LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE - Les coûts cachés engendrés par la présence d'équipementiers mis en doute - BIGS Potsdam
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Les coûts cachés engendrés par la présence d’équipementiers mis en doute LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE IMPACT SUR LA CONFIANCE ET COÛT ÉCONOMIQUE
LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE : IMPACT SUR LA CONFIANCE ET COÛT ÉCONOMIQUE Philippe Laurier, Johannes Rieckmann (BIGS) Crédit photo de couverture © Samuel Herrou
Le présent état des lieux pour la France, qui vient en complément de la précédente partie "Les coûts cachés engendrés par la présence d’équipementiers mis en doute", a été commissionné par BIGS. L‘Institut BIGS (Brandenburgisches Institut für Gesellschaft und Sicherheit gGmbH) Institut brandebourgeois pour la société et la sécurité Contact et informations : BIGS - Directeur exécutif : Dr. Tim H. Stuchtey Dianastraße 46 - 14482 Potsdam - Allemagne Téléphone : +49-331-704406-0 Fax : +49-331-704406-19 Courrier électronique : direktor@bigs-potsdam.org www.bigs-potsdam.org * * Cette étude a été financée par une subvention du Département d'État des États-Unis. Les opinions, résultats et conclusions qui y sont énoncés sont ceux des auteurs et ne reflètent pas nécessairement ceux du Département d‘Etat des États-Unis 2020. Tous droits réservés par le Brandenburg Institute for Society and Security gGmbH (BIGS). Première publication 2021
Table des MatièreS
I – INTRODUCTION......................................................................................................................................................9 II – Une nouvelle donne......................................................................................................................................... 11 II.I NATURE DU DÉBAT EN FRANCE......................................................................................................................... 11 II-II DES PRÉOCCUPATIONS ACCRUES QUANT À LA CONTRÔLABILITÉ DES COMPOSANTS DE LA 5G . . .................................... 13 III – ÉTAT DES LIEUX. . ............................................................................................................................................... 15 III.I LES OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MOBILES........................................................................................ 15 III.II LE MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE D’ENTREPRISES.................................................................................... 16 III.III L’AGENDA PRÉVU DE LA 5G . . ......................................................................................................................... 17 III.V EXISTENCE D’UN PRÉCÉDENT EN MATIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT D’INSTALLATION................................................... 21 IV – CONTROVERSES À PROPOS DE MESURES DE COMPENSATION . . ..................................................................................... 23 IV.I L’HYPOTHÈSE D’UNE COMPENSATION PAR L’ETAT. . .............................................................................................. 23 IV.II L’HYPOTHÈSE D’INDEMNISATION PAR LES ASSUREURS . . ...................................................................................... 27 V – DÉFINITION ET PROTECTION DES SECTEURS SENSIBLES............................................................................................. 29 VI – LE COÛT FINAL DE FOURNISSEURS POTENTIELLEMENT MALINTENTIONNÉs . . .................................................................. 33 VI.I LES COÛTS CACHÉS – ESTIMATION DE POSSIBLES FUITES DE DONNÉES, À L’HORIZON 2030 . . ..................................... 33 VI.I.I ANALYSE PROSPECTIVE SUR LES FUITES DE DONNÉES EXTRÊMES, À L’HORIZON 2030.. ........................................... 34 VI.II L'IMPACT POSSIBLE D’UNE DÉPRÉDATION INTENTIONNELLE ............................................................................... 39 VII – AUTRES COÛTS CACHÉS...................................................................................................................................... 49 VII.I COÛTS DE MISE EN ŒUVRE DE PROCESSUS DE VÉRIFICATION ET DE PRÉVENTION.................................................... 49 VII.II COÛT DE L’ADAPTATION DE, ET À, L’ARSENAL LÉGISLATIF . . ................................................................................. 50 VII.III UN CHANGEMENT D’ATTITUDE DES CONSOMMATEURS PAR AVERSION AU RISQUE .................................................. 51 VII.IV LE BESOIN D’UNE REDONDANCE DES RÉSEAUX ............................................................................................... 55 VIII – L’APPROCHE THÉORIQUE DU RAPPORT DU OXFORD ECONOMICS, CONFRONTÉE À LA RÉALITÉ DE LA SITUATION FRANÇAISE.. ........................ 57 IX – SYNTHÈSE ET SCÉNARIOS POUR L’AVENIR............................................................................................................... 60 IX.II SCÉNARIO ARMAGUÉDON . . ............................................................................................................................. 62 IX.III SCÉNARIO INTERMÉDIAIRE ("RÉALISTE")....................................................................................................... 62
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique Accronymes Abréviations Significations ANFR Agence nationale des fréquences ANSSI Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information Autorité de Régulation des Communications Electroniques et ARCEP des Postes LPM Loi de programmation militaire Directive sur la Sécurité des Réseaux et des systèmes d’Information SRI (Network and Information System Security - SRI/NIS NIS) destinée à assurer un niveau de sécurité élevé de l’Union européenne, adoptée le 6 juillet 2016 OIV Opérateur d’importance vitale OSE Opérateur de services essentiels SGDSN Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale 7
