Les Community Health Workers, un projet de proximité - Education Santé
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PB-PP BELGIE(N)-BELGIQUE Un mensuel au service des intervenants francophones en promotion de la santé – www.educationsante.be N° 383 / DÉCEMBRE 2021 Les Community Health Workers, un projet de proximité.
Sommaire 3 Retrouvez tous nos articles et des inédits sur notre site www.educationsante.be INITIATIVES Les Community Dans les inédits web ce mois-ci : Health Workers Inciter le consommateur à acheter des aliments bons pour la santé via un Nutri-Score demande des efforts, Sciensano 8 Lu pour vous : « Comment le secteur de la PS peut-il contribuer aux enjeux soulevés par le changement climatique et l’urbanisation ? », le RESO – service universitaire de promotion de la santé de l’UCL (UCLouvain IRSS/RESO) REPÈRES Éducation Santé est aussi présente sur les réseaux Agents de tracing sociaux. Retrouvez-nous sur Facebook : et promotion www.facebook.com/revueeducationsante de la santé 13 DONNÉES L’hésitation vaccinale des soignants MENSUEL (11 numéros par an, ne paraît pas en août). ABONNEMENT : gratuit pour la Belgique. Pour l’étranger, nous contacter. RÉALISATION ET DIFFUSION : Alliance nationale des mutualités chrétiennes, dans le cadre de la Cellule de Coordination intermutualiste ANMC-UNMS. ONT COLLABORÉ CE MOIS-CI : Juliette Vanderveken, Benoit Pétré, l’équipe de promotion santé de Solidaris, Alice Lecroart, William D’Hoore, Paloma Carillo-Santisteve. RÉDACTRICE EN CHEF : France Gerard (education.sante@mc.be). ÉQUIPE : Rajae Serrokh, Juliette Vanderveken. CONTACT ABONNÉS : education.sante@mc.be. COMITÉ STRATÉGIQUE : Martine Bantuelle, Emmanuelle Caspers, Martin de Duve, Christel Depierreux, Dominique Doumont, Damien Favresse, Gaëlle Fonteyne, Olivier Gillis, Emma Holmberg, Marie Lefebvre, Denis Mannaerts, Daphné Scheppers, Catherine Spièce, Bernadette Taeymans, Chantal Vandoorne. COMITÉ OPÉRATIONNEL : Pierre Baldewyns, Nathalie Cobbaut, Dominique Doumont, Anne-Sophie Poncelet, Juliette Vanderveken. ÉDITEUR RESPONSABLE : Alexandre Verhamme, chaussée de Haecht 579/40, 1031 Bruxelles. MISE EN PAGE : Émerance Cauchie. ISSN : 0776 - 2623. Les articles publiés par Éducation Santé n’engagent que leurs auteurs. La revue n’accepte pas de publicité. Les textes parus dans Éducation Santé peuvent être reproduits après accord de la revue et moyennant mention de la source. POUR TOUS RENSEIGNEMENTS COMPLÉMENTAIRES : Éducation Santé ANMC, chaussée de Haecht 579/40, 1031 Bruxelles. INTERNET : www.educationsante.be. COURRIEL : education.sante@ mc.be. Pour découvrir les outils francophones en promotion de la santé : www.pipsa.be. Les textes de ce numéro sont disponibles sur notre site www.educationsante.be. Notre site adhère à la plate-forme www.promosante.net. Éducation Santé est membre des fédérations wallonne et bruxelloise de promotion de la santé. Bureau de dépôt : Bruxelles X – ISSN 0776- 2623. Numéro d’agréation : P401139. Crédit photos : AdobeStock. 2 ÉDUCATION SANTÉ / 383
Les Community INITIATIVES Health Workers Le projet « Community Health Workers » – repris sous l’appellation « CHW » – est un vaste projet en santé communautaire démarré en mars 2021. Le projet a été conçu initialement pour favoriser l’adoption des gestes barrières et faciliter l’accès à de l’information correcte. Il répond à un besoin préexistant et plus profond d’améliorer l’accès aux soins et à la santé des personnes les plus précarisées qui, paradoxalement, en sont les plus éloignées mais qui en ont le plus besoin. Les barrières de l’accès aux soins et à la santé ont été cruellement renforcées par la crise sanitaire et les intempéries qui ont touché la Belgique au cours de l’été. JULIETTE VANDERVEKEN Qu’on les appelle « agents de santé communautaire » à Bruxelles, « community health workers » en Flandre ou « fa- Dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, les cilitateur·trices en santé en Wallonie, ces travailleur·euses mutualités se regroupent pour mettre en place des ont pour mission d’aller à la rencontre de ces publics, dans projets : leurs lieux de vie, et de les accompagner dans une dé- Les agents de tracing marche d’amélioration de l’accès aux soins et à la santé. Les Community Health Workers Les agents de prévention (à Bruxelles) Origine du projet Ces projets sont distincts et fonctionnent avec des Le constat n’est pas nouveau et le phénomène est triste- enveloppes budgétaires séparées, mais se gèrent ment familier. Le non-recours aux droits dans le domaine en étroite collaboration entre les mutualités. de la santé1 et les barrières dans l’accès aux soins de santé sont des problèmes connus, étudiés et documentés. Il en « Les projets intermutualistes, pour certains très est de même pour les leviers et les différentes approches opérationnels comme celui-ci, sont une partie de recommandées. Ces difficultés se situent à différents ni- l’avenir des mutualités. Nous montrons aux citoyens veaux, de manière structurelle, sociétale et pas seulement et aux politiques que nous sommes chacun des ac- individuelle. Il existe une corrélation entre le niveau de teurs forts et incontournables, mais aussi qu’en- santé (et de bien-être) d’une population et le niveau so- semble, nous pouvons monter des projets solides, cio-économique, d’éducation des personnes… et d’autres d’envergure, avec une visée et une vision partagée. déterminants de la santé. La pandémie de Covid-19 n’a fait Je pense qu’on a tout intérêt à ce qu’on nous confie que renforcer ces problématiques. des missions comme celle des CHW. Il y a bien sûr toute une série d’autres acteurs qui mènent des C’est dans ce contexte de lutte contre la pandémie que projets de santé communautaire mais en tant que le Cabinet du Ministre fédéral de la santé, Franck Vanden- mutualité, nous avons notre place dans ce genre de broucke, a lancé le projet pilote des « Community Health projet et c’est tout à fait légitime au regard de nos Workers ». La mise en œuvre de ce projet a ainsi été confiée missions. » (Julien Demonceau, coordinateur