Madagascar : après le cyclone, l'aide s'organise - Reforme.net

 
CONTINUER À LIRE
Par Marie Lefebvre-Billiez

Madagascar : après le cyclone,
l’aide s’organise
De nombreuses ONG protestantes françaises se mobilisent pour soutenir les
sinistrés du cyclone Batsirai.

Tempête tropicale Ana le 21 janvier, cyclones Batsirai puis Emnati les 5 et
22 février… Madagascar n’a pas été épargnée par les catastrophes naturelles en
ce début d’année. En tout, la grande île dénombre 180 morts et 190 000 sinistrés.
Parmi eux, la ville de Mananjary, sur la côte est, a été détruite à
90 %.La population vit sous tente, privée de nourriture, d’eau potable et de
moyens de communication.

Si la communauté internationale a organisé les secours très vite, les protestants
français ne sont pas en reste, notamment parce que la Fondation La Cause
soutient deux orphelinats dans la ville de Mananjary : le Catja et Akany
Fanantenana. Elle dénombre aujourd’hui 180 orphelins sinistrés, et une vingtaine
d’employés. Parmi eux, le gardien des zébus est décédé au cours du cyclone.

Véronique Goy, directrice du département enfance de La Cause, décrit des scènes
cataclysmiques : « Les potagers, les vergers et les rizières ont été inondés en
cette fin d’été austral, alors que les récoltes étaient déjà limitées par la
sécheresse. Les vagues submersives de 6 mètres de hauteur et les vents violents
de l’océan grossis par le cyclone ont totalement soufflé la ville. Les bâtiments
neufs ont été abîmés, des toitures arrachées, ce qui a fragilisé les structures.
Résultat : des bâtiments effondrés, des stocks de récoltes inondés. » Elle décrit
une situation locale semblable à celle de Haïti après le tremblement de terre de
2010.

« La population a faim »
Sans cultures vivrières, ni cheptels (« les poules survivantes se sont enfuies »), ni
arbres fruitiers, « la population a faim ». L’aide d’urgence s’est donc organisée de
façon très spontanée. L’association « Les Amis du Catja » a immédiatement levé
des fonds, en partenariat avec La Cause qui porte désormais le projet. Le Défap –
Service protestant de mission ainsi que l’ONG adventiste Adra se sont joints à
elles. Un premier objectif a été de faire parvenir sur place le plus vite possible des
aliments de première nécessité : riz, huile, sucre, sel, lait en poudre pour les
bébés, charbon pour les cuisines. Il s’agira aussi dans un deuxième temps
d’envoyer deux ingénieurs civils malgaches sur place, pour évaluer les dégâts et
les frais de reconstruction des bâtiments. Il faudra aussi reconstruire les cultures
vivrières, de façon à ce que les deux orphelinats redeviennent autonomes sur le
plan alimentaire d’ici quelques mois. Véronique Goy estime le budget global
nécessaire à 40 000 euros. « Si nous arrivons à récolter plus, il nous restera de
quoi fournir les écoliers en habits, cartables et cahiers dès que les écoles
pourront rouvrir », ajoute-t-elle.

En parallèle, la Fondation du protestantisme, par l’intermédiaire de sa plateforme
« Solidarité protestante », a décidé quelques jours avant le premier cyclone de
soutenir deux projets sur place. Tout d’abord, l’achat de chèvres pour les paysans
du Sud de Madagascar. Un projet de la FJKM, l’équivalent de l’Église réformée à
Madagascar, et recommandé par La Cause. Ensuite, les actions de prévention de
l’ONG humanitaire chrétienne Medair.

Anticiper les catastrophes naturelles
Cette dernière, en effet, est en lien avec le Bureau national de gestion des risques
et catastrophes (BNGRC) malgache pour mettre en œuvre des « alertes
précoces » en cas de cyclones prévisibles. Un numéro d’urgence permet ainsi aux
autorités locales de savoir quelles consignes transmettre aux habitants. Medair a
notamment participé à la construction d’abris « en dur » pour mettre les
populations en sécurité.

Rebecca Millan, chargée des partenariats chez Medair, explique : « Madagascar
affronte en moyenne trois cyclones importants par période cyclonique, ce qui
provoque des inondations et des glissements de terrain. Medair forme les
personnels, les collectivités et les communautés à anticiper. » Mais une fois les
dégâts causés, Medair dépêche également sur place une aide d’urgence.
À Mananjary en ce moment, elle intervient surtout pour fournir aux sinistrés des
kits d’hygiène, afin que les gens puissent se laver, des cachets servant à rendre
l’eau potable, et elle œuvre à l’assainissement de 40 puits et 30 latrines.

Elle remercie vivement la plateforme « Solidarité protestante » qu’elle estime
« très utile et réactive ». Néanmoins, la directrice de la Fondation du
protestantisme, Elsa Bouneau, s’inquiète. « L’appel d’urgence que nous avons
lancé pour Madagascar s’est fait déborder par l’actualité en Ukraine. » Les
besoins des sinistrés malgaches, pressants et réels, resteront-ils audibles ?

Faire un don

Vous pouvez donner pour Madgascar sur le site de La Cause ou de la Fondation
du protestantisme.

Lire également :

  Solidarité : un concert pour venir en aide aux orphelins de Madagascar
Par Cathy Gerig

Solidarité : un concert pour venir
en aide aux orphelins de
Madagascar
Soixante-douze choristes et musiciens chanteront à Paris, vendredi 18 mars, pour
Madagascar, où le cyclone Batsiraï a causé d’importants dégâts en février
dernier.

