FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L'HORLOGERIE SUISSE AU JAPON
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FRANÇOIS PERREGAUX, PIONNIER DE L’HORLOGERIE SUISSE AU JAPON Sous le haut patronage de l’Ambassade de Suisse au Japon
TABLE DES MATIÈRES Préface 1 A l’aube de l’ère industrielle 2 Quelque part dans le Jura suisse 4 L’âme d’un voyageur 6 Naissance d’une grande maison 8 Unir nos forces 12 Cap sur l’Extrême-Orient 14 Recherche protection, activement 18 Le temps au Pays du Soleil levant 20 François Perregaux, premier horloger suisse au Japon 24 Un moment historique 30 Yokohama la cosmopolite 32 Pendant ce temps, en Suisse 38 Une collection exceptionnelle 40 Trop tôt disparu… 46 Girard-Perregaux et le Japon : une relation pérenne 50 Chronologie 54 Crédits photographiques 58 Sources et bibliographie 62 Remerciements 65
En février 1864, des émissaires suisses et des représentants du Gouverne ment impérial japonais signèrent un traité d’amitié et de commerce. Cet accord bilatéral fut la base de relations d’exception entre le Japon et la Suisse et permit les premières exportations horlogères helvétiques vers le Pays du Soleil levant. Ce n’étaient pas exactement les premières… A l’époque de la signature tant attendue, un négociant horloger venu de Suisse exerçait déjà son activité depuis quelques années sur l’archipel nippon : François Perregaux (Le Locle 1834 - Yokohama 1877). L’année 2009 marque le 175e anniversaire de sa naissance mais éga- lement les 150 ans de son départ pour l’Asie. Frère de Marie Perre- gaux, qui fonda avec son époux Constant Girard la Manufacture portant aujourd’hui encore leurs patronymes réunis, François Perregaux s’embar- que en effet au printemps 1859 et sera l’ambassadeur de la Maison Girard-Perregaux au-delà de l’océan Indien. L’histoire remarquable de cet homme, premier horloger suisse établi au Japon, engage chaque acteur de la destinée de Girard-Perregaux à pérenniser le développement de notre Maison. Fiers et respectueux de l’œuvre de François Perregaux, nous avons souhaité vous raconter son parcours. Nous nous sommes appuyés sur les documents historiques conservés par notre Maison et par des particuliers, sur les recherches effectuées dans les différents centres d’archives, bibliothèques et musées, sans oublier les archives de la ville de Yokohama. La cité d’adoption de l’horloger loclois fête de même cette année le 150e anniversaire de l’ouverture de son port à l’Occident. Cette publication se veut un hommage à l’un des pionniers de l’horlogerie suisse au Japon, à sa vie brève mais passionnée, ainsi qu’un témoignage des liens profonds qui unissent Girard-Perregaux à l’archipel depuis un 1 siècle et demi. Cette histoire illustre également l’esprit d’innovation qui a toujours conduit la Maison suisse vers de nouveaux horizons. Portée par les idées d’avant-garde de pionniers qui ont forgé sa renommée depuis 1791, Girard-Perregaux est à l’origine d’avancées majeures pour le monde de l’horlogerie. Elle continue dans cette voie, enrichissant un arti sanat d’exception en Suisse, berceau de cette activité, et dans le monde entier. Luigi Macaluso, Président de Girard-Perregaux 1. François Perregaux et Hanzo, son ami et assistant
A l’époque où naît François Perregaux (1834), la production horlogère À L’AUBE DE L’ÈRE INDUSTRIELLE suisse est déjà concentrée là où elle se trouve aujourd’hui, soit dans la région de Genève, la vallée de Joux et les Montagnes neuchâteloises. A propos de ces dernières, précisons qu’elles ne deviennent suisses qu’en 1848. En revanche, l’organisation est très différente de celle que nous connais- sons de nos jours : il n’existe aucune usine, mais une multitude de petites entreprises, généralement spécialisées dans la fabrication d’une partie de la montre, qui livrent leur production à des négociants en horlogerie. Ceux-ci assemblent la montre et y apposent leur nom. On les appelle les établisseurs. Les deux cités des Montagnes neuchâteloises, La Chaux- de-Fonds et Le Locle, d’où François Perregaux est natif, en comptent plus de cent. De ce fait, les forces sont extrêmement dispersées et peu de négociants disposent de la puissance financière nécessaire pour explorer de nou- veaux marchés, pourtant indispensables à leur survie. Cette dispersion est également la raison pour laquelle le concept de marque tel que nous le connaissons aujourd’hui n’est pas encore bien établi. Il faut attendre le dernier tiers du XIXe siècle pour que les plus puissants de ces négo- ciants, à l’image de Constant Girard-Perregaux, imposent leur nom, et que les premières usines apparaissent. L’horlogerie entre définitivement dans l’ère industrielle. 2 3 Les débuts de l’horlogerie dans les Montagnes neuchâteloises remontent à la fin du XVII e siècle. Son développement fut favorisé par les conditions météorologiques hivernales particulières, qui contraignaient les habi- tants, dont de nombreux agriculteurs, à demeurer durant de longs mois à l’intérieur de leur logis. Habiles à travailler les différents bois et métaux mais également la dentelle, ayant le goût du bel ouvrage, ceux que l’on 2. Charles-Samuel Girardet, Intérieur neuchâtelois, 1819 nomma les « paysans-horlogers » furent dans un premier temps des arti- sans autodidactes. 3. La Chaux-de-Fonds, rue des Juifs, vers 1840
