Les distinctions botaniques - Culture

 
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Les distinctions botaniques - Culture
Culture, le magazine culturel en ligne de l'Université de Liège

De la citrouille à Halloween

La fête d'Halloween et son cortège d'ornementations horrifiques nous donne une bonne occasion de nous
pencher sur son emblème, la citrouille. D'où vient ce curieux légume et depuis quand le connaît-on ?
Comment le cuisine-t-on et de quelle famille est-il ? Cette dernière question retiendra tout d'abord notre
attention, car la citrouille a beaucoup de cousins de toutes les formes et de toutes les couleurs. Il a d'ailleurs
fallu beaucoup de temps avant d'établir une taxinomie précise pour la multitude de courges que nous
cultivons.

                                                                                    Illustration de la couverture de
                                                                   La fabuleuse histoire des légumes, Paris, 2008,
                                                  repris d'une planche du Nouveau Larousse illustré (1896-1906).

Les distinctions botaniques
Le nom de la citrouille vient du latin citrinus, qui signifie citron, à cause de la couleur jaune de sa chair.
Elle fait partie de l'ensemble des courges, ce qui, botaniquement, ne veut pas dire grand-chose. En effet,
toutes les courges appartiennent à la grande famille des cucurbitacées qui comprend près de huit cents
espèces aussi diverses que les pastèques, les concombres, les melons ou les coloquintes. Mais, si toutes
les courges font partie de la famille des cucurbitacées, elles ne forment pas pour autant un genre particulier.
Il faut savoir que la catégorie des courges a été consacrée par la tradition populaire et non par la botanique.

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Ainsi, elles se répartissent en plusieurs genres bien distincts - tant botaniquement qu'historiquement - dont
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les deux principaux sont les lagenariae et les cucurbitae .

Les Lagenariae
Elles englobent les sept espèces de calebasse ou de gourde. La gourde est l'un des premiers légumes
cultivés par l'homme à partir de 13000 avant Jésus-Christ au Pérou. Elle est aussi la première courge à
débarquer en Europe, probablement au début de notre ère, après avoir conquis presque toutes les régions
tropicales, du Pérou à la Thaïlande, en passant par le Mexique et l'Égypte. Elle serait originaire d'Afrique, où
on la trouve à l'état sauvage.

Elle a pu réaliser ce périple autour du globe grâce à la robustesse de son écorce renfermant des graines
capables de germer après un séjour d'un an dans de l'eau de mer. C'est cette même qualité qui est utilisée
par les Romains pour en faire des ustensiles en tous genres, dont une bouée pour apprendre à nager,
comme nous l'indique Pline l'Ancien. Mais c'est sous forme de récipient qu'on connaît le mieux la gourde.
On la connaît également au sens figuré, pour désigner une personne niaise ou sotte. La gourdasse est une
fille un peu gourde.

Les Romains l'ont appelée cucurbita, nom qu'elle devra céder aux nouvelles venues d'Outre-Atlantique.

La calebasse est l'un des premiers légumes cultivés par l'homme.
Dès l'Antiquité, on l'utilise comme récipient.

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Les Cucurbitae
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Au 16 siècle, une nouvelle forme de courge, inconnue des Européens, vient faire de l'ombre aux antiques
calebasses. Les cucurbitae sont originaires d'Amérique et font partie de l'ordinaire des autochtones lorsque
Christophe Colomb pose le pied sur le nouveau continent. Les explorateurs sont rapidement impressionnés
par la variété des formes et des couleurs de ces légumes qu'ils s'empressent de ramener sur le vieux
continent où on les adopte rapidement, contrairement aux tomates et aux pommes de terre qui font partie de
la suspecte famille des solanacées.

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Les cucurbitae se répartissent en cinq espèces domestiquées à partir de 8000 avant Jésus-Christ. Les
deux principales sont la cucurbita pepo et la cucurbita maxima. La cucurbita pepo, la plus ancienne et la
plus diversifiée, nous a donné, entre autre, la citrouille, la courgette, le pâtisson et la courge spaghetti.
Les citrouilles et les pâtissons sont les premières espèces consommables décrites par les botanistes
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européens. La courgette, décrite seulement à partir du 19 siècle, serait une création européenne à partir de
croisements.

