ET AMÉNAGEMENT DE LA BIÈVRE DANS PARIS
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INSTITUT D'AMENAGEMENT ET D'URBANISME DE LA REGION D'ILE-DE-FRANCE RESTAURATION ET AMÉNAGEMENT DE LA BIÈVRE DANS PARIS 2003 JUIN
Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris Document et projet réalisés par Pierre-Marie TRICAUD, ingénieur agronome INAPG, architecte-paysagiste DPLG avec la contribution de : Fabienne PERBOST, stagiaire de l’Ecole d’Ingénieurs de la Ville de Paris, pour la recherche historique et le calage du profil Sylvie CASTANO, infographiste, pour la maquette et la cartographie François DUGENY, architecte DPLG, urbaniste, directeur général adjoint de l’IAURIF, pour les croquis et la participation au projet, Véronique KARGERMAN, architecte DPLG, pour les reportages photographiques et la participation au projet Françoise GUYON, urbaniste à l’IAURIF, pour la participation à la problématique et aux principes généraux INSTITUT D’AMENAGEMENT ET D’URBANISME DE LA REGION D’ILE-DE-FRANCE 15, rue Falguière. 75740 Paris Cedex 15. Tél. +33 1 53 85 77 40. Télécopie + 33 1 53 85 76 02 1.00.007
Sommaire Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 1 Quelle restauration pour quelle Bièvre ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 3 Rivière naturelle ou rivière vivante ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 5 Rivière historique ou rivière authentique ? . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 9 Une nouvelle Bièvre dans Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 17 Une vraie rivière, continue et gravitaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 19 Un projet à long terme, qui commence aujourd'hui . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 21 Rivière de parc, rivière encaissée, rivière souterraine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 24 Un parc-promenade pour le XXIe siècle . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 29 Un modèle de génie écologique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 31 Une identité visible pour la Bièvre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 33 La nouvelle Bièvre, du périphérique à la Seine . . . . . . . . . . . . . . . p. 39 Parc Kellermann et poterne des Peupliers : une mise en scène de l'entrée dans Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 40 Ancienne gare place de Rungis : un jardin intérieur en contrebas . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 44 Rues Brillat-Savarin et Wurtz : une rivière souterraine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 48 Square entre rues de la Glacière et Vergniaud : un jardin creux autour d'un canal . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 52 Boulevard Auguste-Blanqui : une fosse sous le métro aérien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 54 Square René-Le-Gall : deux bras dans une composition géométrique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 58 Rue Berbier-du-Mets : la Bièvre historique restituée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 62 Rue Pascal : un canal dans la rue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 64 Rue Censier : une petite rivière urbaine . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 66 Annexes du Muséum : un morceau de campagne au cœur de Paris . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 70 Jardin des Plantes : un canal transversal, des fosses pour la ménagerie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 74 Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . p. 79 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
Introduction La Bièvre est le seul affluent parisien de la tion et la mise en valeur de la partie amont, Seine. Son bassin versant s'étend sur environ réalisée pour l'Agence des Espaces Verts de la 2000 hectares et concerne directement plus Région, La Vallée de la Bièvre, publiée en de 750 000 habitants. Sa vallée, bien mar- 2002 ; et en 2000, l'IAURIF a proposé de réali- quée sur la plus grande partie de son cours, ser une étude permettant de fournir aux va de la ville nouvelle de Saint-Quentin-en- acteurs de la réouverture à Paris des idées Yvelines au cœur de Paris, d'abord rurale entre concrètes d'aménagement, avec de nombreu- des versants boisés, puis entièrement urbani- ses visualisations - une démarche similaire à sée à travers la banlieue sud. celle qu'il avait entreprise dans les années 1980 avec Le Verdissement de la banlieue, La Région d'Île-de-France agit pour faire reviv- concrétisé ensuite par plusieurs Plans verts re cette rivière, en collaboration avec les col- communaux. Ce travail sur la Bièvre urbaine se lectivités locales traversées, les différents compose de deux volets : gestionnaires de l'eau et de l'aménagement : - Un atlas historique du tracé de la Bièvre la Ville de Paris, 4 autres départements, dans Paris, comprenant des plans et profils 49 autres communes, des syndicats impor- en long précis de l'ancien tracé sur la base tants tels que le SIAAP et le SIAVB. Avec ces de documents du début du XXe siècle. Cette partenaires, elle a fondé en juin 2000 l'asso- base indispensable à tout projet n'existait ciation Bièvre rivière d'Île-de-France. pas encore de façon synthétique, car la configuration est beaucoup plus complexe Mais si la partie amont a conservé son carac- qu'en banlieue. tère rural, aujourd'hui protégé par un classe- - Une présentation des principes d'aménage- ment de site, la Bièvre a disparu de la partie ment pour le tracé de la Bièvre dans l'agglo- urbanisée : l'égout à ciel ouvert qu'elle