Le séduisant mépris de l'antipopulisme - Michel Lacroix
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Document generated on 12/19/2024 4:33 p.m. Liberté Le séduisant mépris de l’antipopulisme Michel Lacroix Number 317, Fall 2017 URI: https://id.erudit.org/iderudit/86527ac See table of contents Publisher(s) Collectif Liberté ISSN 0024-2020 (print) 1923-0915 (digital) Explore this journal Cite this review Lacroix, M. (2017). Review of [Le séduisant mépris de l’antipopulisme]. Liberté, (317), 48–51. Tous droits réservés © Michel Lacroix, 2017 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
lit térature cahier critique Le séduisant mépris de l’antipopulisme michel lacroix E ngoncé dans le mauvais som- amalgame de rancœurs, de nihilisme et ALAIN BADIOU, meil d’avant les longs vols d’ambitions dont Trump est le nom. PIERRE BOURDIEU, matinaux, agité par la fébri- Ce n’est que peu à peu, tiraillé JUDITH BUTLER ET COLL. lité ambiante, je me suis réveillé en entre l’ahurissement devant l’événe- QU’EST-CE QU’UN PEUPLE"? sursaut dans le cauchemar de la vic- ment et le besoin de comprendre, que LA FABRIQUE, 2013, 1240p. toire de Trump, en cette noire nuit de l’inconfort du rejet dédaigneux est novembre dernier. Uni dans ma soli- devenu trop fort pour m’y complaire. JUDITH BUTLER tude télévisuelle à des millions de spec- Ce fut en partie l’empressement de tateurs impuissants de l’histoire en tant de chroniqueurs et de spécia- RASSEMBLEMENT": train d’advenir, j’étais supérieurement listes à aller au-devant de la collective PLURALITÉ, PERFORMATIVITÉ ET POLITIQUE horrifié. Comment ne pas mépriser demande de sens, pour mieux triom- FAYARD, 2016, 2880p. l’aliénation profonde de ces foules pher de ce moment médiatique, qui me confiant à un milliardaire narcissique, fit éprouver les limites de mes premiers roi de l’économie-casino, sans autre jugements. Dans la hâte de catégoriser, FRANCIS DUPUIS-DÉRI fidélité que la promotion constante de on a fait un obsédant emploi d’une LA PEUR DU PEUPLE. son nom, le soin de s’attaquer à l’esta- notion censée rendre raison de Trump, AGORAPHOBIE ET blishment et de défendre les intérêts du Brexit, de Le Pen et de Rambo Gau- AGORAPHILIE POLITIQUES des travailleurs floués par la mondia- thier, mais tout aussi bien de Bernie LUX, 2016, 4640p. lisation ? Comment ne pas juger avec Sanders, de Podemos et de Syriza, sans hostilité ces électeurs ayant cautionné oublier la téléréalité : le populisme. la misogynie, le racisme et les men- Qu’une telle étiquette puisse recouvrir en 2013, Jacques Rancière avançait que songes éhontés de Trump, ces foules de des phénomènes aussi divers signale son le recours aux amalgames permet aux rednecks « bas de plafond » si laids avec caractère problématique. « élites gouvernementales », de droite leur casquette rouge et leur accoutre- Évidemment, des lacunes concep- comme de gauche, de rejeter hors ment de chez Walmart ? tuelles n’ont jamais empêché intellec- des paramètres « acceptables » de la Emporté par la légitime colère tuels et chroniqueurs d’écrire, surtout démocratie libérale toute forme d’anti- contre l’incroyable puissance confiée s’il s’agit moins d’analyser que de élitisme, de remise en question de la à ce troll en chef et, à travers lui, aux défendre une thèse. Le flou même de démocratie représentative, en les asso- acteurs de la financiarisation du monde, la notion a d’ailleurs son utilité ; les ciant à des rhétoriques identitaires plus je me plaisais à réduire ses électeurs à amalgames indiqués ci-dessus laissent ou moins xénophobes. Les « dénoncia- d’obtus imbéciles d’arrière-pays. L’évi- ainsi croire à une vaste lame de fond tions rituelles » du populisme effectuent dence de l’horreur, qui réclamait une à travers les démocraties occidentales ainsi une justification de l’ordre des expression vive, immédiate, souvent d’où surgirait une sourde menace. Mais choses, contre les menaces d’irration- sarcastique (socialmédiatisée bien sûr), qui