Les prélèvements cynégétiques de limicoles côtiers en France métropolitaine
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N° 319 ❙ avril – juin 2018 le bulletin technique & juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage Connaissance & gestion des espèces Les prélèvements cynégétiques de limicoles côtiers en France métropolitaine p. 30 © R. Rouxel/ONCFS onnaissance C & gestion des espèces onnaissance C Cistude d’Europe : & gestion des habitats bilan de sa réintroduction Sénégal : le Parc national dans la RNN de l’Estagnol des oiseaux du Djoudj menacé p. 4 p. 43 onnaissance C onnaissance C & gestion des espèces & application du droit Gestion des conflits homme-faune : La circulation des véhicules jaguar – ours terrestres à moteur p. 18 et 24 dans les espaces naturels p. 49
« L’équilibre des dispositifs de gestion des conflits homme-faune est toujours précaire. » N° 319 ❙ avril – juin 2018 le bulletin technique & juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage N° 319 – 2e trimestre 2018 – parution juillet 2018 Connaissance & gestion des espèces le bulletin technique & juridique de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage Les prélèvements cynégétiques de limicoles côtiers ONCFS – Mission communication – 85 bis, avenue de Wagram – 75017 Paris – Tél. : 01 44 15 17 10 – Fax : 01 47 63 79 13 en France métropolitaine Directeur de la publication : Olivier Thibault p. 30 Rédacteur en chef : Richard Rouxel (richard.rouxel@oncfs.gouv.fr) Comité de rédaction : Magali Brilhac, Élisabeth Bro, Antoine Derieux, David Gaillardon, Christelle Gobbe, éric Hansen, Guillaume Rousset, Richard Rouxel, Gérard Ruven, Nirmala Séon-Massin Service abonnement : Tél. : 01 30 46 60 25 – abonnement-faunesauvage@oncfs.gouv.fr © R. Rouxel/ONCFS Connaissance & gestion des espèces Cistude d’Europe : bilan de sa réintroduction dans la RNN de l’Estagnol Connaissance & gestion des habitats Sénégal : le Parc national Vente au numéro : Service documentation – BP 20 – 78612 Le Perray-en-Yvelines Tél. : 01 30 46 60 25 – doc@oncfs.gouv.fr des oiseaux du Djoudj menacé p. 4 p. 42 Connaissance Connaissance & gestion des espèces & application du droit Gestion des conflits homme-faune : La circulation des véhicules jaguar – ours terrestres à moteur Prix : 5,60 € ttc le numéro (pays tiers : 6,00 € ttc) p. 18 et 24 dans les espaces naturels p. 49 Remise de 25 % à partir de 30 exemplaires, participation aux frais de port de 10 € de 30 à moins de 100 exemplaires et 20 € au-delà. Conception : – Réalisation : 04250 Turriers – www.transfaire.com Impression : Jouve – Imprimé sur papier issu de forêts durablement gérées et par un imprimeur certifié Imprim’Vert. ISSN 1626-6641 – Dépôt légal : juillet 2018 La reproduction partielle ou totale des articles de ce bulletin est subordonnée à l’autorisation du directeur de la publication. Toute reproduction devra mentionner la source « Faune sauvage, bulletin de l’ONCFS ». Le comité de rédaction remercie les auteurs, les photographes et les relecteurs pour leur contribution.
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 Éditorial Conflits homme-faune : des règles, mais pas de formule miracle A u cours de l’histoire, les sociétés rurales et pas- – relative – stabilité politique du dispositif. Or, réussir dans torales ont mis en place des dispositifs pour se ces trois domaines – même en jouant sur le temps et défendre de l’éléphant d’Afrique, du loup, du lion, l’espace – s’avère difficile et instable. Du coup, ces dispo- de l’ours brun, du babouin de Guinée, du puma, sitifs ne sont le plus souvent que partiellement efficaces, du tigre, du jaguar : bergers et vigies, effarouchement, c'est-à-dire que les impacts sur la population de préda- battues ou élimination des animaux, clôtures et enclos, teurs et sur les élevages restent trop importants. chiens et autres animaux de garde. Plus récemment, des dispositifs élaborés ont ajouté des techniques de piégeage, Le troisième, c’est que ces dispositifs de gestion des de délocalisation, de tirs sélectifs, de suivi précis, d’accom- conflits homme-faune, avec leurs cinq composantes et pagnement, notamment en Amérique du Nord, en Europe, leur équilibre instable, coûtent de l’argent. Combien ? en Afrique australe et en Asie du Sud, afin de concilier Quelques dizaines de milliers d’euros pour un dispositif conservation de ces grands animaux emblématiques et local autofinancé par la chasse et le tourisme en Afrique limitation des dégâts. Y a-t-il des éléments communs australe. Quelques millions d’Euros, par exemple pour des entre tous ces dispositifs contemporains, dont il serait programmes régionaux en périphérie de grandes aires possible de tirer des leçons ? Trois éléments ressortent protégées, comme pour le loup aux États-Unis. Et une à clairement d’une analyse des dispositifs modernes de quelques dizaines de millions d’euros pour de grands gestion des conflits homme-faune. programmes nationaux, comme pour le loup en France ou le volet conflit du programme tigre en Asie du Sud. Ces Le premier, c’est que les dispositifs les plus stables financements peuvent être publics ou privés et doivent comprennent en général ces cinq éléments : 1/ connais- être stables (plus de 10 ans) si l’on veut donner aux dispo- sance partagée, transparente, fiable et actualisée de la sitifs une chance d’avoir des impacts positifs. population et du comportement du prédateur ; 2/ système efficace et aidé de protection des élevages ou des cultures ; L’Office suit les félins de Guyane (jaguar et puma) et 3/ qualification des dégâts et indemnisations ; 4/ possi- teste des dispositifs de piégeage et délocalisation. Un bilité de déplacer ou d’éliminer des individus ou des article dans ce numéro présente des résultats importants, groupes de façon sélective et choisie et 5/ gouvernance notamment sur le comportement du jaguar, ses densités collégiale incluant les éleveurs/agriculteurs, les conversa- et quelques cas de délocalisation. Une première brochure