Madagascar : après le cyclone, l'aide s'organise - Reforme.net
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Par Marie Lefebvre-Billiez Madagascar : après le cyclone, l’aide s’organise De nombreuses ONG protestantes françaises se mobilisent pour soutenir les sinistrés du cyclone Batsirai. Tempête tropicale Ana le 21 janvier, cyclones Batsirai puis Emnati les 5 et 22 février… Madagascar n’a pas été épargnée par les catastrophes naturelles en ce début d’année. En tout, la grande île dénombre 180 morts et 190 000 sinistrés. Parmi eux, la ville de Mananjary, sur la côte est, a été détruite à 90 %.La population vit sous tente, privée de nourriture, d’eau potable et de moyens de communication. Si la communauté internationale a organisé les secours très vite, les protestants français ne sont pas en reste, notamment parce que la Fondation La Cause soutient deux orphelinats dans la ville de Mananjary : le Catja et Akany Fanantenana. Elle dénombre aujourd’hui 180 orphelins sinistrés, et une vingtaine d’employés. Parmi eux, le gardien des zébus est décédé au cours du cyclone. Véronique Goy, directrice du département enfance de La Cause, décrit des scènes cataclysmiques : « Les potagers, les vergers et les rizières ont été inondés en cette fin d’été austral, alors que les récoltes étaient déjà limitées par la
sécheresse. Les vagues submersives de 6 mètres de hauteur et les vents violents de l’océan grossis par le cyclone ont totalement soufflé la ville. Les bâtiments neufs ont été abîmés, des toitures arrachées, ce qui a fragilisé les structures. Résultat : des bâtiments effondrés, des stocks de récoltes inondés. » Elle décrit une situation locale semblable à celle de Haïti après le tremblement de terre de 2010. « La population a faim » Sans cultures vivrières, ni cheptels (« les poules survivantes se sont enfuies »), ni arbres fruitiers, « la population a faim ». L’aide d’urgence s’est donc organisée de façon très spontanée. L’association « Les Amis du Catja » a immédiatement levé des fonds, en partenariat avec La Cause qui porte désormais le projet. Le Défap – Service protestant de mission ainsi que l’ONG adventiste Adra se sont joints à elles. Un premier objectif a été de faire parvenir sur place le plus vite possible des aliments de première nécessité : riz, huile, sucre, sel, lait en poudre pour les bébés, charbon pour les cuisines. Il s’agira aussi dans un deuxième temps d’envoyer deux ingénieurs civils malgaches sur place, pour évaluer les dégâts et les frais de reconstruction des bâtiments. Il faudra aussi reconstruire les cultures vivrières, de façon à ce que les deux orphelinats redeviennent autonomes sur le plan alimentaire d’ici quelques mois. Véronique Goy estime le budget global nécessaire à 40 000 euros. « Si nous arrivons à récolter plus, il nous restera de quoi fournir les écoliers en habits, cartables et cahiers dès que les écoles pourront rouvrir », ajoute-t-elle. En parallèle, la Fondation du protestantisme, par l’intermédiaire de sa plateforme « Solidarité protestante », a décidé quelques jours avant le premier cyclone de soutenir deux projets sur place. Tout d’abord, l’achat de chèvres pour les paysans du Sud de Madagascar. Un projet de la FJKM, l’équivalent de l’Église réformée à Madagascar, et recommandé par La Cause. Ensuite, les actions de prévention de l’ONG humanitaire chrétienne Medair. Anticiper les catastrophes naturelles Cette dernière, en effet, est en lien avec le Bureau national de gestion des risques et catastrophes (BNGRC) malgache pour mettre en œuvre des « alertes précoces » en cas de cyclones prévisibles. Un numéro d’urgence permet ainsi aux
autorités locales de savoir quelles consignes transmettre aux habitants. Medair a notamment participé à la construction d’abris « en dur » pour mettre les populations en sécurité. Rebecca Millan, chargée des partenariats chez Medair, explique : « Madagascar affronte en moyenne trois cyclones importants par période cyclonique, ce qui provoque des inondations et des glissements de terrain. Medair forme les personnels, les collectivités et les communautés à anticiper. » Mais une fois les dégâts causés, Medair dépêche également sur place une aide d’urgence. À Mananjary en ce moment, elle intervient surtout pour fournir aux sinistrés des kits d’hygiène, afin que les gens puissent se laver, des cachets servant à rendre l’eau potable, et elle œuvre à l’assainissement de 40 puits et 30 latrines. Elle remercie vivement la plateforme « Solidarité protestante » qu’elle estime « très utile et réactive ». Néanmoins, la directrice de la Fondation du protestantisme, Elsa Bouneau, s’inquiète. « L’appel d’urgence que nous avons lancé pour Madagascar s’est fait déborder par l’actualité en Ukraine. » Les besoins des sinistrés malgaches, pressants et réels, resteront-ils audibles ? Faire un don Vous pouvez donner pour Madgascar sur le site de La Cause ou de la Fondation du protestantisme. Lire également : Solidarité : un concert pour venir en aide aux orphelins de Madagascar
