Les alpes, les lacs des architectures - journal de l'exposition - CAUE de l'Isère
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
AQUA SIMPLEX SYLVIE DE MEURVILLE, ARTISTE ASSOCIÉE "Franchir la rivière" nous aurait immédiatement suggéré une exposition consacrée aux ouvrages Afin d’ouvrir les horizons et de confronter les regards, le CAUE de Haute-Savoie associe d’art, mais "Franchir la berge" nous ramène subtilement aux questions de la limite, du seuil, régulièrement des plasticiens, des chorégraphes ou des vidéastes… à ses actions culturelles et de la ligne, de la frontière entre le solide et le liquide, entre le ferme et le mou, entre le connu pédagogiques. Après avoir invité Tania Mouraud et Slinkachu lors d’expositions précédentes, il et l’incertain. En choisissant ce titre, Dominique Amouroux, commissaire de cette exposition a choisi Sylvie de Meurville dont quatre sculptures ponctuent l’exposition. d’architecture, laisse entendre que nous allons découvrir une géographie de la relation entre architecture et eau. Les quatre postures abordées nous amènent effectivement à décrypter le sens des choix d’implantation et des partis architecturaux. Cette approche descriptive propose Elle travaille à partir d’une observation de la nature et de ses différentes échelles de temps, un corpus de bâtiments soigneusement choisis qui nous oblige à dépasser ce premier niveau de d'espaces et de structures afin de mettre en évidence les vibrations du paysage et leurs analogies lecture et à élargir notre réflexion sur la nature même de l’architecture. avec le corps, l’organique. Les sculptures de la série "Veines d'eau" résultent de "l’extraction" des cours d'eau irriguant les territoires. Le dessin qui en découle est découpé dans de la tôle d'acier L’architecture est une pensée dans un lieu puis mis en volume pour nous proposer une autre lecture renouvelée des réseaux hydrographiques. Les lieux choisis sont compris dans l’arc alpin au sens large, regroupant autour du Rhône un grand nombre de lacs. La puissance de ces sites naît de la confrontation entre la surface plane de l’eau et la verticalité mouvementée des montagnes. Dans une géomorphologie désordonnée, LE Lac d’Annecy et le Fier LE Lac d’Aiguebelette l’apparition d’un lac par son horizontalité introduit une géométrie parfaite, un ordre au milieu du 2018 - Laiton patiné - 28 x 19 x 2 cm 2018 - Acier verni - 60 x 90 x 3 cm chaos, un sens dans l’organisation du site. L’architecte qui doit construire va insérer un édifice dans cette dialectique, devoir se déterminer et établir une relation qui passe par le tracé, la mesure et la géométrie. Par son intervention pour l’Expo 02 sur le lac de Morat (Suisse), l’architecte Jean Nouvel exprime avec force ce débat de la géométrie avec le relief. La netteté du cube révèle la planéité du lac et en devient le centre en renvoyant les montagnes au simple rôle de contenant. La puissance de l’intervention est centripète au sens où elle exalte la singularité environnementale du lieu. Elle est sans aucun doute l’expression de la société durable désirée par les initiateurs de l’Expo 02. Lors de la Biennale de Venise de 1980, l’architecte Aldo Rossi semble interroger de la même manière le rapport de l’eau à la société urbaine et patrimoniale. Pour son "Teatro del Mondo", il adopte, lui aussi, la forme d’un cube flottant qu’il surmonte d’une petite tour octogonale coiffée d’une toiture. Cette typologie, affirmée culturellement, établit un rapport différent avec l’eau qui, ici, n’est qu’un simple support. Lorsque ce théâtre flottant sera confronté aux grands espaces maritimes en quittant l’Italie pour Dubrovnik, c’est un morceau de Venise, qui, s’étant détaché, apparaît incongru, voire dérisoire au milieu de l’eau. Quarante ans séparent ces deux interventions et l’inquiétude environnementale a envahi notre pensée. Si l’île flottante d’Aldo Rossi revendiquait la culture vénitienne pour un archétype architectural proposé aux habitants du monde en traversant les océans, celle de Jean Nouvel est moderne, par sa rupture avec l’histoire, pour mieux souligner l’aspect fini de notre planète. LE Lac LÉMAN Du Lac de Constance au Lac des Quatre Possibilisme et déterminisme en architecture 2018 - Laiton patiné - 55 x 30 x 2 cm Cantons En géographie, le possibilisme est attribué à Paul Vidal de La Blache expliquant dans ses travaux 2018 - 12 éléments en acier verni - 200 x 73 x 0,3 cm que l’homme peut occuper de manières diverses un même lieu, au contraire du déterminisme qui suppose que le milieu conditionne étroitement le mode de vie des populations. L’architecture comme expression du rapport de l’homme à son environnement va pouvoir affirmer différents partis pris possibles introduisant le relativisme des postures. Cependant, l’architecte, par sa sensibilité, va pouvoir installer un projet que le spectateur trouvera parfaitement ajusté au site et à son temps. C’est le propre de quelques réalisations devenues iconiques qui fascinent justement par leur déterminisme. Lorsque Frank Lloyd Wright doit implanter une habitation sur un vaste terrain, il choisit de venir tutoyer une cascade. Par ce geste, il dépasse le pittoresque du paysage initial en sublimant la chute d’eau. Le motif de paysage romantique acquiert une force nouvelle par le contraste entre le porte-à-faux des terrasses filantes et la fluidité du torrent. La maison parait simplement posée, n’ayant rien modifié du contexte d’origine, établissant une relation "organique" selon l’architecte : la forme serait issue de la nature elle-même. Même s’il est difficile de contester la pensée de F. L. Wright, le recul des années permet de constater que "La Maison sur la cascade" est, en fait, un manifeste moderne, son architecture (déterminée) exprimant fortement l’affranchissement de l’homme vis-à-vis des contingences historiques et environnementales. Modernité et paysage "… L’invention du paysage en Europe remonte au XVIe siècle, début des temps modernes, mais il faut attendre l’avènement de nouvelles techniques constructives pour que l’architecture puisse réaliser son passage à la modernité et se mettre au diapason des transformations portées par la société