Les blessures de la guerre d'Espagne, 80 ans après - Hal
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Les blessures de la guerre d’Espagne, 80 ans après Eve Fourmont Giustiniani To cite this version: Eve Fourmont Giustiniani. Les blessures de la guerre d’Espagne, 80 ans après. Carto, le monde en cartes, Areion, 2016. �hal-02488761v2� HAL Id: hal-02488761 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-02488761v2 Submitted on 10 Mar 2020 HAL is a multi-disciplinary open access L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est archive for the deposit and dissemination of sci- destinée au dépôt et à la diffusion de documents entific research documents, whether they are pub- scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, lished or not. The documents may come from émanant des établissements d’enseignement et de teaching and research institutions in France or recherche français ou étrangers, des laboratoires abroad, or from public or private research centers. publics ou privés. Copyright
H I S TO I R E L E S G R A N D E S B ATA I L L E S Les blessures de la guerre Depuis l’Allemagne nazie 1 La guerre civile (1936-1939) Océan Atlantique FRANCE Gijón La Corogne Ferrol Santander Bilbao Guernica 26 avril 1937 s e p t. 1 9 3 7 Saint-Sébastien j u in Oviedo 1 93 7 août 1 Saint-Jacques- Lugo Front nord de-Compostelle Vitoria Pampelune La Jonquera 937 ori ront al Ponferrada ent Vigo León Sègre Gérone F Burgos avril 1938 - Huesca ma janvier 1939 janv. 1939 Capitale franquiste rs- 193 avr. Lérida 8 Barcelone Soria Saragosse janv. 1939 Valladolid Èbre Zamora juil.-nov. 1938 Belchite Tarragone août-sept. 1937 Porto Ségovie avr oû a Guadalajara il 19 t Salamanque 38 19 Paracuellos mars 1937 36 Avila Madrid Minorque Torrejón de Ardoz Teruel janv. 1938 août 1936 Brunete Jarama j ui n juil. 1937 fév. 1937 Castellón Cuenca de la Plana 193 Majorque . 1936 Tolède Palma 8 sept PORTUGAL s Cáceres Valence re l a centra lé Front B a Albacete Ibiza Ciudad Real es Lisbonne Îl Badajoz Alicante Mer Méditerranée Depuis l’URSS aoû t 19 93 6 Murcie juil. 1 Depuis 36 l’Italie fasciste Cordoue Jaén Carthagène Fro nt La guerre civile espagnole su d (1936-1939) Séville Huelva Franquistes Républicains Grenade Principal centre d’appui Malaga Alméria Garnison ou caserne insurgée .1 937 Cadix fév (17-18 juillet 1936) Soulèvements populaires Gibraltar (R.-U.) Présence des Ceuta Brigades internationales Tanger (FR.) Exactions et massacres Tétouan Melilla Principales offensives Larache Première garnison insurgée Océan Atlantique an Aide internationale Allemagne Union tou PROTECTORAT ESPAGNOL et Italie soviétique Té dà DU MAROC ren Maquis Îles Canaries se anco 6 : Fr Zone contrôlée par les franquistes 193 illet Fin juillet 1936 Décembre 1938 Las Palmas 18 ju ALGÉRIE Mars 1937 Début février 1939 50 km (FRANCE) PROTECTORAT FRANÇAIS DU MAROC Principales batailles Principaux bombardements 0 100 km par le camp franquiste Ligne de front en 1937 Carto n o 38, 2016 © Areion/Capri Sources : « Les deux Espagnes », carte parue dans L’Histoire no 427, septembre 2016 ; Zone toujours sous contrôle J. De Andrés et J. Cuéllar, Atlas ilustrado de la Guerra Civil Española, Susaeta, 2005 républicain en février 1939 72 CARTO 38 Novembre-Décembre 2016
d’Espagne, 80 ans après Le 17 juillet 1936, un coup d’État militaire contre la Seconde République fait plonger l’Espagne dans la guerre civile pendant trois ans. Huit décennies plus tard, cette blessure hante encore la mémoire d’un pays pourtant devenu une démocratie solide. La réouverture des recherches, en septembre 2016, de la dépouille du poète Federico García Lorca (1898-1936) rappelle les nombreux disparus d’un conflit majeur du XXe siècle. L a proclamation de la Seconde Répu- blique, le 14 avril 1931, offre aux Espagnols Oviedo Gijón Océan 2 Des fosses communes comme mémoire 1 327 Atlantique un grand espoir. Ce nouveau régime, 1 317 FRANCE Toulouse instauré après l’abdication d’Alphonse XIII (1886- Gijón Santander La Corogne Oviedo Bilbao Saint-Sébastien 1931), monarque discrédité par le recours à un Vitoria Directoire militaire entre 1923 et 1930, est chargé León León Pampelune ANDORRE 2 008 de la modernisation d’un pays encore ancré dans Vigo le passé. Le programme du gouvernement pro- Valle de los Caídos Saragosse 33 833 4 024 visoire (avril-décembre 1931), puis du premier Saragosse Braga Valladolid Barcelone exécutif (décembre 1931-septembre 1933) de la Porto Barcelone