pour mener la bataille. Les médicaments tection et tous les médicaments prescrits un risque de débordement d’expression antalgiques et ceux qui sont administrés visant à vaincre le cancer sont perçus, dans de la souffrance et de leur côté les sujets, pour soulager les différents inconforts ce contexte, comme des armures qui les FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003 60
prêts à prendre une position d’objet face à DEVANT LE CONSTAT INÉLUCTABLE DE L’ÉCHEC CURATIF, la médecine. Ils ont alors besoin de croire LES PERSONNES MALADES RESSENTENT UNE BRUSQUE DISSOLUTION en leur médecin. Ils mettent en lui une confiance absolue, aveugle et inébranlable. DU PACTE CONCLU AVEC LES SOIGNANTS Ils idéalisent la médecine à travers le méde- cin. Ils investissent leur médecin d’un pou- CAR ILS NE PEUVENT PLUS LUTTER CÔTE À CÔTE. voir surhumain et le perçoivent comme un être capable d’exterminer leur ennemi, com- me l’exprime Florence : « T’sais, bon, t’as un préservent de l’ennemi. Ils sont en quelque gonflements), plusieurs éléments de leur cancer, on va essayer ça, c’est supposé sorte des remparts contre la mort comme discours révèlent qu’à cette étape, ils sont marcher. Si le docteur te dit, c’est supposé en témoigne Solange : prêts à « en endurer », car comme le disait marcher, c’est parce que ça va marcher. » un des sujets, ils veulent guérir : « […] Là D’autres veulent toutefois garder un statut Pis après ça, au fur et à mesure que tu j’ai dit : Mon Dieu ! Donnez-moi des souf- de sujet même s’ils s’inscrivent dans une lis pis qu’il y a de la chimio pis tout ça, frances, donnez-moi des douleurs, mais si logique de combat. Ils veulent garder une toute l’évolution, ça fait que ça devient vous gardez la vie, j’accepte » (Berthe). Le position active dans les traitements. Ils ont moins noir au bout, là. Parce qu’au chemin vers la guérison est donc perçu, besoin de se faire reconnaître comme per- début, là, c’est un tableau noir, là. Tu comme l’avait déjà souligné Chicaud sonne et ils refusent une relation d’infanti- vois pas rien en avant, là. Il faut qu’il (1998), comme un combat de type sacrifi- lisation. Ils veulent rester acteur de leur s’éclaircisse ce tableau-là. ciel. Pour certains, tout se passe comme s’il propre vie. De plus, les traitements de chimiothé- fallait encore souffrir pour guérir. Pendant […] J’ai dit, moi, je veux pas de rapie semblent contrer, chez certains, l’effet le traitement, la majorité exprime donc peu quelqu’un qui contrôle ma vie en de chaos et de désordre créé par la maladie d’agressivité envers les effets secondaires, entier pis qui décide de tout, pis que je et par la peur de mourir. Ils constituent en qui les rendent bien souvent plus malades n’ai jamais, jamais, mon mot à dire. Je ce sens un repère structurant, ne serait-ce que la maladie elle-même. Les témoignages regrette, mais moi je ne fais pas partie que par le rythme que la prise de ceux-ci laissent entendre qu’ils craignent de réac- de ces patientes-là […] qui se laissent impose. Paradoxalement, ils introduisent tiver leur ennemi en exprimant leur agres- faire. […] J’veux bien faire confiance, une certaine continuité dans cette expé- sivité. « […] Ça m’étouffe, ça me gonfle mais faire confiance et fermer les yeux rience de rupture que constitue la maladie jusque-là ces médicaments-là, mais ils sont et pas savoir dans quoi on s’embarque grave. Par ailleurs, chez certains, la prise efficaces pour la tumeur, ça fait que là, c’est pus faire confiance, là. C’est de médicaments pouvant éradiquer le là-dessus, ça l’emporte. » (Sophie) comme quasiment de l’aveuglement. cancer mais engendrant des effets secon- Pendant le combat, l’incertitude, les dou- Alors, moi, je me suis sentie, comme daires importants leur rappelle la maladie tes, l’ambivalence quant à l’efficacité des une enfant, traitée comme une enfant. qu’ils essaient d’oublier : « Tu passes devant traitements est rarement abordée directe- Vraiment, l’infantilisation… Tu sais le miroir pis tu te vois, pas un poil sur la ment. Les sujets