MC) au Collège Intermutualiste National2, et la coordination au 1 Le non-recours aux droits dans la santé recouvre différents types tels que la non-demande, la non-proposition, la non-connaissance, et le non-ac- cès, comme formulé par le SPP Intégration sociale, Lutte contre la Pauvreté, Économie sociale et Politique des Grandes Villes, et du SPF Sécurité sociale, dans son document « Proposition d’actions transversales pour un plan de lutte contre le non-recours aux droits sociaux » (https://www. mi-is.be/sites/default/files/documents/ntu_proposition_dactions_transversales_pour_un_plan_de_lutte_contre_le_non-recours_aux_droits_so- ciaux.pdf) 2 Le Collège Intermutualiste National (CIN) belge est une association de mutualités composée des représentants des 5 Unions Nationales de mutualités (la Mutualité chrétienne, Solidaris, Union nationale des Mutualités Libres, Union nationale des Mutualités Libérales, Union nationale des Mutualités Neutres) ainsi que de la Caisse Auxiliaire d'Assurance Maladie-Invalidité et de la Caisse des Soins de Santé de HR Rail. Ensemble le CIN représente toute la population belge assurée sociale soit plus de 10 millions de personnes. https://fra.mycarenet.be/bienvenue 383 / ÉDUCATION SANTÉ 3
INITIATIVES niveau fédéral et de la Wallonie a été attribuée à la Mutualité chrétienne (MC). En effet, ce projet est au cœur des missions des mutualités. Le financement recouvre l’engage- ment d’environ 50 ETP, répartis sur le territoire de la manière suivante : 12 ETP à Bruxelles, 17 ETP en Wal- lonie et 21 ETP en Flandre (ainsi que les frais de coordination et de mise en œuvre). Il couvre la période allant de mars à décembre 2021. Développement du projet en Wallonie En Wallonie, le Collège Intermutualiste Natio- nal a choisi dès le départ de conclure une convention de exemple, en Flandre, le choix a été de se concentrer sur partenariat avec le Réseau Wallon de Lutte Contre la Pau- les 5 grandes zones urbaines (Anvers, Ostende, Tirlemont, vreté (RWLP). « Le RWLP est un partenaire essentiel du Genk et Gand), tandis qu’à Bruxelles, les agents de santé projet, par sa connaissance du terrain, son réseau et son communautaire se sont répartis sur plusieurs zones dans travail au sein du comité de pilotage fédéral. Sa compré- 6 communes. hension de la réalité vécue sur le terrain par les gens qui subissent l’appauvrissement, la pauvreté et la pauvreté du- En Wallonie, « en se tenant uniquement au classement rable, ainsi que le choix des zones à couvrir en priorité, son des quartiers avec les revenus les plus faibles par habitant, implication dans le recrutement et l’accompagnement des les moyens risquaient d’être très dispersés, avec certains facilitateur·trices sont des facteurs précieux qui contribuent lieux très éloignés les uns des autres », constate Julien à la réussite de ce projet. », nous confie Julien Demonceau Demonceau. Or « stratégiquement, il fallait aussi démon- (MC), coordinateur du projet CHW sur l’ensemble de la Ré- trer avec cette mission-pilote que le travail en santé com- gion Wallonne. « Au départ, les mutualités se sont tournées munautaire a une réelle plus-value. Donc, il fallait essayer vers nous avec des questions très concrètes concernant le de concentrer l’action de manière plus conséquente dans travail avec les personnes qui subissent la pauvreté durable des zones plus restreintes ». 3 zones ont finalement été et notre connaissance du réseau actif. Ce n’est pas le public retenues, et des communes au sein de ces zones ont été habituel des mutualités car ces personnes n’y ont pas accès ciblées : Charleroi – Châtelet, Liège et Verviers-Dison (où ou n’y ont pas nécessairement recours », appuie Antoine opèrent respectivement 7,7 et 3 facilitateur·trices), ainsi Dujardin, en charge de suivre ce partenariat au RWLP. qu’un facilitateur en région germanophone, dans la com- mune de la Calamine et certains quartiers d’Eupen. L’autre partenaire du projet est la Fédération des Maisons médicales. Ces deux associations sont à la fois membres Des pair-aidant·es issus des quartiers du Comité de pilotage fédéral et wallon du projet. Sur le d’intervention terrain, par exemple, l’équipe prend systématiquement contact avec les maisons médicales de chaque zone. Le recrutement des facilitateur·trices en santé constituait la deuxième étape. Il a d’emblée été convenu avec le RWLP Délimitation des zones et ciblage d’engager des pair-aidant·es, c’est-à-dire des personnes des quartiers ayant une situation socio-économique équivalente (ou la plus proche possible) à celle du public-cible et issues de La première étape du projet, à l’échelle fédérale, a été de ces quartiers. « L’intérêt d’avoir des personnes aux condi- délimiter les zones et les quartiers d’intervention. Sur le tions socio-économiques équivalentes est qu’elles ont un papier, le projet s’adresse aux habitant·es des communes parcours de vie et ont rencontré des difficultés similaires, et des quartiers les plus précarisés. Mais si on s’en tenait et peuvent donc se comprendre, développer un lien, une à un classement des communes et quartiers en fonction écoute, un accompagnement d’autant plus soutenant et du niveau de revenu moyen par habitant, tous les moyens bien accueilli. L’approche territoriale est un autre facteur auraient été alloués à Bruxelles et en Wallonie. Pour équili- très important. Les facilitateur·trices ont une connaissance brer la répartition des moyens, d’autres critères démogra- du tissu social, relationnel, des lieux de vie et du moment phiques ont été ajoutés dans la balance. de la journée où ces lieux sont animés. Ces compétences et connaissances peuvent aussi s’acquérir au fur et à me- Les régions ont ensuite eu la main sur le choix des zones sure sur le terrain, en allant à la rencontre des personnes. à couvrir, chacune développant sa propre stratégie. Par J’ai par exemple accompagné Annas lors d’une maraude à 4 ÉDUCATION SANTÉ / 383
