FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON

La page est créée Francis Marchal
 
CONTINUER À LIRE
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
FRANÇOIS PERREGAUX,
PIONNIER DE L’HORLOGERIE SUISSE AU JAPON

     Sous le haut patronage de l’Ambassade de Suisse au Japon
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
TABLE DES MATIÈRES

Préface                                                 1

A l’aube de l’ère industrielle                          2

Quelque part dans le Jura suisse                        4

L’âme d’un voyageur                                     6

Naissance d’une grande maison                           8

Unir nos forces                                        12

Cap sur l’Extrême-Orient                               14

Recherche protection, activement                       18

Le temps au Pays du Soleil levant                      20

François Perregaux, premier horloger suisse au Japon   24

Un moment historique                                   30

Yokohama la cosmopolite                                32

Pendant ce temps, en Suisse                            38

Une collection exceptionnelle                          40

Trop tôt disparu…                                      46

Girard-Perregaux et le Japon : une relation pérenne    50

Chronologie                                            54

Crédits photographiques                                58

Sources et bibliographie                               62

Remerciements                                          65
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
En février 1864, des émissaires suisses et des représentants du Gouverne­
                                                       ment impérial japonais signèrent un traité d’amitié et de commerce. Cet
                                                       accord bilatéral fut la base de relations d’exception entre le Japon et la
                                                       Suisse et permit les premières exportations horlogères helvétiques vers
                                                       le Pays du Soleil levant. Ce n’étaient pas exactement les premières… A
                                                       l’époque de la signature tant attendue, un négociant horloger venu de
                                                       Suisse exerçait déjà son activité depuis quelques années sur l’archipel
                                                       nippon : François Perregaux (Le Locle 1834 - Yokohama 1877).

                                                       L’année 2009 marque le 175e anniversaire de sa naissance mais éga-
                                                       lement les 150 ans de son départ pour l’Asie. Frère de Marie Perre-
                                                       gaux, qui fonda avec son époux Constant Girard la Manufacture portant
                                                       aujourd’hui encore leurs patronymes réunis, François Perregaux s’embar-
                                                       que en effet au printemps 1859 et sera l’ambassadeur de la Maison
                                                       Girard-Perregaux au-delà de l’océan Indien.

                                                       L’histoire remarquable de cet homme, premier horloger suisse établi au
                                                       Japon, engage chaque acteur de la destinée de Girard-Perregaux à
                                                       pérenniser le développement de notre Maison. Fiers et respectueux de
                                                       l’œuvre de François Perregaux, nous avons souhaité vous raconter son
                                                       parcours. Nous nous sommes appuyés sur les documents historiques
                                                       conservés par notre Maison et par des particuliers, sur les recherches
                                                       effectuées dans les différents centres d’archives, bibliothèques et musées,
                                                       sans oublier les archives de la ville de Yokohama. La cité d’adoption
                                                       de l’horloger loclois fête de même cette année le 150e anniversaire de
                                                       l’ouverture de son port à l’Occident.

                                                       Cette publication se veut un hommage à l’un des pionniers de l’horlogerie
                                                       suisse au Japon, à sa vie brève mais passionnée, ainsi qu’un témoignage
                                                       des liens profonds qui unissent Girard-Perregaux à l’archipel depuis un          1
                                                       siècle et demi. Cette histoire illustre également l’esprit d’innovation qui
                                                       a toujours conduit la Maison suisse vers de nouveaux horizons. Portée
                                                       par les idées d’avant-garde de pionniers qui ont forgé sa renommée
                                                       depuis 1791, Girard-Perregaux est à l’origine d’avancées majeures pour
                                                       le monde de l’horlogerie. Elle continue dans cette voie, enrichissant un arti­
                                                       sanat d’exception en Suisse, berceau de cette activité, et dans le monde
                                                       entier.

                                                                                                    Luigi Macaluso,
                                                                                                    Président de Girard-Perregaux

1. François Perregaux et Hanzo, son ami et assistant
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
A l’époque où naît François Perregaux (1834), la production horlogère
À L’AUBE DE L’ÈRE
    INDUSTRIELLE
                    suisse est déjà concentrée là où elle se trouve aujourd’hui, soit dans la
                    région de Genève, la vallée de Joux et les Montagnes neuchâteloises. A
                    propos de ces dernières, précisons qu’elles ne deviennent suisses qu’en
                    1848.

                    En revanche, l’organisation est très différente de celle que nous connais-
                    sons de nos jours : il n’existe aucune usine, mais une multitude de petites
                    entreprises, généralement spécialisées dans la fabrication d’une partie
                    de la montre, qui livrent leur production à des négociants en horlogerie.
                    Ceux-ci assemblent la montre et y apposent leur nom. On les appelle
                    les établisseurs. Les deux cités des Montagnes neuchâteloises, La Chaux-
                    de-Fonds et Le Locle, d’où François Perregaux est natif, en comptent plus
                    de cent.

                    De ce fait, les forces sont extrêmement dispersées et peu de négociants
                    disposent de la puissance financière nécessaire pour explorer de nou-
                    veaux marchés, pourtant indispensables à leur survie. Cette dispersion
                    est également la raison pour laquelle le concept de marque tel que nous
                    le connaissons aujourd’hui n’est pas encore bien établi. Il faut attendre
                    le dernier tiers du XIXe siècle pour que les plus puissants de ces négo-
                    ciants, à l’image de Constant Girard-Perregaux, imposent leur nom, et
                    que les premières usines apparaissent. L’horlogerie entre définitivement
                    dans l’ère industrielle.

2                                                                                                                                                               3

                     Les débuts de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises remontent
                     à la fin du XVII e siècle. Son développement fut favorisé par les conditions
                     météorologiques hivernales particulières, qui contraignaient les habi­­-
                     tants, dont de nombreux agriculteurs, à demeurer durant de longs mois à
                     l’intérieur de leur logis. Habiles à travailler les différents bois et métaux
                     mais également la dentelle, ayant le goût du bel ouvrage, ceux que l’on
                                                                                                     2. Charles-Samuel Girardet, Intérieur neuchâtelois, 1819
                     nomma les « paysans-horlogers » furent dans un premier temps des arti-
                     sans autodidactes.                                                              3. La Chaux-de-Fonds, rue des Juifs, vers 1840
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
QUELQUE PART
DANS LE JURA SUISSE

                                                                                          4. Henri-François Perregaux
                                                                                             (1797-1847), père
                                                                                             de François Perregaux

                      C’est dans la petite ville du Locle, située au cœur des Montagnes neu-
                      châteloises et distante de quelques kilomètres seulement de La Chaux-
                      de-Fonds, que voit le jour, le 25 juin 1834, François Perregaux, fils d’Henri-
                      François, capitaine de milice et marchand horloger, et de Rosalie, née
                      Matthey-Junod.