sur son environnement. … "1 La villa "Le Lac" de Le Corbusier est, dans son rapport au Léman, d’une humilité presque déconcertante. Implantée en longueur parallèlement à la rive, cette maison est organisée par une fenêtre de 11 mètres qui donne à voir sans contrainte l’étendue du lac. La faible distance à la berge projette le regard directement sur le lac, le ciel et la montagne au loin. L’air, la lumière, l’eau et l’eau Exposition Journal seule… dégagée de toute présence humaine, de toute échelle, de toute référence historique, sont Commissariat : Dominique Amouroux, critique et historien Auteur : Dominique Amouroux, critique et historien exposés frontalement au regard qui peut y voir une abstraction. Comme beaucoup de Modernes, de l’architecture du XXe siècle, directeur de la Fondation de l’architecture du XXe siècle, directeur de la Fondation Marta Pan - André Wogenscky Marta Pan - André Wogenscky Le Corbusier considère avoir résolu les questions fonctionnelles et techniques de l’habitat. Le regard Comité de pilotage : Arnaud Dutheil, Dominique Leclerc, Directeur de la publication : Arnaud Dutheil est donc le cœur du projet selon le principe d’"artialisation"2 décrit par le philosophe Alain Roger. À Isabelle Leclercq et Dany Cartron, CAUE de Haute-Savoie Coordination éditoriale : Dany Cartron l’extérieur, la fenêtre dans le mur l’exprime de manière plus explicite cadrant la simple composition Coordination générale et conception scénographique : Relecture : Bénédicte Clergue et Isabelle Grand Barrier, géométrique du lac et du ciel. La pureté du tableau n’a plus rien à voir avec la nature mais renvoie Dany Cartron, CAUE de Haute-Savoie CAUE de Haute-Savoie Assistant : Rémy Vila, CAUE de Haute-Savoie Conception graphique : Maryse Brion à une contemplation hors du temps, parfaitement datable historiquement. Conception graphique : Maryse Brion, CAUE de Haute-Savoie Iconographe : Katia Cordova L’exposition "Franchir la berge" nous permet de revisiter plusieurs fondements du projet Iconographe : Katia Cordova Impression : Gutenberg d’architecture : fonction du bâtiment, prise de site et expression de la société sont mobilisées Impressions : Italis, Cadrovisuel, Orange Bleue Dépôt légal : juin 2018 au stade de la conception. Ils se trouvent comme exacerbés par la présence de l’eau qui Cadres : 2DM encadrement Isbn : 978-2-910618-38-4 oblige, plus qu’ailleurs, à une forme de dépassement, d’extériorisation par une mise en scène Couverture : Expo 02, Morat, Architectures Jean Nouvel & GIMM Architekten, 2002 © Philippe Ruault géographique. Franchir la berge, c’est d’ailleurs pour certains architectes s’aventurer au-delà Remerciements : Aux concepteurs, maîtres d'ouvrage, propriétaires des bâtiments présentés et aux photographes. Aux différentes institutions qui ont facilité la présentation de documents et de photographies, et plus particulière- des limites imposées par la société. Lorsque l’architecture quitte la terre ferme, elle devient ment Julie Manière des Ateliers Jean Nouvel, Raphaëlle Cartier et Fatima Louli de la RMN-GP, Adriana Scalise prospective. Le passage à un support liquide oblige à reconsidérer l'habitat et la mobilité, de la Fondation de la Biennale de Venise, Lise Rochat du Musée historique de Lausanne, Filine Wagner de laissant présager une révolution sociale, économique et environnementale. Le temps d’une l’Institut d’Histoire et de Théorie de l’Architecture (gta/Archives) de l’École Polytechnique Fédérale de Zürich, visite, ces projets permettent de prendre le large et cela fait du bien ! Roy Oppenheim, Président de la Fondation Walter et R.M. Jonas, Rinke Klaus, Alexandre Ragois de la Cité de l’architecture et du patrimoine, Patrick Ilg de l’agence Herzog & de Meuron Arnaud Dutheil Partenaires de l’exposition : la Ville d’Aix-les-Bains, la CUB (Fondation pour la culture du bâti à Lausanne) directeur du CAUE de Haute-Savoie et les CAUE de l’Isère, Rhône Métropole et de Savoie 1 1995, Augustin Berque, Les raisons du paysage, de la Chine antique aux environnements de synthèse - Editions Hazan, chapitre 4 - Le paysage de la modernité - p.103 2 1997, Alain Roger, Court traité du paysage - Éditions Gallimard, chapitre 1 - Nature et culture - p16 journal_v10.indd 2 07/06/2018 12:16
CONTEMPLER Journal de l'exposition ▪ FRANCHIR LA BERGE DE LA MER AUX LACS : la modernité transfÉRÉE L’imagerie de la relation de l’architecture à l’eau s’est construite par dimension des ouvertures… Ainsi, rapport à la mer, les côtes constituant l’espace des expérimentations ce qui est donné à vivre est une spatiales et techniques permises par des budgets illimités. D’où la relation visuelle toujours renouve- hardiesse des implantations, la magnificence des courbes, l’ampleur des lée entre le caractère éphémère porte-à-faux, la science des mises en œuvre, les fastueuses relations des atmosphères quotidiennes, le d’intérieurs dépouillés avec un environnement luxuriant… retour des ambiances saisonnières et la contemplation d’une éternité inscrite dans l’immobilité de l’eau et la stabilité des montagnes. D’origine romantique, une telle contemplation s’est diversifiée au fil des générations qui en ont mo- difié l'intensité (exacerbée, pano- ramique, scénarisée…) et les mo- dalités (proche, distante…). Ces évolutions s’imposent à des profes- ┐ Face cachée du concours pour la SDN à Genève en 1926, la relation au Léman sionnels aux visées et aux concep- conduit Le Corbusier et Pierre Jeanneret à structurer leur projet en deux volumes tions différentes, voire opposées. Qu’ils adoptent une posture pros- De multiples réalisations côtières par chaque génération selon son pective, qu’ils cultivent leur esprit ont fertilisé la pensée des esthétique propre. Tous les scénarii inventif ou se posent en profession- architectes car les rivages se prêtent architecturaux coexistent : se tenir nels pragmatiques, les architectes à toutes les attitudes. Du hiératisme à distance et voir grand ou s’ap- des territoires alpins composent de la villa Malaparte à Capri à procher au plus près et vivre en nécessairement en relation avec la simplicité du "Cabanon" de osmose ; s’épaissir dans le béton les lignes