Les investissements - Une étude des

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Les investissements - Une étude des
Une étude des

    Les investissements
               de la BNS
         dans l’industrie
   des énergies fossiles
         sont contraires
aux intérêts de la Suisse
Les investissements - Une étude des
© Artisans de la transition, Fribourg, avril 2018
www.artisansdelatransition.org

Ce rapport repose sur une recherche
menée par ISS-Ethix
www.issgovernance.com

Ce rapport s’appuie sur un complément
de travail de 2 Degrees Investing :
https://2degrees-investing.org

La version allemande est publiée
en collaboration avec Fossil Free Suisse
www.fossil-free.ch
La version en français fait foi

Traduction en allemand :
Sandro Leuenberger et Markus Keller
Traduction en anglais :
Thomas Guibentiff et Vanessa Haines-Matos
Graphisme : www.ventdouest.ch
Crédits photos :
Couverture, Stefan Meyer/Keystone ;
p.7, Gian Ehrenzeller/Keystone ;
p.11, Gian Ehrenzeller/Keystone ;
p.14, Gian Ehrenzeller/Keystone,
p.18. Fraunhofer-Institut für Windenergie
und Energiesystemtechnik

Photographie de couverture :
Vue du centre-ville de Saint-Ursanne,
canton du Jura, mardi 23 janvier 2018.
Après de fortes précipitations, le Doubs
est sorti de son lit et a inondé la ville.
Le débit de la rivière était au moins
cinq fois supérieur à la normale.
Les investissements - Une étude des
Messages clefs

                             e portefeuille d’actions connu de la Banque nationale suisse
                         1) L
                            (95,6 milliards de dollars, 92 milliards de francs, soit l’équivalent
                            de 60 % des placements en actions de la banque) est à l’origine
                            des émissions de 48,5 millions de tonnes de CO2 en 2017. Une quantité
                            supérieure aux émissions totales imputées à la Suisse en 2016
                            (48,3 millions de tonnes), dernière année où ce chiffre est disponible.

                         2) S
                             i elle avait pris la décision de désinvestir les 7,4 milliards de francs
                            qu’elle a placés dans les entreprises les plus émettrices de CO2, et
                            les avait réinvestis dans les entreprises les plus vertueuses du point
                            de vue du climat, la BNS aurait divisé par deux les émissions liées
                            à son portefeuille d’actions. Et aurait amélioré son résultat financier
                            de 20 milliards de francs durant ces trois dernières années (du 1er jan-
                            vier 2015 au 31 décembre 2017).

                         3) L
                             a BNS gère une fortune de 843,3 milliards de francs. Par comparaison,
                            les 1700 institutions de prévoyance professionnelle actives en Suisse
                            fin 2017 géraient une fortune globale de 824 milliards de francs.
                            Le poids de la BNS pour orienter la place financière helvétique vers
                            le respect de l’accord de Paris et influencer le cours de la transition
                            énergétique et écologique est donc immense.

                         4) L
                             a BNS sous-investit dans le secteur des énergies renouvelables :
                            seuls 11 % de ses actions dans la production électrique sont placés
                            dans des entreprises orientées vers les énergies renouvelables alors
                            qu’un scénario compatible avec un réchauffement de 2°C exigerait
                            le double. De même, la BNS reste figée sur le moteur à combustion :
                            94 % de ses titres dans le secteur automobile concernent cette techno-
                            logie alors qu’un scénario à 2°C abaisserait sa part à 75 %.

                         5) C
                             ertaines des entreprises les plus nocives pour le climat dans
                            lesquelles la BNS investit sont aussi responsables de violations
                            des droits de l’homme et de graves dommages écologiques locaux.

                         6) D
                             e plus, de profondes contradictions entre la politique de la BNS et les
                            politiques publiques fédérales entraînent un gaspillage de moyens et
                            nuisent à l’efficacité des mesures qui aideraient à réduire le problème
                            alors que le temps manque. Voici trois exemples de contradictions
                            flagrantes auxquelles il faudrait mettre un terme :

ArtisansdelaTransition                                                                                   3
Les investissements - Une étude des
– E
                              n 2017, la Suisse a contribué à fonder l’Alliance Past Coal qui milite
                             pour la fin des centrales à charbon conventionnelles d’ici 2030.
                             La BNS, en revanche, soutient cette filière électrique, la plus pol-
                             luante qui soit, en investissant plus de deux milliards de francs
                             dans ce secteur.

                           – L
                              e projet de loi sur le CO2 en discussion au Parlement fédéral
                             prévoit de dépenser jusqu’à 3,75 milliards de francs à l’étranger
                             entre 2021 et 2030 pour compenser 50 millions de tonnes de CO2
                             dues au trafic automobile en Suisse. Or, la BNS investit au moins
                             6,2 milliards de francs pour aider les entreprises pétrolières
                             à extraire toujours plus de ce combustible pour que toujours plus
                             de voitures puissent rouler en Suisse.

                           – La
                              Suisse dépense chaque année près de deux milliards de francs
                             pour aider les pays pauvres. Or, 80 % des pays où la coopération
                             suisse concentre son action sont sur la liste des pays les plus affec-
                             tés par le changement climatique. La politique d’investissements
                             de la BNS affecte en priorité précisément ces mêmes pays.

                           7) U
                               ne gestion de fortune de la BNS cohérente avec les politiques
                              fédérales de lutte contre le réchauffement climatique et la pauvreté
                              décuplerait leur efficacité. Elle montrerait la voie à toute la place
                              financière helvétique qui favorise aujourd’hui, comme la BNS, une
                              trajectoire de +4°C à +6°C.

                           8) A
                               u niveau mondial, les initiatives pour aligner les flux financiers
                              sur l’accord de Paris se multiplient : huit banques centrales ont initié
                              un réseau d’échange et de réflexion sur les moyens d’orienter les
                              marchés financiers vers la lutte contre le changement climatique.
                              La Banque mondiale arrêtera tout financement d’infrastructures
                              d’exploitation de gaz et de pétrole à partir de 2019. La Commission
                              européenne a publié sa feuille de route « pour amener le système
                              financier à soutenir les actions de l’UE en matière de climat et de
                              développement durable ».

                           9) L
                               a BNS dispose de toute la légitimité et de tous les outils pour
                              adopter une politique climatique responsable. Si elle refuse
                              de le faire, le Conseil fédéral et le parlement doivent intervenir
                              pour l’amener à agir de manière cohérente avec ses politiques
                              en faveur de la protection du climat.

