Élections municipales et démocratisation au Mozambique
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MAGAZINE 162 Débat Terrain Documents Brigitte Lachartre Élections municipales et démocratisation au Mozambique Après des années de lutte armée, le Mozambique s’est engagé en 1998 dans la bataille des élections municipales. Conçu comme le point d’orgue du processus de démocratisation lancé en 1994, ce scrutin n’a pourtant pas tenu ses promesses en confortant la position hégémonique du Frelimo. Si la Renamo s’est décrédibilisée, de nouvelles listes de « citoyens indépendants » se sont néanmoins affirmées dans l’espace public local. L e cas mozambicain illustre de manière Le processus de paix a donc en partie consisté particulièrement intéressante les tentatives en une lente reconversion des rôles, le Fre- menées par un pays d’Afrique australe pour limo devant reconsidérer le statut de parti- passer d’un régime socialiste orthodoxe à une État qui était le sien depuis l’indépendance, et forme de démocratie « à l’occidentale ». Ce la Renamo (Resistance nationale mozambi- passage s’est produit sous l’effet conjugué caine) se transformer de « phénomène guer- d’une opposition armée (guerre civile de plus rier » en un parti politique. de dix ans) et de fortes pressions internatio- La décennie 1985-1995, qui constitue la pé- nales pour stopper la faillite économique, riode dite « de transition » – allant des accords d’une part, et imposer la paix aux belligérants avec le FMI aux premières élections générales d’autre part, mais pas sous la pression des au suffrage universel de 1994 en passant par masses populaires ; celles-ci étaient en effet l’accord de paix de 1992 –, a été marquée par épuisées par la guerre civile et n’aspiraient une série de processus visant à transformer qu’à la paix et à la reconstruction du pays. radicalement la société mozambicaine : libé- Dans ces conditions, « le long chemin de la ralisation économique, décentralisation, démocratie 1 » s’est néanmoins avéré tortueux, démocratisation des institutions nationales n’ayant été envisagé qu’avec réticence par un et de la vie politique, chacune ayant sa logique gouvernement de parti unique, le Frelimo et son évolution propre, mais toutes étant (Front de libération du Mozambique), qui a appelées à permettre l’émergence d’une so- longtemps refusé de considérer son adver- ciété pacifiée, rénovée, modernisée 2. saire autrement que comme une force com- Indissolublement liées dans la doctrine des posée de « bandits armés » et ne l’a jamais pouvoirs occidentaux et des organisations reconnu comme un opposant politique légi- internationales qui ont mené le Mozambique time, capable à terme d’imposer l’alternance. sur la voie de la démocratisation, réforme
Politique africaine n° 75 - octobre 1999 163 économique et réforme politique n’ont pas également mis en évidence l’importance du été adoptées et mises en pratique avec la vote en faveur de la Renamo dans les régions même conviction par le pouvoir en place : centrales du pays 3. Parmi les principales ba- bien que le passage à l’économie de marché ait tailles politiques que se livrèrent les deux ad- été particulièrement contraignant pour un versaires, l’une, entre 1994 et 1997, eut pour régime socialiste qui en craignait les risques objet le partage du pouvoir local, puisque la politiques, les réformes y conduisant ont été Renamo, écartée du gouvernement, restait, acceptées une fois pour toutes, en dépit de de ce point de vue, dans une « marginalité » leurs effets négatifs sur les classes urbaines. Le politique insupportable. Elle engagea donc parti au pouvoir s’est en revanche soumis à la tout son poids dans la lutte pour les munici- réforme politique avec beaucoup plus de réti- pales, devenues pour elle un enjeu majeur : cence, sa stratégie ayant été de tenter de pré- celui d’un pouvoir territorial qu’elle reven- server, à travers ces inéluctables changements, diquait depuis toujours, mais que rien ne lui son hégémonie et l’essentiel de ses intérêts. Si, conférait jusque-là. Il ne fait pas de doute que finalement, l’ensemble du programme des le Frelimo se laissa entraîner dans la réforme réformes économiques et politiques a néan- des dits « organes locaux de gouvernement » moins pu être mis en œuvre, c’est surtout du à son corps défendant – bien qu’en position fait des poussées exercées de toutes parts pour de force –, s’efforçant de la conduire de ma- mettre fin à la guerre civile et pour