Les investissements - Une étude des
←
→
Transcription du contenu de la page
Si votre navigateur ne rend pas la page correctement, lisez s'il vous plaît le contenu de la page ci-dessous
Une étude des Les investissements de la BNS dans l’industrie des énergies fossiles sont contraires aux intérêts de la Suisse
© Artisans de la transition, Fribourg, avril 2018 www.artisansdelatransition.org Ce rapport repose sur une recherche menée par ISS-Ethix www.issgovernance.com Ce rapport s’appuie sur un complément de travail de 2 Degrees Investing : https://2degrees-investing.org La version allemande est publiée en collaboration avec Fossil Free Suisse www.fossil-free.ch La version en français fait foi Traduction en allemand : Sandro Leuenberger et Markus Keller Traduction en anglais : Thomas Guibentiff et Vanessa Haines-Matos Graphisme : www.ventdouest.ch Crédits photos : Couverture, Stefan Meyer/Keystone ; p.7, Gian Ehrenzeller/Keystone ; p.11, Gian Ehrenzeller/Keystone ; p.14, Gian Ehrenzeller/Keystone, p.18. Fraunhofer-Institut für Windenergie und Energiesystemtechnik Photographie de couverture : Vue du centre-ville de Saint-Ursanne, canton du Jura, mardi 23 janvier 2018. Après de fortes précipitations, le Doubs est sorti de son lit et a inondé la ville. Le débit de la rivière était au moins cinq fois supérieur à la normale.
Messages clefs e portefeuille d’actions connu de la Banque nationale suisse 1) L (95,6 milliards de dollars, 92 milliards de francs, soit l’équivalent de 60 % des placements en actions de la banque) est à l’origine des émissions de 48,5 millions de tonnes de CO2 en 2017. Une quantité supérieure aux émissions totales imputées à la Suisse en 2016 (48,3 millions de tonnes), dernière année où ce chiffre est disponible. 2) S i elle avait pris la décision de désinvestir les 7,4 milliards de francs qu’elle a placés dans les entreprises les plus émettrices de CO2, et les avait réinvestis dans les entreprises les plus vertueuses du point de vue du climat, la BNS aurait divisé par deux les émissions liées à son portefeuille d’actions. Et aurait amélioré son résultat financier de 20 milliards de francs durant ces trois dernières années (du 1er jan- vier 2015 au 31 décembre 2017). 3) L a BNS gère une fortune de 843,3 milliards de francs. Par comparaison, les 1700 institutions de prévoyance professionnelle actives en Suisse fin 2017 géraient une fortune globale de 824 milliards de francs. Le poids de la BNS pour orienter la place financière helvétique vers le respect de l’accord de Paris et influencer le cours de la transition énergétique et écologique est donc immense. 4) L a BNS sous-investit dans le secteur des énergies renouvelables : seuls 11 % de ses actions dans la production électrique sont placés dans des entreprises orientées vers les énergies renouvelables alors qu’un scénario compatible avec un réchauffement de 2°C exigerait le double. De même, la BNS reste figée sur le moteur à combustion : 94 % de ses titres dans le secteur automobile concernent cette techno- logie alors qu’un scénario à 2°C abaisserait sa part à 75 %. 5) C ertaines des entreprises les plus nocives pour le climat dans lesquelles la BNS investit sont aussi responsables de violations des droits de l’homme et de graves dommages écologiques locaux. 6) D e plus, de profondes contradictions entre la politique de la BNS et les politiques publiques fédérales entraînent un gaspillage de moyens et nuisent à l’efficacité des mesures qui aideraient à réduire le problème alors que le temps manque. Voici trois exemples de contradictions flagrantes auxquelles il faudrait mettre un terme : ArtisansdelaTransition 3
– E n 2017, la Suisse a contribué à fonder l’Alliance Past Coal qui milite pour la fin des centrales à charbon conventionnelles d’ici 2030. La BNS, en revanche, soutient cette filière électrique, la plus pol- luante qui soit, en investissant plus de deux milliards de francs dans ce secteur. – L e projet de loi sur le CO2 en discussion au Parlement fédéral prévoit de dépenser jusqu’à 3,75 milliards de francs à l’étranger entre 2021 et 2030 pour compenser 50 millions de tonnes de CO2 dues au trafic automobile en Suisse. Or, la BNS investit au moins 6,2 milliards de francs pour aider les entreprises pétrolières à extraire toujours plus de ce combustible pour que toujours plus de voitures puissent rouler en Suisse. – La Suisse dépense chaque année près de deux milliards de francs pour aider les pays pauvres. Or, 80 % des pays où la coopération suisse concentre son action sont sur la liste des pays les plus affec- tés par le changement climatique. La politique d’investissements de la BNS affecte en priorité précisément ces mêmes pays. 7) U ne gestion de fortune de la BNS cohérente avec les politiques fédérales de lutte contre le réchauffement climatique et la pauvreté décuplerait leur efficacité. Elle montrerait la voie à toute la place financière helvétique qui favorise aujourd’hui, comme la BNS, une trajectoire de +4°C à +6°C. 8) A u niveau mondial, les initiatives pour aligner les flux financiers sur l’accord de Paris se multiplient : huit banques centrales ont initié un réseau d’échange et de réflexion sur les moyens d’orienter les marchés financiers vers la lutte contre le changement climatique. La Banque mondiale arrêtera tout financement d’infrastructures d’exploitation de gaz et de pétrole à partir de 2019. La Commission européenne a publié sa feuille de route « pour amener le système financier à soutenir les actions de l’UE en matière de climat et de développement durable ». 9) L a BNS dispose de toute la légitimité et de tous les outils pour adopter une politique climatique responsable. Si elle refuse de le faire, le Conseil fédéral et le parlement doivent intervenir pour l’amener à agir de manière cohérente avec ses politiques en faveur de la protection du climat. 4 ArtisansdelaTransition
Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz* Les investissements de la BNS dans l’industrie des énergies fossiles sont contraires aux intérêts de la Suisse * Susana jourdan Le portefeuille d’actions connu de la rapport des ArtisansdelaTransition et Jacques Mirenowicz Banque nationale suisse (95,6 mil- sur les investissements de la BNS sont codirecteurs liards de dollars, 92 milliards de dans l’industrie des énergies fossiles de l’association Artisans de la transition francs, soit l’équivalent de 60 % des aux Etats-Unis (ArtisansdelaTransi- www.artisansdelatransition.org placements en actions de la banque)1 tion, 2016). Si, cependant, le mon- est à l’origine des émissions de 48,5 tant du portefeuille a fortement aug- millions de tonnes de CO2 en 20172. menté – passant de 61,5 à 92 milliards Une quantité supérieure aux émis- de francs –, c’est en grande partie à sions totales imputées à la Suisse en cause de l’appréciation des bourses 2016 (48,3 millions de tonnes), derniè et des devises entre les dates rete- re année où ce chiffre est disponible. nues pour l’analyser : 31 décembre 2015 pour le premier rapport, 30 sep- Si elle avait pris la décision de désin- tembre 2017 pour le présent rapport. vestir les 7,4 milliards de francs iden tifiés qu’elle a placés dans les entre- De plus, la présente analyse inclut les prises les plus émettrices de CO2, placements de la BNS à la Bourse de et les avait réinvestis dans les entre- Londres et dans quelques autres en- prises les plus vertueuses du point treprises européennes, données qui de vue du climat, la BNS aurait divisé n’étaient pas disponibles lorsque le par deux les émissions liées à son por- premier rapport a été rédigé. tefeuille d’actions. Et aurait amélioré son résultat financier de 20 milliards de francs durant ces trois dernières Poids immense années (du 1er janvier 2015 au Pour compléter l’analyse d’ISS-Ethix, 31 décembre 2017). Voilà les princi- les ArtisansdelaTransition ont deman- pales données qui ressortent de l’ana- dé à 2 Degrees Investing d’évaluer le lyse que les ArtisansdelaTransition portefeuille de la BNS au regard de ont demandée au cabinet ISS-Ethix, l’objectif inclus dans l’accord de Pa- basé à Zurich. ris de ne pas dépasser 2°C de hausse de la température moyenne sur Terre Ces chiffres confirment ceux publiés, par rapport à l’époque préindustrielle. en décembre 2016, dans le premier Cette association basée à Paris, 1) La BNS ne publie aucune donnée sur ses placements. L’analyse présentée ici est fondée sur les recherches du cabinet néerlandais Profundo, qui a accès à des bases de données spécialisées. 2) Sont considérées dans ce montant les émissions sur la totalité du cycle de vie des biens ou des services que fournit l’entreprise. Ce que les spécialistes appellent les Scope 1,2 et 3. ArtisansdelaTransition 5
Un portefeuille « assaini » aurait émis deux fois moins de CO 2 et récolté 20 milliards de francs en plus ISS-Ethix a simulé l’évolution de la valeur du portefeuille de la BNS si elle avait désinvesti le 1er janvier 2015. Pour effectuer ce calcul, il a retiré du portefeuille toutes les entreprises de l’indice Carbon Underground 200 que vise la campagne mondiale de désinvestissement et celles qui ob- tiennent 30 % ou plus de leur chiffre d’affaires de l’extraction ou de l’uti- lisation de charbon. Puis il a placé les montants retirés de l’industrie des énergies fossiles dans des entreprises qui se sont clairement engagées à créer un avenir aligné sur l’accord de Paris : des entreprises qui font partie du Clean 200 ou qui se donnent des objectifs de réduction des émissions fondés sur des données scientifiques. Le Clean 200 est la liste des plus grandes sociétés cotées en Bourse qui tirent leurs revenus totaux d’énergies propres ou qui construisent les infrastructures et les services nécessaires à la tran- sition énergétique. ISS-Ethix a ensuite calculé l’évolution de la valeur du portefeuille « assai- ni » du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. Résultat : la différence entre les deux portefeuilles est de 20 milliards de francs de gains en faveur du portefeuille assaini. Et ce portefeuille nettoyé émet moitié moins de CO2 que le portefeuille actuel. Autrement dit, la BNS pourrait faire pencher la balance du côté de la transition énergétique au lieu de peser de tout son poids du côté du verrouillage de cette transition. Et cela sans coût. Mieux, avec un bénéfice très substantiel. Tous les milieux financiers, y compris la BNS, sont habitués à voir des sec- teurs sous-performer pendant un moment, qui peut durer des années, avant de remonter. D’où l’intérêt de panacher son portefeuille, de le di- Londres, Berlin et New York a pour versifier pour compenser les pertes momentanées dans certains secteurs mission de mettre au point une mé- par des gains dans d’autres secteurs. Certes, la BNS a perdu 20 milliards trique standard pour évaluer la com- de francs en trois ans en conservant ses placements dans l’industrie des patibilité des placements financiers énergies fossiles. Mais sans doute se demande-t-elle : pourquoi ce sec- avec cet objectif international. teur ne finirait-il pas, comme tant d’autres, par remonter ? L’Office fédéral de l’environnement a notamment mandaté 2 Degrees In- Le problème est que dans le cas présent, tout doit être fait, au niveau vesting en 2017 pour évaluer les por- politique – et de plus en plus est effectivement fait – pour que le cours des actions dans le secteur des énergies fossiles ne remonte plus jamais. tefeuilles des caisses de pension Et tout acteur responsable, sur les plans politique et financier, se doit de suisses qui en ont fait la demande. concourir à la rétraction irréversible de ce secteur au profit, notamment, des secteurs des énergies renouvelables et des économies d’énergie. Selon l’analyse de 2 Degrees Inves- ting effectuée pour les Artisansde- 6 ArtisansdelaTransition
