Le tarot divinatoire Claude Darche

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Claude Darche

                            Le tarot
                           divinatoire

                                              Deuxième tirage

    © Groupe Eyrolles, 2009, pour le texte de la présente édition
    © Groupe Eyrolles, 2014, pour la nouvelle présentation
    ISBN : 978-2-212-55902-6

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Chapitre 1

                          Historique des
                        cartes et apparition
                            des tarots

                        Au programme
                          •   L’apparition de la carte à jouer en France
                          •   Les tarots
                          •   Le tarot, point de convergence de différentes traditions
                          •   Les cartes imprimées
                          •   Le jeu et la société

                                         « Plus une chose est noble, plus elle est universelle2. »

                        L’apparition de la carte à jouer en France
                          On trouve le premier texte relatif aux cartes dans les minutes d’un
                          notaire de Marseille, Laurent Aycardi, le 30 août 1381.

                          Quelques dates significatives
                          1382 : Ordonnance du magistrat de Lille interdisant le jeu de
                          cartes.
    © Groupe Eyrolles

                          1398 : Ordonnance du Prévôt de Paris, interdisant aux gens de
                          métier de jouer, les jours ouvrables, à différents jeux, notamment
                          aux cartes.

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1582 : Première mention de la profession de cartier dans les rôles
                    des corporations parisiennes.
                    1583 : Suppression des droits de sortie, mais imposition de toutes
                    les cartes fabriquées en France. Contrôle par les receveurs des
                    marques imprimées sur les enveloppes des jeux. En 1584, la ferme
                    des droits sur les cartes est concédée à Antoine-Erigallot. La levée
                    de ces droits ayant été empêchée par les guerres, Henri IV confirme
                    l’obligation de l’impôt en 1605, puis en 1607.
                    1594 : Les maîtres cartiers, fabricants de cartes, tarots, feuillets et
                    cartons s’érigent en une même communauté. Leurs statuts, autori-
                    sés le 12 juillet 1594, sont confirmés par le roi en octobre.
                    1681 : Arrêt du Parlement spécifiant que les « cartiers, tarotiers,
                    feuilletiers et cartonniers ont droit et possession d’acheter et
                    vendre toutes sortes de papiers ».
                    1816 : Les cartiers sont autorisés à « faire usage de papiers tarotés
                    ou de couleur pour le dessus des cartes ».
                    1832 : De La Rüe, cartier à Londres, dépose un brevet pour un
                    procédé permettant de colorier les cartes avec les couleurs à l’huile
                    s’appliquant au moyen de planches et de la presse typographique.
                    En France, ce procédé ne sera couramment utilisé qu’après 1850
                    environ.
                    1850 : Les moules sont gravés sur acier et multipliés par la galva-
                    noplastie. Le moulage se fait sur presses mécaniques, à l’encre
                    d’imprimerie.
                    1945 : Suppression de la Régie des cartes à jouer.

                    L’origine des cartes
                    Le jeu de cartes semble apparaître en Chine au xe siècle de notre
                    ère. Rémusat découvrit dans une encyclopédie, la T’su-shu-chi-
                                                                                                   © Groupe Eyrolles

                    ch’eng, que l’empereur Mu Tsung possédait des cartes en l’an 969,
                    y jouait régulièrement et avec grand plaisir. Les premières cartes
                    chinoises ne furent peut-être, à l’origine, qu’une imitation en

       20     Le tarot divinatoire

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carton des pierres, des dés ou des dominos. Gérard Van Rijnberg3
                         avance l’hypothèse d’une diffusion des cartes par les Tartares qui,
                         après avoir conquis la Chine en 1215, envahirent la Russie vers
                         1238. De là, les cartes se propagèrent dans toute l’Europe. Mais
                         on peut également supposer que leur expansion se fit par l’inter-
                         médiaire des grands aventuriers et voyageurs de cette époque, qui
                         permirent dès le xiiie siècle aux banquiers et aux marchands véni-
                         tiens de développer le commerce avec la Chine. Ainsi pourquoi ne
                         pas imaginer qu’un homme comme Marco Polo, qui résida quelque
                         seize ans à la cour de Kubilay Khan, ait ramené de ces lointaines
                         contrées un jeu inédit, inconnu en Europe ? En changeant de
                         continent, ce jeu aurait pris peu à peu une forme adaptée à notre
                         culture et à nos mœurs ; d’autant que tous les grands spécialistes
                         de l’histoire des cartes s’accordent à dire que les tarots firent leur
                         apparition en Italie, plus précisément à Venise.
                         Dans le dernier quart du xive siècle, les cartes étaient bel et bien
                         présentes à Venise : on les appelait Naibbes ou Naïbi, termes que
                         l’on retrouve encore dans le mot Naipes, encore utilisé de nos
                         jours par les Espagnols. À cette époque, il existait une corpora-
                         tion d’imagiers, ou peintres d’images, qui réalisaient à la main,
                         sur parchemin ou sur carton, les sujets religieux et profanes très
                         prisés par le peuple : les trois vertus théologales, les quatre évangé-
                         listes, les péchés capitaux, les cinq sens, les Muses, etc. Les Italiens
                         réunirent toutes ces images en une sorte de jeu des sept familles
                         – tout d’abord destiné à l’instruction et à l’amusement des enfants
                         – qui aboutit aux Naïbi. On y retrouve tous les symboles de la
                         condition humaine : le mendiant, le serviteur, le valet, le chevalier,
                         le pape, le roi, l’empereur, le docteur, le juge, etc. Nous ne sommes
                         pas loin des tarots.

