Démocratie et surévaluation du taux de change : le cas de Madagascar.
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Démocratie et surévaluation du taux de change : le cas de Madagascar. Michaël Goujon1 Cette version : 7 juillet 2008 Résumé : Cet article traite du lien entre le niveau de la démocratie et la surévaluation du taux de change. Etant données les difficultés d’identifier une telle relation par une étude sur données transversales, nous considérons le cas d’un pays présentant les conditions nécessaires à l’observation de la relation. Nous avançons ici que, compte tenu des caractéristiques de Madagascar et de son histoire, le pouvoir dictatorial a utilisé la surévaluation du taux de change afin de s’assurer le soutien du secteur urbain. Une analyse de la cointégration entre les variables montre effectivement que le niveau de démocratie, mesuré par un indice des libertés de la Freedom House, est un des facteurs à long terme de l’évolution du taux de change réel dans la période 1972-2003. Le manque de démocratie en 1972-1987 peut alors expliquer la forte surévaluation du taux de change réel de cette époque. Classification JEL : O11 ; F31 ; C22 Mots clés : démocratie ; taux de change réel ; biais urbain ; cointégration Democracy and exchange rate overvaluation: the case of Madagascar. Summary : This paper deals with the link between the level of democracy and the exchange rate overvaluation. Given the difficulty to identify such a relation in a cross country analysis, we consider a country case where the needed conditions to observe the relation are in place. Here we argue that, given the characteristics and the history of Madagascar, the dictatorship used the exchange rate overvaluation to ensure itself the urban sector support. The cointegration analysis between the variables shows that the level of democracy, measured by a freedom index from Freedom House, is one of the long term determinants of the change in the real exchange rate in 1972-2003. The low level of democracy in 1972-1987 can then explain the deep exchange rate overvaluation in this period. JEL classification: O11 ; F31 ; C22 Key words: democracy ; real exchange rate ; urban bias ; cointegration 1 CERESUR, Université de La Réunion, michael.goujon@univ-reunion.fr Remerciements : L’auteur remercie Sylvianne Guillaumont Jeanneney pour ses conseils et critiques sur des versions antérieures de l’article, ainsi qu’un referee anonyme pour ses commentaires. Il reste cependant seul responsable des erreurs subsistantes. 1
1 - Introduction Les facteurs institutionnels sont de plus en plus présentés comme essentiels pour expliquer les performances économiques des pays. Parmi ces facteurs, la démocratie a une place particulière car elle est en soi désirable, mais le lien et les éventuels canaux de transmission entre la démocratie et les performances économiques font encore l’objet de débats. L’incertitude des résultats empiriques à cet égard est probablement liée au fait que la plupart des études utilisent des données transversales en postulant un modèle commun à tous les pays et à toutes les périodes. Or, l’impact de la démocratie sur les performances économiques semble dépendre fortement des circonstances ou des caractéristiques des pays. Ainsi, par exemple, l’impact de la démocratie serait positif pour les pays présentant des niveaux faibles de démocratie (Barro, 1996, Mohtadi et Roe, 2003), ou des sociétés ethniquement divisées (Rodrik, 1999, Collier, 1999, Bluedorn, 2001, Yang, 2007), ou même, lancées dans des réformes économiques (Vega-Gordillo et Alvarez-Arce, 2003, Fidrmuc, 2003)2. Par conséquent, malgré l’application de techniques économétriques censées contrôler l’hétérogénéité des pays, les résultats des études transversales se révèlent fortement sensibles à la présence d’observations aberrantes ou à la sélection de l’échantillon (Butkiewicz et Yanikkaya, 2005 et 2006, De Haan, 2007). Par ailleurs, ces études ayant pour but d’expliquer les différences de performances entre pays à long-terme, sont basées sur des données à faible fréquence temporelle (typiquement des moyennes sur 20 à 30 ans, au mieux 5 ans) et n’utilisent donc pas pleinement l’information relative à la variabilité des données dans le temps (De Haan, 2007, Yang, 2007). Le projet « Explaining African Economic Growth » des Universités d’Harvard et d’Oxford et de l’African Economic Research Consortium repose sur des études par pays (n’incluant pas Madagascar). Cependant, même si elles mettent l’accent sur les facteurs politiques des performances, ces études sont descriptives et les tests empiriques sont menés sur les données transversales du groupe de pays (Voir Fosu et O’Connel, 2005). Si on considère que la relation entre la démocratie et les performances est fortement conditionnelle aux caractéristiques des pays, les études spécifiques par pays apparaissent alors plus pertinentes, car elles peuvent reposer sur une information plus riche, difficilement accessible simultanément pour un grand nombre de pays. Elles permettent également 2 Butkiewicz et Yanikkaya (2006) trouvent en revanche un impact autonome de la démocratie à côté de la liberté économique. 2