Samedi 14 octobre 2017, un habi- tant de Bondo rentre chez lui. Le mercredi 23 août, un éboule- laTransition, plus d’un quart (26 %) sont placés dans des entreprises ment d’environ quatre millions du portefeuille de la BNS est inves- orientées vers les énergies renou- de mètres cubes de roches du Piz ti dans des secteurs très émetteurs velables, alors qu’un scénario à 2°C Cengalo a contraint les habitants de gaz à effet de serre : industrie exigerait le double. De même pour de ce village du massif du Bergell à le quitter pendant près de deux des énergies fossiles, industrie au- les investissements dans le secteur mois. Selon l’Académie suisse des tomobile, production de ciment et automobile : la BNS reste attachée sciences, le pergélisol de haute d’autres matériaux de construction, aux fabricants figés sur le moteur à montagne va continuer de fondre acier, aluminium et aviation. combustion : 94 % de ses titres dans dans les Alpes jusque dans ses couches les plus profondes, mul- le domaine automobile concernent tipliant les chutes de pierres et En revanche, la BNS sous-inves- cette vieille technologie, alors qu’un les éboulements. tit dans le secteur des énergies re- scénario à 2°C prévoit de baisser nouvelables : seuls 11 % de ses ac- ce chiffre à 75 %. tions dans la production électrique ArtisansdelaTransition 7
La BNS gère une fortune de 843,3 mil- Réponses de la BNS Dans sa réponse du 8 février 2017, liards de francs. Par comparaison, les et du politique le secrétaire général de la BNS, 1700 institutions de prévoyance pro- Suite à la parution de son premier Peter Schöpf, explique pourquoi la fessionnelle actives en Suisse fin 2017 rapport sur les placements de la BNS ne désinvestira pas de l’indus- géraient une fortune globale de 824 BNS dans l’industrie des énergies trie des énergies fossiles et juge milliards de francs. Le poids de la BNS fossiles aux Etats-Unis, les Artisans- une telle présentation inutile. pour orienter la place financière hel- delaTransition ont écrit le 22 dé- vétique vers le respect de l’accord de cembre 2016 à la direction de la BNS Son argumentaire se déploie en Paris et influencer le cours de la tran- pour lui demander de pouvoir pré- trois points. En premier lieu, relève sition énergétique et écologique est senter en interne les résultats de Peter Schöpf, la politique de pla- donc immense. cette étude. cement de la BNS est « subordon- Les graves dommages à l’environnement de l’industrie des énergies fossiles Les ArtisansdelaTransition ont demandé à ISS-Ethix de Ainsi, l’entreprise pétrolière Royal Dutch Shell est passer le portefeuille de la BNS au crible des normes connue pour son échec avéré à prévenir et à nettoyer établies dans les dix principes du Pacte mondial des la pollution de l’eau et du sol et à remédier aux im- Nations unies. Ces principes concernent le respect des pacts environnementaux de ses activités au Nigeria. droits de l’homme et des travailleurs, la protection Amnesty International accuse en outre sa filiale nigé- de l’environnement et la corruption. Ce standard est riane de se servir de l’armée pour faire taire ses cri- le plus basique de tous les standards de responsabi- tiques. L’entreprise française Total est aussi active au lité sociale disponibles. Résultat : environ 1 % des en- Nigeria, où elle est sous le feu des critiques pour la pol- treprises dans lesquelles la BNS investit sont connues lution du delta du Niger. pour ne pas respecter ce standard minimal. Chevron est une autre entreprise pétrolière parmi les Fait remarquable : sur les quinze entreprises mises en plus irresponsables du monde en matière des droits cause, la moitié est active dans l’industrie des énergies environnementaux et humains. Le cas le plus emblé- fossiles. Ce qui n’est guère surprenant : l’exploration, matique des violations des droits concerne l’Equa- l’extraction, le raffinement et le transport des ma- teur. Chevron y a été condamné en 2011 à verser une tières fossiles exigent d’énormes infrastructures qui amende de 9,5 milliards de dollars pour les dégâts cau- ont une très forte emprise sur les territoires et causent sés à la forêt amazonienne entre 1964 et 1990. Mais de lourds dégâts aux écosystèmes, dont la survie des l’entreprise refuse de payer. plus pauvres dépend. Plus grande entreprise pétrolière au monde, Exxon- Loin de la Börsenstrasse, à Zurich, où la BNS siège, des Mobil est synonyme d’action irresponsable. Avec millions de personnes subissent les effets parfois parti- Royal Dutch Shell, Chevron et deux autres entreprises, culièrement nocifs de l’exploitation du sous-sol que cette elle fait l’objet d’une investigation judiciaire suite à la institution finance sans suffisamment de discernement. plainte déposée le 20 septembre 2017 par les villes de 8 ArtisansdelaTransition