Par Cathy Gerig Solidarité : un concert pour venir en aide aux orphelins de Madagascar Soixante-douze choristes et musiciens chanteront à Paris, vendredi 18 mars, pour Madagascar, où le cyclone Batsiraï a causé d’importants dégâts en février dernier. Chaque année, la fondation La Cause organise un concert solidaire. Cette fois, il permettra de venir en aide à des orphelins de Madagascar. Il sera donné à Paris le vendredi 18 mars. Pour l’occasion, 72 choristes et musiciens interpréteront des extraits d’œuvres de Bach, Beethoven, Boyce, Marcello, Saint-Saëns ou encore Rossini, Boccherini, Bellini. Dirigée par Mata Zerbo, la formation versaillaise Huit de Chœur sera accompagnée de membres de la Chorale italienne et de celle d’Air Liquide, précise Alain Deheuvels, le directeur de la fondation. Parmi eux, des amateurs mais aussi des professionnels. Les dons réalisés à cette occasion compléteront ceux déjà récoltés grâce à la collecte (toujours en cours) organisée par la fondation protestante. “Et une artiste vendra un de ses tableaux pendant le concert”, ajoute-t-il. La Cause soutient deux orphelinats à Mananjary, située dans l’ouest de
Madagascar. La ville n’a pas été épargnée par le cyclone tropical Batsiraï, qui a traversé l’île d’Est en Ouest dans la nuit du 4 au 5 février dernier. Sur son passage, il a causé des dégâts importants. La ville a été détruite à 80%. Des toitures ont été arrachées, des bâtiments se sont effondrés et les pluies diluviennes ont détruit ce qui n’était plus protégé par les toitures. Quant aux cultures, elles ont été ravagées ou inondées par l’eau de mer, à la suite de vagues de plus de huit mètres. Les orphelinats Akany Fanantenana et CATJA ont été fortement endommagés et il ne reste plus rien de leurs cultures, vergers, ruches et poulaillers. Dans l’un des site, un jeune homme de 23 ans a également perdu la vie, rappelle le directeur de la fondation. Crises économique et social Cette épreuve s’ajoute à la liste déjà longue de celles endurées par les Malgaches. S’ils ont eux aussi subi la pandémie de la Covid 19, leur île a déjà été envahie à plusieurs reprises par des essaims de criquets ravageant les cultures à chaque passage. De quoi enfoncer plus encore le pays, en proie à l’insécurité, dans les crises économique et sociale. Sans oublier, depuis le début de l’année 2022, des épisodes cycloniques, où la sécheresse en 2021, qui a encore accentuer la famine. Entrée libre et collecte en faveur des enfants de Madagascar. Le vendredi 18 mars, à 20h, Église américaine de Paris 65 quai d’Orsay, dans le 7e arrondissement de Paris.
Par Réforme Famine catastrophique à Madagascar, pour certains Jésus est devenu “le seul guide” Plusieurs ONG avec le soutien du gouvernement distribuent des centaines de tonnes de nourriture et de compléments nutritionnels depuis des mois, mais cela ne suffit pas. “Regardez mon enfant, ayez pitié!”, interpelle une maman dans la région d’Anosy, terriblement affectée par la famine, à l’extrême sud de Madagascar. Elle s’empresse de déshabiller sa fille de cinq ans pour prouver la gravité de son état. Côtes saillantes, bras faméliques, regard vide, la petite se laisse manipuler en silence et se met à trembler. Du village de Fenoaivo, elles doivent marcher une dizaine de km vers le centre de santé le plus proche. “Jésus est notre seul guide”, dit cette femme qui n’a pas un sou en poche. Un peu plus loin, une famille endeuillée veille en silence autour d’un feu presque mort. “Nous ne pouvons pas faire l’enterrement car nous n’avons pas de zébu. Nous n’avons pas de repas à servir, pourtant chez nous c’est le plus important”, se désole Rahovatae, devant la case où repose son père mort de faim quatre jours plus tôt. En attendant de l’aide, toute la famille cherche racines et tubercules, dernières denrées disponibles. “Il n’y a plus rien à prendre là. C’est par ici qu’on creusait”, montre cette mère de neuf enfants, une bêche à la main, dans ce petit bois près du village.
Bredouille, elle se dirige vers des cactus et arrache un morceau. “J’enlève les épines au couteau. Ce n’est pas bon, c’est âcre et gluant au palais. Même cuit, ça n’a aucun goût. Ça nous affaiblit”, se lamente-t-elle. “Village zombie” Son hameau désert fait partie de ceux que certains humanitaires appellent tristement “village zombie”, où la vie se réduit à quelques silhouettes émaciées qui semblent attendre la mort. Comme Rahovatae, plus d’un million de Malgaches, sur une zone vaste comme la Bulgarie ou Cuba (111.200 km2), ont faim. La rareté des pluies depuis plusieurs années consécutives a rendu l’agriculture impossible. Et des tempêtes de sable ont transformé de vastes étendues de terres arables en friches. Des ravages liés au réchauffement climatique, affirme l’ONU. “Nous avons planté mais il n’y a pas eu de pluie. Tout ce qui est planté meurt. Nous n’avons plus rien: on a vendu une partie de nos biens, l’autre a été volée par des bandits”, raconte Sinazy, mère de huit enfants, à Mahaly. Dans une petite case de terre et de paille, son fils de 17 ans, Havanay, casse des noix sauvages. “On mange l’intérieur, cette chair blanche” difficile à extraire, montre-t-il. “Je casse ça du matin au coucher du soleil. Mais le gras peut rendre malade. Après en avoir mangé, je tremble”, se désole-t-il. Le patron du Programme alimentaire (PAM) David Beasley a comparé la situation à un “film d’horreur”, qui fait monter “des larmes aux yeux des humanitaires les plus endurcis” par l’expérience. L’ONU estime les besoins à 67 millions d’euros Quelque 14.000 Malgaches ont atteint le niveau cinq, soit la phase “catastrophe, quand les gens n’ont plus rien à manger”, explique Moumini Ouedraogo, responsable du PAM dans l’île. L’ONU estime les besoins à 67 millions d’euros pour la prochaine période de
