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M. Stephen Woodley Commission mondiale des aires protégées, UICN Mémoire présenté au Comité permanent des pêches et des océans de la Chambre des communes concernant le projet de loi C-55, Loi modifiant la Loi sur les océans et la Loi fédérale sur les hydrocarbures Date : Le jeudi 23 novembre 2017 Heure : 9 h 45 Introduction Je voudrais remercier le Comité de l’invitation et du temps qui m’est accordé pour témoigner aujourd’hui. Je m’appelle Stephen Woodley et je suis vice-président de la science et de la biodiversité à la Commission mondiale des aires protégées de l’UICN. L’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN) est le réseau environnemental le plus important et le plus diversifié au monde, composé d’organisations gouvernementales et de la société civile. La plupart des gouvernements des pays sont membres, notamment le Canada avec des membres de Parcs Canada, du ministère des Pêches et des Océans et d’Environnement et Changement climatique Canada. Au total, 1 300 organisations sont membres de l’UICN, qui profite de l’apport de quelque 16 000 grands spécialistes. La Commission mondiale des aires protégées est le premier réseau mondial de professionnels des aires protégées qui crée et fournit un leadership et des conseils sur les aires protégées. L’UICN élabore des politiques au moyen d’un processus de vote officiel lors de la réunion de ses membres, le Congrès mondial de la nature. Toutes les résolutions doivent être adoptées à la majorité des membres du gouvernement, votant comme une seule chambre, et des membres non gouvernementaux, votant comme une chambre distincte. Nous saluons les travaux touchant la modification de la Loi sur les océans décrits dans le projet de loi C-55, dans le but de faciliter la création de nouvelles zones de protection marine (aussi appelées aires marines protégées) au Canada. C’est une étape nécessaire et essentielle. Cependant, nous croyons que l’avant-projet de loi ne tire pas encore pleinement profit du fait qu’il peut être modifié et qu’il pourrait être considérablement renforcé grâce aux changements recommandés ci-dessous. Recommandations 1. Utiliser une définition acceptée de zone de protection marine (ZPM) sur le plan international Selon la définition de l’UICN, une aire protégée est « un espace géographique clairement défini, reconnu, consacré et géré, par tout moyen efficace, juridique ou autres, afin d’assurer à long terme la conservation de la nature ainsi que les services écosystémiques et les valeurs culturelles qui lui sont associés ». (Définition de l’UICN, Dudley et coll., 2008) 1
La définition de l’UICN est mondialement reconnue et acceptée par les membres de l’UICN, dont le Canada. Elle s’applique également à la terre ou à la mer, et les attentes en matière de conservation sont les mêmes. Cette définition est équivalente à celle utilisée par la Convention des Nations Unies sur la diversité biologique. Compte tenu de la vaste portée mondiale de cette définition et du fait que le Canada l’a déjà acceptée lors du Congrès mondial de la nature à Barcelone en 2008, la première recommandation est que cette définition soit utilisée dans la loi. Des définitions différentes pour la même chose sont source de confusion dans n’importe quel domaine de la vie. Comme le Canada a déjà accepté de soumettre des rapports sur ses aires protégées aux Nations Unies et à la Convention sur la diversité biologique par l’entremise du Centre mondial de surveillance de la conservation du PNUE, il est tout à fait logique d’utiliser la même définition. Nous suivons les aires protégées grâce à la base de données mondiale sur les aires protégées, qui est une initiative conjointe du PNUE-WCMC et de l’UICN. 2. Créer un objectif de gestion défini pour les ZPM dans le projet de loi C-55 Après une définition claire, les aires protégées requièrent un objectif de gestion précis, de sorte que leur but est clair et que le succès peut être mesuré par rapport à un résultat de gestion clair. Nous suggérons qu’il y ait un objectif à la fois pour le système de ZPM et pour les ZPM individuelles. En ce qui concerne les ZPM individuelles, de nombreuses aires protégées dans le monde utilisent le terme intégrité écologique comme objectif officiel de gestion. C’est le cas, par exemple, dans les parcs nationaux du Canada et des États-Unis (y compris les parcs marins). Il a été démontré que l’intégrité écologique est fondée sur la science, est