L'épopée de l'Aurora - Revue militaire canadienne
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Image du MDN nº 739-IMG0025 COMMENTAIRES L’épopée de l’Aurora par Martin Shadwick U n quart de siècle s’est écoulé depuis la fin de maritime/RSR à long rayon d’action. Cette décision a entraîné la guerre froide. Pendant ce temps, la trans- la vente des P3C néerlandais à l’Allemagne et au Portugal et, formation de l’environnement géostratégique, au Royaume-Uni, le retrait du MR2 Nimrod et la mise au l’apparition de nouveaux enjeux pour la sécurité rancart – au sens propre – de l’appareil qui était destiné à le nationale et internationale, des cadres financiers remplacer au service de la Royal Air Force (RAF), le MRA4 extrêmement restrictifs et, dans certains cas, les progrès tech- Nimrod. Annoncé en 2010, l’abandon du MRA4 Nimrod était nologiques (c’est-à-dire des satellites et des véhicules aériens la conséquence d’un « cocktail toxique » de dépassements sans pilote [UAV] toujours plus puissants) ont amené la plupart de coûts, de retards à répétition et d’innombrables difficultés des membres de l’OTAN à réduire, voire à éliminer, leur flotte techniques et problèmes de gestion de projet. En ce sens, de patrouilleurs maritimes et d’aéronefs de renseignement, de l’affaire évoquait à plus d’un égard l’expérience qu’avait vécue surveillance et de reconnaissance (RSR) à long rayon d’action. le Canada avec l’intercepteur CF105 Arrow. Aux États-Unis et au Canada, ces changements ont sonné le glas d’un nombre considérable de P3 Orion et de CP140 Une autre grande tendance s’est affirmée depuis la fin de la Aurora, même si l’on doit reconnaître que la baisse du nombre guerre froide : la métamorphose graduelle du patrouilleur maritime d’appareils a été compensée en bonne partie sur le plan quali- à long rayon d’action traditionnel, axé sur la lutte anti-sous-marine tatif par la mise en service à l’United States Navy (USN) du (LASM), en un appareil hybride de patrouille maritime/RSR (ou, P8A Poseidon et le programme continu – et même récemment si l’on veut, un véritable avion à missions multiples) utile aux élargi – visant la mise à niveau et la prolongation de la durée de opérations menées tant au large que sur le littoral et à l’intérieur vie du gros des CP140 Aurora de l’Aviation royale canadienne des terres. Ce changement n’est pas tout à fait nouveau, dans le (ARC), qui ont déjà de longs états de service. Les Néerlandais et sens où les appareils de patrouille maritime ont toujours été, par les Britanniques, de leur côté, ont pris la décision beaucoup plus la force des choses, destinés à un large éventail d’usages militaires radicale de se retirer complètement des missions de patrouille (LASM, lutte antinavire, etc.), quasi militaires (protection des 80 Revue militaire canadienne • Vol. 14, N o. 3, été 2014
© Boeing p64934-03 COMMENTAIRES Boeing P-8A Poseidon pêcheries et surveillance antidrogue) et non militaires (recherche risque fondé sur la technologie éprouvée du système de mission et sauvetage), mais les besoins opérationnels de l’après-guerre P8A. Elle est d’avis que le Challenger 605 est la plateforme idéale froide en matière de maintien de la paix, d’imposition de la paix, de pour recevoir le système de mission, les capteurs et le matériel de sécurité humaine/responsabilité de protéger et de contre-terrorisme communication d’un APATMAR et qu’il fournit la puissance, la ont ajouté de nombreux rôles nouveaux à la palette déjà large de ces capacité d’emport, la portée, la vitesse et l’autonomie qu’exigent appareils. Les nouveaux capteurs et moyens de communication, de des missions telles que la lutte contre la piraterie, la surveil- même que les capacités de gestion et de fusion de données, ont joué lance des littoraux et des frontières, la recherche et le sauvetage, un rôle crucial dans la transition. Au Canada, cette tendance s’est et un éventail d’autres applications maritimes et terrestres. La manifestée par l’emploi des Aurora à l’appui de la sécurité aux Jeux société Field Aviation, établie en Ohio mais dotée d’installations olympiques de Vancouver et au Sommet du G8/G20 