QUELQUE PART DANS LE JURA SUISSE 4. Henri-François Perregaux (1797-1847), père de François Perregaux C’est dans la petite ville du Locle, située au cœur des Montagnes neu- châteloises et distante de quelques kilomètres seulement de La Chaux- de-Fonds, que voit le jour, le 25 juin 1834, François Perregaux, fils d’Henri- François, capitaine de milice et marchand horloger, et de Rosalie, née Matthey-Junod. 4 La famille Perregaux s’installe quatre ans plus tard dans une belle demeure qui portera désormais son nom, au sein du quartier du Crêt-Vaillant. François y grandit, entouré de ses cinq frères et sœurs, Julie, Françoise, Henri, Marie et Jules. La disparition prématurée du chef de famille en 1847 confirme la voca- tion des frères Perregaux : ils seront tous les trois horlogers ! 5. Extrait de l’arbre généalogique de la famille Perregaux (1954) 6. Le Locle, vue de l’est, vers 1860
Formidables vitrines technologiques et industrielles, les expositions universelles ont pour but de comparer l’évolution des différentes nations qui y exposent leurs Dans le sillage de la première exposition universelle, rassemblement L’ÂME D’UN VOYAGEUR produits. Octroyant prix, médailles et extraordinaire qui a lieu à Londres en 1851, s’ouvre deux ans plus tard à mentions aux plus méritants, elles contri- New York une exposition des produits de l’industrie de toutes les nations buent largement au progrès au cours de (Exhibition of the Industry of all Nations). la révolution industrielle. Leurs lieux d’accueil subiront d’importants bouleversements François Perregaux décide-t-il de s’embarquer pour l’Amérique à cette urbanistiques et conservent aujourd’hui occasion ? Toujours est-il que les autorités neuchâteloises lui délivrent au certaines constructions gigantesques ayant début de l’an 1853, en date du 22 janvier, le passeport portant le signa- survécu à leur statut éphémère initial. lement suivant : « Le Citoyen Fs Perregaux Négociant, originaire de Corcelles & Cor mondrèche, domicilié au Locle, allant dans l’Amérique du Nord, âgé de 19 ans, taille de 5 pieds 3 pouces, cheveux châtain foncé, front décou- vert, sourcils châtains, yeux gris, nez ordinaire, bouche moyenne, barbe châtain, menton rond, visage ovale, teint pâle, signe particulier –. »* Le Loclois reste à New York durant six ans, représentant la maison H. Perregaux & Co. Outre ce comptoir établi sur le Nouveau Continent, les frères Perregaux, poursuivant l’œuvre de leur père, disposent également d’un point d’exportation à Calcutta, alors capitale des Indes anglaises. * Archives de l’Etat de Neuchâtel, C 561, N° 39, 22 janvier 1853 6 7 8. Henri Perregaux, Chronomètre de marine, Le Locle, vers 1860 7. Carte de visite de la maison H. Perregaux & Co., New York 9. William England, Vue de New York, 1859
Si les frères Perregaux figurent parmi les négociants horlogers les plus NAISSANCE D’UNE GRANDE MAISON importants de la Mère Commune, soit Le Locle, il en va de même pour les frères Girard à La Chaux-de-Fonds, bientôt connue sous le nom de Métropole horlogère. C’est par un apprentissage auprès d’un horloger de La Sagne, à proxi- mité de La Chaux-de-Fonds, que débute la carrière de Constant Girard, né en 1825. Associé dans un premier temps, il exerce sous le nom col- lectif de « Calame-Robert & Girard » (1845) puis dès 1852 sous celui de « Girard & Cie », aux côtés de son frère aîné Numa. Deux ans plus tard, Constant Girard épouse une jeune femme du Locle, âgée de vingt-deux ans : Marie Perregaux, qui n’est autre que la sœur de François. Girard-Perregaux, la Maison qui porte de nos jours encore les patronymes réunis de Constant et Marie, voit le jour en 1856. Ses affaires se développant extrêmement rapidement, elle devient bientôt l’une des plus puissantes de la place. Cette alliance est renforcée quelques années plus tard par l’arrivée dans l’entreprise d’Henri Perregaux, qui entreprend, avec l’accord de sa mère Rosalie, la liquidation de l’établissement paternel. Constant Girard- Perregaux nomme son beau-frère mandataire spécial de la Maison dans les divers Etats du nord et du sud de l’Amérique, une procuration qui s’étendra plus tard aux Antilles. Henri embarque pour Buenos Aires en 1865, accompagné de son épouse Cécile. Le cadet de la famille Per- regaux, Jules, s’engage également dans le développement des affaires familiales outre-Atlantique. 8 Mais que devient leur frère François, rentré d’Amérique en 1859 ? 10. Extrait de l’arbre généalogique de la famille Girard (1954) 11. Constant et Marie Girard-Perregaux
Hommage à la longue tradition du savoir-faire horloger de la Mai- son, le Musée Girard-Perregaux 12. Girard-Perregaux, Montre-pendentif, La Chaux-de-Fonds, vers 1860 est situé à quelques pas de la Manufacture, dans une belle bâtisse 13. La Chaux-de-Fonds, vue du nord, vers 1860 de style néoclassique. Inauguré en 1999, il présente une sélection de montres anciennes illustrant l’histoire de la Marque.
