LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE - Les coûts cachés engendrés par la présence d'équipementiers mis en doute - BIGS Potsdam

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LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE - Les coûts cachés engendrés par la présence d'équipementiers mis en doute - BIGS Potsdam
Les coûts cachés engendrés
par la présence d’équipementiers mis en doute

 LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ
 DE LA 5G EN FRANCE

 IMPACT SUR LA CONFIANCE ET COÛT ÉCONOMIQUE
LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE - Les coûts cachés engendrés par la présence d'équipementiers mis en doute - BIGS Potsdam
LES INCERTITUDES SUR LA SÉCURITÉ DE LA 5G EN FRANCE :
   IMPACT SUR LA CONFIANCE ET COÛT ÉCONOMIQUE

      Philippe Laurier, Johannes Rieckmann (BIGS)

              Crédit photo de couverture
                  © Samuel Herrou
Le présent état des lieux pour la France, qui vient en complément de la précédente partie
"Les coûts cachés engendrés par la présence d’équipementiers mis en doute", a été
commissionné par BIGS.

    L‘Institut BIGS (Brandenburgisches Institut für Gesellschaft und Sicherheit gGmbH)
                    Institut brandebourgeois pour la société et la sécurité

Contact et informations :
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www.bigs-potsdam.org
                                               * *

Cette étude a été financée par une subvention du Département d'État des États-Unis. Les
opinions, résultats et conclusions qui y sont énoncés sont ceux des auteurs et ne reflètent
pas nécessairement ceux du Département d‘Etat des États-Unis

   2020. Tous droits réservés par le Brandenburg Institute for Society and Security gGmbH (BIGS).
                                    Première publication 2021
Table des
MatièreS
I – INTRODUCTION......................................................................................................................................................9

II – Une nouvelle donne......................................................................................................................................... 11

      II.I NATURE DU DÉBAT EN FRANCE......................................................................................................................... 11

      II-II DES PRÉOCCUPATIONS ACCRUES QUANT À LA CONTRÔLABILITÉ DES COMPOSANTS DE LA 5G . . .................................... 13

III – ÉTAT DES LIEUX. . ............................................................................................................................................... 15

      III.I LES OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MOBILES........................................................................................ 15

      III.II LE MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE D’ENTREPRISES.................................................................................... 16

      III.III L’AGENDA PRÉVU DE LA 5G . . ......................................................................................................................... 17

      III.V EXISTENCE D’UN PRÉCÉDENT EN MATIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT D’INSTALLATION................................................... 21

IV – CONTROVERSES À PROPOS DE MESURES DE COMPENSATION . . ..................................................................................... 23

      IV.I L’HYPOTHÈSE D’UNE COMPENSATION PAR L’ETAT. . .............................................................................................. 23

      IV.II L’HYPOTHÈSE D’INDEMNISATION PAR LES ASSUREURS . . ...................................................................................... 27

V – DÉFINITION ET PROTECTION DES SECTEURS SENSIBLES............................................................................................. 29

VI – LE COÛT FINAL DE FOURNISSEURS POTENTIELLEMENT MALINTENTIONNÉs . . .................................................................. 33

      VI.I LES COÛTS CACHÉS – ESTIMATION DE POSSIBLES FUITES DE DONNÉES, À L’HORIZON 2030 . . ..................................... 33

      VI.I.I ANALYSE PROSPECTIVE SUR LES FUITES DE DONNÉES EXTRÊMES, À L’HORIZON 2030.. ........................................... 34

      VI.II L'IMPACT POSSIBLE D’UNE DÉPRÉDATION INTENTIONNELLE ............................................................................... 39

VII – AUTRES COÛTS CACHÉS...................................................................................................................................... 49

      VII.I COÛTS DE MISE EN ŒUVRE DE PROCESSUS DE VÉRIFICATION ET DE PRÉVENTION.................................................... 49

      VII.II COÛT DE L’ADAPTATION DE, ET À, L’ARSENAL LÉGISLATIF . . ................................................................................. 50

      VII.III UN CHANGEMENT D’ATTITUDE DES CONSOMMATEURS PAR AVERSION AU RISQUE .................................................. 51

      VII.IV LE BESOIN D’UNE REDONDANCE DES RÉSEAUX ............................................................................................... 55

VIII – L’APPROCHE THÉORIQUE DU RAPPORT DU OXFORD ECONOMICS, CONFRONTÉE À LA RÉALITÉ DE LA SITUATION FRANÇAISE.. ........................ 57

IX – SYNTHÈSE ET SCÉNARIOS POUR L’AVENIR............................................................................................................... 60

      IX.II SCÉNARIO ARMAGUÉDON . . ............................................................................................................................. 62

      IX.III SCÉNARIO INTERMÉDIAIRE ("RÉALISTE")....................................................................................................... 62
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

Accronymes
      Abréviations                                    Significations

ANFR                   Agence nationale des fréquences
ANSSI                  Agence nationale pour la sécurité des systèmes d’information
                       Autorité de Régulation des Communications Electroniques et
ARCEP
                       des Postes
LPM                    Loi de programmation militaire
                       Directive sur la Sécurité des Réseaux et des systèmes
                       d’Information SRI (Network and Information System Security -
SRI/NIS
                       NIS) destinée à assurer un niveau de sécurité élevé de l’Union
                       européenne, adoptée le 6 juillet 2016