INITIATIVES Verviers. C’est surprenant de voir qu’il est salué dans toutes CHW est un projet fédéral qui bénéficie de moyens consé- les rues que nous avons traversées, il est constamment quents, dans un horizon de temps relativement court (ndlr : accosté par les gens du quartier, le lien se tisse tellement du moins, au moment du démarrage), face à des acteurs ne plus rapidement » nous raconte Antoine Dujardin. disposant pas toujours de moyens suffisants pour réaliser leurs missions. Une fois encore, la collaboration avec le Un autre souhait était de composer une équipe avec des RWLP s’est révélée précieuse pour introduire la mission, bagages complémentaires pour créer un large éventail de ouvrir certaines portes et clarifier notre action. » Plus de connaissances et de compétences, avec une attention 125 partenaires locaux ont ainsi été contactés en amont du particulière pour l’équilibre de genre, l’accès à certaines lancement de la mission. communautés et une diversité de langues parlées. « Le RWLP, en lançant un appel à leurs réseaux associatifs, nous Concrètement, l’accompagnement a renseigné des personnes candidates. On a travaillé au des facilitateurs sur le terrain c’est… recrutement avec des expert·es du vécu», complète Julien Demonceau. (Re)tisser un lien de confiance avant tout « Nous l’avions identifié dès le départ mais le travail sur le Accompagnement et formation terrain le confirme : il n’y a jamais une seule barrière à lever pour garantir l’accès aux soins et favoriser la santé des per- Au moment du lancement de la mission, toute l’équipe a sonnes. La majorité des situations rencontrées concerne reçu une formation sur l’accès aux soins, le fonctionnement des problématiques multi-domaines, qui dépassent la ques- et le rôle de la sécurité sociale, l’utilisation des outils, la tion de l’accès aux soins de santé au sens strict du terme », pair-aidance (le statut, le fonctionnement…), la pauvreté commence par souligner Julien Demonceau. « La mission (ses origines, ses causes et conséquences), etc. Grâce repose sur un processus long, qui se base avant tout sur le aux intervisions et en fonction des besoins qui ont émergé tissage de la confiance. » au fur et à mesure, d’autres formations se sont ajoutées au parcours, comme par exemple les questions liées au Antoine Dujardin appuie ces propos : les personnes aux- secret professionnel avec l’aide du Comité de Vigilance en quelles s’adressent les facilitateur·trices « sont dans la dé- Travail Social. brouille, dans le ‘trop peu de tout’, et ce souvent depuis des années. Avant tout, l’objectif est de (re)créer un lien Pour encadrer et soutenir le travail des facilitateur·trices, de confiance avec ces personnes qui peuvent avoir de la des coachs sont en charge des différentes zones couvertes. méfiance ou de la défiance envers l’État, le service public Ces derniers sont issus principalement des secteurs social ou les politiques parce que ça fait des années qu’elles n’ont et de la promotion de la santé, certain·es d’ailleurs issu·es pas eu droit à un logement, à la mobilité, à un travail dé- du secteur mutuelliste. Ces coachs peuvent se référer à cent, à être un citoyen reconnu ‘symboliquement’… Ces un comité de pilotage opérationnel (composé de collabora- droits sont tous liés dans un ensemble et se répondent, teurs de la MC et de Solidaris). Ils sont les repères directs se renforcent. » des facilitateur·trices et sont présents pour permettre à ces dernier·ères de déposer leur vécu. La méfiance ou la défiance envers Une des missions confiées au RWLP (via Antoine Dujar- les mesures et la vaccination est plus din) est l’organisation d’intervisions régulières, entre les grande chez les personnes ayant des équipes et les différentes zones, grâce à son expertise années de non-recours aux droits, et son regard externe. Ces intervisions sont avant tout au-delà même de la santé, et qui ne un espace de parole pour permettre aux facilitateur·trices sont pas rattachées à un.e médecin d’appréhender les situations difficiles auxquelles ils·elles généraliste ou une maison médicale. sont confrontées. Elles permettent également de travailler la posture des travailleur·euses et trouver la juste proximi- Elle est un symptôme de la fracture té (« ne pas devenir une éponge émotionnelle », « éviter le entre l’Etat, la classe politique et leur syndrome du sauveur », par exemple). vécu. Les inondations ont creusé le fossé, les personnes sinistrées se sont senties Introduire la mission auprès des partenaires complètement abandonnées par les services publics et les politiques. L’équipe de coordination a également veillé à un dernier aspect essentiel avant de démarrer le projet : l’introduction (Antoine Dujardin, RWLP) de la mission et des collègues auprès des partenaires lo- caux et des acteurs de terrain. Julien Demonceau explique : « C’est particulier de ‘débarquer’ ainsi, il faut veiller à ce que Accompagner les acteurs déjà en place ne nous voient pas comme des Les facilitateur·trices n’ont pas d’impératif de résultat di- concurrents. Nous sommes vigilants à nous positionner rect dans leur travail. Un·e facilitateur·trice peut être ac- comme complémentaires à leurs actions. En outre, le projet costé·e dans la rue et discuter avec une personne sans 383 / ÉDUCATION SANTÉ 5
INITIATIVES Christine Geron et Dorothée Mardaga, coachs sur les zones de Verviers-Dison et Liège, nous ra- content les personnes et les situations rencontrées sur le terrain. « Les situations sont très diverses et variables, et dépendent aussi du profil de chaque facilitateur. trice. Par exemple, un des facilitateurs de Verviers accompagne beaucoup de personnes de la com- munauté arabophone car il parle l’arabe. Il fait par ailleurs face à beaucoup de démarches administra- tives concernant l’aide médicale urgente3, ce qui est moins le cas de deux autres facilitatrices de cette zone, qui assurent une permanence régulière dans les locaux de la Croix-Rouge où elles sont davantage en contact avec des personnes sous influence de substances diverses. Certain.es fonc- tionnent mieux seul.es, d’autres préfèrent travailler en binôme. Que l’on soit un homme ou une femme que cela ne donne lieu nécessairement à