soudure dès octobre. Plusieurs ONG avec le soutien du gouvernement distribuent des centaines de tonnes de nourriture et de compléments nutritionnels depuis des mois, mais cela ne suffit pas. La ville d’Ambovombe, chef-lieu de la région très affectée d’Androy, est débordée par l’afflux de centaines d’affamés, livrés à eux-mêmes depuis des mois. Ils sont réduits à mendier et mangent déchets alimentaires du marché et chutes de cuir données par des fabricants de sandales. Pour le ramollir, le cuir est bouilli avec un peu de sel ou simplement grillé. “Nous mangeons du cuir tous les jours. Il nous ronge le ventre mais c’est parce que nous n’avons rien. Nous souffrons beaucoup”, dit Clarisse. La Grande Ile a connu seize crises alimentaires documentées depuis 1896 Particulièrement grave cette année, le phénomène n’est pas nouveau à Madagascar. La Grande Ile a connu seize crises alimentaires documentées depuis 1896. Le gouvernement se défend de toute mauvaise gestion. “Nous avons mené plusieurs actions depuis l’élection de monsieur le président Rajoelina”, en 2019, souligne sa directrice de cabinet Lova Hasinirina Ranoromaro. “C’est une vraie transformation que nous souhaitons voir dans le sud. Il y a une forte volonté politique”, assure-t-elle. Sur Twitter, le président a annoncé le lancement de “141 projets d’envergure” dans les secteurs de l’agriculture, l’accès à l’eau, les travaux publics et la santé. “Jusqu’ici nous avons apporté de l’aide humanitaire, maintenant nous voulons des avancées structurelles”, notamment en termes d’irrigation, a déclaré à l’AFP le ministre de l’Economie, Richard Randriamandranto. Pour les cadres du PAM, la famine résulte principalement du réchauffement climatique. “Nous n’avons pas d’industrie ici (à Madagascar) qui puisse vraiment
polluer autant, pourtant on a tous les effets de cette pollution qui font qu’on voit la nature se dégrader et ne pas permettre aux gens de produire assez pour se nourrir”, assure M. Ouedraogo. Pour le chercheur Paubert Mahatante, “l’explosion démographique et l’épuisement des ressources naturelles” jouent aussi, tout comme la détérioration des routes ou “la défaillance de la politique de décentralisation”. Ni les autorités, ni le PAM ne communiquent sur le nombre de morts. Mais ces derniers mois, l’AFP a comptabilisé au moins 340 morts auprès des municipalités. © Agence France-Presse Par Jean-Kely Paulhan Essai : Jean Beigbeder, un vrai éclaireur à Madagascar Les lettres de Jean Beigbeder ont été publiées grâce à Faranirina Rajaonah, professeure d’histoire, et Claire-Lise Lombard, responsable de la bibliothèque du Défap-Service protestant de mission. Jean Beigbeder a dix ans d’expérience d’encadrement des mouvements de
jeunesse protestants quand il s’embarque, avec son épouse Odette, cheffe éclaireuse, pour Madagascar. Ni administrateur, ni colon, ni missionnaire (la vitalité du protestantisme malgache à l’époque est immense), il est chargé de fonder à Tananarive un foyer culturel, lieu de rencontre entre colonisateurs et colonisés. Parallèlement, il doit développer le scoutisme protestant et favoriser l’implantation des Unions chrétiennes de jeunes gens (UCGJ). Républicain et membre de la haute société protestante, il se méfie des mouvements contestataires. Épris de justice, sensible à la pluralité des cultures et au respect qu’elles méritent, il est hostile au pouvoir que les Églises dominantes sont tentées de s’arroger. Le travail ne manque pas : Jean Beigbeder doit contacter une quarantaine d’organisations protestantes françaises ou étrangères ; il doit convaincre du caractère non religieux du futur Foyer, ouvert à tous, sans aucun dessein de prosélytisme. L’administration coloniale, quant à elle, craint les idées subversives, que répandraient aussi les soldats malgaches de retour de la Grande Guerre. Les ressources financières du Foyer, venant surtout des milieux malgaches de la capitale, provoquent la suspicion. Sa revue, Fanilon’ny Tanora (« Le Flambeau des jeunes »), ne risque-t-elle pas de devenir un organe de contestation ? Elle le devient, discrètement. On reconnaît les esprits libres à leur aptitude à se séparer de leur camp lorsque ce dernier n’est plus à la hauteur de son idéal proclamé. Beigbeder est contraint à pratiquer une diplomatie permanente, qui n’exclut pas la fermeté des convictions ; il en fait écho dans ses lettres, largement diffusées en métropole, au-delà du strict cercle familial. Enfin, Beigbeder justifie la disparition en forêt des travailleurs malgaches quand « ils ne sont pas bien traités ou trop mal payés. […] Cette manière d’agir est une soupape de sécurité [en l’absence de syndicats autorisés] qui rappelle parfois utilement certains colons au sens de la justice ». Ces lettres constituent un document passionnant sur notre histoire coloniale et l’extrême complexité des relations franco-malgaches au XXe siècle.