tionnistes et des scientifiques, et un juge de paix portant a été également produite récemment sur « la cohabitation la conservation du prédateur et la limitation des dégâts homme-jaguar ». Les éléments d’un dispositif de gestion au même niveau de priorité. vont ainsi pouvoir se mettre en place progressivement, au bénéfice des éleveurs et des félins. Et l’on pourra alors • Le deuxième, c’est que l’équilibre de ces dispositifs est vérifier, au fil du temps, si la règle des cinq composantes toujours précaire car il faut réussir au moins sur trois se vérifie ou non ! tableaux. Il faut assurer un équilibre biologique de viabilité des populations du prédateur. Il faut réduire suffisamment les dégâts pour qu’ils soient gérables économiquement et humainement par les éleveurs et agriculteurs. Et il faut Gilles Kleitz, assurer un sentiment de justice suffisant, condition d’une Directeur du Parc amazonien de Guyane 1
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 ommaire page 4 page 18 Connaissance & gestion des espèces Connaissance & gestion des espèces Réintroduction de la cistude d’Europe : évaluation de la méthode mise Les grands félins en Guyane, en œuvre dans la Réserve naturelle entre gestion des conflits nationale de l’Estagnol (Hérault) et amélioration des connaissances Dans le cadre du Plan national d’actions en faveur de la cistude d’Europe, un programme de réintroduction Face à l’augmentation du nombre d’attaques sur les animaux a été mis en œuvre sur deux RNN en Languedoc- domestiques, un programme de gestion des conflits homme/jaguar Roussillon dont le site de l’Estagnol géré par a été mis en œuvre par la cellule technique Guyane de l’ONCFS l’ONCFS. Des lâchers successifs d’adultes et de en 2012. Ces travaux ont mis en évidence un grand manque de juvéniles y ont été réalisés en 2008 et en 2012. connaissances sur cette espèce. L’acquisition d’éléments de En 2016, un protocole ambitieux de capture- compréhension sur sa biologie et son écologie semblait donc marquage-recapture a été mis en place sur la essentielle pour parvenir à une meilleure gestion des conflits réserve, afin de caractériser la population présente existants. À cette fin, un suivi reposant sur des pièges et d’évaluer la réussite du projet. Les premiers photographiques et des résultats sont encourageants : ils montrent le individus équipés de colliers GPS recrutement de nouveaux individus dans la population et a été entrepris. Cet article en attestent de la reproduction sur le site. présente les premiers résultats. R. Berzins, M. Petit E. Tankovic, C. Assio, R. Gallais, C. Marmoex, F. Malgoire, A. Besnard, M. Cheylan page 11 page 24 Connaissance & gestion des espèces Connaissance & gestion des espèces Vers une nouvelle méthode Tenir compte de la dimension humaine de détection des espèces dans la gestion des conflits de mammifères semi-aquatiques : homme - grands carnivores : étude pilote et approche le cas de l’ours brun dans les Pyrénées « Metabarcoding ADNe » La dimension humaine est une composante essentielle dans la Le concept d’ADN environnemental (ADNe), couplé aux techniques gestion des conflits homme-grands carnivores. Afin de mieux de séquençage nouvelle génération (Metabarcoding), a émergé l’appréhender, les auteurs ont étudié l’attitude des gens vis-à-vis récemment comme un complément pertinent aux méthodes de la présence de l’ours dans les Pyrénées, au travers d’un traditionnelles d’inventaire de la biodiversité. Les bons résultats questionnaire adressé à 3 000 habitants de la « zone à ours ». Les obtenus pour la détection de différents groupes taxonomiques résultats montrent qu’il existe une forte hétérogénéité spatiale ont incité les auteurs à tester cette approche sur la communauté dans l’attitude humaine, pouvant traduire un lien entre l’histoire des mammifères semi-aquatiques présents en France, dont des récente des communautés locales et la présence de l’ours. La prise espèces difficiles à inventorier classiquement comme le vison en compte de ces différences spatiales pourrait permettre d’Europe. Cette étude démontre que l’approche « Metabarcoding d’orienter la politique de conservation de l’espèce et de l’adapter ADNe » permet de détecter les mammifères semi-aquatiques à en fonction des zones géographiques identifiées. partir de prélèvements d’eau, mais que cette détection est variable selon les espèces et globalement inférieure à celle constatée chez B. Piédallu, P.-Y. Quenette, N. Lescureux, C. Mounet, les amphibiens et les poissons. M. Borelli-Massines, E. Dubarry, J.-J. Camarra, O. Gimenez J. Steinmetz, S. Ruette, T. Ruys, P. Jean, T. Dejean 2
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 page 30 Connaissance & gestion des espèces page 43 Connaissance & gestion des habitats Les prélèvements cynégétiques de limicoles côtiers en France métropolitaine Sénégal : le Parc national des oiseaux du Djoudj, L’enquête nationale sur les tableaux de chasse à tir pour la saison 2013-2014 un monument naturel menacé (voir Faune sauvage n° 310) permet de disposer pour la première fois d’une À l’occasion du renouvellement du plan de gestion du Parc national estimation des prélèvements de des oiseaux du Djoudj, l’un des principaux lieux d’hivernage des chacune des dix espèces de limicoles oiseaux d’eau en Afrique de l’Ouest, il a été mis en évidence que côtiers alors chassées (hors bécassines, ce site était menacé par la sédimentation importante dans ses pluvier doré et vanneau huppé). plans d’eau, le développement de la végétation aquatique et la L’estimation globale donne un tableau forte pression exercée en périphérie par les activités rizicoles. En d’environ 51 000 oiseaux, dont la répartition est l’absence de mesures de gestion urgentes, le parc pourrait perdre présentée schématiquement à l’échelle départementale. L’analyse ses fonctions essentielles d’accueil des anatidés d’ici 30 ans. Cet de l’évolution de ces prélèvements au regard des estimations article rappelle le travail de suivi effectué par l’équipe