une intervention. amène aussi à rencontrer des personnes aux pro- Au fil d’une rencontre, un besoin peut être exprimé. Le·la fils différents. (…) À Liège, par exemple, beaucoup facilitateur·trice part par exemple d’une problématique de de demandes d’accompagnement concernaient la logement ou de mobilité pour – étape par étape, et à l’image vaccination au début. La fracture numérique, le la- d’un entonnoir – arriver progressivement à travailler sur l’ac- byrinthe administratif, la mobilité sont des freins cès aux soins de santé, si la personne le souhaite. que l’on rencontre fréquemment. (…) Le·la facilitateur·trice en santé joue le rôle de personne-pivot On se trouve aussi face à la difficulté de travail- pour amener une personne vers une structure, ou lancer une ler sur des besoins urgents, des problèmes qui démarche favorable à sa santé et son bien-être, par exemple. ne peuvent pas ou plus attendre… Si on ne réagit Il·elle propose, accompagne, oriente mais ne fait pas « à pas très vite, on risque de perdre le lien avec la la place de ». L’accompagnement peut être plus ou moins personne. (…) Une fois le problème urgent réso- long, mais en ligne de mire l’objectif est que les personnes lu, on peut se retrouver face à une montagne de puissent prendre en charge elles-mêmes leur santé et leur problèmes sur le dos des personnes. Ce n’est pas accès aux soins. Délimiter l’action de chaque accompagne- forcément toujours vécu partout de la même fa- ment est un équilibre à trouver, qui se construit au fur et à çon, notamment parce que le projet pilote est dé- mesure et qui est spécifique à chaque situation rencontrée. limité dans le temps : certains essayent plutôt de débloquer une situation à un moment X pour que Un travail de longue haleine les personnes puissent ensuite avancer d’elles- Tout ce travail de rencontre et de lien à tisser avec les per- mêmes. Et parfois on ne saurait faire l’impasse sonnes peut prendre du temps, d’autant qu’il est souvent sur un travail de longue haleine et un accompa- alourdi par des procédures administratives longues et ar- gnement qui prend de l’envergure au fur et à me- dues pour débloquer ou faire avancer la situation de ces sure qu’on lève des barrières. Voici une situation personnes. rapportée par une facilitatrice : il s’agit d’un couple de personnes d’origine étrangère. La dame est en Avec les partenaires ordre au niveau de ses papiers et est enceinte ac- Les retours et les collaborations avec les autres acteurs pré- tuellement. Le monsieur a introduit une demande sents sur le terrain sont très positifs. Les facilitateur·trices de régularisation mais fait face à des soucis de et les coachs font un travail de proximité tant avec les bé- santé. La facilitatrice qui les suit est confrontée à néficiaires qu’avec les partenaires. Ils·elles ont su s’inté- un ensemble de problématiques qui impactent ce grer dans le tissu associatif en se positionnant de manière couple. (…) complémentaire, et mettre en place des partenariats et des collaborations. 3 L’Aide Médicale Urgente (AMU) est une forme d’aide sociale octroyée par les CPAS, qui a pour objectif de garantir l’accès aux soins médicaux aux personnes sans séjour légal. 6 ÉDUCATION SANTÉ / 383
INITIATIVES « À Liège, nous raconte Dorothée Mardaga, coach sur cette Pour mettre davantage en lumière les signaux d’alerte zone, nous avons établi une belle collaboration avec l’asso- structurels et la complexité des situations rencontrées, ciation Smi’le4, qui réalise un travail de santé communau- l’équipe de coordination envoie des rapports réguliers sur taire auprès des personnes vivant en rue. Au départ, nous base des retours directs du terrain. Le RWLP formule aussi leur avions demandé de venir nous former aux maraudes et régulièrement des recommandations, alimentées par son à l’approche des personnes vivant en rue, parfois sous l’in- regard nourri du travail avec les témoins du vécu et les fluence de psychotropes. Une collaboration toute naturelle militant·es. s’est construite par rapport aux personnes que ces infir- mières suivaient à partir du moment où celles-ci retrouvent Un projet reconduit ! un logement. Les facilitateur·trices reprennent l’accompa- gnement pour les questions ayant trait à la santé. » À l’heure d’écrire cet article, nous apprenons que le projet est reconduit pour l’année 2022, en bénéficiant du même Les inondations financement. Un évènement a fortement impacté la mission au cours de l’été : les inondations consécutives aux intempéries ont Tous les éléments plaidaient en effet en faveur d’une pro- rudement touché certains quartiers dans lesquels opèrent longation : pour favoriser l’accès aux soins de santé et la les facilitateur·trices. Du jour au lendemain et pendant plu- santé des personnes les plus précarisées, une approche sieurs semaines, leur travail a été centré sur l’aide d’ur- communautaire, avec l’implication de pair-aidant·es, a tout gence aux personnes les plus démunies et souvent les son sens et est en mesure de produire des résultats po- plus impactées. À Verviers, l’association Psy-Infi-Vesdre les sitifs pour les personnes auxquelles on s’adresse. Des a contacté·es pour établir les besoins psycho-sociaux des éléments comme le taux de vaccination au sein de ces personnes sinistrées. Par duo, ils·elles ont fait du porte-à- populations ou la longueur des démarches administratives porte. Preuve s’il en faut que leur expertise, leur connais- à entamer viennent renforcer ces constats. sance pointue du territoire et leurs contacts sont reconnus sur le terrain. Ils permettent ainsi d’identifier et d’agir plus Éducation Santé vous proposera d’en tirer le bilan avec rapidement envers les personnes qui en ont le plus besoin, l’équipe dans un an… qui n’iraient peut-être pas chercher de l’aide ou ne se met- traient pas en démarche dans ce sens. i Pour en savoir plus, rendez-vous Si au départ les problématiques sur www.chw-intermut.be/index-FR.php avaient trait à la santé mentale, au trauma vécu, etc., des problèmes de santé physique sont aussi arrivés dans les demandes, comme les maladies respiratoires liées aux champignons, à l’humidité et à l’insalubrité. (…) (Christine Geron et Dorothée Mardaga, MC) Évaluation et plaidoyer « Il est clair pour toutes les parties prenantes du projet CHW que les facilitateur·trices ne vont pas « réparer » en quelques mois des années de non-recours aux droits dans le domaine de la santé. Mais tous perçoivent l’utilité de cette mission. » nous explique d’emblée le coordinateur. Au terme de ces quelques mois sur le terrain, l’évaluation de la mission est confiée à des chercheurs de l’Université d’Anvers. Dans leur travail quotidien, les facilitateur·trices utilisent un outil qui fonctionne comme une street-map, dans laquelle ils notent les situations rencontrées, comme aider une personne à prendre rendez-vous pour la vacci- nation. Ils participent également à des focus groups avec l’équipe de recherche. 