© Hémisphères / Maisonneuve & Larose Claire-Lise Lombard et Faranirina Rajaonah (éd.), Lettres de Tananarive : Jean Beigbeder à son père, 1924-1927, Hémisphères / Maisonneuve & Larose, 2019, 184 p., 28 €. Par Jean-François Zorn
Marc Boegner, un colonialisme contrarié Ce mois de décembre 2020 marque les 50 ans de la mort de Marc Boegner (18 décembre 1970). Homme de conviction, ce responsable protestant était aussi un citoyen de son temps. D’abord favorable à la colonisation dans une perspective idéalisée d’apports culturels multiples, et notamment religieux, il aura le courage de se confronter à ses sombres versants pour prendre le parti d’une transition responsable vers l’autonomie des Églises et l’indépendance des États. On sait peu aujourd’hui que Marc Boegner n’a pas été que pasteur, docteur de l’Église et président de nombreuses institutions protestantes. Sa licence de droit acquise en 1901, alors qu’il n’a pas commencé ses études de théologie, lui vaut d’être nommé en 1923 professeur à l’Institut de droit international de La Haye. Il y dispense un cours intitulé « Les missions protestantes et le droit international ». Colonisation et mission chrétienne C’est là qu’il développe sa conception de la colonisation en présentant le traité qui, en 1885, concluait la conférence de Berlin instituant un double droit, à la colonisation et à la mission. « Les puissances signataires ont l’obligation d’assurer, dans les territoires occupés par elles sur les côtes du continent africain, l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis et, le cas échéant, la liberté du commerce et du transit dans les conditions où elle serait stipulée » (art. 35). Concernant « Les missionnaires chrétiens, les savants, les explorateurs, leurs escortes, avoirs et collections, [ils sont] l’objet d’une protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers » (art. 6). Non seulement Boegner ne trouve rien à redire à ces dispositions, mais il estime qu’elles ont permis de rappeler à l’ordre certaines nations qui ne respectaient pas la liberté religieuse dans les territoires nouvellement conquis (1). Au terme de la Première Guerre mondiale, Boegner montre que les traités de Versailles et de Saint-Germain de 1919 vont dans le même sens, en réglant le problème des sociétés allemandes de mission expulsées et dont l’œuvre a été dévolue à celles
des pays alliés (France et Royaume-Uni). Il écrit : « Il semble donc que nous soyons devant un régime de liberté complète, qui promet aux missions le droit, garanti par la grande majorité des puissances, d’exercer leur apostolat sous la protection des traités internationaux. » Une « action réparatrice » Dans l’une de ses conférences de Carême de 1932, intitulée « L’Église et la colonisation », Boegner estime que « la mission chrétienne apparaît comme une action réparatrice [souligné par l’auteur]. Ce que des Blancs détruisent par leurs méthodes brutales, par leur cupidité, par leur alcool, par leur débauche, d’autres Blancs cherchent à le réparer par leur amour, par leur désintéressement, par leurs sociétés de tempérance, par le rayonnement de pureté qui émane de leur vie ou de la vie de leur foyer. Au nom de Jésus-Christ, les missionnaires qu’envoie l’Église sont d’infatigables réparateurs de brèches faites dans l’âme indigène et dans la vie des sociétés indigènes par le contact brutal avec la civilisation matérielle, amorale ou immorale, des peuples qui les colonisent (2). » Ces déclarations témoignent d’un incontestable optimisme vis-à-vis de l’œuvre coloniale contemporaine, dès lors qu’elle se montre capable de dépasser les erreurs du passé et d’être aussi « avantageuse aux populations indigènes qu’à ceux qui les colonisent ». Mais la preuve de cette action positive de la colonisation n’arrivera jamais. L’insurrection malgache Marc Boegner en fait l’amère expérience lors de son voyage à Madagascar de juillet à septembre 1947, alors que l’insurrection qui a éclaté dans le pays vient d’être matée par le gouvernement français. Cette insurrection est exemplaire d’un mouvement autochtone inspiré d’idées politiques indépendantistes et religieuses autonomistes, puisées dans le protestantisme présent à Madagascar depuis cent trente ans et dans la religion traditionnelle à la base du nationalisme malgache. Cette insurrection provoque la mort de près de 30 000 Malgaches, 2 250 militaires et 200 civils européens. Le premier bilan côté Églises fait état de 325 chapelles détruites. Les leaders du Mouvement démocratique de la rénovation malgache (MDRM), dont certains sont membres de l’Assemblée nationale française, sont accusés.
Accompagné de son épouse et du pasteur André Roux, responsable de la formation des missionnaires, Marc Boegner, au double titre de la Mission de Paris et de la Fédération protestante de France, conduit la délégation. Il donnera deux interviews à son retour en France, à Réforme le 27 septembre 1947 et au Figaro le 22 octobre. Il y évoque les causes de la révolte. Le « complot malgache » visait rien de moins que d’assassiner tous les Européens, administrateurs, colons, missionnaires, sans parler des Malgaches de nationalité française. Même si l’entreprise a en grande partie échoué, la confiance entre étrangers et Malgaches est brisée et il faudra beaucoup de temps pour rétablir un climat favorable. « Les erreurs funestes de l’Administration » Boegner fait part de son trouble : « J’avoue avoir éprouvé une étrange stupeur en rencontrant des Blancs qui m’ont paru revenir d’un autre monde » (Figaro), ces derniers « donnant souvent l’impression d’ignorer qu’un monde nouveau est né dans les souffrances et les détresses de la dernière guerre » (Réforme) et qu’il accorde davantage d’importance aux droits de chaque homme. Boegner se livre alors à un impitoyable réquisitoire contre « les erreurs funestes de