OIV                    Opérateur d’importance vitale

OSE                    Opérateur de services essentiels

SGDSN                  Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale

                                                                                                         7
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

                                         I – INTRODUCTION

La feuille de route planifiant le développement des réseaux 5G en France, sous coordination
de l’Arcep -Autorité de régulation des communications électroniques et des Postes-, a été
adoptée en juillet 2018. Son calendrier prévoyait un déploiement de la 5G en 2020 sur une
ville au moins, avec la perspective de couvrir les grands axes de transport en 2025. Etaient
également inclus quatre chantiers, ainsi listés par l’Arcep :
« Chantier n°1 – Libérer et attribuer les fréquences radioélectriques
Chantier n°2 – Favoriser le développement de nouveaux usages
Chantier n°3 – Accompagner le déploiement des infrastructures de la 5G
Chantier n°4 – Assurer la transparence et le dialogue sur les déploiements et l’exposition du
public »

Ce programme contenait une facette cybersécurité appelée à se traduire par de nouvelles
prescriptions ou réglementations sous l’égide de l’ANSSI -Agence nationale de la sécurité
des systèmes d’information-. Le directeur général de l’ANSSI Guillaume Poupard précisa que
les réseaux 5G seraient vus comme aussi sensibles et critiques que par exemple les réseaux
d’électricité. L’autorité publique a listé parmi les menaces potentielles les plus significatives,
celle d’espionnage, de compromission de systèmes d’information et de dysfonctionnement
volontaire des réseaux.

Ce cadre a abouti à des mesures d’encadrement de l’offre émanant des équipementiers
en télécommunications. Le directeur général de l’ANSSI a résumé la pensée des autorités
publiques : “Nous disons juste que le risque n’est pas le même avec des équipementiers
européens, qu’avec des Non-Européens. Il ne faut pas se mentir.“1

Plusieurs entités publiques exercent des prérogatives sur les télécommunications mobiles :

     L’ANSSI, principal référent sur les questions de sécurité pour la 5G. Un de ses rôles est
    d’émettre des avis quant à l'autorisation ou non, par les services du Premier Ministre2,

1-Entretiens aux Echos, 6 juillet 2020.
2-Loi N°2019-810 : "Est soumise à une autorisation du Premier ministre (…) l'exploitation des (…) dispositifs per-
mettant de connecter les terminaux des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile (…). (…) Le Premier

                                                                                                                9
l’usage d’équipements de réseaux spécifiques. "L’ANSSI fera des recommandations à Ma-
     tignon qui prendra la décision finale."3

      L’ANFR est l’Agence nationale des fréquences, intervenant central sur la gestion et le
     contrôle de l’utilisation du domaine public des fréquences radioélectriques. Elle est en
     charge de décider si un site -incluant à la fois une station de base et une antenne- est au-
     torisé à être équipé. Par ailleurs, elle veille au respect des limites d’exposition du public
     aux champs électromagnétiques.

       L’Arcep, autorité administrative indépendante dont une mission est de soutenir l’ouver-
     ture du secteur des télécommunications à la concurrence, et qui s’assure également que
     la compétition entre opérateurs est loyale et au service du consommateur.

Initialement, la 5G réutilisera pour l’essentiel des sites 4G. Pour repère, existaient près de
49 000 sites 4G en novembre 2020 pour l’ensemble des opérateurs (parfois des stations
de base de téléphonie mobile comportent plusieurs antennes. Inversement, certains sites
font l’objet d’un partage entre opérateurs). 54 000 sites étaient autorisés à cette époque,
en progression par rapport aux 38 500 de janvier 20184. Le déploiement de la 4G n’était pas
achevé, notamment car le réseau de l’opérateur Free restait en cours de déploiement.

           Opérateurs de
                                                                 Nombre de sites (nov. 2019)
        télécommunications
 Orange                                                                    20 646 sites
 SFR                                                                       18 218 sites
 Bouygues Télécom                                                          17 729 sites
 Free Mobile                                                               14 205 sites

Les nécessités techniques de densification du réseau d’antennes pour la 5G ont mené à
certaines évaluations où le nombre de ces antennes subirait une augmentation d’environ
30 % par rapport à la 4G. Le nombre d’antennes pourrait de ce fait monter à 100 000 pour
la 5G.

ministre refuse l'octroi de l'autorisation prévue à l'article L. 34-11 s'il estime qu'il existe un risque sérieux d'atteinte
aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale".
3-Yvonne Gangloff : "L’ANSSI et Matignon vont se prononcer sur le sort de Huawei en France". Siècle digital,
27/11/2019.
4-https://www.anfr.fr/fr/toutes-les-actualites/actualites/observatoire-anfr-pres-de-54-000-sites-4g-autorises-par-
lanfr-en-france-au-1er-septembre/

10
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

                                  II – Une nouvelle donne

II.I   NATURE DU DÉBAT EN FRANCE

Le débat autour de la présence et des risques potentiels soulevé par les équipements
de Huawei en France se révèle ancien, remontant au temps de la 3G. Cette ancienneté
a pu contribuer à freiner la pénétration de ce fournisseur sur le marché français des
télécommunications, où son implantation est demeurée jusqu’à ce jour moindre que dans
la majorité des autres pays européens. Parmi les premiers questionnements au sujet de
la montée en puissance de ses activités en France, certains ont émané des autorités ou
d’élus en charge de dossiers de sécurité de l’Etat5, relativement à une crainte d’accès
aux communications6, tandis que d’autres provenaient de milieux syndicaux : en 2017
devant une commission parlementaire7, ces syndicats ont maintenu leurs accusations que
“l’équipementier Huawei a utilisé tous les moyens possibles pour gagner en compétence
et emporter des parts de marchés”8 (Olivier Marcé – CFE CGC) et plus précisément que
“Huawei attaque le marché avec des prix très bas, car subventionnés, et il ne rétablit les
vrais prix que quelques années plus tard. Pour nous permettre d’en faire autant, il faudrait
qu’une banque – d’État ou privée – ou un fonds de capital-risque nous soutienne afin
de nous permettre de concurrencer Huawei sur les marchés où il pratique un dumping
insensé, en Chine, mais aussi et surtout en Europe, où nous nous faisons laminer.” (Pascal