ONCFS/ précédentes et de données régionales révèle une baisse OMPO depuis 1989 sur cette zone humide, expose les différentes substantielle, qui ne paraît pas liée à l’évolution numérique des menaces et développe les solutions envisagées pour y remédier. populations chassées et ne semble due qu’à une diminution de la pression de chasse. Leur durabilité est discutée. P. Triplet, I. Gueye, S. Sarr Guissé B. Trolliet, P. Bonnin, S. Farau page 35 Connaissance & gestion des habitats Quand, comment et pourquoi mesurer une glandée ? Quelles méthodes disponibles ? page 49 La caractérisation des fructifications forestières apparaît nécessaire, autant pour mieux appréhender la régénération forestière que la dynamique des populations d’ongulés sauvages qui consomment Connaissance & application du droit ces productions de fruits. Cependant, il n’existe à ce jour aucune méthode simple et de référence pour la réaliser. C’est pourquoi les auteurs ont testé plusieurs méthodes d’estimation d’une La circulation des véhicules glandée et analysé les avantages et inconvénients de chacune terrestres à moteur dans les espaces d’elles. Cette réflexion participe à la construction d’un outil simple qui pourrait être préconisé pour le suivi de la fructification naturels. Une lecture jurisprudentielle forestière, au moment opportun, en fonction des besoins du opportunément ferme d’un principe gestionnaire concerné. législatif d’interdiction affaibli P. Vajas, S. Saïd, C. Rousset, H. Holveck, E. Baubet Sans reprendre l’ensemble de la réglementation sur la circulation motorisée, cet article fait une analyse, au travers essentiellement de la jurisprudence, des dispositions interdisant la circulation des véhicules à moteur en dehors des voies ouvertes à la circulation publique. Les limites et adaptations à ces règles de circulation sont également exposées. C. Suas 3
Connaissance & gestion des espèces Réintroduction de la cistude d’Europe : évaluation de la méthode mise en œuvre dans la Réserve naturelle nationale de l’Estagnol (Hérault) © R. Gallais/ONCFS Dix ans après la première réintroduction de cistudes d’Europe dans EVA TANKOVIC , 1 la Réserve naturelle nationale de l’Estagnol, une évaluation du CINDY ASSIO2, RÉGIS GALLAIS3, programme a été réalisée au travers de deux méthodes de suivi : CYRIL MARMOEX3, radio-tracking et capture-marquage-recapture. FRÉDÉRIQUE MALGOIRE3, Les analyses apportent un faisceau d’informations sur le succès AURÉLIEN BESNARD4, de cette opération. MARC CHEYLAN4 1 ONCFS, stagiaire Master 2 SupAgro (2016). Une espèce en voie Face à ce constat, un projet de réintro- 2 ONCFS, stagiaire Master 2 IEGB (2017). de raréfaction duction a été envisagé dès 2005, à l’ini- 3 ONCFS, Délégation régionale Occitanie, tiative conjointe du Laboratoire Cellule technique – RNN Estagnol, Les zones humides ont considéra- « Biogéographie et Écologie des ver- Villeneuve-lès-Maguelone. blement régressé en France au cours des tébrés » de l’École pratique des hautes 4 EPHE, Laboratoire « Biogéographie siècles (Bernard, 1994), de même que les études (EPHE), du Conservatoire des et Écologie des vertébrés », CEFE/CNRS, espèces qui y sont inféodées. De fait, espaces naturels (CEN) du Languedoc- UMR 5175 – Montpellier. comme de nombreuses autres espèces Roussillon et de deux réserves naturelles aquatiques, la cistude d’Europe a for- nationales (RNN) : celle de l’Estagnol Contact : regis.gallais@oncfs.gouv.fr tement décliné à l’échelle nationale, et (commune de Villeneuve-lès-Maguelone) plus généralement en Europe (Fritz & et celle du Bagnas (commune d’Agde) dans Chiari, 2013) – d’où son inscription à l’Hérault (figure 1). l’annexe II de la directive européenne « Habitats ». En France, elle bénéficie d’un Plan national d’actions depuis 2011 Une réintroduction (Thienpont, 2011). en deux phases Le Languedoc-Roussillon était autrefois amplement occupé par cette tortue Les tortues destinées à la réintroduction (Geniez & Cheylan, 2012). Actuellement, ont été prélevées, après autorisation du elle n’y subsiste que très localement, Conseil national de protection de la nature hormis en Camargue gardoise où se trouve (CNPN), dans deux populations camar- l’essentiel des effectifs régionaux. guaises connues pour l’importance de 4 Connaissance & gestion des espèces
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 Figure 1 Répartition géographique des populations de cistude d’Europe et des sites Pour s’en assurer à moyen et long de réintroduction en France. terme, un protocole de capture-mar- quage-recapture (CMR) a été mis en place à partir de 2013 sur l’ensemble de la réserve de l’Estagnol, afin de mieux com- prendre les tendances démographiques de la population et d’adapter les mesures de gestion en conséquence (encadré 1). La reconnaissance individuelle des animaux utilise un code d’entailles sur les écailles marginales, doublé de photos ventrales et dorsales permettant l’identification grâce à la présence de signes distinctifs. Description du protocole mis en place à partir de 2016 Le protocole de CMR ainsi qu’une base de données ont été élaborés en 2014, en lien avec le Plan national d’action « Cistude d’Europe ». Le piégeage des cistudes s’effectue à l’aide de nasses ou de cages selon la profondeur d’eau. En effet, le piège doit toucher le fond vaseux, où les individus se déplacent le plus souvent, et avoir une partie à l’air libre leurs effectifs : la population des marais 2012. Avant leur relâcher, les tortues pour permettre la respiration. du Vigueirat (Bouches-du-Rhône) et la avaient été maintenues durant environ Les pièges sont appâtés avec des mor- population d’Aigues-Mortes (Gard). À cela 10 mois dans un enclos d’acclimatation ceaux de sardines. De façon à couvrir s’est ajouté le prélèvement de pontes construit spécialement sur le site. De l’ensemble du site, ils sont posés tous les (marais du Vigueirat), qui ont fait l’objet 2008 à 2010, les 30 adultes ont fait l’objet 150 m, puis déplacés de 50 m lors du pié- d’une incubation suivie