4 https://www.smi-le.org 383 / ÉDUCATION SANTÉ 7
Agents de tracing et promotion de la santé Retour sur une expérience d’accompagnement des agents de suivi des contacts dans une perspective de promotion de la santé. REPÈRES BENOIT PÉTRÉ ET L’ÉQUIPE DE PROMOTION DE LA SANTÉ DE SOLIDARIS les citoyens dans la participation aux mesures préven- Benoit Pétré travaille dans le Département des tives (5). Particulièrement, plusieurs observateurs plaident Sciences de la Santé publique de l’Université de pour une approche d’accompagnement des citoyens ins- Liège crite dans une perspective de promotion de la santé. (6). Cet angle d’approche se détache d’une politique paterna- Partout dans le monde, la pandémie de coronavirus a mis liste, d’imposition des mesures préventives pour favoriser et continue de mettre au défi l’organisation et l’efficacité de au contraire le soutien à l’autonomie, la prise de décision notre système de soins de santé. Les gouvernements du éclairée et la mise en capacité des individus dans des stra- monde entier ont développé des réponses stratégiques afin tégies de prévention en santé (empowerment). de minimiser l'impact de la maladie et de sa propagation sur la morbidité et la mortalité de leur population, ainsi que Contexte les risques sociaux et économiques associés. L’aspect pré- ventif occupe une place centrale des réponses envisagées En juin 2021, le service de Promotion de la Santé de So- permettant d’éviter la propagation du virus et la surcharge lidaris reprend la coordination des agents de suivi de des services sanitaires dans l’accueil des patients. Parmi contacts qui se rendent au domicile, principalement, des ces mesures préventives, le tryptique « testing, tracing personnes atteintes du Covid19 et des personnes ayant eu (en français, suivi des contacts) et isolement » constitue des contacts à haut risque. Composée d’une cinquantaine un socle fondamental en matière de santé publique pour d’agents intermutuellistes couvrant le territoire de la Région contrôler l’évolution de la maladie (1). wallonne, ils sont chargés de se rendre à domicile à partir de 48h après un test positif effectué par un citoyen et un Une littérature spécialisée sur le suivi des contacts com- contact sans succès effectué par le call center. À l’aide de mence à se développer. Toutefois les travaux restent assez scripts (document type à utiliser), leur mission est d’appor- techniques sur les structures organisationnelles néces- ter soutien et accompagnement à ces personnes vis-à-vis saires à un suivi des contacts structurés (2) ou décrivant des mesures sanitaires (stratégies d’isolement, démarches l’efficacité des dispositifs (3). Peu de travaux se sont inté- vers l’employeur…), d’effectuer le suivi des contacts (faire ressés jusqu’à présent aux aspects qui facilitent l’engage- le relevé confidentiel des personnes ayant été en contact ment de la population dans la stratégie de prévention « suivi avec le sujet positif pendant la période contagieuse) et des contacts ». Il existe bien quelques repères, notamment d’inviter les personnes à des mesures préventives complé- dans les travaux du Centre pour le contrôle et la prévention mentaires (vaccination et application de suivi des contacts). des maladies (CDC), ainsi que quelques premiers travaux À ce moment de l’épidémie, un des problèmes constatés cherchant à identifier les freins et faiblesses d’engagement était un déclin majeur dans le nombre de contacts rappor- des citoyens dans le suivi des contacts. tés : moins de 1 contact rapporté par personne rencontrée. C’est dans ce contexte que le service a fait appel à l’exper- Le succès du suivi des contacts (comme le testing et l’iso- tise du Département des Sciences de la Santé publique de lement) repose sur la volonté des citoyens de respecter l’U-Liège. La demande était de mettre en place un dispo- les mesures proposées. Les mesures de prévention se sitif de soutien aux agents de contact afin d’aborder leurs concentrent en effet sur des stratégies qui appellent la parti- pratiques selon un angle de promotion de la santé, dans cipation active des citoyens. Dans ce contexte, les sciences la perspective d’augmenter le nombre de contacts rensei- du comportement devraient être mobilisées pour soutenir gnés par les personnes. 8 ÉDUCATION SANTÉ / 383