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique I – INTRODUCTION La feuille de route planifiant le développement des réseaux 5G en France, sous coordination de l’Arcep -Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes-, a été adoptée en juillet 2018. Son calendrier prévoyait un déploiement de la 5G en 2020 sur une ville au moins, avec la perspective de couvrir les grands axes de transport en 2025. Etaient également inclus quatre chantiers, ainsi listés par l’Arcep : « Chantier n°1 – Libérer et attribuer les fréquences radioélectriques Chantier n°2 – Favoriser le développement de nouveaux usages Chantier n°3 – Accompagner le déploiement des infrastructures de la 5G Chantier n°4 – Assurer la transparence et le dialogue sur les déploiements et l’exposition du public » Ce programme contenait une facette cybersécurité appelée à se traduire par de nouvelles prescriptions ou réglementations sous l’égide de l’ANSSI -Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information-. Le directeur général de l’ANSSI Guillaume Poupard précisa que les réseaux 5G seraient vus comme aussi sensibles et critiques que par exemple les réseaux d’électricité. L’autorité publique a listé parmi les menaces potentielles les plus significatives, celle d’espionnage, de compromission de systèmes d’information et de dysfonctionnement volontaire des réseaux. Ce cadre a abouti à des mesures d’encadrement de l’offre émanant des équipementiers en télécommunications. Le directeur général de l’ANSSI a résumé la pensée des autorités publiques : “Nous disons juste que le risque n’est pas le même avec des équipementiers européens, qu’avec des Non-Européens. Il ne faut pas se mentir.“1 Plusieurs entités publiques exercent des prérogatives sur les télécommunications mobiles : L’ANSSI, principal référent sur les questions de sécurité pour la 5G. Un de ses rôles est d’émettre des avis quant à l'autorisation ou non, par les services du Premier Ministre2, 1-Entretiens aux Echos, 6 juillet 2020. 2-Loi N°2019-810 : "Est soumise à une autorisation du Premier ministre (…) l'exploitation des (…) dispositifs per- mettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile (…). (…) Le Premier 9
l’usage d’équipements de réseaux spécifiques. "L’ANSSI fera des recommandations à Ma- tignon qui prendra la décision finale."3 L’ANFR est l’Agence nationale des fréquences, intervenant central sur la gestion et le contrôle de l’utilisation du domaine public des fréquences radioélectriques. Elle est en charge de décider si un site -incluant à la fois une station de base et une antenne- est au- torisé à être équipé. Par ailleurs, elle veille au respect des limites d’exposition du public aux champs électromagnétiques. L’Arcep, autorité administrative indépendante dont une mission est de soutenir l’ouver- ture du secteur des télécommunications à la concurrence, et qui s’assure également que la compétition entre opérateurs est loyale et au service du consommateur. Initialement, la 5G réutilisera pour l’essentiel des sites 4G. Pour repère, existaient près de 49 000 sites 4G en novembre 2020 pour l’ensemble des opérateurs (parfois des stations de base de téléphonie mobile comportent plusieurs antennes. Inversement, certains sites font l’objet d’un partage entre opérateurs). 54 000 sites étaient autorisés à cette époque, en progression par rapport aux 38 500 de janvier 20184. Le déploiement de la 4G n’était pas achevé, notamment car le réseau de l’opérateur Free restait en cours de déploiement. Opérateurs de Nombre de sites (nov. 2019) télécommunications Orange 20 646 sites SFR 18 218 sites Bouygues Télécom 17 729 sites Free Mobile 14 205 sites Les nécessités techniques de densification du réseau d’antennes pour la 5G ont mené à certaines évaluations où le nombre de ces antennes subirait une augmentation d’environ 30 % par rapport à la 4G. Le nombre d’antennes pourrait de ce fait monter à 100 000 pour la 5G. ministre refuse l'octroi de l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 s'il estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale". 3-Yvonne Gangloff : "L’ANSSI et Matignon vont se prononcer sur le sort de Huawei en France". Siècle digital, 27/11/2019. 4-https://www.anfr.fr/fr/toutes-les-actualites/actualites/observatoire-anfr-pres-de-54-000-sites-4g-autorises-par- lanfr-en-france-au-1er-septembre/ 10
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique II – Une nouvelle donne II.I NATURE DU DÉBAT EN FRANCE Le débat autour de la présence et des risques potentiels soulevé par les équipements de Huawei en France se révèle ancien, remontant au temps de la 3G. Cette ancienneté a pu contribuer à freiner la pénétration de ce fournisseur sur le marché français des télécommunications, où son implantation est demeurée jusqu’à ce jour moindre que dans la majorité des autres pays européens. Parmi les premiers questionnements au sujet de la montée en puissance de ses activités en France, certains ont émané des autorités ou d’élus en charge de dossiers de sécurité de l’Etat5, relativement à une crainte d’accès aux communications6, tandis que d’autres provenaient de milieux syndicaux : en 2017 devant une commission parlementaire7, ces syndicats ont maintenu leurs accusations que “l’équipementier Huawei a utilisé tous les moyens possibles pour gagner en compétence et emporter des parts de marchés”8 (Olivier Marcé – CFE CGC) et plus précisément que “Huawei