l’Administration » pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale : le maintien du travail forcé malgré la charte de San Francisco et le préambule de la Constitution française. Boegner estime qu’« un sens inné de la justice a été froissé chez les Malgaches. L’Office du riz a exaspéré le mécontentement de la masse. Le retour de France ou d’Afrique du Nord des tirailleurs malgaches démobilisés, aigris par l’existence ballotée, a été un autre facteur de troubles. Nombreux étaient ceux qui avaient vu de près le maquis et rapportaient des armes. » C’est tout cela qui a nourri « les espérances les plus folles », selon lui, des candidats du MDRM aux élections législatives successives, encouragés par « le grand souffle d’indépendance venu d’Indonésie et du monde arabe ». Le risque nationaliste Interrogé par Réforme sur une prétendue responsabilité des missions protestantes dans la rébellion, il ne nie pas que des catéchistes et des pasteurs
relevant de plusieurs missions protestantes aient appartenu au MDRM et participé à des réunions secrètes. S’ils sont coupables, la justice les punira. Ils seront condamnés à mort ou aux travaux forcés en 1948, mais graciés en 1949 et amnistiés en 1956. Quant au problème de la constitution d’une Église protestante unie malgache, Boegner affirme que tel est bien le but à atteindre. Mais « les Malgaches demandent davantage, écrit-il, ils veulent une Église protestante malgache, dont les missionnaires ne soient plus, pour un temps plus ou moins long, que les conseillers ecclésiastiques et scolaires ». Il note encore que « chez certains d’entre eux, une tendance à voir dans le christianisme l’accomplissement d’un sentiment religieux ancestral est aisément discernable. Et si l’on veut qu’il y ait un jour, comme il se doit, une véritable Église de Jésus-Christ à Madagascar, il convient d’aider les chrétiens malgaches d’aujourd’hui à éviter le risque redoutable d’une Église qui soit un moyen pour le peuple d’atteindre à ses fins nationales ». Autonomie sans rupture Il considère alors que le nationalisme malgache pourrait avoir des effets aussi néfastes sur la nature de cette unité que le nationalisme des chrétiens allemands sur l’Église évangélique allemande, mouvement qu’il a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale. Cette analogie entre les deux types de nationalisme, confortée par le fait que s’y mêlent des deux côtés des formes de paganisme et de racisme, est sans doute discutable d’un point de vue historique. Elle n’en demeure pas moins un point de vue alors partagé parmi les missionnaires de cette époque, qui souhaitent que les Églises auxquelles la mission a donné naissance s’acheminent vers une autonomie sans rupture avec le siège parisien. Telle sera la tâche essentielle que « le président Boegner » va accomplir jusqu’en 1968 à la Mission de Paris. Jean-François Zorn est historien et missiologue de l’Institut protestant de théologie. 1. « Missions et gouvernements. De l’acte de Berlin au traité de Versailles », Le Monde non chrétien, n° 1, 1930.
2. Paris, Je Sers, 1932. Par Claire Bernole Visite du pape à Madagascar : le témoignage de deux pasteurs sur place La visite du pape François à Madagascar a été accueillie avec enthousiasme par l’ensemble des catholiques et des protestants. Deux pasteurs de la FJKM, à Madagascar, ont souhaité témoigner anonymement, pour ne pas générer de tensions avec des personnes ne partageant pas leur position. La FJKM est l’Eglise réformée de Madagascar. “Le pape apporte la bénédiction comme tout serviteur de Dieu. Du fait de l’unité au sein de la FFKM (1) de la chrétienté, et surtout en tant que malgache, je partage la joie des catholiques et je leurs manifeste tout mon soutien. Cette visite est une victoire pour tous.
Effectivement, tous les Malgaches s’unissent une fois de plus, comme lors du parcours des Barea, l’équipe nationale de football, à la Coupe d’Afrique des Nations. Ceci montre que les chrétiens sont encore nombreux et qu’ils peuvent saisir de pareilles occasions avec la force de la foi. En revanche, je trouve que l’État malgache s’implique un peu trop dans cet événement, au-delà des relations normales que deux États peuvent entretenir. Surtout pour un État qui prône haut et fort sa laïcité. Néanmoins, cela est de bonne augure pour l’Église en général. Et puis, cette implication apportera, j’espère, une ouverture encore plus grande car le pape est une figure internationale. Sur le plan des relations internationales, Madagascar pourrait s’ouvrir encore plus. Que les prières faites à ce sujet s’accomplissent pour tous les Malgaches. Je souhaite aussi que le peuple s’unisse pour ne contempler que Dieu et son amour. Aussi, que nous nous rendions compte que c’est par la foi et la vérité que nous le prions, d’autant que le pape reste un être humain, comme nous tous. Enfin, nous sommes malgaches et protestants. Malgré les différences religieuses qui nous séparent, nous nous devons de soutenir les catholiques. Que le passage du pape nous apporte à toutes et à tous un nouveau souffle spirituel, qui restera et qui ne repartira pas avec lui.” Pasteur de la FJKM officiant en zone rurale “La visite du pape à Madagascar est un grand événement, eu égard à sa place dans l’Église catholique. Il est un guide qui prêche l’évangile. Je trouve son passage important. Le fait de voir autant de fidèles réunis donne beaucoup d’espoir au christianisme. Je peux même être fier, aujourd’hui, de voir que Madagascar est bien un territoire chrétien. Cela apportera un nouvel élan à l’œcuménisme et uniformisera les points de vue. Effectivement, les catholiques se considèrent actuellement comme supérieurs aux autres chrétiens.” Pasteur de la FJKM, nouvellement diplômé de la Faculté de Théologie (1) Conseil des Églises malgaches – catholique, réformée, luthérienne et anglicane.