Chaque année, la fondation La Cause organise un concert solidaire. Cette fois, il
permettra de venir en aide à des orphelins de Madagascar. Il sera donné à Paris
le vendredi 18 mars. Pour l’occasion, 72 choristes et musiciens interpréteront des
extraits d’œuvres de Bach, Beethoven, Boyce, Marcello, Saint-Saëns ou encore
Rossini, Boccherini, Bellini. Dirigée par Mata Zerbo, la formation versaillaise Huit
de Chœur sera accompagnée de membres de la Chorale italienne et de celle d’Air
Liquide, précise Alain Deheuvels, le directeur de la fondation. Parmi eux, des
amateurs mais aussi des professionnels. Les dons réalisés à cette occasion
compléteront ceux déjà récoltés grâce à la collecte (toujours en cours) organisée
par la fondation protestante. “Et une artiste vendra un de ses tableaux pendant le
concert”, ajoute-t-il.

La Cause soutient deux orphelinats à Mananjary, située dans l’ouest de
Madagascar. La ville n’a pas été épargnée par le cyclone tropical Batsiraï, qui a
traversé l’île d’Est en Ouest dans la nuit du 4 au 5 février dernier. Sur son
passage, il a causé des dégâts importants. La ville a été détruite à 80%. Des
toitures ont été arrachées, des bâtiments se sont effondrés et les pluies
diluviennes ont détruit ce qui n’était plus protégé par les toitures. Quant aux
cultures, elles ont été ravagées ou inondées par l’eau de mer, à la suite de vagues
de plus de huit mètres. Les orphelinats Akany Fanantenana et CATJA ont été
fortement endommagés et il ne reste plus rien de leurs cultures, vergers, ruches
et poulaillers. Dans l’un des site, un jeune homme de 23 ans a également perdu la
vie, rappelle le directeur de la fondation.

Crises économique et social
Cette épreuve s’ajoute à la liste déjà longue de celles endurées par les Malgaches.
S’ils ont eux aussi subi la pandémie de la Covid 19, leur île a déjà été envahie à
plusieurs reprises par des essaims de criquets ravageant les cultures à chaque
passage. De quoi enfoncer plus encore le pays, en proie à l’insécurité, dans les
crises économique et sociale. Sans oublier, depuis le début de l’année 2022, des
épisodes cycloniques, où la sécheresse en 2021, qui a encore accentuer la famine.

       Entrée libre et collecte en faveur des enfants de Madagascar. Le
       vendredi 18 mars, à 20h, Église américaine de Paris 65 quai
       d’Orsay, dans le 7e arrondissement de Paris.
Par Réforme

Famine      catastrophique    à
Madagascar, pour certains Jésus
est devenu “le seul guide”
Plusieurs ONG avec le soutien du gouvernement distribuent des centaines de
tonnes de nourriture et de compléments nutritionnels depuis des mois, mais cela
ne suffit pas.

“Regardez mon enfant, ayez pitié!”, interpelle une maman dans la région d’Anosy,
terriblement affectée par la famine, à l’extrême sud de Madagascar. Elle
s’empresse de déshabiller sa fille de cinq ans pour prouver la gravité de son état.

Côtes saillantes, bras faméliques, regard vide, la petite se laisse manipuler en
silence et se met à trembler. Du village de Fenoaivo, elles doivent marcher une
dizaine de km vers le centre de santé le plus proche. “Jésus est notre seul guide”,
dit cette femme qui n’a pas un sou en poche.

Un peu plus loin, une famille endeuillée veille en silence autour d’un feu presque
mort. “Nous ne pouvons pas faire l’enterrement car nous n’avons pas de zébu.
Nous n’avons pas de repas à servir, pourtant chez nous c’est le plus
important”, se désole Rahovatae, devant la case où repose son père mort de faim
quatre jours plus tôt.

En attendant de l’aide, toute la famille cherche racines et tubercules, dernières
denrées disponibles. “Il n’y a plus rien à prendre là. C’est par ici qu’on creusait”,
montre cette mère de neuf enfants, une bêche à la main, dans ce petit bois près
du village.
Bredouille, elle se dirige vers des cactus et arrache un morceau. “J’enlève les
épines au couteau. Ce n’est pas bon, c’est âcre et gluant au palais. Même cuit, ça
n’a aucun goût. Ça nous affaiblit”, se lamente-t-elle.

 “Village zombie”
Son hameau désert fait partie de ceux que certains humanitaires appellent
tristement “village zombie”, où la vie se réduit à quelques silhouettes émaciées
qui semblent attendre la mort.

Comme Rahovatae, plus d’un million de Malgaches, sur une zone vaste comme la
Bulgarie ou Cuba (111.200 km2), ont faim.

La rareté des pluies depuis plusieurs années consécutives a rendu l’agriculture
impossible. Et des tempêtes de sable ont transformé de vastes étendues de terres
arables en friches. Des ravages liés au réchauffement climatique, affirme l’ONU.

“Nous avons planté mais il n’y a pas eu de pluie. Tout ce qui est planté meurt.
Nous n’avons plus rien: on a vendu une partie de nos biens, l’autre a été volée par
des bandits”, raconte Sinazy, mère de huit enfants, à Mahaly.

Dans une petite case de terre et de paille, son fils de 17 ans, Havanay, casse des
noix sauvages. “On mange l’intérieur, cette chair blanche” difficile à extraire,
montre-t-il. “Je casse ça du matin au coucher du soleil. Mais le gras peut rendre
malade. Après en avoir mangé, je tremble”, se désole-t-il.

Le patron du Programme alimentaire (PAM) David Beasley a comparé la situation
à un “film d’horreur”, qui fait monter “des larmes aux yeux des humanitaires les
plus endurcis” par l’expérience.

L’ONU estime les besoins à 67 millions
d’euros
Quelque 14.000 Malgaches ont atteint le niveau cinq, soit la phase “catastrophe,
quand les gens n’ont plus rien à manger”, explique Moumini Ouedraogo,
responsable du PAM dans l’île.

L’ONU estime les besoins à 67 millions d’euros pour la prochaine période de
soudure dès octobre.

Plusieurs ONG avec le soutien du gouvernement distribuent des centaines de
tonnes de nourriture et de compléments nutritionnels depuis des mois, mais cela
ne suffit pas.

