Les enjeux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo 2018/02 - Sireas
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2018/02 Les enjeux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo Pascal De Gendt Analyses & Études Politique internationale Siréas asbl
2018/02 Les enjeux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo par Pascal De Gendt Analyses Analyses & & Études Études Politique 3 Politique internationale internationale Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente, sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de SIREAS.. Les questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui in- téressent notre public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de rendre les textes accessibles à l’ensemble de notre public. Éditeur responsable : Mohamed Ben Abdelkader. Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes Questions sociales Droits de l’Homme Migrations Politique Internationale Économie Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur nos sites www.lesitinerrances.com et www.sireas.be, elles sont aussi disponibles en version papier sur simple demande à educationpermanente@sireas.be Siréas asbl Avec le soutien Service International de Recherche, de la Fédération d’Éducation et d’Action Sociale asbl Wallonie-Bruxelles Secteur Éducation Permanente Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58 educationpermanente@sireas.be www.lesitinerrances.com 4
L e 17 février 2008, le Kosovo déclarait son indépendance. Ce qui était une province autonome serbe, sous administration des Nations-Unies depuis 1999, est reconnue aujourd’hui comme État par 115 membres des Nations-Unies (dont la Belgique)1 sur 193. Une série d’organisations internationales comme le FMI et la Banque Mondiale, ainsi que des fédérations sportives, reconnaissent également cette indépendance. Le petit État s’est progressivement fait une place dans le concert des nations. Mais l’euphorie de 2008 a rapidement cédé la place à la dure réalité. La pauvreté de la population et la corruption des élites politiques ont conduit le Kosovo dans une zone de turbulences. Et dix ans après l’indépendance, les travaux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo inquiètent les « héros de l’indépendance » aujourd’hui aux commandes du pays. Ils se retrouvent, en effet, dans la ligne de mire de cet organe. Un tribunal hybride Le Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo, basé à la Haye, a pour mandat d’enquêter sur les crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Kosovo depuis le début de l’année 1998 jusqu’à la fin de l’année 2000. Il a été formé suite au rapport du sénateur suisse Dick Marty, pour le Conseil de l’Europe, sur les crimes qui auraient été commis par « des membres de l’Armée de libération du Kosovo à l’encontre de leurs rivaux politiques et des minorités ethniques » (1). 1 http://www.kosovothanksyou.com 5
Rappelons rapidement les faits. L’Armée de Libération du Kosovo (UÇK) voit le jour dans la deuxième moitié des années 90. Combattant pour l’indépendance de la province autonome du Kosovo, elle entame une guérilla au cours de laquelle elle mène des actions violentes contre la police et l’armée serbe, mais aussi contre ceux qu’elle accuse d’être des « collaborateurs » de la Serbie. Au printemps 1998, la violence de la répression serbe conduit à une insurrection massive de la population kosovare albanaise. Les Balkans s’embrasent une fois de plus et la communauté internationale, qui veut éviter de nouveaux massacres, s’investit sans attendre dans la résolution du conflit. Finalement, la soi-disant découverte d’un faux plan de déportation des Albanais du Kosovo par Belgrade mène, entre mars 1999 et juin 1999, à une campagne de bombardements des forces serbes par l’OTAN. Milosevic est contraint de se retirer du Kosovo et les Nations-Unies se voient confier l’administration la province. Les centaines de milliers de personnes déplacées par le conflit reviennent et, inévitablement, un cycle de représailles des Albanais vis-à-vis des Serbes du Kosovo débute. Durant la période visée, de 1998 à 2000, la rébellion kosovare est accusée de meurtres, viols, prostitution forcée …. Mais le rapport du sénateur Marty a surtout connu un grand retentissement parce qu’il évoque un trafic d’organes présumé organisé par certains dirigeants de l’UÇK. Les débats qui prendront place devant le