y font parfois allusion, mais plus ce que tu veux, tu sais plus ce que tête, tu te vois amaigrie ou enflée, moi, c’est seulement en effleurant l’idée. À cette pé- t’es, tu sais plus si tu as le droit de la maladie que je vois. » (Françoise) riode, certains semblent même éprouver des parole […] (Céline) Plusieurs récits dévoilent que les per- difficultés à prononcer le mot morphine, sonnes atteintes sont prêtes « presqu’à comme si ce médicament était associé de Pour les personnes de ce groupe, il est tout » pour rester en vie. Certaines sont trop près à la mort. Les sujets semblent important que les prescripteurs reconnais- parfois prêtes à payer des coûts astrono- avoir oublié que les traitements de chimio- sent qu’elles possèdent une expertise spé- miques pour des médicaments, si cela peut thérapie n’ont qu’une visée palliative. Pen- cifique liée au fait que ce sont elles qui les sauver de la mort. D’autres partent à la dant le combat, l’atmosphère qui semble prennent les médicaments et qui en ressen- recherche de la pilule ou du traitement régner entre les prescripteurs et les per- tent les effets. Dans leur logique, elles sont miracle qui pourrait les guérir. Elles font sonnes malades s’apparente à ce que The les mieux placées pour décider d’arrêter de des démarches pour trouver le meilleur et al. (2000) ont appelé « l’aura curative ». prendre un médicament qui engendre trop médecin en ville, celui qui pourra leur offrir Il y a toujours, sous-entendu, un espoir de d’inconforts. Toutefois, même celles qui un traitement, alors qu’un autre les aura triompher du mal, de faire mentir les veulent être reconnues comme sujets et déjà avisées de la futilité d’entreprendre statistiques, d’être l’exception, le miracle. partenaires ne souhaitent pas se faire trop d’autres traitements. Dans leur logique, tout Le prolongement de la vie par les traite- directement rappeler par leur médecin la se passe comme si chaque médecin pouvait ments de chimiothérapie, même quand il visée palliative des traitements. Leur posi- concocter sa propre potion magique : s’agit « clairement» d’un simple report tion à l’égard de l’information ne s’inscrit d’échéance ou d’une amélioration de la pas dans une logique binaire, celle de savoir […] Ça fait que finalement une de mes qualité de vie à court terme, finit par res- ou ne pas savoir. Leurs besoins et leurs amies a trouvé des recherches, elle a sembler à une promesse d’immortalité : attentes sont plus complexes qu’il peut trouvé des chercheurs à Toronto pis en « […] Je me suis dit qui fallait pas que je paraître. À cet effet, le discours de Céline Ontario, pis des recherches sur le m’arrête à ça. J’ai dit j’vas défier les statis- traduit de manière éloquente le rapport Vincristine pour les tumeurs au tiques […] J’ai dit, il aura pas ma peau ambigu que certaines personnes affligées cerveau et elle dit c’est à Notre-Dame, comme ça, lui, là. » (Solange) d’un cancer incurable peuvent entretenir à c’est le Docteur G. Ça fait qu’on a fait Pendant le combat, la relation avec le l’égard de l’information. Ainsi, d’une part, les démarches. (Sophie) prescripteur est fortement investie. La elle soutient qu’elle désire savoir : Même si les traitements de chimiothé- parole du médecin revêt en effet une très rapie les rendent souvent très malades grande importance. On retrouve toutefois […] me semble que c’est clair ; pas (nausées, vomissements, fatigue) et trans- deux postures différentes à l’égard du pres- besoin d’être psychologue pour forment leurs corps (chute des cheveux, cripteur. Pour rester en vie, certains sont comprendre que la personne que t’as 61 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003