                        Les tarots
    © Groupe Eyrolles

                         L’origine du mot est tout aussi obscure et mystérieuse que celle
                         du jeu lui-même. Court de Gébelin pensait qu’il dérivait de deux

                                              Chapitre 1. Historique des cartes et apparition des tarots    21

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termes égyptiens : tar « voie » et ro « roi » ou « royal ». Le tarot
                    serait donc la voie royale ou la voie du roi, celle qui fait d’un homme
                    du vulgaire un initié. On a également rapproché le mot du nom de
                    la loi juive, Tora, ou des termes latins rota « roue de l’existence »
                    et orat, qui signifie « il prie ». Quoi qu’il en soit, le dictionnaire de
                    l’Académie française définit les cartes tarotées comme « des cartes
                    dont le dos, ou revers, est marqué de grisailles en compartiments ».
                    C’est donc peut-être tout simplement par analogie que les tarots
                    sont ainsi dénommés…

                    Le jeu de tarot
                    La composition du jeu de tarot, qui comporte 78 cartes ou lames,
                    est restée immuable depuis son apparition au xvie siècle. Elle se
                    décompose de la façon suivante :
                    • 56 cartes ordinaires divisées en 4 couleurs de 14 cartes chacune,
                       comprenant 10 cartes numérales (du 1 au 10) et 4 figures appe-
                       lées têtes ou honneurs (roi, dame, cavalier, valet) ;
                    • 21 atouts ou triomphes, numérotés de 1 à 21 ;
                    • un atout spécial sans numéro, appelé en Français Fou, Excuse
                       ou Mat.
                    Le jeu de cartes ordinaire, qui en contient 52, est en fait composé
                    de 56 arcanes mineurs du tarot de Marseille, auquel on a ôté les
                    cavaliers – confondus avec les valets. On a remplacé les enseignes
                    (les symboles des couleurs) italiennes par les enseignes françaises :
                    ainsi les Bâtons sont devenus des carreaux, les Coupes des cœurs,
                    les Épées des piques, et les Deniers des trèfles.

                    Le saviez-vous ?
                          Enseignes italiennes      Enseignes françaises
                          Bâtons			Carreaux
                                                                                                     © Groupe Eyrolles

                          Coupes			Cœurs
                          Épées			Piques
                          Deniers			Trèfles

       22     Le tarot divinatoire

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Nous verrons plus loin que les tarots les plus prestigieux et les plus
                         anciens viennent d’Italie. Ils ont conservé les enseignes de leur
                         pays, de même que le tarot de Marseille, dont les arcanes mineurs
                         sont des coupes, des bâtons, des deniers et des épées.

                        Le tarot, point de convergence
                        de différentes traditions
                         Le tarot, avec surtout ses 22 atouts ou arcanes majeurs, continue
                         de susciter bien des curiosités, tant chez les occultistes que chez
                         les universitaires. Les symboles du tarot étonnent, questionnent,
                         soulèvent autant de désirs que de répulsions. Pourquoi cette lune
                         ou ce soleil, cette tour foudroyée et ce drôle de pendu ? Par-delà
                         ce foisonnement de réactions extraordinaires, il reste la certitude
                         que les 22 atouts du tarot procèdent d’une iconographie à la fois
                         médiévale et chrétienne, humaniste et antiquisante.
                         En 1966, Gertrude Moakley a publié à New York un essai sur le
                         tarot des Visconti-Sforza, où elle explique notamment que les
                         images des 22 atouts représentent les figures d’un défilé triomphal
                         comme on avait coutume d’en voir à Milan, Venise, Ferrare, et dans
                         toute l’Italie4. Au Moyen Âge, le triomphe (trionfo en italien) dési-
                         gnait tout cortège en mouvement, tout défilé réunissant des figures
                         tirées de l’Ancien et du Nouveau Testament, des fous, des géants,
                         des déesses ou des dieux, des héros de la tradition chevaleresque ou
                         courtoise, tout cela dans un joyeux délire de couleurs et de masques
                         au milieu d’une foule en liesse !

                         Le tarot des princes et des artistes
                         Au Moyen Âge, on vit naître deux arts majeurs liés à l’écriture : la
                         calligraphie et l’enluminure qui furent, du moins à leurs débuts,
    © Groupe Eyrolles

                         l’apanage des moines. Les enlumineurs étaient de véritables
                         artistes, capables non seulement de réaliser des lettrines en feuilles
                         d’or marquant le début des chapitres, mais aussi de reproduire

                                             Chapitre 1. Historique des cartes et apparition des tarots    23

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et d’inventer des dessins de toutes sortes. Le motif était d’abord
                    esquissé avec un poinçon, puis les détails étaient repris à la plume
                    d’oie et à l’encre. Les contours en couleurs étaient exécutés à la
                    plume. Seul « l’intérieur » se faisait au pinceau fin.