de force de ces grands Le Corbusier à Roquebrune-Cap- ou se diluer dans le fer et le verre ; paysages qui donnent au foncier Martin. De l’architecture pionnière se tapir ou s’étendre aux alentours une forte valeur. ┐ Villa E 1027, Roquebrune-Cap-Martin, Eileen Gray et Jean Badovici, 1926-1929 en bois du Sea Ranch californien par force terrasses et piscines ; se L'appropriation de vues gratuites, ┐ La Manzanera, Calpe, Alicante (Espagne), Taller de Arquitectura, 1968-1971 à l’effervescence des coques de vêtir de blanc ou de rouge pour se longtemps associée à la finesse ┐ Maison Pierre Cardin, Théoule-sur-Mer, Antti-Lovag, 1979-1993 béton d’Antti-Lovag engendrant à signaler ou tenter de se faire par- permise par les matériaux plas- Théoule-sur-Mer la maison Bernard donner d’être là en se teignant en tiques, pousse aujourd’hui à une et le Palais bulles de Pierre Cardin. noir… dématérialisation de l’architecture Du mimétisme de l’immeuble du Les réalisations en quête de vues par la réduction de l'épaisseur des Taller de Ricardo Boffil à Calpe aquatiques dans les Alpes ont été planchers, l’accroissement de la à la récente insertion projetée de plus sûrement nourries par cette his- dimension des vitrages, l’amplifica- la Casa Brutale dans une falaise toire architecturale côtière ensoleil- tion des prolongements extérieurs, VUES d'anticipation libanaise. lée que par les formes ancestrales. la construction de jeux de reflets Les Alpes fertilisent l’imaginaire des architectes. En 1919 Le tour du monde architectural Ce qui est à voir ainsi que l’organi- complexes et savants qui brouillent déjà, Bruno Taut substitue un gigantesque dôme de verre des rivages océaniques illustre sation des relations optiques avec les limites entre l’eau domestique à la partie sommitale d’un mont de 1 900 mètres pour une large palette des postures ce paysage mouvant façonnent la et l’eau naturelle, lorsqu’ils n’en offrir une contemplation panoramique sur les paysages du humaines, de l’hédonisme le plus disposition des espaces, justifient la effacent pas les limites en rendant lac de Côme. Onirique et spectaculaire, ce projet traduit simple au désir de reconnaissance gradation des relations intérieur-ex- transparents les volumes s’interpo- un moment où une partie de l’Europe, enflammée par une sociale le plus tapageur, répétée térieur, dictent l’emplacement et la sant entre terrains et lacs. vision romantique née de son désarroi face à la première Guerre mondiale, s’ouvre à l’utopie. Dans le contexte po- sitif des années 1960, les lacs enrichissent les pensées prospectives de Jean-Louis Chanéac et de Walter Jonas. Le territoire en conserve la mémoire dont la maison conçue par Pascal et Claude Häusermann sur les berges du Rhône à Pougny dans l'Ain en 1960. ┐ Casa Brutale, Faqra Mountain, Liban, Open Platform for Architecture (OPA), 2015 journal_v10.indd 3 07/06/2018 12:16
DEUX VUES CORBUSÉENNES LES VUES PERSONNALISÉES DES ANNÉES 1930 Voir, ce n’est pas seulement donner d’autres horizons à "l’Homme nouveau" dont la Modernité souhaite l’avènement. C’est aussi assurer son équilibre psychique et sa santé physique en captant la lumière grâce aux larges baies vitrées et en exposant son corps au soleil sur d’amples terrasses. Sur les bords du Léman, la villa Senar et la villa Kenwin illustrent cet attrait pour les bouffées d’air du large, les vues amplifiées et mouvantes, l’ensoleillement bienfaiteur, la monochromie des façades, mais aussi une mise en scène de soi poussée jusqu'au choix du nom de la résidence. La Villa Senar a été construite pour Serge Rachmaninov et son épouse Natalia à Herstenstein dans le Canton de Lucerne (ci- contre, en haut). Réalisée entre 1931-1933 par l’architecte Karl Friedrich Alfred Möri, elle domine le Léman, dans une relation que l'entrée sur la propriété ne laisse En deux projets, Le Corbusier il- lac, connecter l’espace habitable pas deviner. lustre, au début des années 1930, inférieur avec l’eau, composer un La villa Kenwin fut édifiée pour son désir d’établir une relation long travelling grâce aux fenêtres le réalisateur de films Kenneth forte à l’eau. Ils prolongent les bandeau, cadrer l’environnement Macpherson et l’écrivain Annie orientations de la proposition pour en un gigantesque tableau en Winifred Ellerman (Bryher), à La le siège de la SDN (1926) et de vitrant la façade latérale du volume Tour de Peilz (Canton de Vaud), la villa "Le Lac" (1923). principal. sur les plans d’Alexandre Ferenczy La villa Harris, projetée en 1930 Avec une expressivité similaire à (1929), par Hermann Henselmann à Vevey, s’étage dans la pente celle de son Plan Voisin pour Paris, (1930-1931) avec Henry Python forte d’un terrain bordant le Léman il propose, en 1933, pour rénover pour architecte d’opération. (ci-dessus, en haut). L’architecte le quartier Saint-Gervais à Genève, La villa Senar, devenue un centre exalte les relations visuelles à d’établir une suite d'immeubles aux de documentation dédié au com- l’espace lacustre en proposant des masses puissantes sur les berges du positeur, et la villa Kenwin, la vues composées selon plusieurs Rhône (ci-dessus, en bas) dont les demeure d’un artiste, constituent desseins : scander l’entrée dans appartements disposeraient de vues des jalons du patrimoine suisse la maison par un panorama sur le panoramiques généreuses. du XXe siècle. LES VUES AMPLIFIÉES DE CLAUDE PARENT Parmi les chocs formels que l’archi- une appétence pour le béton brut, Il adopte une architecture expres- Mais, l’élément clé de ce projet tecte proposa à ses clients, figure les angles affirmés, les géométries radicales et les masses compactes. le volume glissant sionniste pour ce projet de maison manifeste est le pylône en béton, cette villa, pensée en 1969 pour le de collectionneur, multipliant les fortement incliné, le long duquel milliardaire suisse et amateur d'art Claude Parent aborde ici son se- sur le pylône central masses compactes tranchées net glisse le volume central de la Philippe Woog, sur les rives du Lé- cond face-à-face avec l’eau après évoque la radicalité par de profondes loggias, les demeure. À la fois élément de man, mais non réalisée. la maison André Bloc à Antibes face puissants porte-à-faux lancés dans déstructuration formelle du projet Observateur attentif des ouvrages à la Méditerranée, en superposant formelle des gares la pente pour mieux s’approcher et d’intensification de l’image de de défense des côtes édifiés par des volumes en métal et en verre. des téléphériques du Léman, la rigueur des obliques puissance dominatrice qui s'en l’armée allemande durant la se- Ultérieurement, l’étude des centrales étendue jusque dans le tracé de la dégage, il constitue une véritable conde Guerre mondiale, Claude nucléaires le conduira sur les rivages alpins piscine interposée entre les masses machine à modifier la relation Parent (rejoint par Paul Virilio) en tira de la Manche et de l’Atlantique. de béton et la berge naturelle. visuelle au lac. journal_v10.indd 4 07/06/2018 12:16