attaque le marché avec des prix très bas, car subventionnés, et il ne rétablit les vrais prix que quelques années plus tard. Pour nous permettre d’en faire autant, il faudrait qu’une banque – d’État ou privée – ou un fonds de capital-risque nous soutienne afin de nous permettre de concurrencer Huawei sur les marchés où il pratique un dumping insensé, en Chine, mais aussi et surtout en Europe, où nous nous faisons laminer.” (Pascal 5-Le sénateur Jean-Marie Bockel avait en 2012 remis à la ministre de l’Economie numérique Fleur Pellerin un rapport d’information, proposant “d’interdire sur le territoire national et à l’échelle européenne le déploiement et l’utilisation de routeurs ou d’autres équipements de cœur de réseaux qui présentent un risque pour la sécurité nationale, en particulier les " routeurs " et certains équipements d’origine chinoise.” Rapport “La cyberdéfense : un enjeu mondial, une priorité nationale“ au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur la cyberdéfense : https://www.senat.fr/rap/r11-681/r11-6811.pdf. Huawei avait à suivre publié un livre blanc " Perspectives de cybersécurité au XXIème siècle : Technologie et sécurité, un mariage difficile " en faveur d’une coopération internationale sur la sécurité. 6-Se reporter aussi au livre blanc “Défense et sécurité nationale” d’une commission présidée par Jean-Marie Gué- henno, conseiller maître à la Cour des comptes, qui en 2013 appelait la France à “Un effort budgétaire en faveur de l’investissement permettant la conception et le développement de produits de sécurité maîtrisés. Une attention particulière sera portée à la sécurité des réseaux de communication électroniques et aux équipements qui les composent.” (page106) 7-Commission d’enquête sur les décisions de l’Etat en matière de politique industrielle. 2017. 8-https://www.nosdeputes.fr/15/seance/580 11
Guihéneuf – Cfdt). Les remontrances visaient aussi une certaine passivité européenne, où “la formation des salariés en Chine (par les entreprises européennes) et le transfert de technologies ont largement contribué à aider Huawei et ZTE – nos concurrents actuels – à se développer, au point de nous dépasser maintenant” (Claude Josserand - CGT). En réponse à une question du député Guillaume Kasbarian, rapporteur de la commission parlementaire, à propos des moyens de contenir cette montée en puissance, une suggestion retenait que “on peut s’interroger sur les comptes de cette entreprise. On ne les connaît pas. Ne pourrait-on pas imaginer que certains marchés soient réservés aux seules sociétés dont les comptes sont rendus publics ?” (Olivier Marcé). Il est à souligner que le besoin de transparence reste sur le présent sujet un concept et un levier d’intervention sous-utilisés, que ce soit sous son angle comptable ou plus nettement encore sous l’angle technique. Un des précédents témoins a depuis lors réitéré des avertissements dans le journal L’Humanité, mentionnant que l’opérateur SFR aurait installé en octobre 2018 une première antenne fabriquée par Huawei sur le toît de son siège parisien, à quelques dizaines de mètres du ministère de la Défense à Balard. Or, dans une forme d’accord tacite existant de longue date au sein des acteurs des télécommunications, l’usage faisait que la capitale était considérée comme une zone9 dont le nécessaire niveau élevé de sécurité impliquait la présence de matériels à leur tour de la plus haute fiabilité dans la durée, et dont la chaîne d’approvisionnement future ne prête pas le flanc à un contexte géopolitique toujours susceptible d’évoluer. Ce franchissement de ligne rouge -tel que ressenti- aurait été un des moteurs dans l’adoption de la loi de 2019 ci-dessous, qui en quelque sorte formalise ces précédents consensus tacites autour d’une logique de sécurité d’un espace ou d’un périmètre (nous verrons que d’autres approches viennent étoffer celle de sanctuarisation de zones sensibles, pour acquérir une vision plus complète sur le “où”, “qui” -les protagonistes impliqués, fournisseurs ou utilisateurs- et “quoi” -avec quels composants-). La France a effectivement promulgué en août 2019 une nouvelle loi destinée à restreindre ou prohiber certains usages, et à poser des exigences ou des conditions relatives à la fourniture, au déploiement et au fonctionnement d’équipements 5G. La loi oblige ainsi les opérateurs et fournisseurs de dispositifs 5G à recevoir des autorisations spécifiques de la part du Premier Ministre, après recommandations de l’ANSSI -organisme rattaché au SGDSN (Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) dépendant du Premier ministre- préalablement à toute activation d’équipements sensibles, en l’occurrence de la 5G ou de futures évolutions telles que la 6G. Pour obtenir ces autorisations, un opérateur est tenu de 9-Voir à propos de l’Île de France et " des lieux de pouvoirs et des sièges des grandes entreprises " (" L’entreprise chinoise ne peut déjà pas répondre à certains appels d’offres émis par les administrations sensibles.”) : article “Le patron de Huawei prévient ses salariés que le pire est à venir”, BFM Business, Pascal Samama, 21 janv 2019. 12