5-Le sénateur Jean-Marie Bockel avait en 2012 remis à la ministre de l’Economie numérique Fleur Pellerin un
rapport d’information, proposant “d’interdire sur le territoire national et à l’échelle européenne le déploiement
et l’utilisation de routeurs ou d’autres équipements de cœur de réseaux qui présentent un risque pour la sécurité
nationale, en particulier les " routeurs " et certains équipements d’origine chinoise.” Rapport “La cyberdéfense :
un enjeu mondial, une priorité nationale“ au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des
forces armées sur la cyberdéfense : https://www.senat.fr/rap/r11-681/r11-6811.pdf. Huawei avait à suivre publié
un livre blanc " Perspectives de cybersécurité au XXIème siècle : Technologie et sécurité, un mariage difficile " en
faveur d’une coopération internationale sur la sécurité.
6-Se reporter aussi au livre blanc “Défense et sécurité nationale” d’une commission présidée par Jean-Marie Gué-
henno, conseiller maître à la Cour des comptes, qui en 2013 appelait la France à “Un effort budgétaire en faveur
de l’investissement permettant la conception et le développement de produits de sécurité maîtrisés. Une attention
particulière sera portée à la sécurité des réseaux de communication électroniques et aux équipements qui les
composent.” (page106)
7-Commission d’enquête sur les décisions de l’Etat en matière de politique industrielle. 2017.
8-https://www.nosdeputes.fr/15/seance/580

                                                                                                                11
Guihéneuf – Cfdt). Les remontrances visaient aussi une certaine passivité européenne, où
“la formation des salariés en Chine (par les entreprises européennes) et le transfert de
technologies ont largement contribué à aider Huawei et ZTE – nos concurrents actuels – à
se développer, au point de nous dépasser maintenant” (Claude Josserand - CGT).

En réponse à une question du député Guillaume Kasbarian, rapporteur de la commission
parlementaire, à propos des moyens de contenir cette montée en puissance, une suggestion
retenait que “on peut s’interroger sur les comptes de cette entreprise. On ne les connaît
pas. Ne pourrait-on pas imaginer que certains marchés soient réservés aux seules sociétés
dont les comptes sont rendus publics ?” (Olivier Marcé).

Il est à souligner que le besoin de transparence reste sur le présent sujet un concept et un
levier d’intervention sous-utilisés, que ce soit sous son angle comptable ou plus nettement
encore sous l’angle technique.

Un des précédents témoins a depuis lors réitéré des avertissements dans le journal
L’Humanité, mentionnant que l’opérateur SFR aurait installé en octobre 2018 une première
antenne fabriquée par Huawei sur le toît de son siège parisien, à quelques dizaines de
mètres du ministère de la Défense à Balard. Or, dans une forme d’accord tacite existant
de longue date au sein des acteurs des télécommunications, l’usage faisait que la capitale
était considérée comme une zone9 dont le nécessaire niveau élevé de sécurité impliquait la
présence de matériels à leur tour de la plus haute fiabilité dans la durée, et dont la chaîne
d’approvisionnement future ne prête pas le flanc à un contexte géopolitique toujours
susceptible d’évoluer. Ce franchissement de ligne rouge -tel que ressenti- aurait été un
des moteurs dans l’adoption de la loi de 2019 ci-dessous, qui en quelque sorte formalise
ces précédents consensus tacites autour d’une logique de sécurité d’un espace ou d’un
périmètre (nous verrons que d’autres approches viennent étoffer celle de sanctuarisation de
zones sensibles, pour acquérir une vision plus complète sur le “où”, “qui” -les protagonistes
impliqués, fournisseurs ou utilisateurs- et “quoi” -avec quels composants-).

La France a effectivement promulgué en août 2019 une nouvelle loi destinée à restreindre
ou prohiber certains usages, et à poser des exigences ou des conditions relatives à la
fourniture, au déploiement et au fonctionnement d’équipements 5G. La loi oblige ainsi les
opérateurs et fournisseurs de dispositifs 5G à recevoir des autorisations spécifiques de la
part du Premier Ministre, après recommandations de l’ANSSI -organisme rattaché au SGDSN
(Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale) dépendant du Premier ministre-
préalablement à toute activation d’équipements sensibles, en l’occurrence de la 5G ou de
futures évolutions telles que la 6G. Pour obtenir ces autorisations, un opérateur est tenu de

9-Voir à propos de l’Île de France et " des lieux de pouvoirs et des sièges des grandes entreprises " (" L’entreprise
chinoise ne peut déjà pas répondre à certains appels d’offres émis par les administrations sensibles.”) : article “Le
patron de Huawei prévient ses salariés que le pire est à venir”, BFM Business, Pascal Samama, 21 janv 2019.

12
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

fournir à l’ANSSI toutes informations utiles sur les aspects techniques et opérationnels, ainsi
que la liste des entreprises prestataires.

II-II DES PRÉOCCUPATIONS ACCRUES QUANT À LA CONTRÔLABILITÉ DES
COMPOSANTS DE LA 5G
Par rapport aux générations précédentes, les innovations technologiques vécues par le
réseau d'accès radio (RAN) -la composante située à la périphérie du réseau, qui relie les
utilisateurs mobiles aux stations de base- des réseaux mobiles de cinquième génération
provoquent une difficulté accrue à superviser ce qui s’y déroule. Il en découle une certaine
opacité du fonctionnement à ce niveau (un terme descriptif serait celui d’une relative
intransparence technique) et la possibilité d'abus au profit d’attaquants techniquement
compétents ou pour des captations d’information c’est-à-dire de l’espionnage.