Modifiant le rapport de l’homme avec l’espace et le temps, la ligne ferro- NOS FORCES UNIR viaire reliant Le Locle à La Chaux-de-Fonds, indispensable au développe- ment accéléré de l’industrie horlogère dans la région, est inaugurée en 1857. Henri Perregaux est l’un des promoteurs de ce nouveau moyen de locomotion dans les Montagnes neuchâteloises. Une année après la construction du chemin de fer les ayant rapprochées, les liens industriels entre les deux villes sont renforcés par la fondation de l’Union Horlogère. Celle-ci compte parmi ses membres François Per- regaux, Henri et leur mère Rosalie ainsi que son beau-frère Constant Girard-Perregaux, sans oublier le frère de ce dernier, Numa Girard. L’association, regroupant des fabricants d’horlogerie des cités sœurs, a pour but la défense des intérêts de l’industrie horlogère suisse, à l’étranger en particulier, avec la création de comptoirs d’exportation. Les négociants suisses sont en effet contraints, afin d’écouler leurs produits manufacturés, de chercher de nouveaux marchés, toujours plus loin. Les horlogers neuchâtelois ne sont pas en reste et certains se sont aventurés, au début du XIXe siècle, jusqu’en Chine, sous la protection de puissances occiden- tales y ayant déjà ouvert des comptoirs. L’Union Horlogère conçoit très vite le projet d’établir un comptoir d’ex- portation en Asie. Son regard se tourne vers le Japon, qui s’est ouvert au commerce international quelques années auparavant, en 1853, et qui s’annonce comme un nouveau marché prometteur. La jeune société confie cette importante mission à deux hommes : l’agent principal sera Rodolphe Lindau, homme de lettres originaire du royaume de Prusse, et l’agent adjoint, spécialisé dans le commerce de l’horlogerie et reconnu 12 pour son expérience en ce domaine, François Perregaux. A peine revenu de New York, il ne séjournera pas longtemps dans sa ville natale. Nous sommes au printemps 1859. 14. Passeport de François Perregaux pour l’Asie, 21 mars 1859
L’un des protagonistes principaux de l’ère industrielle est la machine à vapeur, qui fournit à l’homme la puissance exigée par les travaux Le 20 avril 1859, François Perregaux quitte Le Locle et gagne Marseille, de cette époque. N’en comportant L’EXTRÊME-ORIENT CAP SUR pas moins des mâts, les navires où il embarque le 28, en compagnie de Rodolphe Lindau, à bord d’un empruntés par François Perregaux bateau à vapeur à destination d’Alexandrie, via Malte. pour traverser mers et océan bé- e néficient de cette invention mémo- Jusqu’au milieu du XIX siècle, les navires appareillant en Europe et se rable et arborent roues à aubes – rendant en Asie doivent contourner le continent africain en passant par ou hélice – et cheminées. Leur iti le cap de Bonne-Espérance. En effet, le canal de Suez, reliant la mer néraire est tracé en fonction des Méditerranée à la mer Rouge, ne sera ouvert qu’en 1869. Le premier escales que nécessite le réapprovi coup de pioche est donné dix ans auparavant, le 25 avril 1859, soit sionnement des soutes en charbon. quelques jours avant le passage de Perregaux en Egypte. Car l’horloger loclois et son compagnon prussien, renonçant à passer par le cap, optent pour la solution rapide, empruntant le chemin de fer reliant Alexandrie à Suez, via Le Caire. Inauguré à la fin de l’année précédente, il permet la traversée de l’isthme en quelque douze heures. A Suez, les deux hommes reprennent un bâtiment à vapeur et descendent la mer Rouge, passent le détroit de Bab el-Mandeb pour rallier Aden avant d’entamer la traversée de la mer Arabique. De Bombay, ils s’enga gent dans l’océan Indien, font escale à Galle, tout au sud de l’île de Ceylan, puis à l’île de Pulau Pinang. A l’issue du détroit de Malacca, ils atteignent Singapour, le 31 mai, à peine plus d’un mois après leur départ du port de Marseille. Lindau y séjourne six semaines puis s’embarque à destination de l’Empire du Soleil levant, chargé d’y créer un comptoir d’exportation. Il est invité par le consul général de France au Japon et gagne la ville de Yeddo* en sa compagnie. Quant à Perregaux, il demeure à Singapour, véritable plate-forme commerciale sous contrôle britannique, afin d’y étudier l’éta- blissement d’un comptoir dont il sera le gérant. Installé à Battery Road, il 14 loge à l’Hôtel de l’Espérance. *Ancien nom de Tokyo. On trouve également les termes Yedo, Jeddo, Jedo ou encore Edo. 15. Extrait du rapport du Conseil d’administration de l’Union Horlogère à l’assemblée du 4 février 1860 16. Battery Road, Singapour, vers 1860
Bientôt appelé à succéder à Rodolphe Lindau à la tête du comptoir de et bénéficiant du soutien du consul des Etats-Unis à Singapour, il cherche RECHERCHE PROTECTION, ACTIVEMENT Yokohama, François Perregaux prépare son départ pour l’archipel nip- à obtenir, dans le courant du mois d’août 1860, la protection du consul pon, multipliant les démarches administratives. En effet, aucun traité de américain en poste à Yokohama. En vain. C’est finalement la France qui commerce et de libre établissement n’ayant été signé entre la Suisse et le la lui accorde. Japon, il est impossible au négociant suisse de s’installer dans ce pays. La suite du périple de François Perregaux dépend de la bienveillance Au mois d’octobre 1860, ayant confié le comptoir de Singapour aux des consuls accrédités et du bon vouloir du Gouvernement japonais, le bons soins de son compatriote Fritz Nicolet, notre horloger reprend la Suisse devant obtenir la protection exceptionnelle de l’une des légations mer, à destination de Yokohama, où l’attend un certain Edouard Schnell. étrangères en place au Japon. Ayant résidé durant six ans à New York C’est le Suisse Pierre-Jo- 18 seph Rossier, né en 1829 19 dans le petit village de Grandsivaz, dans le can- ton de Fribourg, qui réalise à la fin des années 1850 les premières vues stéréo- scopiques du Japon. Enga- gé par l’importante firme londonienne Negretti & Zambra, ce compatriote et contemporain de François Perregaux dispose d’un matériel de pointe et initie 17. Pierre-Joseph Rossier, Le Temple de l’Empereur, à Jeda, 1861 les Japonais à l’art de la photographie.