4                     La famille Perregaux s’installe quatre ans plus tard dans une belle demeure
                      qui portera désormais son nom, au sein du quartier du Crêt-Vaillant.
                      François y grandit, entouré de ses cinq frères et sœurs, Julie, Françoise,
                      Henri, Marie et Jules.

                      La disparition prématurée du chef de famille en 1847 confirme la voca-
                      tion des frères Perregaux : ils seront tous les trois horlogers !

                      5. Extrait de l’arbre généalogique de la famille Perregaux (1954)

                      6. Le Locle, vue de l’est, vers 1860
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
Formidables     vitrines   technologiques     et
                                                                                                                                            industrielles, les expositions universelles
                                                                                                                                            ont pour but de comparer l’évolution des
                                                                                                                                            différentes nations qui y exposent leurs
             Dans le sillage de la première exposition universelle, rassemblement
L’ÂME D’UN
 VOYAGEUR
                                                                                                                                            produits. Octroyant prix, médailles et
             extraordinaire qui a lieu à Londres en 1851, s’ouvre deux ans plus tard à
                                                                                                                                            mentions aux plus méritants, elles contri-
             New York une exposition des produits de l’industrie de toutes les nations                                                      buent largement au progrès au cours de
             (Exhibition of the Industry of all Nations).                                                                                   la révolution industrielle. Leurs lieux d’accueil
                                                                                                                                            subiront    d’importants     bouleversements
             François Perregaux décide-t-il de s’embarquer pour l’Amérique à cette                                                          urbanistiques et conservent aujourd’hui
             occasion ? Toujours est-il que les autorités neuchâteloises lui délivrent au                                                   certaines constructions gigantesques ayant
             début de l’an 1853, en date du 22 janvier, le passeport portant le signa-                                                      survécu à leur statut éphémère initial.
             lement suivant :

             « Le Citoyen Fs Perregaux Négociant, originaire de Corcelles & Cor­
             mondrèche, domicilié au Locle, allant dans l’Amérique du Nord, âgé de
             19 ans, taille de 5 pieds 3 pouces, cheveux châtain foncé, front décou-
             vert, sourcils châtains, yeux gris, nez ordinaire, bouche moyenne, barbe
             châtain, menton rond, visage ovale, teint pâle, signe particulier –. »*

             Le Loclois reste à New York durant six ans, représentant la maison
             H. Perregaux & Co. Outre ce comptoir établi sur le Nouveau Continent,
             les frères Perregaux, poursuivant l’œuvre de leur père, disposent également
             d’un point d’exportation à Calcutta, alors capitale des Indes anglaises.

             * Archives de l’Etat de Neuchâtel, C 561, N° 39, 22 janvier 1853

6                                                                                                                                                                                               7

                                                                                            8. Henri Perregaux,
                                                                                               Chronomètre de marine, Le Locle, vers 1860

             7. Carte de visite de la maison H. Perregaux & Co., New York                   9. William England, Vue de New York, 1859
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
Si les frères Perregaux figurent parmi les négociants horlogers les plus
NAISSANCE D’UNE
 GRANDE MAISON
                  importants de la Mère Commune, soit Le Locle, il en va de même pour
                  les frères Girard à La Chaux-de-Fonds, bientôt connue sous le nom de
                  Métropole horlogère.

                  C’est par un apprentissage auprès d’un horloger de La Sagne, à proxi-
                  mité de La Chaux-de-Fonds, que débute la carrière de Constant Girard,
                  né en 1825. Associé dans un premier temps, il exerce sous le nom col-
                  lectif de « Calame-Robert & Girard » (1845) puis dès 1852 sous celui de
                  « Girard & Cie », aux côtés de son frère aîné Numa.

                  Deux ans plus tard, Constant Girard épouse une jeune femme du Locle,
                  âgée de vingt-deux ans : Marie Perregaux, qui n’est autre que la sœur de
                  François. Girard-Perregaux, la Maison qui porte de nos jours encore
                  les patronymes réunis de Constant et Marie, voit le jour en 1856. Ses
                  affaires se développant extrêmement rapidement, elle devient bientôt
                  l’une des plus puissantes de la place.

                  Cette alliance est renforcée quelques années plus tard par l’arrivée dans
                  l’entreprise d’Henri Perregaux, qui entreprend, avec l’accord de sa mère
                  Rosalie, la liquidation de l’établissement paternel. Constant Girard-
                  Perregaux nomme son beau-frère mandataire spécial de la Maison dans
                  les divers Etats du nord et du sud de l’Amérique, une procuration qui
                  s’étendra plus tard aux Antilles. Henri embarque pour Buenos Aires en
                  1865, accompagné de son épouse Cécile. Le cadet de la famille Per-
                  regaux, Jules, s’engage également dans le développement des affaires
                  familiales outre-Atlantique.

8                 Mais que devient leur frère François, rentré d’Amérique en 1859 ?

                  10. Extrait de l’arbre généalogique de la famille Girard (1954)

                  11. Constant et Marie Girard-Perregaux
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
Hommage à la longue tradition
                                                                       du savoir-faire horloger de la Mai-
                                                                       son, le Musée Girard-Perregaux
12. Girard-Perregaux, Montre-pendentif, La Chaux-de-Fonds, vers 1860   est situé à quelques pas de la
                                                                       Manufacture, dans une belle bâtisse
13. La Chaux-de-Fonds, vue du nord, vers 1860
                                                                       de style néoclassique. Inauguré
                                                                       en 1999, il présente une sélection
                                                                       de montres anciennes illustrant
                                                                       l’histoire de la Marque.
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
Modifiant le rapport de l’homme avec l’espace et le temps, la ligne ferro-
NOS FORCES
      UNIR

             viaire reliant Le Locle à La Chaux-de-Fonds, indispensable au développe-
             ment accéléré de l’industrie horlogère dans la région, est inaugurée en
             1857. Henri Perregaux est l’un des promoteurs de ce nouveau moyen de
             locomotion dans les Montagnes neuchâteloises.

             Une année après la construction du chemin de fer les ayant rapprochées,
             les liens industriels entre les deux villes sont renforcés par la fondation
             de l’Union Horlogère. Celle-ci compte parmi ses membres François Per-
             regaux, Henri et leur mère Rosalie ainsi que son beau-frère Constant
             Girard-Perregaux, sans oublier le frère de ce dernier, Numa Girard.

             L’association, regroupant des fabricants d’horlogerie des cités sœurs, a
             pour but la défense des intérêts de l’industrie horlogère suisse, à l’étranger
             en particulier, avec la création de comptoirs d’exportation. Les né­go­ciants
             suisses sont en effet contraints, afin d’écouler leurs produits manufacturés,
             de chercher de nouveaux marchés, toujours plus loin. Les horlogers
             neuchâtelois ne sont pas en reste et certains se sont aventurés, au début
             du XIXe siècle, jusqu’en Chine, sous la protection de puissances occiden-
             tales y ayant déjà ouvert des comptoirs.