Madrid 2 124 Bot 1 730 jeune République est vaste : réforme agraire pour San Lorenzo Bot 1 194 redistribuer aux paysans les terres latifundiaires, de El Escorial Madrid Teruel Castellón de la Plana refonte d’une armée marquée par ses échecs Griñón Griñón Getafe 1 652 PORTUGAL 3 180 dans les campagnes coloniales au Maroc, plan de Castellón de la Plana Tolède Tolède Getafe Palma 1 552 Teruel décentralisation, consolidation du droit du tra- 1 458 2 916 Valence ESPAGNE vail, laïcisation de l’école et de la société… Le pro- jet, déjà entravé par les difficultés économiques Lisbonne Cordoue Alicante Les fosses communes dérivées de la crise de 1929, se heurte aux résis- 2 312 de la guerre civile espagnole tances des classes possédantes, des officiers, de Murcie Nombre de victimes de la guerre civile Víznar 2 028 Cordoue Grenade 3 088 espagnole puis de la répression la hiérarchie catholique et de l’opinion publique Séville franquiste qui ont été exhumées des Víznar Carthagène fosses communes, en novembre 2015 conservatrice. L’œuvre du premier gouverne- Séville Grenade 4 008 5 000 Mer 33 833 ment est bientôt défaite par un exécutif de droite Îles Canaries Malaga Órgiva Méditerranée (Valle de Cadix Malaga los Caídos) (octobre 1933-février 1936). Et lorsque la gauche 5 695 1 000 Órgiva remporte les élections du 16 février 1936, sous 100 km 5 062 100 Tanger Ceuta (ESP.) 0 100 km la bannière du Front populaire, cette Espagne MAROC Melilla (ESP.) N.B. : La taille des cercles est proportionnelle Carto n o 38, 2016 © Areion/Capri conservatrice se sent menacée par ce qu’elle Sources : R. Sanchez, Las víctimas en fosas del franquismo, ElDiario.es, novembre 2015 ; Fosses communes d’où plus Madrid conçoit comme un danger de « soviétisation ». Ministère de la Justice espagnol, Aplicación de mapa de fosas, consulté le 1er octobre 2016 de 1 000 corps ont été exhumés 2 124 DU SOULÈVEMENT MILITAIRE vit un tiers des 24 millions d’habitants du pays. dans les zones qu’ils contrôlent les rouages À LA GUERRE CIVILE Mais les grandes villes et les zones industriali- d’un « Nouvel État » d’inspiration fasciste, sous Dans l’ombre, les franges les plus radicales de sées restent aux mains du gouvernement répu- le commandement de Francisco Franco (1892- la droite parlementaire, réactionnaire et mo- blicain, qui tarde à réagir et ne compte dans ses 1975), nommé en septembre 1936 chef du gou- narchiste, s’allient aux groupuscules fascistes rangs qu’une petite partie de l’armée, la plupart vernement et « généralissime » des armées. fédérés par la Phalange espagnole, nés dans des officiers ayant rejoint le camp des séditieux. Face à l’organisation militarisée et répressive un contexte de radicalisation et de violence Et tandis que le Front populaire se voit aban- de la zone franquiste, les républicains peinent politiques. La conspiration aboutit à un soulè- donné par les démocraties occidentales, qui dé- à canaliser leur propre camp. Le gouvernement vement militaire, lancé le 17 juillet depuis Me- crètent leur non-intervention dans le conflit, les doit armer à la hâte une armée populaire, tout lilla par une poignée de généraux, et qui s’étend rebelles, autodénommés « nationaux », bénéfi- en freinant l’ardeur des milices spontanées dès le lendemain à une moitié de la péninsule. cient de l’appui financier, logistique et matériel (locales mais aussi internationales, avec des S’il échoue à destituer le gouvernement, ce de l’Allemagne nazie (1933-1945) et de l’Italie brigadistes volontaires venus du monde entier, coup d’État manqué déclenche la guerre civile fasciste (1922-1943). notamment de France, du Royaume-Uni mais (cf. carte 1). Dès les premiers jours du conflit, les La ligne de front s’établit entre ces deux Es- aussi d’URSS et des États-Unis). Il doit aussi rebelles contrôlent environ la moitié du terri- pagne, où deux gouvernements coexistent pen- faire face à la prolifération des partis politiques toire, essentiellement dans les zones rurales, où dant toute la guerre. Les rebelles implantent (anarchistes, communistes, trotskistes, etc.) et CARTO 38 Novembre-Décembre 2016 73