Lorsque François Perregaux débarque à Yokohama en 1860, le Japon vit périodes varie selon les saisons. Il faut donc régulièrement régler les hor- DU SOLEIL LEVANT LE TEMPS AU PAYS une période de transition nommée « Bakumatsu » (1853-1867), faite de loges, en l’occurrence tous les quinze jours, soit vingt-quatre fois par an. profonds bouleversements provoqués par le passage de l’âge féodal ou A noter que les Japonais comptent les « heures » à reculons, le chiffre le « Edo » à l’ère moderne ou « Meiji », instaurée plus élevé, 9, étant attribué à midi et à minuit, et ainsi de suite jusqu’à 4. en 1868. A la suite d’un premier traité Chaque période porte le nom d’un animal correspondant à un signe du signé avec les Etats-Unis en 1854, zodiaque (9 minuit est la période du rat, par exemple). l’archipel est contraint de s’ouvrir au commerce international et de mettre Les horlogers japonais doivent donc construire des pendules tenant fin à sa politique d’isolationnisme. compte de ces longueurs « d’heures variables », capables d’accélérer ou Ce sont pour le Japon des années de ralentir au fil du temps. Dans la majorité des cas on a recours à des de violente mutation, déchiré qu’il mouvements équipés de deux foliots, l’un pour le jour, l’autre pour la est entre sa volonté de conserver son nuit. Des masselottes que l’on peut déplacer le long des bras des foliots autarcie et ses traditions, et son désir permettent d’en réguler la vitesse. d’apprendre à connaître la culture occidentale et d’assimiler les tech- niques de son industrie. La mesure du temps dans ce pays est alors totalement diffé- rente du système horaire occi- dental. Il existe deux systèmes, l’un dit équinoxial, utilisé par les astronomes, et l’autre dit de l’heure civile, telle qu’elle est af- fichée par les pendules en usage dans la société japonaise. En résumé, le système de l’heure 20 civile considère six périodes de 21 longueur égale du crépuscule à l’aube et six de l’aube au cré- puscule, mais la longueur de ces 18. Anonyme, Horloge de type « pilier » « Shaku-Dokei », Japon, début du XIXe siècle Don de Constant Girard-Gallet, neveu de F. Perregaux, au Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds 19. Horloger japonais fabriquant une horloge, début du XIXe siècle
Plusieurs horloges japo- naises figurent au sein des collections du Musée international d’horloge- rie, à La Chaux-de-Fonds. Quatre d’entre elles ont été données à l’institu- tion par le neveu de Fran- çois Perregaux, Constant Girard-Gallet, fils aîné de Constant et Marie Girard- Perregaux. 21. Anonyme, Horloge à poids « Yagura-Dokei », Japon, début du XIXe siècle Don de Constant Girard-Gallet, neveu 20. Cadran d’horloge japonaise traditionnelle de F. Perregaux, au Musée international d’horlogerie, La Chaux-de-Fonds Ce système est parfaitement adapté à une époque où on se lève et se couche avec le soleil, et où toutes les activités sont organisées en consé- quence. Le palais impérial ou château d’Edo, mais aussi les commerces ouvrent leurs portes au lever du soleil et ferment à la nuit tombée. Ce 22 système fixe également les horaires des repas ou encore l’ouverture des 23 établissements de bains. Dans ce contexte, on peut se demander quel genre de succès commercial peut espérer remporter François Perregaux avec ses garde-temps occi- dentaux… Afin d’assurer sa survie sur le sol nippon, il n’aura d’ailleurs d’autre choix que celui de diversifier ses activités. Le 1er janvier 1873, le Japon, entré dans l’ère Meiji, poussé par les contraintes de la modernisation et notamment la construction du réseau ferroviaire, adoptera l’heure et le calendrier européens. D’un seul coup, la totalité des pendules et garde-temps japonais devient obsolète… Les importations régulières peuvent commencer.
Si la List of French Subjects resident at the Port of Kanagawa on the FRANÇOIS PERREGAUX, PREMIER HORLOGER SUISSE AU JAPON 31 December 1861 (reproduite page 29), dressée par le British Consul ate Kanagawa, atteste que François Perregaux est établi à cette date sur le sol japonais, la correspondance du diplomate suisse Aimé Hum- bert (1819-1900), figurant aux Archives de l’Etat de Neuchâtel, nous apprend qu’il navigue en direction de Yokohama à la mi-octobre 1860 déjà, et s’y trouve au mois de décembre. Le Loclois fait ses premiers pas dans un pays en pleine mutation aux côtés d’un précieux guide, Edouard Schnell. Originaire de La Haye, parlant la langue de son pays ainsi que l’alle- mand, le français et le japonais, le jeune Hollandais est arrivé au Japon en 1858 et a été engagé par Rodolphe Lindau au service de l’Union Horlogère au début de l’an 1860. Sa nationalité – la Hollande et le Japon entretiennent des relations commerciales depuis 1609 déjà – lui permet de passer avec le Gouvernement japonais, sous son nom mais pour le compte de l’Union, les actes nécessaires afin d’obtenir une concession de terrain. Sur celle-ci sera construite une maison et ses dépendances (godowns, cuisine et écurie à chevaux) : le comptoir de Yokohama. 24 22. François Perregaux
Mais la mission de Perregaux et Schnell, gérant et employé de l’établisse- Les musiques, montres, pendules, articles de Paris, bijouterie etc. n’ont ment, devenus très vite des amis, n’est pas aisée, comme en témoignent jamais été l’objet d’une consommation importante : on vendait bien ces leurs rapports envoyés à l’Union Horlogère (1861) : articles à des prix très élevés, mais plutôt comme objets de curiosité que d’utilité ; à mesure que les importations de ces articles ont été plus consi- La vente des montres est très difficile. Les Japonais ne s’en servent pas ; dérables, ils ne restaient plus un objet de curiosité et les prix baissèrent ; seulement quelques officiers de la douane qui, par les rapports qu’ils ont bientôt la vente en devint presque impossible.* avec les Européens, doivent savoir l’heure. Mais la différence qu’il y a * Archives de l’Etat de Neuchâtel, Fonds Aimé Humbert, volume 3, 25 février 1862 entre l’heure japonaise et notre manière de compter le temps, le luxe que c’est pour un Japonais d’acheter un objet qui lui coûte 40 à 50 Itzibous, tandis que tous les habits qu’il porte lui coûtent 3 à 4 Itzibous, est cause que les montres ne pourront pas se vendre en grande quantité et qu’il se passera encore du temps avant que cet article ait le débit dont il jouit en Chine. […] 23. Pierre-Joseph Rossier, Jeunes femmes japonaises en kimono d’hiver, 1861 26 27