était mération parisienne, qui constitue le présent devenue au XIXe siècle a été transformé en document. égout véritable. En banlieue, elle coule sous des dalles de béton, installées au cours de la Celui-ci cadre d'abord la problématique et les première moitié du XXe siècle. A Paris, son lit enjeux d'un projet de renaissance de rivière lui-même a disparu presque partout entre la fin urbaine (Quelle restauration pour quelle du XIXe et le début du XXe ; ses eaux ont été Bièvre ?) ; il propose ensuite des principes conduites dans le grand collecteur de la rive généraux basés sur les conclusions de cette gauche, puis dans des déversoirs qui les rejet- problématique, appliqués à la Bièvre dans l'ag- tent en Seine avant même d'entrer dans Paris. glomération parisienne, mais valables pour beaucoup de restaurations de rivières urbaines La renaissance de la Bièvre, de la source au (Une nouvelle Bièvre dans Paris) ; enfin, il confluent, est donc un projet d'envergure décrit des aménagements locaux dans Paris régionale, mettant en jeu de nombreux parte- qui déclinent ces principes généraux (La nou- naires et posant des problématiques très velle Bièvre, du Périphérique à la Seine). Ces contrastées : préservation à l'amont, réouver- aménagements locaux comprennent la réou- ture en banlieue, restauration à Paris. verture de la rivière ou la possibilité de suivre son cours, son insertion dans le tissu urbain et De son côté, la Ville de Paris a identifié trois la valorisation des espaces de circulation ou sites possibles de réouverture sur son territoi- verts, publics ou privés, à ses abords. re et proposé un système hydraulique permet- tant d'utiliser une partie de l'eau de la Bièvre. Dans ce contexte, l'Institut d'Aménagement et d'Urbanisme de la Région d'Île-de-France a préparé plusieurs documents : une étude sur l'ensemble de la vallée, Bièvre, rivière d'Île-de- France, en 1999 ; une étude sur la préserva- IAURIF Aménagement du tracé de la Bièvre dans l’agglomération parisienne 1
Quelle restauration pour quelle Bièvre ? Problématique et fondements théoriques du projet Tu ne peux descendre deux fois dans le même fleuve ; car de nouvelles eaux coulent toujours sur toi. Héraclite d’Éphèse (v. 550-480 av. J.-C.) Les projets de renaissance de la Bièvre La restitution et la reconstitution appartiennent répondent à une forte demande, exprimée par principalement au domaine de l’archéologie et de nombreux habitants et relayée par des s’appliquent à une recherche plutôt qu’à un associations importantes. Il n’y a certes projet : la restitution est un document qui aujourd’hui quasiment plus personne qui ait donne d’un objet disparu ou altéré l’état réel connu la Bièvre coulant à ciel ouvert. Mais elle d’origine, à partir de sources sûres, tandis que imprègne encore la mémoire collective des la reconstitution est un document conjectural. communes et des quartiers qu’elle baignait. Et avec le recul, elle n’apparaît plus comme «la La reconstruction est quant à elle un acte opé- mégissière piétinant dans sa boue» qu’é- rationnel, qui vise à redonner existence à un voque Huysmans, celle qu’on a voulu couvrir objet réel. Elle s’applique à ce qui a été cons- pour la salubrité publique, mais comme «la fille truit, puis détruit, donc à un bâtiment, un de la campagne», cachée sous la ville d’au- ouvrage, une ville, plus qu’à un jardin, une jourd’hui, à qui l’on espère rendre «ses vête- rivière ou tout autre paysage. Elle peut être du ments d’herbes et ses parures d’arbres». côté de la restitution si elle est basée sur des L’amélioration considérable de la qualité de sources sûres, et du côté de la reconstitution son eau, qui se poursuit, renforce cette si elle est conjecturale. vision ; la demande plus large de faire resurgir en ville la nature qu’elle a effacée va dans le Le terme de restauration est le plus complexe. même sens ; tout concourt à cette demande La restauration vise à redonner à un objet sa de faire à nouveau couler la Bièvre dans l’ag- qualité, son essence, son esprit d’origine, glomération parisienne. quand la reconstruction, plus littérale, échoue à le rendre, voire est impossible. Il s’applique Mais quelle Bièvre faire revivre ? Peut-on d’abord aux œuvres d’art, mais peut s’étendre recréer la nature ? Qu’est-ce qui autorisera à à tout objet auquel on donne du sens, que ce dire que c’est à nouveau la Bièvre qui coule ? soit celui du message transmis par l’artiste ou Comme l’exprime le fameux fragment celui conféré par la valeur de mémoire. On d’Héraclite, le cours d’eau a toujours été le peut donc parler de restauration d’un paysage. symbole même de ce qui passe tout en sem- Le concept de restauration a fait l’objet de blant être ce qu’il y a de plus stable. C’est dire théories très développées, notamment en la gageure que représente la restauration d’un Italie(1), qui sont la base de nombreuses pra- cours d’eau disparu. tiques contemporaines et de plusieurs recom- mandations internationales. Retour aux sources Réhabilitation et reconquête sont largement et autres termes en «re» employés à propos d’urbanisme et de paysage, mais dans un sens figuré : à l’origine, Dès qu’on envisage un projet sur un objet disparu, apparaissent tous les termes en «re» : retour à l’origine, restitution, reconstitution, 1- Citons notamment, dans le domaine des œuvres d’art en reconstruction, restauration, réhabilitation, général, la Théorie de la restauration, de Cesare Brandi, dans «renaturalisation», réouverture, renaissance, celui de l’architecture (y compris celle des jardins), les travaux reconquête... Certains de ces termes, qui de Renato Bonnelli, dans celui de l’urbanisme, ceux de Gustavo Giovannoni (L’Urbanisme face aux villes anciennes), paraissent synonymes, appartiennent à des Roberto Pane, Saverio Muratori (cf. bibliographie). Mais il faut champs différents ou présentent des nuances noter que dans le domaine de l’urbanisme, ces théories portent plus sur l’articulation entre le neuf et l’ancien que sur la restau- importantes, qui peuvent correspondre à des ration proprement dite, et plus sur le bâti et l’espace public de attitudes opposées. la ville que sur ses éléments naturels. IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris 3