contraindre nière très prudente et progressive, sans prise le pouvoir en place à accepter la présence de de risques inutiles. « l’ennemi » dans le jeu politique national. La décentralisation fut d’abord présentée et débattue sous ses seuls aspects juridiques Démocratisation et administratifs dans les nombreuses confé- et décentralisation rences, séminaires et travaux divers pilotés L’instauration de la démocratie locale par par la Banque mondiale pour préparer les le biais de la décentralisation est souvent esprits à la réforme. En dépit du principe considérée comme l’aboutissement du che- déclaré dans la Constitution de 1990 d’insuf- minement vers la démocratie : elle serait le fler une dose de démocratie plus grande dans point où réforme administrative et réforme les nouveaux « organes locaux de gouverne- politique sont censées se rejoindre pour per- ment », on resta en effet longtemps dans l’obs- mettre à la société civile de se développer et curité des non-dits. Envisagée par le pouvoir de prendre sa place dans une conception comme une déconcentration plus que comme renouvelée de l’État. Qu’en est-il, dans la réa- l’instrument de la construction d’un nouvel lité, de ce beau rêve, de cette construction espace public, elle ne sembla à aucun mo- idéologique devant ouvrir de nouveaux hori- ment tourmenter les « tenants du titre » – pré- zons, bâtir une nouvelle société ? sidents des conseils de ville, administrateurs Les premières élections générales au suf- de districts et autres responsables du parti –, frage universel de l994, qui avaient donné convaincus de la suprématie de leur emprise 112 sièges de députés à l’Assemblée de la Ré- sur tous les échelons de l’appareil de l’État. publique contre 129 pour le Frelimo, avaient
MAGAZINE 164 Débat Terrain Documents Une première loi municipale 4 avait été obligé de faire marche arrière, dut introduire adoptée dès 1994 par une Assemblée encore un amendement à la Constitution de 1990 composée des seuls députés du Frelimo, dans pour clarifier et affirmer de façon irrévocable une hâte qui allait lui être fatale. Elle devait la nature élective des présidents de conseil donner le jour à de nouvelles entités munici- des futures municipalités 7. Abrogeant celle pales (distritos municipais), basées sur le terri- de 1994, la loi finalement adoptée fin 1997 toire des districts ruraux et urbains existants, consacrait le cadre juridique des collectivités qui seraient dotées « d’organes locaux de gou- locales (autarquías locais 8), constituées, cette vernement » rénovés, élus au suffrage univer- fois, par les circonscriptions territoriales sel. Cette option de décentralisation, présen- des villes (cidades), bourgs (vilas) et sièges tée par son concepteur comme revêtant une de postes administratifs, à l’exclusion, jus- grande ampleur politique (« máximo alcance qu’à nouvel ordre, des districts ruraux. Cette politico »), devait néanmoins prendre place deuxième mouture, beaucoup moins ample « de façon graduelle, tant au niveau de la créa- du point de vue de son application terri- tion concrète des districts municipaux que toriale potentielle, approfondissait en revan- dans l’entrée en vigueur du système (transfert che les conditions de l’autonomie politique, des moyens et des compétences) mais aussi juridique et patrimoniale des nouvelles mu- sous l’angle de l’atténuation de leur lien avec nicipalités en confirmant de façon plus nette les organes du pouvoir central de l’État 5 ». la coupure politique et administrative qui Quelques mois plus tard, ayant pris place devait désormais s’opérer au titre de la décen- dans la nouvelle assemblée de la Républi- tralisation entre les collectivités locales et que, les députés de la Renamo se trouvèrent les structures – centrales ou provinciales – du confrontés à l’adoption d’un « paquet» de trois gouvernement. lois relatives à l’organisation des élections C’est au cours des quatre années de la municipales qui restaient encore à peaufiner. bataille législative qu’apparut la dimension Entrée tardivement dans l’arène législative, la politique de la décentralisation, avec ses en- Renamo engagea une mise en cause radicale jeux, grands et petits, liés au partage du pou- de la loi municipale, jugée incompatible avec voir local. Parmi ceux-ci, la division, voire la loi fondamentale, qui stipulait – de façon l’opposition villes-campagnes ne pouvait que quelque peu ambiguë, il est vrai – que les res- raviver le « zonage » politique du