de l’élevage des d’un suivi par télémétrie (VHF), per- geage suivant et à nouveau de 50 m lors jeunes en captivité dans un centre spé- mettant de conclure à leur bonne séden- du 3e piégeage. Ceci conduit à une cou- cialisé sur la commune de Vergèze. tarisation sur le site (Mignet et al., 2014). verture de la zone échantillonnée tous les La réintroduction dans la RNN de Des preuves de reproduction (pontes, 50 m sur l’ensemble de la période d’étude. l’Estagnol s’est déroulée en deux étapes, juvéniles) ont par ailleurs été observées Compte tenu des déplacements des avec un premier lâcher de 30 individus dès la première année, puis de façon régu- animaux, étudiés préalablement par adultes (10 mâles et 20 femelles) en 2008 lière au cours des années suivantes. Ces radiopistage, cette distance a été jugée et en 2009, puis un second lâcher de premiers éléments laissaient envisager un suffisante pour avoir une bonne proba- 35 individus juvéniles issus d’élevage en bon succès de l’opération. bilité de détection des individus présents. Encadré 1 • La méthode de Deux types d’analyses sont possibles : et des modèles spécifiques permettent capture-marquage-recapture • si les intervalles entre les sessions de d’estimer la taille de la population ; (CMR) piégeage sont courts (répétées pendant • si les sessions de piégeage sont effec- le cycle annuel de l’espèce par exemple), tuées tous les ans, il est possible de tenir La méthode de CMR (Pollock et al., 1990 ; la population est considérée comme compte de l’existence de gains et de Lebreton et al., 1992) permet d’estimer fermée aux échanges démographiques. pertes d’individus dans la population : elle la taille d’une population, ainsi que ses On considère alors qu’il n’y a pas de perte est considérée comme ouverte. On peut paramètres démographiques (survie, dis- ou de gain d’individus (mortalité, repro- alors calculer, entre autres, les taux de persion, recrutement…), à l’aide de duction) au cours de la période d’étude, survie interannuelle de la population. modèles spécifiques qui gèrent le fait que tous les individus ne sont pas capturés à chaque session de terrain (figure 2). Ces Figure 2 Représentation schématique de la technique de CMR. modèles peuvent être ajustés sur les données avec différents logiciels, comme MARK par exemple (White & Burnham, 1999). Cette méthode nécessite un mar- quage individuel et pérenne des indi- vidus. Ceci est possible dans notre étude car le marquage réalisé par des encoches sur les carapaces des tortues est stable dans le temps. Connaissance & gestion des espèces 5
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 Figure 3 Localisation des parcelles (à gauche) et des sites de piégeage (à droite). Cheylan, 1979). Le sexe est déterminé par l’observation des caractères sexuels secondaires (Zuffi & Gariboldi, 1995). Les sujets âgés de moins d’un an ne sont pas marqués, du fait d’une écaillure trop fragile. Pour l’analyse, les individus sont ensuite regroupés en classes d’âge : juvé- niles (0-2 ans), subadultes (3-5 ans) et adultes (≥ 6 ans) – (Bertolero, 2010). Ces données permettront de calculer les para- mètres démographiques de la population grâce à différents modèles (encadré 2). Prévoir l’évolution de la population sur le long terme Grâce aux valeurs de survie estimées Pour des raisons logistiques, un tiers de la Pour chaque tortue capturée, les infor- par CMR, différents scénarios d’évolution réserve est piégé chaque semaine mations suivantes sont prises : le numéro de la population sur un horizon à 50 ans (figure 3) avec, à chaque fois, entre 24 et de l’individu, le sexe, le poids (g), la lon- (encadré 3) peuvent être conçus à l’aide 29 pièges posés. Une semaine de piégeage gueur de la dossière et du plastron (mm) de modèles matriciels implémentés dans comprend 2 à 3 jours de pose pour et des photographies en vue dorsale et le logiciel ULM v.4.1 (Legendre, 2002). Les conserver le même effort d’échantil- ventrale. La gravidité des femelles est valeurs utilisées pour les paramètres lonnage en fonction des niveaux d’eau. évaluée par palpation. En cas de capture démographiques non disponibles pour la Dans ce qui suit, une session correspond d’un nouvel individu, celui-ci est marqué population concernée (survie juvénile, à un piégeage sur l’ensemble des trois directement sur le terrain à l’aide fécondité) sont issues de la bibliographie parcelles (3 semaines de piégeage). En d’encoches sur les écailles de la dossière (Bertolero, 2010). tout, cela représente 18 semaines de pié- et du plastron (figure 4). Son année de Des modèles intégrant une stochasticité geage, soit 6 sessions, pour une période naissance est estimée par la lecture des environnementale (fluctuations aléatoires allant de mi-avril à mi-août. lignes d’arrêt de croissance (Castanet & de l’environnement affectant les taux de survie indépendamment de la taille de la population) et démographique (prise en compte de paramètres démographiques à Encadré 2 • Les modèles utilisés pour estimer les paramètres l’échelle des individus) ont été réalisés. démographiques de la population Cela permet de déterminer les probabilités d’extinction de la population. Ce type de Deux types d’analyses ont été utilisés : modèle permet d’obtenir des estimations • en population fermée avec les captures de 2017 (6 sessions de piégeage consé- plus réalistes qu’avec un modèle cutives), afin d’estimer l’effectif de la population adulte (6 ans et plus) et celui déterministe1. de la population subadulte et adulte (3 ans et plus) ; • en population ouverte depuis le début de la mise en place du suivi des individus (piégeages ponctuels et observations de 2008 à 2015, et piégeages standardisés en 2016 et en 2017), afin d’estimer les taux de survie des individus subadultes 1. Si on fait varier les hypothèses sur des valeurs déter- et adultes (3 ans et plus). La probabilité de survie interannuelle a également minées (choisies), on a un modèle « déterministe » ; si été estimée pour les individus âgés de 3 ans et plus nés sur la réserve, valeur on peut varier une ou plusieurs hypothèses de façon totalement aléatoire, on a un modèle dit « stochas- utilisée par la suite dans l’analyse de viabilité. tique ». Cela nécessite de disposer d’un générateur de variables aléatoires, appelé « randomiseur ». © ONCFS © ONCFS Les pièges à cistudes utilisés sont des cages (à gauche) ou des nasses (à droite) selon la profondeur d’eau. 6 Connaissance & gestion des espèces