d’expliciter les canaux de transmissions entre la démocratie et la croissance qui dépendent sans doute également du contexte dans chaque pays3. Madagascar présente les caractéristiques nécessaires à l’observation d’une relation entre la démocratie et les performances. Premièrement, les performances de ce pays ont été très irrégulières depuis son indépendance, et comme pour de nombreux pays africains, la surévaluation du taux de change semble en être la cause immédiate. Cependant, à Madagascar, cette surévaluation n’a pas été le résultat d’un choc exogène (problème de « syndrome hollandais ») ou la conséquence de l’appartenance à un arrangement monétaire régional rigide (cas des pays des Zones Franc). En revanche, Madagascar a connu un pouvoir dictatorial qui, du fait de certaines caractéristiques et de l’histoire du pays, a pu utiliser la surévaluation du taux de change pour construire et maintenir une base politique principalement issue du milieu urbain. La surévaluation du taux de change se présenterait alors comme un canal de transmission entre l’absence de démocratie et la faiblesse des performances. Par ailleurs, l’instabilité politique, considérée comme un autre canal de transmission potentiel entre le niveau de démocratie et les performances, n’a pas été suffisamment importante à Madagascar pour expliquer entièrement la médiocrité des performances, à la différence d’autres pays. La section 2 est une revue critique de la littérature sur les liens entre la démocratie et la surévaluation du taux de change. La section 3 présente le cas de Madagascar et l’argument selon lequel le niveau de démocratie a pu affecter l’évolution du taux de change réel, du fait des caractéristiques du pays. La section 4 présente une tentative de test économétrique de cet argument sur des données annuelles couvrant la période 1972-2003 et la section 5 rassemble les conclusions. 2 – Démocratie et surévaluation du taux de change 2.1 Résultats des études transversales Les canaux de transmission possibles entre la démocratie et les performances sont divers. Tavares et Wacziarg (2001) recensent l’instabilité politique, les politiques économiques distorsives, le poids du secteur public, l’accumulation du capital humain et physique, les inégalités de revenus, et l’ouverture économique. Les résultats des études empiriques sur données transversales sont là encore assez peu concluants, notamment en ce qui concerne les 3 Bien sûr, les conclusions et recommandations qui résultent d’études relatives à un pays n’ont pas une portée aussi générale que celles d’une étude transversale. Les études par pays ne bénéficient pas des avantages « techniques » qu’apportent les grands échantillons statistiques des études transversales. 3
politiques économiques, facteurs pourtant traditionnels des performances. Parmi les indicateurs possibles des politiques économiques distorsives, la surévaluation du taux de change mesurée par la prime sur le marché des changes parallèle, est un des rares indicateurs à passer l’épreuve des tests empiriques. La surévaluation du taux de change est un canal de transmission significatif, sinon unique, pour Barro (1996), Rodrik (1999) et Acemoglu et al. (2001, 2003). Pour ces auteurs, la démocratie serait positive car elle imposerait une contrainte sur les dirigeants autoritaires tentés d’appliquer des politiques économiques distorsives. Ce canal des politiques économiques est en revanche rejeté dans les travaux de Tavares et Wacziarg (2001) et Easterly et Levine (2002). L’impact négatif de la surévaluation du taux de change sur les performances est cependant bien établi sur le plan empirique, notamment pour les pays africains (Cottani et al, 1990, Ghura et Grennes, 1993, Razin et Collins, 1997 et Sekkat et Varoudakis, 2000). Le problème se situerait donc plutôt sur la relation entre la démocratie et la surévaluation qui ne serait pas systématiquement observée4. Nous considérons que deux problèmes importants peuvent empêcher l’identification de cette relation dans les études transversales : la mauvaise prise en compte des spécificités des pays qui conditionnent l’apparition de cette relation et la mesure problématique de la surévaluation. 2.2 Une relation fortement conditionnelle aux caractéristiques des pays Il y a tout lieu de croire que le lien entre la démocratie et la surévaluation du taux de change dépend fortement du contexte et des caractéristiques des pays. Premièrement, indépendamment du niveau de démocratie, la surévaluation peut être la conséquence de chocs exogènes affectant l’économie (par exemple le cas des pays connaissant un boom d’une ressource et subissant le « syndrome hollandais », comme le Cameroun ou le Nigeria) ou la conséquence d’un arrangement monétaire régional trop rigide (notamment le cas de la Zone Franc CFA, dont l’ancrage de la monnaie commune au Franc Français puis à l’Euro peut être source de surévaluation pour certains pays membres). Deuxièmement, la thèse originale d’économie politique de Bates (1981), qui considère la surévaluation du taux de change comme la conséquence d’un manque de démocratie, se révèle être très spécifique au contexte. Bates (1981) considérant les expériences africaines a très tôt expliqué que la surévaluation du taux de change pouvait être une décision rationnelle de dirigeants autoritaires manquant de légitimité. La première motivation est de s’assurer le soutien politique de la population 4 Granger et Siroën (2001) rendent compte du même problème concernant la relation entre démocratie, ouverture commerciale et performances, mais nous choisissons une voie différente pour le traiter. 4