territoire ponsables du pouvoir exécutif local seraient issu de la guerre civile : la Renamo encoura- « désignés par la loi 6 ». Au-delà des impréci- gea en particulier la résurgence et la montée sions du texte constitutionnel, il en allait en puissance des autorités traditionnelles en surtout, pour le parti d’opposition, d’un refus réclamant la reconnaissance officielle de leur global d’entériner les conditions dans les- rôle auprès des communautés rurales. Le Fre- quelles avaient été promulguée la première limo, quant à lui, renforçait le réseau des auto- loi municipale ainsi que ses modalités d’ap- rités urbaines (conseils exécutifs de ville) et plication, son gradualisme en particulier. Qua- leurs administrations, entièrement intégrés siment frappée d’inconstitutionnalité, la loi à l’appareil d’État et soumis au pouvoir de- fut remise en chantier et le gouvernement, puis leur création. Comptant sur l’attitude
Politique africaine 165 Élections municipales et démocratisation au Mozambique légitimiste d’un électorat urbain peu favora- les voies et moyens conduisant au partage ble à la Renamo 9, mais aussi pour des rai- du pouvoir local, un point semble toutefois sons de réalisme financier, le Frelimo opta avoir fait l’unanimité entre les protagonistes : finalement pour la création graduelle de la stature et l’importance à accorder à la per- municipalités dans les circonscriptions ur- sonne du président du Conseil municipal, baines les plus importantes. auquel le législateur avait conféré, dès le Pour la Renamo, il s’agissait au contraire début, un caractère « présidentiel » indéniable. d’exiger que les élections municipales se tien- Défini d’emblée presque comme un « mana- nent au plus tôt, le même jour, dans toutes ger urbain » chargé de la responsabilité pleine les circonscriptions du pays, urbaines et et entière de la réussite ou de l’échec de la rurales, quelles que soient les capacités de politique municipale 10, l’élu local ne pouvait celles-ci à entrer dans la logique adminis- être, pour les uns comme pour les autres, trative et financière impliquée par la réforme qu’une figure forte, autoritaire, rassemblant de décentralisation. Les neuf textes de loi tous les attributs d’un pouvoir décisionnel. composant l’ensemble du dispositif muni- En charge pour cinq ans de l’exécutif, la loi cipal mirent en évidence d’autres enjeux et stipule qu’il nomme ses conseillers munici- donnèrent lieu à d’intenses débats et confron- paux (vereadores) parmi les personnes de tations – que ce soit sur la question de la com- son choix, la moitié d’entre eux devant néan- position de la Commission nationale des moins être choisis parmi les élus de l’assem- élections (loi 4/97), sur le régime de tutelle de blée municipale. l’État sur les collectivités locales (loi 7/97), Selon cette conception du pouvoir local, sur l’organisation administrative et politique ne pouvait se trouver assigné aux assem- de la capitale (loi 8/97), sur le niveau de rému- blées de villes (assembleia de cidade) et à leurs nération des maires et élus locaux (loi 9/97), députés qu’un rôle relativement limité, essen- sur les finances locales et la nécessité de créer tiellement délibératif et consultatif, l’appro- un impôt municipal (loi 11/97) –, bloquant bation des budgets municipaux et des plans à chaque fois l’adoption des textes et repous- d’activités constituant néanmoins des leviers sant la tenue du scrutin bien au-delà de ce importants pour influer sur la définition des qui avait été prévu par la loi sur les élections politiques municipales. À noter, en effet, l’am- municipales (loi 6/97). C’est la logique pleur des attributions dévolues aux munici- urbaine préconisée par le Frelimo qui finit palités : bien au-delà du cadre technique de par l’emporter, désignant en dernier ressort la gestion des services urbains, la loi confie trente-trois villes – grandes et moyennes – aux collectivités locales la responsabilité comme municipalités de plein droit et en- de l’urbanisme (définition et adoption du gageant, pour en assurer la direction, les plan de structure, gestion du patrimoine premières élections municipales. Celles-ci, foncier et immobilier, des services et des après trois reports, eurent finalement lieu équipements), mais aussi les orientations en juin 1998. de développement économique et social, Si l’ensemble de cet épisode avait été mar- l’environnement, la santé, l’éducation, la qué par un manque total de consensus sur culture, etc.