Alors qu'il était généralement avancé, à propos des générations précédentes de réseaux
mobiles, que la périphérie ne jouait qu'un rôle subalterne au regard de la sécurité, de la
confidentialité et de l'intégrité des données, la donne change avec la 5G. Les données
et informations transportées dans le réseau central sont accessibles en texte clair à tout
protagoniste ayant accès à une station de base -dans des cas extrêmes, à une seule antenne-
si les données n'y arrivent pas sous forme déjà cryptée de bout en bout. En effet le matériel
d’une station de base de radiotéléphonie mobile 5G fonctionne différemment de celui des
réseaux antérieurs :

   - la tête radio est découplée de l'unité de base par le cloudRAN, par exemple. Le traite-
   ment effectif du signal s'effectue dans un environnement informatique « en nuage », ce
   qui, en cas de demande accrue, rend le système évolutif avec célérité et de manière
   économique.

   - Les exigences en matière de bande passante élevée et de latence minimale des signaux,
   qui découlent de nouvelles applications telles que la conduite autonome et l'industrie
   4.0, ne parviennent à être satisfaites que si le service peut être rapproché de l'utilisateur
   mobile. Pour ce faire, il faut déplacer les capacités et les processus antérieurs du réseau
   central vers la périphérie.

S’y ajoute une virtualisation des services sur un seul et même matériel informatique soit
de périphérie (edge computing) ou soit déporté (fog computing). Le besoin de recourir à
des composants électroniques dédiés s’en trouve diminué ou supprimé. Les ajustements
peuvent ainsi être effectués de manière flexible sur la base du logiciel ; et malheureusement
d’éventuelles modifications mais aussi d’éventuelles manipulations sont susceptibles,
davantage qu'auparavant, d'être réalisées sans être observés.

                                                                                                        13
De manière résumée, les aspects techniques du réseau d'accès radio sont désormais
potentiellement aussi critiques que ceux du réseau central, tout en étant plus dynamiques
et plus complexes à contrôler par rapport aux anciennes technologies. En conséquence,
un surcroît de vigilance et de précautions s’avère nécessaire, durant la phase de sélection
et d’acquisition des matériels, vis-à-vis de la source industrielle d'approvisionnement en
composants et en logiciels, puis tout autant pendant la phase d’autorisation d’installation
d'antennes, surtout à proximité d'installations sensibles et vulnérables.

14
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

                                   III – ÉTAT DES LIEUX

III.I LES   OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS MOBILES

Ce marché se partage entre quatre opérateurs, et quelques opérateurs de réseau mobile
virtuel. Orange est numéro un avec près du tiers du marché. SFR en possède un quart
environ. Free et Bouygues Telecom détiennent chacun un cinquième du total.

 Orange                  19,388 millions d’abonnés (auxquels ajouter 2,207 millions dotés de cartes
 (printemps 2020)        prépayées)
 SFR (printemps 2020)    14,479 millions (et 1,4 million avec cartes prépayées)
 Free (printemps 2020)   13,326 millions
 Bouygues Telecom        11,7 millions (depuis lors, Bouygues a acquis plusieurs opérateurs virtuels
 (printemps 2020)        durant l’été 2020, ce qui lui ajoute 2 millions de nouveaux clients)
                Total    58,893 millions

      Possesseurs de téléphones mobiles : 65 millions (99 % de la population).
      Taux d’équipement en téléphone mobile : > 100 % depuis 2011, progressant plus
    lentement depuis, avec 106 % en 2017.
      Nombre de cartes SIM en service, hors MtoM -Machine to Machine- : 77 millions
    (201910).
      Nombre de cartes SIM MtoM : 19,2 millions (2019), en croissance.
          Nombre total de cartes SIM : 77 + 19,2 = 96,2 millions.
      Montant moyen mensuel d’un abonnement de téléphonie mobile en France en 2019 :
    12 euros (Taxes comprises). Taux le plus bas en Europe selon la Fédération Française des
    Télécommunications.
      A titre de comparaison, pour le même abonnement,
          Allemagne : 45 euros
          Espagne 40 euros.

10-https://www.arcep.fr/cartes-et-donnees/nos-publications-chiffrees/observatoire-services-mobiles/
abonnes-mobiles-t3-2020.html

                                                                                                           15
Vitesse moyenne de connexion mobile, exprimée en mégabytes par seconde :
             17,4 Mbps en France en 2016
             10,7 aux États-Unis
             9,3 en Chine.

III.II   LE MARCHÉ DE LA TÉLÉPHONIE MOBILE D’ENTREPRISES

En matière de risques encourables par l’économie, le point névralgique est constitué
par les clientèles professionnelles, à savoir les entreprises privées ou les acteurs publics
(depuis les activités régaliennes assurées par l’armée ou la police jusqu’à l’ensemble des
administrations, y compris les universités et les centres de recherche). Néanmoins la taille
de ce marché professionnel est restreinte, lorsque comparée à l’ensemble du secteur des
télécoms.