née aux impératifs de sa politique force de couvrir autant que possible siers sur plusieurs marchés et dans monétaire ». A ce titre, « ses place- l’ensemble du marché.» différentes monnaies ». Le secrétaire ments doivent obéir aux critères de général de la BNS assure que « ce la sécurité, de la liquidité et du ren- En deuxième lieu, continue Peter mode de gestion permet à la Banque dement ». En outre, ajoute Peter Schöpf, la BNS pratique, pour ses in- nationale d’agir de manière aus- Schöpf, étant donné le volume très vestissements en actions, une ges- si neutre que possible sur les diffé- important des titres en jeu, il est fon- tion indicielle : elle gère ses actions rents marchés ». damental « d’assurer leur diversifica- « de manière passive et conformé- tion optimale ». Et aussi : ment à des règles préétablies, sur la Troisième point : Peter Schöpf affir « Au sein même des différentes caté- base d’un indice de référence straté- me que la BNS exclut de ses place- gories de placements, [la BNS] s’ef- gique combinant divers indices bour- ments, depuis 2013, les titres « des San Francisco et d’Oakland pour leur participation à la l’homme aux Etats-Unis en rapport avec leur oléoduc diffusion du doute à propos de la contribution de l’acti- Dakota Access Pipeline (DAPL) entré en service en avril vité humaine au réchauffement climatique. 2017. Les Indiens sioux qui habitent la réserve de Stan- ding Rock continuent de se battre pour faire fermer Dans le cas d’ExxonMobil, des documents internes cette infrastructure. prouvent qu’elle prenait des mesures pour protéger ses infrastructures du changement climatique. ExxonMobil BHP Billiton est active dans l’extraction du charbon et est en outre impliquée dans plusieurs procès en cours de bien d’autres minerais. Elle est mise en cause pour pour sa responsabilité dans la pollution de sites d’ex- sa gestion de la mine de Samarco à l’origine d’une des ploitation de sables bitumineux au Canada et en Russie. pires catastrophes écologiques de l’histoire du Brésil. Le 19 novembre 2015, le barrage qui retenait les dé- TransCanada : cette entreprise porte le projet d’oléo- chets d’extraction du minerai de fer a cédé, déversant duc Keystone XL qui est au cœur d’une mobilisation sans une coulée de boue chargée de métaux lourds qui a tué précédent aux Etats-Unis depuis 2012. Face au refus de 19 personnes, détruit le domicile de 600 autres, privé délivrer un permis d’extension de l’Administration Oba- d’eau 280 000 habitants de deux Etats et pollué 650 ki- ma, l’entreprise a attaqué en justice le Gouvernement lomètres de rivière. des Etats-Unis en exigeant 15 milliards de dollars de compensation. L’oléoduc Keystone en exploitation de- Vedanta est une autre entreprise minière qui possède puis 2010 est la cause de fuites d’hydrocarbures impor- en outre des installations d’extraction de pétrole et gaz tantes et répétées. et des usines électriques à charbon. Le quotidien britan- nique The Independent l’a qualifiée d’entreprise « mi- Suncor et Pétrolière impériale sont responsables de nière la plus haïe au monde ». Elle fait régulièrement la graves pollutions autour du complexe Syncrude, en Al- une des journaux britanniques et indiens pour la pollu- berta, au Canada. tion qu’elle génère, des cas de violation des droits des Enbridge Inc, Marathon Petroleum et Phillips 66 sont communautés locales en Inde et en Afrique, ainsi que confrontés à maintes controverses sur les droits de des affaires de corruption. ArtisansdelaTransition 9
entreprises qui causent de manière tion montre que la BNS détient il d’accord que l’argent des Suisses systématique de graves dommages des titres d’entreprises pétrolières contribue au désastre climatique ? à l’environnement ». Mais soutient et minières dont les méfaits Est-il d’accord de tirer un bénéfice fi- que la BNS ne peut pas exclure une environnementaux systématiques nancier de la destruction irréparable branche économique entière. Cela se- sont bien documentés. du climat ? » rait contraire au principe de diversifi- cation et « créerait un précédent, car En complément à la ligne d’argu- Dans sa réponse datée du 23 mai l’activité de nombreuses branches a ments de Peter Schöpf, Mme Andréa 2017, Doris Leuthard observe qu’« en des conséquences qui, selon les prio- Maechler, membre de la direction de ce qui concerne les investissements rités fixées par les uns et les autres, la BNS, faisait une remarque très im- de la BNS, ni le Conseil fédéral ni le pourraient être considérées comme portante en réponse au journaliste Parlement n’a le droit d’influencer socialement indésirables ou nui- de la RTS qui, le 15 décembre 2016, les décisions ou de donner des ins- sibles ». l’interpellait pour le téléjournal sur tructions. L’indépendance sur le plan les résultats du rapport des Artisans- fonctionnel, financier et personnel En résumé, la BNS prétend que le cli- delaTransition sorti le jour même. est ancrée dans la Constitution et ga- mat ne fait pas partie de son champ Andréa Maechler estimait que les rantit ainsi l’autonomie budgétaire. » de compétence ni d’intervention, placements de la BNS dans l’indus- qu’il n’y a pour elle pas d’enjeu parti- trie des énergies fossiles sont une Cependant, la présidente de la Suisse culier avec ce secteur, que ses choix question politique et qu’il revient au signale aussi que « la Confédéra- d’investissements sont neutres au pouvoir politique d’établir des règles tion veut assumer un rôle de soutien regard des marchés et qu’elle ex- sur ce plan, que la BNS appliquera. à une démarche générale, coordon- clut déjà les entreprises qui causent née au plan international, pour la dé- de manière systématique de graves Les ArtisansdelaTransition ont donc termination des indices référentiels dommages à l’environnement. rédigé et envoyé une lettre, le 22 dé- servant à comparer différents para- cembre 2016, à Mme Doris Leuthard, mètres de la comptabilité climatique. La BNS affirme ainsi qu’il est juste et directrice du Département fédéral […] Cette démarche permettra de dé- pertinent pour elle de tourner le dos de l’environnement, des transports, finir les bases d’un futur rapport sur à l’accord universel de Paris sur le cli- de l’énergie et de la communication la compatibilité des flux financiers mat et de délibérément continuer de (DETEC) et présidente de la Confé- avec le climat, qui devra être établi favoriser un réchauffement de +4°C à dération en 2017, pour lui demander par la Suisse à l’intention du Secréta- 6°C. C’est là un positionnement cho- d’intervenir auprès de la BNS sur la riat des Nations unies sur les change- quant, qui n’est pas acceptable. question politique majeure des pla- ments climatiques, conformément à cements de la BNS dans l’industrie l’accord de Paris. » Tout d’abord, il n’est tout simplement des énergies fossiles. pas vrai que la BNS exclut déjà toutes En clair, la Confédération est enga- les entreprises « qui causent de ma- Les ArtisansdelaTransition ont inter- gée dans la définition de standards nière systématique de graves dom- rogé la conseillère fédérale et future internationaux sur le climat auxquels mages à l’environnement » : la pré- présidente de la Confédération en la BNS pourrait se conformer, en sente étude des ArtisansdelaTransi- ces termes : « Le Conseil fédéral est- toute indépendance, si elle le juge 10 ArtisansdelaTransition