devant toi, le patient ou la patiente que t’as devant toi elle est de celles ou de POUR RESTER EN VIE, CERTAINS SONT PRÊTS À PRENDRE ceux qui veut savoir. […] Elle ne veut pas s’en aller en ne sachant pas, pis en UNE POSITION D’OBJET FACE À LA MÉDECINE. restant dans les limbes […]. D’autre part, sa réaction devant le rappel traitements : « Ça m’a débiné au coton, j’ai des inconforts revêt alors une importance du médecin quant à l’aspect palliatif du trai- eu l’impression que lui, ce qu’il se disait, capitale, même si certains éprouvent encore tement met en relief son besoin de garder c’est qu’il y avait pus rien à faire. On laisse des réticences par rapport à la morphine. une distance avec le caractère incurable aller, bon, on mettra les soins palliatifs. Lui, En soins palliatifs, les personnes parlent de de son cancer : son impression, c’est qu’il y avait rien à faire la douleur et de l’importance de son soula- […] On me dit : « Ah ! C’est beau, pour pour moi » (Édouard). Pour les sujets ren- gement, alors qu’auparavant, pendant le le moment, c’est stable. » […] J’pense contrés, cette formule a été perçue comme combat, ils avaient accordé peu de place à la prochaine fois que j’vais voir une condamnation à mort. cette dimension : « […] C’est la première l’oncologue, j’vais y dire : « J’aimerais Par rapport au mode guerrier endossé fois [à l’unité des soins palliatifs] qu’ils ça que vous marquiez un petit mot par les sujets pendant les traitements de réussissent à contrôler ma douleur par les dans votre dossier, que vous puissiez chimiothérapie, l’arrêt de ceux-ci impose médicaments » (Mylène). bannir pour le moment. Gardez juste l’adoption d’un changement de posture c’est beau et l’état est stable, oublions radical. Plusieurs ont décrit ce moment QUESTIONNEMENTS le pour le moment. » […] Moi, je comme s’ils ne l’avaient pas vu venir. Pour ET IMPLICATIONS trouve que ce petit mot-là pour le eux, l’espoir a été brisé trop brusquement Les résultats recueillis dans cette étude moment, c’est l’image de l’épée de et de manière absolue. L’abandon de la lutte soulèvent un certain nombre de questions Damoclès : « Ma fille, profites-en parce ne s’est donc pas vécu dans le cadre d’une en regard de la structure même des services que la rechute va arriver. » transition progressive. De plus, comme offerts et en regard de l’accompagnement l’annonce de la fin des traitements est sou- et de l’intervention. Nous avons mis en évi- Même si les sujets rencontrés adoptent vent couplée avec l’offre de soins palliatifs, dence comment les sujets, dans leur par- des positions différentes à l’égard du pres- les sujets se sont sentis abandonnés. Ils cours, doivent faire face à un changement cripteur, tous ont exprimé, d’une façon ou doivent affronter une double perte : faire de rythme brutal à l’égard de la maladie et d’une autre, le besoin qu’on s’intéresse à eux le deuil d’une guérison possible et perdre des significations accordées aux traitements comme personne et ce, au-delà des aspects le médecin qui les avait suivis jusqu’alors. médicamenteux. Lorsqu’ils reçoivent des techniques des traitements. Ils n’ont donc Le passage à la sphère « où l’on ne se traitements de chimiothérapie et qu’ils pas toujours besoin d’en savoir davantage. bat plus », associé à l’offre de soins palliatifs, relèvent de l’équipe d’oncologie, les sujets Ils demandent plutôt un accompagnement prend bien sûr dans un premier temps une adoptent la position d’un combattant qui et une présence de la part de quelqu’un qui connotation négative. Certains, comme cherche à guérir à tout prix et à repousser soit en mesure de rentrer dans leur monde Solange, se sentent dévalorisés : « J’me suis la mort dans ses plus lointains retran- et dans leur logique. dit : Débrouille-toi toute seule, ma fille […] chements. À cette étape, ils perdent de vue parce que là, j’suis plus un gros cas la visée palliative des traitements, ce qui LA DÉFAITE… ET APRÈS pour eux autres, dans l’fond. » D’autres, confirme certains résultats de l’étude de Le rapport aux traitements médicamen- comme Sophie, perçoivent les soins pallia- Doyle (2001). Avec l’annonce de la fin des teux se modifie lorsque les sujets sont pla- tifs comme un mouroir : traitements, les sujets sont habituellement cés, sans ambiguïté, devant l’inutilité de la pris en charge par l’équipe des soins pallia- Ah ! Les soins palliatifs, pour moi, c’est