             L’Union Horlogère conçoit très vite le projet d’établir un comptoir d’ex-
             portation en Asie. Son regard se tourne vers le Japon, qui s’est ouvert
             au commerce international quelques années auparavant, en 1853, et
             qui s’annonce comme un nouveau marché prometteur. La jeune société
             confie cette importante mission à deux hommes : l’agent principal sera
             Rodolphe Lindau, homme de lettres originaire du royaume de Prusse, et
             l’agent adjoint, spécialisé dans le commerce de l’horlogerie et reconnu
12           pour son expérience en ce domaine, François Perregaux. A peine revenu
             de New York, il ne séjournera pas longtemps dans sa ville natale. Nous
             sommes au printemps 1859.

             14. Passeport de François Perregaux pour l’Asie, 21 mars 1859
FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
L’un des protagonistes principaux
                                                                                                           de l’ère industrielle est la machine
                                                                                                           à vapeur, qui fournit à l’homme la
                                                                                                           puissance exigée par les travaux

                   Le 20 avril 1859, François Perregaux quitte Le Locle et gagne Marseille,                de cette époque. N’en comportant
L’EXTRÊME-ORIENT
         CAP SUR

                                                                                                           pas moins des mâts, les navires
                   où il embarque le 28, en compagnie de Rodolphe Lindau, à bord d’un
                                                                                                           empruntés par François Perregaux
                   bateau à vapeur à destination d’Alexandrie, via Malte.
                                                                                                           pour traverser mers et océan bé-

                                               e
                                                                                                           néficient de cette invention mémo-
                   Jusqu’au milieu du XIX siècle, les navires appareillant en Europe et se                 rable et arborent roues à aubes –
                   rendant en Asie doivent contourner le continent africain en passant par                 ou hélice – et cheminées. Leur iti­
                   le cap de Bonne-Espérance. En effet, le canal de Suez, reliant la mer                   néraire est tracé en fonction des
                   Méditerranée à la mer Rouge, ne sera ouvert qu’en 1869. Le premier                      escales que nécessite le réapprovi­
                   coup de pioche est donné dix ans auparavant, le 25 avril 1859, soit                     sionnement des soutes en charbon.
                   quelques jours avant le passage de Perregaux en Egypte. Car l’horloger
                   loclois et son compagnon prussien, renonçant à passer par le cap, optent
                   pour la solution rapide, empruntant le chemin de fer reliant Alexandrie
                   à Suez, via Le Caire. Inauguré à la fin de l’année précédente, il permet
                   la traversée de l’isthme en quelque douze heures.
                   A Suez, les deux hommes reprennent un bâtiment à vapeur et descendent
                   la mer Rouge, passent le détroit de Bab el-Mandeb pour rallier Aden
                   avant d’entamer la traversée de la mer Arabique. De Bombay, ils s’enga­
                   gent dans l’océan Indien, font escale à Galle, tout au sud de l’île de
                   Ceylan, puis à l’île de Pulau Pinang. A l’issue du détroit de Malacca, ils
                   atteignent Singapour, le 31 mai, à peine plus d’un mois après leur départ
                   du port de Marseille.

                   Lindau y séjourne six semaines puis s’embarque à destination de l’Empire
                   du Soleil levant, chargé d’y créer un comptoir d’exportation. Il est invité
                   par le consul général de France au Japon et gagne la ville de Yeddo*
                   en sa compagnie. Quant à Perregaux, il demeure à Singapour, véritable
                   plate-forme commerciale sous contrôle britannique, afin d’y étudier l’éta-
                   blissement d’un comptoir dont il sera le gérant. Installé à Battery Road, il
14                 loge à l’Hôtel de l’Espérance.

                   *Ancien nom de Tokyo. On trouve également les termes Yedo, Jeddo, Jedo ou encore Edo.

                   15. Extrait du rapport du Conseil d’administration
                       de l’Union Horlogère à l’assemblée du 4 février 1860

                   16. Battery Road, Singapour, vers 1860
Bientôt appelé à succéder à Rodolphe Lindau à la tête du comptoir de         et bénéficiant du soutien du consul des Etats-Unis à Singapour, il cherche
RECHERCHE PROTECTION,
          ACTIVEMENT
                        Yokohama, François Perregaux prépare son départ pour l’archipel nip-         à obtenir, dans le courant du mois d’août 1860, la protection du consul
                        pon, multipliant les démarches administratives. En effet, aucun traité de    américain en poste à Yokohama. En vain. C’est finalement la France qui
                        commerce et de libre établissement n’ayant été signé entre la Suisse et le   la lui accorde.
                        Japon, il est impossible au négociant suisse de s’installer dans ce pays.
                        La suite du périple de François Perregaux dépend de la bienveillance         Au mois d’octobre 1860, ayant confié le comptoir de Singapour aux
                        des consuls accrédités et du bon vouloir du Gouvernement japonais, le        bons soins de son compatriote Fritz Nicolet, notre horloger reprend la
                        Suisse devant obtenir la protection exceptionnelle de l’une des légations    mer, à destination de Yokohama, où l’attend un certain Edouard Schnell.
                        étrangères en place au Japon. Ayant résidé durant six ans à New York

                                                                                                                                                          C’est le Suisse Pierre-Jo-
18                                                                                                                                                        seph Rossier, né en 1829       19
                                                                                                                                                          dans le petit village de
                                                                                                                                                          Grandsivaz, dans le can-
                                                                                                                                                          ton de Fribourg, qui réalise
                                                                                                                                                          à la fin des années 1850
                                                                                                                                                          les premières vues stéréo-
                                                                                                                                                          scopiques du Japon. Enga-
                                                                                                                                                          gé par l’importante firme
                                                                                                                                                          londonienne     Negretti   &
                                                                                                                                                          Zambra, ce compatriote et
                                                                                                                                                          contemporain de François
                                                                                                                                                          Perregaux     dispose   d’un
                                                                                                                                                          matériel de pointe et initie
                        17. Pierre-Joseph Rossier, Le Temple de l’Empereur, à Jeda, 1861                                                                  les Japonais à l’art de la
                                                                                                                                                          photographie.
Lorsque François Perregaux débarque à Yokohama en 1860, le Japon vit                   périodes varie selon les saisons. Il faut donc régulièrement régler les hor-
DU SOLEIL LEVANT
 LE TEMPS AU PAYS