donc pourrait avoir peur de Trump nelles et dangereuses éruptions popu- me faisait ignorer le sentiment de supé- et de Sanders à la fois, du Brexit aussi laires que les forces populistes seraient riorité se faufilant dans mon regard et bien que de Syriza ? Peut-être y a-t-il là susceptibles de provoquer. Votez pour mon jugement. Confortablement ins- une bonne manière d’interroger une nous, clament les Fillon, les Valls, les tallé dans un hôtel étranger, entre deux mauvaise notion : non pas chercher à Macron, les Clinton, sinon ce sera colloques, j’étais aveugle au fait que découvrir ce qui se cache dans le popu- l’apocalypse « de foules aveugles entraî- par ma domination culturelle, comme lisme, mais dans l’« antipopulisme » nées par des leaders charismatiques ». par mon « nomadisme », j’incarnais des bien-pensants. Pauvres démocraties qui n’auraient une des figures de l’ennemi. Je pouvais L’amalgame, l’imprécision est préci- plus que ces tièdes apparatchiks pour encore moins me dégager partielle- sément un de ses traits. Dans « L’introu- les défendre. ment des rets de ma propre aliénation, vable populisme », court texte de 2011 C’est sur un usage déligitimant de pour entrevoir la portée critique de cet republié dans Qu’est-ce qu’un peuple ? l’idée de peuple, en somme, que repose 48 liberté | N O 317 | SEPTEMBRE 2017
l’antipopulisme, postulant que les diri- lacunes. Par-delà, il désigne le problème, aux non-spécialistes que nous sommes geants populistes sont dangereux parce philosophique et politique, de la notion tous, en tant que citoyens. que le « peuple », les foules, les masses de peuple. Le petit recueil dans lequel Qu’est-ce qu’un peuple ? permet de atomisées des réseaux sociaux sont trop le texte de Rancière est inséré, Qu’est-ce voir dans quelle mesure le manque facilement manipulables. On prend qu’un peuple ?, permet précisément de de culture associé au populisme et au ainsi l’exact contre-pied du « maître réfléchir à ce problème, avec de solides peuple lui-même, peut être retourné, ignorant » défendu par Rancière, lequel armes théoriques, celles des Badiou, affiché avec violence, par ceux-là mêmes affirme l’égalité des intelligences. Bourdieu, Butler, Didi-Huberman que la domination culturelle infériorise. L’anti-populisme recèle des pulsions et Khiani. Armes théoriques : j’insiste Contre les approches normatives ou antidémocratiques semblables à celles sur la formule, car elle condense dans statistiques, qui naturalisent ou neutra- de Gustave Le Bon et de Sous l’œil des mon esprit ce qu’a de si précieux le pro- lisent la notion de « langue populaire », barbares de Barrès, faible fable campant jet de La Fabrique et des petites mai- Pierre Bourdieu montre comment une des êtres supérieurs, réfugiés dans une sons d’édition engagée : faire vivre les partie des fractions sociales les moins bibliothèque-citadelle, pendant que les théories critiques contemporaines dans bien dotées, quant à la maîtrise de la hordes barbares les assiègent. l’espace public sans émousser leur force langue, reconduisent la vision domi- Le peuple comme manque, manque disruptive ni se résoudre à l’outran- nante des identités de genre (« l’opposi- de culture, d’intelligence, de contrôle cière simplification des « Marx for dum- tion entre la virilité et la docilité, [entre] de soi : par sa négativité dirigée, qui mies ». Agone, Amsterdam, Écosociété, les vrais hommes […] et les autres, êtres réclame d’accorder confiance (et la Lux, Verso : ces éditeurs font sortir les féminins ou efféminés »), pour faire de direction de l’État) aux élites éclairées, discours universitaires des circuits fer- leur infériorité linguistique la marque l’antipopulisme signale ses visées et ses més de l’édition savante pour s’adresser d’une virilité non conformiste. Ceci les porte vers « une recherche de l’expres- sivité fondée sur la transgression des censures dominantes – notamment en matière de sexualité » et un culte « de la rudesse, de la force