réhabiliter quelqu’un, c’est lui rendre des droits couverture, et même avant d’être devenue un dont il a été dépossédé, et reconquérir égout à ciel ouvert : préservation, remise à quelque chose, c’est reprendre par la lutte un jour, mise en valeur des traces encore présen- bien dont on a été dépossédé. tes (moulins, ponceaux, quais, etc.), recons- truction d’ouvrages disparus, etc. Dans le cas d’un milieu qui fut naturel (tel qu’une rivière) et qui a été profondément altéré La suite de ce chapitre analyse ces deux par l’action de l’homme, on utilise aujourd’hui demandes, en essayant de faire apparaître les le néologisme de «renaturalisation» quand il limites d’une demande tournée vers le passé s’agit de créer un nouvel état ressemblant (une rivière naturelle, une rivière historique) et davantage à ce qu’on peut trouver dans la de montrer qu’on peut mieux répondre à la nature, sans que ce soit nécessairement l’état demande implicite en se tournant vers l’avenir : d’origine. une rivière vivante, une rivière authentique. Pour une rivière qui a été couverte, la réouver- Les pages qui suivent ne prétendent pas ture est un strict retour à l’état d’origine - ou au à une démonstration rigoureuse ni moins s’en rapproche. Comme la reconstruc- dénuée de subjectivité. Elles tentent de tion, elle s’apparente à la restitution si l’état d’o- cerner la problématique particulière que rigine est connu de façon sûre, à la soulève la restauration d’un cours d’eau reconstitution dans le cas contraire. Pour la et proposent quelques critères provisoi- Bièvre, la simple réouverture sera difficile, non res pour évaluer la conformité des projets par méconnaissance de l’état d’origine de la aux objectifs de la demande sociale, rivière, mais à cause des changements surve- exprimée ou implicite. nus depuis dans son environnement. Elle sera même impossible là où le lit a disparu sous une épaisse couche de remblais. C’est pourquoi plusieurs projets pour la Bièvre préfèrent parler de renaissance, pour dire que la Bièvre existe- ra à nouveau, sans pour autant être identique à ce qu’elle était avant sa couverture. Renaissance et restauration ont des sens voisins. Comme la restauration, la renaissance dépasse souvent le retour aux sources pour s’ouvrir sur une création nouvelle. (Ce fut le cas de la période de historique ainsi nommée.) Nous préférons employer ici le terme de res- tauration, car il fait référence à un corpus théo- rique plus élaboré, dont on pourra tirer des principes pour l’action. Mais il faut souligner que c’est à la même demande, formulée au départ en termes de renaissance et interprétée ici à la lumière des théories de la restauration, que ces principes d’action visent à répondre. Nature et histoire La demande de renaissance de la Bièvre s’ex- prime dans deux grands domaines : la Nature et l’Histoire. La demande de retour à la Nature est celle de recréer dans un milieu urbain des milieux natu- rels, parmi lesquels une rivière est l’un des plus riches et des plus emblématiques. La demande de retour à l’Histoire est celle de faire apparaître ce qu’a été la Bièvre avant sa 4 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
Rivière naturelle ou rivière vivante ? Le mouvement en faveur de la réouverture ou de la Bièvre, si l’on s’en tenait à la définition de la renaissance de la Bièvre, de la «renatura- première, il ne pourrait rien y avoir de naturel, lisation» des rivières urbaines, s’inscrit dans une puisque une rivière coulant à nouveau dans demande plus générale de nature en ville. Mais Paris sera entièrement une réalisation qu’est-ce que la nature ? Un milieu naturel et humaine. On parlera donc de naturel dans le un milieu vivant sont-ils la même chose ? sens dérivé, celui de milieux proches de ceux qu’on rencontre dans la nature. Il ne faut pas oublier non plus que le caractère naturel et le Qu’est-ce qui est naturel ? caractère vivant doivent s’apprécier en valeur Qu’est-ce qui est vivant ? relative. On ne peut éluder le problème en disant qu’en ville comme à la campagne, rien Les qualificatifs de naturel et de vivant sont n’est naturel : il s’agit de savoir ce qui est plus communément confondus : la nature est asso- naturel et ce qui l’est moins. ciée, surtout en ville, aux arbres, aux jardins, aux oiseaux, à l’eau - mais celle où vivent les Le caractère vivant d’un milieu, défini ci- poissons, pas celle qui coule dans les cani- dessus comme la richesse en espèces, peut veaux. Or le qualificatif qui convient quand on lui-même s’apprécier de plusieurs façons : par parle ainsi de milieux riches en espèces vivan- la biodiversité (richesse en nombre), ou par la tes est simplement celui de vivant. Le sens ori- présence d’espèces rares (richesse en valeur, ginel de naturel est différent : il signifie «non (ou donnée par la rareté). Et ces deux indicateurs peu) soumis à l’influence humaine», et s’oppo- de richesse biologique ne sont pas, eux non se à