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique fournir à l’ANSSI toutes informations utiles sur les aspects techniques et opérationnels, ainsi que la liste des entreprises prestataires. II-II DES PRÉOCCUPATIONS ACCRUES QUANT À LA CONTRÔLABILITÉ DES COMPOSANTS DE LA 5G Par rapport aux générations précédentes, les innovations technologiques vécues par le réseau d'accès radio (RAN) -la composante située à la périphérie du réseau, qui relie les utilisateurs mobiles aux stations de base- des réseaux mobiles de cinquième génération provoquent une difficulté accrue à superviser ce qui s’y déroule. Il en découle une certaine opacité du fonctionnement à ce niveau (un terme descriptif serait celui d’une relative intransparence technique) et la possibilité d'abus au profit d’attaquants techniquement compétents ou pour des captations d’information c’est-à-dire de l’espionnage. Alors qu'il était généralement avancé, à propos des générations précédentes de réseaux mobiles, que la périphérie ne jouait qu'un rôle subalterne au regard de la sécurité, de la confidentialité et de l'intégrité des données, la donne change avec la 5G. Les données et informations transportées dans le réseau central sont accessibles en texte clair à tout protagoniste ayant accès à une station de base -dans des cas extrêmes, à une seule antenne- si les données n'y arrivent pas sous forme déjà cryptée de bout en bout. En effet le matériel d’une station de base de radiotéléphonie mobile 5G fonctionne différemment de celui des réseaux antérieurs : - la tête radio est découplée de l'unité de base par le cloudRAN, par exemple. Le traite- ment effectif du signal s'effectue dans un environnement informatique « en nuage », ce qui, en cas de demande accrue, rend le système évolutif avec célérité et de manière économique. - Les exigences en matière de bande passante élevée et de latence minimale des signaux, qui découlent de nouvelles applications telles que la conduite autonome et l'industrie 4.0, ne parviennent à être satisfaites que si le service peut être rapproché de l'utilisateur mobile. Pour ce faire, il faut déplacer les capacités et les processus antérieurs du réseau central vers la périphérie. S’y ajoute une virtualisation des services sur un seul et même matériel informatique soit de périphérie (edge computing) ou soit déporté (fog computing). Le besoin de recourir à des composants électroniques dédiés s’en trouve diminué ou supprimé. Les ajustements peuvent ainsi être effectués de manière flexible sur la base du logiciel ; et malheureusement d’éventuelles modifications mais aussi d’éventuelles manipulations sont susceptibles, davantage qu'auparavant, d'être réalisées sans être observés. 13
De manière résumée, les aspects techniques du réseau d'accès radio sont désormais potentiellement aussi critiques que ceux du réseau central, tout en étant plus dynamiques et plus complexes à contrôler par rapport aux anciennes technologies. En conséquence, un surcroît de vigilance et de précautions s’avère nécessaire, durant la phase de sélection et d’acquisition des matériels, vis-à-vis de la source industrielle d'approvisionnement en composants et en logiciels, puis tout autant pendant la phase d’autorisation d’installation d'antennes, surtout à proximité d'installations sensibles et vulnérables. 14
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique III – ÉTAT DES LIEUX III.I LES OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MOBILES Ce marché se partage entre quatre opérateurs, et quelques opérateurs de réseau mobile virtuel. Orange est numéro un avec près du tiers du marché. SFR en possède un quart environ. Free et Bouygues Telecom détiennent chacun un cinquième du total. Orange 19,388 millions d’abonnés (auxquels ajouter 2,207 millions dotés de cartes (printemps 2020) prépayées) SFR (printemps 2020) 14,479 millions (et 1,4 million avec cartes prépayées) Free (printemps 2020) 13,326 millions Bouygues Telecom 11,7 millions (depuis lors, Bouygues a acquis plusieurs opérateurs virtuels (printemps 2020) durant l’été 2020, ce qui lui ajoute 2 millions de nouveaux clients) Total 58,893 millions Possesseurs de téléphones mobiles : 65 millions (99 % de la population). Taux d’équipement en téléphone mobile : > 100 % depuis 2011, progressant plus lentement depuis, avec 106 % en 2017. Nombre de cartes SIM en service, hors MtoM -Machine to Machine- : 77 millions (201910). Nombre de cartes SIM MtoM : 19,2 millions (2019), en croissance. Nombre total de cartes SIM : 77 + 19,2 = 96,2 millions. Montant moyen mensuel d’un abonnement de téléphonie mobile en France en 2019 : 12 euros (Taxes comprises). Taux le plus bas en Europe selon la Fédération Française des Télécommunications. A titre de comparaison, pour le même abonnement, Allemagne : 45 euros Espagne 40 euros. 10-https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/observatoire-services-mobiles/ abonnes-mobiles-t3-2020.html 15
Vitesse moyenne de connexion mobile, exprimée en mégabytes par seconde : 17,4 Mbps en France en 2016 10,7 aux États-Unis 9,3 en Chine. III.II LE MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE D’ENTREPRISES En matière de risques encourables par l’économie, le point névralgique est constitué par les clientèles professionnelles, à savoir les entreprises privées ou les acteurs publics (depuis les activités régaliennes assurées par l’armée ou la police jusqu’à l’ensemble des administrations, y compris les universités et les centres de recherche). Néanmoins la taille de ce marché professionnel est restreinte, lorsque comparée à l’ensemble du secteur des télécoms. Le marché total de la téléphonie- fixe ou mobile- était de 30,677 milliards d’euros en 2019 Au sein duquel 13,316 milliards concernent le marché mobile dont 18% relèvent du marché professionnel (2,3 milliards) Cette taille du marché mobile professionnel mérite d’être jaugée par rapport à celle du marché fixe professionnel français ; mise en parallèle qui révèle la dépendance croissante des entreprises aux technologies mobiles : En 2017, le nombre d’abonnements passés par Fin 2018, le nombre d’abonnements du marché mobile a at- des entreprises en matière de téléphonie mo- teint 9 millions d’abonnements, en croissance annuelle de 3 bile a dépassé celui en téléphonie fixe. %, tandis que celui du fixe, en déclin régulier, se situait