4 ArtisansdelaTransition
Les investissements - Une étude des
Susana Jourdan et Jacques Mirenowicz*

                                       Les investissements
                                       de la BNS
                                       dans l’industrie des énergies fossiles
                                       sont contraires
                                       aux intérêts de la Suisse
* Susana jourdan                       Le portefeuille d’actions connu de la                               rapport des ArtisansdelaTransition
  et Jacques Mirenowicz                Banque nationale suisse (95,6 mil-                                  sur les investissements de la BNS
  sont codirecteurs
                                       liards de dollars, 92 milliards de                                  dans l’industrie des énergies fossiles
  de l’association
  Artisans de la transition            francs, soit l’équivalent de 60 % des                               aux Etats-Unis (ArtisansdelaTransi-
  www.artisansdelatransition.org       placements en actions de la banque)1                                tion, 2016). Si, cependant, le mon-
                                       est à l’origine des émissions de 48,5                               tant du portefeuille a fortement aug-
                                       millions de tonnes de CO2 en 20172.                                 menté – passant de 61,5 à 92 milliards
                                       Une quantité supérieure aux émis-                                   de francs –, c’est en grande partie à
                                       sions totales imputées à la Suisse en                               cause de l’appréciation des bourses
                                       2016 (48,3 millions de tonnes), derniè­                             et des devises entre les dates rete-
                                       re année où ce chiffre est disponible.                              nues pour l’analyser : 31 décembre
                                                                                                           2015 pour le premier rapport, 30 sep-
                                       Si elle avait pris la décision de désin-                            tembre 2017 pour le présent rapport.
                                       vestir les 7,4 milliards de francs iden­
                                       tifiés qu’elle a placés dans les entre­-                            De plus, la présente analyse inclut les
                                       pri­ses les plus émettrices de CO2,                                 placements de la BNS à la Bourse de
                                       et les avait réinvestis dans les entre-                             Londres et dans quelques autres en-
                                       prises les plus vertueuses du point                                 treprises européennes, données qui
                                       de vue du climat, la BNS aurait divisé                              n’étaient pas disponibles lorsque le
                                       par deux les émissions liées à son por-                             premier rapport a été rédigé.
                                       tefeuille d’actions. Et aurait amélioré
                                       son résultat financier de 20 milliards
                                       de francs durant ces trois dernières                                Poids immense
                                       années (du 1er janvier 2015 au                                      Pour compléter l’analyse d’ISS-Ethix,
                                       31 décembre 2017). Voilà les princi-                                les ArtisansdelaTransition ont deman-
                                       pales données qui ressortent de l’ana-                              dé à 2 Degrees Investing d’évaluer le
                                       lyse que les ArtisansdelaTransition                                 portefeuille de la BNS au regard de
                                       ont demandée au cabinet ISS-Ethix,                                  l’objectif inclus dans l’accord de Pa-
                                       basé à Zurich.                                                      ris de ne pas dépasser 2°C de hausse
                                                                                                           de la température moyenne sur Terre
                                       Ces chiffres confirment ceux publiés,                               par rapport à l’époque préindustrielle.
                                       en décembre 2016, dans le premier                                   Cette association basée à Paris,

                                   1) 	La BNS ne publie aucune donnée sur ses placements. L’analyse présentée ici est fondée sur les recherches
                                         du cabinet néerlandais Profundo, qui a accès à des bases de données spécialisées.

                                   2) 	Sont considérées dans ce montant les émissions sur la totalité du cycle de vie des biens ou des services
                                         que fournit l’entreprise. Ce que les spécialistes appellent les Scope 1,2 et 3.

 ArtisansdelaTransition                                                                                                                             5
Les investissements - Une étude des
Un portefeuille « assaini » aurait émis deux fois moins
    de CO 2 et récolté 20 milliards de francs en plus

    ISS-Ethix a simulé l’évolution de la valeur du portefeuille de la BNS si elle
    avait désinvesti le 1er janvier 2015. Pour effectuer ce calcul, il a retiré du
    portefeuille toutes les entreprises de l’indice Carbon Underground 200
    que vise la campagne mondiale de désinvestissement et celles qui ob-
    tiennent 30 % ou plus de leur chiffre d’affaires de l’extraction ou de l’uti-
    lisation de charbon.

    Puis il a placé les montants retirés de l’industrie des énergies fossiles
    dans des entreprises qui se sont clairement engagées à créer un avenir
    aligné sur l’accord de Paris : des entreprises qui font partie du Clean 200
    ou qui se donnent des objectifs de réduction des émissions fondés sur des
    données scientifiques. Le Clean 200 est la liste des plus grandes sociétés
    cotées en Bourse qui tirent leurs revenus totaux d’énergies propres ou
    qui construisent les infrastructures et les services nécessaires à la tran-
    sition énergétique.

    ISS-Ethix a ensuite calculé l’évolution de la valeur du portefeuille « assai-
    ni » du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2017. Résultat : la différence entre
    les deux portefeuilles est de 20 milliards de francs de gains en faveur du
    portefeuille assaini. Et ce portefeuille nettoyé émet moitié moins de CO2
    que le portefeuille actuel. Autrement dit, la BNS pourrait faire pencher la
    balance du côté de la transition énergétique au lieu de peser de tout son
    poids du côté du verrouillage de cette transition. Et cela sans coût. Mieux,
    avec un bénéfice très substantiel.

    Tous les milieux financiers, y compris la BNS, sont habitués à voir des sec-
    teurs sous-performer pendant un moment, qui peut durer des années,
    avant de remonter. D’où l’intérêt de panacher son portefeuille, de le di-        Londres, Berlin et New York a pour
    versifier pour compenser les pertes momentanées dans certains secteurs           mission de mettre au point une mé-
    par des gains dans d’autres secteurs. Certes, la BNS a perdu 20 milliards        trique standard pour évaluer la com-
    de francs en trois ans en conservant ses placements dans l’industrie des         patibilité des placements financiers
    énergies fossiles. Mais sans doute se demande-t-elle : pourquoi ce sec-          avec cet objectif international.
    teur ne finirait-il pas, comme tant d’autres, par remonter ?                     L’Office fédéral de l’environnement
                                                                                     a notamment mandaté 2 Degrees In-
    Le problème est que dans le cas présent, tout doit être fait, au niveau
                                                                                     vesting en 2017 pour évaluer les por-
    politique – et de plus en plus est effectivement fait – pour que le cours
    des actions dans le secteur des énergies fossiles ne remonte plus jamais.        tefeuilles des caisses de pension
    Et tout acteur responsable, sur les plans politique et financier, se doit de     suisses qui en ont fait la demande.
    concourir à la rétraction irréversible de ce secteur au profit, notamment,
    des secteurs des énergies renouvelables et des économies d’énergie.              Selon l’analyse de 2 Degrees Inves-
                                                                                     ting effectuée pour les Artisansde-