La ville d’Ambovombe, chef-lieu de la région très affectée d’Androy, est débordée
par l’afflux de centaines d’affamés, livrés à eux-mêmes depuis des mois.

Ils sont réduits à mendier et mangent déchets alimentaires du marché et chutes
de cuir données par des fabricants de sandales. Pour le ramollir, le cuir est bouilli
avec un peu de sel ou simplement grillé.

“Nous mangeons du cuir tous les jours. Il nous ronge le ventre mais c’est parce
que nous n’avons rien. Nous souffrons beaucoup”, dit Clarisse.

La Grande Ile a connu seize crises
alimentaires documentées depuis 1896
Particulièrement grave cette année, le phénomène n’est pas nouveau à
Madagascar. La Grande Ile a connu seize crises alimentaires documentées depuis
1896.

Le gouvernement se défend de toute mauvaise gestion. “Nous avons mené
plusieurs actions depuis l’élection de monsieur le président Rajoelina”, en 2019,
souligne sa directrice de cabinet Lova Hasinirina Ranoromaro.

“C’est une vraie transformation que nous souhaitons voir dans le sud. Il y a une
forte volonté politique”, assure-t-elle.

Sur Twitter, le président a annoncé le lancement de “141 projets d’envergure”
dans les secteurs de l’agriculture, l’accès à l’eau, les travaux publics et la santé.

“Jusqu’ici nous avons apporté de l’aide humanitaire, maintenant nous voulons des
avancées structurelles”, notamment en termes d’irrigation, a déclaré à l’AFP le
ministre de l’Economie, Richard Randriamandranto.

Pour les cadres du PAM, la famine résulte principalement du réchauffement
climatique. “Nous n’avons pas d’industrie ici (à Madagascar) qui puisse vraiment
polluer autant, pourtant on a tous les effets de cette pollution qui font qu’on voit
la nature se dégrader et ne pas permettre aux gens de produire assez pour se
nourrir”, assure M. Ouedraogo.

Pour le chercheur Paubert Mahatante, “l’explosion démographique et
l’épuisement des ressources naturelles” jouent aussi, tout comme la détérioration
des routes ou “la défaillance de la politique de décentralisation”.

Ni les autorités, ni le PAM ne communiquent sur le nombre de morts. Mais ces
derniers mois, l’AFP a comptabilisé au moins 340 morts auprès des municipalités.

© Agence France-Presse

Par Jean-Kely Paulhan

Essai : Jean Beigbeder, un vrai
éclaireur à Madagascar
Les lettres de Jean Beigbeder ont été publiées grâce à Faranirina Rajaonah,
professeure d’histoire, et Claire-Lise Lombard, responsable de la bibliothèque du
Défap-Service protestant de mission.

Jean Beigbeder a dix ans d’expérience d’encadrement des mouvements de
jeunesse protestants quand il s’embarque, avec son épouse Odette, cheffe
éclaireuse, pour Madagascar. Ni administrateur, ni colon, ni missionnaire (la
vitalité du protestantisme malgache à l’époque est immense), il est chargé de
fonder à Tananarive un foyer culturel, lieu de rencontre entre colonisateurs et
colonisés. Parallèlement, il doit développer le scoutisme protestant et favoriser
l’implantation des Unions chrétiennes de jeunes gens (UCGJ). Républicain et
membre de la haute société protestante, il se méfie des mouvements
contestataires. Épris de justice, sensible à la pluralité des cultures et au respect
qu’elles méritent, il est hostile au pouvoir que les Églises dominantes sont tentées
de s’arroger.

Le travail ne manque pas : Jean Beigbeder doit contacter une quarantaine
d’organisations protestantes françaises ou étrangères ; il doit convaincre du
caractère non religieux du futur Foyer, ouvert à tous, sans aucun dessein de
prosélytisme. L’administration coloniale, quant à elle, craint les idées subversives,
que répandraient aussi les soldats malgaches de retour de la Grande Guerre. Les
ressources financières du Foyer, venant surtout des milieux malgaches de la
capitale, provoquent la suspicion. Sa revue, Fanilon’ny Tanora (« Le Flambeau des
jeunes »), ne risque-t-elle pas de devenir un organe de contestation ? Elle le
devient, discrètement.

On reconnaît les esprits libres à leur aptitude à se séparer de leur camp lorsque
ce dernier n’est plus à la hauteur de son idéal proclamé. Beigbeder est contraint à
pratiquer une diplomatie permanente, qui n’exclut pas la fermeté des convictions ;
il en fait écho dans ses lettres, largement diffusées en métropole, au-delà du strict
cercle familial. Enfin, Beigbeder justifie la disparition en forêt des travailleurs
malgaches quand « ils ne sont pas bien traités ou trop mal payés. […] Cette
manière d’agir est une soupape de sécurité [en l’absence de syndicats autorisés]
qui rappelle parfois utilement certains colons au sens de la justice ».

Ces lettres constituent un document passionnant sur notre histoire coloniale et
l’extrême complexité des relations franco-malgaches au XXe siècle.
© Hémisphères /
                           Maisonneuve & Larose

Claire-Lise Lombard et Faranirina Rajaonah (éd.), Lettres de Tananarive : Jean
Beigbeder à son père, 1924-1927, Hémisphères / Maisonneuve & Larose,
2019, 184 p., 28 €.

Par Jean-François Zorn
Marc Boegner, un colonialisme
contrarié
Ce mois de décembre 2020 marque les 50 ans de la mort de Marc Boegner (18
décembre 1970). Homme de conviction, ce responsable protestant était aussi un
citoyen de son temps. D’abord favorable à la colonisation dans une perspective
idéalisée d’apports culturels multiples, et notamment religieux, il aura le courage
de se confronter à ses sombres versants pour prendre le parti d’une transition
responsable vers l’autonomie des Églises et l’indépendance des États.