poursuite des traitements de chimiothéra- tifs et ils sont encouragés à adopter une tous des p’tits vieux, pis tu t’en vas pie. Pour tous, la fin de ceux-ci vient signer position de « lâcher prise » tout en espérant mourir ben raide […] ils te disent que la défaite. Plusieurs ont évoqué, d’une une mort paisible accompagnée d’un soula- tu peux mourir, tu peux partir […] ils manière ou d’une autre, la forte impression gement de la douleur adéquat. Or comme font ce qu’ils pensent bien faire, mais de non-sens qui les a alors habités. À quoi ce changement de rythme brutal semble toi en tant que mourant, ça fait pas ton sert d’avoir mis autant d’énergie dans la difficile à assimiler et à digérer, on peut se affaire, parce que tu veux pas mourir. bataille et d’avoir subi tous ces effets secon- demander s’il n’y aurait pas avantage à ce daires si tout cela se termine par la défaite ? Bref, tout ce qui est palliatif se trouve que le monde de l’oncologie et celui des Au cours de cette période, les sujets ren- dans un premier temps assimilé à l’aban- soins palliatifs s’interpénètrent davantage, contrés se permettent plus facilement de don et à la mort. ce qui pourrait assouplir le passage du libérer leur agressivité face aux divers trai- La perception des sujets à l’égard des curatif au palliatif. Dans cette perspective, tements subis, et, d’autre part, par rapport soins palliatifs et à l’égard des médicaments on peut penser que des changements à ceux qui les ont prescrits. Parallèlement prescrits se modifie par la suite lorsqu’ils devront être apportés à la structure même au sentiment d’absurdité et d’injustice sont en contact avec l’équipe des soignants. des services. ressenti devant l’échec, plusieurs sujets Les soins palliatifs sont alors perçus non Nous avons également identifié la pré- mentionnent l’impuissance qu’ils ont alors plus seulement comme un endroit où l’on sence de deux tendances à l’intérieur de ressentie : « J’avais… j’avais pas de muni- va mourir, mais aussi comme un lieu où notre échantillon. Certaines personnes tions, j’avais rien, complètement démuni » l’on peut recevoir des petits soins et des malades préfèrent mettre leur vie et leur (Benoît). petites attentions : « […] Pis tout l’monde corps entre les mains de la médecine alors Plusieurs ont aussi fait référence au fait est fin, pis tout l’monde est gentil, tout que d’autres veulent jouer un rôle actif dans que leur oncologue avait utilisé dans des l’monde est prévenant » (Florence). Dans leur traitement. Pour les personnes du pre- termes plus ou moins explicites la formule ce lieu et à cette étape de la maladie, le mier groupe, la notion de participation aux « On ne peut plus rien pour vous » afin de rapport aux médicaments antalgiques se traitements ne semble donc pas faire de sens leur signifier l’inutilité de la poursuite des modifie. Le soulagement de la douleur et et pourrait même soulever des angoisses FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003 62
additionnelles si elle était présentée comme mation preferences », Cancer Nursing, no 24, SILVESTRI G., R. PRITCHARD et H. WELCH un impératif, alors que pour celles du p. 351-356. (1998). « Preferences for chemotherapy in patients with advanced non-small cell lung deuxième groupe, il importe de reprendre ELIT, L., C. CHARLES, I. GOLD, A. GAFNI, S. FARRELL, S. TEDFORD, D. DAL BELLO cancer : Descriptive study based on scripted un certain contrôle sur leur vie, que le interviews », British Medical Journal, no 317, cancer leur a enlevé, en adoptant une posi- et T. WHELAN (2003). « Women’s percep- tions about treatment. Decision making for p. 771-775. tion active. Nous avons toutefois relevé que ovarian cancer », Gynecology Oncology, SIMES, R.J et A.S. COATS (2001). « Patient même les personnes qui veulent être recon- vol. 28, no 2, p. 89-95. preferences for adjuvant of early breast nues comme sujets et partenaires à part cancer : How much benefit is needed ? », ERSEK, M., B. MILLER-KRAYBILL, entière entretiennent un rapport ambigu, A. DU PEN (1999). « Factors