                    une période de transition nommée « Bakumatsu » (1853-1867), faite de                   loges, en l’occurrence tous les quinze jours, soit vingt-quatre fois par an.
                    profonds bouleversements provoqués par le passage de l’âge féodal ou                   A noter que les Japonais comptent les « heures » à reculons, le chiffre le
                    « Edo » à l’ère moderne ou « Meiji », instaurée                                        plus élevé, 9, étant attribué à midi et à minuit, et ainsi de suite jusqu’à 4.
                    en 1868. A la suite d’un premier traité                                                Chaque période porte le nom d’un animal correspondant à un signe du
                    signé avec les Etats-Unis en 1854,                                                     zodiaque (9 minuit est la période du rat, par exemple).
                    l’archipel est contraint de s’ouvrir au
                    commerce international et de mettre                                                    Les horlogers japonais doivent donc construire des pendules tenant
                    fin à sa politique d’isolationnisme.                                                   compte de ces longueurs « d’heures variables », capables d’accélérer ou
                    Ce sont pour le Japon des années                                                       de ralentir au fil du temps. Dans la majorité des cas on a recours à des
                    de violente mutation, déchiré qu’il                                                    mouvements équipés de deux foliots, l’un pour le jour, l’autre pour la
                    est entre sa volonté de conserver son                                                  nuit. Des masselottes que l’on peut déplacer le long des bras des foliots
                    autarcie et ses traditions, et son désir                                               permettent d’en réguler la vitesse.
                    d’apprendre à connaître la culture
                    occidentale et d’assimiler les tech-
                    niques de son industrie.

                    La mesure du temps dans ce
                    pays est alors totalement diffé-
                    rente du système horaire occi-
                    dental. Il existe deux systèmes,
                    l’un dit équinoxial, utilisé par
                    les astronomes, et l’autre dit de
                    l’heure civile, telle qu’elle est af-
                    fichée par les pendules en usage
                    dans la société japonaise.

                    En résumé, le système de l’heure
20                  civile considère six périodes de                                                                                                                                        21
                    longueur égale du crépuscule à
                    l’aube et six de l’aube au cré-
                    puscule, mais la longueur de ces

                    18. Anonyme, Horloge de type « pilier » « Shaku-Dokei », Japon, début du XIXe siècle
                        Don de Constant Girard-Gallet, neveu de F. Perregaux, au Musée international
                        d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds                                                    19. Horloger japonais fabriquant une horloge, début du XIXe siècle
Plusieurs    horloges       japo-
                                                                                                        naises    figurent    au     sein
                                                                                                        des collections du Musée
                                                                                                        international        d’horloge-
                                                                                                        rie, à La Chaux-de-Fonds.
                                                                                                        Quatre d’entre elles ont
                                                                                                        été   données     à    l’institu-
                                                                                                        tion par le neveu de Fran-
                                                                                                        çois Perregaux, Constant
                                                                                                        Girard-Gallet, fils aîné de
                                                                                                        Constant et Marie Girard-
                                                                                                        Perregaux.

                                                                                   21. Anonyme, Horloge à poids « Yagura-Dokei »,
                                                                                       Japon, début du XIXe siècle
                                                                                       Don de Constant Girard-Gallet, neveu
     20. Cadran d’horloge japonaise traditionnelle                                     de F. Perregaux, au Musée international
                                                                                       d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds

     Ce système est parfaitement adapté à une époque où on se lève et se
     couche avec le soleil, et où toutes les activités sont organisées en consé-
     quence. Le palais impérial ou château d’Edo, mais aussi les commerces
     ouvrent leurs portes au lever du soleil et ferment à la nuit tombée. Ce
22
     système fixe également les horaires des repas ou encore l’ouverture des                                                                23
     établissements de bains.

     Dans ce contexte, on peut se demander quel genre de succès commercial
     peut espérer remporter François Perregaux avec ses garde-temps occi-
     dentaux… Afin d’assurer sa survie sur le sol nippon, il n’aura d’ailleurs
     d’autre choix que celui de diversifier ses activités.

     Le 1er janvier 1873, le Japon, entré dans l’ère Meiji, poussé par les
     contraintes de la modernisation et notamment la construction du réseau
     ferroviaire, adoptera l’heure et le calendrier européens. D’un seul coup,
     la totalité des pendules et garde-temps japonais devient obsolète… Les
     importations régulières peuvent commencer.
Si la List of French Subjects resident at the Port of Kanagawa on the
FRANÇOIS PERREGAUX, PREMIER
   HORLOGER SUISSE AU JAPON
                              31 December 1861 (reproduite page 29), dressée par le British Consul­
                              ate Kanagawa, atteste que François Perregaux est établi à cette date
                              sur le sol japonais, la correspondance du diplomate suisse Aimé Hum-
                              bert (1819-1900), figurant aux Archives de l’Etat de Neuchâtel, nous
                              apprend qu’il navigue en direction de Yokohama à la mi-octobre 1860
                              déjà, et s’y trouve au mois de décembre.

                              Le Loclois fait ses premiers pas dans un pays en pleine mutation aux côtés
                              d’un précieux guide, Edouard Schnell.
                              Originaire de La Haye, parlant la langue de son pays ainsi que l’alle-
                              mand, le français et le japonais, le jeune Hollandais est arrivé au Japon
                              en 1858 et a été engagé par Rodolphe Lindau au service de l’Union
                              Horlogère au début de l’an 1860. Sa nationalité – la Hollande et le Japon
                              entretiennent des relations commerciales depuis 1609 déjà – lui permet
                              de passer avec le Gouvernement japonais, sous son nom mais pour le
                              compte de l’Union, les actes nécessaires afin d’obtenir une concession
                              de terrain. Sur celle-ci sera construite une maison et ses dépendances
                              (godowns, cuisine et écurie à chevaux) : le comptoir de Yokohama.

24

                              22. François Perregaux
Mais la mission de Perregaux et Schnell, gérant et employé de l’établisse-     Les musiques, montres, pendules, articles de Paris, bijouterie etc. n’ont
     ment, devenus très vite des amis, n’est pas aisée, comme en témoignent         jamais été l’objet d’une consommation importante : on vendait bien ces
     leurs rapports envoyés à l’Union Horlogère (1861) :                            articles à des prix très élevés, mais plutôt comme objets de curiosité que
                                                                                    d’utilité ; à mesure que les importations de ces articles ont été plus consi-
     La vente des montres est très difficile. Les Japonais ne s’en servent pas ;    dérables, ils ne restaient plus un objet de curiosité et les prix baissèrent ;
     seulement quelques officiers de la douane qui, par les rapports qu’ils ont     bientôt la vente en devint presque impossible.*
     avec les Européens, doivent savoir l’heure. Mais la différence qu’il y a
                                                                                    * Archives de l’Etat de Neuchâtel, Fonds Aimé Humbert, volume 3, 25 février 1862
     entre l’heure japonaise et notre manière de compter le temps, le luxe que
     c’est pour un Japonais d’acheter un objet qui lui coûte 40 à 50 Itzibous,
     tandis que tous les habits qu’il porte lui coûtent 3 à 4 Itzibous, est cause
     que les montres ne pourront pas se vendre en grande quantité et qu’il se
     passera encore du temps avant que cet article ait le débit dont il jouit en
     Chine. […]                                                                     23. Pierre-Joseph Rossier, Jeunes femmes japonaises en kimono d’hiver, 1861

26                                                                                                                                                                     27
Dans ces conditions, le comptoir asiatique se révèle rapidement être un
     échec commercial. Il est liquidé en juillet 1863, lors du séjour de la pre-
     mière mission diplomatique suisse au Japon.
     L’Union Horlogère ne lui survit pas longtemps, dissoute au printemps
     1865, ses affaires bancaires étant reprises par le Comptoir d’escompte
     neuchâtelois.