6    ArtisansdelaTransition
Samedi 14 octobre 2017, un habi-
                                                                                tant de Bondo rentre chez lui.
                                                                                Le mercredi 23 août, un éboule-
laTransition, plus d’un quart (26 %)   sont placés dans des entreprises
                                                                                ment d’environ quatre millions
du portefeuille de la BNS est inves-   orientées vers les énergies renou-       de mètres cubes de roches du Piz
ti dans des secteurs très émetteurs    velables, alors qu’un scénario à 2°C     Cengalo a contraint les habitants
de gaz à effet de serre : industrie    exigerait le double. De même pour        de ce village du massif du Bergell
                                                                                à le quitter pendant près de deux
des énergies fossiles, industrie au-   les investissements dans le secteur
                                                                                mois. Selon l’Académie suisse des
tomobile, production de ciment et      automobile : la BNS reste attachée       sciences, le pergélisol de haute
d’autres matériaux de construction,    aux fabricants figés sur le moteur à     montagne va continuer de fondre
acier, aluminium et aviation.          combustion : 94 % de ses titres dans     dans les Alpes jusque dans ses
                                                                                couches les plus profondes, mul-
                                       le domaine automobile concernent
                                                                                tipliant les chutes de pierres et
En revanche, la BNS sous-inves-        cette vieille technologie, alors qu’un   les éboulements.
tit dans le secteur des énergies re-   scénario à 2°C prévoit de baisser
nouvelables : seuls 11 % de ses ac-    ce chiffre à 75 %.
tions dans la production électrique

ArtisansdelaTransition                                                                                               7
La BNS gère une fortune de 843,3 mil-      Réponses de la BNS                        Dans sa réponse du 8 février 2017,
liards de francs. Par comparaison, les     et du politique                           le secrétaire général de la BNS,
1700 institutions de prévoyance pro-       Suite à la parution de son premier        Peter Schöpf, explique pourquoi la
fessionnelle actives en Suisse fin 2017    rapport sur les placements de la          BNS ne désinvestira pas de l’indus-
géraient une fortune globale de 824        BNS dans l’industrie des énergies         trie des énergies fossiles et juge
milliards de francs. Le poids de la BNS    fossiles aux Etats-Unis, les Artisans-    une telle présentation inutile.
pour orienter la place financière hel-     delaTransition ont écrit le 22 dé-
vétique vers le respect de l’accord de     cembre 2016 à la direction de la BNS      Son argumentaire se déploie en
Paris et influencer le cours de la tran-   pour lui demander de pouvoir pré-         trois points. En premier lieu, relève
sition énergétique et écologique est       senter en interne les résultats de        Peter Schöpf, la politique de pla-
donc immense.                              cette étude.                              cement de la BNS est « subordon-

  Les graves dommages à l’environnement
  de l’industrie des énergies fossiles

  Les ArtisansdelaTransition ont demandé à ISS-Ethix de        Ainsi, l’entreprise pétrolière Royal Dutch Shell est
  passer le portefeuille de la BNS au crible des normes        connue pour son échec avéré à prévenir et à nettoyer
  établies dans les dix principes du Pacte mondial des         la pollution de l’eau et du sol et à remédier aux im-
  Nations unies. Ces principes concernent le respect des       pacts environnementaux de ses activités au Nigeria.
  droits de l’homme et des travailleurs, la protection         Amnesty International accuse en outre sa filiale nigé-
  de l’environnement et la corruption. Ce standard est         riane de se servir de l’armée pour faire taire ses cri-
  le plus basique de tous les standards de responsabi-         tiques. L’entreprise française Total est aussi active au
  lité sociale disponibles. Résultat : environ 1 % des en-     Nigeria, où elle est sous le feu des critiques pour la pol-
  treprises dans lesquelles la BNS investit sont connues       lution du delta du Niger.
  pour ne pas respecter ce standard minimal.
                                                               Chevron est une autre entreprise pétrolière parmi les
  Fait remarquable : sur les quinze entreprises mises en       plus irresponsables du monde en matière des droits
  cause, la moitié est active dans l’industrie des énergies    environnementaux et humains. Le cas le plus emblé-
  fossiles. Ce qui n’est guère surprenant : l’exploration,     matique des violations des droits concerne l’Equa-
  l’extraction, le raffinement et le transport des ma-         teur. Chevron y a été condamné en 2011 à verser une
  tières fossiles exigent d’énormes infrastructures qui        amende de 9,5 milliards de dollars pour les dégâts cau-
  ont une très forte emprise sur les territoires et causent    sés à la forêt amazonienne entre 1964 et 1990. Mais
  de lourds dégâts aux écosystèmes, dont la survie des         l’entreprise refuse de payer.
  plus pauvres dépend.
                                                               Plus grande entreprise pétrolière au monde, Exxon-
  Loin de la Börsenstrasse, à Zurich, où la BNS siège, des     Mobil est synonyme d’action irresponsable. Avec
  millions de personnes subissent les effets parfois parti-    Royal Dutch Shell, Chevron et deux autres entreprises,
  culièrement nocifs de l’exploitation du sous-sol que cette   elle fait l’objet d’une investigation judiciaire suite à la
  institution finance sans suffisamment de discernement.       plainte déposée le 20 septembre 2017 par les villes de

8 ArtisansdelaTransition
née aux impératifs de sa politique         force de couvrir autant que possible      siers sur plusieurs marchés et dans
 monétaire ». A ce titre, « ses place-      l’ensemble du marché.»                    différentes monnaies ». Le secrétaire
 ments doivent obéir aux critères de                                                  général de la BNS assure que « ce
 la sécurité, de la liquidité et du ren-    En deuxième lieu, continue Peter          mode de gestion permet à la Banque
 dement ». En outre, ajoute Peter           Schöpf, la BNS pratique, pour ses in-     nationale d’agir de manière aus-
 Schöpf, étant donné le volume très         vestissements en actions, une ges-        si neutre que possible sur les diffé-
 important des titres en jeu, il est fon-   tion indicielle : elle gère ses actions   rents marchés ».
 damental « d’assurer leur diversifica-     « de manière passive et conformé-
 tion optimale ». Et aussi :                ment à des règles préétablies, sur la     Troisième point : Peter Schöpf affir­
 « Au sein même des différentes caté-       base d’un indice de référence straté-     me que la BNS exclut de ses place-
 gories de placements, [la BNS] s’ef-       gique combinant divers indices bour-      ments, depuis 2013, les titres « des