tribunal mettront inévitablement à mal l’image de l’Armée de Libération du Kosovo et donc la propagande étatique développée autour de celle-ci. De plus, les accusations se dirigeront vers le sommet de sa hiérarchie et, notamment, vers le président actuel du Kosovo et ex-Premier ministre, Hashim Thaçi. Celui-ci pourrait être appelé à la barre (2) pour son rôle dans le présumé trafic d’organes susmentionné. On le voit, la matière est hautement inflammable. Cela explique la forme, particulièrement originale, que prend le Tribunal spécial : hybride, il revêt des aspects le rapprochant des cours internationales tout en dépendant du système judiciaire kosovar. Ainsi, le personnel de ces chambres de justice spécialisées est issu de la communauté internationale et toutes les décisions le concernant, dont les nominations, sont prises par l’Union européenne (3). Présidé par la juge bulgare Ekaterina Trendafilova, élue pour une durée de quatre ans, le Tribunal est installé à La Haye. Une délocalisation qui vise à protéger les témoins et à éviter le plus possible les tentatives de corruption. Le procureur spécial, l’Américain David Schwendiman (également élu pour 4 ans), pourra demander l’audition de toute personne impliquée comme témoin, victime ou auteur dans les supposés crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Kosovo 6
entre 1998 et 2000 (3). La peine la plus sévère qui pourra être appliquée est la prison à vie. Les éventuelles peines d’enfermement prononcées seront purgées dans un État choisi par le ou la présidente du Tribunal dans une liste de volontaires (4). Qu’y a -t-il dans le rapport de Dick Marty ? En décembre 2010, devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, le sénateur suisse Dick Marty présentait un rapport affirmant qu’en 1998 et 1999, des centaines de civils serbes, des Roms, des membres d’autres minorités et même des Albanais hostiles à l’UÇK, kidnappés au Kosovo et transférés en Albanie auraient alimenté un trafic d’organes (5). En 2008 déjà, dans son livre « La chasse, les criminels de guerre et moi », l’ex-procureure du Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie (TPIY), Carla Del Ponte, portaient les mêmes accusations envers l’UÇK. Une révélation qui avait soulevé bien des doutes à l’époque : pourquoi l’ex-procureure n’en avait-elle pas parlé avant ? Peut-être parce qu’elle ne présentait aucune preuve convaincante pour appuyer ses accusations ? À cela, Carla Del Ponte répondait que les témoins avaient refusé de venir devant le TPIY parce qu’ils étaient terrorisés et avaient peur pour leur vie. De plus, le contexte international n’était pas favorable à une révélation qui aurait sali les combattants kosovars alliés à l’OTAN pour combattre la Serbie (6). Ces accusations avaient finalement conduit le Conseil de l’Europe à confier, en juin 2008, l’enquête à un ex-procureur, vieil habitué des dossiers internationaux sensibles : le Suisse Dick Marty. C’est notamment à lui qu’on doit la révélation de l’existence en Europe de prisons secrètes de la CIA. Une fois bouclé, son rapport (7) accuse différents responsables gouvernementaux kosovars, dont le Premier ministre de l’époque, d’être directement responsables de ce trafic d’organes. Celui-ci aurait pris place dans six lieux de détention identifiés en Albanie. Lorsque des clients à la recherche d’organes se manifestaient, les prisonniers étaient conduits vers une petite clinique située à une quinzaine de kilomètres de l’aéroport international de Tirana. Là, ils étaient abattus d’une balle dans la tête et les organes demandés étaient prélevés (8). Le rapport affirme également que le trafic aurait continué après la capitulation des Serbes en juin 1999. « À la faveur du chaos et de l’absence totale de frontière, certains membres de l’UÇK, baptisés « Groupe de Drenica », auraient continué à faire passer leurs prisonniers vers l’Albanie. Cette situation aurait continué jusqu’à ce que l’OTAN déploie sa force 7