EN QUÊTE DE VUES : DE PRÈS OU DE LOIN : VOIR ! Jean-louis chanéac Les professionnels locaux ne peuvent s’abstraire de la relation aux lacs. De la Reconstruction aux années post Grande-Motte, les commandes changent de nature, le style évolue, les matériaux se transforment, mais la quête visuelle demeure prégnante. Parmi d’autres, des réali- sations de Maurice Novarina et de Joël Terrier illustrent cette relation incontournable et fertile. Trouver la juste relation à la vue reconnaissance dans la presse custres réunies sous le sigle d’"Aixi- lacustre constituera l’une des nationale. Lovée dans un repli du la". Ces dernières prolongent sur constantes de la démarche de lac, elle impose le face-à-face de l’eau la ville d’Aix-les-Bains et les Jean-Louis Chanéac. Implanté à ses deux triangles et sa géométrie principales bourgades riveraines Aix-les-Bains, cet architecte dé- radicale aux courbes incertaines du lac du Bourget. L’architecte as- veloppe une pensée prospective des montagnes voisines. socie le lac au développement de étroitement liée au lac du Bourget, Il n’aura de cesse d’intégrer à sa ses bulles industrialisées dont il dis- procède à des études urbaines en démarche le lac, objet d’attraction pose un premier élément structurel relation avec ce même lac et édifie dont la ville d’Aix-les-Bains s’est éloi- face au lac au moyen d’un habile une part significative de son œuvre gnée. Elle lui porte un regard dis- photomontage. construite sur les rives des lacs des tancié et partiel depuis les baies de Il y construit ses premiers immeubles Savoie, celui d’Aix-les-Bains par étapes successives non essentiellement, mais aussi sans se heurter au "réalisme" celui d’Annecy. des promoteurs. Et, c’est sur Dès ses premiers projets un promontoire dominant le d’habitations individuelles, il lac d’Annecy qu’il réalise la explore les relations visuelles synthèse de son double attrait que ses clients pourraient en- permanent pour l’air et pour tretenir avec le lac du Bourget. l’eau : il donne à la maison Cette relation lui dicte des Bonnet, réalisée en bois, dispositions fonctionnelles : il la forme d’un cerf volant. systématise les socles réunis- Mais, paradoxalement, lors- sant éléments techniques et pièces ses grands hôtels, marqueurs d’un qu’il construit sa maison personnelle à usage occasionnel de façon à thermalisme préféré à un statut de (classée au titre des Monuments hisser les espaces de la vie quoti- station balnéaire auquel elle aurait historiques en 2017), il opte pour dienne dans le paysage. Il ampli- pu légitimement prétendre. un terrain intra-muros, dépourvu de fie cette relation par la dimension Chanéac y projette ses pensées toute relation visuelle avec l’objet des vitrages et la projection des prospectives en transposant sur les de sa quête. Maurice Novarina a déployé miscuités visuelles, les a rigoureuse- balcons loin devant la façade. Il berges du lac du Bourget des élé- ┐ Prototype de cellule industrialisée face à Thonon-les-Bains une intense ment orientées vers le lac. Il a systé- aura une trentaine d’occasions de ments de sa ville du futur, "La Ville au lac du Bourget, photomontage, activité en relation au Léman. Parmi matiquement crénelé leurs profils par confronter son attirance pour le lac Cratère". Cette proposition urbaine, 1968 une impressionnante liste de maisons des balcons accueillant des plantes. à des projets d’habitat individuel. où des immeubles effilés ceinturent ┐ Terrasse de la maison Choisy, Aix-les- projetées ou construites, la villa De sorte qu’Eden Parc exprime un C’est d’ailleurs une maison, com- des clairières végétalisées, précède Bains, 1964 Escoubès réalisée à Neuvecelle (ci- moment de l’inépuisable quête de plétée d’un atelier de peintre-cé- la prise de possession de la surface ┐ Proposition d'aménagement urbain dessus, en haut) exprime, à travers la vue, collective mais particulière- ramiste, qui lui assure sa première du lac au profit de constructions la- des rives du lac du Bourget, 1970 la pente inversée de sa toiture et ment sélecte. Voir, constitue un réel par la générosité de ses vitrages, plaisir qui précède même l’habitat : une irrésistible attraction pour le lac. les voies de desserte ménagent des Chargé de la reconstruction, il a échappées visuelles vers différents ouvert la ville sur le lac et articulé la lointains dont, naturellement, le Maison de la Culture (ci-dessus, au "grand lac". centre) à un ensemble d’immeubles. Le même architecte a tracé les La puissance du face-à-face de grandes courbes d’une résidence celle-ci avec le lac vient d’être des bords de lac. Le plan-masse, dynamisée par la refonte de son les façades inclinées aux larges aménagement intérieur. balcons, les garde-corps longs et Une flottille en mouvement : c’est épais redécoupés par des horizon- ainsi que se perçoivent les quatorze tales régulières constituent, sur le immeubles composant la résidence site du Petit Port annécien, une évo- Eden Parc édifiée sur des terrains cation des architectures des stations dominant le lac d’Annecy depuis les balnéaires. premières pentes de La Barallaz à ┐ Maison Escoubès, Neuvecelle, Annecy-le-Vieux (ci-dessus, en bas). Maurice Novarina, 1961 L’architecte Jöel Terrier a adroitement ┐ Maison de la Culture, Thonon-les-Bains, disposé les constructions dans le de- Maurice Novarina, 1965, rénovée par vers d’un site particulièrement étiré, Wimm et Silo, 2015 les a séquencées afin de ne pas ┐ Résidence Eden Parc, Annecy-le-Vieux, soumettre leurs occupants à des pro- Joël Terrier, 1979-1984 journal_v10.indd 5 07/06/2018 12:16