Dans ces conditions, le comptoir asiatique se révèle rapidement être un échec commercial. Il est liquidé en juillet 1863, lors du séjour de la pre- mière mission diplomatique suisse au Japon. L’Union Horlogère ne lui survit pas longtemps, dissoute au printemps 1865, ses affaires bancaires étant reprises par le Comptoir d’escompte neuchâtelois. Libérés de leurs obligations vis-à-vis de l’Union et fermement résolus à demeurer sur le fascinant archipel, Perregaux et Schnell décident de s’associer en étendant leurs activités. Ils fondent à Yokohama, le 12 janvier 1864, la société SCHNELL & PERREGAUX, assurant l’importation et la distribution de biens européens au Japon (General Commission and Import Merchants). Edouard Schnell ayant pris la décision de s’engager dans le conflit oppo sant les troupes de l’empereur aux partisans du shogun, cette première société est dissoute un an plus tard. Le Hollandais se lance dans le com- merce d’armes européennes et gagne le nord du pays où la guerre civile fait rage. Pour François Perregaux, pacifiste, il est hors de question de prendre part aux hostilités. Il demeure à Yokohama et y crée cette même année sa propre compagnie, F. PERREGAUX & Co., horlogerie – montres et pen dules – et bijouterie, import, réparations et réglages. Il est l’agent officiel de la Maison Girard-Perregaux et son unique représentant au Japon. 28 24. Liste des sujets français résidant dans le port de Kanagawa, 31 décembre 1861 25. Annonce de l’association de « Schnell & Perregaux » (The Japan Herald, 16 janvier 1864) 26. Annonce de la dissolution de « Schnell & Perregaux » (The Japan Herald, 25 février 1865)
L’une des préoccupations majeures d’Aimé Hum- Le 6 février 1864, dans le temple de Choji à Edo, est enfin signé, entre bert avant son départ pour l’Asie est de réunir des HISTORIQUE UN MOMENT cadeaux destinés à être offerts au Gouvernement une petite délégation suisse et des représentants du Gouvernement impé- japonais lors de la signature du traité, le diplo- rial japonais, le traité d’amitié et de commerce qui va rendre légale la mate souhaitant que ces présents soient représen- position de François Perregaux au Japon. tatifs de la Suisse. Le canton de Neuchâtel enverra L’homme chargé par le Conseil fédéral de cette délicate mission et qui a entre autres des chocolats, de l’absinthe, des mon- œuvré durant plusieurs années pour ce moment historique est le Chaux- tres ainsi que des œuvres d’art. de-Fonnier Aimé Humbert (1819-1900), nommé pour la circonstance « Envoyé extraordinaire et ministre plénipotentiaire de la Confédération Suisse au Japon ». Remporté avec le soutien de la Hollande, ce succès diplomatique est également économique puisqu’il va permettre aux horlogers suisses d’ex- porter officiellement leurs produits sur le marché nippon. Arrivé au Pays du Soleil levant en avril 1863, Aimé Humbert doit patien- ter près d’une année avant que les autorités japonaises acceptent d’entrer en matière. Il met à profit ces longs mois d’attente pour visiter le pays, il s’en imprègne, prend des notes, recueille des témoignages, des dessins, estampes, photographies, etc., qui vont constituer la matière de base pour le livre qu’il projette de publier sur le Japon. A son retour en Suisse, Humbert, messager de François Perregaux, rend visite à sa famille, au Locle et à La Chaux-de-Fonds. Le diplomate écrit à l’horloger demeuré au Japon, le priant de le tenir au courant des affaires de l’archipel. Il l’encourage à développer un commerce d’œufs de vers à soie ainsi que de thés japonais. Mais surtout, il lui demande de récolter toute histoire, légende populaire, conte d’enfant ou autre chanson qui pourraient enrichir son ouvrage en cours de rédaction. Le Chaux-de- 30 Fonnier dépêche de même le Loclois auprès de photographes à Yoko hama, afin qu’il sélectionne et lui expédie les dernières nouveautés en matière de clichés : créant l’événement, Le Japon Illustré paraît en 1870, publié en deux volumes par la maison Hachette, à Paris. 27. Aimé Humbert (1819-1900) 28. Chanteuse accompagnée de musiciennes, vers 1870 29. Une librairie à Yedo, vers 1870
En s’établissant à Yokohama l’année suivant l’ouverture de son port au Des jardins publics, aires de jeu et terrains de sport sont aménagés tandis LA COSMOPOLITE YOKOHAMA commerce international, François Perregaux est au cœur de l’extraordi- que des restaurants, bars et théâtres offrent un large choix d’activités et naire métamorphose que connaît le site dans la seconde moitié du XIXe de divertissements aux résidents de la ville portuaire. siècle. Ce dernier passe en quelque vingt ans du statut de village de De nombreux clubs se créent, à l’image de la Société suisse de tir, The pêcheurs à celui de cité moderne à l’architecture de style occidental. Swiss Rifle Association, fondée par les négociants suisses avant 1865 et La mutation de Yokohama est à l’image de celle du Japon, Etat féodal dont François Perregaux assure la présidence. Cette association organise coupé du monde qui évolue en l’espace de quelques dizaines d’années deux fois l’an une grande fête, réputée être la plus belle de la place et à en une puissance industrielle mondiale. La cité, dont le port commercial laquelle