Figure 4 Code de marquage utilisé à la RNN de l’Estagnol. (D’après CEN-LR, 2005) © C. Assio /ONCFS Collecte d’informations sur un individu capturé. année du lâcher, puis lors du suivi par Encadré 3 • Analyse de viabilité de la population radiopistage à partir de 2008. Entre 2008 et 2017, 97 individus non issus des relâ- L’analyse de viabilité d’une population permet d’estimer le taux de multiplication chers ont été capturés sur le site, preuve interannuel de la population λ, ainsi que les valeurs d’élasticité1 des paramètres- d’un bon recrutement dans la population. clés pour la dynamique de la population. La population croît si λ > 1. La répartition chronologique de ces nais- Ce type de modèle structuré en âge est basé sur une matrice de Leslie (Leslie, sances indique une reproduction assez 1945) où tous les individus du même âge ont le même taux de survie et la même régulière durant ces 10 années, ce qui fécondité (figure 5). constitue un indice de la bonne santé de On ne considère que les femelles dans les modèles (facteur limitant le nombre la population. Ceci est confirmé par de reproductions et de nouveau-nés) et la population est structurée en dix classes l’étude des paramètres biométriques et d’âge, regroupées selon deux classes possédant des paramètres identiques : les de croissance de l’ensemble des individus individus juvéniles (0-3 ans) et les individus subadultes-adultes (3 ans et plus) nés sur la réserve, qui montrent des ten- – (figure 5). L’âge de la première reproduction est fixé à 6 ans (Olivier, 2002). dances similaires à celles des populations naturelles (Olivier, 2002). Figure 5 Graphique du cycle de vie de la population de cistudes femelles Le suivi complémentaire, en 2011, de sur la RNN de l’Estagnol. 14 femelles par radiopistage permet d’en savoir plus sur leurs habitudes de ponte et les paramètres liés à la reproduction. La localisation de 10 sites de ponte montre que ceux-ci se situent à peu de distance du milieu aquatique le plus proche, de 40 à 87 m (N = 14, IC 95 %) si l’on tient compte d’une distance linéaire. Cela Nx = âge ; fx = fertilité de la Xe année de reproduction ; S1 = survie des juvéniles ; S2 = survie des représente un parcours de 73 à 305 m subadultes-adultes ; Sa = survie des adultes relâchés (Ad). 1. L’élasticité des paramètres permet d’identifier ceux qui sont les plus importants pour la dynamique de la population : plus la valeur est haute, plus le paramètre contribue à la croissance de la population (e.g. Caswell, 2001 ; Morris & Doak, 2002). Un premier état des lieux de (3-5 ans) et 51 % des adultes (6 ans et l’état de santé de la population plus). Bien que les taux de captures soient plus faibles chez les subadultes et les juvé- En 2017, 99 captures ont été réalisées niles, la structure de la population indique pour un total de 66 individus différents un bon équilibre entre les différentes (33 mâles, 18 femelles et 15 juvéniles classes d’âge. indéterminés), dont 27 individus nouvel- Le sex-ratio est fortement biaisé en lement marqués et donc probablement faveur des mâles (1,8), sans que l’on ait nés sur le site. Seules 5 tortues sur les d’explication à ce stade de l’étude. 30 adultes lâchés en 2008-2009 et 8 sur © C. Assio /ONCFS les 35 juvéniles lâchés en 2012 ont été capturées. Cela représente 20 % de Une reproduction avérée l’effectif initialement réintroduit sur la sur la réserve et ses alentours réserve. Sur l’ensemble des captures de 2017, 8 % des individus étaient des juvé- La reproduction sur le site et ses alen- D’après les captures réalisées en 2017, la structure niles (0-2 ans), 41 % des subadultes tours a été constatée dès la première de la population paraît être bien équilibrée. Connaissance & gestion des espèces 7
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 (N = 14, IC 95 %) en milieu terrestre, ce alors estimée à 58 [45-89] individus. La qui semble peu comparativement à probabilité de capture individuelle est en d’autres études menées en Europe (Puig, moyenne de 0,052 avec un effort d’échan- 2011). En revanche, compte tenu de la tillonnage médian de 198 nuits*pièges par configuration de la réserve, toutes les session de capture. pontes observées ont été déposées en En raison du nombre plus important de dehors du site protégé. La fécondité est mâles que de femelles, un effet de groupe satisfaisante puisque la majorité des a été incorporé au modèle. Il permet femelles ont déposé 2 pontes, voire 3 pour d’estimer la population à 34 mâles adultes 15 % des femelles suivies, durant la saison. [26-58] et à 16 femelles adultes [13-32]. Le nombre d’œufs par ponte, de 8 à 12 L’effectif des mâles n’est donc pas signi- (N = 8, IC 95 %), semble supérieur à ce ficativement différent de celui des qui est connu ailleurs en France. femelles. Les probabilités de capture moyennes sont respectivement de 0,051 pour les mâles et de 0,071 pour les Une population en bon état femelles. de conservation ? © E. Tankovic/ONCFS Le second modèle intègre un effet de groupe en fonction de la provenance des Croissance des individus animaux (introduits ou nés sur la réserve). Il permet de constater que le taux de La croissance des individus mâles (pro- capture des tortues nées sur la réserve est Les paramètres biométriques et de croissance bablement) nés sur la réserve apparaît de l’ensemble des cistudes nées sur la réserve plus faible que celui des tortues réintro- meilleure que celle des individus issus du montrent des tendances similaires à celles des duites, bien que leur effectif soit signifi- lâcher de 2012 (figure 6). Cette différence populations naturelles, signe de bonne santé. cativement plus élevé. est sûrement liée à l’élevage de ces der- niers en captivité au cours de leurs pre- Effectifs et survie des subadultes mières années de vie. Les individus mâles Effectifs de la population adulte et adultes nés sur la réserve ont ainsi une longueur de dorsale significativement plus élevée Plusieurs modèles ont été testés, afin Les subadultes (3-5 ans) représentent que ceux réintroduits en 2012 (test de d’évaluer quelles estimations 42 % des captures. Le modèle le plus Mann-Whitney entre les individus mâles correspondent le mieux aux données approprié aux individus de 3 ans et plus de 9 ans et plus, réintroduits en 2012 issues du protocole mis en place en 2017. intègre une hétérogénéité de capture (n = 8) et nés sur la réserve (n = 7) : Le premier modèle estime la population selon les individus. Il estime la population W = 49,5 ; p-value = 0,0075). Toutefois, adulte (6 ans et plus) en tenant compte à 123 individus [100-165]. La probabilité aussi bien pour les individus nés sur la d’une hétérogénéité de capture entre les de capture moyenne pour cette classe réserve que pour ceux réintroduits, la individus. La taille de la population est d’âge est estimée à 0,050. croissance est conforme à celle enre- gistrée dans les populations naturelles de Figure 7 Courbes d’ajustement des moyennes mobiles du poids (A) et de la longueur de la dossière (B) Camargue (Olivier, 2002), avec un fort des individus mâles nés sur la RNN de l’Estagnol. taux d’accroissement jusqu’à 5-6 ans et un ralentissement à l’approche de la maturité sexuelle (figure 7). Figure 6 Répartition du poids (g) des individus mâles adultes (9 ans et +) capturés en 2017 selon leur origine. Figure A (Individus introduits en 2012 : n = 8 ; individus nés sur la réserve : n = 7) Figure B 8 Connaissance & gestion des espèces
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 Une reconduction du suivi l’adaptation des mesures de gestion. recommandée Compte tenu de tous ces éléments, un intervalle de 3 à 5 ans entre deux études Le protocole de suivi réalisé durant deux par CMR semble être un bon compromis. années consécutives, moins de 10 ans après Ce laps de temps s’accorde à la durée des la première réintroduction, permet de plans de gestion (5 ou 10 ans) et semble © R. Gallais/ONCFS dresser un premier état des lieux fiable de suffisant pour prendre des mesures l’état de la population de cistudes dans la adaptées aux évolutions de la population. RNN de l’Estagnol. La longévité de l’espèce oblige toutefois à rester prudent dans le Une reconduction du contrôle de l’évolution diagnostic et l’interprétation de ces pre- Conclusion de la population par capture-marquage- miers résultats, qui devront être confortés recapture tous les 3 à 5 ans semble être dans le futur. De nouvelles années de suivis Le protocole mis en place depuis 2016 un laps de temps adapté. permettraient d’avoir une meilleure vision permet une première évaluation du pro- de la situation et d’atténuer les effets de la gramme de réintroduction engagé en Afin de pouvoir estimer les taux de trap-dépendance2 liés au protocole de pié- 2007 sur la RNN de l’Estagnol (encadré 4). survie de la population subadulte et adulte geage fixe. En outre, elles permettraient Il indique : (3 ans et plus), une analyse de toutes les d’améliorer la qualité des estimations de 1°) que les taux de survie des adultes et données collectées entre 2008 et 2017 survie, actuellement basées sur les données des subadultes-adultes sont conformes avec un modèle en population ouverte a collectées entre 2008 et 2015 selon un aux valeurs connues dans des populations été réalisée. protocole non standardisé. Il convient tou- natives ; Le meilleur modèle (formulation tefois de garder à l’esprit qu’un suivi plus 2°) que les estimations de population Cormack Jolly Sebe – Lebreton et al., 1992) fréquent ne permettrait pas le recensement et les taux d’accroissement offrent des prend en considération une survie des individus nés entre deux années de cap- valeurs satisfaisantes, de même que les constante et un taux de capture variable tures (les très jeunes individus échappent indices de reproduction et de sédentari- en fonction du temps. Ce modèle estime au piégeage) et pourrait générer des phé- sation. La croissance des individus nés sur une survie subadulte-adulte de 0,89, sans nomènes de trap-dépendance ou de trans- le site montre qu’il a une bonne capacité différence significative entre mâles et cience3. De plus, l’investissement humain d’accueil (ressources alimentaires). Les femelles, ni entre individus réintroduits ou et matériel à mettre en œuvre est consé- modèles confirment la viabilité de la nés sur la réserve. quent. Ceci étant, si l’intervalle de temps population à un horizon de 50 ans. entre deux suivis est trop espacé, les varia- Sur la base de ces premiers éléments, on tions dans la dynamique de la population peut considérer que la réintroduction de la Une population viable risquent de ne pas être détectées suffi- cistude d’Europe sur la RNN de l’Estagnol sur le long terme samment tôt, ce qui peut compromettre est à présent engagée dans une bonne voie. Il conviendra néanmoins de s’assurer de sa Avec la valeur de survie estimée par durabilité par un suivi à long terme de la CMR en 2017 des individus subadultes et 2. Trap-dépendance : les individus déjà capturés voient population, en vue de réagir en cas d’évo- leur probabilité de capture diminuer (« trap-shy ») ou adultes introduits et nés sur la réserve augmenter (« trap-happy ») lors de la capture suivante, lution jugée défavorable. L’objectif ultime (S2 = 0,95), la population est viable sur ce qui entraîne un biais dans l’estimation de la taille de de cette réintroduction est aussi la recolo- un horizon de 10 à 20 ans (figure 8). Le la population. nisation des marais proches de la réserve. 