LES VUES EXACERBÉES DE MARIO BOTTA VUE LOINTAINE Bien que lointaine, la présence du Léman, souvent résu- mée à une brillance ou à une trainée de brume, oriente la disposition des volumes de cette Fondation répartis sous une ample canopée de béton au plan triangulaire. La bibliothèque et l’auditorium s’y glissent. Y prennent éga- lement place les onze "cabanes suspendues", sept étant à vocation d’habitat pour les écrivains en résidence et quatre abritant le personnel de cette institution dédiée à l’écriture. ┐ Fondation Jan Michalski, Monticher (Canton de Lausanne, Suisse), Mangeat et Wahlen architectes (canopée, bibliothèque, audi- torium, cabane). Érigée sur la colline dominant le surmonte l’avancée de la maison Le lac de Neuchâtel, décor du lac de Lugano à San Vitale, la Genini de deux galeries hémis- Centre Friedrich Durrenmatt au- maison Bianchi a largement contri- phériques qui se lisent comme une quel il adjoint un musée, lui donne bué à établir la notoriété de Ma- paire de jumelles géantes. Nul l’occasion de créer un vaste bel- rio Botta. L’architecte tessinois est besoin néanmoins de cet artifice védère semi-circulaire destiné à notamment apprécié pour la clarté pour jouir ici d’une belle vue sur le souligner la sérénité du lieu. des relations que ses projets éta- petit lac voisin (Lago di Muzzano) blissent avec le panorama lacustre et oublier, en regardant au loin, ┐ Maison Genini, Breganzona (Canton des sites dans lesquels il intervient. le contexte de cette construction : du Tessin, Suisse), 1985-1988 À Breganzona, il aborde ce désir un banal lotissement et l’angle de ┐ Extension du musée Durrenmatt, avec un humour post-moderne : il deux rues ordinaires. Neuchâtel (Suisse), 2000 VUES OPTIMISÉES POUR RÉSIDENTS PRIVILÉGIÉS Sur les rives des lacs suisses, villas et ensembles résidentiels récents établissent une relation puissante aux vues lacustres. Celles-ci sont proposées comme ex- pression d’un art de vivre et symbole d’un luxe indéniable. Le choix des espaces bénéficiant de la vue, l’amplification de la relation au paysage par la déma- térialisation des façades et le cadrage opéré par les prolongements extérieurs exaltent cette relation au quotidien. Qu’elles s’implantent dans un parc séculaire de Neuchâtel, une vigne d’Auvernier ou à même le tissu urbain de Zurich, ces trois réalisa- tions témoignent de l’art d’utiliser les techniques constructives pour magnifier la relation à l’environ- nement lacustre. L’immeuble mi- nimise le béton pour donner une dimension panoramique à ses terrasses, une maison dégage ses structures métalliques pour amplifier ses vitrages, une autre affirme des références à Mies van der Rohe pour cadrer le paysage entre des poutres puissantes. ┐ Immeuble l’Ermitage, Neuchâtel (Suisse), Andrea Pelati et Ipas, 2011 ┐ Villa Fundoni, Auvernier (Canton de Neuchâtel, Suisse), Andrea Pelati, 2006 ┐ Maison Muller, Zurich (Suisse), Christian Kerez, 2014 Crédit photographique : ┐Face cachée du concours pour la SDN © FLC, ADAGP, Paris 2018 ┐Casa Brutale © OPA Open Platform for Architecture & LAAV Architects ┐Villa E 1027 © Manuel Bougot ┐La Manzanera © Ricardo Bofill Taller de Arquitectura ┐Maison Pierre Cardin © Louis-Philippe Breydel ┐Maison conçue par Pascal et Claude Häusermann © Raphaëlle Saint-Pierre et Stanislas Boutmy ┐ Esquisse Villa Haris et Quartier Saint Gervais © FLC, ADAGP, Paris 2018 ┐Villa Senar © DR ┐Villa Kerwin © Jean-Marc Meunier ┐Maquette Villa Woog, à gauche © Pierre Bérenger © Centre Pompidou, MNAM-CCI Bibliothèque Kandinsky, Dist. RMN-Grand Palais / Fonds Parent, à droite © Pierre Bérenger / Archives Naad Parent ┐Prototype de cellule industrialisée, Terrasse de la maison Choisy et Proposition d'aménagement urbain des rives du lac © Nelly Chanéac, Archives départementales de Savoie ┐Maison Escoubès © CAUE 74 ┐ Maison de la Culture © CAUE 74 / Béatrice Cafiéri ┐Résidence Eden Parc © CAUE 74 / Anthony Denizard ┐Fondation Jan Michalski © Leo Fabrizio, Fondation Jan Michalski pour l’écriture et la littérature, 2015 ┐Maison Genini et Exten- sion du musée Durrenmatt © Pino Musi ┐ Immeuble l’Ermitage © Thomas Jantscher ┐ Maison Muller © Mickaël Olsson. DR : nous avons recherché en vain les héritiers ou éditeurs de certains documents, ils peuvent se signaler au Caue 74. journal_v10.indd 6 07/06/2018 12:16
TUTOYER Journal de l'exposition ▪ FRANCHIR LA BERGE RÉENCHANTer LES RIVES URBAINES Support des résidences royales, ligne de front des ensembles immobi- Quelques immeubles exprimeront liers du XVIIIe siècle, les fleuves conviennent à l’urbanisme classique. une relation plus aimable au fleuve Cette relation est successivement reprise et amplifiée au cours du XXe dont l’Institut du monde arabe, siècle par les Expositions universelles, puis par les premières opérations avant que l’urbanisation des rives de rénovation urbaine et par la reconversion généralisée des friches du XIIIe arrondissement, conçue par industrielles créées par la mondialisation de l’activité économique. Christian de Portzamparc, renoue avec un urbanisme d’îlots. D’immenses terrains jouxtant les fleuves sont libérés au cours des années 1970 par l’effondrement de l’industrie. Nantes qui perd ses chantiers navals et Bordeaux dont le port périclite lancent, dès le dé- but des années 1990, les études qui les conduiront à constituer îles, berges et quais en territoires urbains à part entière au tournant des années 2000. La reconversion du site Renault à Boulogne-Billan- court accaparera alors l’attention. L’Exposition universelle de 1900 formes géométriques et exploite Cette valorisation de la présence érige ses pavillons au bord de la les produits verriers pour ouvrir gé- de l’eau comme élément attractif Seine dont le Palais de l’Horticulture néreusement les volumes intérieurs du cadre de vie des populations aux volumes monumentaux de fer et sur l’eau. urbaines conduit les villes dotées de verre. Pour cela, elle a délaissé Articulant fleuve, habitat