urbaine en facilitant certaines importations, notamment d’équipements industriels ou de nourriture. Plus généralement, on peut considérer que la population urbaine (particulièrement les groupes clefs que sont l’administration et les forces armées), est consommatrice de biens échangeables et productrice de biens non-échangeables. Elle bénéficie alors d’un taux de change réel (rapport du prix des biens échangeables sur le prix des biens non-échangeables) maintenu à un niveau faible (apprécié), au détriment de la population rurale productrice de biens agricoles échangeables. De plus, la surévaluation engendre également une pénurie de monnaie étrangère puisque son prix en termes de monnaie nationale est maintenu artificiellement à un niveau faible. Les autorités qui contrôlent discrétionnairement l’offre de devises (en l’absence de véritable marché officiel des changes), ont alors la possibilité de vendre illégalement les devises à un prix supérieur au taux officiel (corruption financière) et/ou de satisfaire seulement certains opérateurs – urbains – en leur offrant un accès privilégié aux devises contre un appui politique (corruption politique) 5. Cette thèse dont l’audience a été indéniable ne peut cependant pas expliquer toutes les expériences africaines6. Sa pertinence dépend, entre autres, du degré de légitimité du régime dictatorial (plus il est faible, plus la tentation de construire une base politique à l’aide de politiques économiques distorsives est forte) et de la structure sociale (amenant à privilégier la population urbaine contre la population rurale en surévaluant le taux de change). Or, ces conditions peuvent difficilement être prises en compte dans les études transversales. Nous répondons à ce premier problème en adoptant une analyse spécifique pour un pays où les conditions semblent rassemblées pour que tienne la thèse d’économie politique de Bates. 2.3 Concept et mesure de la surévaluation du taux de change Le deuxième problème rendant difficile l’identification de la relation entre la démocratie et la surévaluation du taux de change est lié au fait que la surévaluation n’est pas observable directement. Dans les études transversales sur le lien entre la démocratie et les performances, la surévaluation du taux de change (officiel) est approximée par la prime des devises sur le marché des changes parallèle, sous l’hypothèse, pas toujours explicite, que le taux de change parallèle représente le taux d’équilibre. Or, si l’apparition d’un marché des changes parallèle trouve généralement son origine dans la surévaluation du taux de change officiel, la prime sur ce marché peut surtout refléter l’application de restrictions sur le change et sur la circulation 5 Grabowski (2006) présente une analyse plus large du biais urbain en termes d’extraction de revenus du secteur agricole par les élites dans le contexte africain. 6 Voir Fosu et O’Connell, 2005, pour une présentation complète de la diversité des « syndromes » affectant les économies africaines. 5
des capitaux et des biens (Ghei et Kamin, 1999). Bahmani-Oskooee et Goswami (2006) qui étudient le lien entre le niveau de la démocratie et la prime sur le marché des changes parallèle privilégient une explication en termes de fuite de capitaux : le manque de démocratie expliquerait une fuite de capitaux à l’étranger augmentant la prime sur le marché des changes parallèle. Tavares et Wacziarg (2001) considèrent que cette prime est un indicateur large de la qualité de la gouvernance et de l’instabilité macroéconomique. Le taux de change parallèle peut par conséquent se révéler extrêmement volatile, d’autant plus si le marché parallèle est étroit, et multiple s’il existe plusieurs marchés parallèles, ce qui limite sa pertinence en approximation d’un taux d’équilibre. L’utilisation de la prime sur le marché des changes parallèle comme mesure de la surévaluation pose donc des problèmes à la fois conceptuels et pratiques. En revanche, les travaux visant à estimer les déséquilibres du taux de change réel (les « mésalignements ») utilisent des mesures plus satisfaisantes car elles reposent sur de véritables fondements théoriques. Nous utilisons ici une telle méthode, particulièrement employée dans les études spécifiques de pays, qui permet de prendre en compte explicitement le lien entre la démocratie et la politique de change. Cette méthode, sans doute la plus utilisée dans les études portant sur les pays en développement, est exposée de manière détaillée dans Baffes et al. (1999). L’analyse des déséquilibres du taux de change repose sur plusieurs hypothèses. Premièrement, le taux de change réel (TCR) est déterminé à long terme par des « fondamentaux » identifiables par l’analyse économétrique, tels que les termes de l’échange, la productivité, la politique d’ouverture et la structure de la demande intérieure. L’originalité de notre analyse est d’introduire parmi ces fondamentaux le degré de démocratie, considéré comme ayant un impact à long terme sur la politique de change suivant la thèse de Bates (1981). On considère également qu’il existe un écart entre le TCR observé et son niveau d’équilibre. Ce dernier est défini comme le niveau qui, à long terme, permet un équilibre externe (celui de la balance des paiements) et un équilibre interne (celui du marché des biens non échangeables). Il peut être calculé soit à partir d’une évaluation des valeurs « permanentes » ou de long terme des fondamentaux (différentes de leurs valeurs annuelles intégrant une composante transitoire), soit à partir du niveau considéré comme souhaitable ou soutenable à long terme des fondamentaux. C’est cette deuxième conception du taux de change d’équilibre que nous retenons ici, considérant notamment que la démocratisation du régime politique est à la fois possible et désirable. Dans ces conditions un écart entre le taux observé et le taux d’équilibre peut avoir deux causes. Premièrement, le taux observé ne s’adapte que lentement à l’évolution des 6