Par Claire Bernole Madagascar : Jean Ravalitera évoque la visite du pape Le pape François est en visite à Madagascar jusqu’au lundi 9 septembre 2019. Jean Ravalitera, pasteur malgache vivant en France, revient sur cet événement. En tant que pasteur, vous sentez-vous concerné par cette visite ? Jean Ravalitera : J’ai été président du Conseil des Églises chrétiennes malgaches en France, mais aussi du Conseil chrétien des théologiens, à Madagascar. J’ai beaucoup travaillé avec les catholiques. En ce sens, je me sens concerné par la visite du pape. Elle signifie que la religion chrétienne est bien implantée sur ce territoire. La dernière visite d’un pape était celle de Jean-Paul II (1978-2005), et elle remonte à trente ans ! Tous les Malgaches se sentent donc honorés par cette visite, et pas seulement les chrétiens. C’est une forme de reconnaissance. Cette année, deux événements majeurs auront marqué la population, qui est en mal de repère avec les soubresauts politiques qu’a connus l’île. Il y a d’abord eu la Coupe d’Afrique des nations, qui a réuni tous les Malgaches. À présent, c’est la visite du pape.
Qu’en est-il des protestants sur place ? Les protestants historiques, c’est-à-dire luthériens, réformés et anglicans, sont globalement ravis. Les évangéliques, qui sont venus plus tard, ne réagissent pas de la même façon. Certains d’entre eux – j’insiste sur le fait que je ne parle pas pour tous – sont mécontents. Tout simplement parce que le catholicisme induit, chez certains protestants, une sorte d’appréhension, de méfiance, que j’ai du mal à analyser. La venue du pape peut-elle être une occasion, pour l’ensemble des chrétiens malgaches, d’exprimer leur fraternité ? Oui, d’autant que la dynamique d’évangélisation des musulmans est, d’après moi, bien visible. C’est une façon de réaffirmer la présence chrétienne. D’autre part, les Malgaches ont l’œcuménisme dans le sang. On se marie très facilement entre chrétiens, catholiques et protestants. Si bien que les familles sont très mélangées. Personne ne peut dire qu’il vient d’une famille 100 % protestante ou 100 % catholique. La visite du pape est donc importante pour tous. Il est certain que le pape sera accueilli tout au long de son séjour non pas seulement par les catholiques mais par les chrétiens en général. Je connais mes compatriotes ! Les catholiques sont bien sûr concernés en premier lieu par la préparation de cette venue et celle de la messe. Mais des protestants ont collaboré avec eux pour organiser un espace prêt à accueillir quelque 800 000 fidèles. Enfin, nous attendons du pape qu’il délivre un message de paix, de réconciliation et d’espérance face à la grande pauvreté, à l’insécurité et aux problèmes politiques que connaît Madagascar.
Par Claire Bernole Documentaire : “Protestants de Madagascar, la tentation politique” Présence protestante diffuse le 16 décembre un reportage sur Madagascar, quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle. Comme aux États-Unis ou au Brésil, il y aurait beaucoup à dire sur les rapports entre religion et politique à Madagascar. Le reportage de Jérémy Frey, Protestants de Madagascar, La tentation politique, aborde un sujet sensible : quel est le poids des Églises et institutions protestantes dans le scrutin qui se déroulera le 19 décembre ? Il apporte des éclairages essentiels sur cette question dans le cadre de la visite que la délégation française protestante a rendue aux fédérations, la FJKM, luthéro-réformée, et la MRE, évangélique, au mois d’octobre. François Clavairoly, président, et Georges Michel, secrétaire général de la FPF, livrent leur analyse. Les représentants ecclésiaux locaux dépeignent ce qui se passe dans le pays, et parfois même dans leurs Églises. L’appartenance confessionnelle affichée des candidats, les consignes de vote données dans des assemblées, ou encore l’islam en expansion, accusé d’acheter des conversions de jeunes gens, sont ouvertement évoqués. Apparaît aussi le jeu trouble de candidats chrétiens, se présentant sous la bannière d’une Église, financés par les pétro- dollars de la péninsule arabique ou de connivence avec le monde musulman. Le réalisateur n’a pas hésité à frapper à la porte du président de la République sortant ainsi que d’un candidat encore en lice pour recueillir leur point de vue.
Des pasteurs, des aumôniers, un membre d’Église et d’autres interlocuteurs ont aussi la parole. Comme souvent, c’est dans le champ social – bien plus que politique – que le témoignage des Églises résonne avec le plus de justesse et s’avère le plus efficace. Le colloque des aumôniers de prison de l’océan Indien, qui se déroulait au même moment que la visite de la délégation, en est la démonstration. Les images sont imprégnées de ces temps forts qui font découvrir la Grande île et les défis auxquels l’ensemble de sa population est confrontée. À voir Protestants de Madagascar, la tentation politique Présence protestante, dimanche 16 décembre, France 2, 10 h. Par Rebecca Gil Les enjeux de l’élection