prennent part les représentants de toutes les nations établies à est devenu le plus important du pays, se construit au fil des ans sur un Yokohama. Ce jour-là, tous les visiteurs sont conviés à participer à la com- marais drainé par de multiples canaux. Elle comprend différents quartiers pétition, au même titre que les membres du club, et des prix substantiels dont le « Bluff », aire résidentielle réservée aux étrangers, le « Settlement », récompensent les meilleurs tireurs. où ceux-ci exercent leur activité commerciale, « Native Town », parcelles occupées par les Japonais eux-mêmes, sans oublier « China Town », où Les étrangers établis à Yokohama sont essentiellement des commerçants, se regroupent les Chinois. des diplomates ainsi que des missionnaires. En 1863, selon les écrits d’Aimé Humbert, la communauté des commerçants occidentaux est Le plan qu’en établit l’ingénieur français Clipet en 1865 – dont un exem- constituée de 80 Anglais, 70 Américains, 30 Hollandais, 30 Français, plaire en couleurs est conservé aux Archives fédérales suisses à Berne 16 Allemands, 8 Portugais et 8 Suisses. – permet de situer l’emplacement des différentes légations, propriétés pri- La vie des immigrés est rythmée par les mouvements des navires dans vées, maisons de commerce, douanes, édifices religieux, hôpitaux, etc. la rade : arrivée/départ des proches, envoi/réception des marchandises Annotations et ajouts de couleurs (certainement de la main de Rodolphe ainsi que des lettres et colis, qui représentent l’unique lien avec l’Occi- Lindau en 1866) confirment la présence du Suisse François Perregaux sur dent. Elle l’est également par la parution quotidienne des journaux, dont les lots 136 et 138 du « Settlement ».* L’Echo du Japon, Journal politique, commercial et littéraire, Organe des intérêts français dans l’Extrême-Orient, qui est le reflet de la vie de la Quant au « Bund », soit le quai, il accueille les constructions les plus pres- communauté francophone. tigieuses, occupées par les importantes banques et sociétés, les compa- gnies maritimes, diverses boutiques et galeries, le « Grand Hôtel », des clubs ainsi que quelques résidences privées. 30. Panorama de la ville de Yokohama à l’époque où François Perregaux s’y installa 32 * Archives fédérales suisses, Berne, E 6 / volume 36, dossier 169 31. Pages suivantes : plan de Yokohama, vers 1866 33
Outre ses compatriotes, les familiers de François Perregaux sont les diplo Parmi les spécialités suisses qu’importe et fait découvrir mates des légations étrangères mais aussi des personnalités telles que François Perregaux à ses nouveaux amis japonais se Joseph Heco, né Hikozo Hamada (1837-1897), actif dans les milieux trouve l’absinthe, un produit du terroir neuchâtelois. diplomatiques et premier Japonais à accéder à la citoyenneté américaine, Fabriqué principalement à Couvet, une localité voisine du Locle, cet apéritif aux vertus dites thérapeutiques est le photographe italien Felice Beato (1834 ?-1907 ?), Charles Wirgman surnommé la « Fée Verte ». Accusée par la suite de (1832-1891), journaliste et caricaturiste anglais, sans oublier l’ami James rendre fous ses assidus consommateurs, elle sera prohi- Favre-Brandt (1841-1923), horloger et Loclois lui aussi, arrivé au Japon bée dès 1910 et réhabilitée en 2005 seulement. en 1863 avec la mission diplomatique conduite par Aimé Humbert, et qui sera bientôt rejoint par son frère Charles. Malgré ce précieux cercle d’amis et la fascination qu’exerce le Pays du Soleil levant sur l’horloger suisse, la vie s’avère sans concession à Yoko- 32. Publicité pour la Fabrique hama. Incendies et tremblements de terre ravagent régulièrement la cité de Boissons Gazeuses (L’Echo du Japon, 29 avril 1875) en pleine expansion. Demeurant dans les mémoires, l’incendie de 1866 détruit une importante partie de la ville et cause un grave préjudice aux affaires de François Perregaux, qui connaît déjà des difficultés à écouler ses produits horlogers. En 1874, comme le rapporte The Far East du mois d’avril (vol. 5, N° IV), il est victime d’un cambriolage. A son domicile du Bluff N° 168 sont dérobés en son absence un baromètre, une horloge, des livres, divers effets personnels ainsi qu’une montre de poche en or portant le nom de son propriétaire gravé à l’intérieur du boîtier. Outre son commerce d’horlogerie, François Perregaux crée une fabrique de boissons gazeuses qui est, au milieu des années 1870, « le seul éta blissement au Japon fabriquant toutes les boissons gazeuses d’après les dernières recettes des meilleures maisons de Paris et de Londres » ! Pro posant également divers sirops, de l’absinthe et un large éventail de vins, 36 cette maison, fondée à Yokohama en 1872, dispose d’un agent à Tokyo. 37 L’annuaire The Japan Directory signale la présence, en tant que commer- çant, de l’horloger loclois à Yedo (Tokyo) pour les années 1872, 1873 et 1874. C’est certainement la construction de la voie ferrée reliant Yoko- hama à Tokyo qui le décide à s’établir pour quelque temps dans celle-ci. La ligne est en effet inaugurée en 1872 et permet de rallier la cité voisine en une heure environ. Elle constitue un lien tant commercial que social entre les deux agglomérations. Pour Yedo comme pour Yokohama, cette période de changements extrêmes sera déterminante. A la fin du XIXe siècle, la ville d’adoption de François Perregaux est considérée comme l’une des cités les plus cos- mopolites au monde. 33. La Société suisse de tir, Yokohama (The Far East, 1er juin 1871)