  San Francisco et d’Oakland pour leur participation à la       l’homme aux Etats-Unis en rapport avec leur oléoduc
  diffusion du doute à propos de la contribution de l’acti-     Dakota Access Pipeline (DAPL) entré en service en avril
  vité humaine au réchauffement climatique.                     2017. Les Indiens sioux qui habitent la réserve de Stan-
                                                                ding Rock continuent de se battre pour faire fermer
  Dans le cas d’ExxonMobil, des documents internes
                                                                cette infrastructure.
  prouvent qu’elle prenait des mesures pour protéger ses
  infrastructures du changement climatique. ExxonMobil          BHP Billiton est active dans l’extraction du charbon et
  est en outre impliquée dans plusieurs procès en cours         de bien d’autres minerais. Elle est mise en cause pour
  pour sa responsabilité dans la pollution de sites d’ex-       sa gestion de la mine de Samarco à l’origine d’une des
  ploitation de sables bitumineux au Canada et en Russie.       pires catastrophes écologiques de l’histoire du Brésil.
                                                                Le 19 novembre 2015, le barrage qui retenait les dé-
  TransCanada : cette entreprise porte le projet d’oléo-
                                                                chets d’extraction du minerai de fer a cédé, déversant
  duc Keystone XL qui est au cœur d’une mobilisation sans
                                                                une coulée de boue chargée de métaux lourds qui a tué
  précédent aux Etats-Unis depuis 2012. Face au refus de
                                                                19 personnes, détruit le domicile de 600 autres, privé
  délivrer un permis d’extension de l’Administration Oba-
                                                                d’eau 280 000 habitants de deux Etats et pollué 650 ki-
  ma, l’entreprise a attaqué en justice le Gouvernement
                                                                lomètres de rivière.
  des Etats-Unis en exigeant 15 milliards de dollars de
  compensation. L’oléoduc Keystone en exploitation de-          Vedanta est une autre entreprise minière qui possède
  puis 2010 est la cause de fuites d’hydrocarbures impor-       en outre des installations d’extraction de pétrole et gaz
  tantes et répétées.                                           et des usines électriques à charbon. Le quotidien britan-
                                                                nique The Independent l’a qualifiée d’entreprise « mi-
  Suncor et Pétrolière impériale sont responsables de
                                                                nière la plus haïe au monde ». Elle fait régulièrement la
  graves pollutions autour du complexe Syncrude, en Al-
                                                                une des journaux britanniques et indiens pour la pollu-
  berta, au Canada.
                                                                tion qu’elle génère, des cas de violation des droits des
  Enbridge Inc, Marathon Petroleum et Phillips 66 sont          communautés locales en Inde et en Afrique, ainsi que
  confrontés à maintes controverses sur les droits de           des affaires de corruption.

ArtisansdelaTransition                                                                                                        9
entreprises qui causent de manière          tion montre que la BNS détient           il d’accord que l’argent des Suisses
systématique de graves dommages             des titres d’entreprises pétrolières     contribue au désastre climatique ?
à l’environnement ». Mais soutient          et minières dont les méfaits             Est-il d’accord de tirer un bénéfice fi-
que la BNS ne peut pas exclure une          environnementaux systé­matiques          nancier de la destruction irréparable
branche économique entière. Cela se-        sont bien documentés.                    du climat ? »
rait contraire au principe de diversifi-
cation et « créerait un précédent, car      En complément à la ligne d’argu-         Dans sa réponse datée du 23 mai
l’activité de nombreuses branches a         ments de Peter Schöpf, Mme Andréa        2017, Doris Leuthard observe qu’« en
des conséquences qui, selon les prio-       Maechler, membre de la direction de      ce qui concerne les investissements
rités fixées par les uns et les autres,     la BNS, faisait une remarque très im-    de la BNS, ni le Conseil fédéral ni le
pourraient être considérées comme           portante en réponse au journaliste       Parlement n’a le droit d’influencer
socialement indésirables ou nui-            de la RTS qui, le 15 décembre 2016,      les décisions ou de donner des ins-
sibles ».                                   l’interpellait pour le téléjournal sur   tructions. L’indépendance sur le plan
                                            les résultats du rapport des Artisans-   fonctionnel, financier et personnel
En résumé, la BNS prétend que le cli-       delaTransition sorti le jour même.       est ancrée dans la Constitution et ga-
mat ne fait pas partie de son champ         Andréa Maechler estimait que les         rantit ainsi l’autonomie budgétaire. »
de compétence ni d’intervention,            placements de la BNS dans l’indus-
qu’il n’y a pour elle pas d’enjeu parti-    trie des énergies fossiles sont une      Cependant, la présidente de la Suisse
culier avec ce secteur, que ses choix       question politique et qu’il revient au   signale aussi que « la Confédéra-
d’investissements sont neutres au           pouvoir politique d’établir des règles   tion veut assumer un rôle de soutien
regard des marchés et qu’elle ex-           sur ce plan, que la BNS appliquera.      à une démarche générale, coordon-
clut déjà les entreprises qui causent                                                née au plan international, pour la dé-
de manière systématique de graves           Les ArtisansdelaTransition ont donc      termination des indices référentiels
dommages à l’environnement.                 rédigé et envoyé une lettre, le 22 dé-   servant à comparer différents para-
                                            cembre 2016, à Mme Doris Leuthard,       mètres de la comptabilité climatique.
La BNS affirme ainsi qu’il est juste et     directrice du Département fédéral        […] Cette démarche permettra de dé-
pertinent pour elle de tourner le dos       de l’environnement, des transports,      finir les bases d’un futur rapport sur
à l’accord universel de Paris sur le cli-   de l’énergie et de la communication      la compatibilité des flux financiers
mat et de délibérément continuer de         (DETEC) et présidente de la Confé-       avec le climat, qui devra être établi
favoriser un réchauffement de +4°C à        dération en 2017, pour lui demander      par la Suisse à l’intention du Secréta-
6°C. C’est là un positionnement cho-        d’intervenir auprès de la BNS sur la     riat des Nations unies sur les change-
quant, qui n’est pas acceptable.            question politique majeure des pla-      ments climatiques, conformément à
                                            cements de la BNS dans l’industrie       l’accord de Paris. »
Tout d’abord, il n’est tout simplement      des énergies fossiles.
pas vrai que la BNS exclut déjà toutes                                               En clair, la Confédération est enga­-
les entreprises « qui causent de ma-        Les ArtisansdelaTransition ont inter-    gée dans la définition de standards
nière systématique de graves dom-           rogé la conseillère fédérale et future   internationaux sur le climat auxquels
mages à l’environnement » : la pré-         présidente de la Confédération en        la BNS pourrait se conformer, en
sente étude des ArtisansdelaTransi-         ces termes : « Le Conseil fédéral est-   toute indépendance, si elle le juge

