Le XXVe anniversaire du Festival de Cannes - Séquences La revue de cinéma - Érudit
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Document generated on 11/25/2021 9:21 p.m. Séquences La revue de cinéma Le XXVe anniversaire du Festival de Cannes Léo Bonneville Number 66, October 1971 URI: https://id.erudit.org/iderudit/51504ac See table of contents Publisher(s) La revue Séquences Inc. ISSN 0037-2412 (print) 1923-5100 (digital) Explore this journal Cite this review Bonneville, L. (1971). Review of [Le XXVe anniversaire du Festival de Cannes]. Séquences, (66), 8–14. Tous droits réservés © La revue Séquences Inc., 1971 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/
Charlie Chaplin recevant la Légion d'honneur des mains de M. Jacques Duhamel, Ministre des Affaires culturelles. Le XXVe anniversaire du Festival de Cannes Léo Bonneville SÉQUENCES 66
Ce fut un festival prestigieux. Et un pal- comme les Cannois allaient l'apprendre. Donc marès éblouissant. Bien sûr, il faut recon- cette absence me creusait l'esprit. Je déci- naître la faiblesse de certains films présen- dai d'aller aux renseignements. Je profitai tés en compétition mais dans l'ensemble la du cocktail offert aux journalistes, sur la qualité était au rendez-vous. Il reste que les terrasse du Palais, par le Ministre des Affai- oeuvres retenues pour le palmarès consti- res culturelles, M. Jacques Duhamel, pour tuent une couronne de films de haute valeur. trouver une réponse satisfaisante. Je m'ou- Peut-être la plus belle de toute l'histoire du vris au Chargé des conférences de presse, festival de Cannes. M. Guy Allombert. Je lui posai la double question suivante : Comment se fait-il qu'au- De plus, à l'occasion du XXVe anniversaire cun film canadien n'a été accepté pour la du Festival de Cannes, une dizaine de met- compétition alors que quatre films français teurs en scène parmi les plus célèbres du figurent au programme officiel de la Grande monde ont reçu personnellement un diplôme Salle ? Je pense, répondit gentiment M. Al- d'honneur pour l'ensemble de leur oeuvre. lombert, qu'il faudrait poser cette question Au cours de cette cérémonie, le moment le directement à Monsieur le Délégué général. plus émouvant fut sans contredit la remise Justement M. Favre Le Bret n'est pas loin de la Légion d'honneur au plus grand des d'ici. Bousculant un peu les Journalistes, plus grands cinéastes vivants : Charlie Cha- nous atteignons M. Favre Le Bret. Je me fais plin. Vivement ému, Chariot sut à peine bal- connaître et lui pose directement ma double butier quelques mots et esquisser quelques auestion. Je lui fais remarquer que certains gestes venus du temps du muet pour remer- films de chez nous valent bien certains films cier le Ministre des Affaires culturelles de inscrits dans la compétition. M. Favre Le Bret cet honneur que lui conférait la France. Ou- est un homme distingué, sec, au regard hau- verture des plus brillantes. tain. Il me répond que, tout de même, les films retenus méritent vraiment de faire par- Le drapeau canadien ne flottait pas sur le tie d'une comDétition internationale. Voyez- Palais du Festival vous, ajoute-t-il, deux conditions nous qul- Malgré la présence tapageuse des Cana- dent pour le choix des films. Il nous faut diens qui voulaient faire connaître leurs films, resDecter à la fois le Festival et les pays In- le Canada n'était pas représenté dans la com- vités. Ainsi il y a des films qui ne font pas pétition officielle. Aucun film n'avait été re- le poids dans une compétition internationale. tenu par le Comité de sélection du festival. De plus, affirme-t-il, il est préférable que cer- Pendant un certain temps, on avait répété, à tains films ne soient pas retenus afin de ne Montréal, que le film de Claude Jutra — pas desservir les pays au'ils représentent. Je Mon oncle Antoine — allait reorésenter le réolioue en disant : mais... Hélas ! on vient Canada.") Puis non. Aucun film de chez chercher Monsieur le Délégué général oui nous. Cette absence ne manqua pas de me doit reconduire Monsieur le Ministre des Af- tracasser, d'autant plus que je voyais quatre faires culturelles. Ainsi je n'ai pu riposter films français inscrits au programme du fes- en nommant nos films de