On sait peu aujourd’hui que Marc Boegner n’a pas été que pasteur, docteur de
l’Église et président de nombreuses institutions protestantes. Sa licence de droit
acquise en 1901, alors qu’il n’a pas commencé ses études de théologie, lui vaut
d’être nommé en 1923 professeur à l’Institut de droit international de La Haye. Il
y dispense un cours intitulé « Les missions protestantes et le droit international ».

Colonisation et mission chrétienne
C’est là qu’il développe sa conception de la colonisation en présentant le traité
qui, en 1885, concluait la conférence de Berlin instituant un double droit, à la
colonisation et à la mission. « Les puissances signataires ont l’obligation
d’assurer, dans les territoires occupés par elles sur les côtes du continent
africain, l’existence d’une autorité suffisante pour faire respecter les droits acquis
et, le cas échéant, la liberté du commerce et du transit dans les conditions où elle
serait stipulée » (art. 35). Concernant « Les missionnaires chrétiens, les savants,
les explorateurs, leurs escortes, avoirs et collections, [ils sont] l’objet d’une
protection spéciale. La liberté de conscience et la tolérance religieuse sont
expressément garanties aux indigènes comme aux nationaux et aux étrangers »
(art. 6).

Non seulement Boegner ne trouve rien à redire à ces dispositions, mais il estime
qu’elles ont permis de rappeler à l’ordre certaines nations qui ne respectaient pas
la liberté religieuse dans les territoires nouvellement conquis (1). Au terme de la
Première Guerre mondiale, Boegner montre que les traités de Versailles et de
Saint-Germain de 1919 vont dans le même sens, en réglant le problème des
sociétés allemandes de mission expulsées et dont l’œuvre a été dévolue à celles
des pays alliés (France et Royaume-Uni). Il écrit : « Il semble donc que nous
soyons devant un régime de liberté complète, qui promet aux missions le droit,
garanti par la grande majorité des puissances, d’exercer leur apostolat sous la
protection des traités internationaux. »

Une « action réparatrice »
Dans l’une de ses conférences de Carême de 1932, intitulée « L’Église et la
colonisation », Boegner estime que « la mission chrétienne apparaît comme une
action réparatrice [souligné par l’auteur]. Ce que des Blancs détruisent par leurs
méthodes brutales, par leur cupidité, par leur alcool, par leur débauche, d’autres
Blancs cherchent à le réparer par leur amour, par leur désintéressement, par
leurs sociétés de tempérance, par le rayonnement de pureté qui émane de leur vie
ou de la vie de leur foyer. Au nom de Jésus-Christ, les missionnaires qu’envoie
l’Église sont d’infatigables réparateurs de brèches faites dans l’âme indigène et
dans la vie des sociétés indigènes par le contact brutal avec la civilisation
matérielle, amorale ou immorale, des peuples qui les colonisent (2). »

Ces déclarations témoignent d’un incontestable optimisme vis-à-vis de l’œuvre
coloniale contemporaine, dès lors qu’elle se montre capable de dépasser les
erreurs du passé et d’être aussi « avantageuse aux populations indigènes qu’à
ceux qui les colonisent ». Mais la preuve de cette action positive de la colonisation
n’arrivera jamais.

L’insurrection malgache
Marc Boegner en fait l’amère expérience lors de son voyage à Madagascar de
juillet à septembre 1947, alors que l’insurrection qui a éclaté dans le pays vient
d’être matée par le gouvernement français. Cette insurrection est exemplaire
d’un mouvement autochtone inspiré d’idées politiques indépendantistes et
religieuses autonomistes, puisées dans le protestantisme présent à Madagascar
depuis cent trente ans et dans la religion traditionnelle à la base du nationalisme
malgache. Cette insurrection provoque la mort de près de 30 000 Malgaches,
2 250 militaires et 200 civils européens. Le premier bilan côté Églises fait état de
325 chapelles détruites. Les leaders du Mouvement démocratique de la
rénovation malgache (MDRM), dont certains sont membres de l’Assemblée
nationale française, sont accusés.
Accompagné de son épouse et du pasteur André Roux, responsable de la
formation des missionnaires, Marc Boegner, au double titre de la Mission de Paris
et de la Fédération protestante de France, conduit la délégation. Il donnera deux
interviews à son retour en France, à Réforme le 27 septembre 1947 et au Figaro
le 22 octobre. Il y évoque les causes de la révolte. Le « complot malgache » visait
rien de moins que d’assassiner tous les Européens, administrateurs, colons,
missionnaires, sans parler des Malgaches de nationalité française. Même si
l’entreprise a en grande partie échoué, la confiance entre étrangers et Malgaches
est brisée et il faudra beaucoup de temps pour rétablir un climat favorable.

«    Les    erreurs                               funestes                    de
l’Administration »
Boegner fait part de son trouble : « J’avoue avoir éprouvé une étrange stupeur en
rencontrant des Blancs qui m’ont paru revenir d’un autre monde » (Figaro), ces
derniers « donnant souvent l’impression d’ignorer qu’un monde nouveau est né
dans les souffrances et les détresses de la dernière guerre » (Réforme) et qu’il
accorde davantage d’importance aux droits de chaque homme. Boegner se livre
alors à un impitoyable réquisitoire contre « les erreurs funestes de
l’Administration » pendant et juste après la Deuxième Guerre mondiale : le
maintien du travail forcé malgré la charte de San Francisco et le préambule de la
Constitution française.

Boegner estime qu’« un sens inné de la justice a été froissé chez les Malgaches.
L’Office du riz a exaspéré le mécontentement de la masse. Le retour de France ou
d’Afrique du Nord des tirailleurs malgaches démobilisés, aigris par l’existence
ballotée, a été un autre facteur de troubles. Nombreux étaient ceux qui avaient vu
de près le maquis et rapportaient des armes. » C’est tout cela qui a nourri « les
espérances les plus folles », selon lui, des candidats du MDRM aux élections
législatives successives, encouragés par « le grand souffle d’indépendance venu
d’Indonésie et du monde arabe ».