     Libérés de leurs obligations vis-à-vis de l’Union et fermement résolus à
     demeurer sur le fascinant archipel, Perregaux et Schnell décident de
     s’associer en étendant leurs activités.
     Ils fondent à Yokohama, le 12 janvier 1864, la société SCHNELL &
     PERREGAUX, assurant l’importation et la distribution de biens européens
     au Japon (General Commission and Import Merchants).

     Edouard Schnell ayant pris la décision de s’engager dans le conflit oppo­
     sant les troupes de l’empereur aux partisans du shogun, cette première
     société est dissoute un an plus tard. Le Hollandais se lance dans le com-
     merce d’armes européennes et gagne le nord du pays où la guerre civile
     fait rage.

     Pour François Perregaux, pacifiste, il est hors de question de prendre part
     aux hostilités. Il demeure à Yokohama et y crée cette même année sa
     propre compagnie, F. PERREGAUX & Co., horlogerie – montres et pen­
     dules – et bijouterie, import, réparations et réglages. Il est l’agent officiel
     de la Maison Girard-Perregaux et son unique représentant au Japon.

28

            24. Liste des sujets français résidant dans le port de Kanagawa, 31 décembre 1861

                                       25. Annonce de l’association de « Schnell & Perregaux »
                                                         (The Japan Herald, 16 janvier 1864)

                                      26. Annonce de la dissolution de « Schnell & Perregaux »
                                                         (The Japan Herald, 25 février 1865)
L’une des préoccupations majeures d’Aimé Hum-

             Le 6 février 1864, dans le temple de Choji à Edo, est enfin signé, entre             bert avant son départ pour l’Asie est de réunir des
HISTORIQUE
UN MOMENT

                                                                                                  cadeaux destinés à être offerts au Gouvernement
             une petite délégation suisse et des représentants du Gouvernement impé-
                                                                                                  japonais lors de la signature du traité, le diplo-
             rial japonais, le traité d’amitié et de commerce qui va rendre légale la
                                                                                                  mate souhaitant que ces présents soient représen-
             position de François Perregaux au Japon.
                                                                                                  tatifs de la Suisse. Le canton de Neuchâtel enverra
             L’homme chargé par le Conseil fédéral de cette délicate mission et qui a             entre autres des chocolats, de l’absinthe, des mon-
             œuvré durant plusieurs années pour ce moment historique est le Chaux-                tres ainsi que des œuvres d’art.
             de-Fonnier Aimé Humbert (1819-1900), nommé pour la circonstance
             « Envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Confédération
             Suisse au Japon ».

             Remporté avec le soutien de la Hollande, ce succès diplomatique est
             également économique puisqu’il va permettre aux horlogers suisses d’ex-
             porter officiellement leurs produits sur le marché nippon.

             Arrivé au Pays du Soleil levant en avril 1863, Aimé Humbert doit patien-
             ter près d’une année avant que les autorités japonaises acceptent d’entrer
             en matière. Il met à profit ces longs mois d’attente pour visiter le pays, il
             s’en imprègne, prend des notes, recueille des témoignages, des dessins,
             estampes, photographies, etc., qui vont constituer la matière de base pour
             le livre qu’il projette de publier sur le Japon.

             A son retour en Suisse, Humbert, messager de François Perregaux, rend
             visite à sa famille, au Locle et à La Chaux-de-Fonds. Le diplomate écrit à
             l’horloger demeuré au Japon, le priant de le tenir au courant des affaires
             de l’archipel. Il l’encourage à développer un commerce d’œufs de vers à
             soie ainsi que de thés japonais. Mais surtout, il lui demande de récolter
             toute histoire, légende populaire, conte d’enfant ou autre chanson qui
             pourraient enrichir son ouvrage en cours de rédaction. Le Chaux-de-
30           Fonnier dépêche de même le Loclois auprès de photographes à Yoko­
             hama, afin qu’il sélectionne et lui expédie les dernières nouveautés en
             matière de clichés : créant l’événement, Le Japon Illustré paraît en 1870,
             publié en deux volumes par la maison Hachette, à Paris.

                                                                27. Aimé Humbert (1819-1900)

                                          28. Chanteuse accompagnée de musiciennes, vers 1870

                                                            29. Une librairie à Yedo, vers 1870
En s’établissant à Yokohama l’année suivant l’ouverture de son port au             Des jardins publics, aires de jeu et terrains de sport sont aménagés tandis
LA COSMOPOLITE
     YOKOHAMA