en 2010, et à d’importance au Canada, est la partenaire de Boeing dans cette la Réunion des chefs de gouvernement des pays du Commonwealth entreprise. Elle est déjà extrêmement active sur ce marché : elle a en 2009, ainsi que par les missions de cartographie à l’aide de modifié des dizaines d’avions Dash 8/Série Q turbopropulsés de caméras Applanix effectuées en Afghanistan en 2009. Néanmoins, Bombardier pour des services de garde côtière étrangers ainsi que comme l’ont souligné Daniel Arsenault et Josh Christianson dans le l’U.S. Customs and Border Protection Agency. Elle a également numéro d’été 2012 de La Revue de l’Aviation royale canadienne, transformé trois Challenger 604 des forces aériennes danoises en les Aurora affectés à la Force opérationnelle Libeccio à l’appui avions de surveillance maritime multirôles. Dans ce marché en de la mission de l’OTAN en Lybie, en 2011, donnent l’exemple le plein essor, les jets d’affaires de Dassault (et d’autres avionneurs) plus notable de la métamorphose opérée au Canada. Au cours de et les variantes du C295 d’Airbus sont des concurrents. cette opération en Libye, les Aurora ont servi à des missions ter- restres de renseignement, de surveillance, de reconnaissance et de Comme pour souligner le coût des options telles que le P8, le contrôle, à des manœuvres d’appui-feu naval, à la coordination de gouvernement Harper a annoncé le 19 mars 2014 que la flotte de frappes terrestres et à la reconnaissance préalable à ces frappes, à CP140 Aurora modernisés, dont la durée de vie avait été prolongée, l’interdiction maritime et à des opérations psychologiques. passerait désormais à 14 appareils. Auparavant, ce nombre avait été limité à 10 des 18 avions achetés initialement par le gouvernement Une troisième tendance – qui est plus récente, mais prend de Trudeau. Durant la première phase de ce projet évalué à 548 millions la vitesse – se dessine dans l’industrie aérospatiale, qui cherche à de dollars, « les travaux sur les quatre aéronefs supplémentaires fournir des systèmes de surveillance maritime/RSR efficaces sur le seront achevés dans le cadre de contrats actuels attribués au terme plan opérationnel, mais à coût abordable, aux pays qui ne peuvent d’un processus concurrentiel ». La deuxième phase, qui touchera pas s’offrir les capacités du P8 Poseidon dérivé du 737 de Boeing toute la flotte, comprendra la définition et la mise en œuvre de (ou encore, s’il finit par voir le jour, de son pendant d’Airbus, trois nouvelles améliorations des capacités, soit un accès au réseau dérivé de l’A320) ou qui n’en ont pas besoin. La société Boeing de la liaison 16, un système de communications au-delà de la a pris en 2013 une décision qui illustre tout à fait cette tendance portée optique (BLOS) et un équipement d’autodéfense renforcé. lorsqu’elle a choisi l’avion d’affaires Challenger 605 de Bombardier « Ces améliorations et modifications seront achevées d’ici 2021 comme base pour son programme d’aéronef de patrouille maritime et prolongeront l’efficacité opérationnelle de 14 aéronefs Aurora (APATMAR). Pour la société Boeing, l’APATMAR offre au marché modernisés de 2020 à 2030 », selon l’Aviation royale canadienne. mondial un système de surveillance maritime efficace à faible Vol. 14, N o. 3, été 2014 • Revue militaire canadienne 81
© B o e i n g k 6 5 9 0 9 - 01 COMMENTAIRES Boeing a choisi le jet d’affaires Bombardier Challenger 605 comme plateforme pour effectuer des missions dans le cadre de son programme de patrouille maritime. À première vue, l’élargissement à 14 appareils de la flotte Force est d’admettre que notre feuille de route collective en d’Aurora modernisés à la durée de vie prolongée semble être une matière de patrouille maritime à long rayon d’action n’inspire pas solution de compromis acceptable entre les besoins opérationnels confiance. Le gouvernement Trudeau avait fait le choix judicieux (qu’ils soient militaires, quasi militaires ou non militaires, et qu’ils d’opter pour l’Aurora, un aéronef de première classe, mais il en concernent les opérations nationales ou expéditionnaires), le cli- a acquis trop peu pour répondre aux besoins