mesurable et est applicable à une gamme d’écosystèmes différents. L’intégrité écologique est déjà définie dans la Loi sur les parcs nationaux du Canada et pourrait facilement être adaptée à la Loi sur les océans comme suit : « L’état d’une zone de protection marine jugé caractéristique de la région marine dont elle fait partie et qui sera vraisemblablement maintenu, notamment les éléments abiotiques, la composition et l’abondance des espèces indigènes et des communautés biologiques ainsi que le rythme des changements et le maintien des processus écologiques. » La Loi sur les océans pourrait adopter cette définition et ajouter une clause supplémentaire, également tirée de la Loi sur les parcs nationaux du Canada, qui confirme le rôle principal de la conservation de la nature pour les aires marines protégées établi en vertu de la Loi sur les océans : « La préservation ou le rétablissement de l’intégrité écologique par la protection des ressources naturelles et des processus écologiques sont la priorité première et absolue du ministre pour tous les aspects de la gestion des zones de protection marine. » L’utilisation d’un langage clair et sans équivoque à des fins de gestion fait partie de la mise en place réussie des systèmes de ZPM du Canada. Faute d’un langage clair, l’objectif de gestion et les activités autorisées feront l’objet d’une lutte constante. 2
3. Clarifier les activités autorisées dans les zones de protection marine Comme pour les autres aires protégées, les zones de protection marine doivent aboutir à des résultats fructueux en matière de conservation. De par leur conception, les aires protégées sont différentes par rapport à la façon dont nous gérons durablement le reste du paysage terrestre ou du paysage marin. Les aires marines protégées fournissent des repères pour mesurer les répercussions de nos actions de gestion. C’est la science fondamentale; une zone de contrôle fait partie de la conception pour toute recommandation de gestion. En plus de jouer ce rôle clé dans la gestion des pêches, les ZPM préservent des écosystèmes rares et représentatifs, font office de nourriceries et offrent d’innombrables autres avantages aux pêcheurs, aux collectivités locales et au grand public. L’effet d’entraînement des aires protégées sur les pêches à l’extérieur est bien documenté dans de nombreuses régions. Par exemple, la meilleure pêche à l’aiglefin sur la côte Est se trouve juste à l’extérieur de la zone d’alevinage de l’aiglefin, qui est fermée à la pêche. La zone d’alevinage de l’aiglefin protège l’aiglefin juvénile et son habitat contre l’exploitation et le dragage de fond. Pour que les ZPM soient efficaces, elles doivent être exemptées des activités industrielles à grande échelle, y compris le pétrole et le gaz, l’exploitation minière des océans et la pêche commerciale à grande échelle. Lors du Congrès mondial de la nature de l’an dernier, l’UICN a clarifié une résolution : APPELLE les gouvernements à interdire les activités industrielles et le développement d’infrastructures portant préjudice à l’environnement dans toutes les catégories d’aires protégées définies par l’UICN et de prendre des mesures pour s’assurer que toutes les activités soient compatibles avec les objectifs de conservation de ces sites, au moyen de processus d’évaluation préventive appropriés, transparents et rigoureux, à l’image d’évaluations de l’impact environnemental et social des meilleures pratiques internationales, d’évaluations environnementales stratégiques et d’autres réglementations pertinentes; WCC-2016-Rec-102-FR https://portals.iucn.org/library/sites/library/files/resrecfiles/WCC_2016_REC_102_FR.pdf. Cette résolution s’applique à toutes les catégories d’aires protégées, terrestres et marines. Nous proposons d’utiliser un langage semblable dans la Loi sur les océans, en ajoutant des interdictions spécifiques à l’extraction de pétrole et de gaz, à l’exploitation minière des fonds marins et à la pêche commerciale à grande échelle. La discussion la plus difficile dans l’établissement des ZPM est l’élimination de la pêche commerciale à grande échelle. La science est très claire : là où la pêche commerciale à grande échelle est autorisée dans les ZPM, il n’y a pas de différence entre l’aire protégée et les zones externes. S’il n’y a pas de différence, alors pourquoi se soucier d’établir l’aire marine protégée? Conclusion Les systèmes de gestion actuels ne parviennent généralement pas à maintenir la productivité, la diversité biologique et les écosystèmes de l’océan. Les prises mondiales de poissons diminuent régulièrement depuis 1989, et cette tendance à la baisse devrait se poursuivre. Au Canada, seulement 24 % des stocks de poissons sont considérés comme sains, et il est impossible de déterminer l’état de santé de 45 % des stocks de poissons du Canada en raison d’un manque de 3