Piste de ski à Celerina, en Engadine, le 12 décembre 2016. Selon l’Académie suisse des sciences, la saison de la neige va encore se raccourcir de plusieurs semaines durant les prochaines années et la limite pluie-neige s’élever de plusieurs centaines de mètres. ArtisansdelaTransition 11
opportun, le jour où ces standards La place financière mondiale Mexique, la Banque d’Angleterre, exerceront leurs effets sur l’en- bouge la Banque de France, l’Autorité de semble de la place financière Sur la scène mondiale, plusieurs contrôle prudentiel et de résolution, internationale. actions récentes de grands acteurs la Banque des Pays-Bas, la Banque de la sphère financière révèlent la fédérale d’Allemagne, la Finansins- La position des Artisans, au vu de montée de la volonté d’une partie pektionen suédoise, l’Autorité moné- l’évolution alarmante du climat, est de ce milieu de respecter les objec- taire de Singapour et la Banque popu- que le temps presse trop pour qu’on tifs de l’accord de Paris. Cet accord laire de Chine. puisse se permettre d’attendre une est entré en vigueur avec une rapidi- telle évolution des règles internatio- té inédite, le 4 novembre 2016, moins Le même jour, la Banque mondiale nales : la BNS a d’ores et déjà le pou- d’un an après son approbation, (qui avait informé se désengager du voir de faire infiniment mieux, sans à Paris, le 12 décembre 2015, par les charbon dès 2010) annonçait sa déci- tarder, sur cette question décisive parties de la 21e Conférence des sion d’arrêter tout financement d’in- du climat qu’elle ne le fait actuelle- parties de la Convention-cadre des frastructures d’exploitation de gaz et ment. Les signes que le milieu de la Nations unies sur les changements de pétrole à partir de 2019 afin de te- finance avance sur le climat se multi- climatiques (COP 21). nir compte « de l’évolution rapide du plient depuis quelque temps. La BNS monde ». Et dévoilait une série d’ini- devrait se joindre à cet élan en train A l’instigation de la France, des Na- tiatives pour améliorer la transpa- de grandir. tions unies et de la Banque mondiale, rence de ses activités au regard de la une cinquantaine de chefs d’Etat situation du climat et pour s’engager Quant au politique, la question se et de gouvernement se sont à nou- dans le financement de la transition. pose de manière aiguë : peut-il vrai- veau réunis dans la capitale française ment se retrancher derrière une lors du One Planet Summit, le 12 dé- Toujours durant le One Planet Sum- Constitution qui se révèle défaillante cembre 2017, afin de faire perdurer mit, la coalition Climate Action 100+ en l’empêchant d’exercer une légi- l’élan généré à Paris deux ans plus tôt a vu le jour. Le but de ce rassemble- time pression sur la BNS au regard malgré le retrait des Etats-Unis de ment de 256 grands investisseurs des données disponibles sur l’évo- cet accord, le 1er juin 2017, à l’initia- institutionnels, qui totalisent plus lution du climat et la responsabilité tive de leur président Donald Trump. de 28 000 milliards de dollars gigantesque de cette institution au d’actifs sous gestion, est de coor- mandat – la politique monétaire du Depuis Paris, huit banques centrales donner l’action de ses membres vis- pays – éminemment politique ? ont annoncé, le 12 décembre 2017, à-vis des cent entreprises cotées en initier un réseau d’échange et de ré- Bourse les plus émettrices de gaz à Chacun de ces deux points – l’évolu- flexion sur les moyens d’orienter effet de serre – dont presque toutes tion de la place financière interna- les marchés financiers vers la lutte font partie du portefeuille de la BNS. tionale sur le climat et la possibilité contre le changement climatique. Cet effort collectif vise à inciter ces d’exercer une pression politique sur Ce consortium, appelé Réseau des entreprises à présenter une straté- la BNS – mérite d’être examiné de superviseurs et des banques cen- gie de réduction de leurs émissions plus près. trales pour le verdissement du sys- conforme aux objectifs fixés dans tème financier, réunit la Banque du l’accord de Paris. 12 ArtisansdelaTransition
Cette énumération appelle deux « lentes transformations – en partie nancières et étatiques précitées re- constats. Le premier : la BNS brille irréversibles – des paysages et des connaissent qu’un tel choix n’est pas par son absence de cette évolution écosystèmes, telles que la fonte des neutre et prennent des mesures ou positive du monde de la finance. Elle glaciers ou des changements de la cherchent des moyens d’aller dans ne comprend à l’évidence pas que la biodiversité, de la qualité de l’eau et le sens d’une prise de responsabili- branche entière des énergies fossiles de l’incidence des té supérieure aux soulève un problème inédit, qui ap- ravageurs et des La BNS brille « lois du marché ». pelle un sens des responsabilités et maladies » (Aca- des réponses tout aussi inédits de démies suisses des par son absence De même, l’analyse la part de tous les investisseurs, des sciences, ProClim, de l’évolution positive de Doris Leuthard, banques centrales notamment. 