du Canada durant la mat économique rigoureux et les lourdes contraintes du budget de guerre froide. Le gouvernement Mulroney a promis de s’en occuper la défense. Nous avons souvent répété sous cette rubrique que dans son livre blanc de 1987 – qui prônait l’achat de six autres 10 appareils de ce type étaient insuffisants pour répondre aux Aurora –, mais il est revenu sur sa décision dans le budget d’avril besoins du Canada. Cela étant dit, on pourrait envisager avec 1989 (donc avant la fin de la guerre froide). Ce gouvernement davantage d’optimisme l’avenir de la patrouille maritime/RSR a bien acquis trois CP140A Arcturus – ni plus ni moins que des post-Aurora au Canada, plus particulièrement en ce qui concerne la Aurora sans capacité de LASM dotés de ressources de surveil- patrouille maritime/RSR à long rayon d’action, si les 40 dernières lance de surface lacunaires – destinés à l’instruction du personnel années n’avaient pas été caractérisées par une propension inalté- navigant. Le retrait progressif des appareils Arcturus s’est amorcé rable à l’incertitude, aux faux départs, aux guerres de clochers et à l’ère Chrétien, mais la conséquence la plus fâcheuse du mandat aux réductions qualitatives ou quantitatives absurdes… et si les des Libéraux de Chrétien a été la décision, motivée par des raisons responsables militaires et industriels et ceux d’autres parties pre- financières, de morceler le programme de modernisation des Aurora nantes n’étaient pas si empressés, dans leurs déclarations récentes, en une série de 23 projets répartis en 4 volets, projets qui se sont d’annoncer l’éventuelle acquisition d’un successeur de l’Aurora « avérés un véritable cauchemar sur les plans technique, industriel plus petit et plus abordable » qui serait vraisemblablement acquis et opérationnel. Au cours des premières années du gouvernement au Canada et pourrait être dépourvu de capacité de LASM. Harper, on a beaucoup discuté du bien-fondé de mettre fin préma- turément au programme de mise à niveau et de prolongation de la 82 Revue militaire canadienne • Vol. 14, N o. 3, été 2014
COMMENTAIRES durée de vie des Aurora et de lancer dans les meilleurs délais un Il ne fait pas de doute que Boeing, Field Aviation, Bombardier programme de remplacement (la solution de compromis finale- et une multitude d’autres sociétés continueront d’exploiter le marché ment adoptée prévoyait la mise à niveau et la prolongation de la mondial potentiellement lucratif des solutions de rechange plus durée de vie de 10 appareils Aurora), puis le gouvernement s’est petites et plus abordables aux aéronefs tels que le P8. Je ne doute engagé dans la Stratégie de défense Le Canada d’abord de 2008 pas non plus que les capteurs et les systèmes de gestion de don- à remplacer les Aurora par dix ou douze nouveaux « aéronefs de nées modernes doteront ces aéronefs de capacités de surveillance patrouille maritime » d’ici environ 2020. La décision prise en mars impressionnantes, surtout pour la surveillance de surface. Il est 2014 de modifier quatre autres Aurora reporte ce remplacement fort probable que de tels appareils se trouvent un créneau légitime, à 2030 (voire encore plus tard, d’après une publication de source dans le cadre d’opérations nationales ou expéditionnaires de l’ARC, gouvernementale). On pourra se consoler en se disant que le proces- en plus d’un successeur plus grand, véritablement multimissions, sus de décision canadien est encore plus problématique lorsqu’il de l’Aurora. Néanmoins, si le Canada aspire, comme il le devrait, est question des appareils à voilure rotative de l’aviation maritime. à s’équiper d’un substitut d’Aurora pourvu du long rayon d’action et de l’autonomie nécessaires à des profils de missions exigeants – On notera une curieuse discordance entre l’annonce du qu’ils soient militaires, quasi militaires ou non militaires – dans 19 mars 2014, qui portait sur l’ajout d’avions et de capacités à la l’Atlantique, le Pacifique, l’Arctique et à l’étranger, cet aéronef flotte d’Aurora modernisés, et la multitude de rapports, publiés doit être doté de l’espace et de la capacité nécessaires à une suite ou