                    Le tarot de Charles VI
                    De nombreux auteurs situent l’origine de ce jeu en France, sur la foi
                    d’une notice trouvée en 1392, dans les comptes de Claude Poupart,
                    trésorier du roi Charles VI :
                    « Donné à Jacquemin Gringonneur, peintre, pour trois jeux de cartes
                    et à diverses couleurs, de plusieurs devises, pour porter devers le dit
                    Seigneur Roi, pour son ébattement 56 sols parisis. »

                    C’est Roger de Gaignères (1642-1715) qui donna 17 cartes de ce
                    jeu à la Bibliothèque Nationale. On peut encore aujourd’hui les
                    admirer dans le Cabinet des Estampes (ancienne BNF, site Riche-
                    lieu).
                    Ces cartes, de fort belle facture, dateraient de la fin du xve siècle et
                    seraient originaires d’Italie du Nord.
                    Il existe 3 jeux incomplets, peints à la main et réalisés pour les
                    familles Visconti-Sforza. D’une exceptionnelle beauté, ces cartes
                    de grande taille, richement enluminées, nous renvoient l’image
                    d’une société raffinée, aux fêtes élégantes et aux divertissements
                    précieux. L’un de ces trois jeux est conservé à la bibliothèque
                    Beinecke de l’université Yale : ces cartes auraient été conçues par
                    Bonifacio Bembo, artiste de la deuxième moitié du xve siècle, pour
                    Francesco Sforza, devenu Duc de Milan en 1450 par son mariage
                    avec Bianca Maria Visconti. On reconnaît sa devise qui figure sur
                    les cartes de points et sur certains atouts : « A bon droyt ». Les autres
                    jeux sont conservés dans les collections de la Pierpont Morgan
                                                                                                     © Groupe Eyrolles

                    Library à New York et à l’académie de Carrare, dans la collection
                    de la famille Colleoni de Bergame.

       24     Le tarot divinatoire

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Les tarots de Mantegna
                         Il s’agit d’une des plus belles et des plus énigmatiques suites d’es-
                         tampes de la gravure italienne. Bien que ces cartes ne constituent
                         pas un jeu de tarot et ne soient pas l’œuvre de Mantegna, elles
                         ont attiré l’attention de maints érudits. L’ensemble des tarots de
                         Mantegna se compose de quelque 50 estampes numérotées en
                         chiffres romains et arabes, légendées en dialecte proche de ceux
                         de Venise et de Ferrare. Il se divise en cinq séries de 10 gravures,
                         dont les thèmes sont les suivants : la hiérarchie de la société et la
                         condition humaine, les Muses et Apollon, les arts libéraux et les
                         sciences, les principes cosmiques, les sept vertus, les sept planètes
                         et les sphères.
                         Il est intéressant de citer les personnages de la première série, car ils
                         mettent en évidence l’analogie de ce jeu avec le tarot : le mendiant,
                         le serviteur, l’artisan, le marchand, le gentilhomme, le chevalier, le
                         doge, le roi, l’empereur et le pape. Ce jeu, très moderne dans sa
                         structure, présente l’homme comme indissociable de son environ-
                         nement ; c’est le microcosme dans le macrocosme, le « connais-toi
                         toi-même » de Socrate pour mieux comprendre l’univers ! Il veut
                         enseigner et transmettre quelque chose aux hommes, et pourquoi
                         pas un parcours initiatique ? On a même rapproché ces tarots du
                         jeu du Gouvernement du Monde inventé par le Pape Pie II et
                         certains cardinaux lorsqu’ils se réunirent à Mantoue en 1459.

                        Les cartes imprimées
                         Dès la deuxième moitié du xve siècle, les procédés de fabrication
                         évoluent : l’impression à la planche permet la production des cartes
                         en grande série. En 1444, à Lyon, un certain James du Boys exerce
                         le métier de « tailler de molles de cartes, fayseur de cartes… ». En
    © Groupe Eyrolles

                         outre, les cartes sont si répandues dans le peuple que des textes
                         officiels tentent d’en restreindre la pratique. Quelques années plus
                         tard, on commence à utiliser des lames de métal (cuivre), et la
                         production des cartes qui, jusque-là, était le fait d’un artiste créant

                                              Chapitre 1. Historique des cartes et apparition des tarots    25

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une pièce unique, se transforme en une véritable industrie dont les
                    grands centres se situent toujours en Italie.

                    Le jeu de Sola Busca
                    Les tarots Sola Busca sont ainsi nommés parce qu’un jeu complet
                    et colorié se trouve en la possession de la famille des comtes Sola,
                    à Milan. C’est un tarot à enseignes italiennes, dont les atouts sont
                    figurés par des héros de l’Antiquité classique et biblique. Il se
                    distingue surtout par ses formes lourdes et outrancières, qui furent
                    attribuées à l’école de Ferrare ; il date de la première moitié du
                    xvie siècle.

                    Le Minchiate
                    Le Minchiate naît à Florence au début du xvie siècle ; il connaît
                    un essor prodigieux aux xviie et xviiie siècles dans toute l’Italie.
                    C’est un jeu un peu spécial qui comprend 97 cartes : aux 78 cartes
                    traditionnelles, on a ajouté 20 atouts supplémentaires en suppri-
                    mant le Pape. Figurent aussi la Prudence, les trois vertus théolo-
                    gales (la Foi, l’Espérance et la Charité), les quatre éléments et les
                    douze signes du zodiaque. La Papesse, l’Empereur et l’Impératrice
                    s’appellent respectivement le Grand Duc, l’Empereur d’Occident
                    et l’Empereur d’Orient. Les valets de coupe et de deniers sont des
                    personnages féminins ; quant aux épées, elles apparaissent comme
                    des glaives droits.