La cucurbita maxima est l'espèce qui comprend les potirons - à ne pas confondre avec les citrouilles - les
giraumons et les potimarrons. Les pepo et maxima sont les deux premières espèces à être entrées en
France. C'est la citrouille, donc une pepo, qui s'est d'abord imposée dans la gastronomie et a évincé les
gourdes et calebasses.

La cucurbita maior - un potiron - par Léonard Fuchs (1501-1566), Historia stirpium commentrii (1542).

Les courges en gastronomie

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La gourde, apparemment inconnue des Grecs, est appréciée des Romains. Le pseudo-Apicius, du 4 siècle
après J.-C., en délivre douze recettes. Dans l'une d'elles, la gourde est farcie de cervelle liée à l'œuf et
aromatisée au poivre, à la livèche, à l'origan et au garum (équivalent au nuoc-mam).

La gourde traverse ensuite le Moyen Âge sans marquer profondément la gastronomie. Arrivée à l'Époque
Moderne, elle est progressivement évincée par les nouvelles courges arrivées d'Amérique. Du point de
vue taxinomique, la plus grande confusion règne dans les ouvrages de botanique. Toutes les espèces,
anciennes et nouvelles, se retrouvent pêle-mêle sous la désignation de cucurbita, leur nom courant
depuis l'Antiquité, de melo ou de cucumer. Néanmoins, grâce à un travail de comparaison sur base des
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descriptions des auteurs du 16 siècle, les botanistes actuels ont pu déterminer que c'est la cucurbita cepo
qui a d'abord été introduite en France, directement suivie par la cucurbita maxima. À la suite d'Oliver de
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Serre (1600), on distingue de plus en plus les espèces à manger de celles qui servent de récipients. Au 19
siècle, les lagenariae n'apparaissent plus du tout dans les espèces consommables. Leur éviction totale du
répertoire gastronomique aura pris trois siècles.

Une nature morte par Albert Ekhout (1610-1666) avec, de gauche à droite, une courge, des radis blancs et
des concombres surplombés par des choux pommés, du romarin et de la marjolaine.

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Il n'est donc pas étonnant de voir la citrouille prendre d'assaut les livres de cuisine du 17 siècle et se faire
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rapidement une place dans la gastronomie française. C'est elle qui tient la vedette. Au 18 siècle, le potiron,
le pâtisson et l'antique calebasse sont également estimés, mais n'ont pas de recettes spécifiques. Les
auteurs cuisiniers se contentent de préciser qu'on les cuisine comme la citrouille. Le pâtisson fait exception.
On peut le découper en minces morceaux qu'on fait macérer dans du lait, qu'on enfarine, qu'on enduit de
pâte à beignet et qu'on fait frire.

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La citrouille, cucurbita pepo, (à gauche) est la première courge à arriver en France. Elle est directement
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suivie par le potiron (cucurbita maxima) (au centre), le géant des potagers. Au 18 siècle, en cuisine, on
utilise encore le pâtisson (à droite), ou bonnet d'électeur, dont la chair est de plus en plus appréciée, surtout
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au 19 siècle.

La citrouille en gastronomie
La Varenne, dans son Cuisinier françois (1651), apprête la citrouille de diverses manières tout en ignorant
royalement les antiques courges. Chez lui, la citrouille peut être simplement découpée menu, fricassée
puis étuvée dans du verjus avec des oignons, de la ciboule, du sel et du poivre, avec ou sans crème. Nous
verrons plus loin ce qu'en pensent les médecins. Elle peut encore se débiter en gros morceaux, bouillis, puis
frits dans du beurre avec un oignon haché menu et qu'on assaisonne avec un filet de verjus et de la noix de
muscade. Une fois bouillis, on peut également agrémenter les morceaux de citrouille de beurre, de sucre
et d'amandes afin d'en faire une tourte garnie de zestes de citron confit. Une autre manière de préparer la
tourte est de passer les morceaux de citrouille bouillis dans du lait et d'ajouter du sucre, du beurre, du sel et
éventuellement des amandes en poudre.

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Parmi les recettes à base de citrouille de La Varenne, ce sont manifestement celles de potage qui
remportent tous les suffrages. Le Potage de citroüille au beurre, se prépare en faisant bouillir les morceaux
dans de l'eau et du sel, puis en les faisant étuver dans du beurre, avec un oignon piqué, du poivre et du
pain. On lie avec des jaunes d'œufs, puis on verse du bouillon sur le tout. On prépare également ce potage
avec du lait.