REPÈRES Soubassements théoriques, Différentes ressources ont également été présentées et intervention proposée et mise en œuvre renseignées aux participants, notamment pour resituer de de l’accompagnement manière plus globale la question de la gestion de la crise sanitaire sous l’angle de la promotion de la santé (9,10). Le Département des Sciences de la Santé publique déve- loppe depuis plusieurs années un domaine d’expertise au- En fin de formation, les participants se sont vus remettre un tour des questions d’éducation thérapeutique, éducation document reprenant des expressions types, extraites des en santé et plus largement de promotion de la santé à tra- épreuves de simulation et de leur débriefing, à utiliser de vers de nombreux projets de recherche et de missions as- manière souple lors de leur visite au domicile (voir encadré). surées pour la communauté. Il s’agissait ainsi de repenser une activité relativement nouvelle sur le territoire wallon à Chaque agent de suivi des contacts s’est vu proposer travers des principes généraux bien connus de promotion 2 séances d’accompagnement, soit un total de 8 séances de la santé. pour l’ensemble de la population considérée : l’une introdui- L’accompagnement proposé a été envisagé davantage se- lon des échanges d’expériences que comme des exposés magistraux, méthode d’ailleurs favorisée par des travaux Exemple de scénario internationaux (7). Cela était d’autant plus cohérent que cer- pour la simulation tains agents étaient engagés depuis plus d’un an dans le suivi des contacts. La stratégie pédagogique visée cher- Jeremy, 35 ans, travaille en grande surface (remise chait davantage à valider les stratégies développées par les en rayon). Il a 3 enfants et une épouse qui vivent tous agents de suivi de contacts et les rapprocher des principes sous le même toit. s’inscrivant dans une perspective de promotion de la santé. Il a fait le test car il souhaitait partir en France 3 jours Plus spécifiquement, l’accompagnement s’est donné les en weekend prolongé. Le test s’est révélé positif. objectifs pédagogiques spécifiques suivants : renforcer le pouvoir d’agir des personnes, amener une réflexion sur ce Il n’a pas de symptôme. Il ne se sent pas très concer- sur quoi elles ont du contrôle et favoriser le sentiment d’uti- né par ce qui lui arrive. Il a pourtant des cas sévères lité de la mission. Ces 3 objectifs ne sont pas sans rappeler dans sa famille (maman hospitalisée). les composantes de motivation dans l’apprentissage du pé- Il peine à comprendre ce qu’est le tracing, sa fonc- dagogue Rolland Viau (8). tion. Il montre beaucoup d’hésitation dans le dia- logue (méfiance envers qui est la personne qu’il Au niveau des méthodes pédagogiques, nous avons privilé- rencontre). La méfiance ne diminue que si l’agent gié l’usage de la simulation. Méthode d’apprentissage actif tente d’accueillir cette émotion et clarifie son rôle. par excellence, la simulation a comme avantage particulier de stimuler le débat et l’échange d’idées autour d’une thé- Il ne souhaite pas s’arrêter de travailler car il n’aurait matique centrale abordée dans l’exercice, ce qui corres- pas de rentrée financière. Il a peur de la réaction dewla pond parfaitement à la recherche de partage d’expériences patronne. Il a très peur que cela impacte son boulot considérée. Les situations de simulation ont été conçues au car les rentrées financières sont déjà limitées et il plus près du terrain, en s’inspirant de situations rencontrées vient de perdre sa responsabilité d’un secteur du par les agents et par souci d’authenticité (voir encadré). Le magasin. Il ne veut pas donner le nom du magasin scénario reprenait systématiquement une phase d’engage- car il a peur des répercussions pour lui. ment dans la conversation avec la personne rencontrée, le suivi des contacts et la vaccination. Contacts potentiels : il a fait une grosse fête au 15 août mais ne veut pas dénoncer ses copains qui En termes de contenus, il s’agissait d’introduire dans le dis- ne peuvent pas se retrouver en quarantaine (la fête positif et à travers le débriefing, moment d’apprentissage était non autorisée). Il n’est pas motivé à donner les le plus significatif dans la simulation, différentes techniques noms des amis avec qui il a fait la fête le 15 août (il va et méthodes (modèles des croyances relatives à la santé ; jusqu’à revenir sur ce qui a été dit avant en déclarant modèle dynamique de la motivation, techniques d’écoute finalement n’avoir vu qu’1 ou 2 personnes). active, gestion des émotions, introduction à l’entretien mo- tivationnel) permettant d’approcher les citoyens rencontrés Il est réfractaire au vaccin car il veut garder son choix selon une perspective de promotion de la santé (Citoyen libre sur la vaccination (et il n’en ressent pas le be- acteur et partenaire de santé – Position active du patient soin car son sentiment de vulnérabilité est faible). – Vision positive de la santé – Soutien à l’autonomie des Il montre de l’agressivité quand la question de la vac- personnes dans la prise de décision – Approche globale de cination est abordée en indiquant que l’agent n’est la personne). Le lien entre les techniques et méthodes et pas médecin. Il adhère partiellement aux théories les principes clés de promotion de la santé étaient systé- complotistes. matiquement expliqués aux participants. 383 / ÉDUCATION SANTÉ 9
REPÈRES cipants à l’issue du 1er module d’entrainement. Les résultats suggèrent une haute satisfaction des participants. S’ils ont eu du plaisir à participer, ce sont surtout les deux indicateurs de découverte de nouveaux outils et du transfert dans la pratique qui doivent rassurer sur l’intérêt de la formation en réponse à un besoin d’accompagnement des agents. Figure 1. Évaluation de la satisfaction du 1er module d'entrainement (n=30) J’ai découvert de nouveaux outils pour susciter l’ahdhésion des citoyens J’ai eu plaisir à y participer Transfert de contenu dans ma pratique pro. 0 5 10 15 20 25 30 35 Pas du tout 1 2 3 4 6 Tout à fait Le besoin de se confronter, d’échanger sur leurs pratiques est ressorti comme élément central des enquêtes de sa- tisfaction. La simulation s’est révélée être une stratégie de 1er choix pour soutenir cet échange d’expériences. Deux conditions d’apprentissage centrales véhiculées par la simulation (en particulier lors des débriefings) nous pa- raissent fondamentales vis-à-vis de la thématique abordée : l’interaction entre pairs comme source d’apprentissage et l’exercice de métacognition (entendue comme l’exercice de jugement, analyse et régulation effectué par un appre- nant sur ses propres performances (11)). Dans ces condi- sant les méthodes et techniques renseignées ci-dessus et tions, l’expert en contenu (ici d’éducation et promotion de une seconde permettant leur approfondissement, toujours la santé) prend un rôle de facilitateur des échanges, en pré- grâce à la mise en pratique par la simulation. parant