                    Le tarot sicilien
                    Ce jeu apparaît en Sicile à la fin du xviie siècle, il conserve les 78
                    cartes traditionnelles en changeant quelques appellations : ainsi le
                    Monde devient Atlas, le Jugement Jupiter, la Papesse Constance ;
                                                                                                  © Groupe Eyrolles

                    quant au Diable, il se nomme Navire et la Maison Dieu la Tour.
                    Malgré toutes les recherches des spécialistes, ce tarot reste une
                    énigme.

       26     Le tarot divinatoire

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Le tarot en France
                        La xylographie puis la typographie autorisent la réalisation de
                        cartes en grande série, mettant les jeux à la portée de tous : les
                        cartiers français introduisent les légendes sur les atouts (sauf sur
                        l’arcane XIII dit Arcane sans Nom) et sur les figures. Leur produc-
                        tion envahit toute l’Europe.
                        À part le jeu de Jean Noblet, conçu et réalisé à Paris au xiie siècle,
                        le plus vieux jeu de tarot de Marseille est réalisé par un maître
                        cartier avignonnais, Jean-Pierre Payen, en 1713 environ. Vers 1760,
                        le privilège d’exonération fiscale réservé aux cartiers avignonnais
                        cesse. C’est ainsi que Marseille devint l’un des plus gros centres
                        de production et qu’en 1760 un maître cartier du nom de Nico-
                        las Conver fit un remarquable jeu : pureté et beauté des couleurs,
                        traits fins et précis. Le bleu y est particulièrement réussi, et l’on ne
                        retrouve plus sa limpidité dans le tarot de Marseille reproduit par
                        la Maison Grimaud, en 1930. Ce jeu fit l’unanimité et devint au
                        xviiie siècle l’outil des devins et des voyants.

                        Les jeux de tarots à Paris
                        Trois très beaux jeux, datant du xviie siècle, sont conservés à la
                        Bibliothèque Nationale, au Cabinet des Estampes. Ce sont respec-
                        tivement le tarot parisien anonyme, le tarot Viéville, et le tarot
                        Noblet.
                        Le tarot Dodal, quant à lui, a été fabriqué à Lyon par un maître
                        cartier originaire de la ville, Jean Dodal. Il est à rapprocher des
                        trois parisiens car il date de la même époque et constitue un
                        très bel exemple du travail des artisans. Ce jeu fut très certai-
                        nement destiné à être exporté, comme en témoigne la mention
                        « F. P. LE. TRENGE » (fait pour l’étranger) sur le valet de Bâton.
                        Les maîtres cartiers ont développé leur art dans toute l’Europe.
    © Groupe Eyrolles

                                             Chapitre 1. Historique des cartes et apparition des tarots    27

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Le jeu et la société
                      Si l’on examine les textes et les actes de la pratique judiciaire, civile
                      ou ecclésiastique de cette époque, on s’aperçoit que le jeu est ignoré
                      ou sévèrement réprimé. Héritière de la tradition romaine, où la
                      législation était très sévère envers les joueurs, et imprégnée par
                      la morale chrétienne, qui considère le jeu comme une distraction
                      coupable (le décret de Gratien, au xiie siècle, interdit le jeu aux
                      clercs et voudrait en faire autant pour les laïques), la société médié-
                      vale marque une hostilité farouche envers toutes les pratiques
                      ludiques, surtout lorsqu’elles font intervenir le hasard, assimilé au
                      Diable.
                      Ainsi, pour les autorités civiles, le jeu détourne des activités utiles
                      à l’intérêt général et trouble l’ordre public. Pour les autorités ecclé-
                      siastiques, il est générateur de blasphèmes : avarice, jalousie, colère,
                      envie sont le lot commun de tous les joueurs et constituent autant
                      de péchés à expier.
                      Pourtant le jeu de cartes a connu un succès croissant ; cela s’ex-
                      plique sans doute par le subtil mélange de hasard et de réflexion
                      qu’il nécessite. L’intérêt sans équivoque des élites pour les cartes
                      contribue largement à modifier les mentalités, et l’on en vient
                      même à dire que le jeu est utile : mieux vaut tricher, mentir, se
                      livrer au hasard dans un jeu que dans la vie. Mais puisque le jeu est
                      tout de même une activité en dehors des normes de la société, il
                      faut payer en espèces sonnantes et trébuchantes pour s’y adonner.
                      C’est ainsi que naissent les maisons de jeu, qui sont soumises à une
                      fiscalisation importante. Quant aux maîtres cartiers, ils subissent
                      de fortes impositions et ont l’obligation de faire partie de la Régie
                      des cartes, qui disparaît heureusement – mais bien tardivement –
                      en 1945.
                                                                                                       © Groupe Eyrolles

       28     Le tarot divinatoire

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Chapitre 2

                                    Les mystères
                                      du tarot

                        Au programme
                          • Le tarot occultiste et ésotérique
                          • Le tarot divinatoire
                          • Autres jeux de cartes divinatoires

                          La France est devenue un merveilleux foyer d’activité et de rayon-
                          nement pour tout le tarot : les maîtres cartiers exportent leur
                          production dans toute l’Europe, principalement en Italie. Mais la
                          France devient également le point de départ d’une tradition ésoté-
                          rique et divinatoire, aujourd’hui largement diffusée et reconnue à
                          travers la cartomancie.