artificiel. Sont donc tout aussi naturels le plus, forcément liés : l’exemple des rivières soleil, le vent, la pluie, le sous-sol, les cata- karstiques montre aussi un nombre réduit strophes naturelles - même si l’homme en d’espèces, mais rares (car adaptées à un aggrave l’ampleur ou les conséquences. milieu très particulier). Il s’agit donc de deux notions distinctes, corré- Si le caractère naturel et le caractère vivant ne lées sur le long terme, mais pas toujours à sont pas la même chose, lequel privilégier ? La court terme. Sur une longue période, l’évolu- demande sociale de «nature» nous semble tion naturelle va dans le sens du développe- fondamentalement être celle d’un cadre plus ment de la vie, qui, réciproquement, est pour vivant, d’une richesse biologique. Et si l’on l’essentiel un processus naturel, quelle qu’y décide de privilégier le caractère vivant, doit-on soit l’intervention de l’homme. Mais à une pour cela privilégier la biodiversité ou la pré- échelle de temps brève, l’homme sait recons- sence d’espèces rares ? Entre ces deux indi- tituer un milieu vivant (c’est bien l’objectif des cateurs de richesse biologique, le choix est «renaturalisations» de rivières) ; et à l’inverse, encore plus aisé : la biodiversité est le plus une catastrophe naturelle (éruption, glissement recherché, car le plus directement perceptible de terrain, inondation, tempête, incendie) peut par le public, et en général corrélé avec une détruire de nombreuses espèces vivantes ; qualité paysagère ; la présence d’espèces autre exemple, une rivière souterraine, de rares n’est perceptible que par les spécialis- faible biodiversité, peut être tout à fait naturelle tes, elle est plus difficile à obtenir et est d’un (en milieu karstique). intérêt secondaire en milieu urbain. Le caractère naturel d’un milieu est défini ci- La section suivante examine quels facteurs dessus comme d’autant plus élevé que ce font qu’une rivière est plus ou moins naturelle milieu est moins soumis à l’influence humaine. d’une part, plus ou moins vivante d’autre part, On peut élargir un peu cette définition, toujours afin de voir jusqu’où ces deux caractères sont sans la confondre avec la notion de vivant, en corrélés, et quels modalités peuvent être pro- l’étendant aux milieux reconstitués par posées pour une rivière la plus vivante possi- l’homme à la ressemblance de milieux vrai- ble (et la plus naturelle dans la mesure où cela ment naturels. Dans le cas de la renaissance ira dans le même sens). IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris 5
Qu’est-ce qui fait d’intervention humaine, cf. 2e colonne), et du qu’une rivière est naturelle ? plus au moins vivant (3e colonne, en prenant la biodiversité comme indicateur principal et en Qu’est-ce qui fait tenant compte, le cas échéant, de la présen- qu’elle est vivante ? ce d’espèces rares). Une modulation un peu plus fine du classement est introduite, qui Si l’on recherche une rivière qui soit d’une part reste toutefois qualitative, en indiquant si le aussi ressemblante que possible à une rivière caractère (naturel ou artificiel, vivant ou inerte) naturelle et d’autre part riche en biodiversité, il est très ou moins marqué. Cette modulation faut étudier les facteurs qui favorisent l’un et est marquée par le signe «+ +», le signe «+» ou l’autre de ces caractères. Les principaux de la mention «intermédiaire» ; elle est soulignée ces facteurs sont : par la couleur (vert pour le plus naturel ou le plus vivant, rouge pour le plus artificiel ou le 1 - Variation latérale du lit ; plus inerte, jaune pour la situation moyenne, 2 - Variation verticale du lit vert olive ou orangé pour les tendances plus (hauteur, le plus souvent liée au débit) ; atténuées). 3 - Écoulement ; 4 - Ouverture ou couverture. Les différentes modalités prises par ces fac- teurs peuvent être évaluées pour une section Ces facteurs peuvent prendre les modalités homogène donnée ou pour l’ensemble de la suivantes : rivière. Pour un même facteur, la rivière sera 1 - Variation latérale du lit ; évidemment d’autant plus naturelle ou vivante 1.1 - Divagation ; dans son ensemble que les sections les moins 1.2 - Lit fixe (entre des levées ou des naturelles ou les moins vivantes seront plus berges perméables, en relation avec une courtes. Ainsi, des sections couvertes courtes nappe) ; ne modifient guère la biodiversité, mais si elles 1.3 - Lit canalisé (entre des perrés ou sont longues, elles diminuent l’oxygénation, des quais, de matériaux relativement donc la biodiversité. imperméables, cas général des rivières urbaines). Bien qu’ils n’aient qu’une valeur qualitative, ces 2 - Variation verticale du lit (débit et hauteur) : tableaux indiquent des tendances : ils mont- 2.1 - Débit et hauteur très variables rent que pour les facteurs étudiés, le caractè- (crues, étiages) ; re naturel et le caractère vivant d’une rivière 2.2 - Débit et hauteur variables maîtri- vont, comme on peut s’y attendre, globale- sés ; ment dans le même sens – si du moins on 2.3 - Débit et hauteur constants en étend la définition du naturel aux milieux descente ; reconstitués par l’homme à la ressemblance 2.4 - Débit et hauteur constants à l’ho- de milieux vraiment naturels. rizontale : biefs (entre barrages, écluses ou moulins(2)). L’intérêt de ces tableaux ne réside bien sûr pas 3 - Écoulement : dans cette constatation attendue. Il est de 3.1 - Écoulement gravitaire sans montrer, si l’on regarde de plus près, des chutes ; modalités très artificielles qui ne sont pas tota- 3.2 - Écoulement gravitaire avec lement inertes (1.3, lit canalisé, et 2.4, rivière chutes ; en biefs). Il semble donc un peu plus aisé de 3.3 - Siphon descendant ; réaliser une rivière vivante qu’une rivière natu- 3.4 - Siphon ascendant ; relle. Cela est particulièrement vrai dans un 3.5 - Relevage. environnement urbain, forcément assez artifi- 4 - Ouverture ou couverture : ciel, mais où l’on peut espérer introduire une 4.1 - Rivière à ciel ouvert ; certaine biodiversité. 