Le marché total de la téléphonie-
fixe ou mobile- était de 30,677
milliards d’euros en 2019
                                           Au sein duquel 13,316
                                           milliards concernent
                                           le marché mobile                 dont 18% relèvent du marché
                                                                            professionnel (2,3 milliards)

Cette taille du marché mobile professionnel mérite d’être jaugée par rapport à celle du
marché fixe professionnel français ; mise en parallèle qui révèle la dépendance croissante
des entreprises aux technologies mobiles :

 En 2017, le nombre d’abonnements passés par         Fin 2018, le nombre d’abonnements du marché mobile a at-
 des entreprises en matière de téléphonie mo-        teint 9 millions d’abonnements, en croissance annuelle de 3
 bile a dépassé celui en téléphonie fixe.            %, tandis que celui du fixe, en déclin régulier, se situait à 8,4
                                                     millions.

 Au regard du volume des appels de la part d’en-     19.5 milliards de minutes émanaient des mobiles, contre
 treprises, le basculement en faveur du mobile       16,6 venant de téléphones fixes (2018).
 s’était opéré l’année précédente, en 2016.

           Cette accession au premier rang, à considérer comme un passage de témoin, met en relief l’importance
         stratégique acquise par les matériels de téléphonie mobile, pour le monde des affaires. Importance syno-
         nyme parfois de dépendance.
           Cette dimension stratégique se voit accrue sur les services de données dont le volume était en moyenne
         de 1,5 gigaoctets de données par mois en 2017 puis 2,3 en 2018, en rapide croissance.

Une information importante à propos de ce segment de marché est la position de force
occupée par Orange. En 2020, le directeur général de l’Arcep indiquait qu’à ses yeux " Orange
reste tout-puissant sur ce marché", ajoutant “Nous voulons un marché entreprises puissant

16
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

et concurrentiel ; nous sommes loin de l’avoir aujourd’hui"11. Orange détenait alors avec
une part de marché estimée à environ 60 %, contre 20 % à SFR ; Free et Bouygues Telecom
se partageant le reliquat. Cet élément essentiel constitue un point de repère dans l’analyse,
où il sera estimé que Bouygues et SFR -tous deux utilisateurs d’équipements 5G de Huawei-
détiennent environ un tiers de ce segment ; leur part de marché étant décrite en croissance.

III.III L’AGENDA        PRÉVU DE LA 5G

Les enchères qui se sont tenues en septembre 2020 ont permis l’attribution de licences 5G
aux opérateurs. Les autorisations d’activation des antennes ont été accordées au cas par
cas et selon les zones géographiques. La première activation a été faite par SFR à Nice, en
novembre 2020. Quatre opérateurs -Orange, SFR, Free et Bouygues Telecom- ont obtenu
des licences pour une durée de 15 années, aux prix suivants :

         ORANGE                         SFR                          FREE             BOUYGUES TELECOM
     854 millions d’€            728 millions d’€            602 millions d’€            602 millions d’€

Les opérateurs échelonneront le paiement du prix sur ces 15 ans s’agissant des blocs de 50
MHz, ou sur 4 ans pour les blocs de 10 MHz. Chacun des quatre opérateurs sera tenu de
respecter un agenda de déploiement prédéfini et strict :

      3 000 antennes 5G                        8 000 antennes                      10 500 antennes

       Avant la fin de 2022                   Avant la fin de 2024                 Avant la fin de 2025

Dans une première période, la mise en œuvre se fera avec un standard 5G « non autonome »
(non-standalone), c’est à dire installant et activant des antennes 5G tout en ayant recours à
un cœur de réseau 4G.

L’échéancier établi par les instances publiques prévoit plusieurs jalons :
     2020 : au moins une ville équipée, pour chacun des opérateurs ;
     2026 : deux tiers de la population urbaine ou vivant dans des zones à forte activité
    économique sont prévues recevoir la 5G12 ;
     2030 : le déploiement des réseaux 5G est supposé alors achevé.

11-Sébastien Soriano. Interview dans Les Echos, 6 Février 2020. Depuis lors ces chiffres ont été contestés par
Orange.
12-Source : Arcep. En 2019, la date originellement retenue était 2025. L’objectif de 2020 a également été décalé,
puisqu’à l’origine deux villes étaient prévues à cette échéance pour chaque opérateur.

                                                                                                             17
III.IV LES RELATIONS ENTRE OPÉRATEURS DE TÉLÉCOMMUNICATIONS ET ÉQUI-
PEMENTIERS

Le marché français des télécommunications mobiles s’appuie essentiellement sur trois
fournisseurs, ci-dessous. Concernant la 4G, Huawei détenait en 2018 une part estimée proche
de 20 % de ce marché. Deux opérateurs, SFR et Bouygues télécoms, utilisent actuellement ses
matériels.

 Free a récemment annoncé renoncer à acquérir des équipements 5G chez Huawei (“Nous
n’avons pas été autorisés à (les) déployer” a déclaré le directeur général d’Iliad Thomas Rey-
naud). Auparavant toutefois, Free avait évalué la possibilité de s’adjoindre un ou deux fournis-
seurs nouveaux, et avait dans cette optique testé des équipements Huawei.

En prolongement, Iliad, la maison-mère de Free, aurait selon la presse13 saisi le tribunal ad-
ministratif de Paris en mai 2021 contre des autorisations délivrées par l’ANSSI à Bouygues
Telecom et à SFR. Invoquant une « rupture d’égalité » et se référant à la notion de traitement
équitable et non discriminatoire, la requête vise l’annulation de ces autorisations. Un argu-
ment additionnel tient au fait que les tarifs de Huawei, décrits comme inférieurs à ceux des
fournisseurs de substitution, procureraient un avantage concurrentiel aux seuls opérateurs
disposant d’autorisations. « Si la décision était annulée, SFR et Bouygues Telecom devraient
démonter toutes les antennes Huawei sur le territoire, ce qui risquerait alors de leur revenir
beaucoup plus cher.14 »

  Orange avait initialement mis en test des antennes de ce fabricant, tout en déclarant ne
pas y intégrer des équipements de cœur de réseau (“Orange a déployé récemment une
cinquantaine d’antennes 5G Huawei dans la région de Montpellier afin d’expérimenter cette
technologie”15 était-il signalé avant les récentes limitations).