les scénarios de simulation selon des objectifs pé- dagogiques précis, et en donnant le rythme des échanges Évaluations et apprentissages avec une distribution de la parole et quelques interventions plus ponctuelles pour consolider les acquis des participants Pour évaluer le dispositif, différentes sources d’information par l’introduction de quelques repères plus théoriques. Ce ont été utilisées. D’une part, il s’agit des échanges réalisés dernier point permet de valider les stratégies mobilisées par pendant les séances d’accompagnement avec les agents, les agents en les inscrivant dans des stratégies éprouvées les débriefings entre les équipes de Solidaris et du DSSP. de promotion de la santé. D’autre part, les informations issues de deux outils permet- tant une collecte des données plus systématiques auprès Ainsi, la simulation crée un espace sécurisé permettant aux des participants complètent l’évaluation : une enquête de participants d’échanger librement et de manière structu- satisfaction appelant les participants à se positionner sur rée sur leurs expériences de suivi des contacts. Il s’agit la plus-value du dispositif, le potentiel de transfert dans également d’une réponse opérationnelle aux recommanda- leur pratique, les éléments appréciés et ceux à ajuster ; tions, notamment du CDC, qui situent les échanges d’ex- une enquête avant/après formation cherchant à mesurer le périences au cœur du renforcement de compétences des sentiment d’efficacité des agents dans l’engagement des agents sans véritablement préciser comment les organiser. citoyens dans le suivi des contacts. Les participants ont également demandé à poursuivre le Ne s’agissant pas d’un article de recherche original au sens travail d’échange pour aborder d’autres situations com- strict du terme, nous discutons ci-après quelques appren- plexes rencontrées sur le terrain, notamment face à des in- tissages transversaux issus de ce travail et des informations dividus agressifs ou pour faire face aux émotions générées collectées. par certaines situations. Une réception favorable et un besoin Travailler l’engagement de la personne avant d’accompagnement le suivi des contacts Même si l’arrivée tardive du dispositif a été dénoncée, les Les agents de suivi se sont révélés assez rapidement bien participants se sont montrés très enthousiastes et satisfaits préparés pour faciliter l’élicitation des contacts par la popu- de leur participation aux séances d’accompagnement. La lation. Les scripts dont ils disposent offrent des méthodes Figure 1 reprend quelques données de satisfaction des parti- permettant de structurer le rappel des évènements vécus 10 ÉDUCATION SANTÉ / 383
REPÈRES par la personne et des contacts réalisés pendant une pé- est un élément qui nous parait fondamental à travailler dans riode donnée. La plus grosse difficulté identifiée concerne ce type d’accompagnement. bien la motivation ou les réticences des personnes positives à communiquer leurs contacts. C’est ici qu’intervient toute Les participants ont finalement émis le souhait de disposer la subtilité des stratégies de promotion de la santé. Le suivi d’informations actualisées sur les questions de vaccination, des contacts peut en effet se réaliser selon plusieurs pers- du suivi administratif et financier pour les personnes mises pectives : d’une vision très contraignante, persuasive, à une en quarantaine et de la manière de gérer les refus de col- vision respectant davantage l’autonomie de la personne. laboration. Inscrite dans une approche de promotion de la santé, notre Renforcer les compétences des agents : vision et proposition d’accompagnement se situe davan- une approche nécessaire mais non suffisante tage dans la deuxième perspective visant à conférer aux personnes les moyens d’assurer un plus grand contrôle Un point saillant qui ressort de nos résultats et réflexions sur leur santé individuelle et collective. Les techniques et est relatif au positionnement des agents et leur limite d’ac- méthodes présentées aux participants ont été considérées tion dans le cadre du suivi des contacts. comme très utiles et autant de ressources à mobiliser par les participants. Ces derniers étaient généralement peu fa- Ces constats questionnent les limites du pouvoir d’agir de la miliers avec les théories évoquées. À titre d’exemple, voici part des agents de suivi. Un point important discuté pendant quelques éléments qui ont particulièrement émané des les séances est celui d’accepter le refus de collaboration ou discussions du groupe : se présenter de manière profes- l’obtention d’une information partielle de la population. Ceci sionnelle aux personnes et rappeler le sens de la visite en rappelle que les acteurs engagés dans l’éducation en santé mots simples et accessibles ; développer un panel de stra- n’ont qu’un rôle limité sur les changements de comporte- tégies pour lever les résistances à énumérer ses contacts ; ments attendus. C’est toute la difficulté de la promotion de aborder le sujet de la vaccination tout en restant dans son la santé qui crée des opportunités sans assurer que cela se rôle d’agent. Ce dernier point quant à la posture à adopter traduise en transformations du comportement. Exemples de phrases clés proposés Ouvrir la communication – s’intéresser à la personne Travailler sur la perception de gravité/vulnérabilité : – accueillir les réactions : « Avant toute chose, com- « Cela touche tous les âges – nous sommes tous ment vous sentez-vous ? Comment allez-vous ? Com- concernés » ; « un jour vous pouvez être bien et un ment cela se passe à la maison ? » « À quelles questions autre jour pas » puis-je répondre avant de commencer ? » Utiliser l’argument de solidarité collective : « vous ne voulez pas que d’autres personnes soient contami- Expliquer ce qu’est le suivi des contacts : Expliquer la nées » chaine de contamination : « Afin d'empêcher la propaga- Ne pas vouloir convaincre à tout prix : « J’en appelle à tion du COVID-19 dans la communauté, nous devrons votre conscience. Je vous laisse le choix. Je ne peux discuter avec les