2016). qui se réfère à la du monde Constitution pour Le second constat est que si la BNS La Suisse échappe- de la finance laisser la BNS pro- toute seule ne parvient pas à com- ra d’autant moins mouvoir une tra- prendre l’évidence sur le chapitre du à de fortes dégradations des condi- jectoire de réchauffement de la pla- climat, sur qui d’autre compter hor- tions climatiques en cas de hausse nète de + 4°C à + 6°C en attendant mis le politique pour l’amener à plus marquée de la température que sur des décisions au niveau internatio- de raison ? l’arc alpin, le réchauffement est deux nal – sur lesquelles son pouvoir d’in- fois plus fort qu’en moyenne mon- fluence est d’autant plus faible que diale : entre 1864 et 2016, la hausse la Suisse ne montre pas l’exemple Changement climatique : moyenne de la température atteint chez elle – est un aveu d’extrême im- rappel des faits + 1,8°C en Suisse alors que la hausse puissance. Des montagnes d’encre ont été ver- moyenne mondiale est de + 0,85°C. sées depuis deux ans pour commen- Au final, cette relative démission ter l’impact économique en Suisse de Et bien entendu, une hausse de la du politique, incapable d’exercer l’abandon du taux de change plan- température de 4°C à 6°C par rap- une vigoureuse et légitime pression cher par la BNS en janvier 2015. port à l’époque préindustrielle n’au- sur la stratégie et les décisions Or, l’impact pour la Suisse sur tous ra pas seulement des effets délétères de la BNS qui ne prend pas ses res- les plans, y compris économique, d’un en Suisse. Le monde entier subira ponsabilités sur le climat malgré réchauffement de 4°C à 6°C sera sans ses effets dévastateurs et en sortira l’urgence absolue qu’il y a à le faire, commune mesure avec les effets de bouleversé. rend d’autant plus remarquable et cette décision sur le taux de change. pertinente la prise de responsabili- Un tel horizon rend particulièrement té de la conseillère nationale Verte Plus le réchauffement climatique baroque ou décalé le discours de la Adèle Thorens Goumaz. sera important, plus le pays subi- BNS sur la neutralité de son position- ra des vagues de chaleur intenses nement sur les différents marchés Avec quinze autres conseillers natio- et fréquentes, des sécheresses, de pour justifier de continuer d’investir naux, elle a déposé, le 15 juin 2017, fortes précipitations susceptibles dans l’industrie des énergies fossiles. une initiative parlementaire pour de dégénérer en inondations et de Toutes les institutions bancaires, fi- modifier la loi sur la BNS afin de ArtisansdelaTransition 13
De face, Anna Giacometti, maire de Bregaglia, salue une habitante de Bondo. Après deux mois d’exil dus aux laves torrentielles qui ont traversé leur village suite à un éboulement de montagne, les villageois retrouvent leur lieu de vie le 14 octobre 2017. En Suisse comme partout dans le monde, les femmes sont les premières victimes du changement climatique. préciser la notion d’intérêt général énergies fossiles contribuent direc en renforçant un problème que le qui y figure en introduisant une réfé- tement et massivement à aggraver Gouvernement helvétique a le devoir rence à l’article 2 de la Constitution. le réchauffement du climat alors que impérieux de combattre et ne com- Cet article évoque la durabilité le pays, en ratifiant l’accord de Paris bat qu’en partie par des politiques pu- et la préservation des ressources le 6 octobre 2017, s’est bel et bien bliques ciblées sur le climat, la poli- naturelles. engagé à combattre le changement tique de la BNS accentue l’incohéren climatique. ce, le « schisme » qui traverse la poli- Tout indique que cette avancée est la tique fédérale sur le climat. Un schis voie à suivre : les investissements de Mais pour l’heure, pour reprendre me particulièrement flagrant en ce qui cette institution centrale de la Suisse l’éclairage des historiens des sciences concerne la loi sur le CO2 et la politique qu’est la BNS dans l’industrie des Amy Dahan et Stefan Aykut (2015), de coopération internationale. 14 ArtisansdelaTransition
Schisme helvétique : qu’inéluctable, prendre les devants, tonne de CO2 (WWF, 2017), la Suisse une politique incohérente montrer la voie et l’exemple à l’instar envisage donc de dépenser 3,75 mil- sur le climat d’autres institutions financières dans liards de francs pour réduire les le monde. émissions de CO2 à l’étranger entre Incohérence sur le charbon 2021 et 2030 afin de compenser son En marge des négociations de la Incohérence sur le gaz utilisation de pétrole dans la mobili- COP 23, à Bonn, un groupe de et le pétrole té en Suisse. dix-neuf pays, dont le Canada, le Le projet de révision de la loi sur le Royaume-Uni, la France et la Suisse, CO2 actuellement en discussion au Et c’est dans ce contexte que la BNS a créé l’Alliance Past Coal qui mi- parlement propose de diminuer les investit au moins 6,2 milliards 4 de lite pour la fin, d’ici 2030, du char- émissions de CO2 de la Suisse de francs pour aider des entreprises bon conventionnel (sans capture et 50 % d’ici 2030 par rapport à leur pétrolières à extraire toujours plus séquestration) dans les pays de l’Or- niveau de 1990. Sous prétexte qu’il de ce combustible dans des condi- ganisation de coopération et de dé- n’y aurait plus assez de marge de tions en outre toujours plus dom- veloppement économiques (OCDE) manœuvre à l’intérieur du pays (ce mageables et plus risquées pour les et l’Union européenne, et d’ici 2050 qui est loin d’être prouvé, mais n’est écosystèmes et leurs riverains. ailleurs dans le monde. Il va de soi pas l’objet du propos ici), la ver- qu’il faut ardemment souhaiter que sion actuelle du projet prévoit pour Il paraît pourtant pour le moins ab- cette alliance obtienne gain de cause y parvenir de réaliser 30 % des ré- surde d’investir avec la main gauche et fasse dévisser