et ac- de canaux et de cours d’eau à leur le Champ de Mars que domine de- tivités, les opérations de réno- porter un intérêt croissant. Ainsi, puis 1889 la Tour Eiffel qui donne vation urbaine, favorisées par la Annecy édifie des logements sur le à la vue sur la ville et à son fleuve déconcentration des industries, Thiou (La Manufacture) et Amiens une nouvelle dimension. concrétisent l’élan bâtisseur des confie à Henri Gaudin la construc- Cette relation symbiotique à la années 1950. Paris projette ainsi tion de son université sur un canal. Seine est confirmée par l’Exposi- de confier à Bernard Zehrfuss l’am- Entre Saône et Rhône, Lyon porte tion internationale des arts et tech- bitieuse rénovation des entrepôts ce désir au niveau d’un fait urbain niques de 1937. Sur les berges viticoles de Bercy définie par Louis en développant des darses le s’alignent pavillons nationaux et Arretche. Rejetant le modèle d’une long desquelles s’alignent les im- pavillons thématiques. Tous té- urbanisation douce proposé par la meubles de logements du nouveau moignent de l’épanouissement d’une architecture nouvelle qui rénovation des Docks de Londres, les édiles parisiens confirment leur quartier des Confluences. DE NANTES À BILLANCOURT La quête de l’eau se diffuse aux puise indistinctement dans les ma- préférence pour le modèle améri- gravières, ces délaissés verts Dès les années 1990, Dominique Perrault a défriché le tériaux traditionnels et les produits cain des tours que concrétisera à des périphéries, à l’image de devenir urbain de villes confrontées à la disparition de contemporains pour se doter de partir de 1968 le Front de Seine. celles de Cissé-Blossac (Rennes) leurs activités implantées sur l’eau. Ses études pour Nantes qu’investissent les résidences hôte- (1992-1995) et Bordeaux (en haut, 1992-1999) ont jeté lières conçues par Philippe Loyer les bases d’un redéveloppement que d’autres profession- en lisière d'un golf. Elle gagne nels ont ensuite concrétisé. En 2010, sa proposition pour même la terre ferme, lorsque dans l’île Seguin avec Daniel Buren (en bas) a affirmé la dimen- leur boulimie d’images, Ricardo sion culturelle potentielle des rénovations urbaines. Bofill et son Taller réinterprètent à Saint-Quentin-en-Yvelines la royale relation entre palais et canal pour bâtir un "Versailles pour le Peuple". Mais, lorsque les fleuves gagnent les océans, l’eau redevient l’espace des constructions féé- riques tels l’Opéra de Sydney (Jorn Utzon, 1959-1973) et la Philharmonie de Hambourg (Herzog & de Meuron, 2017). ┐ Palais de l’Horticulture, Exposition universelle 1900, Paris, Guillaume constructeur ┐ Philharmonie, Hambourg (Allemagne), Herzog & de Meuron, 2017 ┐ Pavillons de la Belgique, de la Suisse et de l’Italie, Exposition internationale 1937, Paris ┐ Le Front de Seine, Paris, Lopez, Pottier, Proux, Holley, 1959-1974 journal_v10.indd 7 07/06/2018 12:16
HENRY JACQUES LE MÊME, DE la berge à la rive : LES EXPO SI DE LA SEINE À ANNECY Des rives de l’Arve à Genève en 1896 aux berges du Zurichsee à Zurich en 1939 puis à celles du Léman à Lausanne en 1964, les Expositions nationales suisses suscitent un attrait croissant pour l’eau dont elles s’approchent davantage à chaque manifestation. Cette avancée modifie l’architecture même des édifices temporaires réalisés pour chaque exposition : orientation face à l’espace aquatique, ouvertures amplifiées, légèreté accrue des matériaux puis adoption des structures tendues et des voiles textiles. Elles annoncent la prise de possession de l’espace lacustre par l’Expo 02. L'Exposition de 1896 Les organisateurs de l’Exposition nationale suisse de Genève en 1896 choisissent de développer une réelle proximité avec l’eau, l’une des composantes de la ma- À deux reprises, Henry Jacques Le Même a confronté son tière urbaine de Genève. Ainsi, architecture à l’horizontalité d’un fleuve et d’un lac. En les principaux palais s’ordonnent 1937, le Pavillon du Bois français qu’il conçoit lors de en référence au cours de l’Arve l’Exposition internationale des arts et techniques à Paris sur- (ci-contre, le plan masse de cette plombe la Seine de toute la force de ses pilotis. En 1968, manifestation). Cette initiative an- il réalise à Annecy le Centre nautique des Marquisats, un nonce celle de l’Exposition uni- édifice bas étirant sa façade face au lac, rythmé par sa verselle de 1900 à Paris alors structure en béton simplement remplie de vitrages et de que pour les deux Expositions murs revêtus de grès cérame, ponctué par le débord d'un universelles précédentes, celles balcon et le claustra de l'entrée principale. de 1867 et de 1889, la capitale française avait préféré le Champ de Mars. ┐ Plan masse de l’Exposition nationale suisse, 1896, Genève L'Exposition de 1939 STRATÉGIES D’APPROCHES Adolf Loos signe sur les bords du Lé- Maurice Braillard joue avec les man la première de ses villas, imma- formes géométriques deux décen- culée, prestigieuse et savante, pour le nies plus tard et répartit les pièces docteur viennois Theodor Beer. Sous selon un plan en équerre afin de mul- une enveloppe altière et à travers des tiplier les angles de vues sur le Léman. percements qui paraissent réguliers, ┐ Villa Karma, Montreux (Canton de Vaud, il étire certaines vues, cadre le lac Suisse), Adolf Loos, 1901-1906, puis en plans serrés, établit une distance Hugo Ehrlich, 1916 ┐ Villa Les Saules ou villa Gallay, Collonge- entre l’espace intérieur feutré et le Bellerive (Canton de Genève, Suisse), paysage puissant. Maurice Braillard, 1933 Abordée selon plusieurs principes, les Bains, ouvrant largement leur ┐ Vue cavalière de la partie "Landi" la relation à l’eau devient un façade en sa direction comme les de l’Exposition nationale suisse, 1939, Zurich thème explicite pour l’architecture pavillons de La Poste suisse et de ┐ Pavillon de l'Aluminium s'ouvrant à Zurich en 1939. l’Aluminium aux façades ample- généreusement sur une perspective L’eau et les berges se contemplent ment vitrées et aux accès surélevés. du lac, Zurich, 1939 désormais selon un point de vue élevé et mobile avec le téléphé- rique inauguré pour la manifes- tation afin de relier les deux sites de l’exposition (le Landi et le Zu- richhorn). Ce regard panoramique modifie la perception de la relation du bâti au lac en lui conférant la dimension d’un spectacle à part entière, plus étroitement lié à l’eau que la vue sur le Léman offerte depuis le téléphérique du Salève. Les activités et les pavillons s’ap- prochent du rivage comme celui de l’Alimentation, le dépassant timide- ment comme celui du trafic routier, de la navigation et de l’aviation, s’y installant selon une disposition fréquente sur les lacs suisses pour journal_v10.indd 8 07/06/2018 12:16