MAGAZINE 166 Débat Terrain Documents Les élections municipales Dans ce que les observateurs impartiaux de juin 1998 : la montagne ont considéré comme un processus avorté, les accouche d’une souris responsabilités étaient en effet bien partagées : Tandis que s’élaborait la réforme munici- la Renamo s’est trouvée discréditée pour avoir pale dans le confinement des ministères et les refusé les armes du scrutin afin de s’assurer controverses politiciennes de l’espace parle- d’un pouvoir local auquel elle pouvait pré- mentaire, il ne manqua pas de voix parmi l’in- tendre dans certaines municipalités. De leur telligentsia mozambicaine, la presse, les ONG côté, ralliés de plus ou moins bon gré au mot locales et internationales et d’autres secteurs d’ordre de boycott de la Renamo, les quinze encore de la société mozambicaine pour atti- petits partis politiques identifiés à la veille du rer l’attention sur les risques de voir éclore, à scrutin ne parvinrent pas à cacher leur insi- l’occasion des élections municipales, une nou- gnifiance et leur impuissance à défier le Fre- velle mouture de démocratie sans le peuple 11. limo, dans quelque circonscription que ce La réalité dépassa pourtant la fiction. Pré- soit 13. Pour le vainqueur, les très forts taux textant des irrégularités – certaines effective- d’abstention dans les grandes villes (91,93 % ment constatées – lors du recensement élec- à Nampula, 89,79 % à Beira, 86,88 % à Maputo) toral, la Renamo, rejointe par les quinze petits vinrent bel et bien confirmer le désintérêt et la partis d’opposition, mit en place une ultime méfiance des citadins face à des promesses de stratégie pour enrayer la tenue du scrutin. Se « futuro melhor » jamais tenues. retirant de la campagne électorale, elle appela au boycott des élections afin de provoquer Un espoir pour la démocratie leur annulation à la dernière minute. Celles- locale : les listes de « citoyens ci eurent finalement lieu comme prévu, mais indépendants » elles enregistrèrent un taux d’abstention extrê- Ce scrutin fut cependant marqué par une mement élevé dans l’ensemble du pays (85 % surprise et une nouveauté : l’apparition de en moyenne nationale). Dans ces conditions, « groupes de citoyens indépendants » qui, le Frelimo, resté seul parti en lice dans 19 des sans organisation et sans moyens pour entrer 33 circonscriptions municipales, remporta dans la compétition, obtinrent néanmoins des tous les postes de président des conseils mu- résultats significatifs. Au nombre de douze à nicipaux ainsi que la majorité des sièges dans travers le pays 14, les listes qui se présentèrent toutes les assemblées municipales 12. Victoire dans les deux plus grandes villes, Maputo affichée du Frelimo, donc, mais aussi victoire (Juntos pela cidade, JPC) et Beira (Grupo de autoproclamée de la Renamo, puisque le reflexão e de mudanças, GRM), réussirent à très faible taux de participation enregistré porter la contradiction au sein d’une cam- dans les principales villes du pays put être pagne électorale qui, sans eux, n’aurait été interprété par ce parti comme une victoire pour le Frelimo qu’une simple formalité. À de sa consigne de boycott : il n’y aurait donc Maputo, c’est la candidature du Dr Gagnaux pas eu de perdants, et chacun des deux oppo- à la présidence du conseil municipal qui sants de se féliciter de la sagesse de la popula- signifia le plus clairement que les temps tion qui aurait su lui donner raison ! avaient changé et que le jeu politique était,