nualité. Toutefois, tival. Et aucun portant les couleurs du Cana- le critique bien connu, M. Roger Régent, de da qui pourtant ne manque pas de films la Revue des Deux-Mondes, se trouvait à nos côtés. Il enchaîne en disant : Si vous le per- mettez, je vais tâcher de vous donner les ré- ponses que. sans doute, M. Favre Le Bret (1) Dans Les Nouvelles littéraires du 28 mai 1971, vous aurait fournies. Alors, justement, dis-Je, Jean-Ldup Passek se demandait précisément : qui fait ce choix oui me paraît assez arbitrai- "Pourquoi l'extraordinaire Mon oncle Antoine du re ? M. Régent de répondre : M. Favre Le Canadien Claude Jutra n'a-t-il pu être apprécié Bret fait le tour du monde pour trouver les que par une minorité de spectateurs ?" films pour " s o n " festival. Les films obtenus OCTOBRE 1971
sont présentés à un Comité de sélection qui d'Antibes. Et pendant la durée du festival, les détermine le choix. C'est alors que les films Cannois, munis de cartes généreusement dis- sont officiellement invités par M. le Délégué tribuées, purent regarder à loisir nos général lui-même. — Comment se fait-il alors beaux et bons films. Plusieurs amis français que l'on a convié quatre films pour représen- m'ont affirmé que nous n'étions pas en re- ter la France ? N'est-ce pas lui offrir des tard sur les Danois ! Enfin, nous voilà en chances supplémentaires pour recueillir des heureuse compagnie ! Quoi qu'il en soit, le récompenses ? — Il ne faut pas voir les cho- cinéma canadien a été mis en évidence. Il ses ainsi, reprend M. Régent. Sachez qu'il paraît même que nos producteurs ont fait y a des films qu'un pays présente lui-même de bonnes affaires et que les co-productions pour faire partie de la compétition; sachez sont prometteuses. aussi qu'il y a des films que le Festival de Cannes invite pour une question de prestige. Mais ce sont Les Mâles qui nous ont vrai- C'est ainsi qu'on trouve quatre films français ment fait honneur. Comment les ignorer ces au programme dont trois inclus dans la com- chers mâles bien de chez nous quand les pétition.* 2 ) rues dirigeaient — grâce à des flèches bien tracées — les gens de Cannes vers le ciné- Bref, il reste encore des réponses insatis- ma Le Paris (spécialement réservé, bichonné faisantes. De plus, on pourrait demander et décoré), quand des chandails blancs an- à ce Comité de sélection comment il peut nonçaient que les vrais mâles étaient québé- déterminer qu'un film proposé par un Comi- cois (qui n'a pas son chandail ?), quend un té national va desservir le pays qui le délè- énorme camion surmonté d'une longue grue gue. C'est vraiment déconsidérer les per- parcourait les rues pour prévenir la popula- sonnes responsables des films proposés. tion tout entière de l'arrivée des (toujours Les Canadiens manqueraient-ils de goût à ce les mêmes) mâles, quand les phares éta : ent point ? brutalement orientés vers l'entrée du cinéma où les chers mâles allaient faire leur appa- Mais les Canadiens sont là ! rition ? Mâles où êtes-vous ? La foule cui bloquait, à minuit, la rue d'Antibes (car la Ce refus n'a pas empêché les Canadiens séance se tenait au coeur de la nuit !) ne d'accourir nombreux à Cannes. Si on excepte pouvait pas espérer entrer au Paris. Les in- les Français (évidemment), ils constituaient vités, en tenue de soirée (ma chère !) mon- sans doute la délégation la plus forte.o> Un traient patte blanche. Ce fut un beau succès peu trop même. On pourrait se demander : malgré quelques défaillances en cours de que faisaient tous ces Canadiens à Cannes 7 spectacle (de la part des invités I). O Mâles, C'est vrai qu'il y a toujours la mer et les pourquoi venez-vous si tard ? Quoi qu'il en plages ! Mais enfin les films ne manquaient soit, ces milliers de dollars investis nour la pas au Festival. Plus de 275, a-t-on compté publicité a fait connaître aux gens de Can- dont 29 venant du Canada. Après avoir pla- nes ainsi qu'aux invités étrangers qu'il y cardé la petite ville de Cannes d'une affiche a des mâles au Québec. Evidemment, plu- agressive : Le cinéma canadien montre ses sieurs s'attendaient à voir un film drôlement dents, les représentants du Canada avaient erotique. C'est qu'ils connaissaient mal Gil- loué la salle du cinéma Vox dans la rue les Carie.