physique, de la grossièreté ». Vulgaire, donc viril et vrai. C’est sur ce renversement offensif des normes d’interaction, fondement d’une iden- tité « masculine » insoumise au « bon parler » des élites, qu’une bonne part de la carrière médiatique puis poli- tique de Trump a reposé. Le « parti pris de réalisme et de cynisme » et la « morale de la force » caractérisant la vulgarité ostentatoire sont particuliè- rement employés, selon Bourdieu, par les hommes « les moins intégrés […] à l’ordre économique et social ». On croi- rait lire une analyse de l’ethos de Trump en campagne ainsi que de la composi- tion socio-économique de son électo- rat. Trump lui-même, bien qu’héritier de multiples millions, a été et continue d’être snobé par l’élite new-yorkaise, qui le juge vulgaire. Loin d’être cause de disqualification, la grossièreté, la pauvreté intellectuelle et syntaxique de ses discours, le kitsch clinquant de ses hôtels ont signalé aux dominés : « je mügluck suis l’un de vous ». Dédouanant le fils Anchois Pommier à papa et ses millions, cette muflerie le liberté | N O 317 | SEPTEMBRE 2017 49
lit térature cahier critique transforme en légitime champion de démocratique à l’irruption constam- tion politique comme « sujet collectif la lutte des classes populaires contre ment possible, sur la scène publique, de qui cherche l’autonomie en soi et pour l’establishment politique, médiatique et corps rassemblés et s’autoconstituant soi, et qui entretient par conséquent économique. Le « people » est devenu comme « peuple ». Préalable à toute un rapport conflictuel et d’opposition « peuple » grâce au mauvais goût. prise de parole comme sujet politique, envers les élites qui cherchent à le Il y a certes des inflexions agres- la réunion des corps « est déjà une gouverner ». Chez Butler comme chez sives et régressives dangereuses dans affirmation politique performative », Dupuis-Déri, le peuple désigne la com- la politisation de la vulgarité, particu- instaurant implicitement un débat sur munauté des sans-titres qui se constitue lièrement quand la violence verbale la nature du peuple, résistant à son effa- par la réunion des corps. Seulement, renforce les dominations contre les cement et affichant, dans leur fragile précise ce dernier, ce rassemblement exclus du « vrai peuple » et se maté- matérialité, la volonté d’une vie digne, peut tout aussi bien être délibératif, et rialise à travers les appareils d’État. le refus de la précarité généralisée. Elle apparaître alors comme demos, que tur- Ainsi, pour l’antisémitisme. Cepen- en a tiré, depuis, un ouvrage récem- bulent, voire violent quand il tourne dant, l’histoire de la pensée anarchiste, ment traduit, Rassemblement, dans lequel à l’émeute, se présentant alors comme comme les exemples de Parti pris ou elle propose une articulation entre per- plèbe. Ainsi peut-il voir chez Butler de Michel Chartrand, montre que la formativité de genre et politique de la une agoraphile, vis-à-vis du demos, mais vulgarité peut être associée à des dis- rue reposant sur le refus des normes une agoraphobe, en ce qui concerne cours émancipateurs. Laisser le refus instituées et la revendication du droit la plèbe, alors que les positions sont éclatant des normes linguistiques aux d’apparaître. Ceci l’amène, entre autres, inversées dans le cas de Tiqqun, qui matamores de droite, aux misogynes à critiquer l’interdiction d’apparaître annonce sans ambages qu’« il n’y a pas et aux racistes est une erreur politique, formulée par l’État français à l’endroit d’insurrections démocratiques » et que surtout quand il masque l’aliénation des femmes voilées, qui se retrouvent l’émeute, « plénitude de l’expression », de ceux qui maîtrisent la langue et ainsi exclues de la sphère publique, est « néant de la délibération ». Ceci exigent qu’on en respecte les règles, dans un universalisme contradictoire, sans compter les agoraphobes craignant quitte à taire sa colère. Devant la vio- reconduisant la domination coloniale