à 8,4 millions. Au regard du volume des appels de la part d’en- 19.5 milliards de minutes émanaient des mobiles, contre treprises, le basculement en faveur du mobile 16,6 venant de téléphones fixes (2018). s’était opéré l’année précédente, en 2016. Cette accession au premier rang, à considérer comme un passage de témoin, met en relief l’importance stratégique acquise par les matériels de téléphonie mobile, pour le monde des affaires. Importance syno- nyme parfois de dépendance. Cette dimension stratégique se voit accrue sur les services de données dont le volume était en moyenne de 1,5 gigaoctets de données par mois en 2017 puis 2,3 en 2018, en rapide croissance. Une information importante à propos de ce segment de marché est la position de force occupée par Orange. En 2020, le directeur général de l’Arcep indiquait qu’à ses yeux " Orange reste tout-puissant sur ce marché", ajoutant “Nous voulons un marché entreprises puissant 16
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique et concurrentiel ; nous sommes loin de l’avoir aujourd’hui"11. Orange détenait alors avec une part de marché estimée à environ 60 %, contre 20 % à SFR ; Free et Bouygues Telecom se partageant le reliquat. Cet élément essentiel constitue un point de repère dans l’analyse, où il sera estimé que Bouygues et SFR -tous deux utilisateurs d’équipements 5G de Huawei- détiennent environ un tiers de ce segment ; leur part de marché étant décrite en croissance. III.III L’AGENDA PRÉVU DE LA 5G Les enchères qui se sont tenues en septembre 2020 ont permis l’attribution de licences 5G aux opérateurs. Les autorisations d’activation des antennes ont été accordées au cas par cas et selon les zones géographiques. La première activation a été faite par SFR à Nice, en novembre 2020. Quatre opérateurs -Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom- ont obtenu des licences pour une durée de 15 années, aux prix suivants : ORANGE SFR FREE BOUYGUES TELECOM 854 millions d’€ 728 millions d’€ 602 millions d’€ 602 millions d’€ Les opérateurs échelonneront le paiement du prix sur ces 15 ans s’agissant des blocs de 50 MHz, ou sur 4 ans pour les blocs de 10 MHz. Chacun des quatre opérateurs sera tenu de respecter un agenda de déploiement prédéfini et strict : 3 000 antennes 5G 8 000 antennes 10 500 antennes Avant la fin de 2022 Avant la fin de 2024 Avant la fin de 2025 Dans une première période, la mise en œuvre se fera avec un standard 5G « non autonome » (non-standalone), c’est à dire installant et activant des antennes 5G tout en ayant recours à un cœur de réseau 4G. L’échéancier établi par les instances publiques prévoit plusieurs jalons : 2020 : au moins une ville équipée, pour chacun des opérateurs ; 2026 : deux tiers de la population urbaine ou vivant dans des zones à forte activité économique sont prévues recevoir la 5G12 ; 2030 : le déploiement des réseaux 5G est supposé alors achevé. 11-Sébastien Soriano. Interview dans Les Echos, 6 Février 2020. Depuis lors ces chiffres ont été contestés par Orange. 12-Source : Arcep. En 2019, la date originellement retenue était 2025. L’objectif de 2020 a également été décalé, puisqu’à l’origine deux villes étaient prévues à cette échéance pour chaque opérateur. 17
III.IV LES RELATIONS ENTRE OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS ET ÉQUI- PEMENTIERS Le marché français des télécommunications mobiles s’appuie essentiellement sur trois fournisseurs, ci-dessous. Concernant la 4G, Huawei détenait en 2018 une part estimée proche de 20 % de ce marché. Deux opérateurs, SFR et Bouygues télécoms, utilisent actuellement ses matériels. Free a récemment annoncé renoncer à acquérir des équipements 5G chez Huawei (“Nous n’avons pas été autorisés à (les) déployer” a déclaré le directeur général d’Iliad Thomas Rey- naud). Auparavant toutefois, Free avait évalué la possibilité de s’adjoindre un ou deux fournis- seurs nouveaux, et avait dans cette optique testé des équipements Huawei. En prolongement, Iliad, la maison-mère de Free, aurait selon la presse13 saisi le tribunal ad- ministratif de Paris en mai 2021 contre des autorisations délivrées par l’ANSSI à Bouygues Telecom et à SFR. Invoquant une « rupture d’égalité » et se référant à la notion de traitement équitable et non discriminatoire, la requête vise l’annulation de ces autorisations. Un argu- ment additionnel tient au fait que les tarifs de Huawei, décrits comme inférieurs à ceux des fournisseurs de substitution, procureraient un avantage concurrentiel aux seuls opérateurs disposant d’autorisations. « Si la décision était annulée, SFR et Bouygues Telecom devraient démonter toutes les antennes Huawei sur le territoire, ce qui risquerait alors de leur revenir beaucoup plus cher.14 » Orange avait initialement mis en test des antennes de ce fabricant, tout en déclarant ne pas y intégrer des équipements de cœur de réseau (“Orange a déployé récemment une cinquantaine d’antennes 5G Huawei dans la région de Montpellier afin d’expérimenter cette technologie”15 était-il signalé avant les récentes limitations). Ericsson Huawei Nokia Orange 55.6% 0 44.4% Bouygues Telecom 52.5% 47.5% 0 Free 0 0.7% 1617 99.3% SFR 0 52% 48% 13-Emmanuel Paquette : « Huawei : Free attaque en justice les décisions de Matignon ». L’Express, 2 septembre 2021. 14-Alloforfait : « Huawei : Free saisit la justice pour un traitement équitable entre opérateurs ». 2021. 15-Bernard Jomard : " Guerre commerciale : Huawei et la 5G ". Forbes, 25 février 2019. 16- Source : Fédération française des télécoms. Depuis, Free n’a pas obtenu d’autorisation de Matignon pour déployer des équipements Huawei 5G. 17-Source : Rapport du Sénat n° 579 (2018-2019) de Mme Catherine PROCACCIA. https://www.senat.fr/rap/l18- 579/l18-579.html.