4.2 - Rivière encaissée ; 4.3 - Rivière couverte à pression atmosphérique ; 4.4 - Rivière couverte en charge. 2 - Le mot bief est pris dans ce chapitre au sens propre. Mais Les tableaux suivants classent, pour chacun dans le cas de la Bièvre, entièrement canalisée en plusieurs de ces quatre facteurs, ses modalités dans biefs avec vannes et déversoirs au cours du XIXe siècle (3 biefs pour la Bièvre Morte, 3 pour la Vive, 2 pour la section commu- l’ordre du plus au moins naturel (c’est-à-dire, ne aval, cf. Mémoire, 1902, p. 10), il a fini par désigner les der- ici, du plus au moins fréquent en l’absence nières sections à l’air libre au début du XXe siècle. 6 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
Facteurs influant sur le caractère naturel et sur le caractère vivant 1 - Variation latérale du lit Modalité Du + naturel Du + vivant (richesse en espèces) Gradation (fréquent dans la nature) au + inerte des couleurs au + artificiel Du plus naturel 1. Divagation + naturel + + vivant (milieux très variés, ou du plus vivant… notamment zones humides) 2. Lit fixe (levées, berges...) intermédiaire intermédiaire 3. Lit canalisé (perrés, quais...) + artificiel + inerte (peut cependant abriter une vie aquatique importante) 2 - Variation verticale du lit (débit et hauteur) Modalité Du + naturel Du + vivant (richesse en espèces) …au plus artificiel ou au plus inerte (fréquent dans la nature) au + inerte au + artificiel 1. Débit et hauteur + naturel + vivant (mais des crues et étiages très variables (crues, étiages...) particulièrement forts peuvent diminuer la biodiversité) 2. Débit et hauteur intermédiaire + vivant variables maîtrisés 3. Débit et hauteur + artificiel intermédiaire constants en descente 4. Débit et hauteur + + artificiel + inerte constants à l’horizontale (biefs) 3 - Écoulement Modalité Du + naturel Du + vivant (richesse en espèces) (fréquent dans la nature) au + inerte au + artificiel 1. Gravitaire sans chutes + + naturel (le + fréquent) + + vivant (continuité biologique) 2. Gravitaire avec chutes + naturel + vivant (remontée cependant difficile de certaines espèces) 3. Siphon descendant intermédiaire + inerte (manque d’oxygène) (peut se rencontrer en milieu karstique) 4. Siphon ascendant + artificiel (se rencontre rarement + inerte (manque d’oxygène) dans la nature, car nécessite une étanchéité parfaite pour ne pas se désamorcer) 5. Relevage + + artificiel + inerte (franchissement très difficile par les espèces macroscopiques) 4 - Ouverture ou couverture Modalité Du + naturel Du + vivant (richesse en espèces) (fréquent dans la nature) au + inerte au + artificiel 1. À ciel ouvert + + naturel (le + fréquent) + + vivant (lumière, oxygène) 2. Encaissée + naturel (gorges, canyons) + vivant (espèces moins nombreuses, mais certaines rares) 3. Couverte à pression intermédiaire (grottes, mais plus intermédiaire (faible biodiversité atmosphérique souvent origine artificielle) mais espèces rares dans les grottes) 4. Couverte en charge + artificielle (sauf siphons naturels) + inerte (manque d’oxygène) IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris 7
Quelles caractéristiques ce qui est tout à fait compatible avec l’encais- réalisables peut-on proposer sement rendu nécessaire par le respect de l’é- pour une rivière urbaine vivante ? coulement gravitaire (cf. § 3 ci-dessous) dans un terrain dont le niveau a été relevé. Une fois définis les différents facteurs de varia- tion et leurs modalités évaluées par rapport au 3 - Écoulement : caractère naturel ou vivant d’une rivière, il s’agit Un écoulement gravitaire de voir quelles modalités assurant le caractère le plus naturel et le plus vivant possible sont L’écoulement gravitaire (sans ou avec chutes), acceptables et réalisables. seule modalité existant dans la nature, est essentiel pour assurer la continuité biologique. Les quatre facteurs étudiés sont examinés ici Il peut impliquer des variations de niveau par successivement. La compatibilité entre les rapport à l’état ancien. Mais on a aujourd’hui modalités prises par les différents facteurs est plus de latitude sur le profil en long qu’à l’é- également envisagée : poque où l’assainissement nécessitait une - Les modalités les plus naturelles ou vivantes vitesse importante. Si l’eau est propre, la d’un facteur sont bien sûr compatibles avec vitesse n’est plus nécessaire. On peut donc les modalités les plus naturelles ou vivantes avoir une très faible pente. d’un autre facteur (divagation, hauteur très Il s’agit donc d’éviter au maximum d’avoir à variable, écoulement gravitaire, parcours à relever les eaux par pompage. Localement, on ciel ouvert) ; peut admettre un siphon descendant (un - De même, les modalités les moins naturelles siphon ascendant risquant de se désamorcer ou vivantes d’un facteur sont bien sûr com- s’il n’y a pas de pompage). patibles avec les modalités les moins natu- relles ou vivantes d’un autre facteur (lit 4 - Ouverture ou couverture : canalisé, débit et hauteur constants, écoule- Un parcours à ciel ouvert ment en siphon ou relevé, en charge) ; ou couvert sans pression - Les modalités intermédiaires d’un facteur sont compatibles avec les