Politique africaine 167 Élections municipales et démocratisation au Mozambique enfin, ouvert. Cette candidature 15 inattendue ments passés, mais aussi à propos de la gestion et quelque peu ingénue entraîna la formation municipale de Beira et des graves problèmes d’une liste municipale composée de personna- de cette ville laissés sans solution. Avec 41,49 % lités connues 16, autrefois proches du Frelimo, des voix sur son nom et 39,85 % sur celui de décidées à saisir cette occasion pour mani- son groupe, le GRM remportait 17 des 44 sièges fester publiquement leurs distances avec un de députés à l’assemblée municipale de Beira. pouvoir usé et crispé sur lui-même. Dans l’ensemble, il faut noter que les prin- Dans ses objectifs et son entendement de cipaux concurrents en lice avaient pris la peine l’enjeu municipal, Juntos pela cidade («Ensem- de formuler des programmes électoraux, tous ble pour la ville ») a sans doute représenté plus ou moins calqués, il est vrai, sur le cata- une liste citoyenne idéale, celle dont rêvent logue stéréotypé de l’environnement urbain : tous les bailleurs de fonds occidentaux pour problèmes de l’eau et de l’assainissement, des donner corps à leur modèle de démocratie ordures ménagères, des transports publics, locale: composée de citoyens probes, capables, du logement, auxquels les promesses élec- responsables, désireux du bien de la ville, elle torales, à Maputo et Beira, ajoutaient la ques- a su attirer l’attention et la confiance de cer- tion des marchés informels ainsi que, de façon tains secteurs nationaux et internationaux et, plus pressante à Maputo, la lutte contre le l’espace d’un instant, a fait planer un doute désordre et l’insécurité. À l’exception de la sur l’issue du scrutin dans la capitale. Comp- liste « Ensemble pour la ville », aucune autre tabilisant 28,82 % des voix pour la présidence ne sembla se saisir de l’occasion pour déve- du conseil municipal et 25,58 % pour leur liste lopper les thèmes du développement de la Juntos pela cidade, ce groupe de citoyens rem- citoyenneté et aucune ne se hasarda à prendre porta l5 des 59 sièges de l’assemblée munici- la lutte contre la pauvreté et pour l’emploi pale de Maputo face au Frelimo, qui en occupe comme cible de ses promesses électorales. 42, les deux autres listes (Metracim et Rumo) Ces premières élections municipales furent- remportant chacune un siège. elles transparentes, libres et justes ? Sans vio- À Beira, deuxième ville du pays, un autre lence ni intimidation, nul doute qu’elles se trouble-fête vint s’opposer au Frelimo, sans déroulèrent dans le plus grand calme (ne pourtant le mettre en échec : Francisco Mas- serait-ce qu’en raison de la faible affluence quil, ancien gouverneur de la province de aux urnes). Leur déroulement fut cependant Sofala, après avoir rendu sa carte du parti entaché de fâcheux incidents dans plusieurs Frelimo, se présenta comme candidat indé- villes, jetant une vague de suspicion sur la pendant à la tête du Groupe de réflexion et bonne foi et l’impartialité de la commission changements (GRM), assemblage d’indivi- chargée de l’organisation des élections (Co- dus comptant des membres de la Renamo et missaõ nacional das eleições, CNE). La procla- d’autres partis de l’opposition appelant par mation retardée des résultats du scrutin, après ailleurs au boycott. Refusant de retirer sa can- que le Tribunal suprême eut relevé un certain didature à l’appel de la Renamo, ce candidat nombre d’irrégularités dans le dépouillement se fit remarquer par ses violentes critiques à des résultats d’au moins cinq municipalités l’encontre du parti au pouvoir et de ses agisse- et demandé à la CNE de les corriger 17, fut la
MAGAZINE 168 Débat Terrain Documents dernière péripétie qui faillit mettre en péril gradation des conditions de vie mais aussi ces élections. Leur validité fut finalement pro- l’absence d’espoir en un redressement des noncée le 16 août 1998 par cinq des sept juges inégalités et des injustices sociales. Dans ces du Tribunal suprême. Tout à sa victoire, le conditions, l’ensemble du processus de dé- gouvernement du Frelimo ne fit pas « rouler centralisation est demeuré étranger aux pré- les têtes » des responsables de l’organisation occupations et attentes des citadins, qui n’y calamiteuse du scrutin municipal, comme le voient nullement la possibilité de faire repré- demandait l’opinion publique. Légitimé en senter et défendre leurs intérêts. Les élections dépit des faibles taux de participation, son auront au moins permis d’exprimer cette cou- pouvoir sortait d’autant plus