présidentielle à Madagascar 36 candidats sont en lice pour devenir le prochain président de la République malgache. Parmi eux, pas moins de quatre ex-présidents, qui rivalisent de moyens financiers. En politique à Madagascar, le renouveau est difficile à entrevoir. Quatre anciens présidents de la République s’affrontent lors de cette élection présidentielle 2018 le 7 novembre : Didier Ratsiraka, Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina, ainsi que celui qui était jusqu’à il y a deux mois président, Hery Rajaonarimampianina, démissionnaire afin de pouvoir se présenter à cette élection tout en respectant la Constitution malgache. Une revanche en quelque sorte pour les trois anciens chefs d’État, car ils n’ont pas été autorisés à se présenter à la dernière présidentielle de 2013. Dans le cadre d’un accord de sortie de crise, les opposants Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana avaient été mis sur le banc de touche. Quant à Didier Ratsiraka, sa candidature avait été invalidée par la Cour électorale spéciale. Contexte tendu à Madagascar Cette année, la crise a été évitée de peu en avril. Les dossiers de candidature des anciens chefs d’État Rajoelina et Ravalomanana ont failli être invalidés, ce qui a d’ailleurs engendré des manifestations à Antananarivo en ce début d’année, mais la Haute Cour constitutionnelle a finalement rejeté les nouvelles lois électorales, mettant ainsi fin au suspense. À plusieurs reprises, les dates des élections ont failli être reportées. Elles n’ont d’ailleurs été validées que tardivement, le 29 juin dernier. Cela n’a pas empêché un collectif de 22 candidats de réclamer une nouvelle fois le report des élections après le début officiel de la campagne. Leur motif ? Il y aurait, selon eux, des anomalies dans la liste électorale. Ils n’ont pas hésité à cosigner une déclaration dans laquelle ils exhortent la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et les autorités malgaches à rouvrir la liste électorale pour y inclure des citoyens oubliés, mais aussi ôter les noms en doublons, et mettre fin à la circulation de fausses cartes d’identité. Alors que les quatre « poids lourds » de cette élection se battent pour obtenir le
fauteuil tant convoité de président, 32 autres candidats espèrent eux aussi se faire entendre. Un chiffre qui interpelle, car les Malgaches auront bien du mal à choisir entre tant de candidats, d’après Solonjatovo Rakotonirina, professeur à l’École polytechnique d’Antananarivo. « Cela reflète un véritable manque de maturité des Malgaches. Comment connaître le programme de 36 candidats dans un pays où plus des trois quarts de la population est analphabète ? Comment réussir à faire le bon choix ? », s’interroge-t-il. Les Malgaches eux-mêmes se demandent comment ils feront leur choix, et préfèrent tourner cela en dérision sur les réseaux sociaux en comparant le nombre de candidats à celui d’autres pays. « Aux États-Unis : 5, en France : 11, en Allemagne : 6 et puis il y a nous : 36 ! », ironise un internaute. La loi électorale promulguée il y a cinq mois apporte des améliorations sur la transparence des fonds de campagne, mais le financement de ladite campagne n’est pas plafonné. De quoi engendrer de grandes inégalités de moyens entre les ex-présidents et les « petits candidats ». Le lancement des joutes électorales, le 8 octobre, a d’ailleurs été écornée par une affaire des plus ironiques : une bataille sur l’autorisation ou non du décollage des hélicoptères appartenant aux candidats (qui en ont les moyens), leur permettant de se rendre dans les villes où sont organisés les meetings. S’en est finalement suivie une injonction du Premier ministre au directeur de l’Aviation civile de Madagascar (ACM) pour qu’il délivre les autorisations aux requérants. Une injustice que dénoncent les candidats qui manquent cruellement de fonds pour leur campagne, et ils sont nombreux. Sur les 36, seule une dizaine a pu confectionner une affiche. Les autres restent inaudibles. Des débats sont donc organisés par la Ceni notamment (la Commission électorale nationale indépendante pour la transition), ils sont retransmis sur les chaînes de radio et télévision publiques, et quelques chaînes privées, afin de donner de la voix à ces candidats. Inégalité de moyens Une charte a pourtant été signée il y a un mois : elle demande à chaque candidat de s’abstenir de dépenses ostentatoires. Mais certains ne s’en privent pas ; ils se rendent visibles par tous les moyens. À Antananarivo, on ne compte plus le
nombre de tee-shirts orange floqués au nom de Andry Rajoelina distribués dans les rues aux plus pauvres (photo). À la télévision et à la radio, on entend son « chant de campagne » à chaque pause publicitaire… Un privilège qui coûte cher, et que ne peuvent s’offrir d’autres, comme la candidate Arlette Ramaroson. Cette dernière n’a pas hésité à invectiver de manière indirecte les « poids lourds » de cette élection ce dimanche, lors d’un débat télévisé organisé à la TVM (la télévision nationale publique) : « On ne sait pas d’où vient cet argent… C’est l’argent du peuple, ou encore de trafics douteux ! Il faut arrêter de vendre Madagascar aux Chinois, aux Indiens… Cela doit cesser. » C’est d’ailleurs une critique qui grandit parmi les candidats : le général Richard Razafy Rakotofiringa a lui aussi dénoncé la manière dont les fonds sont utilisés par les ex-présidents, accusés d’être de mauvais gestionnaires de l’argent public, mais en plus de protéger, grâce à leur statut, le trafic de bois de rose, tout en générant du profit par ce moyen. La revanche du « prophète » André Mailhol Il l’avait prophétisé en 2013 : le pasteur André Mailhol serait président. Pourtant, la prophétie ne s’est pas réalisée. Cinq ans plus tard, il retente sa chance d’accéder au fauteuil présidentiel. Son leitmotiv : lutter contre l’injustice. « Pour pouvoir lutter contre la pauvreté, il faut rétablir la sécurité. Les paysans ne sont plus motivés à produire car ils vivent dans l’inquiétude et la peur. Au lieu d’exporter du riz, nous en importons, car nos ressources et nos potentiels ne sont pas exploités », affirme-t-il. Parmi les 36 candidats à la course à la magistrature suprême, il dispose d’une base électorale acquise à sa cause. À la tête de l’Église Apokalypsy de Madagascar (FAM), il a au moins 1 500 000 fidèles répartis dans toute l’île. Portée par le parti, Gideona Fandresena ny Fahantrana eto Madagasikara (GFFM, Gédéon pour vaincre la pauvreté à Madagascar), cette candidature a été bien étudiée et réfléchie. Cette association GFFM a été implantée en France dès 2012, une manière de préparer l’accession au pouvoir de Mailhol.