3. Transcience : certains individus peuvent être capturés taux d’accroissement est largement positif une première fois et ne jamais être recapturés par la suite Dans cette optique, il sera bon de réfléchir, (λ = 1,33 sur 20 ans). Les paramètres (émigration). avec les gestionnaires des espaces naturels influençant le plus la croissance de la population sont la survie adulte (S2), puis Figure 8 Évolution de la taille totale de la population (vert), du nombre de femelles reproductrices la survie juvénile (S1). nées en liberté (bleu) et du nombre de femelles adultes réintroduites (jaune) En intégrant une stochasticité environ- sur un horizon de 20 ans. nementale ou démographique sur la population née en liberté, la population est viable sur un horizon de 50 ans avec une probabilité d’extinction faible (pext = 0,053 avec une stochasticité démo- graphique, pext = 0,049 avec une stochas- ticité environnementale). Par rapport au modèle déterministe, le taux de croissance de la population diminue mais reste positif (λstoch = 1,03 avec une stochasticité démo- graphique et 1,02 avec une stochasticité environnementale). La taille minimale de population viable en-dessous de laquelle une extinction rapide est probable est de 32 individus (écart-type : 0,72). Bien entendu, ce taux d’accroissement ne prend pas en considération certains facteurs de régulation tels que la densité- dépendance, d’où des valeurs à 20 ans peu réalistes (supérieures à 2000 individus). Connaissance & gestion des espèces 9
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 voisins, à la façon de détecter et d'évaluer la dispersion d’individus issus de la Encadré 4 • Pourquoi analyser les causes de succès ou d’échec réintroduction. d’un projet de réintroduction ? Deux points négatifs méritent toutefois d’être relevés : Un tiers des programmes de réintroduction échoue à former une population • la médiocre efficience de l’élevage en viable (Tavecchia et al., 2009). La publication des résultats d’un programme de captivité d’individus à partir de pontes réintroduction permet de bénéficier d’une expérience pour améliorer la mise en en vue d’un relâcher – l’incubation puis place de nouveaux projets ; il est alors important d’analyser les causes du succès l’élevage en captivité ne semblent devoir ou de l’échec. Seulement deux suivis à long terme existent à ce jour en France sur être retenus qu’en dernier recours, s’il y les cistudes d’Europe : à la Tour du Valat en Camargue et dans le massif des Maures a des difficultés à prélever des sujets dans le Var. Le suivi de la présente réintroduction permettra d’acquérir les connais- adultes dans des populations proches ; sances nécessaires pour en mener de futures. Il sera également un atout pour les • la mauvaise adéquation des limites de prises de décision en faveur d’une bonne gestion de la réserve. la réserve avec la biologie de l’espèce ; en effet, le suivi des femelles reproduc- trices a montré que celles-ci quittent la réserve pour pondre. L’intégrité à long terme des sites de ponte n’est de ce fait pas garantie (pratiques agricoles non compatibles avec la période d’incu- bation). C’est pourquoi une zone tampon autour du site permettrait de © C. Assio/ONCFS sécuriser la reproduction de l’espèce, soit par des accords sur la mise en place de bonnes pratiques avec les exploi- • tants, soit par acquisition des parcelles concernées (veille foncière). Bibliographie ◗ Bernard, P. 1994. Les zones humides, rapport d’évaluation (1994). ◗ Mignet, F., Gendre, T., Reudet, D., Malgoire, F., Cheylan, M. & Comité interministériel de l’évaluation des politiques publiques. Besnard, A. 2014. Short-Term evaluation of the success of a reintro- Premier ministre-Commissariat du Plan. La Documentation fran- duction program of the european pond turtle : The contribution of çaise, Paris. space-use modeling. Chelonian Conservation and Biology 13: 72-80. ◗ Bertolero, A. 2010. Modélisation démographique des populations ◗ Morris, W.F. & Doak, D. 2002. Quantitative conservation biology : de cistude d’Europe (Emys orbicularis L.) réintroduites sur les Réserves theory and practice of population viability analysis. 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Connaissance & gestion des espèces Vers une nouvelle méthode de détection des espèces de mammifères semi-aquatiques : étude pilote et approche « Metabarcoding ADNe » © SPYGEN JULIEN STEINMETZ1, Le développement de techniques permettant la détection de SANDRINE RUETTE2, fragments d’ADN présents dans l’environnement ouvre des THOMAS RUYS3, perspectives nouvelles pour l’étude et le suivi de la PAULINE JEAN4, biodiversité. Ces méthodes d’investigation de pointe ont déjà TONY DEJEAN4 donné des résultats très prometteurs pour de nombreux 1 ONCFS, Délégation régionale Occitanie, groupes d’espèces en milieu aquatique. Devant les attentes Cellule technique Sud-Ouest – Toulouse. d’amélioration des connaissances sur la répartition de 2 ONCFS, Direction de la recherche et de l’expertise, certaines espèces de mammifères, notamment le vison Unité Prédateurs et animaux déprédateurs – Birieux. 3 Cistude Nature – Chemin du Moulinat, 33185 Le Haillan. d’Europe, nous avons cherché à évaluer les possibilités 4 SPYGEN – 17, rue du Lac Saint-André, d’application de ces techniques au groupe des mammifères 73370 Le Bourget-du-Lac. semi-aquatiques. Connaissance & gestion des espèces 11