non, qui avancent qu’Ottawa aurait déjà choisi de passer outre avionique de mission polyvalente (comprenant une fonction de au P8 jugé trop coûteux et d’opter plutôt pour un successeur LASM robuste, puisqu’elle est essentielle à l’exécution crédible de « plus petit et plus abordable » aux aéronefs Aurora. Le document tâches générales de surveillance/protection de la souveraineté, de d’information qui accompagnait le communiqué de presse du sécurité et de vigilance dans le secteur maritime), à de l’armement 19 mars 2014 vantait l’Aurora mis à niveau à durée de vie prolongée ainsi qu’à des quantités adéquates de matériel à larguer (c. à d. des pour ses qualités d’avion de patrouille maritime/RSR à long rayon bouées acoustiques et des trousses de SAR), en plus de posséder un d’action utile à un large spectre d’applications militaires (dont potentiel de croissance qui lui permettra de répondre aux besoins la LASM), quasi militaires et non militaires, tant au pays qu’à futurs. On voit difficilement comment des avions à turbopropulseur l’étranger. Ces louanges sont méritées, soit, mais si ces qualités et des jets d’affaires « plus petits et plus abordables » pourraient sont souhaitables en 2014, ne devrait-on pas les exiger également faire l’affaire, peu importe dans quelle mesure et à quel coût on de l’éventuel successeur de l’Aurora? Un appareil « plus petit et aurait pu les modifier. La série C de Bombardier serait peut-être plus abordable » répondrait-il aussi bien aux besoins opérationnels une plateforme plus prometteuse, mais comporterait un risque actuels et futurs du Canada? technique accru, des dépenses ponctuelles substantielles et des difficultés potentielles sur le plan du soutien logistique si l’ARC I m a g e d u M D N n º R E 2 0 0 7- 0 5 6 - 0 01 , p a r l e c a p o r a l E v a n Ku e l z Un Aurora sur le tarmac de l’aéroport international d’Iqaluit pendant l’opération Nanook 07, le 8 août 2007 Vol. 14, N o. 3, été 2014 • Revue militaire canadienne 83
était le seul détenteur d’une variante maritime de l’aéronef. Un troublantes. Tertio, les aéronefs de petite taille « faits maison » aéronef de type Poseidon poserait des problèmes de coût (à l’instar peuvent présenter l’avantage de créer des débouchés dans le monde de l’Aurora, à l’époque de son acquisition), mais ses capacités plus industriel, mais il serait fort mal avisé de faire de ces débouchés la larges en feraient un choix beaucoup plus rentable que les solutions raison d’être du successeur de l’Aurora. Et quarto, le temps file. de remplacement plus petites qui paraissent moins coûteuses. Nul L’annonce du 19 mars 2014 repousse la décision concernant le besoin d’être un devin pour savoir qu’un aéronef de type Poseidon successeur de l’Aurora, mais le Canada risquerait de perdre la face serait beaucoup mieux reçu par le grand public canadien que, par si des options attrayantes, telles que le P8, devaient être retirées exemple, le F35 et certains éléments de la Stratégie nationale du marché avant qu’il ait tranché. d’approvisionnement en matière de construction navale. Martin Shadwick enseigne la politique de défense canadienne En terminant, quelques réflexions s’imposent. Primo, les à l’Université York de Toronto depuis de nombreuses années. Il est besoins futurs du Canada en matière de surveillance maritime/RSR un ancien rédacteur en chef de la Revue canadienne de défense et devront de plus en plus souvent être couverts par une combinaison le commentateur attitré sur les questions de défense de la Revue d’aéronefs avec pilote, de satellites et d’UAV. Secundo, comme militaire canadienne. nous l’a rappelé Ernest Cable, si le Canada devait se trouver dans l’incapacité de remplir ses obligations liées à la patrouille maritime bilatérale CANUS dans l’Atlantique et le Pacifique, les États-Unis risqueraient d’assumer ses responsabilités à sa place, ce qui comporterait un éventail de conséquences potentiellement I m a g e d u M D N n o R E 2 011- M 12 7- 0 0 4 , p a r l e c a p o r a l M a t h i e u S t - A m o u r 84 Revue militaire canadienne • Vol. 14, N o. 3, été 2014
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