internationale, la KFOR. » (6) Il reste, par contre, évasif sur le nombre exact de victimes ainsi que sur les partenaires et bénéficiaires de ce trafic. Comme dans le cas de Carla Del Ponte, les accusations manquent de preuves. Elles sont surtout basées sur des rapports des services de renseignements occidentaux et sur des témoignages anonymes. Des témoins qu’il n’a pas tous rencontrés, certains ayant été interrogés par « des représentants des services répressifs de divers pays, des chercheurs et universitaires et des journalistes d’investigation d’une réputation et d’une fiabilité reconnues » (6). Lui aussi évoque d’ailleurs la crainte qu’inspirent les réseaux de la criminalité organisée albanaise pour expliquer l’anonymat. À sa décharge, les corps de centaines de prisonniers de l’UÇK n’ont jamais été retrouvés, ni au Kosovo, ni en Albanie, alors que tous les sites de charniers et de fosses communes ont été identifiés et fouillés. L’existence d’un trafic d’organes au Kosovo est, par ailleurs, prouvé et un procès s’est tenu à ce sujet en 2011, à Pristina (8). Celui- ci n’a cependant pas établi de liens entre ce qui est connu comme « l’affaire de la clinique Medicus » et les accusations de Dick Marty. Un chemin chahuté vers le tribunal La chronologie de la mise en place de ce tribunal spécial prouve à quel point le sujet est sensible et conflictuel. Le 23 avril 2014, le Parlement du Kosovo accepte la création d’un tribunal spécial pour les crimes de guerre (9). Pour qu’il puisse voir le jour dans la forme imaginée, celle d’une chambre spéciale basée à l’étranger, le Parlement doit toutefois adopter des modifications législatives et constitutionnelles. En juin 2015, c’est le coup de théâtre : le Parlement rejette les amendements constitutionnels devant permettre la création du tribunal spécial. Le quorum des 2/3 de votes positifs n’est pas atteint, les trois députés du Parti Démocratique du Kosovo (PDK) ayant voté contre. Cette formation est celle de Hashim Thaçi, Premier ministre de janvier 2009 à décembre 2014 puis ministre des Affaires Étrangères avant de devenir Président du pays en 2016. Or, il est explicitement mis en cause par le rapport de Dick Marty. Nouveau retournement de situation au début du mois d’août de la même année lorsque les fameux amendements sont finalement votés par le Parlement du Kosovo. Les trois députés du PDK ont changé d’avis et votent pour, ce qui permet d’atteindre les 2/3 de votes positifs (10). Le 1er septembre 2015, c’est au tour du gouvernement kosovar 8
d’accepter la création du Tribunal spécial pour les crimes de guerre. En février 2016, l’installation du tribunal à La Haye est confirmée par un traité signé entre le Kosovo et les Pays-Bas. Malgré les réticences, le processus continue son cours et rien ne semble pouvoir l’entraver, même pas la crise politique qui prive le pays de gouvernement durant plusieurs semaines. Jusqu’au soir du vendredi 22 décembre 2017. Ce jour-là, 43 députés appartenant à la majorité parlementaire demandent l’ouverture d’une session parlementaire pour abolir la loi instituant le tribunal installé à La Haye. Cette tentative, qui échoue, suit de quelques jours une déclaration publique du Président du pays allant dans le même sens (11). Les ambassades occidentales tancent alors le pouvoir kosovar et font pression pour que cessent ces attaques contre le Tribunal spécial. Les enjeux pour le Kosovo Alors que des rumeurs persistantes évoquent de premières inculpations avant l’été, la nervosité semble donc grimper du côté kosovar. Il est vrai que les autorités kosovares sont prises entre deux feux. La majorité parlementaire et gouvernementale appartient à la « Coalition des Commandants », une réunion de partis dirigés par des ex-chefs de la rébellion contre la Serbie de Milosevic. Refuser le tribunal pénal pour les crimes de guerre reviendrait à avouer que l’UÇK a bien des méfaits à cacher et, de plus, mettrait le pays en porte-à-faux vis-à-vis de ses alliés occidentaux. Accepter le tribunal, c’est, par contre, prendre le risque que des personnalités politiques de premier plan soient inculpées et leur image ternie. Ce qui aurait également des répercussions sur le « récit national » construit autour de l’héroïsme des combattants de l’UÇK. La crédibilité des anciens héros est déjà mise à mal par l’opposition qui a beau jeu de signaler que l’existence et le travail de ce tribunal sont une entrave à sa souveraineté puisqu’il a nécessité une modification constitutionnelle dictée par l’étranger. En plus, il est même prévu qu’un prisonnier puisse être extradé pour être détenu dans un pays tiers (8). En réalité, cette délocalisation est une mesure de protection. En effet, personne ne peut raisonnablement penser que les kosovars sont les seuls à sortir les mains propres des conflits qui ont ensanglanté l’ex-Yougoslavie. Or, tous les procès impliquant des leaders de l’UÇK, menés devant le TPIY ou ailleurs, se sont soldés par des acquittements ou des non-lieux. Le plus souvent parce que les témoins cités par l’accusation se rétractaient (5). 9