le cours des entre- ductions en Suisse et d’acheter des des milliards à l’étranger qui vont ac- prises actives dans le charbon. certificats de réduction à l’étran- croître les émissions de CO2 mon- ger pour les 20 % restants. Ces cer- diales tout en dépensant avec la Pourtant, la BNS a directement placé tificats de réduction à l’étranger main droite des milliards en certifi- environ deux milliards de dollars serviront surtout à « compenser » cats pour compenser à l’étranger les – au bas mot – dans le charbon ou les émissions dues au transport en émissions de CO2 dues aux importa- dans des entreprises électriques for- Suisse, qui dépend à 95 % du pétrole. tions de pétrole que ces investisse- tement dépendantes du charbon.3 ments encouragent. Ce simple choix de placement de la Au total, selon ce projet de loi, la BNS est en conflit avec une action in- Suisse devrait acheter pour 50 mil- Il est bien sûr possible d’être plus ternationale officielle juste et fondée lions de tonnes de CO2 à l’étranger cohérent. Mais pour cela, il faudrait de la Confédération. Certes, l’Alliance entre 2021 et 2030. Comme le prix une volonté politique pleinement as- Past Coal mettra du temps à chan- plancher d’un certificat de bonne sumée de saisir tous les leviers dis- ger les règles internationales sur le qualité – qui garantit une vraie éco- ponibles pour désamorcer le péril cli- charbon. Mais la BNS pourrait antici- nomie de CO2 réalisée aux meilleurs matique. Malheureusement, la liste per une évolution aussi souhaitable standards – se situe à 75 dollars la des incohérences au sein des plus 3) C’est sans doute là une sous-estimation puisqu’on ne connaît pas les placements de la BNS dans le charbon en dehors des Etats-Unis et du Royaume-Uni. 4) Cet argent est placé dans le secteur « Oil & Gas », c’est-à-dire sans le charbon et les centrales électriques. En réalité, la BNS investit beaucoup plus dans ce secteur puisqu’on ne connaît pas ses placements en dehors des Etats-Unis et du Royaume-Uni. ArtisansdelaTransition 15
hautes instances du pays auxquelles plus exposées et plus vulnérables ment se limitent pour le moment à la BNS apporte une contribution ma- aux chocs climatiques, ont moins de chercher à éluder les responsabilités jeure ne s’arrête pas là. ressources et bénéficient moins de de la Suisse. soutien de leur famille, de leur com- Incohérence sur l’aide munauté, du système financier et Selon l’accord de Paris, en tenant au développement même des filets de sécurité sociale compte de son empreinte climatique Une étude de la Banque mondiale pour prévenir, faire face et s’adapter. totale et de sa part à la capacité éco- montre que le réchauffement clima- nomique de l’OCDE, la Suisse devrait tique est générateur de pauvreté Lutter contre la pauvreté et ses soutenir les populations des pays et que les pauvres sont plus vulné- conséquences humaines. C’est pré- en développement par des mesures rables à ce phénomène. Cette étude cisément le mandat de la Direction de protection du climat et d’adapta- estime que 100 millions de per- du développement et de la coopéra- tion à partir de 2020 à hauteur d’un sonnes en plus pourraient plonger tion (DDC) qui, à ce titre, a défini une milliard de dollars par an (Stauden- dans la pauvreté d’ici 2030 à cause liste de 35 pays prioritaires pour son mann, 2018). Mais le Conseil fédé- du changement climatique si des action et bénéficie d’une enveloppe ral, suivi par la Commission compé- politiques de développement adé- de deux milliards de francs par an tente du Conseil national, propose quates ne sont pas immédiatement pour y mener ses programmes. de ne verser que 450 à 600 millions adoptées (Hallegatte et coll., 2016). Or, que constate-t-on à mettre en- et, au lieu de dégager des ressources semble ce mandat avec ce que dit ce additionnelles, d’aller puiser cette Le réchauffement climatique aura rapport de la Banque mondiale ? somme dans le budget de la coopé- les répercussions les plus sévères ration au développement déjà alloué dans le secteur de l’agriculture. Que la carte des pays les plus affec- à la DDC. Les deux régions les plus pauvres tés par les effets du réchauffement du monde – l’Afrique subsaharienne climatique recoupe à 80 % celle de Ainsi, d’un côté, on attise le problème et l’Asie du Sud – en souffriront le ces 35 pays prioritaires pour la DDC : via les investissements de la BNS. plus. A l’horizon 2030, la baisse des en clair, la Suisse dépense donc en- Et de l’autre, on rechigne à payer rendements des cultures agricoles viron deux milliards de francs par an les pots cassés de cette politique. pourrait renchérir les produits ali- pour améliorer les conditions de vie mentaires de 12 %, en moyenne, en – notamment pour aider à mieux gé- Les personnes les plus vulnérables Afrique subsaharienne. Les ménages rer les problèmes écologiques – dans aux effets du changement clima- pauvres, qui consacrent jusqu’à 60 % des pays dont les populations sont tique seraient mieux loties si la com- de leur revenu pour se nourrir, ris les premières victimes des place- munauté internationale intensifiait quent d’en pâtir considérablement. ments de la BNS dans l’industrie des sa lutte contre ce phénomène et En sus, le paludisme affectera plus énergies fossiles. ses politiques d’aide au développe- de 150 millions de personnes en plus. ment pour y faire face. L’étude de la Sur cette incohérence entre la poli- Banque mondiale montre que l’ajout Le réchauffement du climat affecte tique de coopération au développe- de 100 millions de pauvres d’ici 2030 les personnes pauvres de manière ment et le laisser-faire vis-à-vis de n’est pas une fatalité (Hallegatte et disproportionnée parce qu’elles sont la BNS, le Conseil fédéral et le parle- coll., 2016). 16 ArtisansdelaTransition