N° 319 ❙ 2e trimestre 2018 Tableau 1 Liste des 12 espèces de « Metabarcoding ADNe », conservation. Pour cela, les outils simples, mammifères semi-aquatiques une technique récente peu coûteux et applicables à large échelle concernées par la base et prometteuse spatiale et temporelle font le plus souvent de références génétiques. défaut. Pour les espèces exogènes, comme L’identification d’espèces et la connais- le vison d’Amérique Neovison vison ou le Nom scientifique Nom vernaculaire sance de leur répartition dans l’environ- raton laveur Procyon lotor, là encore le Arvicola sapidus Campagnol amphibie nement sont à la base de toute mesure de suivi de leur répartition est indispensable Castor fiber Castor d’Eurasie gestion et de conservation des popula- afin de définir des mesures de gestion. Galemys pyrenaicus Desman des Pyrénées tions. Pour certaines espèces dites élusives Disposer d’un outil d’inventaire per- de par leur faible taille, leur compor- formant, applicable à vaste échelle et Lutra lutra Loutre d’Europe tement discret ou leur rareté, la vérifi- permettant de détecter simultanément Mustela lutreola Vison d’Europe cation même de leur présence par des la présence de plusieurs espèces offrirait Mustela putorius Putois d’Europe méthodes traditionnelles d’inventaire de nouvelles perspectives pour mieux (observations, indices de présence…) peut comprendre les processus écologiques Myocastor coypus Ragondin requérir des moyens impossibles à mettre fondamentaux (syntopie, compétition, Neomys fodiens Crossope aquatique en œuvre à grande échelle spatiale et tem- déplacement de niches écologiques…) Neovison vison Vison d’Amérique porelle. Récemment, l’étude de l’ADN régissant la coexistence ou l’exclusion de Ondatra zibethicus Rat musqué environnemental (ADNe), couplée aux ces espèces. techniques de séquençage nouvelle géné- Afin de tester la méthode Procyon lotor Raton laveur ration (« Metabarcoding »), a émergé « Metabarcoding ADNe » dans le cadre du Rattus norvegicus Rat surmulot comme un complément pertinent aux PNA vison d’Europe et pour la détection méthodes traditionnelles d’inventaire de au sens large des mammifères semi- la biodiversité. Le principe général de cette aquatiques, une collaboration a été mise approche repose sur la détection de courts en place entre l’ONCFS, la Direction Une étude pilote sur le terrain fragments d’ADN libérés par les espèces régionale de l’environnement, de l’amé- dans leur environnement (via l’urine, les nagement et du logement (DREAL) Le but de l’étude pilote était de répondre fèces, le mucus, les gamètes…). En pré- Nouvelle-Aquitaine, l’association Cistude à plusieurs questions. levant des échantillons environnementaux Nature, le Laboratoire de Biométrie et • En présence avérée des différences (eau, sol…), il est alors possible de Biologie évolutive (LBBE, Université Lyon espèces étudiées, est-il possible de les connaître les communautés présentes 1) et un laboratoire spécialisé dans l’étude détecter à partir de l’ADN qu’elles libèrent dans le milieu étudié à partir de cet ADN de l’ADNe, SPYGEN. Une étude pilote a dans l’eau ? présent en quantités infimes. été conduite dans l’objectif d’évaluer la • La détectabilité par l’ADN libéré dans Chez les vertébrés, les premiers travaux faisabilité d’un inventaire spatial et tem- l’eau est-elle la même en fonction des sont relativement récents et ont permis porel de la communauté de mammifères espèces ? par exemple de dresser la carte de répar- semi-aquatiques, par l’élaboration et l’uti- • La stratégie d’échantillonnage (quantité tition d’une espèce exotique envahissante lisation d’un outil de diagnostic multi- d’eau prélevée, répartition spatiale des d’amphibien en Dordogne, la grenouille spécifique permettant la détection de ces prélèvements) influence-t-elle la détec- taureau Lithobates catesbeianus (Dejean espèces dans les écosystèmes français. tabilité des espèces ? et al., 2012). Depuis lors, des études ont Les sites échantillonnés dans le cadre de été menées sur les communautés de ce projet étaient uniquement des milieux poissons, d’amphibiens et de mammifères Première étape, la base aquatiques stagnants, afin d’optimiser la marins (Civade et al., 2016 ; Valentini et de références génétiques détection de l’ADN des espèces recher- al., 2016). Pour ces groupes d’espèces, les chées. En effet, dans un milieu lotique (eau premiers travaux sont extrêmement pro- Douze espèces de mammifères semi- vive), l’ADN est directement emporté par metteurs et la technique commence à être aquatiques ont été sélectionnées pour le courant, alors que dans un milieu len- utilisée en routine et à large échelle dans développer la base de références géné- tique (eau calme), il est retenu et peut être certains cas (AFB, 2018). tiques (tableau 1), à partir de tissus col- détecté plusieurs jours après la disparition lectés par l’ONCFS. Ces espèces pré- de l’espèce (Dejean et al., 2011). sentent en réalité un caractère aquatique Quel intérêt pour les plus ou moins prononcé, certaines d’entre mammifères semi-aquatiques ? elles passant le plus clair de leur temps 96 échantillons analysés dans l’eau ou à proximité immédiate selon la même méthode La communauté des mammifères semi- (loutre d’Europe, castor d’Eurasie), tandis aquatiques, c’est-à-dire plus ou moins que d’autres fréquentent plutôt ses abords L’étude s’est déclinée en plusieurs inféodés aux zones humides dulçaqui- (vison, raton laveur, putois). La densité projets. coles, compte une quinzaine d’espèces en d’individus dans l’environnement est France. Parmi les espèces natives, trois extrêmement variable également, en Projet 1 : vérifier la détectabilité sont menacées en France et ont fait l’objet fonction notamment de la taille des de 12 espèces de mammifères d’un Plan national d’actions (PNA) : le domaines vitaux et du comportement semi-aquatiques vison d’Europe Mustela lutreola, la loutre social propre à chaque espèce (territo- d’Europe Lutra lutra et le desman des rialité plus ou moins marquée, taille des Vingt échantillons ont été dédiés spé- Pyrénées Galemys pyrenaicus. Le suivi de groupes sociaux variable). En consé- cifiquement à l’étude de la détectabilité leur répartition représente un enjeu quence, la détectabilité était susceptible de chacune des 12 espèces cibles. Ces évident et déterminant pour l’évaluation de ne pas être la même pour chacune de échantillons correspondent à des prélè- de leur statut de conservation, mais éga- ces espèces. vements effectués sur des sites où l’espèce lement pour la priorisation des actions de cible était réputée présente (capture 12 Connaissance & gestion des espèces
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