Ce n’est pas le premier homme d’Église à se porter candidat à l’élection présidentielle sur la Grande Île. Mais cette Église a ceci de particulier qu’elle est qualifiée de « secte », et Mailhol de « gourou » par ses détracteurs. Il n’est en tout cas pas soutenu officiellement par les Églises malgaches (FJKM, catholique, luthérienne, anglicane…), qui joue un véritable rôle de guide pour des millions de fidèles. Comme toujours dans l’histoire de la Grande Île, les responsables religieux se positionnent comme des acteurs incontournables des élections. Des autorités spirituelles au poids sociopolitique indiscutable, capable d’influencer l’électorat. Quoi qu’il en soit, André Mailhol bénéficie d’une base électorale qui n’a fait qu’augmenter en nombre depuis l’annonce de sa candidature. Les sondages à Madagascar n’étant pas fiables, aucun chiffre précis ne peut être donné mais il serait, d’après des proches du pouvoir, juste derrière Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana dans les intentions de vote. Par Claire Bernole Madagascar : une délégation
protestante pour les 200 ans du christianisme Une délégation protestante française a rendu visite aux Églises malgaches à l’occasion des 200 ans de l’arrivée de la Bible sur la Grande Île. Le voyage était plus que symbolique. À l’occasion des 200 ans de l’arrivée de la Bible à Madagascar, une délégation protestante française, conduite par François Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF), a rendu visite, en septembre, aux différentes Églises protestantes malgaches. Réformés, luthériens et évangéliques mènent des vies relativement étanches. L’histoire des missions, d’abord, puis l’antagonisme entre populations des Hauts Plateaux et populations côtières (exploité par le pouvoir colonial français et qui perdure jusqu’à aujourd’hui) les a progressivement séparés. Le dialogue au second plan « Dans les années 1950 s’organisent quatre Églises protestantes autonomes à partir des différentes missions. À la même époque, un premier courant dit “évangélique” se manifeste sous l’impulsion d’un pasteur malgache. Puis un deuxième. À partir des années 1990, on peut parler d’une véritable vague évangélique et pentecôtiste, venue de l’extérieur », résume Huibert Van Beek, ancien envoyé de la Mission de Paris. Entre ces deux périodes, en 1968, les courants réformés se réunissent au sein de l’Église de Jésus-Christ, FJKM en malgache. La FJKM, qui compte plus de cinq millions de membres, et le courant luthérien, à travers la FLM, sont largement majoritaires en nombre et en influence (théologique, sociale). Depuis quelques années, des Églises évangéliques et pentecôtistes, parfois encore perçues comme des sectes, ont créé une Alliance évangélique. « La FJKM commence à prendre conscience qu’il faut créer des contacts et se parler », note Huibert Van Beek. C’est dans ce contexte délicat que la délégation française – dont le travail a été largement préparé en amont par des prises de contacts – a œuvré et réussi à convaincre chaque courant de la nécessité de se rencontrer. Trois conférences ouvertes à tous, données en trois lieux représentatifs du monde
protestant, ont permis d’aborder les différentes lectures et interprétations de la Bible, la diversité du protestantisme ainsi que les enjeux du dialogue œcuménique, à Madagascar comme en France. « Le plus grand frein à lever dans le travail œcuménique à Madagascar est le sentiment qu’a chaque Église de se trouver devant des défis difficiles à relever pour elle-même. Le dialogue avec les autres passe donc au second plan », explique François Clavairoly. La situation économique, sociale et politique du pays – en pleine période électorale – rejaillit sur les Églises et accroît la difficulté. « Dans ce contexte, notre venue est très humble », souligne le président de la FPF, qui, par ailleurs, insiste sur le « partage d’expérience » qui a eu lieu avec les Églises dont les situations ne sont pas sans analogies avec la France. « La même variété d’approches au sein du protestantisme se retrouve partout et chacun va où il se sent attiré », relève Pier Larson, professeur d’histoire à Johns Hopkins University (États-Unis). « La diversité peut être vue comme un signe de maturité et un obstacle à un pouvoir central, ce qui en soi est positif, c’est une alternative plus démocratique », ajoute le spécialiste. L’inauguration du colloque des aumôniers de prison de l’océan Indien fut une occasion privilégiée de rencontre pour les trois Églises protestantes, en présence de l’aumônier nationale de Madagascar ainsi que de la ministre de la Justice. Cette dernière n’a pas pu cacher son émotion, à la suite des discours introductifs qui ont fait écho à son vécu de ministre en même temps que de chrétienne. Un deuxième colloque est désormais attendu pour dans deux ans. Au-delà des défis internes au protestantisme malgache, la question du témoignage des Églises dans la société revêt un enjeu important. D’autant que la bonne distance avec un pouvoir trop souvent corrompu est des plus difficiles à trouver. « J’espère que les Églises sauront tenir la distance de sécurité par rapport au pouvoir : pas trop loin, pour pouvoir témoigner, montrer qu’elles se préoccupent de la justice, mais pas trop près non plus, pour ne pas se laisser emporter par la tentation du pouvoir », avance François Clavairoly. L’islam venu d’ailleurs Enfin, la question de l’islam, venu du Qatar, d’Arabie saoudite et de Turquie, sans lien avec l’histoire de l’île contrairement à l’islam d’Afrique qui a précédé le
christianisme, concerne les Églises autant qu’elle les dépasse. En effet, la même préoccupation englobe toute la société. L’idée est donc bien de s’unir pour partager des richesses et des ressources, non pour réaliser « un front commun » contre l’islam, tient à préciser François Clavairoly. Les relations initiées à l’occasion de ces événements devraient trouver leur prolongement lors de nouveaux échanges, notamment en renouant le dialogue entre l’Église protestante malgache en France (FPMA) et les courants luthériens et réformés sur place, ainsi qu’en encourageant l’ÉPUdF mais aussi les évangéliques de France à maintenir un lien avec leurs sœurs malgaches.
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