                                      Ericsson                   Huawei                     Nokia

 Orange                                55.6%                        0                       44.4%
 Bouygues Telecom                      52.5%                     47.5%                         0
 Free                                    0                       0.7%   1617
                                                                                            99.3%
 SFR                                     0                        52%                        48%

13-Emmanuel Paquette : « Huawei : Free attaque en justice les décisions de Matignon ». L’Express, 2 septembre
2021.
14-Alloforfait : « Huawei : Free saisit la justice pour un traitement équitable entre opérateurs ». 2021.
15-Bernard Jomard : " Guerre commerciale : Huawei et la 5G ". Forbes, 25 février 2019.
16- Source : Fédération française des télécoms. Depuis, Free n’a pas obtenu d’autorisation de Matignon pour
déployer des équipements Huawei 5G.
17-Source : Rapport du Sénat n° 579 (2018-2019) de Mme Catherine PROCACCIA. https://www.senat.fr/rap/l18-
579/l18-579.html.
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

La répartition récente des parts de marchés des équipementiers est, dans ses grandes
masses  :

      de l’ordre de 50 % pour Nokia. Pour mémoire, cette entreprise a repris des activités
    et des contrats de l’ancienne Alcatel dont les positions étaient historiquement fortes en
    France.
      Environ 30 % du marché pour Ericsson.
      Environ 20 % pour Huawei.

L’observation de l’implantation géographique en France des matériels de ces divers
fournisseurs faisait ressortir une forte présence de Huawei dans le Sud du pays chez SFR,
et dans l’Ouest ainsi que le Nord-Est chez Bouygues Telecom. Nokia, qui était le fournisseur
presque exclusif chez Free, laissait par contre chez Orange une part significative des
implantations à Ericsson dans le Nord-Est et le Sud-Ouest de la France.17

En décembre 2019, les autorités ont adopté une série de mesures (Article L. 34-11 du
code des postes et des communications électroniques) destinées à encadrer l’activité
des fournisseurs d’équipements 5G, et à garantir la préservation de la sécurité nationale
en matière de réseaux de télécommunications18. Un arrêté fixe la liste des appareillages
et des fonctions concernés, au sein des réseaux radioélectriques mobiles de cinquième
génération :

  Ce texte s’applique aux composants logiciels autant que matériels, dédiés à des tâches
“d’authentification des équipements terminaux, l’allocation des ressources radioélectriques
à ces équipements terminaux, et l’acheminement de leurs communications électroniques
entre eux ou vers des réseaux tiers”19.

                                                              Dénomination de la fonction réseau
            Description de l’appareil
                                                               associée dans les standards 3GPP
 Appareils, ou stations de base, assurant la
 communication radioélectrique avec les
                                                          New Radio Base Station (en-gNodeB et gNodeB)
 équipements terminaux et l’allocation des
 ressources radioélectriques
 Appareils assurant l’authentification et
                                                          Access and Mobility management Function
 l’autorisation d’accès au réseau des équipements
                                                          (AMF) et Authentication Server Function (AUSF)
 terminaux

18- https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039455649/
19-Arrêté du 6 décembre 2019 fixant la liste des appareils prévue par l’article L. 34-11 du code des postes et des
communications électroniques. https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000039455672/

                                                                                                              19
Appareils assurant l’acheminement des
 communications des équipements terminaux              User Plane Function (UPF)
 vers des réseaux tiers

 Appareils assurant la gestion des sessions et des
                                                       Session Management Function (SMF)
 connexions des équipements terminaux

 Appareils assurant la mise en œuvre et le
                                                       Policy Control Function (PCF)
 contrôle des politiques d’accès au réseau

 S'y ajoutent les dispositifs qui assurent une fonction conditionnant la sécurité, l’intégrité
ou la disponibilité de ces réseaux :

                                                   Dénomination de la fonction réseau associée
         Description de l’appareil
                                                           dans les standards 3GPP
 Appareils assurant l’enregistrement, l’auto-
 risation et la continuité des services au sein Network Repository Function (NRF)
 du réseau

 Appareils permettant l’exposition des infor-
 mations du réseau et sa configuration par Network Exposure Function (NEF)
 des appareils externes au réseau

 Appareils assurant le stockage des données
 cryptographiques et identifiants relatifs aux Unified Data Management (UDM)
 abonnés
 Appareils assurant l’interconnexion du ré-
                                            Security Edge Protection Proxy (SEPP)
 seau mobile avec d’autres réseaux

Le directeur général de l’ANSSI a précisé en 2020 aux sénateurs que les autorités auraient
possibilité d’actualiser cette liste pour rester en phase avec l’évolution des technologies
et menaces20.

Ce recensement des appareils soumis à autorisation préalable d’exploitation, tant pour
les cœurs de réseaux que pour leurs terminaisons, a pour objectif de parer au risque
qu’ils soient détournés jusqu’à devenir un vecteur d’intrusion ou d’interception de la part
d’acteurs par exemple étrangers. Depuis la publication de l’arrêté, Matignon, qui est en
charge de la délivrance de telles autorisations d’exploitation, a reçu 157 requêtes de la
part des quatre opérateurs, et pour 65 000 composants d’équipements 5G ; ces requêtes

20-Audition devant la Commission des Affaires Etrangères, de la Défense et des Forces Armées, du Sénat – Nov.
2020.