renforcé de cette pure profonde qui sépare le monde politique épreuve que son concurrent politique s’était des masses citadines précarisées qui ont cessé discrédité, seuls les scores significatifs 18 de de croire en la capacité des hommes et des certaines listes de citoyens ayant apporté institutions politiques pour gouverner la ville quelques signes de renouvellement dans le et résoudre leurs problèmes. Elles donnent champ politique. également à entendre à ceux qui veulent bien en prendre conscience que l’instauration de Faut-il prendre au sérieux la démocratie locale telle que préconisée par la décentralisation ? « le haut » trouve ses limites dans la pauvreté, Non-événement, raté du processus de li- le désarroi et l’absence de confiance dans les béralisation politique, la lourde et coûteuse institutions, même rénovées. entreprise électorale n’aura pas atteint ses ob- À présent, quelles chances le dispositif jectifs déclarés. Comment expliquer ce fiasco municipal, tel qu’il existe dans la loi et dans les électoral ? Apathie des citoyens, éducation faits, a-t-il de « faire ses preuves », c’est-à-dire civique insuffisante, incompréhension des de rapprocher le pouvoir local des citoyens ? enjeux, effet de l’appel au boycott, opacité Quelles possibilités offre-t-il aux petites listes des choix du Frelimo pour la composition de d’opposition et à leur députés – mais aussi au ses listes et de ses candidats… Les hypothèses Frelimo lui-même – d’enrayer le clientélisme, ne manquent pas pour tenter d’analyser et la gabegie, les malversations? Permettra-t-il un de comprendre le sens de cet abstentionnisme renouvellement du personnel politique et une massif, qui contraste fort avec la participa- plus grande responsabilité de celui-ci devant tion enthousiaste des électeurs pour les élec- l’électorat ? Une petite poignée seulement de tions générales de 1994, mais aussi avec les citoyens sont prêts à y croire. Ils auront fort à intentions de vote relevées quelque temps faire pour « exploiter » au mieux les ressources auparavant par sondage 19. De toute évidence, potentielles du dispositif juridique de la décen- un ensemble de raisons ponctuelles explique tralisation, qui existent malgré tout. Il leur res- cette désaffection de l’électorat urbain. Mais tera en effet à convaincre leurs concitoyens de celle-ci s’inscrit avant tout sur une toile de l’utilité de s’en saisir et d’en user. Cette bataille- fond dominée par la pauvreté qui frappe les là ne fait que commencer. populations urbaines depuis plus de dix ans, Brigitte Lachartre entraînant non seulement une profonde dé- Géographe
Politique africaine 169 Élections municipales et démocratisation au Mozambique 1. J. L. Cabaço, « A longa estrada da democracia partis : l’União democrática para as autarquias moçambicana », in B. Mazula, Moçambique : Eleições, (UD/A) et la Resistência da unidade moçambicana Democracia e Desenvolvimento, Patrocinio Embaixada (Rumo), ainsi que douze « groupes de citoyens indé- do dos Paises Baixos, 1995. pendants ». 2. Pour plus d’information et d’analyse sur cette 13. Selon M. de Brito (Savana, 29 mai 1998), « il sem- période, voir B. Lachartre, La Question urbaine au ble que l’opposition ait décidé de se suicider collecti- Mozambique. La ville, malgré tout. Héritages et devenir, vement. La Renamo, les yeux fixés sur 1999, peu sûre thèse de doctorat, Paris, EHESS, 1999. de sa machinerie de parti, craint de ne pas être capable 3. Résultats des présidentielles: 53,30 % pour Joaquim de prouver sa capacité à gouverner en recevant des Chissano, contre 33,73 % pour Afonso Dhlakama. municipalités qui seront pratiquement ingouverna- Résultats des législatives : 44,33 % pour le Frelimo, bles sans l’appui politique et financier du gouverne- contre 37,78 % pour la Renamo. La Renamo l’emporta ment central. Quant au groupe dit “des quinze”, sans dans cinq des dix provinces du pays (Sofala, Manica, argent ni personnel, incapable de présenter une alter- Tete, Zambézie et Nampula), et atteignit par exemple