Le risque nationaliste
Interrogé par Réforme sur une prétendue responsabilité des missions
protestantes dans la rébellion, il ne nie pas que des catéchistes et des pasteurs
relevant de plusieurs missions protestantes aient appartenu au MDRM et
participé à des réunions secrètes. S’ils sont coupables, la justice les punira. Ils
seront condamnés à mort ou aux travaux forcés en 1948, mais graciés en 1949 et
amnistiés en 1956.

Quant au problème de la constitution d’une Église protestante unie malgache,
Boegner affirme que tel est bien le but à atteindre. Mais « les Malgaches
demandent davantage, écrit-il, ils veulent une Église protestante malgache, dont
les missionnaires ne soient plus, pour un temps plus ou moins long, que les
conseillers ecclésiastiques et scolaires ». Il note encore que « chez certains
d’entre eux, une tendance à voir dans le christianisme l’accomplissement d’un
sentiment religieux ancestral est aisément discernable. Et si l’on veut qu’il y ait
un jour, comme il se doit, une véritable Église de Jésus-Christ à Madagascar, il
convient d’aider les chrétiens malgaches d’aujourd’hui à éviter le risque
redoutable d’une Église qui soit un moyen pour le peuple d’atteindre à ses fins
nationales ».

Autonomie sans rupture
Il considère alors que le nationalisme malgache pourrait avoir des effets aussi
néfastes sur la nature de cette unité que le nationalisme des chrétiens allemands
sur l’Église évangélique allemande, mouvement qu’il a combattu pendant la
Deuxième Guerre mondiale. Cette analogie entre les deux types de nationalisme,
confortée par le fait que s’y mêlent des deux côtés des formes de paganisme et de
racisme, est sans doute discutable d’un point de vue historique. Elle n’en
demeure pas moins un point de vue alors partagé parmi les missionnaires de cette
époque, qui souhaitent que les Églises auxquelles la mission a donné naissance
s’acheminent vers une autonomie sans rupture avec le siège parisien. Telle sera la
tâche essentielle que « le président Boegner » va accomplir jusqu’en 1968 à la
Mission de Paris.

Jean-François Zorn est historien et missiologue de l’Institut protestant de
théologie.

1. « Missions et gouvernements. De l’acte de Berlin au traité de Versailles »,
Le Monde non chrétien, n° 1, 1930.
2. Paris, Je Sers, 1932.

Par Claire Bernole

Visite du pape à Madagascar : le
témoignage de deux pasteurs sur
place
La visite du pape François à Madagascar a été accueillie avec enthousiasme par
l’ensemble des catholiques et des protestants.

Deux pasteurs de la FJKM, à Madagascar, ont souhaité témoigner
anonymement, pour ne pas générer de tensions avec des personnes ne
partageant pas leur position. La FJKM est l’Eglise réformée de
Madagascar.

“Le pape apporte la bénédiction comme tout serviteur de Dieu. Du fait de l’unité
au sein de la FFKM (1) de la chrétienté, et surtout en tant que malgache, je
partage la joie des catholiques et je leurs manifeste tout mon soutien. Cette visite
est une victoire pour tous.
Effectivement, tous les Malgaches s’unissent une fois de plus, comme lors du
parcours des Barea, l’équipe nationale de football, à la Coupe d’Afrique des
Nations. Ceci montre que les chrétiens sont encore nombreux et qu’ils peuvent
saisir de pareilles occasions avec la force de la foi.

En revanche, je trouve que l’État malgache s’implique un peu trop dans cet
événement, au-delà des relations normales que deux États peuvent entretenir.
Surtout pour un État qui prône haut et fort sa laïcité. Néanmoins, cela est de
bonne augure pour l’Église en général. Et puis, cette implication apportera,
j’espère, une ouverture encore plus grande car le pape est une figure
internationale.

Sur le plan des relations internationales, Madagascar pourrait s’ouvrir encore
plus. Que les prières faites à ce sujet s’accomplissent pour tous les Malgaches. Je
souhaite aussi que le peuple s’unisse pour ne contempler que Dieu et son amour.
Aussi, que nous nous rendions compte que c’est par la foi et la vérité que nous le
prions, d’autant que le pape reste un être humain, comme nous tous.

Enfin, nous sommes malgaches et protestants. Malgré les différences religieuses
qui nous séparent, nous nous devons de soutenir les catholiques. Que le passage
du pape nous apporte à toutes et à tous un nouveau souffle spirituel, qui restera
et qui ne repartira pas avec lui.”

Pasteur de la FJKM officiant en zone rurale

“La visite du pape à Madagascar est un grand événement, eu égard à sa place
dans l’Église catholique. Il est un guide qui prêche l’évangile.

Je trouve son passage important. Le fait de voir autant de fidèles réunis donne
beaucoup d’espoir au christianisme. Je peux même être fier, aujourd’hui, de voir
que Madagascar est bien un territoire chrétien.

Cela apportera un nouvel élan à l’œcuménisme et uniformisera les points de vue.
Effectivement, les catholiques se considèrent actuellement comme supérieurs aux
autres chrétiens.”

Pasteur de la FJKM, nouvellement diplômé de la Faculté de Théologie

(1) Conseil des Églises malgaches – catholique, réformée, luthérienne et
anglicane.
Par Claire Bernole

Madagascar : Jean Ravalitera
évoque la visite du pape
Le pape François est en visite à Madagascar jusqu’au lundi 9 septembre 2019.
Jean Ravalitera, pasteur malgache vivant en France, revient sur cet événement.

En tant que pasteur, vous sentez-vous concerné par cette visite ?
Jean Ravalitera : J’ai été président du Conseil des Églises chrétiennes malgaches
en France, mais aussi du Conseil chrétien des théologiens, à Madagascar. J’ai
beaucoup travaillé avec les catholiques. En ce sens, je me sens concerné par la
visite du pape. Elle signifie que la religion chrétienne est bien implantée sur ce
territoire.