10 ArtisansdelaTransition
Piste de ski à Celerina, en Engadine,
le 12 décembre 2016.
Selon l’Académie suisse des sciences,
la saison de la neige va encore
se raccourcir de plusieurs semaines
durant les prochaines années et la
limite pluie-neige s’élever de plusieurs
centaines de mètres.

ArtisansdelaTransition                     11
opportun, le jour où ces stand­ards       La place financière mondiale                Mexique, la Banque d’Angleterre,
exerceront leurs effets sur l’en­-        bouge                                       la Banque de France, l’Autorité de
­sem­ble de la place financière           Sur la scène mondiale, plusieurs            contrôle prudentiel et de résolution,
 internationale.                          actions récentes de grands acteurs          la Banque des Pays-Bas, la Banque
                                          de la sphère financière révèlent la         fédérale d’Allemagne, la Finansins-
La position des Artisans, au vu de        montée de la volonté d’une partie           pektionen suédoise, l’Autorité moné-
l’évolution alarmante du climat, est      de ce milieu de respecter les objec-        taire de Singapour et la Banque popu-
que le temps presse trop pour qu’on       tifs de l’accord de Paris. Cet accord       laire de Chine.
puisse se permettre d’attendre une        est entré en vigueur avec une rapidi-
telle évolution des règles internatio-    té inédite, le 4 novembre 2016, moins       Le même jour, la Banque mondiale
nales : la BNS a d’ores et déjà le pou-   d’un an après son approbation,              (qui avait informé se désengager du
voir de faire infiniment mieux, sans      à Paris, le 12 décembre 2015, par les       charbon dès 2010) annonçait sa déci-
tarder, sur cette question décisive       parties de la 21e Conférence des            sion d’arrêter tout financement d’in-
du climat qu’elle ne le fait actuelle-    parties de la Convention-cadre des          frastructures d’exploitation de gaz et
ment. Les signes que le milieu de la      Nations unies sur les changements           de pétrole à partir de 2019 afin de te-
finance avance sur le climat se multi-    climatiques (COP 21).                       nir compte « de l’évolution rapide du
plient depuis quelque temps. La BNS                                                   monde ». Et dévoilait une série d’ini-
devrait se joindre à cet élan en train    A l’instigation de la France, des Na-       tiatives pour améliorer la transpa-
de grandir.                               tions unies et de la Banque mondiale,       rence de ses activités au regard de la
                                          une cinquantaine de chefs d’Etat            situation du climat et pour s’engager
Quant au politique, la question se        et de gouvernement se sont à nou-           dans le financement de la transition.
pose de manière aiguë : peut-il vrai-     veau réunis dans la capitale française
ment se retrancher derrière une           lors du One Planet Summit, le 12 dé-        Toujours durant le One Planet Sum-
Constitution qui se révèle défaillante    cembre 2017, afin de faire perdurer         mit, la coalition Climate Action 100+
en l’empêchant d’exercer une légi-        l’élan généré à Paris deux ans plus tôt     a vu le jour. Le but de ce rassemble-
time pression sur la BNS au regard        malgré le retrait des Etats-Unis de         ment de 256 grands investisseurs
des données disponibles sur l’évo-        cet accord, le 1er juin 2017, à l’initia-   institutionnels, qui totalisent plus
lution du climat et la responsabilité     tive de leur président Donald Trump.        de 28 000 milliards de dollars
gigantesque de cette institution au                                                   d’actifs sous gestion, est de coor-
mandat – la politique monétaire du        Depuis Paris, huit banques centrales        donner l’action de ses membres vis-
pays – éminemment politique ?             ont annoncé, le 12 décembre 2017,           à-vis des cent entreprises cotées en
                                          initier un réseau d’échange et de ré-       Bourse les plus émettrices de gaz à
Chacun de ces deux points – l’évolu-      flexion sur les moyens d’orienter           effet de serre – dont presque toutes
tion de la place financière interna-      les marchés financiers vers la lutte        font partie du portefeuille de la BNS.
tionale sur le climat et la possibilité   contre le changement climatique.            Cet effort collectif vise à inciter ces
d’exercer une pression politique sur      Ce consortium, appelé Réseau des            entreprises à présenter une straté-
la BNS – mérite d’être examiné de         superviseurs et des banques cen-            gie de réduction de leurs émissions
plus près.                                trales pour le verdissement du sys-         conforme aux objectifs fixés dans
                                          tème financier, réunit la Banque du         l’accord de Paris.