                        Le tarot occultiste et ésotérique
                          Antoine Court de Gébelin
                          Antoine Court de Gébelin, né en 1719 à Genève, pasteur protes-
                          tant et franc-maçon notoire, entreprend dès 1768 ce qu’il appel-
                          lera « la Grande Dissertation ». Neuf volumes paraissent, de 1773
                          à 1782, sous le titre Le Monde Primitif comparé avec le Monde
    © Groupe Eyrolles

                          Moderne. Le huitième volume, publié en 1781, contient tout un
                          développement sur le jeu des tarots et son potentiel divinatoire.
                          Dans le même ouvrage, le très étrange comte de M, dont on
                          ignore tout, reprend la thèse de l’usage divinatoire du tarot chez les

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Égyptiens et fait état du précieux livre de Thot. Thot était le dieu
                    à tête d’Ibis, le patron des scribes, celui qui transmettait la parole
                    divine et entrait en contact avec les étoiles, entités magiques et
                    célestes. Thot était l’intermédiaire entre Dieu et les hommes, à la
                    fois le vecteur et l’initiateur suprême. Il siégeait à Hermapolis, où
                    il inventa les nombres et prédisait l’avenir. Les Grecs lui donnèrent
                    le nom d’Hermès Trismégiste (trois fois grand), le messager des
                    dieux.
                    Voici ce que Court de Gébelin écrit dans Le Monde Primitif :
                    « Si l’on entendait annoncer qu’il existe encore de nos jours un ouvrage
                    des anciens Égyptiens, un de leurs livres échappé aux flammes qui
                    dévorèrent leurs superbes bibliothèques et qui contient leur doctrine la
                    plus pure sur des objets intéressants, chacun serait, sans doute, empressé
                    de connaître un livre aussi précieux, aussi extraordinaire. Si on ajou-
                    tait que ce livre est très répandu dans une grosse partie de l’Europe,
                    que depuis nombre de siècles il est entre les mains de tout le monde,
                    la surprise irait certainement en croissant : ne serait-elle pas à son
                    comble, si l’on assurait qu’on n’a jamais soupçonné qu’il fût égyptien,
                    qu’on le possède comme ne le possédant point, que personne n’a jamais
                    cherché à en déchiffrer une feuille, que le fruit d’une sagesse exquise
                    est regardé comme un amas de figures extravagantes qui ne signifient
                    rien par elles-mêmes ? Ne croirait-on pas qu’on veut s’amuser, se jouer
                    de la crédulité de ses auditeurs ? Le fait est cependant très vrai : ce
                    livre égyptien, seul reste de leurs superbes bibliothèques, existe de nos
                    jours : il est même si commun qu’aucun savant n’a daigné s’en occuper,
                    personne avant nous n’ayant soupçonné son illustre origine. Ce Livre
                    est le Jeu des tarots5. »

                    À noter que le Pendu, lame XII du Tarot, reproduit dans Le Monde
                    Primitif de Court de Gébelin, est aux antipodes de la symbolique
                    traditionnelle : il a les pieds sur terre et n’est pas dans la position
                    d’un homme renversé, la tête en bas, pendu par le pied gauche à un
                                                                                                      © Groupe Eyrolles

                    portique, la jambe droite repliée à la hauteur du genou, les mains
                    liées derrière le dos, ce qui amoindrit de façon certaine la portée

       30     Le tarot divinatoire

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spirituelle et ésotérique de cette lame, et pour ainsi dire l’annule : le
                        comble pour un ouvrage prétendu hautement symbolique !
                        Rosicruciens, Francs-Maçons, Martinistes et autres nombreux
                        mouvements plus ou moins occultistes répondirent avec ferveur à
                        cette théorie séduisante, mais sans fondement historique.

                        Eliphas Lévy ou les clés du Tarot
                        Eliphas Lévy est le pseudonyme d’Alphonse Louis Constant
                        (1810-1875). Trouvant les prémices de son inspiration dans l’ou-
                        vrage de Court de Gébelin, il va plus avant en reliant le tarot à la
                        Kabbale et à la mystique des nombres. Pour lui, les cartes, ou lames,
                        du tarot, sont des clés, des images-forces qui invitent l’homme à
                        traverser le miroir des apparences ou, comme d’autres le diront, à
                        soulever le voile d’Isis. Il pensait que le tarot possédait un pouvoir
                        magique et occulte que seuls quelques initiés pouvaient déceler.