fondamentaux, en particulier lorsque la stabilité du taux de change nominal implique que la variation du TCR repose sur la variation des prix des biens non échangeables peu flexibles, au moins à la baisse. C’est bien la situation prévalant à Madagascar durant la période d’investigation. Deuxièmement, la variation annuelle des fondamentaux ne correspond pas à leur valeur permanente ou soutenable à long terme, selon la conception adoptée du niveau d'équilibre. Ici en l’occurrence, nous supposerons que la dictature n'est pas un régime soutenable, ni souhaitable, pour Madagascar. Le choix des autres fondamentaux économiques est discuté plus loin dans la partie consacrée au test économétrique. 3 - Le cas de Madagascar Une brève présentation de l’histoire de Madagascar amène à privilégier la thèse de Bates (1981) pour expliquer les performances du pays. Compte tenu des caractéristiques du pays, il semble en effet pouvoir exister un lien entre le niveau de démocratie et la surévaluation du taux de change. 3.1 Une présentation Madagascar est une grande île (de la taille de la France) caractérisée par une grande diversité géographique et climatique. Une vaste région montagneuse au centre (les hauts-plateaux), où se situe la capitale Antananarivo, rend les communications difficiles. La population, environ 17 millions d’habitants à l’heure actuelle (5,5 millions en 1960), est inégalement répartie sur le territoire. On distingue généralement 18 ethnies, la différentiation la plus importante étant faite entre l’ethnie Merina (historiquement dominante installée dans la région centrale) et les autres, rassemblées sous le terme de « côtiers ».7 Au début du 19ème siècle, les rois Merina conquièrent certaines des régions côtières et installent un système administratif et légal unifié, qui est contesté par les institutions traditionnelles locales (fokonolona ou conseils villageois). La société Merina est alors divisée en castes (nobles, roturiers et esclaves) où la noblesse détient le pouvoir politico-économique. L’élite dirigeante est cependant traversée par des conflits bientôt entretenus par l’intervention 7 L’ethnie Merina, d’origine indonésienne, est installée principalement sur les hauts-plateaux et la capitale, et compose environ un quart de la population, tandis que les « côtiers », le reste de la population originaire d’Afrique de l’Est, habitent pour certains les hauts plateaux et les autres régions. La différenciation culturelle des ethnies est faible : pratiquement tous les malgaches parlent la même langue et partagent certaines pratiques culturelles (culte des ancêtres…), et les mariages interethniques ne sont pas rares (Pryor, 1990). Selon les indicateurs existants, Madagascar présenterait un fractionnement ethnique très élevé, religieux moyen et linguistique très faible, voir Alesina et al. (2003). 7
des puissances étrangères, la France et le Royaume-Uni. Après un accord franco-britannique accordant l’Ile à la France en 1890, et une guerre brève perdue par l’Empire Merina, Madagascar devient une colonie française en 1895. Dans un premier temps, la colonisation bouleverse l’organisation sociale : la monarchie et l’esclavage sont abolis8, et les terres sont partiellement redistribuées. Les investissements dans l’infrastructure et l’éducation se limitent à la région de la capitale et bénéficient logiquement aux Merina, qui deviennent également sur-représentés dans l’administration coloniale. En revanche, les colons français contrôlent les banques, le commerce international, les cultures de rentes et les mines9. Les anciens esclaves, devenus petits propriétaires ou ouvriers agricoles, demeurent dépendants à l’égard de la sphère commerciale, et sont soumis à diverses taxes et au travail obligatoire sur les grands travaux d’infrastructure. Un processus d’indépendance « pacifique » est engagé dans les années 1950.10 Par referendum, Madagascar devient une République autonome dans la Communauté française en 1958. Philibert Tsiranana, un « côtier », ancien député à l’Assemblée Nationale française, devient le premier Président de la Ière République. Il maintient les accords de coopération sur le plan politique, militaire et économique avec la France (Madagascar demeure dans la Zone Franc), si bien que l’organisation sociale coloniale n’est pas bouleversée11. Le faible dynamisme de l’économie et le conservatisme à l’égard de l’ancien système disqualifient peu à peu le régime. Diverses contestations se déclenchent au début des années 1970 et en mai 1972 P. Tsiranana remet finalement les pouvoirs à une junte militaire nationaliste et « progressiste ». Les accords économiques et militaires avec la France sont rompus et les relations sont établies avec d’autres régimes socialistes, les négociations étant menées par le Ministre des affaires étrangères, Amiral et appartenant au groupe des « côtiers », D. Ratsiraka. Des entreprises publiques sont établies dans divers secteurs et des caisses nationales de commerce sont installées pour certains produits agricoles12. Cette période est très tôt marquée 8 Soit une libération de 500 000 esclaves, un quart de la population à l’époque. 9 Des immigrants indo-pakistanais et chinois occupent peu à peu les activités de commerce de détail. Au début des années 1960, les étrangers constituaient environ 2% de la population, dont 0,9% de français, mais représentaient près de 10% de la population de la capitale. 10 Précédemment, le nationalisme malgache a sporadiquement mené à des insurrections (1904-05, 1915, 1929, 1947) violemment réprimées. 11 Certains nationaux bénéficient de la première « malgachisation » de l’administration et accèdent alors plus facilement à la sphère économique (Pryor, 1990, évalue à 14% la part des entreprises malgaches dans l’industrie dans les années 1960). L’éducation demeure un élément clé qui permet d’atteindre les sphères du pouvoir politico-économique. Pendant douze ans, le pouvoir s’appuie sur le soutien des nouveaux fonctionnaires et des bénéficiaires du maintien de l’organisation coloniale (commerçants, notables locaux). L’opposition politique est fortement divisée. 12 Ces caisses nationales sont créées pour remplacer les collecteurs privés et les opérateurs étrangers. Elles subissent alors la détérioration des infrastructures et du matériel de transport, et des chocs climatiques 8