20
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

ne concernaient que les stations de base et les antennes, puisque les équipements de
coeur de réseau restent pour l’heure en 4G21. La procédure stipule qu’une réponse sera
délivrée dans un délai de deux mois, mais que toute absence de réponse vaut rejet de la
demande.

Le recensement ci-dessous présente une décomposition des réponses d’ores et
déjà transmises à l’automne 202022. Cet éclairage plus détaillé identifie trois types de
restrictions, à partir des demandes examinées par l’Anssi :

     demandes ayant fait l’objet d’une décision de refus, au nombre de 22 ;
      demandes ayant abouti à une décision d’autorisation pour une durée inférieure à la
    durée maximale autorisée (donc < 8 ans) : 53 ;
     demandes ayant abouti à une décision d’autorisation pour une durée maximale de 8
    années : 82.

Les requêtes ayant été rejetées et les autorisations accordées seulement pour une durée
limitée concernaient toutes des équipements Huawei.

    EXISTENCE D’UN PRÉCÉDENT EN MATIÈRE DE DÉMANTÈLEMENT
III.V
D’INSTALLATION

En 2013, les autorités françaises avaient déjà exigé que trois opérateurs de
télécommunications dans les Dom-Tom désinstallent leurs équipements d’origine chinoise,
car ils " auraient outrepassé leurs obligations en utilisant des équipements non agréés. "23

     Orange, qui s’était depuis 2009 fourni auprès de Huawei pour l’île de la Réunion et
    pour Mayotte.
     Outremer Télécom, qui possédait près de 16 % du marché dans les Dom-Tom, avait
    acquis des équipements chez ZTE en 2006 pour les Antilles françaises.
     Pacific Mobile Télécom possédait des équipements Huawei en Polynésie française.
    Ces antennes ont été par la suite remplacées par des matériels Alcatel en 2013.

Ces trois compagnies utilisaient des équipements chinois notamment pour leurs cœurs de
réseaux. L’ANSSI n’avait à l’époque pas délivré d’autorisations ni pour Huawei ni pour ZTE.

La presse avait fait état que ces opérateurs aient pu bénéficier de crédits fournisseurs
pour faciliter leurs plans de financement d’investissements, à l’instar d’un prêt de 20

21-Rapport de la "Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées " du Parlement français.
22-https://www.senat.fr/presse/cp20201119b.html
23-Dirk Basyn : “Trois opérateurs français sommés de mettre leurs équipements Huawei et ZTE à la benne”. Channel
news, le 24 nov. 2013.

                                                                                                              21
millions d’euros de la part de ZTE en faveur d’Outremer Télécom.

22
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

IV – CONTROVERSES À PROPOS DE MESURES DE COMPENSATION

“Est nul tout engagement, convention ou clause contractuelle prévoyant l’exploitation des
appareils (…) lorsque cette activité n’a pas fait l’objet de l’autorisation préalable “24

A titre de repère, le Président du groupe Bouygues a déclaré lors de la présentation de ses
résultats annuels en février 2020 qu’un " réseau mobile performant en France coûte entre
8 et 10 milliards d’euros ".

IV.I L’HYPOTHÈSE            D’UNE COMPENSATION PAR L’ETAT

Deux opérateurs, SFR et Bouygues, ont en 2020 entamé des procédures contre les mesures
limitatives touchant leurs matériels 5G Huawei, dans le but soit de révoquer ces décisions
soit de dégager les voies d’une indemnisation (certaines autres recours demandaient
parallèlement de suspendre la procédure d’attribution des fréquences). Ces recours, en
saisissant le Conseil d’État et en déposant des questions prioritaires de constitutionnalité
auprès du Conseil constitutionnel, développaient plusieurs arguments :

  Celui d’un préjudice matériel, car les entreprises seraient amenées à procéder au rempla-
cement non seulement de leurs équipements 5G mais aussi de ceux déjà “installés au titre
des réseaux des générations précédentes, en raison de contraintes techniques liées à l’ab-
sence d’interopérabilité des appareils. Ceci leur occasionnerait des charges excessives.”25
Martin Bouygues rappelait en février 2020 que ces frais de désinstallation puis d’installation
de nouveaux équipements auront un impact en termes d’argent et de délais d’ouverture du
réseau. A ceci s’ajouterait un risque réputationnel et de perte de clientèle.

24-Article L 34-13 alinéa II de la loi 2019-810. Les appareils cités sont ceux “permettant de connecter les terminaux
des utilisateurs finaux au réseau radioélectrique mobile”.
25-Conseil constitutionnel. Décision n° 2020-882 QPC.

                                                                                                                 23
Celui d’un risque de distorsion de la concurrence, entre les opérateurs dotés d’équipe-
ments Huawei -amenés à devoir les démanteler- et leurs concurrents qui n’en sont pas
dotés. Bouygues Telecom invoquait une violation du principe d’égalité devant les charges
publiques, du fait que ces “dispositions (font) supporter par les opérateurs de communica-
tions électroniques, contraints de remplacer leurs équipements à leurs frais, une charge dis-
proportionnée, qui devrait incomber à l’État puisqu’elle résulterait de choix faits au nom de
la sécurité nationale”. De surcroît, l’objectif apparaissant être d’empêcher d’acheter auprès
d’un fournisseur en particulier, “il en résulterait une méconnaissance de la liberté d’entre-
prendre.”

Bouygues a déposé trois recours devant le Conseil d’Etat. Les deux premiers ont été rejetés
durant l’été 2020. Le troisième en septembre, avec SFR, portait sur la conformité de la loi de
2019 aux droits et libertés que la Constitution garantit26.