données. Pour passer à une ère de gestion plus fructueuse des océans, nous devons faire preuve de courage en changeant de cap, et les ZPM bien gérées sont un phare pour arriver à bon port. Les aires marines protégées sont reconnues mondialement comme l’un des seuls outils pouvant aider à protéger des habitats importants et des échantillons représentatifs de la vie marine et peuvent aider à restaurer la productivité des océans et à éviter toute dégradation supplémentaire. Cependant, pour être efficaces, elles doivent être bien protégées et bien gérées. En conclusion, la CMAP de l’UICN affirme énergiquement que des ZPM bien gérées, bien conçues et bien protégées sont une composante indispensable de la gestion des océans. Adoptons cet amendement à la Loi sur les océans afin que les ZPM puissent préserver les écosystèmes océaniques du Canada et aider à soutenir l’industrie de la pêche canadienne de 6,6 milliards de dollars. Renseignements supplémentaires Catégories et gouvernance en matière d’aires protégées à l’UICN L’UICN reconnaît cinq catégories de quatre types de gouvernance des aires protégées, dont les aires marines protégées. Dans le cadre de la gouvernance, les aires protégées peuvent être gérées par des gouvernements, des collectivités autochtones ou locales, ou par le secteur privé. Elles peuvent aussi faire l’objet d’une gouvernance mixte. Le point commun pour tous les types d’aires protégées est qu’elles sont gérées pour la conservation à long terme de la nature et que, en cas de conflit, la nature est toujours la première priorité. Voir notre directive publiée en 2012 sur les aires marines protégées (voir Day, J., N. Dudley, M. Hockings, G. Holmes, D. Laffoley, S. Stolton et S. Wells, 2012. Application des catégories de gestion aux aires protégées : lignes directrices pour les aires marines. Gland, Suisse, UICN, 36 pages). Cette directive accueille favorablement la possibilité de créer des aires protégées gérées par des collectivités autochtones, ce qui pourrait représenter une occasion non réalisée pour le Canada. Avantages des ZPM Les ZPM offrent une gamme d’avantages pour les pêches, les économies locales (en particulier rurales) et l’environnement marin, notamment : • Contribuer à la conservation de la biodiversité et des écosystèmes; • Aider à inverser le déclin mondial et local des populations de poissons et de la productivité en protégeant les principales habitudes de reproduction, de nourricerie et d’alimentation; • Rehausser le profil d’une zone de tourisme nautique et élargir les options économiques locales; • Offrir des possibilités d’éducation, de formation, de patrimoine et de culture; • Apporter des avantages substantiels en tant que sites de référence dans la recherche à long terme. 4
Relativement au premier point sur les aspects de conservation, nous notons au moins huit choses que les ZPM peuvent faire : • Maintenir ou restaurer la structure, la fonction et l’intégrité d’un écosystème; • Maintenir l’abondance d’espèces clés importantes; • Protéger les habitats contre les dommages physiques de la pêche et d’autres activités humaines; • Maintenir l’intégrité génétique et rétablir la taille des populations, la structure par âge et la composition de la communauté de poissons; • Protéger les fonctions et processus écologiques clés, p. ex. les réseaux trophiques et la structure trophique; • Améliorer la résilience de l’écosystème à grande échelle face aux pressions; • Fournir une « assurance » visant à atténuer les nuisances, en particulier dans les aires adjacentes; • Protéger les aires pouvant fournir des « banques de semences » reproductives pour favoriser la récupération. La relation entre les ZPM et les mesures de gestion des pêches La Convention sur la diversité biologique comprend 20 objectifs, communément appelés les objectifs d’Aichi. Les aires protégées ne correspondent qu’à l’objectif 11, et cet objectif suscite beaucoup d’attention et est inclus dans les lettres de mandat ministérielles. Cependant, les 19 autres objectifs sont d’égale importance. Il est plus facile de les clarifier lorsqu’on comprend la relation entre les