par une faible croissance de la production et des exportations agricoles, et des difficultés croissantes de financement (avec également le retrait de la Zone Franc en 1973). De 1972 à 1975, une concurrence intense apparaît au sein de la junte, dont D. Ratsiraka émerge comme le leader en juin 1975. La Constitution Socialiste est adoptée par referendum et D. Ratsiraka devient Président de la République Démocratique. Le régime est très « présidentiel », s’appuyant sur un réseau de personnes connectées au Chef de l’Etat, et diffère en cela des autres régimes socialistes où le Bureau Politique du Parti unique est au centre du système (Covell, 1987). L’autoritarisme et la répression s’accroissent et l’état d’urgence est décrété à plusieurs reprises dans les années 1970-80. La stratégie économique adoptée à partir de 1975 repose sur les nationalisations, l’industrialisation, et l’accroissement de l’emploi dans l’administration et l’armée mais la 13 grande majorité de la population, rurale, n’en bénéficie pas . A partir de 1978, un programme d’investissement public « à outrance » mène le pays au bord de la faillite. Le régime signe alors en 1982 des accords de prêts structurels avec le FMI, conditionnés à l’abandon progressif de l’administration des prix et des restrictions sur le commerce, et accompagnés de dévaluations. Une démocratisation timide accompagne les réformes économiques14. Malgré le retour de la croissance, des manifestations pour la démocratisation se déclenchent en 1991, violemment réprimées par les forces de l’ordre en août. En octobre, D. Ratsiraka accepte finalement la formation d’un gouvernement de transition dirigé par l’opposition. En août 1992, la Constitution de la Troisième République adoptée par referendum institue le multipartisme et un régime parlementaire et en février 1993, le leader de l’opposition, A. Zafy, est élu Président. La libéralisation de l’économie se poursuit15 mais à partir de 1995, des politiques économiques imprudentes nourrissent une forte inflation. A la suite de la destitution d’A. Zafy par l’Assemblée Nationale, l’élection présidentielle anticipée est remportée par D. Ratsiraka en décembre 1996. Le libéralisme économique n’est pas remis en cause, la (sécheresses en 1978-79, cyclones en 1981-82). La corruption et les détournements de fonds entachent également leurs opérations. 13 L’Etat prend le contrôle d’environ 13% de l’activité économique en 1975 puis 61% en 1978, principalement dans les services publics, le commerce, les banques et l’industrie (Covell, 1987). En 1975, le secteur moderne employait 6% de la population active et l’agriculture traditionnelle 83% (Banque Mondiale, 1979). La population urbaine croît régulièrement de 10% de la population en 1960 à 30% en 2000. A partir de 1975, la réforme foncière se limite à l’expropriation des colons sans redistribution massive des terres des grands propriétaires malgaches notamment dans la province d’Antananarivo. La population rurale subit l’administration des prix agricoles, la corruption, le mauvais fonctionnement des caisses nationales de commerce. 14 Comme l’élimination de la censure de la presse en 1989, et l’apparition de nouveaux partis politiques en 1990 (Rakotoarisoa, 2002). 15 Dans le domaine monétaire, les réformes consistent en la privatisation des banques et la mise en place d’un marché interbancaire de devises et l’adoption d’un régime de change flexible en 1994. 9
privatisation des entreprises publiques est même poursuivie et la croissance économique s’accélère. En décembre 2001, D. Ratsiraka est devancé au premier tour de l’élection présidentielle par M. Ravalomanana, un industriel, Merina, maire d’Antananarivo depuis 1999. M. Ravalomanana affirme sa victoire dès le premier tour, appuyé par ses partisans qui manifestatent dans la capitale dès janvier 2002. En février, des partisans de D. Ratsiraka dressent des barrages autour de la capitale où la loi martiale est décrétée. Les affrontements entre manifestants puis entre militaires font quelques dizaines de morts dans la capitale et en province. Enfin, en avril, M. Ravalomanana obtient la reconnaissance de sa victoire auprès de la Cour suprême puis de la communauté internationale et D. Ratsiraka quitte finalement Madagascar (voir Rakotoarisoa, 2002, pour une analyse complète de cette crise). M. Ravalomanana avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux lance un programme d’ouverture de l’économie, de lutte contre la corruption (réformes institutionnelles) et d’investissement dans les infrastructures et l’éducation notamment en milieu rural. M. Ravalomanana est réélu dans un climat politique relativement calme en décembre 2006. 3.2 Une interprétation Une société complexe caractérisée par un secteur rural dominé. Alors que le fractionnement ethnique est souvent relevé comme une source importante des mauvaises performances en Afrique (Easterly et Levine, 1997, Collier 1999, Alesina et al. 2003), les divisions sociogéographiques semblent plus complexes à Madagascar16. Cependant, la division la plus significative semble provenir de la dépendance structurelle du secteur rural agricole, du fait de la géographie intérieure et de l’éloignement des marchés d’exportations. Ce secteur est alors vulnérable aux comportements spéculatifs et prédateurs des groupes dominants, que ce soit la noblesse au XIXème siècle, le secteur privé étranger durant la colonisation jusqu’en 1971, l’administration en 1972-85, et enfin le secteur commercial privé à la suite de la libéralisation des années 1980. Ceci peut donc expliquer pourquoi les régimes successifs n’ont jamais démontré une véritable volonté de développer durablement ce secteur, d’autant plus que l’hétérogénéité et la répartition inégale de sa population sur le territoire ne l’a jamais fait émerger comme une base politique potentielle17. 16 La structure sociale est très hétérogène dès la période pré-coloniale du fait de l’imbrication du système monarchique, des castes, des ethnies et le maintien des disparités régionales. 17 Un bas prix du riz à la consommation a été un objectif des différents régimes jusqu’à récemment (le secteur est libre mais les gouvernements successifs ont pris en charge l’importation de riz à diverses périodes critiques, pour des raisons sociales et probablement électoraliste). 10