                        Alphabet hébraïque
                        Le tarot comporte 22 lames ou arcanes majeurs, ce qui corres-
                        pond au nombre de lettres de l’alphabet hébraïque. C’est donc
                        tout naturellement que le glissement s’est effectué vers la pensée
                        traditionnelle hébraïque en appliquant à chaque lame une lettre
                        hébraïque. De la même manière, on a établi des correspondances
                        avec les 10 Sephiroth de l’Arbre de Vie de la Kabbale. Ainsi le
                        Bateleur, lame I du Tarot, a été associé à Aleph, première lettre et à
                        Kether (la couronne), première des 10 Sephiroth, celle qui symbo-
                        lise le pouvoir équilibrant, l’unité manifestée dans la multiplicité
                        des formes. Certains auteurs ont considéré les Sephiroth comme
                        des puissances ou des réceptacles de Dieu. Les mystiques, quant à eux,
                        les ont représentées comme les 10 visages, les 10 mains, voire les
                        10 vêtements de Dieu.
    © Groupe Eyrolles

                        Que penser de tout cela ? Établir une analogie entre les Sephiroth
                        et les lames du tarot constitue sans aucun doute une démarche
                        intellectuelle et mentale séduisante, à condition de rester prudent,

                                                                   Chapitre 2. Les mystères du tarot    31

MEP Tarot.indd 31                                                                                      25/02/14 17:11
car la méthode analogique peut conduire à des erreurs et à des illu-
                    sions graves, même si elle peut également permettre la découverte
                    de vérités essentielles pour un individu, non pour un groupe, car
                    toute son efficacité réside dans la profondeur et l’authenticité de
                    l’expérience individuelle sur laquelle elle est fondée.

                    Le Diable et le Chariot
                    Eliphas Lévy a placé son ouvrage, Dogme et Rituel de Haute Magie,
                    sous le signe de deux « clés » : le Diable, dont la représentation très
                    avant-gardiste et saisissante orne le frontispice de chacun des deux
                    volumes, et le Chariot, devenu le Chariot d’Hermès, conduit non
                    par deux chevaux mais par deux sphinx.

                    Oswald Wirth : le tarot des imagiers
                    du Moyen Âge
                    Occultiste et franc-maçon, toujours en quête de vérité, Oswald Wirth
                    (1860-1943) est le premier à oser dire haut et fort ce que beaucoup
                    pensent tout bas des théories de Court de Gébelin sur l’origine
                    égyptienne du tarot et ses vagues références au livre de Thot :
                    « Court de Gébelin affirme fort gratuitement l’origine égyptienne
                    du tarot. Il lui suffit de discerner le caractère symbolique des figures
                    jusqu’alors considérées comme fantaisistes pour que, d’emblée, il y
                    reconnaisse des hiéroglyphes, attribuables aux Sages de la plus Haute
                    Antiquité. C’est aller trop vite en besogne… Selon la thèse qui nous
                    occupe, les hiéroglyphes secrets une fois reproduits sur des tablettes
                    portatives, seraient passés aux gnostiques, puis aux alchimistes de qui
                    nous les tiendrions… L’archéologie n’a pas découvert la moindre trace
                    de ce qui pourrait constituer les vestiges d’un tarot égyptien, gnostique
                    ou même alchimiste gréco-arabe6. »
                                                                                                     © Groupe Eyrolles

                    Pour Wirth, le tarot est un traité de philosophie en images qui
                    permet à l’homme d’ouvrir son esprit, de développer son imagi-
                    naire grâce aux symboles – fenêtres sur l’infini qui ne s’ouvrent que

       32     Le tarot divinatoire

MEP Tarot.indd 32                                                                               25/02/14 17:11
pour celui qui se penche sur les clés ou arcanes du tarot et médite
                        dans le silence de son cœur. La clé, comme l’appelle Wirth, qui
                        reprend en cela la terminologie d’Eliphas Lévy, est là pour ouvrir
                        une porte, pour nous faire franchir un seuil et pénétrer dans le
                        temple. À nous d’effectuer le voyage et d’explorer le monde inconnu
                        qui nous attend. Que le tarot remonte à une pensée traditionnelle
                        issue de l’Antiquité ne semble pas farfelu ! Les idées ont toujours
                        été l’expression formelle d’une époque donnée, mais le fond est
                        immuable : quête de la vérité, de la connaissance, approche inexo-
                        rable de l’unité.
                        Le tarot trouve son inspiration première dans l’art des imagiers
                        ou peintres d’images, dont l’industrie fut prospère au Moyen Âge.
                        Représentations médiévales et chrétiennes occupent, il est vrai, une
                        grande place dans les lames : symboles d’origine biblique comme
                        le Jugement ou la Maison Dieu, que l’on rapprochera du Jugement
                        Dernier ou de la Tour de Babel ; vertus prônées par l’Église (la
                        Tempérance et la Justice) ; grandes Puissances de l’époque (le Pape
                        et l’Empereur).
                        Ce fut sous l’impulsion de Stanislas de Guaita qu’il considéra tout
                        au long de sa vie comme son maître et dont il fut le secrétaire,
                        qu’Oswald Wirth dessina les lames d’un tarot occultiste, dont seul
                        le British Museum a conservé l’un des 350 exemplaires édités par
                        G. Poirel à Londres.
                        En 1927, paraît Le tarot des imagiers du Moyen Âge, où Oswald
                        Wirth donne une explication symbolique de chaque lame, ainsi
                        que sa correspondance avec l’astrologie, la Kabbale et l’alchimie,
                        en partant du symbolisme traditionnel des maçons opératifs, les
                        constructeurs de cathédrales. Wirth explique ainsi sa démarche :
                        « M’attaquant tout d’abord au symbolisme constructif des francs-
                        maçons, je fus amené à le comparer à celui des alchimistes qui
                        traduisent en images tirées de l’ancienne métallurgie l’ésotérisme ini-
    © Groupe Eyrolles