modalités inter- Il faut bien sûr privilégier la rivière à ciel ouvert, médiaires des autres facteurs ; mais dans la mesure où cela est compatible - Les incompatibilités se situent entre les avec l’écoulement gravitaire. Or dans le modalités extrêmes opposées : les plus contexte particulier de la Bièvre à Paris, avec naturelles ou vivantes pour un facteur avec un terrain dont le niveau a été relevé, une les moins naturelles ou vivantes pour un rivière qui coule partout à ciel ouvert non autre (p. ex. divagation incompatible avec encaissée nécessiterait soit d’énormes terras- couverture). sements, soit un relevage, modalité que l’on s’efforce d’écarter. On admettra donc un par- 1 - Variation latérale du lit : cours par endroits encaissé et par endroits Un lit fixe ou canalisé souterrain, dans une galerie suffisamment large pour que la rivière coule sous une lame Il n’est évidemment pas possible de laisser d’air. divaguer le lit. Dans les parcs, la rivière peut couler entre des berges fixes plantées (mais Modalités retenues dont elle peut déborder, cf. § 2 ci-dessous). et leur compatibilité En dehors des parcs, il s’agit d’une rivière urbaine, coulant entre des quais minéraux. En résumé, les modalités retenues pour une Cela n’empêche pas, au pied de ces quais, rivière la plus naturelle et la plus vivante possi- par endroits, des hauts fonds et des îlots per- ble, mais réalisable, sont : mettant l’installation d’une végétation et d’une - Un lit fixe ou canalisé ; vie animale variées, comme dans d’autres - Un débit et une hauteur variables maîtrisés ; petites rivières urbaines. - Un écoulement gravitaire (localement avec chutes si nécessaire) ; 2 - Variation verticale du lit : - Un parcours à ciel ouvert ou couvert sans Débit et hauteur variables maîtrisés pression. Ces modalités étant compatibles entre elles, On ne peut certes admettre de crues, ni même elles peuvent ensemble constituer les critères d’étiages trop bas. On peut cependant admet- pour la réalisation d’une Bièvre aussi naturelle tre un débit et une hauteur variables maîtrisés et vivante que possible. (allant jusqu’au débordement dans les parcs), 8 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
Rivière historique ou rivière authentique ? L’autre principale demande s’exprime en que ces monuments sont dans leur état d’ori- termes tantôt de retour à un état d’origine, gine représente un manque d’authenticité. tantôt d’authenticité. De même que le naturel Mais telle église restaurée par Viollet-Le-Duc, est confondu avec le vivant, l’authenticité est qui n’est pas une authentique église gothique, confondue avec le retour à l’état d’origine, qu’il peut être considérée comme une authentique conviendrait mieux d’appeler historicité. Nous église néo-gothique. L’authenticité est respec- avons vu que le caractère naturel et le carac- tée si ce qui est réalisé correspond à ce qui tère vivant, bien que distincts, vont dans l’en- est annoncé. semble dans le même sens. Nous allons voir que la relation entre l’historicité et l’authenticité Le respect de l’authenticité n’est donc pas le est beaucoup moins évidente. retour à un état d’origine (difficile à définir pour un monument qui a subi des ajouts succes- sifs, impossible à définir pour un élément de Qu’est-ce qui est historique ? paysage, tel qu’une rivière). C’est d’ailleurs au Qu’est-ce qui est authentique ? nom de l’authenticité que la restauration en est venue, au cours du XXe siècle, à refuser l’his- La question de l’authenticité est toujours sou- toricité (cf. notamment la Charte de Venise). levée à propos d’une restauration, que ce soit d’une œuvre d’art, d’un monument, d’un Une autre manière d’aborder ces questions jardin, d’un ensemble urbain, d’un paysage. Le est celle qui est formulée en termes d’identité. projet de restauration de la Bièvre n’échappe C’est une notion voisine de l’historicité, mais pas à cette règle. Il est par exemple question, utilisée dans un sens moins strict, contraire- dans un document de la Ville de Paris, «d’ass- ment à l’adjectif correspondant (identique). On urer un minimum d’authenticité à l’opération» parle de reconstruction à l’identique (ou resti- (SAP, 2000, p. 5). tution) pour une réalisation strictement sembla- ble, en tout point, à l’état d’origine, mais on Si cette question est soulevée, c’est aussi estime que l’identité d’une rivière – au moins d’une façon controversée : c’est souvent au son nom et sa qualité de rivière – est préser- nom de conceptions différentes de l’authenti- vée par une évolution progressive qui peut l’a- cité que les différentes positions s’affrontent mener loin de son état historique. Pour un sur un projet de restauration. Le concept d’au- monument ou un paysage, la question est plus thenticité, tant de fois invoqué, est en effet dif- complexe que pour un simple élément de géo- ficile à définir. Plusieurs textes internationaux graphie (elle est donc plus complexe pour la relatifs à la conservation et à la restauration du Bièvre en tant que paysage que pour la Bièvre patrimoine émettent des critères visant à sau- en tant qu’élément de géographie). On estime vegarder l’authenticité, mais sans en donner que l’identité d’un tel objet est préservé si un de définition.