35. Girard-Perregaux, Tourbillon sous trois Ponts d’or « La Esmeralda », La Chaux-de-Fonds, 1889 Témoignant de dons exceptionnels pour l’horlogerie, Constant Girard- 36. Girard-Perregaux, Chronomètre à tourbillon produit pour l’Amérique latine, La Chaux-de-Fonds, 1878 PENDANT CE TEMPS, EN SUISSE Perregaux se consacre à l’étude et à la réalisation de divers systèmes d’échappements et en particulier celui à tourbillon. La qualité et la beauté de ses créations sont récompensées par de nombreux prix et distinctions lors d’expositions et concours nationaux et internationaux. Ses chrono- mètres obtiennent de même des résultats remarquables à l’Observatoire de Neuchâtel. C’est lors de l’Exposition universelle de Paris, en 1867, que Constant Girard-Perregaux présente pour la première fois une montre d’un calibre particulier, à ponts droits aux extrémités pointues, pièce à laquelle il ne cessera d’apporter des perfectionnements. Homme passionné et généreux, il prend également une part active à la vie sociale, politique et économique de La Chaux-de-Fonds, sa ville natale, dont il fait partie des autorités. Au début des années 1880, il s’associe à son fils Constant Girard-Gallet. Ils connaissent la consécration en 1889, lorsque leur fameux Tourbillon sous trois Ponts d’or, aujourd’hui icône de la Maison Girard-Perregaux, remporte une médaille d’or à l’Exposition universelle de Paris. 38 Inventé au tout début du XIX e siècle, le tourbillon permet de compenser les écarts de marche d’une montre dus à la gravité terrestre, grâce à une cage mobile qui porte l’organe réglant. Constant Girard-Perregaux intègre ce dispositif dans une architecture remarquable, brevetée en 1884 : les trois Ponts maintenant les mobiles du mouvement sont redessinés en forme de flèches et disposés en parallèle. C’est une vision totalement innovante : le mouvement n’est plus seulement un élément technique et fonctionnel, mais aussi un élément de design à part entière. Le Tourbillon sous trois Ponts d’or est couronné d’une médaille d’or à l’Exposition 34. Girard-Perregaux, Tourbillon sous trois Ponts nickelés, La Chaux-de-Fonds, vers 1860 universelle de Paris en 1889.
On peut imaginer qu’avant l’introduction du système horaire occidental au UNE COLLECTION EXCEPTIONNELLE Japon en 1873, la montre y fait figure de curiosité puisque inutile… Il était donc délicat d’imaginer le goût des Japonais en matière horlogère au moment où ceux-ci adoptent la division du temps telle que l’Europe la concevait. Sans pouvoir l’affirmer, il semble que l’aspect de la curiosité subsiste, dans la mesure où les montres avec fond vitré permettant d’admirer le mouvement ont les premières faveurs du public. Souvent d’ailleurs, les mouvements sont ornés de gravures, rendant ainsi la montre plus précieuse. Pour le boîtier, l’or n’est pas une priorité, on lui préfère l’argent. Peu à peu, le public japonais adopte les montres de poche genre Lépine (sans couvercle sur le cadran) mais avec fond en métal, ou savonnette (avec couvercle). François Perregaux peut alors importer des montres de produc- tion plus courante, tout en les adaptant aux goûts locaux. Parmi ces pièces, quatre sont aujourd’hui la propriété de Nobuyoshi Okawa, établi à Osaka. C’est suite au présent d’une montre de poche, de fabrica tion suisse et datant des années 1870, que lui fit sa grand-mère, que cet homme se mit à collectionner les garde-temps de cette époque. Ce fut le début d’une véritable passion qui le mène à fréquenter assidûment, depuis plus de trente-cinq ans maintenant, détaillants d’horlogerie, antiquaires, répa rateurs et restaurateurs, marchés aux puces ainsi que ventes aux enchères. Nobuyoshi Okawa voue un intérêt particulier à François Perregaux, dont il admire l’extraordinaire aventure et les valeurs humaines. Emu par ce pion- nier qui, usant de patience et d’ingéniosité, fut à l’origine du marché horloger au Japon, il souhaite lui redonner sa juste place et recherche en particulier 40 les pièces qu’il a importées. Elles sont difficiles à trouver mais cela ne décou- rage pas le collectionneur qui, à force de persévérance, parvient à acquérir quatre montres créées par Girard-Perregaux pour le marché japonais dans les années1870. Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1865 Boîtier en argent cannelé sur son pourtour Diamètre : 39,60 mm Cadran en émail blanc Double fond vitré Mouvement : 15½’’’, gravé main et doré au mercure. Echappement à ancre à longue tige d’équilibrage en forme de tête de grue, balancier bimétallique autocompensateur. Fonctions : heures, minutes, petite seconde.
Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1875 Montre Lépine, signée « Girard-Perregaux », vers 1875 Boîtier en argent cannelé sur le pourtour et guilloché sur le fond Boîtier en argent guilloché Diamètre : 43,80 mm Diamètre : 41,80 mm Cadran en émail blanc Cadran en émail blanc Mouvement : 17¾’’’, gravé main et doré au mercure. Mouvement : 16¾’’’, doré au mercure. Echappement à ancre à longue tige d’équilibrage, Echappement à ancre, balancier bimétallique autocompensateur. balancier bimétallique autocompensateur. Fonctions : heures, minutes, petite seconde. Fonctions : heures, minutes, petite seconde.
Montre Lépine double face, signée « Girard-Perregaux Chaux-de-Fonds », vers 1877 Boîtier en or jaune guilloché Diamètre : 50,90 mm Deux cadrans en émail blanc Mouvement : 19’’’, rhodié. Echappement à ancre, spiral Breguet, balancier bimétallique auto- compensateur. Fonctions : heures, minutes, petite seconde, triple quantième (jour de la semaine, date, mois) et indication des phases de lune. 44 45 Nobuyoshi Okawa documente soigneusement chaque pièce. A l’époque de gravures, est protégé par un verre qui permet d’en admirer l’impres- de François Perregaux, les préférences des amateurs japonais vont aux sionnant mécanisme. L’on ne fait figurer aucune inscription à l’intérieur montres de poche en argent, avec cadran d’émail blanc orné de chiffres du couvercle ou du boîtier, que l’on préfère à fond plat, car la moindre romains très fins et d’élégantes aiguilles. Le mouvement, parfois enrichi marque est considérée comme une insulte à l’objet.