                        tiatique, si judicieusement adapté par les tailleurs de pierres à la pra-
                        tique de leur art. Dès que l’on parvient à faire parler les symboles, ils
                        dépassent en éloquence tous les discours, car ils permettent de retrouver

                                                                    Chapitre 2. Les mystères du tarot    33

MEP Tarot.indd 33                                                                                       25/02/14 17:11
la Parole Perdue, c’est-à-dire l’éternelle pensée vivante dont ils sont
                    l’expression énigmatique… Les symboles nous révèlent poétiquement
                    des conceptions trop éthérées pour se prêter à la détermination étroite
                    des mots. Tout ne saurait se ramener à la prose des argumentateurs et
                    des avocats ; il est des choses subtiles qu’il faut sentir et deviner avec les
                    adeptes de cette philosophie sagace des symbolistes du Moyen Âge, qui
                    réagirent contre la scolastique esclave des mots7. »

                    Le Tarot des imagiers du Moyen Âge fut réédité en 1966 par les
                    éditions Tchou, accompagné d’un jeu qui reprenait les 22 dessins
                    originaux de Wirth pour les 22 arcanes majeurs. En 1984, les
                    éditions Clé de Vie firent paraître à leur tour une reproduction du
                    célèbre tarot occultiste. Ce jeu se trouve aujourd’hui dans pratique-
                    ment toutes les librairies ésotériques et l’on trouve toujours égale-
                    ment le livre de Wirth, devenu une des clés du parcours initia-
                    tiques, chaque arcane du tarot représentant une étape dans la vie
                    de l’initié.
                    Le mérite d’Oswald Wirth est d’avoir su redonner au tarot la
                    profondeur de sa pensée et la richesse de ses symboles. Point n’est
                    besoin d’extraordinaire, de secrets venus d’une lointaine magie
                    égyptienne. Le secret, nous dit Wirth, est ici et maintenant par
                    l’imprégnation silencieuse et puissante de la lame sur l’esprit.

                    Papus : le tarot des Bohémiens
                    En 1889, le docteur Gérard Encausse publie sous le nom de Papus
                    Le Tarot des Bohémiens, aux Éditions Carré. Le titre exact de l’ou-
                    vrage était Clef absolue de la science occulte : le Tarot des Bohémiens, le
                    plus ancien livre du monde.
                    L’ouvrage de Papus est une analyse rigoureuse, selon sa propre
                    expression, des lames du tarot. C’est aussi un retour aux véritables
                    sources historiques, le tarot de Marseille. Pourquoi ce titre, tarot
                                                                                                          © Groupe Eyrolles

                    des Bohémiens ? Sans doute parce que les Bohémiens sont les gens
                    du voyage, qu’ils pratiquent des rites plus ou moins secrets et se
                    sont toujours intéressés aux cartes et à la cartomancie. Circulant à

       34     Le tarot divinatoire

MEP Tarot.indd 34                                                                                    25/02/14 17:11
travers le monde, ils auraient pu recueillir les mystères d’une vieille
                          tradition, héritée en partie de l’antique Égypte, dont ils seraient en
                          quelque sorte les dépositaires.
                          En 1909, paraît un autre ouvrage au titre tout aussi alambiqué, Le
                          Livre des Mystères et les mystères du livre. Le tarot divinatoire : clef
                          du tirage des cartes et des sorts, avec la reconstitution complète des
                          78 lames du tarot égyptien et de la méthode d’interprétation.

                          Les vingt-deux arcanes majeurs et les cinquante-six
                          arcanes mineurs
                          Les éditions Dangles, grand diffuseur des œuvres de Papus, n’en
                          ont gardé que l’essentiel, Le tarot divinatoire. Si Papus, dans le tarot
                          des Bohémiens, rejetait toute utilisation divinatoire, il en va tout
                          autrement ici. Son texte s’accompagne de 78 planches d’inspiration
                          égyptienne, dessinées par Gabriel Goulinat, que le lecteur pouvait
                          découper et monter sur carton. Toutes les lames se présentent de
                          la même manière : en haut de la carte un chiffre arabe en gros
                          caractère ; à gauche, la correspondance avec les lettres en français,
                          en hébreu, en sanscrit, en égyptien ; à droite, le signe astrologique
                          ainsi que la date dudit signe ; le bas de la carte, enfin, porte le titre
                          de l’arcane et son interprétation.

                        Le tarot divinatoire
                          Si les occultistes ont vu dans les symboles du tarot la possibilité
                          d’entrer en contact avec les mondes invisibles – ou du moins de
                          les percevoir –, si d’autres ont pensé y trouver le condensé d’une
                          science ésotérique ou d’un chemin initiatique, certains les ont utili-
                          sés comme support de voyance et de divination.
    © Groupe Eyrolles

                          Etteilla : le fondateur de la divination
                          Que de légendes et de bruits autour du sieur Alliette, plus connu
                          sous le nom d’Etteilla (anagramme de son propre nom), ancien