                 commerce international, François Perregaux est au cœur de l’extraordi-             que des restaurants, bars et théâtres offrent un large choix d’activités et
                 naire métamorphose que connaît le site dans la seconde moitié du XIXe              de divertissements aux résidents de la ville portuaire.
                 siècle. Ce dernier passe en quelque vingt ans du statut de village de              De nombreux clubs se créent, à l’image de la Société suisse de tir, The
                 pêcheurs à celui de cité moderne à l’architecture de style occidental.             Swiss Rifle Association, fondée par les négociants suisses avant 1865 et
                 La mutation de Yokohama est à l’image de celle du Japon, Etat féodal               dont François Perregaux assure la présidence. Cette association organise
                 coupé du monde qui évolue en l’espace de quelques dizaines d’années                deux fois l’an une grande fête, réputée être la plus belle de la place et à
                 en une puissance industrielle mondiale. La cité, dont le port commercial           laquelle prennent part les représentants de toutes les nations établies à
                 est devenu le plus important du pays, se construit au fil des ans sur un           Yokohama. Ce jour-là, tous les visiteurs sont conviés à participer à la com-
                 marais drainé par de multiples canaux. Elle comprend différents quartiers          pétition, au même titre que les membres du club, et des prix substantiels
                 dont le « Bluff », aire résidentielle réservée aux étrangers, le « Settlement »,   récompensent les meilleurs tireurs.
                 où ceux-ci exercent leur activité commerciale, « Native Town », parcelles
                 occupées par les Japonais eux-mêmes, sans oublier « China Town », où               Les étrangers établis à Yokohama sont essentiellement des commerçants,
                 se regroupent les Chinois.                                                         des diplomates ainsi que des missionnaires. En 1863, selon les écrits
                                                                                                    d’Aimé Humbert, la communauté des commerçants occidentaux est
                 Le plan qu’en établit l’ingénieur français Clipet en 1865 – dont un exem-          constituée de 80 Anglais, 70 Américains, 30 Hollandais, 30 Français,
                 plaire en couleurs est conservé aux Archives fédérales suisses à Berne             16 Allemands, 8 Portugais et 8 Suisses.
                 – permet de situer l’emplacement des différentes légations, propriétés pri-        La vie des immigrés est rythmée par les mouvements des navires dans
                 vées, maisons de commerce, douanes, édifices religieux, hôpitaux, etc.             la rade : arrivée/départ des proches, envoi/réception des marchandises
                 Annotations et ajouts de couleurs (certainement de la main de Rodolphe             ainsi que des lettres et colis, qui représentent l’unique lien avec l’Occi-
                 Lindau en 1866) confirment la présence du Suisse François Perregaux sur            dent. Elle l’est également par la parution quotidienne des journaux, dont
                 les lots 136 et 138 du « Settlement ».*                                            L’Echo du Japon, Journal politique, commercial et littéraire, Organe des
                                                                                                    intérêts français dans l’Extrême-Orient, qui est le reflet de la vie de la
                 Quant au « Bund », soit le quai, il accueille les constructions les plus pres-     communauté francophone.
                 tigieuses, occupées par les importantes banques et sociétés, les compa-
                 gnies maritimes, diverses boutiques et galeries, le « Grand Hôtel », des
                 clubs ainsi que quelques résidences privées.
                                                                                                    30. Panorama de la ville de Yokohama à l’époque où François Perregaux s’y installa

32               * Archives fédérales suisses, Berne, E 6 / volume 36, dossier 169                  31. Pages suivantes : plan de Yokohama, vers 1866                                    33
Outre ses compatriotes, les familiers de François Perregaux sont les diplo­                                                     Parmi les spécialités suisses qu’importe et fait découvrir
     mates des légations étrangères mais aussi des personnalités telles que                                                          François Perregaux à ses nouveaux amis japonais se
     Joseph Heco, né Hikozo Hamada (1837-1897), actif dans les milieux                                                               trouve l’absinthe, un produit du terroir neuchâtelois.
     diplomatiques et premier Japonais à accéder à la citoyenneté américaine,                                                        Fabriqué principalement à Couvet, une localité voisine
                                                                                                                                     du Locle, cet apéritif aux vertus dites thérapeutiques est
     le photographe italien Felice Beato (1834 ?-1907 ?), Charles Wirgman
                                                                                                                                     surnommé la « Fée Verte ». Accusée par la suite de
     (1832-1891), journaliste et caricaturiste anglais, sans oublier l’ami James
                                                                                                                                     rendre fous ses assidus consommateurs, elle sera prohi-
     Favre-Brandt (1841-1923), horloger et Loclois lui aussi, arrivé au Japon
                                                                                                                                     bée dès 1910 et réhabilitée en 2005 seulement.
     en 1863 avec la mission diplomatique conduite par Aimé Humbert, et qui
     sera bientôt rejoint par son frère Charles.

     Malgré ce précieux cercle d’amis et la fascination qu’exerce le Pays du
     Soleil levant sur l’horloger suisse, la vie s’avère sans concession à Yoko-                                                   32. Publicité pour la Fabrique
     hama. Incendies et tremblements de terre ravagent régulièrement la cité                                                           de Boissons Gazeuses
                                                                                                                                       (L’Echo du Japon, 29 avril 1875)
     en pleine expansion. Demeurant dans les mémoires, l’incendie de 1866
     détruit une importante partie de la ville et cause un grave préjudice aux
     affaires de François Perregaux, qui connaît déjà des difficultés à écouler
     ses produits horlogers.
     En 1874, comme le rapporte The Far East du mois d’avril (vol. 5, N° IV),
     il est victime d’un cambriolage. A son domicile du Bluff N° 168 sont
     dérobés en son absence un baromètre, une horloge, des livres, divers
     effets personnels ainsi qu’une montre de poche en or portant le nom de
     son propriétaire gravé à l’intérieur du boîtier.

     Outre son commerce d’horlogerie, François Perregaux crée une fabrique
     de boissons gazeuses qui est, au milieu des années 1870, « le seul éta­
     blissement au Japon fabriquant toutes les boissons gazeuses d’après les
     dernières recettes des meilleures maisons de Paris et de Londres » ! Pro­
     posant également divers sirops, de l’absinthe et un large éventail de vins,
36   cette maison, fondée à Yokohama en 1872, dispose d’un agent à Tokyo.                                                                                                                         37
     L’annuaire The Japan Directory signale la présence, en tant que commer-
     çant, de l’horloger loclois à Yedo (Tokyo) pour les années 1872, 1873
     et 1874. C’est certainement la construction de la voie ferrée reliant Yoko-
     hama à Tokyo qui le décide à s’établir pour quelque temps dans celle-ci.
     La ligne est en effet inaugurée en 1872 et permet de rallier la cité voisine
     en une heure environ. Elle constitue un lien tant commercial que social
     entre les deux agglomérations.
     Pour Yedo comme pour Yokohama, cette période de changements
     extrêmes sera déterminante. A la fin du XIXe siècle, la ville d’adoption
     de François Perregaux est considérée comme l’une des cités les plus cos-
     mopolites au monde.

                                                                                    33. La Société suisse de tir, Yokohama (The Far East, 1er juin 1871)
35. Girard-Perregaux, Tourbillon sous trois Ponts d’or « La Esmeralda », La Chaux-de-Fonds, 1889

                    Témoignant de dons exceptionnels pour l’horlogerie, Constant Girard-                       36. Girard-Perregaux, Chronomètre à tourbillon produit pour l’Amérique latine, La Chaux-de-Fonds, 1878
PENDANT CE TEMPS,
        EN SUISSE
                    Perregaux se consacre à l’étude et à la réalisation de divers systèmes
                    d’échappements et en particulier celui à tourbillon. La qualité et la beauté
                    de ses créations sont récompensées par de nombreux prix et distinctions
                    lors d’expositions et concours nationaux et internationaux. Ses chrono-
                    mètres obtiennent de même des résultats remarquables à l’Observatoire
                    de Neuchâtel.

                    C’est lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1867, que Constant
                    Girard-Perregaux présente pour la première fois une montre d’un calibre
                    particulier, à ponts droits aux extrémités pointues, pièce à laquelle il ne
                    cessera d’apporter des perfectionnements.

                    Homme passionné et généreux, il prend également une part active à
                    la vie sociale, politique et économique de La Chaux-de-Fonds, sa ville
                    natale, dont il fait partie des autorités.