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique La répartition récente des parts de marchés des équipementiers est, dans ses grandes masses : de l’ordre de 50 % pour Nokia. Pour mémoire, cette entreprise a repris des activités et des contrats de l’ancienne Alcatel dont les positions étaient historiquement fortes en France. Environ 30 % du marché pour Ericsson. Environ 20 % pour Huawei. L’observation de l’implantation géographique en France des matériels de ces divers fournisseurs faisait ressortir une forte présence de Huawei dans le Sud du pays chez SFR, et dans l’Ouest ainsi que le Nord-Est chez Bouygues Telecom. Nokia, qui était le fournisseur presque exclusif chez Free, laissait par contre chez Orange une part significative des implantations à Ericsson dans le Nord-Est et le Sud-Ouest de la France.17 En décembre 2019, les autorités ont adopté une série de mesures (Article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques) destinées à encadrer l’activité des fournisseurs d’équipements 5G, et à garantir la préservation de la sécurité nationale en matière de réseaux de télécommunications18. Un arrêté fixe la liste des appareillages et des fonctions concernés, au sein des réseaux radioélectriques mobiles de cinquième génération : Ce texte s’applique aux composants logiciels autant que matériels, dédiés à des tâches “d’authentification des équipements terminaux, l’allocation des ressources radioélectriques à ces équipements terminaux, et l’acheminement de leurs communications électroniques entre eux ou vers des réseaux tiers”19. Dénomination de la fonction réseau Description de l’appareil associée dans les standards 3GPP Appareils, ou stations de base, assurant la communication radioélectrique avec les New Radio Base Station (en-gNodeB et gNodeB) équipements terminaux et l’allocation des ressources radioélectriques Appareils assurant l’authentification et Access and Mobility management Function l’autorisation d’accès au réseau des équipements (AMF) et Authentication Server Function (AUSF) terminaux 18- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039455649/ 19-Arrêté du 6 décembre 2019 fixant la liste des appareils prévue par l’article L. 34-11 du code des postes et des communications électroniques. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039455672/ 19
Appareils assurant l’acheminement des communications des équipements terminaux User Plane Function (UPF) vers des réseaux tiers Appareils assurant la gestion des sessions et des Session Management Function (SMF) connexions des équipements terminaux Appareils assurant la mise en œuvre et le Policy Control Function (PCF) contrôle des politiques d’accès au réseau S'y ajoutent les dispositifs qui assurent une fonction conditionnant la sécurité, l’intégrité ou la disponibilité de ces réseaux : Dénomination de la fonction réseau associée Description de l’appareil dans les standards 3GPP Appareils assurant l’enregistrement, l’auto- risation et la continuité des services au sein Network Repository Function (NRF) du réseau Appareils permettant l’exposition des infor- mations du réseau et sa configuration par Network Exposure Function (NEF) des appareils externes au réseau Appareils assurant le stockage des données cryptographiques et identifiants relatifs aux Unified Data Management (UDM) abonnés Appareils assurant l’interconnexion du ré- Security Edge Protection Proxy (SEPP) seau mobile avec d’autres réseaux Le directeur général de l’ANSSI a précisé en 2020 aux sénateurs que les autorités auraient possibilité d’actualiser cette liste pour rester en phase avec l’évolution des technologies et menaces20. Ce recensement des appareils soumis à autorisation préalable d’exploitation, tant pour les cœurs de réseaux que pour leurs terminaisons, a pour objectif de parer au risque qu’ils soient détournés jusqu’à devenir un vecteur d’intrusion ou d’interception de la part d’acteurs par exemple étrangers. Depuis la publication de l’arrêté, Matignon, qui est en charge de la délivrance de telles autorisations d’exploitation, a reçu 157 requêtes de la part des quatre opérateurs, et pour 65 000 composants d’équipements 5G ; ces requêtes 20-Audition devant la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées, du Sénat – Nov. 2020. 20