                                                                     Chapitre 2. Les mystères du tarot    35

MEP Tarot.indd 35                                                                                        25/02/14 17:11
barbier, professeur d’algèbre et prince de la divination ! Devant son
                    domicile, situé au 48, rue de l’Oseille – aujourd’hui rue de Poitou –,
                    le Tout-Paris faisait la queue et patientait parfois des heures pour
                    quelques minutes d’entretien, à des tarifs plus que respectables :
                    50 livres pour un horoscope, 24 livres pour se faire tirer les cartes,
                    6 livres pour l’explication d’un rêve.
                    Ce maître de la cartomancie s’était initié aux tarots par l’entremise
                    de Court de Gébelin et de son fameux ouvrage, Le Monde Primitif.
                    Etteilla était franc-maçon du Grand Orient de France, membre de
                    la loge des Neuf Sœurs, dont le secrétaire n’était autre que Court
                    de Gébelin. La filiation spirituelle se fit donc tout naturellement.
                    C’est en 1783 et 1785 que parurent les quatre cahiers de Manière
                    de se recréer avec le jeu de cartes nommées tarots, accompagnés chacun
                    d’un frontispice gravé en taille-douce illustrant une vertu cardinale.
                    On s’est longtemps demandé si Etteilla était bien l’auteur du jeu
                    de cartes connu sous le nom de Grand Etteilla. Il semble que les
                    images soient suffisamment fidèles à la description qu’en donne
                    l’auteur, dans son troisième cahier, pour permettre une attribution
                    certaine.

                    Le tarot de Mademoiselle Lenormand
                    Marie-Anne Adélaïde Lenormand (1772- 1843) fut une voyante
                    exceptionnelle, respectée et crainte des grands de ce monde pour
                    sa sagacité et sa franchise. En 1845, deux ans après sa mort, parut
                    Le Grand Jeu de Société et de Pratiques Secrètes en cinq volumes signé
                    par la comtesse X, adepte anonyme de Mademoiselle Lenormand.
                    Cet ouvrage fut-il écrit par la célèbre sibylle ou par son éditeur
                    d’après des notes ? La polémique reste ouverte.
                    Passionnée de kabbale, d’alchimie, d’astrologie, d’arts divinatoires
                    en tout genre, mais surtout de mythologie grecque, Mademoiselle
                                                                                                  © Groupe Eyrolles

                    Lenormand créa un tarot de 54 cartes qui n’offre aucune ressem-
                    blance avec le classique tarot de Marseille, mais fait appel à de
                    nombreux tableaux présents dans L’Illiade et L’Odyssée. Des titres
                    décrivent le tableau principal de chaque carte, appelé « Grand

       36     Le tarot divinatoire

MEP Tarot.indd 36                                                                            25/02/14 17:11
Sujet ». Ainsi on pouvait lire sur le 9 de Trèfle : « L’écrevisse envoyée
                         par Junon pour piquer Hercule au talon dans le temps qu’il tuait
                         l’hydre de l’Herne. »
                         Si la méthode est déroutante, elle est pourtant moins compliquée
                         qu’il n’y paraît au premier abord. Dans ce jeu, la carte se structure
                         toujours de la même façon : en premier lieu, Le Grand Sujet, qui
                         occupe le centre de la carte, est le plus souvent mythologique, bien
                         que certains personnages soient vêtus à la façon du xviie siècle ;
                         deux sujets secondaires figurent dans la partie inférieure de la carte,
                         séparés par un motif floral. En haut, à droite, on trouve une lettre
                         et en haut, à gauche, l’enseigne. Au centre, une série de constella-
                         tions. Ces multiples indications sont là pour aider l’interprétation
                         divinatoire.

                        Autres jeux de cartes divinatoires
                         Dès le début du xixe siècle, de nombreux jeux divinatoires font
                         leur apparition. Certains retiennent particulièrement l’attention
                         comme Le Petit Oracle des Dames, aussi nommé Récréation du
                         Curieux, paru en 1807, chez la veuve Gueffier. Orné en coin de
                         reproductions de cartes ordinaires à enseignes françaises, cet exquis
                         petit jeu de divination Empire présente les mêmes symboles qu’un
                         jeu de tarot traditionnel. Les couleurs y sont délicates et nuancées,
                         le trait fin et précis. Tout ici s’adresse aux femmes, même le petit
                         livret d’accompagnement qui débute par une fort galante « Épître
                         aux dames ». Jeu de marivaudage et de badinage léger, mais qui
                         conserve tout de même une symbolique susceptible d’amener le
                         consultant sur des rivages moins éphémères que ceux de l’amour.
                         Autre fantaisie éclairée, la Sibylle des Salons. Ce jeu fut très
                         en vogue au xixe siècle dans les salons littéraires. Composé de
                         52 cartes aux représentations pour la plupart très différentes de
    © Groupe Eyrolles

                         celles du tarot habituel, on y retrouve pourtant certaines allégories
                         identiques, comme le Faucheur ou l’Arcane sans Nom, plus prosaï-
                         quement dénommées ici La Mort.

                                                                    Chapitre 2. Les mystères du tarot    37

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En 1845, Edmond Belline créa un jeu de 52 cartes intitulé l’Oracle
                    Belline. Il fut suivi du Grand Tarot Belline, composé de 78 lames,
                    toutes calquées sur le tarot de Marseille, avec quelques indications
                    divinatoires dans les parties supérieure et inférieure de la carte.

                    Le saviez-vous ?
                    Belline avait l’habitude de dire à ses consultants qu’outre la connaissance, son
                    oracle donnait un bien précieux entre tous : la confiance en soi.

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       38     Le tarot divinatoire

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