Un biais urbain qui s’est accrû pendant la dictature. L’absence de base pré-coloniale de l’Etat est souvent avancée comme une source de la faible croissance en Afrique (Englebert, 2000) car les régimes sont alors enclins à utiliser les politiques économiques distorsives pour construire leur base politique, en créant et distribuant des rentes à leurs partisans. Madagascar se caractérise par une faiblesse continuelle de l’Etat depuis la période pré-coloniale, et particulièrement durant les régimes « progressistes » à partir des années 1970 puisque ceux-ci n’ont pas émergé d’un mouvement révolutionnaire important leur assurant une légitimité durable (à la différence de pays comparables comme le Viêt-Nam ou Cuba par exemple). Ces régimes ont alors cherché à s’attacher le soutien de l’appareil d’Etat, de l’administration et de l’armée qui sont des secteurs typiquement urbains, plutôt que le soutien du secteur rural historiquement dominé18. La stratégie d’industrialisation et de développement du secteur urbain adoptée à partir des années 1970, aux dépens de l’agriculture et du secteur rural, apparaît dans ce cadre tout à fait rationnelle. De plus, on peut considérer que l’application du biais urbain devient alors d’autant plus facile que le contrôle de l’Etat sur l’activité économique augmente dans un complet manque de transparence propre à un régime dictatorial. La surévaluation du taux de change comme instrument du biais urbain. Dans les années 1970-1980, le taux de change du Franc Malgache a certainement été surévalué. En effet, le taux de change nominal reste ancré au franc français alors que Madagascar se retire de la Zone Franc et fait face à une chute de l’investissement direct étranger. De fortes restrictions sur les importations et sur le change et les surcapacités de production dans l’industrie sont également un signe de la surévaluation à cette époque (Pryor, 1990). Bien qu’elle soit un indicateur imparfait des déséquilibres du taux de change comme expliqué précédemment, la prime des devises sur le marché des changes parallèle révèle une probable surévaluation de l’ordre de 50% à 100% à partir du milieu des années 1970 (Graphique 2). 18 Les Merina sont exclus des plus hautes responsabilités politiques mais sont sur-représentés dans le secteur urbain, dans l’industrie, dans l’administration et les forces armées et bénéficient alors de cette stratégie de développement. La représentation des Merina au sein des gouvernements passe de 18% sous la Ière République à 36% sous la IIème (Pryor, 1990). La chute de D. Ratsiraka en 1991 peut s’expliquer à l’inverse par les réformes économiques (succédant à une crise économique) défavorables au secteur urbain qui par conséquent retire son soutien au Chef de l’Etat. 11
Graphique 1. Prime des devises sur le marché des changes parallèle (taux de change parallèle sur le taux de change officiel). 150% Banque Mondiale 100% Pryor 50% 0% 1975 1977 1979 1981 1983 1985 1987 1989 1991 1993 1995 1997 -50% Source : Banque Mondiale, Indicateur de développement dans le Monde et Pryor, 1988, marché noir à Antananarivo. Autres informations sur la prime : L’Institut Free the World indique 0% en 1970, 25% en 1975 et plus de 50% en 1980. Dean et al. (1994) donne une moyenne de 37% en 1980-87 et de 13% en 1988-92. La surévaluation du taux de change ainsi mesurée semblant être relativement contemporaine de la dictature, elle pourrait être interprétée comme un instrument du biais urbain appliqué rationnellement par le régime dictatorial suivant la thèse de Bates (1981). Le but du travail qui suit est de tester cette hypothèse qui semble pertinente dans le cas de Madagascar. 4 - L’estimation économétrique L’hypothèse testée est celle d’une relation entre le niveau de démocratie et l’évolution du taux de change réel, conduisant à une surévaluation durant les périodes de dictature. Avant de présenter la méthode et les résultats, nous décrivons précisément les deux principales variables utilisées. 4.1 – Les variables de démocratie et de taux de change réel Les indicateurs de démocratie les plus connus du fait de leur couverture historique et de leur large utilisation malgré les critiques que l’on peut leur adresser (liées notamment à leur subjectivité car ils sont basés sur l’opinion d’experts) sont ceux de la Freedom House et de Polity IV. L’indicateur de Freedom House évalue les droits politiques (droit de vote, liberté des élections …) et les libertés civiles (droit d’opinion, d’association, …). L’échelle est de 1 à 7, le score de 1 représentant le degré de démocratie le plus élevé et 7 le moins élevé. L’indicateur du programme Polity IV mesure la concurrence et l’ouverture dans le recrutement de l’exécutif, la contrainte sur l’exécutif, la régulation et la concurrence dans la participation à la vie politique. L’échelle est de -10 (fortement autocratique) à 10 (fortement démocratique). 12