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique ne concernaient que les stations de base et les antennes, puisque les équipements de coeur de réseau restent pour l’heure en 4G21. La procédure stipule qu’une réponse sera délivrée dans un délai de deux mois, mais que toute absence de réponse vaut rejet de la demande. Le recensement ci-dessous présente une décomposition des réponses d’ores et déjà transmises à l’automne 202022. Cet éclairage plus détaillé identifie trois types de restrictions, à partir des demandes examinées par l’Anssi : demandes ayant fait l’objet d’une décision de refus, au nombre de 22 ; demandes ayant abouti à une décision d’autorisation pour une durée inférieure à la durée maximale autorisée (donc < 8 ans) : 53 ; demandes ayant abouti à une décision d’autorisation pour une durée maximale de 8 années : 82. Les requêtes ayant été rejetées et les autorisations accordées seulement pour une durée limitée concernaient toutes des équipements Huawei. EXISTENCE D’UN PRÉCÉDENT EN MATIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT III.V D’INSTALLATION En 2013, les autorités françaises avaient déjà exigé que trois opérateurs de télécommunications dans les Dom-Tom désinstallent leurs équipements d’origine chinoise, car ils " auraient outrepassé leurs obligations en utilisant des équipements non agréés. "23 Orange, qui s’était depuis 2009 fourni auprès de Huawei pour l’île de la Réunion et pour Mayotte. Outremer Télécom, qui possédait près de 16 % du marché dans les Dom-Tom, avait acquis des équipements chez ZTE en 2006 pour les Antilles françaises. Pacific Mobile Télécom possédait des équipements Huawei en Polynésie française. Ces antennes ont été par la suite remplacées par des matériels Alcatel en 2013. Ces trois compagnies utilisaient des équipements chinois notamment pour leurs cœurs de réseaux. L’ANSSI n’avait à l’époque pas délivré d’autorisations ni pour Huawei ni pour ZTE. La presse avait fait état que ces opérateurs aient pu bénéficier de crédits fournisseurs pour faciliter leurs plans de financement d’investissements, à l’instar d’un prêt de 20 21-Rapport de la "Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées " du Parlement français. 22-https://www.senat.fr/presse/cp20201119b.html 23-Dirk Basyn : “Trois opérateurs français sommés de mettre leurs équipements Huawei et ZTE à la benne”. Channel news, le 24 nov. 2013. 21
millions d’euros de la part de ZTE en faveur d’Outremer Télécom. 22
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique IV – CONTROVERSES À PROPOS DE MESURES DE COMPENSATION “Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle prévoyant l’exploitation des appareils (…) lorsque cette activité n’a pas fait l’objet de l’autorisation préalable “24 A titre de repère, le Président du groupe Bouygues a déclaré lors de la présentation de ses résultats annuels en février 2020 qu’un " réseau mobile performant en France coûte entre 8 et 10 milliards d’euros ". IV.I L’HYPOTHÈSE D’UNE COMPENSATION PAR L’ETAT Deux opérateurs, SFR et Bouygues, ont en 2020 entamé des procédures contre les mesures limitatives touchant leurs matériels 5G Huawei, dans le but soit de révoquer ces décisions soit de dégager les voies d’une indemnisation (certaines autres recours demandaient parallèlement de suspendre la procédure d’attribution des fréquences). Ces recours, en saisissant le Conseil d’État et en déposant des questions prioritaires de constitutionnalité auprès du Conseil constitutionnel, développaient plusieurs arguments : Celui d’un préjudice matériel, car les entreprises seraient amenées à procéder au rempla- cement non seulement de leurs équipements 5G mais aussi de ceux déjà “installés au titre des réseaux des générations précédentes, en raison de contraintes techniques liées à l’ab- sence d’interopérabilité des appareils. Ceci leur occasionnerait des charges excessives.”25 Martin Bouygues rappelait en février 2020 que ces frais de désinstallation puis d’installation de nouveaux équipements auront un impact en termes d’argent et de délais d’ouverture du réseau. A ceci s’ajouterait un risque réputationnel et de perte de clientèle. 24-Article L 34-13 alinéa II de la loi 2019-810. Les appareils cités sont ceux “permettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile”. 25-Conseil constitutionnel. Décision n° 2020-882 QPC. 23
Celui d’un risque de distorsion de la concurrence, entre les opérateurs dotés d’équipe- ments Huawei -amenés à devoir les démanteler- et leurs concurrents qui n’en sont pas dotés. Bouygues Telecom invoquait une violation du principe d’égalité devant les charges publiques, du fait que ces “dispositions (font) supporter par les opérateurs de communica- tions électroniques, contraints de remplacer leurs équipements à leurs frais, une charge dis- proportionnée, qui devrait incomber à l’État puisqu’elle résulterait de choix faits au nom de la sécurité nationale”. De surcroît, l’objectif apparaissant être d’empêcher d’acheter auprès d’un fournisseur en particulier, “il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’entre- prendre.” Bouygues a déposé trois recours devant le Conseil d’Etat. Les deux premiers ont été rejetés durant l’été 2020. Le troisième en septembre, avec SFR, portait sur la conformité de la loi de 2019 aux droits et libertés que la Constitution garantit26. En Septembre 2020 également, le secrétaire d’État au numérique Cédric O déclara "Il n’y a pas de négociations avec les opérateurs sur une compensation financière", ajoutant "Il n’est pas prévu, en aucun cas, qu’il y ait des indemnisations des opérateurs pour les décisions qui ont été prises ". Inversement, la Fédération Française des