SI l'on risque d'établir le bilan de la pré- The Go-Between (Le Messager). Le premier sence canadienne à Cannes, il faut reconnaî- a reçu le Grand Prix du XXVe anniversaire du tre un large déploiement de publicité. Il n'est Festival de Cannes et le second le Grand pas sûr que tous les films canadiens présen- Prix international de Cannes. L'un et l'autre tés durant la durée du festival constituaient sont de purs chefs-d'oeuvre. un choix heureux. Il est vrai que les produc- teurs peuvent présenter tout ce qu'ils dési- rent : ici la demande peut suivre l'offre. Mais MORT A VENISE i'effort (pour ne pas dire le battage) qui a Celui qui a contemplé la Beauté été fait et l'argent dépensé (pour ne pas dire est delà prédestiné à la mort. gaspillé) l'ont-ils été avec discernement? Platon Nous sommes bien d'Amérique mais nous ne sommes pas l'Amérique. Le Canada a montré Que celui qui est insensible à la Beauté des dents longues. Mais ont-elles vraiment et inJifférent à la Mort n'entre pas ici. Car mordu ? Il faut l'espérer. ce film n'est pas un film d'action, c'est un film de passion. Un homme souffre parce qu'un jour II a entrevu la Beauté qu'il ne peut plus oublier. Elle est là maintenant ins- Plutôt que de présenter une revue sommai- crite dans son coeur sous la forme sédui- re de tous les films inscrits dans la compéti- sante du jeune Tadzio. tion, nous préférons nous attarder cette fois Gustav Aschenbach a cinquante ans. Musi- sur deux films qui ont indiscutablement domi- cien déprimé, il a quitté l'Allemagne pour né le Festival de Cannes : Mort à Venise et Venise. C'est ici qu'il espère refaire ses for- OCTOBRE 1971 11
ces et retrouver son équilibre. Au contraire, une Venise toute moitée. De plus, jamais tout va concourir à le fasciner et à le sous- la musique de Gustav Mahler n'a ctô em- traire à la terrible réalité. ployée avec plus d'à propos. Ce le..t ada- gio contient pour ainsi dire tout le drame Luchino Visconti a construit son film sur intérieur d'Aschenbach. Quant au récit em- le temps des regards. Car dès la première prunté à l'oeuvre de Thomas Mann, Visconti rencontre entre Tadzio et Aschenbach, nous a converti l'homme de lettres en nusicien. savons que les rapports sont établis. Rap- Et Aschenbach rappelle Gustav Mahbr qui ports étranges puisque les deux personna- avait directement inspiré Thomas Man.i pour ges ne se parleront même pas. Jamais. Il son récit Mort à Venise. y a bien une tentative hasardeuse, nerveuse d'Aschenbach de toucher Tadzio mais heureu- Le film repose presque entièrement sur sement ratée. On peut se demander si le la présence à l'écran de Dirk Bogardc C: de garçon est conscient de l'attention que lui Bjorn Andresen. Le premier suit une tourbe porte Aschenbach. Toujours est-il qu'il n'est descendante. Homme épuisé, il se laissera pas ignorant des regards tournés vers lui. emporter par un mal que sa volonté attein- Il faut voir comment Tadzio s'éloigne hautai- te ne parviendra pas à endiguer. Vieilli pré- nement d'Aschenbach. Chaque fois, il sem- maturément, il tentera, mais en vain, da se ble le narguer intérieurement. Jeu bizarre rajeunir. Cette vanité tardive ne servira qu'à du chat et de la souris. le rendre plus lamentable devant le jeune Tadzio. Ce dernier ne fait que passer devant Il faut avouer qu'Aschenbach est littéra- Aschenbach. Et cela suffit pour susciter des lement fasciné par cet ange de beauté. Il émois douloureux. Bjorn Andresen ne dit ja n'a d'attention que pour lui. Il ne se maîtrise mais un mot : il est là avec sa tête raphaé- plus. Il devient irritable facilement. Doit-il lique, sa