toute forme de rassemblement, parmi lence symbolique et économique du au nom de la lutte contre la domina- capitalisme financier contemporain, tion masculine. la révolte ne pourrait-elle sortir « tout Des manifestes de Tiqqun aux L’histoire croche » ? Ne peut-elle s’écrier « Ça suffit, ostie ! » ? recueils du Comité invisible (L’insur- rection qui vient ; À nos amis), la lutte de la pensée anarchiste, Les mouvements étudiants des contre l’atomisation sociale et la pré- comme les exemples dernières années, avec les splendides carité en faveur de formes de démo- exclamations « On s’en câlisse » et cratie radicale anime aussi ces col- de Parti pris ou de « Fuck toute », ont montré le rire, le plaisir susceptibles d’accompagner la lectifs anonymes. Comme Butler, ils tentent de défendre la reconquête de Michel Chartrand, réappropriation offensive de la langue l’espace public, contre sa lente trans- montre que la vulgarité populaire (ceci au moment même où on s’étonnait de découvrir que les formation en universel centre d’achat. Toutefois, leur analyse des révoltes peut être associée représentants étudiants « parlaient de la place Tahrir, de Syriza ou des à des discours donc bien »). Ces manifestations ont Indignados revendique ouvertement aussi fait ressurgir dans le discours l’émeute comme déchirure violente émancipateurs. médiatique des images dont s’empare de la temporalité politique, alors que avec avidité l’antipopulisme, celles du Butler n’approuve les rassemblements lesquels on trouve nombre de philo- peuple-foule, du peuple émeutier ras- que s’ils « souscrivent aux principes sophes, sociologues et politologues, semblé dans la rue. La contribution de de la non-violence ». C’est que, bien qui reportent dans leurs conceptions Butler à Qu’est-ce qu’un peuple ? porte que tous agoraphiles, ils expriment des structures politiques leurs préjugés précisément sur « ce nous qui se ras- des tendances agoraphobes opposées. envers le peuple, accusé d’irrationalité, semble dans la rue et s’affirme », dont Telle est du moins une des très utiles estimé proie facile des démagogues, ou elle voit la manifestation exemplaire distinctions qu’établit Francis Dupuis- de fomenter inutilement les divisions dans le printemps arabe, Occupy et Déri dans La peur du peuple. au sein du corps social. On voit d’ail- les manifestations étudiantes au Chili Contre les conceptions nationalistes, leurs de semblables métaphores mépri- et au Québec. Elle y rattache la souve- juridiques, ethniques ou sociales du santes réduire les rassemblements à raineté populaire comme fondement peuple, Dupuis-Déri avance une défini- des « protestations reptiliennes ». 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doute ces penseurs s’imaginent-ils même de ces structures, vivement en aigles vengeurs, planant au-dessus critiquées par la pensée anarchiste. de la populace. L’antipopulisme Rien de plus révélateur et tragique, à recycle nombre de ces attaques, avec cet égard, que la vie de Victor Serge. d’autant plus d’aisance, de bien- Cependant, ce dernier défendait pensance, que les figures associées pourtant, contre lui-même, l’impor- au populisme sont honnies des élites tance des appareils, et on peut se cultivées. Des néoconservateurs demander si, dans leur critique, on qui n’aiment le peuple que sous ne néglige pas les possibilités tacti- la forme abstraite, narrative, de la ques de les mobiliser contre certai- nation, aux néolibéraux pour qui il nes dominations, d’en faire des n’existe pas, sinon comme éphémère instruments de libération (fût-elle source de légitimité, tous peuvent partielle). Ainsi Nadeau mise-t-il sur communier dans la peur du mauvais un double front de lutte syndicale, peuple, en s’estimant intellectuelle- combinant des formes de démocra- ment supérieurs. Ces antipopulistes tie directe et représentative (tout en nourrissent de leur mépris la bête mettant l’accent sur la première). qu’ils redoutent, vidant chaque jour Il y a sans