(3) certain nombre de caractéristiques qui font son essence le sont (caractéristiques dont Ce qu’on peut au moins en dire, c’est que l’au- l’appréciation peut varier beaucoup d’un sujet thenticité n’existe pas dans l’absolu : elle se à l’autre). Quand ces caractéristiques essen- définit non seulement par rapport à un objet, tielles ne sont pas préservées, on dit que mais aussi par rapport à la perception qu’en a l’objet est altéré, c’est à dire devenu autre, ce un observateur. Il y a authenticité lorsque ce qui signifie littéralement que son identité est qui paraît (aux yeux d’un observateur) d’un perdue. monument, d’une œuvre, d’un paysage, etc., est conforme à ce qu’est cet objet. Il n’y a pas d’authenticité lorsque l’observateur est trompé. Par exemple, les restaurations faites au XIXe siècle sur des monuments médiévaux ont été 3 - Cf. notamment (bibliographie infra) la Charte de Venise (1965), la Charte de Florence (1982), la Conférence de Nara critiquées au siècle suivant pour leur manque (Japon) réunie par l’Unesco en 1994, dont les actes (Larsen et d’authenticité. En effet, faire croire au public al., 1995) comprennent le Document de Nara sur l’authenticité. IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris 9
Il y a donc deux façons - et deux seulement - 4 - Origine des eaux ; de respecter l’authenticité : 5 - Renouvellement de l’eau. - soit en respectant l’identité, - soit en admettant de ne plus donner à l’objet Ces facteurs peuvent prendre les modalités altéré son nom propre (la Bièvre), voire son suivantes : nom commun (une rivière). 1 - Évolution historique du tracé : 1.1 - Tracé d’origine (ici, celui de la Et la question de l’identité pourrait se formuler Bièvre juste avant la couverture, soit au ainsi : milieu du XIXe siècle) ; - qu’est ce qui permet de donner le nom 1.2 - Tracé modifié proche (dans propre de Bièvre à un écoulement d’eau ? vallée) ; - plus généralement, qu’est ce qui permet de 1.3 - Tracé modifié éloigné (hors lui donner le nom commun de rivière ? vallée) ; 2 - Évolution historique de la cote d’altitude : Si le caractère historique et le caractère 2.1 - Cote d’origine (ici aussi, juste avant authentique ne sont pas la même chose, c’est la couverture, soit au milieu du XIXe siècle) ; donc bien ce dernier qui nous semble à privi- 2.2 - Cote modifiée. légier, en réalisant un aménagement qui ne 3 - Continuité spatiale du tracé : sera pas la Bièvre d’autrefois, mais qui pourra 3.1 - Tracé continu ; légitimement s’appeler rivière et Bièvre - ou 3.2 - Tracé interrompu (tronçons séparés bien, si l’on n’y parvient pas, en ne prétendant par des canalisations sous pression). pas donner ces noms à l’aménagement 4 - Origine des eaux : réalisé. 4.1 - Eaux pluviales de l’ensemble du bassin versant (éventuellement avec une La section suivante examine quels facteurs régulation du débit) ; font qu’une rivière restaurée est plus ou moins 4.2 - Eaux pluviales d’une partie du historique d’une part, plus ou moins authen- bassin versant (p. ex. soit un sous-bassin tique d’autre part, afin de voir jusqu’où ces plus à l’amont, soit à l’inverse les abords deux caractères sont corrélés, et quels moda- immédiats) ; lités peuvent être proposées pour une rivière la 4.3 - Autre réseau (eau potable, etc.) ; plus authentique possible (et la plus historique 4.4 - Circuit fermé. dans la mesure où cela ira dans le même 5 - Renouvellement de l’eau : sens). 5.1 - Circuit ouvert ; 5.2 - Circuit fermé réalimenté (soit une partie de l’eau recyclée, une partie d’origi- Qu’est-ce qui fait qu’une rivière ne extérieure) ; restaurée est historique ? 5.3 - Circuit complètement fermé (eau Qu’est-ce qui fait qu’elle est entièrement recyclée). authentique ? D’une manière analogue aux facteurs influant Les facteurs qui favorisent d’une part l’historici- sur le caractère naturel et sur le caractère té et d’autre part l’authenticité de la restaura- vivant, les tableaux suivants classent, pour tion d’une rivière ne sont pas du même ordre chacun de ces cinq facteurs, ses modalités que ceux qui favorisent son caractère naturel dans l’ordre du plus au moins historique (c’est- ou vivant. En effet, alors que le caractère à-dire du plus au moins proche de l’état d’ori- naturel ou vivant s’applique à un objet (site, gine, cf. 2e colonne), et du plus au moins milieu, etc.) et peut s’apprécier en un endroit authentique (c’est-à-dire du plus au moins donné et à un moment donné, l’historicité et proche de ce qu’on peut appeler la Bièvre, ou l’authenticité s’appliquent à une action exercée au moins une rivière, cf. 3e colonne). Une sur cet objet et introduisent des dimensions modulation qualitative un peu plus fine du clas- plus vastes : d’une part l’évolution au cours du sement est introduite ici aussi par la couleur temps, d’autre part l’ensemble du cours de la (bleu clair pour le plus historique ou le plus rivière, de sa vallée et de son bassin versant. authentique, violet à l’opposé, bleu moyen ou Les principaux de ces facteurs sont : mauve pour les tendances plus atténuées). 1 - Évolution historique du tracé ; 2 - Évolution historique de la cote d’altitude ; 3 - Continuité spatiale du tracé ; 10 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