objectifs prédominants pour la biodiversité et pour les pêches. Dans le cas des pêches, il y a également l’objectif d’Aichi 6 : • Objectif 6 : D’ici à 2020, tous les stocks de poissons et d’invertébrés et plantes aquatiques sont gérés et récoltés d’une manière durable, légale et en appliquant des approches fondées sur les écosystèmes, de telle sorte que la surpêche soit évitée, des plans et des mesures de récupération sont en place pour toutes les espèces épuisées, que les pêcheries n’aient pas d’impacts négatifs marqués sur les espèces menacées et les écosystèmes vulnérables, et que l’impact de la pêche sur les stocks, les espèces et les écosystèmes reste dans des limites écologiques sûres. Il y a un recoupement où une mesure prévue à l’objectif 6 affiche tous les attributs requis pour être reconnue au titre de l’objectif 11; les mesures relatives à la pêche d’une seule espèce et/ou sans protection globale des écosystèmes ci-dessous, principalement au titre de l’objectif 6. Qu’est-ce qui fait le succès des ZPM? Pour l’écosystème marin, une somme considérable de données probantes démontre ce qui rend efficace une aire marine protégée. Selon des éléments de preuve substantiels, des zones de protection marine sans prélèvement peuvent accroître l’abondance, la biomasse et la diversité des populations de poissons et d’invertébrés. Des études menées sur des récifs coralliens tropicaux, des 5
récifs tempérés, des forêts de varech et des écosystèmes de haute mer ont clairement répertorié les avantages des aires protégées pour la biodiversité, avec des ZPM dont l’exploitation est interdite, et la réglementation, appliquée comme il se doit. En outre, les ZPM de plus grandes dimensions tendent à avoir de meilleurs résultats. Enfin, les aires marines protégées avec succès dépendent d’une gestion saine (Gill et coll., 2015 1). Une synthèse mondiale de 87 ZPM a révélé que des zones protégées efficaces comptaient deux fois plus de grosses espèces de poissons, cinq fois plus de biomasses de poissons de grande taille et quatorze fois plus de biomasses de requins (Edgar et coll., 2014 2). Les aires marines protégées requièrent cinq caractéristiques pour protéger la biodiversité : aucune prise, application de la réglementation, plusieurs années d’existence (> 10 ans), grandes dimensions (> 100 km2) et endroit isolé. Bien que ces constatations fournissent d’importantes données probantes selon lesquelles les avantages de la préservation d’une aire marine protégée augmentent avec ces différents facteurs, il faut plus de ressources pour aider les gestionnaires à atteindre ce niveau élevé de préservation. L’article publié par Gill et des collaborateurs dans la revue Nature a révélé que des aires protégées bien gérées produisaient trois fois plus d’avantages que les zones mal gérées. Ainsi, il est important de savoir que ces zones doivent être mises en place correctement pour que l’on puisse profiter des avantages. Les ZPM dans le contexte du changement océanique Nous devons maintenant nous occuper de la situation dans son ensemble, non pas seulement des liens entre la conservation des ZPM et les pêches; il s’agit des changements importants qui se font maintenant sentir sur tout cela. Notre océan change. Une tempête silencieuse de métamorphoses liées au changement climatique balaie maintenant l’océan – réchauffement, acidification et désoxygénation des océans –, et tous ces changements vont s’intensifier dans les années à venir, probablement beaucoup plus rapidement que la plupart des gens le perçoivent. Les ZPM peuvent contribuer à relever ces défis – offrir une marge de manœuvre, des points d’ensemencement, restaurer ou préserver la résilience. 1 Gill, David A., Michael B. Mascia, Gabby N. Ahmadia, Louise Glew, Sarah E. Lester, Megan Barnes, Ian Craigie, Emily S. Darling, Christopher M. Free, Jonas Geldmann, Susie Holst, Olaf P. Jensen, Alan T. White, Xavier Basurto, Lauren Coad, Ruth D. Gates, Greg Guannel, Peter J. Mumby, Hannah Thomas, Sarah Whitmee, Stephen Woodley et Helen E. Fox. « Capacity shortfalls hinder the performance of marine protected areas globally ». Nature, vol. 543, no 7647, 2017, p. 665-669. 2 Edgar, Graham J., Rick D. Stuart-Smith, Trevor J. Willis, Stuart Kininmonth, Susan C. Baker, Stuart Banks, Neville S. Barrett et coll. « Global conservation outcomes depend on marine protected areas with five key o features ». Nature, vol. 506, n 7487, 2014, p. 216-220. 6
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