Le meilleur exemple est celui de l’actuel Premier ministre, Ramush Haradinaj : cet ancien chef de l’UÇK a comparu devant le TPIY pour crimes de guerre, mais a été acquitté une première fois en avril 2008. Le jugement fut cassé lorsqu’il apparut que les mesures de protection des témoins n’avaient pas été suffisantes. Il a donc comparu une deuxième fois pour un second acquittement en novembre 2012, faute de preuves. Sur cette période, neuf témoins ont été tués (3). Un autre exemple célèbre est celui d’Agim Zogaj. Membre de la police militaire de l’UÇK, il était durant la guerre, le chef de la prison de Kleçka. Un endroit où des civils serbes et des Albanais opposés à l’UÇK, ont été massacrés. Il avait alors tenu un journal qui était la preuve principale d’un procès qui devait se tenir contre les dirigeants de sa brigade. Témoin-clé, son identité était cachée et il jouissait du statut de « témoin protégé » d’Eulex (12). Quelques semaines avant l’ouverture du procès, il a été retrouvé pendu dans un parc de Duisburg, en Allemagne. La justice allemande a conclu au suicide. Mais pas sa famille qui a rappelé qu’il avait passé les dernières années de sa vie à se cacher et à déjouer des tentatives de meurtre. Suite à ce décès, la mission européenne Eulex avait été particulièrement pointée du doigt pour son incapacité à protéger ses témoins des menaces, des lynchages, des assassinats et autres incitations au suicide. En plus, des menaces explicites pour leur vie, les témoins doivent aussi pouvoir affronter un statut de paria au sein de la communauté kosovare. Les témoignages contre les anciens membres de l’Armée de libération du Kosovo étant encore perçus comme des actes de traîtrise. À ce titre, le fonctionnement du tribunal spécial sur ce plan sera observé avec attention. Les chambres de La Haye sont dotées d’un Bureau de protection et de soutien des témoins qui gère les mesures de sécurité et de protection. Il aide également les victimes en leur fournissant une liste d’avocats possibles ainsi que des pistes pour financer leur défense (3). Il veille également à intégrer une dimension de justice réparatrice et pas seulement punitive. Cela sera-t-il suffisant pour éviter de nouvelles rétractations de témoins ? C’est un enjeu important dans le cadre de crimes de guerre. Plus que dans d’autres domaines judiciaires, les témoignages oculaires sont primordiaux puisqu’il s’agit souvent de faits sur lesquels on ne peut enquêter que des années plus tard., avec toute la difficulté de trouver des preuves matérielles que cela implique. Un autre grand enjeu pour le petit pays balkanique concerne son fragile équilibre interne entre les différentes ethnies. La mise sur pied du tribunal 10
est vécue comme une injustice par une partie des Albanais du Kosovo qui l’assimile à de l’acharnement européen. « Le Tribunal spécial pour le Kosovo est injuste. Il est tout à fait injuste car les Européens l’imposent seulement au Kosovo, le seul pays de l’ancienne Yougoslavie qui a été agressé sans avoir jamais agressé personne. Cette insistance européenne à vouloir pourchasser jusqu’au dernier assassin est injuste, car elle ne concerne pas la Serbie. Alors que les exhumations de charniers contenant les restes des Kosovars assassinés se poursuivent, la Serbie discute de son intégration européenne » (13), commente ainsi Lumir Abdixhiku, directeur du Riinvest Institute, un influent think tank kosovar. Les leaders politiques n’ont pas hésité à jeter de l’huile sur le feu en parlant notamment de tribunal « mono-ethnique ». Le Président Hashim Thaçi a signalé, de son côté, que pour un tribunal kosovar, sa coopération avec les institutions du pays était minimale. Contrairement à sa coopération avec les Serbes. D’autres voix se sont élevées pour déclarer que l’objectif caché de ce processus était de salir la lutte de l’UÇK. L’ambiance est donc tendue et un sondage a révélé que la majorité des Albanais du pays étaient prêts à manifester si des membres de l’Armée de libération étaient appelés à comparaître devant le Tribunal spécial (14). Le politologue Behljuj Bećaj ne craint, par contre, pas de débordements (14). Les anciens commandants de l’UÇK devenus décideurs politiques ont, à