                    Au début des années 1880, il s’associe à son fils Constant Girard-Gallet.
                    Ils connaissent la consécration en 1889, lorsque leur fameux Tourbillon
                    sous trois Ponts d’or, aujourd’hui icône de la Maison Girard-Perregaux,
                    remporte une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris.

38

                                                                                                                                            Inventé au tout début du XIX e siècle, le tourbillon permet de compenser
                                                                                                                                            les écarts de marche d’une montre dus à la gravité terrestre, grâce à
                                                                                                                                            une cage mobile qui porte l’organe réglant. Constant Girard-Perregaux
                                                                                                                                            intègre ce dispositif dans une architecture remarquable, brevetée en 1884 :
                                                                                                                                            les trois Ponts maintenant les mobiles du mouvement sont redessinés en
                                                                                                                                            forme de flèches et disposés en parallèle. C’est une vision totalement
                                                                                                                                            innovante : le mouvement n’est plus seulement un élément technique et
                                                                                                                                            fonctionnel, mais aussi un élément de design à part entière. Le Tourbillon
                                                                                                                                            sous trois Ponts d’or est couronné d’une médaille d’or à l’Exposition
                    34. Girard-Perregaux, Tourbillon sous trois Ponts nickelés, La Chaux-de-Fonds, vers 1860                                universelle de Paris en 1889.
On peut imaginer qu’avant l’introduction du système horaire occidental au
UNE COLLECTION
EXCEPTIONNELLE
                 Japon en 1873, la montre y fait figure de curiosité puisque inutile… Il était donc
                 délicat d’imaginer le goût des Japonais en matière horlogère au moment où
                 ceux-ci adoptent la division du temps telle que l’Europe la concevait.

                 Sans pouvoir l’affirmer, il semble que l’aspect de la curiosité subsiste, dans
                 la mesure où les montres avec fond vitré permettant d’admirer le mouvement
                 ont les premières faveurs du public. Souvent d’ailleurs, les mouvements sont
                 ornés de gravures, rendant ainsi la montre plus précieuse. Pour le boîtier, l’or
                 n’est pas une priorité, on lui préfère l’argent.

                 Peu à peu, le public japonais adopte les montres de poche genre Lépine
                 (sans couvercle sur le cadran) mais avec fond en métal, ou savonnette (avec
                 couvercle). François Perregaux peut alors importer des montres de produc-
                 tion plus courante, tout en les adaptant aux goûts locaux.

                 Parmi ces pièces, quatre sont aujourd’hui la propriété de Nobuyoshi Okawa,
                 établi à Osaka. C’est suite au présent d’une montre de poche, de fabri­ca­
                 tion suisse et datant des années 1870, que lui fit sa grand-mère, que cet
                 homme se mit à collectionner les garde-temps de cette époque. Ce fut le
                 début d’une véritable passion qui le mène à fréquenter assidûment, depuis
                 plus de trente-cinq ans maintenant, détaillants d’horlogerie, antiquaires, répa­
                 rateurs et restaurateurs, marchés aux puces ainsi que ventes aux enchères.

                 Nobuyoshi Okawa voue un intérêt particulier à François Perregaux, dont il
                 admire l’extraordinaire aventure et les valeurs humaines. Emu par ce pion-
                 nier qui, usant de patience et d’ingéniosité, fut à l’origine du marché horloger
                 au Japon, il souhaite lui redonner sa juste place et recherche en particulier
40               les pièces qu’il a importées. Elles sont difficiles à trouver mais cela ne décou-
                 rage pas le collectionneur qui, à force de persévérance, parvient à acquérir
                 quatre montres créées par Girard-Perregaux pour le marché japonais dans
                 les années1870.

                                         Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1865

                                                                 Boîtier en argent cannelé sur son pourtour
                                                                                      Diamètre : 39,60 mm
                                                                                    Cadran en émail blanc
                                                                                          Double fond vitré

                                                    Mouvement : 15½’’’, gravé main et doré au mercure.
                                Echappement à ancre à longue tige d’équilibrage en forme de tête de grue,
                                                                balancier bimétallique autocompensateur.
                                                               Fonctions : heures, minutes, petite seconde.
Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1875                Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1875

Boîtier en argent cannelé sur le pourtour et guilloché sur le fond                                        Boîtier en argent guilloché
Diamètre : 43,80 mm                                                                                            Diamètre : 41,80 mm
Cadran en émail blanc                                                                                        Cadran en émail blanc

Mouvement : 17¾’’’, gravé main et doré au mercure.                                           Mouvement : 16¾’’’, doré au mercure.
Echappement à ancre à longue tige d’équilibrage,                     Echappement à ancre, balancier bimétallique autocompensateur.
balancier bimétallique autocompensateur.                                                Fonctions : heures, minutes, petite seconde.
Fonctions : heures, minutes, petite seconde.
Montre Lépine
                                                                                                                                                             double face, signée
                                                                                                                                                             « Girard-Perregaux
                                                                                                                                                             Chaux-de-Fonds »,
                                                                                                                                                             vers 1877

                                                                                                                                                             Boîtier en or
                                                                                                                                                             jaune guilloché
                                                                                                                                                             Diamètre : 50,90 mm
                                                                                                                                                             Deux cadrans
                                                                                                                                                             en émail blanc

                                                                                                                                                             Mouvement : 19’’’,
                                                                                                                                                             rhodié.
                                                                                                                                                             Echappement à ancre,
                                                                                                                                                             spiral Breguet, balancier
                                                                                                                                                             bimétallique auto-
                                                                                                                                                             compensateur.
                                                                                                                                                             Fonctions : heures,
                                                                                                                                                             minutes, petite seconde,
                                                                                                                                                             triple quantième (jour de
                                                                                                                                                             la semaine, date, mois)
                                                                                                                                                             et indication des phases
                                                                                                                                                             de lune.

44                                                                                                                                                                                  45

     Nobuyoshi Okawa documente soigneusement chaque pièce. A l’époque            de gravures, est protégé par un verre qui permet d’en admirer l’impres-
     de François Perregaux, les préférences des amateurs japonais vont aux       sionnant mécanisme. L’on ne fait figurer aucune inscription à l’intérieur
     montres de poche en argent, avec cadran d’émail blanc orné de chiffres      du couvercle ou du boîtier, que l’on préfère à fond plat, car la moindre
     romains très fins et d’élégantes aiguilles. Le mouvement, parfois enrichi   marque est considérée comme une insulte à l’objet.
Comptant    parmi    les   figures
                                                                                                                                                                   marquantes de la communauté
                                                                                                                                                                   francophone à Yokohama et
                                                                                                                                                                   l’un de ses plus anciens rési-
                                                                                                                                                                   dents, François Perregaux est
                                                                                                                                                                   croqué par l’anglais Charles
TROP TÔT DISPARU…

                                                                                                                                                                   Wirgman. Dès 1862 et durant
                                                                                                                                                                   vingt-cinq ans, ce célèbre cari­
                                                                                                  38. Caricature de François Perregaux, au premier plan à droite   caturiste relate, dans sa publi­
                                                                                                      (The Japan Punch, juin 1875)
                                                                                                                                                                   cation satirique « The Japan
                                                                                                                                                                   Punch », la vie mouvementée
                                                                                                                                                                   du Foreign Settlement.