personnes qui ont pu être exposées et vous contraindre à rien » travailler avec elles pour s'assurer qu'elles reçoivent des soins si nécessaire et qu'elles surveillent elles-mêmes Évoquer la vaccination : « Avant de conclure l’entretien les symptômes afin de ne pas transmettre le virus à et étant donné que nous sommes mandatés par l’AVIQ w d'autres personnes par accident » qui soutient la vaccination, puis-je vous demander si vous êtes déjà vacciné ? ou si vous comptez vous faire Quelques stratégies pour lever l’hésitation : vacciner ? » Expliciter les bénéfices du suivi pour la personne ren- « je voudrais encore vous parler de quelque chose. Avez- seignée : « votre ami aura droit à un test de dépistage vous déjà eu l’occasion de vous faire vacciner ? » gratuit » ; « vous n’auriez pas envie de savoir vous si vous aviez été exposé ? » ; « certains de vos contacts Réaction et orientation : « J’entends bien votre préoc- seront certainement contents d’avoir l’information cupation. Il y a beaucoup de messages contradictoires pour protéger les contacts vulnérables » sur la vaccination et il est difficile de s’y retrouver. On Utiliser l’ambivalence soulevée par la personne : « Vous entend beaucoup de choses sur la vaccination » mettez vos proches en danger alors que vous dites que « Puis-je vous suggérer d’en discuter avec un soignant de leur sécurité est importante pour vous » ; « j’entends référence (médecin ou pharmacien) », « n’hésitez pas à que la situation est déjà difficile pour vous mais vous poser vos questions à votre soignant de référence ». « je ne souhaitez pas rendre la situation plus difficile sur ne souhaite pas vous bousculer, prenez le temps d’y ré- votre lieu de travail ». fléchir et d’en discuter avec des personnes de confiance » 383 / ÉDUCATION SANTÉ 11
REPÈRES Cela rappelle également la nécessité de travailler sur les Figure 2: Évolution du sentiment d'efficacité des agents (n=22) 7 environnements dans lesquels évoluent les personnes. 6 5 D’ailleurs, les recommandations du CDC (12) appellent aux 4 3 campagnes de promotion du suivi des contacts dans la 2 1 population générale et le plus tôt possible en amont du 0 testing afin de promouvoir une image positive du travail at r vo s c gée e le pl ou ye e se nte act n io s es nn ns on s s ce ·s la con ive no onn ns te r v orm ide de diri w d es act nu tif ni t io t·e ap e in r g r su m rvi s n e e ba an nn n rs itio s io i ur t si s at fia di on d tre nte ac an lo ue p n re co es ud per dit ge u r i- e po e u r so in fo o pe d on G effectué et préparer la population à la visite de ces agents n r l iq A ma dui es xpr n ip o la on ju rte acc ts tio ts e tic c p n c rip n d ’e v de op hen cou ica r e de x de ux l pa i la m sc ’ en cas de positivité. er iè l un n vi s a r u ion s a e de io s lit es le r m r s r at ci po m de ou n tit i m c Fa l tio re ve n m at le sc co Co p u é is es o up ta e ne p pr d c un de qu en so es f e m tre T0 Cet aspect plurifactoriel de compréhension des compor- r es er ot m s rd la re co vo te T1 pp Ad iqu ire iè r ge En rde de ter lo m an te la n Ad tements humains et des interventions destinées à les ra se éor ve ch si rc ap o m ou Ab Dé te a th ue Ad de c s iq modifier renvoient également à la complexité d’évaluation de er un as is er m til p is Dé m des stratégies d’éducation en santé. Si le dispositif exposé U til Co U dans le cadre de cette étude vise à améliorer l’efficaci- Ces éléments d’évaluation d’efficacité de son action ont été té du suivi des contacts par l’augmentation du nombre largement discutés dans les groupes permettant aux partici- moyen de cas rapportés par les citoyens, tenter d’évaluer pants d’échanger sur la posture éducative attendue. L’intro- notre intervention sur base de cet indicateur nous semble duction de balises éthiques dans la discussion a permis de nier le contexte environnemental peu propice à l’élicita- faciliter le débat autour des questions d’autonomie dans la tion des contacts. L’OMS parle à juste titre d’une fatigue prise de décision et d’absence de jugements de valeur par pandémique (13) qui désigne le ras-le-bol général de la po- rapport aux comportements des citoyens. Ceci a permis de pulation vis-à-vis des mesures sanitaires. Aussi, dans cette clarifier avec les participants que le suivi des contacts n’est étude en particulier, nous avons préféré porter le dispositif pas l’ultime et unique solution, et d’accepter les refus et les d’évaluation sur le sentiment d’efficacité des agents dans informations même partielles provenant des citoyens. les stratégies d’engagement des citoyens utilisées (Fi- gure 2). Nous avons en effet décidé d’orienter l’évaluation Conclusion sur des aspects pédagogiques plutôt que sur des aspects d’impact, compte tenu des raisons évoquées ci-avant. Le Cette étude propose d’envisager un des piliers des mesures sentiment d’efficacité est par ailleurs reconnu comme un préventives dans la lutte contre le Covid 19 – le suivi des élément déterminant majeur de l’engagement à la tâche. contacts – selon une perspective de promotion de la santé. Le suivi du sentiment d’efficacité entre le début et la fin de Nous faisons une proposition et une discussion cohérentes la formation (évalué à partir de 22 sujets) montre d’ailleurs d’un dispositif d’accompagnement des agents de suivi sur une évolution sur l’ensemble des indicateurs retenus (les les aspects d’objectifs poursuivis, de méthodes utilisées, participants devaient situer leur sentiment d’efficacité sur de contenus abordés et d’évaluation selon une logique de une échelle de 0 à 7 pour chacun des items). Globalement, promotion de la santé. Ce document ouvre finalement la le sentiment d’efficacité a augmenté de 1,3 points, ce qui voie pour réinterroger une série d’actions brèves menées est loin d’être négligeable et contribue à appuyer la perti- auprès des citoyens en matière de santé selon cette même nence de la formation. logique de promotion. Références 1. World Health Organization [WHO]. 2019 Novel Coronavirus 7. 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