Comptant parmi les figures marquantes de la communauté francophone à Yokohama et l’un de ses plus anciens rési- dents, François Perregaux est croqué par l’anglais Charles TROP TÔT DISPARU… Wirgman. Dès 1862 et durant vingt-cinq ans, ce célèbre cari 38. Caricature de François Perregaux, au premier plan à droite caturiste relate, dans sa publi (The Japan Punch, juin 1875) cation satirique « The Japan Punch », la vie mouvementée du Foreign Settlement. 37. Annonce publicitaire, F. Perregaux agent de Girard-Perregaux (The Japan Gazette, Hong List and Directory, 1er janvier 1877) Le développement accéléré de l’industrie sur l’archipel nippon et la La nécrologie que publie L’Echo du 46 construction d’un réseau de chemin de fer, couronnés par l’adoption, Japon le jour même présente l’horlo- 47 au début de l’an 1873, du système de mesure du temps occidental sont ger suisse comme « l’un des plus an- autant de bouleversements qui modifient le statut de la montre de poche. ciens résidents du Japon » et ajoute : D’objet de parure réservé à une élite, elle devient un instrument indispen- « La mort de Mr. Perregaux laisse de sable à la vie contemporaine et est bientôt accessible à la majorité. Le vifs regrets dans la colonie où il jouis- nombre d’importations croît progressivement, mais François Perregaux, sait de l’estime et de l’affection de dont le commerce d’horlogerie et bijouterie (Watchmakers and Jewellers) tout le monde. » L’Edition de la Malle favorablement situé au N° 71 de la commerçante Main Street était promis du 31 décembre confirme qu’il était à un bel avenir, ne vivra que peu de temps cette ère nouvelle. Victime « aussi aimé qu’estimé de tous ceux 39. Nécrologie de François d’une attaque d’apoplexie le 10 décembre 1877, il succombe huit jours qui le connaissaient, c’est-à-dire de Perregaux (L’Echo du Japon, plus tard, soit le 18. la communauté entière ». 18 décembre 1877)
42. Tombe de François Perregaux au cimetière des étrangers, Yokohama (2009) Toujours dans L’Echo du Ja- pon paraît le 22 décembre un avis invitant les créanciers et débiteurs du commerçant à s’annoncer auprès de l’exécuteur testamentaire, son ami James Favre-Brandt. Deux ventes aux enchères de ses biens (terrains, bâtiments, mobilier, objets, etc.) sont annoncées pour les 28 mars et 6 avril 1878 (L’Echo du Japon, 15 et 23 mars, 2 avril 1878). La seconde vente, propo- sant la propriété du lot N° 138 du Swamp ainsi que les matériel et stock de la Fabrique de Boissons Gazeuses, n’aura pas lieu. Elle est refusée par ses héri- tiers, comme nous l’apprend L’Echo du Japon du 16 avril 1878. 40. Avis de ventes aux enchères publiques (L’Echo du Japon, Mais qui étaient les héritiers de François Perregaux ? Sa famille en 2 avril 1878) Suisse ? Des descendants au Japon ? Nous l’ignorons encore. 48 L’horloger repose au cimetière des étrangers à Yokohama (The Yokohama 49 Foreign General Cemetery). L’épitaphe du monument, soigneusement entretenu par une main anonyme, précise : « À LA MÉMOIRE DE FCOIS PERREGAUX, NÉ AU LOCLE, CANTON DE NEUCHÂTEL, SUISSE, LE 41. Refus de la dernière vente par les héritiers de François Perregaux 24 JUIN 1834, DÉCÉDÉ À YOKOHAMA LE 18 DÉCEMBRE 1877, SES (L’Echo du Japon, 16 avril 1878) AMIS. » Sur la même concession se trouve une petite tombe en forme de colonne tronquée, attribuée traditionnellement à un enfant mort en bas âge. On peut y lire, gravée, l’inscription « ELIZA DIED 9 JULY 1864 ». François Perregaux avait-il une fille ? Etait-il marié ? Nous n’en possédons aucune preuve à ce jour.
François Perregaux a tracé la voie : même UNE RELATION PÉRENNE GIRARD-PERREGAUX ET LE JAPON : après son décès, l’attachement pour le Ja- pon reste ancré dans l’activité de Girard- Perregaux. La Maison noue rapidement des liens avec Tenshodo, une maison d’impor- tation japonaise créée en 1879 à Tokyo. Au Pays du Soleil levant, Tenshodo se fait un remarquable relais du savoir-faire de Girard-Perregaux. Une relation durable et de grande qualité s’instaure entre les deux compagnies. En 1922, lors de l’exposi tion « Peace Commemorative » à Tokyo, Tenshodo reçoit pour Girard-Perregaux un prix décerné par Son Altesse Impériale Kotohito, Prince Kan’in (1865-1945). L’intégration de Girard-Perregaux dans le paysage horloger nippon se poursuit au fil des années. Les liens tissés progressive- ment par François Perregaux, puis par les nouveaux représentants de la Marque, sont solides et pérennes. Depuis 1992, c’est le groupe horloger Sowind qui gère la distri- bution de Girard-Perregaux au Japon. Cette représentation est entièrement assurée par une filiale du groupe depuis 1998. Grâce à un réseau de détaillants de qualité, les mon- tres Girard-Perregaux sont proposées sur 50 l’ensemble du territoire japonais. La filiale 51 apporte un service personnalisé et de proxi- mité à ses clients bien après l’acquisition de leurs garde-temps. En effet, elle intègre un Service Clients, dont les horlogers qualifiés se consacrent à l’entretien et aux réparations 43. Prix décerné à la maison Tenshodo par le Prince Kotohito (1922) des montres achetées au Japon. L’attention dédiée à chaque modèle Girard-Perregaux lors de sa conception se poursuit donc bien au-delà, afin de préserver sa longévité.
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