chevelure épanouie, son visage quitter Venise ? Il est tout heureux d'ap- ovale, ses yeux céruléens, son sourire an- prendre que son départ est raté. Il s'em- gélique et sa grâce souveraine. Face à cette presse de revenir au Lido. Le voici assis à beauté toute fraîche. Aschenbach apparaît une table en train d'écouter des chanteurs comme un pauvre solitaire ridicule et pi- un peu vulgaires tandis que Tadzio se tient toyable. Dans Venise atteinte par le choléra, face à lui, appuyé sur le garde-fou. Puis c'est il est devenu trop fragile, trop vulnérable la randonnée dans la ville. Aschenbach suit pour résister au mal qui va l'emporter. Le l'adolescent, retarde sa marche selon les ca- Lido sera la plage de son dernier repos. La prices de Tadzio, évite d'être vu tout en beauté, un jour découverte, l'a réellement ne le perdant pas des yeux. Malheureux As- voué à la mort. chenbach obsédé et impatient. Il ne se rend pas compte que la peste a envahi la ville. Evidemment certains parleront de ten- Pourtant, il est allé aux sources. On l'a ren- dances anormales, de vices honteux, mais seigné discrètement. L'idole qui bouleverse c'est vraiment méconnaître le niveau où se son coeur l'attache encore au Lido. C'est situe ce film magnifique qui est une illustra là qu'il viendra mourir. tion éclatante de la suprême ivresse. Don- nant la parole à Thomas Mann, n'est il pas Les images d'une rare beauté articulent vrai que "pour nous rendre visible l'imma- ce film en une lenteur solennelle. Chaque tériel, le dieu se plaît à employer la forme image, en fait, traduit un souci de perfec- et la couleur de l'adolescence, qu'il pare, tion qui enchante les yeux. La haute culture pour en faire un instrument du souvenir, artistique de Visconti nous renvoie avec de tout le rayonnement de la beauté, et il bonheur à des tableaux de Boudin, de Re- nous arrive ainsi, en la regardant, de nous noir, de Guardi... L'auteur parvient ainsi à enflammer d'un douloureux espoir." Le dieu créer une atmosphère vaporeuse qui révèle ici s'appelle Luchino Visconti. 12 SÉQUENCES 66
THE GO-BETWEEN (Le Messager) Et cela se passe évidemment en Angle- Le Passé est un pays étranger terre. Dans cette Angleterre assez figée, où l'on agit tout autrement... corsetée, bien drapée dans ses costumes de L. P. Hartley l'époque, donc éminemment puritaine. Et voici un petit garçon du nom de Leo qui Si le film de Luchino Visconti nous entraîne vient passer les vacances à Branchem Hall, vers les rivages de la beauté, c'est à la re- dans le Norfolk. C'est là, durant trois se- cherche de la pureté que nous convie Jo- maines, que va se jouer une petite comédie seph Losey. Tous deux nous renvoient au de moeurs qui affectera pour toujours sa passé, aux abords de 1900. Tous deux nous fraîche sensibilité. présentent deux enfants beaux et purs. Si Tadzio attire et séduit par sa beauté, Leo, Cet enfant va avoir 13 ans. Il passe pour en toute innocence, devient malgré lui le un magicien qui jette des "sorts terrifiants." "messager" de l'amour. Déjà deux garçons sont tombés d'un toit OCTOBRE 1971