12 ArtisansdelaTransition
Cette énumération appelle deux           « lentes transformations – en partie    nancières et étatiques précitées re-
constats. Le premier : la BNS brille     irréversibles – des paysages et des     connaissent qu’un tel choix n’est pas
par son absence de cette évolution       écosystèmes, telles que la fonte des    neutre et prennent des mesures ou
positive du monde de la finance. Elle    glaciers ou des changements de la       cherchent des moyens d’aller dans
ne comprend à l’évidence pas que la      biodiversité, de la qualité de l’eau et le sens d’une prise de responsabili-
branche entière des énergies fossiles    de l’incidence des                                         té supérieure aux
soulève un problème inédit, qui ap-      ravageurs et des        La BNS brille                      « lois du marché ».
pelle un sens des responsabilités et     maladies » (Aca-
des réponses tout aussi inédits de       démies suisses des par son absence                         De même, l’analyse
la part de tous les investisseurs, des   sciences, ProClim,      de l’évolution positive de Doris Leuthard,
banques centrales notamment.             2016).                                                     qui se réfère à la
                                                                 du monde                           Constitution pour
Le second constat est que si la BNS      La Suisse échappe-      de  la finance                     laisser la BNS pro-
toute seule ne parvient pas à com-       ra d’autant moins                                          mouvoir une tra-
prendre l’évidence sur le chapitre du    à de fortes dégradations des condi-     jectoire de réchauffement de la pla-
climat, sur qui d’autre compter hor-     tions climatiques en cas de hausse      nète de + 4°C à + 6°C en attendant
mis le politique pour l’amener à plus    marquée de la température que sur       des décisions au niveau internatio-
de raison ?                              l’arc alpin, le réchauffement est deux nal – sur lesquelles son pouvoir d’in-
                                         fois plus fort qu’en moyenne mon-       fluence est d’autant plus faible que
                                         diale : entre 1864 et 2016, la hausse   la Suisse ne montre pas l’exemple
Changement climatique :                  moyenne de la température atteint       chez elle – est un aveu d’extrême im-
rappel des faits                         + 1,8°C en Suisse alors que la hausse   puissance.
Des montagnes d’encre ont été ver-       moyenne mondiale est de + 0,85°C.
sées depuis deux ans pour commen-                                                Au final, cette relative démission
ter l’impact économique en Suisse de     Et bien entendu, une hausse de la       du politique, incapable d’exercer
l’abandon du taux de change plan-        température de 4°C à 6°C par rap-       une vigoureuse et légitime pression
cher par la BNS en janvier 2015.         port à l’époque préindustrielle n’au-   sur la stratégie et les décisions
Or, l’impact pour la Suisse sur tous     ra pas seulement des effets délétères de la BNS qui ne prend pas ses res-
les plans, y compris économique, d’un    en Suisse. Le monde entier subira       ponsabilités sur le climat malgré
réchauffement de 4°C à 6°C sera sans     ses effets dévastateurs et en sortira   l’urgence absolue qu’il y a à le faire,
commune mesure avec les effets de        bouleversé.                             rend d’autant plus remarquable et
cette décision sur le taux de change.                                            pertinente la prise de responsabili-
                                         Un tel horizon rend particulièrement    té de la conseillère nationale Verte
Plus le réchauffement climatique         baroque ou décalé le discours de la     Adèle Thorens Goumaz.
sera important, plus le pays subi-       BNS sur la neutralité de son position-
ra des vagues de chaleur intenses        nement sur les différents marchés       Avec quinze autres conseillers natio-
et fréquentes, des sécheresses, de       pour justifier de continuer d’investir  naux, elle a déposé, le 15 juin 2017,
fortes précipitations susceptibles       dans l’industrie des énergies fossiles. une initiative parlementaire pour
de dégénérer en inondations et de        Toutes les institutions bancaires, fi-  modifier la loi sur la BNS afin de

ArtisansdelaTransition                                                                                                13
De face, Anna Giacometti, maire de Bregaglia, salue une habitante de Bondo. Après deux mois d’exil dus
aux laves torrentielles qui ont traversé leur village suite à un éboulement de montagne, les villageois
retrouvent leur lieu de vie le 14 octobre 2017. En Suisse comme partout dans le monde, les femmes sont
les premières victimes du changement climatique.

préciser la notion d’intérêt général          énergies fossiles contribuent direc­          en renforçant un problème que le
qui y figure en introduisant une réfé-        tement et massivement à aggraver              Gouvernement helvétique a le devoir
rence à l’article 2 de la Constitution.       le réchauffement du climat alors que          impérieux de combattre et ne com-
Cet article évoque la durabilité              le pays, en ratifiant l’accord de Paris       bat qu’en partie par des politiques pu-
et la préservation des ressources             le 6 octobre 2017, s’est bel et bien          bliques ciblées sur le climat, la poli-
naturelles.                                   engagé à combattre le changement              tique de la BNS accentue l’incohéren­
                                              climatique.                                   ce, le « schisme » qui traverse la poli-
Tout indique que cette avancée est la                                                       tique fédérale sur le climat. Un schis­
voie à suivre : les investissements de        Mais pour l’heure, pour reprendre             me particulièrement flagrant en ce qui
cette institution centrale de la Suisse       l’éclairage des historiens des sciences       concerne la loi sur le CO2 et la politique
qu’est la BNS dans l’industrie des            Amy Dahan et Stefan Aykut (2015),             de coopération internationale.