Pour la Suisse, l’urgence serait Désinvestir des énergies fossiles ne Ce qui est en jeu dépasse la seule d’imaginer comment caler la ges- résoudra bien sûr pas tout. Mais c’est gestion de la BNS. Toute la place fi- tion de sa monnaie par la BNS avec une pièce essentielle du puzzle et nancière helvétique souffre du même sa volonté affichée de contribuer à une étape importante qui attire l’at- travers : mais comment espérer voir la résolution internationale du pro- tention sur le besoin de placer un les caisses de pension, les assureurs blème climatique. couvercle sur les gisements de gaz et tous les investisseurs institution- et de pétrole et les mines de char- nels et privés tourner la page de l’in- La BNS n’est pas la seule instance ni bon, c’est-à-dire sur la source du pro- dustrie des énergies fossiles si la plus le seul canal institutionnel par lequel blème. Pour rappel, le Groupe d’ex- haute institution financière du pays la Confédération mène une politique perts intergouver- ne donne aucune économique contradictoire avec sa nemental sur l’évolu- impulsion pour al- volonté de répondre au problème cli- tion du climat (Giec) Une gestion ler dans ce sens ? matique. Mais avec elle, il serait ex- estime qu’il faut lais- de la fortune Il est fort probable trêmement simple de mettre fin à ser 80 % des gise- que si la BNS ve- de la BNS cohérente cette incohérence : il suffirait que la ments d’énergies nait à adopter une BNS adopte une stratégie pour ré- fossiles dans le sous- avec des politiques politique clima- duire au minimum son impact sur sol pour respec- fédérales plus déter- tique, une grande le climat. Voilà pourquoi cette enti- ter l’accord de Paris partie de la place té est un maillon si important d’une (Giec, 2013). minées sur le climat financière helvé- évolution hautement souhaitable de serait gagnante tique suivrait son la politique suisse en phase avec le Les profondes exemple. sur tous les plans respect de l’accord de Paris. contradictions entre la politique de la L’ampleur des pé- BNS et les politiques rils climatiques et Enormes espaces d’action publiques fédérales entraînent un la multiplication d’initiatives au plus inexplorés gaspillage de moyens et nuisent à haut niveau pour aligner la finance La campagne mondiale de désinves- l’efficacité des mesures qui aide- sur les objectifs de l’accord de Paris tissement de l’industrie des énergies raient à réduire le problème alors justifient que la BNS initie une poli- fossiles a vu le jour lorsqu’une poi- que le temps manque. tique climatique. Et si elle s’obstine gnée de fondations philanthropiques à ne pas le faire, les plus hautes ins- ont compris l’absurdité qu’il y avait à Une gestion de la fortune de la BNS tances politiques du pays se doivent financer les meilleurs militants de la cohérente avec des politiques fédé- de le lui imposer. L’immobilisme ac- cause climatique avec les revenus de rales plus déterminées sur le climat tuel de cette institution sur ce plan leurs placements dans l’industrie des aiderait à mieux lutter contre la pau- est choquant et inacceptable. Le lais- énergies fossiles, c’est-à-dire dans vreté et serait gagnante sur tous les ser-faire du politique à son égard ne l’origine même du problème qu’elles plans : la présente étude montre que l’est pas moins. ● prétendaient combattre (LaRevue- loin de coûter, une telle cohérence Durable, 2015). serait financièrement bénéfique. ArtisansdelaTransition 17
Le coût des installations photovoltaïques a baissé de 73 % et celui de l’éolien terrestre a reculé de 25 % de 2010 à 2017. Les investissements, cependant, ne sont pas à la hauteur du potentiel de rentabilité de ces technologies. La capacité électrique renouvelable installée dans le monde a certes bondi de 8,5 % par an durant cette période, mais elle aurait pu croître plus vite encore si les investis- seurs avaient privilégié l’industrie des énergies renouvelables et de l’efficience énergétique au lieu de continuer de surinvestir dans l’industrie des énergies fossiles. Pour une Union européenne de la transition La finance climat avance dans l’Union européenne. Le très grande partie en euros. A l’heure où la Commission 31 janvier 2018, un groupe d’experts a publié un rapport européenne affirme qu’environ 180 milliards d’euros pour la Commission européenne avec trente idées pour d’investissements supplémentaires par an seront né- aligner la finance sur les objectifs de l’accord de Paris. cessaires pour que l’UE atteigne ses objectifs de baisse Le 8 mars, la Commission européenne a publié sa feuille des émissions d’ici 2030, et où la société civile euro- de route « pour amener le système financier à soutenir péenne se mobilise au sein de la campagne « Climat les actions de l’UE en matière de climat et de développe- 2020 »5 pour que la création monétaire de la BCE serve à ment durable ». financer la transition énergétique (Grandjean et Martini, 2017-2018 ; LaRevueDurable, 2017-2018), la BNS serait La Banque centrale européenne (BCE), qui s’est elle aussi un partenaire de choix, au cœur de l’Europe, pour aider à fait remarquer pour son indifférence au sujet du climat, mettre en place une stratégie de financement de la tran- sera progressivement contrainte de se mettre au diapa- sition écologique et énergétique. son de cette évolution. Le 21 novembre 2017, le Parle- ment européen a adopté une résolution sur la BCE qui On peut même rêver que le projet d’unification euro- relève qu’elle est, « en tant qu’institution européenne, péenne, né autour du marché du charbon et de l’acier, liée par l’accord de Paris ». se mute en un projet autour de la transition écologique et énergétique. La majeure partie de la fortune de la BNS (68 % de son 5) https://climat-2020.eu bilan) est placée dans des obligations d’Etat, dont une 18 ArtisansdelaTransition
Vous pouvez aussi lire