Graphique 2. Indices de démocratie, Madagascar 1960-2003 7 -10 -8 6 -6 5 -4 -2 4 0 2 3 Freedom House 4 2 6 Polity IV 8 1 10 1960 1963 1966 1969 1972 1975 1978 1981 1984 1987 1990 1993 1996 1999 2002 Notes : Freedom House = Moyenne de l’indice des droits politiques et de l’indice de libertés civiles (1=plus libre à 7=moins libre), échelle de gauche ; Polity IV = indice polity2 (-10 autocratie à +10 démocratie), échelle de droite. Sources : Freedom House et Polity IV. Pour Madagascar, les deux indicateurs présentent une évolution proche mais la variable de Polity IV est très « binaire », tandis que la variable de la Freedom House décrit une évolution progressive (Graphique 3). Polity IV scinde en effet très clairement la période en deux régimes, autocratique avant et démocratique après 1991, année qui a vu la formation d’un gouvernement de transition dirigé par l’opposition. La variable de la Freedom House en revanche diagnostique une autocratie forte à la fin des années 1970 puis une amélioration progressive. Notre préférence va à cette seconde variable car il est difficile de considérer qu’il y a eu un basculement brutal et en une étape de l’autocratie à la démocratie en 1991. Quelques pas avaient été en effet accomplis à la fin des années 1980 (sur les plans du multipartisme et de la liberté de la presse) et la première élection du chef de l’exécutif présentant un certain degré de liberté ne se déroule effectivement qu’en 1993.19 19 Le progrès de la démocratie à Madagascar est significatif comparé à la région d’Afrique Subsaharienne (ASS). La variable de la Freedom House place Madagascar dans la moyenne mondiale mais parmi les pays africains les plus démocratiques depuis la fin des années 1980. A partir des années 1990, Madagascar se distingue en effet par les possibilités d’alternances politiques (1993, 1996 et 2002). Par ailleurs, les enquêtes microéconomiques menées dans la capitale malgache montrent que la démocratie est un concept pertinent à Madagascar en ce sens que les opinions politiques et les votes sont peu influencés par l’appartenance à une ethnie ou à une religion (Razafindrakoto et Roubaud, 2005). 13
20 Nous avons calculé pour 1970-2003 un indice annuel du taux de change effectif réel ou rapport des prix étrangers sur les prix intérieurs exprimés dans la même monnaie, qui est une approximation sans doute acceptable du rapport entre le prix des biens échangeables internationalement et celui des prix des biens non échangeables. Il se présente comme une moyenne géométrique : ωi n Pi n TCER = ∏ Emdg/i . Pmdg avec ∑ ωi = 1 i =1 i =1 où Emdg/i est l’indice du taux de change nominal bilatéral entre le franc malgache (FMG) et la monnaie du pays partenaire i (nombre de FMG par unité de monnaie étrangère i) et P est un indice des prix (usuellement l’indice des prix à la consommation). La pondération ωi reflète la structure du commerce de Madagascar, limitée aux n principaux partenaires 21. Cette formule implique qu’une augmentation (diminution) du TCER est une dépréciation (appréciation). Le graphique montre clairement deux périodes : 1970-1986 où le TCER montre peu de fluctuations autour de la valeur égale à 50 et 1987-2003 où le TCER montre une plus forte variance autour de la valeur 100. La première période correspond au rattachement du FMG au Franc français jusqu’en 1982, puis au rattachement à un panier de monnaies étrangères (des principaux partenaires commerciaux). De 1982 à 1988, le cours vis-à-vis de ce panier est ajusté irrégulièrement en fonction de l’inflation et du niveau des réserves de change. Cependant, la quasi-stabilité du TCER de 1970 à 1986 pourrait avoir abouti à une surévaluation si son niveau d’équilibre s’est déprécié dans cette période du fait de l’évolution des fondamentaux, une hypothèse que l’on explore plus loin. 20 On ne dispose pas pour Madagascar d’une série longue du taux de change effectif réel. La série publiée dans les African Development Indicators de la Banque Mondiale (Source FMI) ne remonte qu’à l’année 1979. 21 Les séries proviennent des Statistiques Financières Internationales du FMI. La disponibilité des données restreint le calcul à un taux de change effectif réel contre les sept principaux partenaires (indice = 100 en 1990). Le poids est déterminé selon la part dans le commerce de Madagascar en 1995-2001 (source : Direction of Trade Statistics, FMI) : France (51%), Japon (9%), Maurice (4%), Singapour (5%), Afrique du Sud (9%), Royaume Uni (5%) et Etats Unis (17%). 14
Graphique 3. Taux de change effectif réel 1970-2003 120 100 80 60 40 1970 1973 1976 1979 1982 1985 1988 1991 1994 1997 2000 2003 Notes: Indice du TCER (1990=100), une augmentation est une dépréciation. Sources: calculs de l’auteur à partir de données FMI. Accompagnant la libéralisation commerciale en 1987, une forte dévaluation mène à une dépréciation réelle durable. Des difficultés économiques puis la crise politique de 1991 amènent les autorités à maintenir constant le taux de change (toujours vis-à-vis du panier de devises) et à adopter de fortes restrictions sur le change en 1992-93. En 1994, un marché interbancaire de devises (MID) est créé, le flottement est adopté et le contrôle des changes est assoupli22 . L’adoption de ce nouveau régime, toujours en cours à l’heure actuelle, a mené à une forte dépréciation dès 1994 mais à des fluctuations contrôlées dans les années qui ont suivi (voir Azam, 2001, pour une analyse de l’évolution du TCER dans la période 1983- 1997). Pendant la crise de 2002, le MID est fermé et le taux de change est maintenu constant pendant quelques mois. 4.2 La méthode d’estimation des déséquilibres du TCR En s’inspirant de Baffes et al. (1999), on peut résumer la méthode d’estimation des déséquilibres de change de la manière suivante. Le déséquilibre est la différence entre le (logarithme du) TCR observé et le (logarithme du) TCR d’équilibre : DES = LTCRt – LTCR*t Le TCR d’équilibre LTCR* est le TCR résultant des valeurs d’équilibre des fondamentaux affectant les équilibres interne et externe de l’économie LTCR*t = β’F*t avec β les paramètres de la relation. Les valeurs d’équilibre F* et LTCR* ne sont pas observables. Cependant, on suppose que les paramètres β de cette relation peuvent être déduits de la relation de long terme entre les valeurs observées LCTR et F, LTCRt = β’Ft + εt 22 voir FMI, Exchange Arrangements and Exchange Restrictions, annuaires 15