après avoir été ensorcelés... Toutefois Leo L'avenir le prouvera cruellement. Et Losey devient l'ami de Marian. Et aussi du voisin a ce don souverain de dire avec une finesse, Ted. Et, tout simplement, l'un et l'autre le un raccourci qui donnent une puissance évo- prennent pour leur messager discret. Car catrice à ses images. Et surtout il a cette Leo ignore tout du contenu des lettres des autorité incontestable pour plier le temps deux amants. De plus, il est tenu au plus sans le distordre, pour l'assimiler dans une grand secret. Pour ses services, Leo deman- vie qui est sur son déclin mais dont la fai- de à Ted de lui révéler les mystères de l'a- ble trajectoire dit amplement le choc doulou- mour. Mais Ted est si maladroit pour s'ex- reux de cet été flamboyant. Car c'est par primer que Leo n'insiste pas. Un jour de le souvenir que Leo Colson revoit le temps pluie, Mme Maudsley, ayant découvert le de son enfance. Un souvenir toujours vi- "messager", entraîne ce dernier vers le vant qu'il est venu ressusciter par un (autre) lieu de rendez-vous où tous deux entrevoient jour de pluie à travers le pare-brise de sa les deux amants enlacés. voiture. Messager de toujours. Cinquante ans après, Marian aura un autre message Ce récit semble assez banal. Et pourtant à lui confier. Son petit-fils hésite à se ma- le film est un pur chef-d'oeuvre. Tiré d'un rier. Et Marian voudrait que Leo courût le roman de Leslie Poles Hartley écrit en 1953, prévenir qu'il n'y a pas "d'autre malédiction il a été adapté pour le cinéma par Harold qu'un coeur sans amour." Mais Leo Colson, Pinter qu'on trouve également au générique messager exploité, peut-il comprendre, de- des récents films de Joseph Losey, The Ser- venu un pauvre homme chez qui tout jeune vant (1964) et Accident (1967). on a détruit la puissance de l'amour ? Non, Ici aussi compte avant tout l'atmosphère il ne joue plus au "messager". •que crée l'auteur pour faire évoluer son C'est donc à l'enfance saccagée que Losey jeune personnage. Car, on le devine, ce ne consacre son dernier film. Une enfance qui sont pas les actions d'éclat qui animent ce aurait pu être "ouverte" et s'épanouir dans film. Ce sont particulièrement les réactions une maturité normale. Les grandes person- de cet enfant qui cherche à comprendre ce nes ne calculent vraiment pas tout le mal qui se passe chez ses hôtes. Monde de qu'elles peuvent causer dans l'âme des en- l'enfance, bien sûr, monde incertain, délicat, fants. Film magnifique, rayonnant de beauté, fragile. Grâce originelle et découverte sur- sans aucune bavure, d'une perfection éblou- prenante. L'enfant joue dans tous ses actes. issante. Trop beau peut-être car il laisse le C'est de là que vient son innocence car il spectateur aux prises avec ses propres ne discerne nullement les conséquences des phantasmes, le renvoyant indubitablement au gestes qu'on lui fait poser. Le voici donc cou- temps de son enfance... rant de la ferme au château et du château à la ferme. Tout est rapporté par l'auteur * * * dans un mouvement régulier, sans précipita- N'est-il pas significatif que ces deux tion. L'enfant devient le facteur et le jouet Grands Prix qui ont fait l'unanimité de la de deux grandes personnes. Mais sensible critique — même si le film de Visconti sent comme tout enfant, il n'est pas sans se ren- davantage la touche de l'esthète — vont à dre compte finalement qu'il a été pris dans deux vieux routiers pour qui le cinéma est plus un engrenage dont il ne soupçonnait pas la que de la propagande, plus que des expé- portée. Voilà donc dénoncé l'abus des gran- riences, plus que de l'improvisation, plus des personnes utilisant sans conscience un que du verbiage, en un mot, de l ' a r t ? Com- enfant à des fins inavouables. On soupçonne ment devant ces deux oeuvres ne pas rap- tout ce qui a pu se passer dans la petite porter le mot sublime de Dostoievsky : "La tête de ce gamin qui, intelligent, n'est pas beauté sauvera le monde". Du moins, nous sans s'interroger, sans s'inquiéter même. le souhaitons, le cinéma. 14 SÉQUENCES 66
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