La dernière visite d’un pape était celle de Jean-Paul II (1978-2005), et elle
remonte à trente ans ! Tous les Malgaches se sentent donc honorés par cette
visite, et pas seulement les chrétiens. C’est une forme de reconnaissance.

Cette année, deux événements majeurs auront marqué la population, qui est en
mal de repère avec les soubresauts politiques qu’a connus l’île. Il y a d’abord eu
la Coupe d’Afrique des nations, qui a réuni tous les Malgaches. À présent, c’est la
visite du pape.
Qu’en est-il des protestants sur place ?
Les protestants historiques, c’est-à-dire luthériens, réformés et anglicans, sont
globalement ravis. Les évangéliques, qui sont venus plus tard, ne réagissent pas
de la même façon. Certains d’entre eux – j’insiste sur le fait que je ne parle pas
pour tous – sont mécontents. Tout simplement parce que le catholicisme induit,
chez certains protestants, une sorte d’appréhension, de méfiance, que j’ai du mal
à analyser.

La venue du pape peut-elle être une occasion, pour l’ensemble des
chrétiens malgaches, d’exprimer leur fraternité ?
Oui, d’autant que la dynamique d’évangélisation des musulmans est, d’après moi,
bien visible. C’est une façon de réaffirmer la présence chrétienne.

D’autre part, les Malgaches ont l’œcuménisme dans le sang. On se marie très
facilement entre chrétiens, catholiques et protestants. Si bien que les familles
sont très mélangées. Personne ne peut dire qu’il vient d’une famille 100 %
protestante ou 100 % catholique. La visite du pape est donc importante pour tous.

Il est certain que le pape sera accueilli tout au long de son séjour non pas
seulement par les catholiques mais par les chrétiens en général. Je connais mes
compatriotes ! Les catholiques sont bien sûr concernés en premier lieu par la
préparation de cette venue et celle de la messe. Mais des protestants ont
collaboré avec eux pour organiser un espace prêt à accueillir quelque 800 000
fidèles.

Enfin, nous attendons du pape qu’il délivre un message de paix, de réconciliation
et d’espérance face à la grande pauvreté, à l’insécurité et aux problèmes
politiques que connaît Madagascar.
Par Claire Bernole

Documentaire : “Protestants de
Madagascar,    la    tentation
politique”
Présence protestante diffuse le 16 décembre un reportage sur Madagascar,
quelques jours avant le second tour de l’élection présidentielle.

Comme aux États-Unis ou au Brésil, il y aurait beaucoup à dire sur les rapports
entre religion et politique à Madagascar. Le reportage de Jérémy Frey,
Protestants de Madagascar, La tentation politique, aborde un sujet sensible : quel
est le poids des Églises et institutions protestantes dans le scrutin qui se
déroulera le 19 décembre ? Il apporte des éclairages essentiels sur cette question
dans le cadre de la visite que la délégation française protestante a rendue aux
fédérations, la FJKM, luthéro-réformée, et la MRE, évangélique, au mois
d’octobre.

François Clavairoly, président, et Georges Michel, secrétaire général de la FPF,
livrent leur analyse. Les représentants ecclésiaux locaux dépeignent ce qui se
passe dans le pays, et parfois même dans leurs Églises. L’appartenance
confessionnelle affichée des candidats, les consignes de vote données dans des
assemblées, ou encore l’islam en expansion, accusé d’acheter des conversions de
jeunes gens, sont ouvertement évoqués. Apparaît aussi le jeu trouble de candidats
chrétiens, se présentant sous la bannière d’une Église, financés par les pétro-
dollars de la péninsule arabique ou de connivence avec le monde musulman.

Le réalisateur n’a pas hésité à frapper à la porte du président de la République
sortant ainsi que d’un candidat encore en lice pour recueillir leur point de vue.
Des pasteurs, des aumôniers, un membre d’Église et d’autres interlocuteurs ont
aussi la parole.

Comme souvent, c’est dans le champ social – bien plus que politique – que le
témoignage des Églises résonne avec le plus de justesse et s’avère le plus
efficace. Le colloque des aumôniers de prison de l’océan Indien, qui se déroulait
au même moment que la visite de la délégation, en est la démonstration. Les
images sont imprégnées de ces temps forts qui font découvrir la Grande île et les
défis auxquels l’ensemble de sa population est confrontée.

À voir
Protestants de Madagascar, la tentation politique
Présence protestante, dimanche 16 décembre, France 2, 10 h.

Par Rebecca Gil

Les               enjeux                  de            l’élection
présidentielle à Madagascar
36 candidats sont en lice pour devenir le prochain président de la République
malgache. Parmi eux, pas moins de quatre ex-présidents, qui rivalisent de moyens
financiers.

En politique à Madagascar, le renouveau est difficile à entrevoir. Quatre anciens
présidents de la République s’affrontent lors de cette élection présidentielle 2018
le 7 novembre : Didier Ratsiraka, Marc Ravalomanana, Andry Rajoelina, ainsi que
celui qui était jusqu’à il y a deux mois président, Hery Rajaonarimampianina,
démissionnaire afin de pouvoir se présenter à cette élection tout en respectant la
Constitution malgache. Une revanche en quelque sorte pour les trois anciens
chefs d’État, car ils n’ont pas été autorisés à se présenter à la dernière
présidentielle de 2013. Dans le cadre d’un accord de sortie de crise, les opposants
Andry Rajoelina et Marc Ravalomanana avaient été mis sur le banc de touche.
Quant à Didier Ratsiraka, sa candidature avait été invalidée par la Cour électorale
spéciale.

Contexte tendu à Madagascar
Cette année, la crise a été évitée de peu en avril. Les dossiers de candidature des
anciens chefs d’État Rajoelina et Ravalomanana ont failli être invalidés, ce qui a
d’ailleurs engendré des manifestations à Antananarivo en ce début d’année, mais
la Haute Cour constitutionnelle a finalement rejeté les nouvelles lois électorales,
mettant ainsi fin au suspense.