14 ArtisansdelaTransition
Schisme helvétique :                                              qu’inéluctable, prendre les devants,                                tonne de CO2 (WWF, 2017), la Suisse
une politique incohérente                                         montrer la voie et l’exemple à l’instar                             envisage donc de dépenser 3,75 mil-
sur le climat                                                     d’autres institutions financières dans                              liards de francs pour réduire les
                                                                  le monde.                                                           émissions de CO2 à l’étranger entre
Incohérence sur le charbon                                                                                                            2021 et 2030 afin de compenser son
En marge des négociations de la                                   Incohérence sur le gaz                                              utilisation de pétrole dans la mobili-
COP 23, à Bonn, un groupe de                                      et le pétrole                                                       té en Suisse.
dix-neuf pays, dont le Canada, le                                 Le projet de révision de la loi sur le
Royaume-Uni, la France et la Suisse,                              CO2 actuellement en discussion au                                   Et c’est dans ce contexte que la BNS
a créé l’Alliance Past Coal qui mi-                               parlement propose de diminuer les                                   investit au moins 6,2 milliards 4 de
lite pour la fin, d’ici 2030, du char-                            émissions de CO2 de la Suisse de                                    francs pour aider des entreprises
bon conventionnel (sans capture et                                50 % d’ici 2030 par rapport à leur                                  pétrolières à extraire toujours plus
séquestration) dans les pays de l’Or-                             niveau de 1990. Sous prétexte qu’il                                 de ce combustible dans des condi-
ganisation de coopération et de dé-                               n’y aurait plus assez de marge de                                   tions en outre toujours plus dom-
veloppement économiques (OCDE)                                    manœuvre à l’intérieur du pays (ce                                  mageables et plus risquées pour les
et l’Union européenne, et d’ici 2050                              qui est loin d’être prouvé, mais n’est                              écosystèmes et leurs riverains.
ailleurs dans le monde. Il va de soi                              pas l’objet du propos ici), la ver-
qu’il faut ardemment souhaiter que                                sion actuelle du projet prévoit pour                                Il paraît pourtant pour le moins ab-
cette alliance obtienne gain de cause                             y parvenir de réaliser 30 % des ré-                                 surde d’investir avec la main gauche
et fasse dévisser le cours des entre-                             ductions en Suisse et d’acheter des                                 des milliards à l’étranger qui vont ac-
prises actives dans le charbon.                                   certificats de réduction à l’étran-                                 croître les émissions de CO2 mon-
                                                                  ger pour les 20 % restants. Ces cer-                                diales tout en dépensant avec la
Pourtant, la BNS a directement placé                              tificats de réduction à l’étranger                                  main droite des milliards en certifi-
environ deux milliards de dollars                                 serviront surtout à « compenser »                                   cats pour compenser à l’étranger les
– au bas mot – dans le charbon ou                                 les émissions dues au transport en                                  émissions de CO2 dues aux importa-
dans des entreprises électriques for-                             Suisse, qui dépend à 95 % du pétrole.                               tions de pétrole que ces investisse-
tement dépendantes du charbon.3                                                                                                       ments encouragent.
Ce simple choix de placement de la                                Au total, selon ce projet de loi, la
BNS est en conflit avec une action in-                            Suisse devrait acheter pour 50 mil-                                 Il est bien sûr possible d’être plus
ternationale officielle juste et fondée                           lions de tonnes de CO2 à l’étranger                                 cohérent. Mais pour cela, il faudrait
de la Confédération. Certes, l’Alliance                           entre 2021 et 2030. Comme le prix                                   une volonté politique pleinement as-
Past Coal mettra du temps à chan-                                 plancher d’un certificat de bonne                                   sumée de saisir tous les leviers dis-
ger les règles internationales sur le                             qualité – qui garantit une vraie éco-                               ponibles pour désamorcer le péril cli-
charbon. Mais la BNS pourrait antici-                             nomie de CO2 réalisée aux meilleurs                                 matique. Malheureusement, la liste
per une évolution aussi souhaitable                               standards – se situe à 75 dollars la                                des incohérences au sein des plus

3) 	C’est sans doute là une sous-estimation puisqu’on ne connaît pas les placements de la BNS dans le charbon en dehors
      des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

4) 	Cet argent est placé dans le secteur « Oil & Gas », c’est-à-dire sans le charbon et les centrales électriques. En réalité, la BNS
      investit beaucoup plus dans ce secteur puisqu’on ne connaît pas ses placements en dehors des Etats-Unis et du Royaume-Uni.

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hautes instances du pays auxquelles     plus exposées et plus vulnérables          ment se limitent pour le moment à
la BNS apporte une contribution ma-     aux chocs climatiques, ont moins de        chercher à éluder les responsabilités
jeure ne s’arrête pas là.               ressources et bénéficient moins de         de la Suisse.
                                        soutien de leur famille, de leur com-
Incohérence sur l’aide                  munauté, du système financier et           Selon l’accord de Paris, en tenant
au développement                        même des filets de sécurité sociale        compte de son empreinte climatique
Une étude de la Banque mondiale         pour prévenir, faire face et s’adapter.    totale et de sa part à la capacité éco-
montre que le réchauffement clima-                                                 nomique de l’OCDE, la Suisse devrait
tique est générateur de pauvreté        Lutter contre la pauvreté et ses           soutenir les populations des pays
et que les pauvres sont plus vulné-     conséquences humaines. C’est pré-          en développement par des mesures
rables à ce phénomène. Cette étude      cisément le mandat de la Direction         de protection du climat et d’adapta-
estime que 100 millions de per-         du développement et de la coopéra-         tion à partir de 2020 à hauteur d’un
sonnes en plus pourraient plonger       tion (DDC) qui, à ce titre, a défini une   milliard de dollars par an (Stauden-
dans la pauvreté d’ici 2030 à cause     liste de 35 pays prioritaires pour son     mann, 2018). Mais le Conseil fédé-
du changement climatique si des         action et bénéficie d’une enveloppe        ral, suivi par la Commission compé-
politiques de développement adé-        de deux milliards de francs par an         tente du Conseil national, propose
quates ne sont pas immédiatement        pour y mener ses programmes.               de ne verser que 450 à 600 millions
adoptées (Hallegatte et coll., 2016).   Or, que constate-t-on à mettre en-         et, au lieu de dégager des ressources
                                        semble ce mandat avec ce que dit ce        additionnelles, d’aller puiser cette
Le réchauffement climatique aura        rapport de la Banque mondiale ?            somme dans le budget de la coopé-
les répercussions les plus sévères                                                 ration au développement déjà alloué
dans le secteur de l’agriculture.       Que la carte des pays les plus affec-      à la DDC.
Les deux régions les plus pauvres       tés par les effets du réchauffement
du monde – l’Afrique subsaharienne      climatique recoupe à 80 % celle de         Ainsi, d’un côté, on attise le problème
et l’Asie du Sud – en souffriront le    ces 35 pays prioritaires pour la DDC :     via les investissements de la BNS.
plus. A l’horizon 2030, la baisse des   en clair, la Suisse dépense donc en-       Et de l’autre, on rechigne à payer
rendements des cultures agricoles       viron deux milliards de francs par an      les pots cassés de cette politique.
pourrait renchérir les produits ali-    pour améliorer les conditions de vie
mentaires de 12 %, en moyenne, en       – notamment pour aider à mieux gé-         Les personnes les plus vulnérables
Afrique subsaharienne. Les ménages      rer les problèmes écologiques – dans       aux effets du changement clima-
pauvres, qui consacrent jusqu’à 60 %    des pays dont les populations sont         tique seraient mieux loties si la com-
de leur revenu pour se nourrir, ris­    les premières victimes des place-          munauté internationale intensifiait
quent d’en pâtir considérablement.      ments de la BNS dans l’industrie des       sa lutte contre ce phénomène et
En sus, le paludisme affectera plus     énergies fossiles.                         ses politiques d’aide au développe-
de 150 millions de personnes en plus.                                              ment pour y faire face. L’étude de la
                                        Sur cette incohérence entre la poli-       Banque mondiale montre que l’ajout
Le réchauffement du climat affecte      tique de coopération au développe-         de 100 millions de pauvres d’ici 2030
les personnes pauvres de manière        ment et le laisser-faire vis-à-vis de      n’est pas une fatalité (Hallegatte et
disproportionnée parce qu’elles sont    la BNS, le Conseil fédéral et le parle-    coll., 2016).