O SITIONS NATIONALES SUISSES HABITER LE THIOU L'Exposition de 1964 Déversoir du lac d’Annecy traversant cette ville puis Cran-Gevrier, le Thiou offre à l’architecture l'opportunité de côtoyer des eaux calmes À Lausanne en 1964, les surfaces quête permanente de légèreté et de des sept plus grandes tentes de (La Manufacture, Annecy, Kasper et Tourvieille, 1976-1978), de tu- toyer l’histoire industrielle (Salle Pierre Lamy, Annecy, Philippe Guyard, nécessaires à l'Exposition natio- transparence. l’Exposition nationale suisse de 2007, puis le quartier Chorus, Cran-Gevrier), ou de se confronter aux nale sont gagnées sur le Léman. Et Architectes et ingénieurs colla- Lausane (25 m par 25 m), celles chutes d’eau (Terre Neuve, Les Passerelles, Cran-Gevrier, AER, 2017). l’espace majeur de la manifestation borent pour parvenir à réduire le de la section "Neiges et Rocs" en termes de fréquentation, le Port volume et le poids de la matière (Alpes et Préalpes). Cette quête les (secteur 7), déploie ses grandes employée pour construire. conduira à s’affranchir des voiles voiles colorées le long des estacades et des coques minces de béton. Ils qui s’avancent dans le lac. Leur se tournent alors vers les matières image festive est en harmonie avec plastiques et la fabrication en usine leur fonction puisqu’elles signalent de panneaux qui n’ont plus qu’à et protègent les différents restaurants être assemblés sur le site, comme VIVRE SUR UNE DARSE où une partie des dix millions ceux du Pavillon des Échanges de et demi de visiteurs feront halte. cette même exposition. Elles sont également à vocation Autre signe d'anticipation, plus informative, puisqu’elles réunissent que le restaurant "Le Lacustre" la présentation des trois grands franchissant la berge pour secteurs du tourisme en Suisse. mieux s’avancer sur le lac, le Ces ponctuations dynamiques et monorail passant sur le Léman colorées transmettent un élan de Cette démarche s’illustre dans la annonce la prise de possession légèreté et de vitalité joyeuse à couverture mobile en textile du des eaux qui sera au cœur de l’ensemble de l’Exposition. Ces stade olympique de Montréal signé l’Exposition nationale suisse du grandes voiles sont naturellement par l’architecte Roger Taillibert qui début du XXe siècle, l’Expo 02. en osmose avec la thématique conçoit également sur ce même du lac qu’exploite également le principe une piscine à Paris et à ┐ "Secteur du Port" regroupant designer et graphiste Gérard Ifert Lyon. Elle constitue le fil directeur les restaurants et le tourisme suisse, Lausanne, 1964 qui fait glisser sur des barques les des recherches conduites par ┐ Étude de l’une des voiles du "Secteur drapeaux des nations réunis en l’ingénieur allemand Frei Otto du Port", Lausanne, 1964 une flottille vivante. Mais elles sont qui signera le stade olympique ┐ Les voiles du "Secteur du Port" essentiellement en harmonie avec de Munich quelques années protégeant les restaurants établis sur l’esprit architectural de l’époque en après avoir participé à l’étude les berges du Léman, Lausanne, 1964 Caractérisée par la traversée de collectifs aux dimensions d’une mé- la Saône et le Rhône, Lyon re- tropole régionale. prend ce trait identitaire pour ré- ┐ Avenue de l’Europe, proposition pour nover sa "Presqu’île" rebaptisée Confluences, Bissuel, Chamussy et "Confluences". Le long de darses Lambert, 1989 creusées dans les espaces libérés, ┐ Lyon Confluences (îlot B, Lyon Islands), s’agrègent des immeubles d’habita- logements, Fuksas, Amantea, Vergely, tion ou s’alignent des équipements HTVS, 2007-2010 journal_v10.indd 9 07/06/2018 12:16
LES VUES SOPHISTIQUÉES de PIERRE MINASSIAN La relation à l’espace lacustre constitue le thème structurant festif et poé- tique des luxueuses maisons individuelles que signe Pierre Minassian. Et ceci qu’elles s’érigent sur les rivages de la Méditerranée, sur les berges du Léman, sur les hauteurs du lac d’Annecy ou en lisière d’un étang secret de la région lyonnaise. De l’arrivée sur le site, offrant une transparence sur le lac à travers le bâti, aux espaces intérieurs panoramiques, tout concourt à installer la vie quotidienne dans une relation fusionnelle à l’eau. Votre site Web présente exclusivement des demeures luxueuses édifiées dans les Alpes, le Lyonnais et sur la Côte d’Azur qui présentent une rela- tion forte à l’espace maritime ou lacustre. Reflètent-elles votre activité ? Pierre Minassian : Ces projets sont réels. Si je réalise des maisons, c’est que j’ai décidé de me consacrer à ce type de construction. Mon père, qui était également architecte, refusait de telles commandes, chronophages et peu rémunératrices. Me spécialiser dans ce domaine supposait donc que je me concentre sur des maisons d’exception. Ceci me permet d’établir une rela- Mes clients ┐ Villa sur le Léman, Thonon-les-Bains, 2015 tion longue avec mes clients, de réaliser effectivement ce qui a été dessiné désirent vivre et convenu jusque dans le moindre détail. Pour cela, je dépose de multiples brevets et suit très attentivement les chantiers, d’autant que ces derniers consti- une relation tuent pour moi un ultime espace-temps de finalisation de ma démarche. à l’eau sans savoir à priori en préciser les composantes ┐ Black Monk House, projet de villa, Thonon-les-Bains, 2017 ┐ Black Monk House, projet de villa, Thonon-les-Bains, 2017 orientée vers la terre. C’était le cas du projet initialement établi par l’un de mes confrères. La maison se constituait en écran total posé sur une terrasse existante. Mais casser cette barre, retourner son niveau supérieur à l’équerre n’était pas suffisant. Intensifier la relation au