sous l’hypothèse que l’erreur εt est stationnaire (n’est pas permanente) ou en d’autres termes que les déséquilibres ont tendance à se corriger. Le TCR d’équilibre est alors défini comme : LTCR*t = β̂' F*t avec β̂' les paramètres estimés de la relation entre les valeurs observées. La construction de LTCR* nécessite par conséquent à la fois l’estimation de β̂' et la construction de F*. Le déséquilibre est finalement : DES = LTCRt – β̂' F*t 4.3 Le choix des fondamentaux du taux de change réel Les fondamentaux sont à la fois choisis sur la base des travaux théoriques et empiriques portant sur les pays en développement, de leur pertinence dans le cas du pays étudié, et dans la limite de la disponibilité des données23. Les plus usuels sont : - Les termes de l’échange (rapport du prix des exportations sur le prix des importations). Une amélioration (hausse) des termes de l’échange augmente le revenu national, ce qui accroît la demande de biens non-échangeables et échangeables (effet revenu). Comme le prix des biens échangeables est exogène, la hausse du prix des biens non échangeables provoque l’appréciation du TCR24. Les termes de l’échange de Madagascar ont plutôt suivi une tendance à la baisse dans les années 1970-80 (ce qui tendrait à déprécier le TCR), et à la hausse dans les années 1990-2000. - La productivité du pays (l’effet Balassa-Samuelson). Une hausse de la productivité dans le secteur des biens échangeables entraîne une hausse des salaires dans ce secteur, qui, si le facteur travail est mobile, entraîne une hausse des salaires dans le secteur des biens non échangeables. Si la hausse de la productivité est moins rapide dans ce secteur, comme cela est généralement supposé, le prix des biens non échangeables augmente et le TCR s’apprécie. En l’absence de données sectorielles de productivité pour Madagascar, il est difficile d’apprécier l’évolution de la productivité relative dans le secteur des biens échangeables. Si l’on se base sur l’indicateur du PIB par tête, la productivité de l’ensemble de l’économie a plutôt eu 23 Les séries annuelles utilisées sont tirées principalement des Indicateurs sur le Développement dans le Monde de la Banque Mondiale, version CD Rom. 24 En revanche, si la hausse des termes de l’échange provient d’une baisse du prix des biens importés, la demande pour ces biens devrait augmenter et la demande de biens non échangeables diminuer en conséquence, ce qui amènerait à une dépréciation du TCR (effet substitution). L’effet total (revenu et substitution) est alors ambigu. Ce n’est en revanche pas le cas si la hausse des termes de l’échange provient d’une hausse du prix des exportations. Les auteurs des études citées en référence considèrent que l’effet revenu domine. 16
tendance à décroître dans les années 1970 jusqu’au milieu des années 1990 (ce qui tendrait à déprécier le TCR) pour connaître une lente amélioration ensuite. - Le taux d’investissement. Les données sur la composition de l’investissement manquent, mais si on suppose que l’investissement est intensif en biens échangeables (importés), une hausse du taux d’investissement devrait tendre à déprécier le TCR. Le taux d’investissement de l’économie a eu tendance à stagner autour de 10% du PIB dans la période, avec des pics au delà de 15% en 1981-82, 1988-90 et depuis 1998 (ce qui devrait mener à des dépréciations transitoires dans ces années). - Les dépenses de l’Etat, si l’on suppose qu’elles sont exogènes vis-à-vis du TCR (à la différence des dépenses du secteur privé). Si ces dépenses portent relativement plus sur les biens non échangeables (échangeables), une augmentation de ces dépenses tend à apprécier (déprécier) le TCR. En l’absence de données fiables, cette variable n’est pas introduite dans la suite. - Les restrictions commerciales et sur les changes. Une libéralisation commerciale accroît la demande de biens échangeables et devrait donc mener à une dépréciation du TCR. A Madagascar, la libéralisation commerciale dès 1987 devrait entraîner la dépréciation du TCR. La politique d’ouverture commerciale peut être approximée par un taux d’ouverture commerciale ou des variables muettes indicatrices. 25,26 Rappelons que l’originalité de notre étude est d’introduire une variable mesurant la démocratie parmi les fondamentaux en considérant que le niveau de démocratie a un impact direct sur le niveau du TCR. En effet, dans le cas d’un pays où un pouvoir autoritaire aurait la volonté de s’attacher le soutien du secteur urbain à l’aide de politiques économiques distorsives, une répression des libertés devrait mener à une hausse du prix relatif des biens non échangeables (le secteur urbain étant producteur de biens non-échangeables et consommateur de bien échangeables), donc à une appréciation du TCR. Se pose cependant une question relative à l’impact indirect que la démocratie pourrait exercer sur le TCR à travers certains des fondamentaux économiques (autres que les termes de 25 Le taux d’ouverture commerciale est une mesure imparfaite des restrictions sur le commerce car l’ouverture dépend également de nombreux facteurs structurels (pour une discussion récente, voir Combes et al., 2001). Mesurer les instruments de la politique commerciale nécessite une information souvent indisponible ce qui amène certains à repérer par des variables muettes indicatrices les épisodes de libéralisation commerciale (Li, 2004). 26 Le contrôle des capitaux est quelquefois introduit mais son impact sur le TCR est ambigu : une libéralisation peut amener à une entrée ou une sortie nette de capitaux, respectivement à une dépréciation ou appréciation du TCR. Cette variables est difficile à mesurer en général. Madagascar est fermé aux capitaux étrangers (les flux nets d’investissement direct étranger représentant moins de 2% du PIB sur l’ensemble de la période) et on ne peut s’attendre qu’à un impact peu significatif des variations de cette variables sur le TCR. 17
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