hindering Journal of the National Cancer Institute, voire paradoxal à l’égard de l’information. patient’s use of medications for cancer pain », no 30, p. 146-152. Elles veulent à la fois savoir et ne pas savoir. Cancer Practice, vol. 7, no 5, p. 226-232. SLEVIN, M.L., L. STUBBE, H.J. PLANT Au-delà de ces divergences, tous les sujets FAZENY, B., M. MUHM, I. HAUSER, C. et al. (1990). « Attitudes to chemotherapy : apprécient que les échanges avec les soi- WENZEL, P. MARES, A. VBERZLANO- Comparing views of patients with cancer gnants ne se résument pas aux aspects tech- VICH, H. HAGMEISTER et C. MAROSI with those of doctors, nurses and general public », British Medical Journal, no 300, niques des traitements. Les résultats ont (2000). « Barriers in cancer pain manage- p. 1458-1460. également mis en relief comment le rapport ment », The Middle European Journal of entretenu par les sujets à l’égard des trai- Medicine, p. 978-981. STRAUSS, A. et J. CORBIN (1990). Basics FORD, S., L. FALLOWFIELD et S. LEWIS of Qualitative Research. Grounded Theory. tements médicamenteux ne s’inscrit pas Procedures and Techniques, Newbury Park, dans une logique rationnelle. (1996). « Doctor-patient interactions in Sage Publications, 263 p. Devant ces différents constats, il con- oncology », Social Science and Medicine, vol. 42, no 11, p. 1511-1519. THE, A.M, T. HACK, G. KOETER et G. vient de se demander comment, dans leurs VAN DER WAL (2000). «Collusion in doctor- pratiques d’intervention, les soignants peu- JANSEN, S., J. KIEVIT, M. 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Ils sou- comes associated with anemia-related fatigue Netherlands », Cancer Nursing, no 26, p. 18-27. haitent, bien sûr, une compétence scienti- in cancer patients », Oncology, vol. 16, no 9, WARD, S.E, K. CARLSON-DAKES, S.H. fique, mais aussi un accompagnement. p. 117-124. HUGUES, K.L. KWEKKEBOOM et H.S. DONOVAN (1998). « The impact on quality Ce dernier impliquerait un intérêt de la KIMBERLY, L., M.A. PARGEON et J. HAILEY (1999). « Barriers to effective cancer pain of life of patient-related barriers to pain ma- part du soignant pour l’univers du soigné, nagement », Research Nursing Health, c’est-à-dire un espace d’écoute pour ses management : A review of the literature », Journal of Pain and Symptom Management, no 21, p. 405-413. ambivalences, ses contradictions, et l’uni- vol. 18, no 5, p. 32-42. WARD, S.E, N. GOLDBERG, V. MILLER- cité de son expérience de la maladie. Bref, MCCAULEY et al. (1993). « Patient-related un accompagnement qui saurait médiatiser LEYDON, G., M. 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Afin de préserver l’anonymat des sujets ren- Anthropologie et Sociétés, vol. 17, nos 1-2, ancrée, Cahiers de recherche sociologique, contrés, tous les prénoms utilisés dans les p. 79-98. no 23, p. 147-181. verbatims sont fictifs. DOYLE, C., M. CRUMP, M. PINTILIE et PAILLÉ, P. et A. MUCCHIELLI (2003). 3. Les auteurs remercient Mme Camille Allaire, A. OZA (2001). « Does palliative chemothe- L’analyse qualitative dans les sciences étudiante en études littéraires, pour ses judi- rapy palliate ? Evaluation of Expectations, humaines et sociales, Paris, Armand Colin. cieux conseils quant à la rédaction de cet outcomes, and costs in women receiving RICHER, M.C. et H. EZER (2002). « Living article. Ils remercient également Mme An- chemotherapy for advanced ovarian cancer », in it, living with it, and moving on : Dimen- dréa Monette, étudiante en travail social, Journal of Clinical Oncology, no 19, sion of meaning during chemotherapy », pour son aide quant à la recension des écrits. p. 1226-1274. Oncology Nursing Forum, vol. 29, no 1, ELF, M. et K. WIKBLAD (2001). « Satisfac- p. 113-119. tion with information and quality of life in SAILLANT, F. (1988). Cancer et culture. patients undergoing chemotherapy for cancer. Produire le sens de la maladie, Montréal, The role of individual differences in infor- Éditions Saint-Martin. 63 FRONTIÈRES ⁄ AUTOMNE 2003
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