Télécommunications et SFR ont mis en avant la proposition par le législateur américain, interprétée comme un précédent, d’un fonds doté d’un milliard de dollars et destiné à aider les petits opérateurs ou les opérateurs ruraux à retirer les équipements de réseaux prohibés, tels que pourraient l’être ceux de Huawei ou ZTE, et de les remplacer par des équipements autorisés : “Aux États-Unis, le gouvernement américain a imposé aux opérateurs de ne pas travailler avec des opérateurs chinois et, à ce titre, les a indemnisés” a rappelé le directeur général de SFR27. Cette assistance prenant la forme d’une subvention, complétée par l’assistance technique apportée par la Federal Communications Commission. La comparaison faite par les opérateurs français se verrait renforcée par le fait que ses possibles bénéficiaires, que sont Bouygues Télécom et SFR, sont également des acteurs de taille moyenne sur le marché des communications mobiles pour les entreprises, par comparaison avec Orange. En novembre 2020, le rapporteur du Conseil d’État avait pris une première position laissant la voie ouverte à une procédure de compensation financière (“Le rapporteur public a estimé que, devant le coût du retrait de l’équipementier chinois Huawei des réseaux télécoms actuels, le principe d’un dédommagement se posait”28). Le dossier passait au Conseil constitutionnel, dont la position était attendue en janvier-février 2021, parmi trois options principales : 26- https://www.reuters.com/article/us-france-huawei-5g-security-exclusive-idUSKCN24N26R 27- Grégory Rabuel in Ouest France, article de Hervé Hillard, 20 nov. 2020. 28- Emmanuel Paquette : “5G : le Conseil d’Etat ouvre la voie à une indemnisation de Bouygues et de SFR”. L’Ex- press, 13 nov. 2020.
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique ①La loi autorisant La loi autorisantààrestreindre, sansmécanisme restreindre, sans mécanisme dede compensation compensation financière, financière, l’utilisation l'utilisation de decertains certains équipement 5G (tels que pourraient l'être ceux de Huawei) est déclarée conforme à la équipements 5G (tels que pourraient l’être ceux de Huawei) est déclarée Constitution. conforme à la Constitution. ②La La loiloiest estdéclarée contraireà la déclarée contraire à la Constitution --> LeLeParlement Constitution seraappelé Parlement sera appelé à modifier à modifier éventuellement éventuellement son sontexte. texte. La loi votée est considérée compatible avec un mécanisme de compensation financière, ③ voireLaconsidérée loi votée estleconsidérée contenir compatible avec un mécanisme de compensation financière, voire implicitement. considérée le contenir implicitement. Si les options 2 et 3 avaient été retenues par le Conseil constitutionnel, un principe d’indemnisation aurait été posé, ouvrant la porte à un processus de fixation des montants. Les échos et prises de paroles recueillis à cette époque indiquaient des montants peu éloignés : SFR et Bouygues avaient évalué l’un et l’autre leurs préjudices en centaines de millions d’euros a minima, avec une évaluation haute de l’ordre du milliard d’euros par opérateur (ceci incluant l’impact commercial tel que de perte de clients)29. Les évaluations officieuses produites par les services de l’Etat se monteraient selon quelques médias en centaines de millions d’euros, quoique la position officielle reste oppo- sée à l’idée de compensation. Ces ordres de grandeur apparaissant en phase avec la somme de 500 millions de livres sterling -sur les cinq prochaines années- publiée par l’opérateur BT au Royaume-Uni, à la suite des prescriptions de Londres enjoignant de ne pas utiliser les équipements de Huawei. Le Conseil constitutionnel a en février 2021 décidé de valider les pans de la loi sujette aux griefs -méconnaissance de la liberté d’entreprendre, du principe d’égalité devant les charges publiques, de la garantie des droits-, et de rejeter les demandes. Le Conseil a statué que "le législateur n’a, en tout état de cause, pas reporté sur des personnes privées des dépenses qui, par leur nature, incomberaient à l’État.”30. Ce caractère conforme à la loi n’apportant toutefois pas nécessairement un point final au débat voire à des procédures ultérieures. Une telle décision met a priori les coûts de désinstallation à la charge de Bouygues Télécom et SFR. Les montants unitaires qui circulent sur le coût de remplacement des stations de base et des antennes sont variables, avec une fourchette large entre 15 000 euros (pour l’équipement au sens strict) et 100 000 (tenant en compte notamment le fait que l’opérateur 29-“5G : Bouygues Telecom et SFR demandent une indemnisation de l’Etat si Huawei est exclu”. Magazine Phon- android, 10/03/2020. 30-Décision n° 2020-882 QPC, 5 fév. 2021. https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/ bank_mm/decisions/2020882qpc/2020882qpc.pdf - https://www.conseil-constitutionnel.fr/node/22757/pdf 25
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