À plusieurs reprises, les dates des élections ont failli être reportées. Elles n’ont
d’ailleurs été validées que tardivement, le 29 juin dernier. Cela n’a pas empêché
un collectif de 22 candidats de réclamer une nouvelle fois le report des élections
après le début officiel de la campagne. Leur motif ? Il y aurait, selon eux, des
anomalies dans la liste électorale. Ils n’ont pas hésité à cosigner une déclaration
dans laquelle ils exhortent la Commission électorale nationale indépendante
(Ceni) et les autorités malgaches à rouvrir la liste électorale pour y inclure des
citoyens oubliés, mais aussi ôter les noms en doublons, et mettre fin à la
circulation de fausses cartes d’identité.

Alors que les quatre « poids lourds » de cette élection se battent pour obtenir le
fauteuil tant convoité de président, 32 autres candidats espèrent eux aussi se
faire entendre. Un chiffre qui interpelle, car les Malgaches auront bien du mal à
choisir entre tant de candidats, d’après Solonjatovo Rakotonirina, professeur à
l’École polytechnique d’Antananarivo. « Cela reflète un véritable manque de
maturité des Malgaches. Comment connaître le programme de 36 candidats dans
un pays où plus des trois quarts de la population est analphabète ? Comment
réussir à faire le bon choix ? », s’interroge-t-il. Les Malgaches eux-mêmes se
demandent comment ils feront leur choix, et préfèrent tourner cela en dérision
sur les réseaux sociaux en comparant le nombre de candidats à celui d’autres
pays. « Aux États-Unis : 5, en France : 11, en Allemagne : 6 et puis il y a nous :
36 ! », ironise un internaute.

La loi électorale promulguée il y a cinq mois apporte des améliorations sur la
transparence des fonds de campagne, mais le financement de ladite campagne
n’est pas plafonné. De quoi engendrer de grandes inégalités de moyens entre les
ex-présidents et les « petits candidats ».

Le lancement des joutes électorales, le 8 octobre, a d’ailleurs été écornée par une
affaire des plus ironiques : une bataille sur l’autorisation ou non du décollage des
hélicoptères appartenant aux candidats (qui en ont les moyens), leur permettant
de se rendre dans les villes où sont organisés les meetings. S’en est finalement
suivie une injonction du Premier ministre au directeur de l’Aviation civile de
Madagascar (ACM) pour qu’il délivre les autorisations aux requérants. Une
injustice que dénoncent les candidats qui manquent cruellement de fonds pour
leur campagne, et ils sont nombreux. Sur les 36, seule une dizaine a pu
confectionner une affiche.

Les autres restent inaudibles. Des débats sont donc organisés par la Ceni
notamment (la Commission électorale nationale indépendante pour la transition),
ils sont retransmis sur les chaînes de radio et télévision publiques, et quelques
chaînes privées, afin de donner de la voix à ces candidats.

Inégalité de moyens
Une charte a pourtant été signée il y a un mois : elle demande à chaque candidat
de s’abstenir de dépenses ostentatoires. Mais certains ne s’en privent pas ; ils se
rendent visibles par tous les moyens. À Antananarivo, on ne compte plus le
nombre de tee-shirts orange floqués au nom de Andry Rajoelina distribués dans
les rues aux plus pauvres (photo). À la télévision et à la radio, on entend son
« chant de campagne » à chaque pause publicitaire… Un privilège qui coûte cher,
et que ne peuvent s’offrir d’autres, comme la candidate Arlette Ramaroson.

Cette dernière n’a pas hésité à invectiver de manière indirecte les « poids
lourds » de cette élection ce dimanche, lors d’un débat télévisé organisé à la TVM
(la télévision nationale publique) : « On ne sait pas d’où vient cet argent… C’est
l’argent du peuple, ou encore de trafics douteux ! Il faut arrêter de vendre
Madagascar aux Chinois, aux Indiens… Cela doit cesser. » C’est d’ailleurs une
critique qui grandit parmi les candidats : le général Richard Razafy Rakotofiringa
a lui aussi dénoncé la manière dont les fonds sont utilisés par les ex-présidents,
accusés d’être de mauvais gestionnaires de l’argent public, mais en plus de
protéger, grâce à leur statut, le trafic de bois de rose, tout en générant du profit
par ce moyen.

  La revanche du « prophète » André
  Mailhol
  Il l’avait prophétisé en 2013 : le pasteur André Mailhol serait président.
  Pourtant, la prophétie ne s’est pas réalisée. Cinq ans plus tard, il retente sa
  chance d’accéder au fauteuil présidentiel. Son leitmotiv : lutter contre
  l’injustice. « Pour pouvoir lutter contre la pauvreté, il faut rétablir la sécurité.
  Les paysans ne sont plus motivés à produire car ils vivent dans l’inquiétude et
  la peur. Au lieu d’exporter du riz, nous en importons, car nos ressources et nos
  potentiels ne sont pas exploités », affirme-t-il. Parmi les 36 candidats à la
  course à la magistrature suprême, il dispose d’une base électorale acquise à sa
  cause. À la tête de l’Église Apokalypsy de Madagascar (FAM), il a au moins
  1 500 000 fidèles répartis dans toute l’île. Portée par le parti, Gideona
  Fandresena ny Fahantrana eto Madagasikara (GFFM, Gédéon pour vaincre la
  pauvreté à Madagascar), cette candidature a été bien étudiée et réfléchie. Cette
  association GFFM a été implantée en France dès 2012, une manière de
  préparer l’accession au pouvoir de Mailhol.
Ce n’est pas le premier homme d’Église à se porter candidat à l’élection
  présidentielle sur la Grande Île. Mais cette Église a ceci de particulier qu’elle
  est qualifiée de « secte », et Mailhol de « gourou » par ses détracteurs. Il n’est
  en tout cas pas soutenu officiellement par les Églises malgaches (FJKM,
  catholique, luthérienne, anglicane…), qui joue un véritable rôle de guide pour
  des millions de fidèles. Comme toujours dans l’histoire de la Grande Île, les
  responsables religieux se positionnent comme des acteurs incontournables des
  élections. Des autorités spirituelles au poids sociopolitique indiscutable,
  capable d’influencer l’électorat.