H I S TO I R E L E S G R A N D E S B ATA I L L E S à des tentatives d’instauration de la révolu- QUELLE MÉMOIRE ? tion sociale et de la collectivisation. L’exé- La suite se résume à une longue oraison cutif du président Manuel Azaña (1936-1939) funèbre. Aux 650 000 Espagnols morts sur pâtit jusqu’à la fin de la guerre de l’affronte- le front et à l’arrière-garde, où la famine et ment partisan et de l’instabilité ministérielle. la maladie ont fait des ravages, s’ajoutent les quelque 37 000 victimes de la répression UNE RÉPUBLIQUE QUI VACILLE républicaine (dont 7 000 religieux) et près de POLITIQUEMENT ET MILITAIREMENT 110 000 morts dus à celle des « nationaux ». Les franquistes mettent à profit cette confu- Environ 300 000 Espagnols s’exilent, autant sion et, entre l’été 1936 et mars 1937, réus- sont emprisonnés dans les geôles du régime, sissent à unir les deux principales zones où plus de 190 000 personnes meurent entre qu’ils contrôlent, occupant une large moi- 1939 et 1945. Ces chiffres ne font pas l’objet tié ouest du pays. Ils échouent à prendre d’un consensus historiographique, mais Madrid et établissent leur capitale à Burgos, donnent la mesure de la politique de répres- dans le nord. Au printemps 1937, ils s’at- sion planifiée par un État qui se veut, à ses taquent à la corniche cantabrique – le village débuts, totalitaire, et qui maintiendra le pays basque de Guernica est anéanti par l’avia- sous la coupe dictatoriale pendant près de tion allemande le 26 avril – et, à l’automne, quarante ans. Quatre décennies au terme ils gagnent la côte nord et s’emparent des desquelles les Espagnols obtiennent démo- principales ressources minières et sidérur- cratie et paix sociale, au prix d’une amnistie giques. La République, qui régularise son générale, votée en 1977. armée sous la houlette des communistes et Huit décennies après le début de la guerre, avec l’aide matérielle de l’URSS, tente de plus de 115 000 dépouilles de victimes répu- contre-attaquer, mais n’y parvient pas. Elle blicaines reposent encore dans des fosses concentre une bonne part de son énergie à communes disséminées à travers le pays défendre Madrid. (cf. carte 2 p. 73). La loi dite de « mémoire Fin 1937, les franquistes contrôlent presque historique », votée en 2007, peine à être les deux tiers de la péninsule et se tournent appliquée. Ce sont souvent les associations vers la Méditerranée. Au printemps 1938, ils civiles qui prennent en charge la détection atteignent la côte, coupant en deux la zone et l’ouverture des fosses, puis l’identifica- républicaine. Le gouvernement légal lance tion des victimes – que cette loi réhabilite une contre-offensive qui débouche sur la ba- symboliquement sans envisager d’indemni- taille de l’Èbre (juillet-novembre 1938), pour sation financière. Des efforts ont pourtant tenter de reconquérir ce delta aragonais été faits : les archives de la guerre ont été (cf. carte 3). Mais l’attaque se révèle un échec regroupées dans un Centre documentaire de stratégique, qui démoralise les troupes répu- la mémoire historique créé à Salamanque ; blicaines et précipite la chute de la Cata- le Parlement catalan a ouvert un Mémorial logne. Barcelone tombe fin janvier 1939, et démocratique à mi-chemin entre musée, près de 400 000 soldats et civils se dirigent archives et centre d’interprétation. Près de vers la frontière pyrénéenne pour échapper à 600 vestiges de la dictature (statues, plaques la répression franquiste. de rue, stèles, etc.) ont été retirés de l’espace La zone républicaine est alors réduite à une public, mais il en subsiste encore, à l’instar poche de résistance qui unit Madrid à un petit du mausolée du Valle de los Caídos, près de quart sud-est du pays. L’exécutif hésite entre San Lorenzo de El Escorial, où est enterré négocier un armistice et se battre jusqu’au Franco aux côtés de 34 000 combattants. bout. Le colonel Segismundo Casado (1893- Que faire de ces lieux ? La société espagnole 1968) évince les derniers partisans de la résis- s’empoigne encore sur ce sujet politique brû- tance en organisant, le 5 mars 1939, un coup lant, qui témoigne de la lente cicatrisation d’État contre le gouvernement de Juan Negrín des blessures de l’histoire. E. Giustiniani (mai 1937-mars 1939). Il essaie de parlemen- ter, mais les rebelles n’acceptent qu’une 3. LE FRONT DE L’ÈBRE reddition inconditionnelle. Le 28 mars 1939, Dressée par les militaires républicains, cette Madrid tombe et, le 1er avril, le « généralis- carte montre la région de Gandesa en octobre sime » défile victorieux dans les rues de la 1938, où se déroulait alors la bataille de l’Èbre. capitale. La guerre civile est terminée. 74 CARTO 38 Novembre-Décembre 2016
© Universitat Autònoma de Barcelona Novembre-Décembre 2016 CARTO 38 75
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