En Septembre 2020 également, le secrétaire d’État au numérique Cédric O déclara "Il n’y
a pas de négociations avec les opérateurs sur une compensation financière", ajoutant
"Il n’est pas prévu, en aucun cas, qu’il y ait des indemnisations des opérateurs pour les
décisions qui ont été prises ". Inversement, la Fédération Française des Télécommunications
et SFR ont mis en avant la proposition par le législateur américain, interprétée comme un
précédent, d’un fonds doté d’un milliard de dollars et destiné à aider les petits opérateurs
ou les opérateurs ruraux à retirer les équipements de réseaux prohibés, tels que pourraient
l’être ceux de Huawei ou ZTE, et de les remplacer par des équipements autorisés : “Aux
États-Unis, le gouvernement américain a imposé aux opérateurs de ne pas travailler avec
des opérateurs chinois et, à ce titre, les a indemnisés” a rappelé le directeur général de
SFR27. Cette assistance prenant la forme d’une subvention, complétée par l’assistance
technique apportée par la Federal Communications Commission. La comparaison faite par
les opérateurs français se verrait renforcée par le fait que ses possibles bénéficiaires, que
sont Bouygues Télécom et SFR, sont également des acteurs de taille moyenne sur le marché
des communications mobiles pour les entreprises, par comparaison avec Orange.

En novembre 2020, le rapporteur du Conseil d’État avait pris une première position laissant
la voie ouverte à une procédure de compensation financière (“Le rapporteur public a estimé
que, devant le coût du retrait de l’équipementier chinois Huawei des réseaux télécoms
actuels, le principe d’un dédommagement se posait”28). Le dossier passait au Conseil
constitutionnel, dont la position était attendue en janvier-février 2021, parmi trois options
principales :

26- https://www.reuters.com/article/us-france-huawei-5g-security-exclusive-idUSKCN24N26R
27- Grégory Rabuel in Ouest France, article de Hervé Hillard, 20 nov. 2020.
28- Emmanuel Paquette : “5G : le Conseil d’Etat ouvre la voie à une indemnisation de Bouygues et de SFR”. L’Ex-
press, 13 nov. 2020.
Les incertitudes sur la sécurité de la 5G : impact sur la confiance et coût économique

                ①La loi  autorisant
                    La loi  autorisantààrestreindre,   sansmécanisme
                                         restreindre, sans mécanisme   dede compensation
                                                                         compensation      financière,
                                                                                      financière,          l’utilisation
                                                                                                  l'utilisation   de
              decertains
                  certains équipement 5G (tels que pourraient l'être ceux de Huawei) est déclarée conforme à la
                               équipements 5G (tels que pourraient l’être ceux de Huawei) est déclarée
                Constitution.
              conforme à la Constitution.
                ②La La
                     loiloiest
                            estdéclarée   contraireà la
                                déclarée contraire   à la Constitution --> LeLeParlement
                                                        Constitution                      seraappelé
                                                                                Parlement sera  appelé      à modifier
                                                                                                         à modifier
              éventuellement
                éventuellement son  sontexte.
                                         texte.
                 La loi votée est considérée compatible avec un mécanisme de compensation financière,
                ③
              voireLaconsidérée
                        loi votée estleconsidérée
                                        contenir compatible    avec un mécanisme de compensation financière, voire
                                                  implicitement.
               considérée le contenir implicitement.

Si les options 2 et 3 avaient été retenues par le Conseil constitutionnel, un principe
d’indemnisation aurait été posé, ouvrant la porte à un processus de fixation des montants.

Les échos et prises de paroles recueillis à cette époque indiquaient des montants peu
éloignés :

  SFR et Bouygues avaient évalué l’un et l’autre leurs préjudices en centaines de millions
d’euros a minima, avec une évaluation haute de l’ordre du milliard d’euros par opérateur
(ceci incluant l’impact commercial tel que de perte de clients)29.

  Les évaluations officieuses produites par les services de l’Etat se monteraient selon
quelques médias en centaines de millions d’euros, quoique la position officielle reste oppo-
sée à l’idée de compensation.

  Ces ordres de grandeur apparaissant en phase avec la somme de 500 millions de livres
sterling -sur les cinq prochaines années- publiée par l’opérateur BT au Royaume-Uni, à la
suite des prescriptions de Londres enjoignant de ne pas utiliser les équipements de Huawei.

Le Conseil constitutionnel a en février 2021 décidé de valider les pans de la loi sujette aux
griefs -méconnaissance de la liberté d’entreprendre, du principe d’égalité devant les charges
publiques, de la garantie des droits-, et de rejeter les demandes. Le Conseil a statué que "le
législateur n’a, en tout état de cause, pas reporté sur des personnes privées des dépenses
qui, par leur nature, incomberaient à l’État.”30. Ce caractère conforme à la loi n’apportant
toutefois pas nécessairement un point final au débat voire à des procédures ultérieures.

Une telle décision met a priori les coûts de désinstallation à la charge de Bouygues Télécom
et SFR. Les montants unitaires qui circulent sur le coût de remplacement des stations de base et
des antennes sont variables, avec une fourchette large entre 15 000 euros (pour l’équipement
au sens strict) et 100 000 (tenant en compte notamment le fait que l’opérateur

29-“5G : Bouygues Telecom et SFR demandent une indemnisation de l’Etat si Huawei est exclu”. Magazine Phon-
android, 10/03/2020.
30-Décision n° 2020-882 QPC, 5 fév. 2021. https://www.conseil-constitutionnel.fr/sites/default/files/as/root/
bank_mm/decisions/2020882qpc/2020882qpc.pdf - https://www.conseil-constitutionnel.fr/node/22757/pdf

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