  Quoi qu’il en soit, André Mailhol bénéficie d’une base électorale qui n’a fait
  qu’augmenter en nombre depuis l’annonce de sa candidature. Les sondages à
  Madagascar n’étant pas fiables, aucun chiffre précis ne peut être donné mais il
  serait, d’après des proches du pouvoir, juste derrière Andry Rajoelina et Marc
  Ravalomanana dans les intentions de vote.

Par Claire Bernole

Madagascar : une délégation
protestante pour les 200 ans du
christianisme
Une délégation protestante française a rendu visite aux Églises malgaches à
l’occasion des 200 ans de l’arrivée de la Bible sur la Grande Île.

Le voyage était plus que symbolique. À l’occasion des 200 ans de l’arrivée de la
Bible à Madagascar, une délégation protestante française, conduite par François
Clavairoly, président de la Fédération protestante de France (FPF), a rendu visite,
en septembre, aux différentes Églises protestantes malgaches. Réformés,
luthériens et évangéliques mènent des vies relativement étanches. L’histoire des
missions, d’abord, puis l’antagonisme entre populations des Hauts Plateaux et
populations côtières (exploité par le pouvoir colonial français et qui perdure
jusqu’à aujourd’hui) les a progressivement séparés.

Le dialogue au second plan
« Dans les années 1950 s’organisent quatre Églises protestantes autonomes à
partir des différentes missions. À la même époque, un premier courant dit
“évangélique” se manifeste sous l’impulsion d’un pasteur malgache. Puis un
deuxième. À partir des années 1990, on peut parler d’une véritable vague
évangélique et pentecôtiste, venue de l’extérieur », résume Huibert Van Beek,
ancien envoyé de la Mission de Paris. Entre ces deux périodes, en 1968, les
courants réformés se réunissent au sein de l’Église de Jésus-Christ, FJKM en
malgache. La FJKM, qui compte plus de cinq millions de membres, et le courant
luthérien, à travers la FLM, sont largement majoritaires en nombre et en
influence (théologique, sociale). Depuis quelques années, des Églises
évangéliques et pentecôtistes, parfois encore perçues comme des sectes, ont créé
une Alliance évangélique. « La FJKM commence à prendre conscience qu’il faut
créer des contacts et se parler », note Huibert Van Beek.

C’est dans ce contexte délicat que la délégation française – dont le travail a été
largement préparé en amont par des prises de contacts – a œuvré et réussi à
convaincre chaque courant de la nécessité de se rencontrer.

Trois conférences ouvertes à tous, données en trois lieux représentatifs du monde
protestant, ont permis d’aborder les différentes lectures et interprétations de la
Bible, la diversité du protestantisme ainsi que les enjeux du dialogue
œcuménique, à Madagascar comme en France. « Le plus grand frein à lever dans
le travail œcuménique à Madagascar est le sentiment qu’a chaque Église de se
trouver devant des défis difficiles à relever pour elle-même. Le dialogue avec les
autres passe donc au second plan », explique François Clavairoly.

La situation économique, sociale et politique du pays – en pleine période
électorale – rejaillit sur les Églises et accroît la difficulté. « Dans ce contexte,
notre venue est très humble », souligne le président de la FPF, qui, par ailleurs,
insiste sur le « partage d’expérience » qui a eu lieu avec les Églises dont les
situations ne sont pas sans analogies avec la France.

« La même variété d’approches au sein du protestantisme se retrouve partout et
chacun va où il se sent attiré », relève Pier Larson, professeur d’histoire à Johns
Hopkins University (États-Unis). « La diversité peut être vue comme un signe de
maturité et un obstacle à un pouvoir central, ce qui en soi est positif, c’est une
alternative plus démocratique », ajoute le spécialiste.

L’inauguration du colloque des aumôniers de prison de l’océan Indien fut une
occasion privilégiée de rencontre pour les trois Églises protestantes, en présence
de l’aumônier nationale de Madagascar ainsi que de la ministre de la Justice.
Cette dernière n’a pas pu cacher son émotion, à la suite des discours introductifs
qui ont fait écho à son vécu de ministre en même temps que de chrétienne. Un
deuxième colloque est désormais attendu pour dans deux ans. Au-delà des défis
internes au protestantisme malgache, la question du témoignage des Églises dans
la société revêt un enjeu important. D’autant que la bonne distance avec un
pouvoir trop souvent corrompu est des plus difficiles à trouver. « J’espère que les
Églises sauront tenir la distance de sécurité par rapport au pouvoir : pas trop loin,
pour pouvoir témoigner, montrer qu’elles se préoccupent de la justice, mais pas
trop près non plus, pour ne pas se laisser emporter par la tentation du pouvoir »,
avance François Clavairoly.

L’islam venu d’ailleurs
Enfin, la question de l’islam, venu du Qatar, d’Arabie saoudite et de Turquie, sans
lien avec l’histoire de l’île contrairement à l’islam d’Afrique qui a précédé le
christianisme, concerne les Églises autant qu’elle les dépasse. En effet, la même
préoccupation englobe toute la société. L’idée est donc bien de s’unir pour
partager des richesses et des ressources, non pour réaliser « un front commun »
contre l’islam, tient à préciser François Clavairoly.

Les relations initiées à l’occasion de ces événements devraient trouver leur
prolongement lors de nouveaux échanges, notamment en renouant le dialogue
entre l’Église protestante malgache en France (FPMA) et les courants luthériens
et réformés sur place, ainsi qu’en encourageant l’ÉPUdF mais aussi les
évangéliques de France à maintenir un lien avec leurs sœurs malgaches.
Vous pouvez aussi lire