doute de tout cela, dans davantage de leur sens les idées de cet élitisme timoré, ratiocinant, qu’est peuple et de démocratie. l’antipopulisme ; agoraphobie, mépris Si on se contentait moins aisé- culturel, mauvaise foi cherchant ment, médiatiquement, des images à légitimer la domination mana- de l’auteur, qui permettent de réduire du pouvoir et des institutions, ces gériale. Il y a aussi la manœuvre clas- d’avance les idées de Dupuis-Déri à ce ouvrages signalent une commune sique mais hautement complexe de l’at- qu’on croit connaître de ses positions préoccupation pour les formes de taque par l’étiquette. Néolibéralisme, sur l’anarchisme, le féminisme, les black démocratie directe (ajoutons à cette radicalisme, islamophobie, anarchisme : blocs, on découvrirait dans son livre un liste le tout récent opuscule de Chris- dans les débats politiques, ces termes essai important, crucial, sur la démo- tian Nadeau, Agir ensemble : penser la servent souvent à condamner, plus qu’à cratie, sur la possibilité de débattre et démocratie syndicale). Par-delà, ce qui approfondir la réflexion. Mais il y a un d’agir ensemble, sans médiations, sans se profile, à des degrés divers, de aspect supplémentaire qui mène des écrans. Je le soulignerais avec plus de Rancière à Dupuis-Déri en passant intellectuels de gauche et de droite à force, encore, si je ne craignais que l’on par Butler (mais certainement pas communier dans l’antipopulisme. Taxer ne rapporte cet éloge à l’amitié que je chez Bourdieu), c’est le rôle crucial que un mouvement de populiste, c’est se lui porte, alors même que c’est l’admi- joue, depuis une quinzaine d’années, la ranger soi-même dans une catégorie ration pour l’intellectuel-militant, qui nébuleuse anarchiste, comme aiguillon marquée par la rationalité argumen- a suscité l’amitié. Peut-être quelques pour le renouvellement des idées de la tative, supérieure aux manifestations esprits non prévenus iront-ils le lire, gauche, au Québec comme à l’étran- politiques d’émotions « brutes ». Cette découvrant un ouvrage savant, érudit, ger. Jamais sans doute l’histoire intel- revanche de l’esprit est tentante, et je l’ai bourré de notes, mais qui ne s’adresse lectuelle québécoise n’a-t-elle été aussi savourée, dans les premières semaines jamais exclusivement aux pairs (repro- marquée par les inflexions anarchistes. de l’ère Trump. J’y vois désormais une che que n’évite pas toujours Butler). La critique du « pouvoir sur (le attitude ironiquement démagogique, En fait, ce livre intègre la parole des peuple) » au nom du « pouvoir avec qui réduit l’adversaire à un bloc de « sans titres » aux côtés des universi- (le peuple) » qu’ils développent offre pur affect, bannit le sensible hors taires et grands penseurs du passé, sans une articulation entre liberté et soli- du politique et ignore sa propre peur véronique lévesque-pelletier la réduire à l’état de « document ». darité, autonomie et interdépendance du peuple. Il me semble nécessaire, au De même, les questions complexes de nettement distincte des conceptions contraire, d’entendre l’angoisse, la peur, philosophie politique (sur la démocra- collectivistes dominant la grande par- la colère, même quand elle s’engouffre tie, le pouvoir, le peuple) ne sont pas tie du XXe siècle, lesquelles cherchaient dans des idéologies délétères, simplistes constituées comme joujou exclusif des à lutter contre les pouvoirs en élabo- ou au service des dominants. Et sur- théoriciens, mais objet de débat théo- rant de fortes structures de résistance, tout, ne pas oublier que nous aussi, avec rique et politique commun. dont les partis et les syndicats. Mais ce nos diplômes, nos théories, sommes Tout divisés qu’ils puissent être, au fut souvent au prix de fortes inégalités fréquemment aveugles à notre propre sujet de l’insurrection, des conceptions voire de nouvelles oppressions, au sein aliénation. L liberté | N O 317 | SEPTEMBRE 2017 51
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