native ni de se présenter avec une voix unie, il a choisi des scores supérieurs à 75 % dans neuf des treize de se réfugier à l’ombre de la Renamo et de prendre districts de la province de Sofala (voir B. Mazula, les fraudes comme prétexte pour éviter d’encourir les Moçambique : Eleiçõe…, op. cit., p. 19). mêmes résultats honteux de 1994. Ils n’ont même 4. Loi 3/94 du 13 septembre, Quadro institucional dos pas tenté une stratégie d’occupation du vide après le distritos municipais. retrait de la Renamo et on peut penser que le verdict 5. Assembleia da Republica, Intervenção do ministro da populaire sera implacable s’ils parviennent ou déci- Administração estatal, Lei 3/93, pp. 19 et 20. dent de se représenter en 1999… » 6. Cela signifiait-il vraiment qu’ils seraient élus au 14. Juntos pela cidade (JPC); Persistência amor na zona suffrage universel, ou bien la loi se réservait-elle de (Paz) ; Mulher esperança de transformação da cidade redéfinir les conditions de cette désignation ? de maputo (Metracim) ; Grupo dos naturais e resi- 7. Loi 9/96 du 22 novembre, Introduz princípios de dis- dentes da vila da Manhiça (Naturma) ; Grupo de apoio posições sobre o Poder local no texto da Lei Fundamental. á candidatura eleitoral do candidato independente 8. Loi 2/97 du 18 février, Aprova o quadro jurídico para para o município de Chibuto (Gacecimuchi) ; Grupo a implementaçaõ das autarquias locais. gente boa da terra (GBT) ; Grupo de reflexão e de 9. À l’exception de Beira et de quelques villes du centre- mudanças (GRM) ; Associação dos naturais e amigos ouest et du nord-ouest du pays, où les élections géné- de Gurué (Anagur) ; Organização dos desemprega- rales de 1994 avaient révélé une réelle suprématie dos de Nampula (Deona) ; Grupo de desenvolvimento électorale de la Renamo. de Angoche (GDA) ; Organização de candidaturas 10. Cette définition du pouvoir exécutif municipal independentes de Nacala-Porto (Ocina) ; Associação est soulignée par le ministre de l’Administration dos cidadões de Pemba para a ordem (Acipo). publique, promoteur de la première loi municipale 15. Fils d’un médecin de la Mission suisse (protestante) de 1994, dans son allocution à l’Assemblée : «… Nous tué dans une embuscade de la Renamo et qui jouis- aurons ainsi une sorte de système de gouvernement sait d’une grande réputation parmi les déshérités de présidentiel : d’un côté un président de la municipa- la capitale, Philippe Gagnaux, jeune, blanc, médecin lité, avec son cabinet ; de l’autre un parlement. Tous comme son père, se disant apolitique, a imprimé son deux sont légitimés par le suffrage universel, […] mais style à une campagne électorale qui ne comportait, à en dernière analyse, comme dans le système prési- Maputo, que trois autres candidats sans notoriété. dentiel, c’est le président de la municipalité qui pré- 16. Parmi celles-ci, d’anciens hauts fonctionnaires du vaut. » (Assembleia da Republica, Quadro institucional ministère de l’Agriculture, du secrétariat d’État à dos distritos municipais, 1995, Maputo, Imprensa nacio- l’Enseignement technique, mais aussi des membres nal de Moçambique, p. 5). de l’intelligentsia : professeurs, journalistes, photo- 11. Selon la formule de E. Braathen et B. V. Jortgensen, graphes, et des chefs d’entreprises privées, etc. in « Democracy without People ? Local government 17. Voir Noticias du 5 août 1998. reform and 1998 municipal elections in Mozambi- 18. 40 % à Beira, 39,41 % à Manhiça, 25,85 % à Nacala- que », Lusotopie, 1998, pp. 31-39. Porto et 25,58 % à Maputo. Voir B. Weimar, Abstaining 12. Dans les quatorze autres circonscriptions, après from the 1998 Local Elections in Mozambique : Some élimination des listes de candidatures non conformes Hypotheses. Draft discussion paper, Maputo, août 1998. et retrait des partis inscrits suite à l’appel au boycott 19. Voir C. Serra (ed.), Eleitorado incapturavel, Maputo, de la Renamo, restèrent en course deux coalitions de Livraria universitaria, UEM, 1999.
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