ses yeux, déjà sali leur image dans l’opinion publique par la manière dont ils ont gouverné. Le ras-le-bol envers la corruption et les dysfonctionnements des autorités est tel que l’arrestation éventuelle de dirigeants politiques pourrait plutôt être un signe d’espoir. Et le début d’une nouvelle page de l’histoire du Kosovo écrite par une nouvelle génération politique qui ne ferait plus passer ses intérêts personnels avant le reste. Pour continuer dans cette vision optimiste, signalons que tant la présidente du tribunal que le procureur spécial rappellent à chaque occasion que le procès n’est pas celui de l’UÇK, ni des Albanais du Kosovo mais bien celui de personnes individuellement responsables de leurs actes. Et que les poursuites judiciaires peuvent concerner tout citoyen kosovar, quel que soit son appartenance ethnique ou l’organisation pour laquelle il combattait. En rendant des jugements impartiaux et fondés sur des faits, et en veillant à ne pas alimenter de sentiments collectifs d’injustice ou de culpabilité, le tribunal pourrait faire œuvre de pédagogie. Le Kosovo aura fait un pas en avant si à l’issue de l’éventuelle condamnation d’un ex-dirigeant de l’UÇK, les Serbes du Kosovo évitent de blâmer l’ensemble des participants à la lutte d’indépendance du pays. Et vice-versa. 11
Les enjeux pour la communauté internationale Mais le processus de réparations sera incomplet si les responsabilités des gouvernements occidentaux ne sont pas pointées. Dans son livre, Carla Del Ponte explique notamment qu’elle s’est heurtée à un mur lorsque ses enquêtes sur les crimes supposés de l’UÇK l’ont amené à poser des questions aux responsables de la MINUK ou de la KFOR (Force pour le Kosovo de l’Otan) (8). Elle l’explique par le souci pour ces hommes de protéger leur vie et aussi celles de leurs hommes. Mais aussi par un exercice de « realpolitik ». En s’attaquant frontalement à Hashim Thaçi, la procureure risquait de provoquer l’effondrement du processus de paix dans les Balkans (8). Les gouvernements occidentaux étaient sans nul doute au courant de l’implication de M. Thaçi dans des activités illégales. Ils étaient bien conscients également que l’UÇK servait de paravent à certaines activités de la criminalité organisée albanaise. Mais ils ont choisi de fermer les yeux pour ne pas embarrasser leur allié politique sur place. Les différents procès intentés contre des responsables de l’UÇK devant le TPIY ont été le théâtre de nombreuses interférences étrangères et les travaux du tribunal ont souffert du manque de coopération générale. Par la suite, malgré la pression de certaines ONG, dont Amnesty International, la Minuk et Eulex n’ont jamais veillé à ce que des enquêtes soient menées sur les centaines de Serbes et Roms disparus durant le conflit (5). Cette attitude est très mal vécue par les minorités non-albanaises du Kosovo et laissent place à beaucoup de questions sur l’impartialité du processus de justice. Il semble donc important que, cette fois, le tribunal spécial puisse travailler en toute impartialité, sans interférence. Un mea culpa des représentants des gouvernements européens et américains, ou au moins une explication sur les raisons de la couverture des crimes supposés de certains leaders kosovars, serait également la bienvenue. On peut toujours rêver. Une remise à plat est certainement la condition indispensable pour que prenne place un processus de réconciliation dont dépend l’avenir du petit pays. Ce serait sans doute le plus beau cadeau d’anniversaire que le Kosovo puisse s’offrir. 12
Bibliographie (1) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : « Le Tribunal spécial jugera tous les crimes de guerre, pas seulement ceux de l’UCK », traduit de Radio Slobodna Evropa (en ligne) c 2017. Consulté le 15/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans.fr/Kosovo-Non-les-Chambres- specialisees-ne-jugeront-pas-que-les-Albanais (2) Kosovox, « Ce qu’il faut savoir sur le Tribunal spécial pour crimes de guerre au Kosovo » (en ligne) c 2017. Consulté le 15/01/2018. Disponible sur : http://kosovox.com/fr/ce-quil-faut-savoir-sur-le-tribunal-special- pour-crimes-de-guerre-au-kosovo/ (3) Justice Info.net, « Les défis du nouveau tribunal de La Haye pour juger les combattants de l’ALK de la guerre du Kosovo » (en ligne) c 2017. Consulté le 15/01/2018. Disponible sur : https://www.justiceinfo.net/fr/ justice-reconciliation/33385-au-kosovo,-un-nouveau-tribunal-s-engage- %C3%A0-juger-d-anciens-membres-de-la-gu%C3%A9rilla.html (4) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : comment doit fonctionner le tribunal spécial sur les crimes de guerre », traduit de Radio Slobodna Evropa (en ligne) c 2015. Consulté le 16/01/2018. Disponible sur : https://www. courrierdesbalkans.fr/kosovo-mais-qu-y-a-t-il-dans-la-loi-sur-le-tribunal- special (5) RFI, « Kosovo : un tribunal pour juger les crimes imputés à l’ancienne UCK » (en ligne) c 2014. Consulté le 16/01/2018. Disponible sur : http:// www.rfi.fr/europe/20140423-kosovo-tribunal-juger-crimes-imputes- ancienne-uck (6) Le Monde, « Kosovo : les faiblesses du rapport sur les trafics d’organes » (en ligne) c 2010. Consulté le 16/01/2018. Disponible sur : http://www. lemonde.fr/europe/article/2010/12/17/kosovo-les-faiblesses-du-rapport- sur-les-trafics-d-organes_1454470_3214.html#MwLr1gqeJgf4VtTi.99 (7) Conseil de l’Europe, « Traitement inhumain de personnes et trafic illicite d’organes humains au Kosovo » (en ligne) c 2010. Consulté le 18/01/2018. Disponible sur : http://assembly.coe.int/nw/xml/News/ FeaturesManager-View-FR.asp?ID=964 (8) Le Monde Diplomatique, « Trafic d’organes au Kosovo : un rapport accablant » (en ligne) c 2011. Consulté le 19/01/2018. Disponible sur : 13
https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2011-01-04-Kosovo (9) Le Courrier des Balkans, « Crimes de guerre et trafic d’organes au Kosovo : « Tout le monde était au courant » (en ligne) c 2010. Consulté le 18/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans.fr/+-trafic- organes-UÇK-+ (10) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : le Parlement approuve la création du Tribunal spécial » c 2015. Consulté le 19/01/2018. Disponible sur: https://www.courrierdesbalkans.fr/kosovo-le-parlement-approuve-la- creation-du-tribunal-special (11) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : la « coalition des commandants » tente de court-circuiter le Tribunal spécial » (en ligne) c 2017. Consulté le 22/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans.fr/Kosovo- la-Coalition-des-commandants-tente-de-court-circuiter-le-Tribunal (12) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : la mort rôde autour des témoins protégés du Tribunal spécial », traduit de Zeri (en ligne) c 2017. Consulté le 23/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans.fr/Kosovo- Temoins-proteges (13) Le Courrier des Balkans, « Crimes de guerre au Kosovo : un tribunal à contre-coeur », traduit de Koha Ditore (en ligne) c 2014. Consulté le 24/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans.fr/crimes- de-guerre-au-kosovo-un-tribunal-a-contre-coeur (14) Le Courrier des Balkans, « Kosovo : le défi du Tribunal spécial pour les crimes de guerre », traduit de Radio Slobodna Evropa (en ligne) c 2016. Consulté le 25/01/2018. Disponible sur : https://www.courrierdesbalkans. fr/le-tribunal-special-pour-les-crimes-de-guerre-un-defi-pour-le-kosovo 14
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Pascal De Gendt Les enjeux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo Le 17 février 2008, le Kosovo déclarait son indépendance. Ce qui était une province autonome serbe, sous administration des Nations-Unies depuis 1999, est reconnue aujourd’hui comme État par 115 membres des Nations-Unies (dont la Belgique) sur 193. Une série d’organisations internationales comme le FMI et la Banque Mondiale, ainsi que des fédérations sportives, reconnaissent également cette indépendance. Le petit État s’est progressivement fait une place dans le concert des nations. Mais l’euphorie de 2008 a rapidement cédé la place à la dure réalité. La pauvreté de la population et la corruption des élites politiques ont conduit le Kosovo dans une zone de turbulences. Et dix ans après l’indépendance, les travaux du Tribunal spécial pour les crimes de guerre au Kosovo inquiètent les « héros de l’indépendance » aujourd’hui aux commandes du pays. Ils se retrouvent, en effet, dans la ligne de mire de cet organe. Siréas asbl Avec le soutien de la Fédération Service International de Recherche, Wallonie-Bruxelles d’Éducation et d’Action Sociale asbl Secteur Éducation Permanente Rue du Champ de Mars, 5 – 1050 Bruxelles Tél. : 02/274 15 50 – Fax : 02/274 15 58 16 educationpermanente@sireas.be – www.lesitinerrances.com
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