lac a nécessité de reprofiler délicatement la pente du terrain et pour cela de démolir les terrasses existantes, d’intervenir également sur la berge et sur un ancien appontement. Je procède toujours ainsi. À l’architecture, vous associez donc une intervention relevant d’une ap- proche de type landscaping remodelant la relation à l’eau ? PM : Je vise à insérer la construction de sorte qu’elle semble être présente de longue date dans le site, au-delà donc de son expression contemporaine. Pour y parvenir, je redessine très finement une berge, modifie un profil de terrain, re- creuse un étang, rapporte des végétaux qui semblent cependant avoir toujours appartenu au lieu… En cela, je reste fidèle à l’enseignement que j’ai reçu à Liverpool qui privilégiait le travail sur le paysage, effectivement entendu comme ┐ Villa sur le Léman, Thonon-les-Bains, 2015 Landscape. Ceci étant, implanter un volume dans la nature peut conduire à créer une opposition dommageable. La couleur noire permet de fusionner avec La puissance de la relation que ces maisons établissent avec l’eau est-elle elle, comme je le fais pour la Black Monk House qui se positionne sur la pre- explicitement souhaitée par vos clients ? mière crête des collines dominant le Léman, tandis que la création d’un motif, PM : S’ils ont acquis un terrain en bord de lac, ou si nous cherchons ensemble telles les vaguelettes à Thonon-les-Bains, permet d’uniformiser les volumes et les un tel terrain, c’est effectivement parce qu’ils ont choisi de vivre une relation perspectives et donc de diminuer l’impact visuel de la construction. avec l’eau. Mais, ils ne savent pas de quelle nature exacte elle sera. C’est bien pour cela qu’ils recherchent, à travers des images de projets et de réalisations, Comme les images de synthèse présentant vos maisons en projets, sur votre l’architecte avec lequel leurs attentes inconscientes prendront forme. Ils ne me site, les vues que vous créez semblent régies par une science du cadrage demandent donc jamais de focaliser la maison sur telle ou telle perspective, de Intensifier appliquée avec une extrême rigueur. créer là un plan rapproché, ici un cadrage panoramique. Tout commence entre la relation à PM : Les images de synthèse des années 2018 ne peuvent plus être celles des nous par une balade libre sur le site, suffisamment longue pour que je décode années 2000 car nous avons des outils puissants et nous savons les utiliser les lignes de forces du terrain, ses points forts, ses végétaux, ses potentialités… l’espace lacustre pour aller au plus près de ce que nous souhaitons réaliser. À cela s’ajoute mon et que je leur transmette en direct cette analyse. C’est le premier moment clé suppose de intérêt personnel pour la photographie qui dicte des angles très précis et donc d’un éventuel parcours commun car, à la fin de ce temps d’échange, nous sa- détermine des points de vue très cadrés sur l’environnement lacustre. De tels vons l’un et l’autre si nous nous entendrons ou pas. Je n’ai donc pas besoin que concevoir un outils permettent de visualiser et de finaliser ce que seront l’espace, les vues, les l’on me transmette des images de références, des listes détaillées de besoins, dispositif spatial relations à l’environnement végétal et lacustre. Ils constituent le point de départ des éléments de programme. de l’intensification de la relation que mes maisons établissent avec les lacs. mais aussi de ┐ J House, projet de résidence au bord d’un étang, 2018 Les transparences que vous ménagez dans le volume global des maisons remodeler le site laissent percevoir l’eau dès l’entrée sur la parcelle. Construisez-vous une véritable stratégie de découverte de la relation de la maison à l’espace lacustre à travers ses volumes ? PM : Je conçois l’architecture comme un parcours offrant des découvertes, des surprises, des émotions.… Ainsi, la porte d’entrée de la villa que j’ai réalisée à Thonon-les-Bains constitue un point particulièrement bas, un sas contraint du fait du léger encastrement de la maison dans le terrain. Mais elle donne accès à la pleine hauteur du séjour, volume creux impressionnant qui articule les deux ailes de la maison. Il n’est intellectuellement plus possible d’établir une masse ayant une façade avant ouverte sur l’eau et une façade arrière entièrement Crédit photographique : ┐ Philharmonie © Thies Rätzke ┐Exposition internationale, Paris 1937 © Chipault ┐Le Front de Seine © Dessin Tanguy Remur, CAPA / MMF ┐Étude des bords de la Gironde © Didier Ghislain-Dominique Perrault architecture/ ADAGP, Paris 2018 ┐ Rénovation urbaine de l'île Seguin © Equipe DPA-Daniel Buren Dominique Perrault architecture/ADAGP, Paris 2018 ┐Palais du bois, Exposition internationale de Paris, 1937 © Dominique Delaunay ┐Centre nautique des Marquisats © CAUE 74 / Anthony Denizard ┐Villa Karma @ Luxury Places SA ┐Villa Les Saules ou villa Gallay © Jean-Jacques Kissling / jjkphoto.ch ┐Genève1896, Plan masse de l’Exposition nationale © Biblio- thèque de Genève ┐ Zurich 1939, Vue cavalière de la partie "Landi" de l’Exposition nationale © Archives privées Pierre-Emile Epiney D.R. ┐Lausanne, 1964, "Secteur du Port" © Coll. du Musée Historique de Lausanne, tous réservés ┐Lausanne, 1964, étude de l’une des voiles du "Secteur du Port" © Archives de la construction moderne-EPFL, Fonds Marc-Joseph Saugey ┐Lausanne, 1964, les voiles du "Secteur du Port" © Wyden Henry, Coll. du Musée historique de Lausanne, tous droits réservés ┐ La Manufacture © CAUE 74 / Anthony Denizard ┐La salle Pierre Lamy © CAUE 74 / Anthony Denizard ┐ Terre Neuve, Les Passerelles © CAUE 74 / Anthony Denizard ┐ Quartier Chorus © CAUE 74 / Béatrice Cafiéri ┐Avenue de l’Europe, proposition pour Confluences © Fonds Charles Lambert. SIAF/Cité de l’Architecture et du Patrimoine/Archives d’architecture du XXe siècle ┐Lyon Confluences (îlot B, Lyon Islands) © Philippe Ruault ┐Black-Monk House et J House © Pierre Minassian AUM Architectes urbanistes ┐Villa sur le Léman © Studio Erick Saillet. DR : nous avons recherché en vain les héritiers ou éditeurs de certains documents, ils peuvent se signaler au Caue 74. journal_v10.indd 10 07/06/2018 12:16
Vous pouvez aussi lire