François Massialot, auteur du fameux Cuisinier royal et bourgeois (1691), ne s'intéresse guère aux
citrouilles et ne délivre qu'une recette de potage. Vincent la Chapelle donne d'avantage de recettes, mais
elles sont toutes de potage ou de bouillon. Dans Le cuisinier moderne (1742), la citrouille intervient dans
la Manière de faire des Potages à peu de frais pour des Pauvres aux côtés des carottes, de l'oseille, de la
poirée, des laitues, du cerfeuil, de la chicorée, des choux, des poireaux, des navets et des concombres. Il
intervient encore dans la Manière de faire les Boüillons Rafraichissans & Medecinaux.

Il n'est pas étonnant de trouver la citrouille dans ce bouillon rafraîchissant. En effet, elle est considérée
comme l'un des légumes les plus rafraîchissants, car rempli de phlegme, humeur froide et humide. C'est
pourquoi on conseille de la manger en temps chaud, mais pas avec du poisson. La diététique ancienne
cherchant l'équilibre entre les qualités de l'aliment et celles du consommateur, les tempéramens froids & les
estomacs trop humides doivent bien entendu s'abstenir de la citrouille qui est précisément froide et humide.
Les personnes naturellement sèches & pleines de feu, par contre, y trouveront beaucoup de bénéfice.
En outre, la citrouille convient très logiquement aux malades atteints de la fièvre. C'est limpide. Et ça l'est
tellement que les médecins ne comprennent pas pourquoi les cuisiniers - comme nous l'avons déjà constaté
- assaisonnent les citrouilles, si rafraîchissantes, de poivre, de sel, d'oignon et de ciboule, pour en faire le
plus échauffant de tous les mets.

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Vincent la Chapelle donne également la recette de Potage de Citroüille, au Lait. La citrouille et le giraumon
peuvent se préparer en potage comme les melons, à savoir en marmelade dans du lait, aromatisé au citron
vert ainsi que de sucre et de cannelle, et lié au jaune d'œuf et à la mie de pain.

Le potage de citrouille au lait est le mets à base de courge le plus courant. Menon, dans sa célébrissime
Cuisinière bourgeoise (1748), n'hésite d'ailleurs pas à déclarer que le potiron et la citrouille ne sont d'autre
usage en cuisine que pour faire de la soupe avec du lait. Ce n'est pourtant pas l'impression qu'on a en
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consultant les livres moins hautement gastronomiques. En effet, il y a au 18 siècle une série de recettes
classiques à base de citrouille. Les potages, tourtes et fricassées, bien entendu, mais aussi le pain de
citrouille, ainsi que les citrouilles en andouillettes.

Nature morte de Frans Snyders (1579-1657) avec deux nouveaux produits, le maïs et la courge (à droite).

Potage de citrouille au lait, recette de 1767
Voici le classique des classiques, le potage de citrouille au lait, recette publiée en 1767 à Paris dans le
Dictionnaire portatif de cuisine.

    Potage de citrouille au lait.

    Coupez votre citrouille en petits morceaux ; passez-la à la poêle au beurre blanc avec sel, poivre,
    persil, cerfeuil et autres fines herbes hachées. Mettez-la ensuite dans un pot de terre avec du lait
    bouillant. Faites-lui faire quelques bouillons ; dressez votre potage avec un peu de poivre blanc
    garni de croûtons frits.

Recette actualisée par Patrick Rambourg, historien de la gastronomie.
1 kg de chair de citrouille ou de potiron, 1 litre de lait entier, 20 g de beurre environ, fines herbes (persil,
cerfeuil, ciboulette) hachées, poivre du moulin, 1 à 2 tranches de pain de campagne, huile.

Couper la chair de citrouille en dés d'un centimètre de côté environ. Les poêler dans un beurre chaud, mais
sans coloration (une huitaine de minutes). Poivrer et ajouter les fines herbes. Puis mettre le tout dans une
casserole ou faitout, verser le lait bouillant et laisser bouillir à petites ébullitions quelques instants, selon la
cuisson de la citrouille.
Enlever la croûte du pain, tailler en petits dés et faire frire à l'huile chaude, puis les égoutter sur du papier
absorbant.
Servir avec les croûtons.

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                                                                                                     Octobre 2010

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Pierre Leclercq est historien de la gastronomie. Avec chercheurs et artisans de Thoueris, il
redécouvre et confectionne des plats anciens à l'identique.

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