Facteurs influant sur l’historicité et sur l’autenticité 1. Évolution historique du tracé Gradation des couleurs Modalité Est-on proche Peut-on parler d’une authentique de la Bièvre historique ? restauration de la Bièvre ? Du plus historique ou du plus authentique… 1. Tracé d’origine Oui Oui 2. Tracé modifié proche (dans vallée) Plus ou moins Oui 3. Tracé modifié éloigné (hors vallée) Non Difficilement 2. Évolution historique de la cote d’altitude …au moins historique Modalité Est-on proche Peut-on parler d’une authentique ou moins authentique de la Bièvre historique ? restauration de la Bièvre ? 1. Cote d’origine Oui Oui 2. Cote modifiée Plus ou moins Oui 3. Continuité spatiale du tracé Modalité Est-on proche Peut-on parler d’une authentique de la Bièvre historique ? restauration de la Bièvre ? 1. Tracé continu Oui Oui 2. Tracé interrompu Non Non 4. Origine des eaux Modalité Est-on proche Peut-on parler d’une authentique de la Bièvre historique ? restauration de la Bièvre ? 1. Eaux pluviales de l’ensemble Oui Oui du bassin versant 2. Eaux pluviales d’une partie Peu Oui du bassin versant 3. Autre réseau (eau potable, etc.) Non Non 4. Circuit fermé Non Non 5. Renouvellement de l’eau Modalité Est-on proche Peut-on parler d’une authentique de la Bièvre historique ? restauration de la Bièvre ? 1. Circuit ouvert Oui Oui 2. Circuit fermé réalimenté Non Non 3. Circuit complètement fermé Non Non IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris 11
Comme les tableaux concernant le caractère - Mais les modalités extrêmes opposées des naturel ou vivant, ceux-ci montrent que le carac- autres facteurs ne sont pas incompatibles tère historique et le caractère authentique vont entre elles ni avec les facteurs 4 et 5 pris globalement dans le même sens, et - ce qui est ensemble : on peut par exemple avoir un plus intéressant -, que le deuxième caractère tracé d’origine avec une cote modifiée, avec est plus facile à réaliser que le premier. De un tracé interrompu, voire un circuit fermé ; même que le caractère vivant est moins contrai- ou bien un tracé modifié, continu ou inter- gnant que le caractère naturel, de même le rompu, avec les eaux pluviales de l’ensem- caractère authentique l’est moins que le carac- ble du bassin versant et un circuit ouvert. tère historique, et dans une mesure encore plus large : on peut en effet considérer comme par- 1 - Évolution historique du tracé : faitement authentique une rivière recréée dans Tracé d’origine ou modifié à proximité, sa vallée selon un tracé et une cote entièrement selon les endroits nouveaux, qui n’a donc rien d’historique ; on pourra l’appeler rivière, on pourra même l’appe- L’évolution historique du tracé est l’un des fac- ler Bièvre, toujours si l’on ne prétend pas qu’il teurs pour lesquels le respect de l’authenticité s’agit de la Bièvre d’origine. est le moins contraignant. En effet, puisque le cours d’une rivière fluctue considérablement au cours de l’Histoire (au moins à l’intérieur de son Quelles caractéristiques lit majeur, voire de son fond de vallée), il n’y a réalisables peut-on proposer pas de raison de privilégier un tracé historique pour une rivière urbaine plutôt qu’un autre (par exemple, entre le bras de authentique ? Saint-Victor, qui débouchait rue de Bièvre du XIIIe au XVIe siècle, et le débouché au niveau du De même que pour le caractère naturel et le pont d’Austerlitz, avant et après cette période). Il caractère vivant, il s’agit de voir quelles moda- n’y a pas davantage de raison de rejeter un lités assurant le caractère le plus historique et tracé différent de tous les tracés historiques. surtout le plus authentique possible sont acceptables et réalisables. Il est donc parfaitement légitime de rechercher localement un nouveau tracé, s’il est plus Les cinq facteurs étudiés sont examinés ici accessible, s’il est plus économique (notam- successivement. La compatibilité entre les ment en évitant les grandes épaisseurs de rem- modalités prises par les différents facteurs est blais), et surtout s’il permet de mieux respecter également envisagée, et elle apparaît plus fré- les autres critères d’authenticité (notamment la quente qu’entre les modalités des facteurs continuité du tracé). Ce tracé s’efforcera cepen- assurant le caractère naturel et vivant : dant de rester dans la vallée, sans s’interdire de - Les modalités les plus historiques ou couper un méandre et de traverser pour cela un authentiques d’un facteur sont bien sûr sol plus élevé, par un passage encaissé. compatibles avec les modalités les plus his- toriques ou authentiques d’un autre facteur 2 - Évolution historique (tracé d’origine, cote d’origine, tracé continu, de la cote d’altitude : eaux pluviales de l’ensemble du bassin Cote d’origine ou modifiée, versant, circuit ouvert) ; selon les endroits - De même, les modalités les moins histo- riques ou authentiques d’un facteur sont Si l’on admet de modifier le tracé dans certaines bien sûr compatibles avec les modalités les sections, il ne peut pas y avoir de cote d’origine moins historiques ou authentiques d’un dans les sections concernées. Même dans le autre facteur (tracé modifié, cote modifiée, tracé d’origine, il n’est pas indispensable de tracé interrompu, circuit fermé) ; retrouver le profil d’origine, pourvu ici aussi que - Entre les facteurs 4 (Origine des eaux) et 5 des critères d’authenticité plus déterminants (Renouvellement de l’eau), les modalités soient respectés, surtout la continuité spatiale, extrêmes opposées sont incompatibles : les ainsi que des critères tels que l’écoulement gra- modalités les plus historiques-authentiques vitaire, essentiel pour assurer un caractère pour l’origine des eaux (eaux pluviales du naturel, et même, on le verra, pour l’authentici- bassin versant) imposent les plus histo- té. On peut donc avoir une cote différente de riques-authentiques pour le renouvellement celle d’origine, notamment plus haute pour (circuit ouvert ou réalimenté) ; la modalité la limiter le coût de creusement, si l’ensemble du moins historique-authentique est la même profil en long reste descendant pour assurer l’é- pour les deux facteurs (circuit fermé) ; coulement gravitaire. 12 IAURIF Restauration et aménagement de la Bièvre dans Paris
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