16 ArtisansdelaTransition
Pour la Suisse, l’urgence serait          Désinvestir des énergies fossiles ne     Ce qui est en jeu dépasse la seule
d’imaginer comment caler la ges-          résoudra bien sûr pas tout. Mais c’est gestion de la BNS. Toute la place fi-
tion de sa monnaie par la BNS avec        une pièce essentielle du puzzle et       nancière helvétique souffre du même
sa volonté affichée de contribuer à       une étape importante qui attire l’at-    travers : mais comment espérer voir
la résolution internationale du pro-      tention sur le besoin de placer un       les caisses de pension, les assureurs
blème climatique.                         couvercle sur les gisements de gaz       et tous les investisseurs institution-
                                          et de pétrole et les mines de char-      nels et privés tourner la page de l’in-
La BNS n’est pas la seule instance ni     bon, c’est-à-dire sur la source du pro- dustrie des énergies fossiles si la plus
le seul canal institutionnel par lequel   blème. Pour rappel, le Groupe d’ex-      haute institution financière du pays
la Confédération mène une politique       perts intergouver-                                           ne donne aucune
économique contradictoire avec sa         nemental sur l’évolu-                                        impulsion pour al-
volonté de répondre au problème cli-      tion du climat (Giec)
                                                                   Une   gestion                       ler dans ce sens ?
matique. Mais avec elle, il serait ex-    estime qu’il faut lais-  de  la fortune                      Il est fort probable
trêmement simple de mettre fin à          ser 80 % des gise-                                           que si la BNS ve-
                                                                   de la BNS cohérente
cette incohérence : il suffirait que la   ments d’énergies                                             nait à adopter une
BNS adopte une stratégie pour ré-         fossiles dans le sous-   avec   des   politiques             politique clima-
duire au minimum son impact sur           sol pour respec-         fédérales plus déter- tique, une grande
le climat. Voilà pourquoi cette enti-     ter l’accord de Paris                                        partie de la place
té est un maillon si important d’une      (Giec, 2013).
                                                                   minées     sur le  climat           financière helvé-
évolution hautement souhaitable de                                 serait gagnante                     tique suivrait son
la politique suisse en phase avec le      Les profondes                                                exemple.
                                                                   sur tous les plans
respect de l’accord de Paris.             contradictions entre
                                          la politique de la                                           L’ampleur des pé-
                                          BNS et les politiques                                        rils climatiques et
Enormes espaces d’action                  publiques fédérales entraînent un        la multiplication d’initiatives au plus
inexplorés                                gaspillage de moyens et nuisent à        haut niveau pour aligner la finance
La campagne mondiale de désinves-         l’efficacité des mesures qui aide-       sur les objectifs de l’accord de Paris
tissement de l’industrie des énergies     raient à réduire le problème alors       justifient que la BNS initie une poli-
fossiles a vu le jour lorsqu’une poi-     que le temps manque.                     tique climatique. Et si elle s’obstine
gnée de fondations philanthropiques                                                à ne pas le faire, les plus hautes ins-
ont compris l’absurdité qu’il y avait à   Une gestion de la fortune de la BNS      tances politiques du pays se doivent
financer les meilleurs militants de la    cohérente avec des politiques fédé-      de le lui imposer. L’immobilisme ac-
cause climatique avec les revenus de      rales plus déterminées sur le climat     tuel de cette institution sur ce plan
leurs placements dans l’industrie des     aiderait à mieux lutter contre la pau- est choquant et inacceptable. Le lais-
énergies fossiles, c’est-à-dire dans      vreté et serait gagnante sur tous les    ser-faire du politique à son égard ne
l’origine même du problème qu’elles       plans : la présente étude montre que l’est pas moins. ●
prétendaient combattre (LaRevue-          loin de coûter, une telle cohérence
Durable, 2015).                           serait financièrement bénéfique.

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Le coût des installations photovoltaïques a baissé de 73 % et celui de l’éolien terrestre a reculé
 de 25 % de 2010 à 2017. Les investissements, cependant, ne sont pas à la hauteur du potentiel
 de rentabilité de ces technologies. La capacité électrique renouvelable installée dans le monde a certes
 bondi de 8,5 % par an durant cette période, mais elle aurait pu croître plus vite encore si les investis-
 seurs avaient privilégié l’industrie des énergies renouvelables et de l’efficience énergétique au lieu
 de continuer de surinvestir dans l’industrie des énergies fossiles.

  Pour une Union européenne de la transition

  La finance climat avance dans l’Union européenne. Le                 très grande partie en euros. A l’heure où la Commission
  31 janvier 2018, un groupe d’experts a publié un rapport             européenne affirme qu’environ 180 milliards d’euros
  pour la Commission européenne avec trente idées pour                 d’investissements supplémentaires par an seront né-
  aligner la finance sur les objectifs de l’accord de Paris.           cessaires pour que l’UE atteigne ses objectifs de baisse
  Le 8 mars, la Commission européenne a publié sa feuille              des émissions d’ici 2030, et où la société civile euro-
  de route « pour amener le système financier à soutenir               péenne se mobilise au sein de la campagne « Climat
  les actions de l’UE en matière de climat et de développe-            2020 »5 pour que la création monétaire de la BCE serve à
  ment durable ».                                                      financer la transition énergétique (Grandjean et Martini,
                                                                       2017-2018 ; LaRevueDurable, 2017-2018), la BNS serait
  La Banque centrale européenne (BCE), qui s’est elle aussi
                                                                       un partenaire de choix, au cœur de l’Europe, pour aider à
  fait remarquer pour son indifférence au sujet du climat,
                                                                       mettre en place une stratégie de financement de la tran-
  sera progressivement contrainte de se mettre au diapa-
                                                                       sition écologique et énergétique.
  son de cette évolution. Le 21 novembre 2017, le Parle-
  ment européen a adopté une résolution sur la BCE qui                 On peut même rêver que le projet d’unification euro-
  relève qu’elle est, « en tant qu’institution européenne,             péenne, né autour du marché du charbon et de l’acier,
  liée par l’accord de Paris ».                                        se mute en un projet autour de la transition écologique
                                                                       et énergétique.
  La majeure partie de la fortune de la BNS (68 % de son
                                                                       5) https://climat-2020.eu
  bilan) est placée dans des obligations d’Etat, dont une

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