                    37. Annonce publicitaire, F. Perregaux agent de Girard-Perregaux
                        (The Japan Gazette, Hong List and Directory, 1er janvier 1877)

                    Le développement accéléré de l’industrie sur l’archipel nippon et la          La nécrologie que publie L’Echo du
46                  construction d’un réseau de chemin de fer, couronnés par l’adoption,          Japon le jour même présente l’horlo-                                                                    47

                    au début de l’an 1873, du système de mesure du temps occidental sont          ger suisse comme « l’un des plus an-
                    autant de bouleversements qui modifient le statut de la montre de poche.      ciens résidents du Japon » et ajoute :
                    D’objet de parure réservé à une élite, elle devient un instrument indispen-   « La mort de Mr. Perregaux laisse de
                    sable à la vie contemporaine et est bientôt accessible à la majorité. Le      vifs regrets dans la colonie où il jouis-
                    nombre d’importations croît progressivement, mais François Perregaux,         sait de l’estime et de l’affection de
                    dont le commerce d’horlogerie et bijouterie (Watchmakers and Jewellers)       tout le monde. » L’Edition de la Malle
                    favorablement situé au N° 71 de la commerçante Main Street était promis       du 31 décembre confirme qu’il était
                    à un bel avenir, ne vivra que peu de temps cette ère nouvelle. Victime        « aussi aimé qu’estimé de tous ceux
                                                                                                                                                                        39. Nécrologie de François
                    d’une attaque d’apoplexie le 10 décembre 1877, il succombe huit jours         qui le connaissaient, c’est-à-dire de                                     Perregaux (L’Echo du Japon,
                    plus tard, soit le 18.                                                        la communauté entière ».                                                  18 décembre 1877)
42. Tombe de François Perregaux au cimetière des étrangers, Yokohama (2009)

     Toujours dans L’Echo du Ja-
     pon paraît le 22 décembre
     un avis invitant les créanciers
     et débiteurs du commerçant
     à s’annoncer auprès de
     l’exécuteur testamentaire, son
     ami James Favre-Brandt.
     Deux ventes aux enchères de
     ses biens (terrains, bâtiments,
     mobilier, objets, etc.) sont
     annoncées pour les 28 mars
     et 6 avril 1878 (L’Echo du
     Japon, 15 et 23 mars, 2 avril
     1878).

     La seconde vente, propo-
     sant la propriété du lot
     N° 138 du Swamp ainsi
     que les matériel et stock de
     la Fabrique de Boissons
     Gazeuses, n’aura pas lieu.
     Elle est refusée par ses héri-
     tiers, comme nous l’apprend
     L’Echo du Japon du 16 avril
     1878.                             40. Avis de ventes aux enchères
                                           publiques (L’Echo du Japon,               Mais qui étaient les héritiers de François Perregaux ? Sa famille en
                                           2 avril 1878)
                                                                                     Suisse ? Des descendants au Japon ? Nous l’ignorons encore.

48
                                                                                     L’horloger repose au cimetière des étrangers à Yokohama (The Yokohama          49
                                                                                     Foreign General Cemetery). L’épitaphe du monument, soigneusement
                                                                                     entretenu par une main anonyme, précise : « À LA MÉMOIRE DE FCOIS
                                                                                     PERREGAUX, NÉ AU LOCLE, CANTON DE NEUCHÂTEL, SUISSE, LE
                                       41. Refus de la dernière vente
                                           par les héritiers de François Perregaux   24 JUIN 1834, DÉCÉDÉ À YOKOHAMA LE 18 DÉCEMBRE 1877, SES
                                           (L’Echo du Japon, 16 avril 1878)          AMIS. »
                                                                                     Sur la même concession se trouve une petite tombe en forme de colonne
                                                                                     tronquée, attribuée traditionnellement à un enfant mort en bas âge. On
                                                                                     peut y lire, gravée, l’inscription « ELIZA DIED 9 JULY 1864 ».

                                                                                     François Perregaux avait-il une fille ? Etait-il marié ? Nous n’en possédons
                                                                                     aucune preuve à ce jour.
François Perregaux a tracé la voie : même
        UNE RELATION PÉRENNE
GIRARD-PERREGAUX ET LE JAPON :

                                 après son décès, l’attachement pour le Ja-
                                 pon reste ancré dans l’activité de Girard-
                                 Perregaux. La Maison noue rapidement des
                                 liens avec Tenshodo, une maison d’impor-
                                 tation japonaise créée en 1879 à Tokyo.
                                 Au Pays du Soleil levant, Tenshodo se fait
                                 un remarquable relais du savoir-faire de
                                 Girard-Perregaux. Une relation durable et
                                 de grande qualité s’instaure entre les deux
                                 compagnies. En 1922, lors de l’exposi­
                                 tion « Peace Commemorative » à Tokyo,
                                 Tenshodo reçoit pour Girard-Perregaux un
                                 prix décerné par Son Altesse Impériale
                                 Kotohito, Prince Kan’in (1865-1945).

                                 L’intégration de Girard-Perregaux dans le
                                 paysage horloger nippon se poursuit au
                                 fil des années. Les liens tissés progressive-
                                 ment par François Perregaux, puis par les
                                 nouveaux représentants de la Marque, sont
                                 solides et pérennes. Depuis 1992, c’est le
                                 groupe horloger Sowind qui gère la distri-
                                 bution de Girard-Perregaux au Japon. Cette
                                 représentation est entièrement assurée par
                                 une filiale du groupe depuis 1998. Grâce à
                                 un réseau de détaillants de qualité, les mon-
                                 tres Girard-Perregaux sont proposées sur
50                               l’ensemble du territoire japonais. La filiale                                                                          51
                                 apporte un service personnalisé et de proxi-
                                 mité à ses clients bien après l’acquisition de
                                 leurs garde-temps. En effet, elle intègre un
                                 Service Clients, dont les horlogers qualifiés
                                 se consacrent à l’entretien et aux réparations
                                                                                  43. Prix décerné à la maison Tenshodo par le Prince Kotohito (1922)
                                 des montres achetées au Japon. L’attention
                                 dédiée à chaque modèle Girard-Perregaux
                                 lors de sa conception se poursuit donc bien
                                 au-delà, afin de préserver sa longévité.
Vous pouvez aussi lire