Médiacritique(s) Magazine trimestriel d'ACRIMED
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Trève estivale ? Si l’on en croit quelques politicienne dont ils sont médias bien informés, eux-mêmes des acteurs SOMMAIRE Macron Ier aurait déjà de premier plan. De quoi sauvé la France, l’Europe guérir les abstentionnistes 5. L a course aux sondages, et le climat. Mais aucun de cette « inadaptation » entre bêtise et vacuité éditocrate jusqu’alors ne qu’Alain Duhamel, le papy 9. L es bacchanales de la vertu : l’a vu marcher sur les pape des éditorialistes, eaux, transformer l’eau diagnostiquait ainsi retour sur l’entre-deux-tours en vin et multiplier les sur LCI le 20 juin : 13. B rigitte Macron et la litanie pains. Plus inquiétant : les « L’abstention signifie sexiste des médias journalistes de BFM-TV qui l’inadaptation le suivent dans chacun des Français à la 17. L es projets du président de ses déplacements et vie politique. » Et Macron sur les médias s’extasient devant ses évidemment pas 19. P our une refondation de bains de foule assurent l’inadaptation des l’audiovisuel public que son toucher de main, politiques et… des à la différence de celui des éditocrates à la vie des 25. L ire Pour une socioanalyse rois de jadis, ne guérit pas Français ! du journalisme d’Alain Accardo les écrouelles, et ne soigne 27. R aphaël Enthoven, éditocrate pas non plus les engelures Alors que les lectrices ni les brûlures. De quoi et les lecteurs de ce à coups de marteau décevoir le journalisme magazine parcourent ces 28. Les jeux de l’été d’accompagnement qui pages, se délectant du trouvera peut-être là meilleur de la production de quoi agrémenter son d’Acrimed des ces derniers suivisme de quelques mois et de nos jeux signes de désapprobation. estivaux traditionnels, une Car, pour l’essentiel, dans session extraordinaire du Médiacritique(s) la plupart des grands Parlement se sera sans Le magazine trimestriel d’Acrimed médias, la macromanie doute déjà tenue pour Directeur de la publication épouse et conforte tenter d’entériner avec Mathias Reymond la communication le minimum de débat Ont collaboré à ce numéro présidentielle, au point de civique des projets de Vincent Bollenot, Caroline Brun, Maxime Friot, Aurore K., proposer simultanément transformation du code du Blaise Magnin, Henri Maler, son impudique exhibition travail, de réglementation Fernando Malverde, Patrick Michel, Jean Pérès, Pauline Perrenot, et son docte commentaire. de la vie politique et Olivier Poche, Mathias Reymond, Cyrille Rivallan, Thibault Roques De l’art de faire coup d’inscription de mesures double… d’urgence dans la loi Illustration Colloghan ordinaire. Nul doute qu’il Secrétaire de rédaction Alors que plus de 50 % faudra se féliciter de la Olivier Poche des Français se sont présentation médiatique Imprimé par abstenus aux élections des enjeux ! Impossible Espace Imprim législatives, les experts évidemment d’y consacrer 46, rue de Paradis – 75010 Paris en macronie déploient ce magazine, gagné par Commission paritaire : 1218 G 91177 tous leurs talents de la trêve estivale et décalé ISSN : 2256-8271 pédagogues pour entourer par rapport au subtil Tous les articles publiés sont le produit d’un travail collectif et engagent collectivement de leurs bavardages agenda de la Macronie. l’association Acrimed. C’est pourquoi, politiciens l’enterrement Mais ce n’est, sans doute, sauf exception, ils ne sont pas signés. présumé de la politique que partie remise… Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 3
Média(bou)tique DVD — 18,40 € 12,50 € T-shirt — 13 € 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Tote-bag — 7,50 € Autocollants conçus et réalisés par Sébastien Marchal >> Je fais un don de soutien à Acrimed d’un montant de ............ r ére >> J’adhère ou je renouvelle mon adhésion à Acrimed h ne Ad n lig g Cotisation de base : 40 € Chômeurs indemnisés, précaires, étudiants : 10 € r e .o r Revenus > 2000 € mensuels : 70 € Chômeurs non indemnisés, bénéficiaires du RSA : 5 € t e e d he r im >> Je m’abonne pour un an (soit quatre numéros) à Médiacritique(s) à partir du no … Ac ue.ac q Tarif adhérent : 10 € Tarif normal : 15 € Tarif de soutien : 20 € (ou plus…) ut i bo Union européenne et Suisse : 25 € Reste du monde : 32 € >> Je commande (frais de port compris – pour les commandes groupées et pour l’étranger, nous contacter) Le t-shirt « La télé commande » (gris et bleu) : 13 €. XXL – S (entourer la taille choisie) Le t-shirt « Opinons » (noir et bleu) : 13 €. Homme : XL – L – M – S // Femme : L – M – S – XS – XXS Le tote-bag « Opinons » (noir et bleu) : 7,50 € Le magazine Médiacritique(s) : 3,50 € le no (épuisés : nos 1, 2, 11, 12, 18 et 23). No(s) … … … … … Le livre L’Opinion, ça se travaille..., aux éditions Agone : 12,50 €. Le DVD des Nouveaux Chiens de garde : 18,40 €. Des autocollants : prix libre (min. 2 € pour frais de port). Indiquez vos préférences grâce aux numéros ; sinon vous recevrez par défaut un assortiment. Nom : ………………………………………………… Prénom : ……………………………………………………… Adresse : …………………………………………………………………………………………………………………………………… Code postal : ……………………………………… Ville : …………………………………………………………… Téléphone : ………………………………………… Email : ……………………………………….………………… Signature : Bulletin à découper, photocopier ou recopier sur papier libre, et à renvoyer, accompagné d’un chèque à l’ordre d’« Action-Critique-Médias », à l’adresse suivante : Acrimed – 39, rue du Faubourg-Saint-Martin – 75010 Paris Tél. : 09 52 86 52 91 — Email : acrimedinfo@gmail.com
Sondagite Course aux sondages : la bêtise au coude à coude avec la vacuité Comme à chaque élection, et particulièrement lorsqu’il s’agit d’une présidentielle, les résultats des sondages et les commentaires qui les accompagnent ont compté pour une grande partie de la production de l’information sur la campagne électorale. L’hystérie sondagière continue de s’aggraver d’élection en élection : 193 sondages publiés en 2002, 293 en 2007, au moins 375 en 2012 et plus de 500 cette année. Du 1er janvier au 6 avril 2017, 266 sondages ont été publiés, soit près de 3 par jour. Nous revenons ici sur cette vague record, pour montrer comment on leur fait dire ce qu’ils ne disent pas, ce qu’ils ne peuvent pas dire, et comment l’obsession du score et de la stratégie électorale aboutit à une confusion entre le fait de voter pour un candidat et celui de miser sur sa victoire – comme dans un pari sportif –, au détriment d’un choix politique éclairé par un débat sur les enjeux et les programmes. Critique élémentaire Premièrement, jusqu’au 18 mars et Le Pen », avec des scores variant à de la méthode l’officialisation de la liste des candidats, la hausse ou à la baisse de 1 %. Les les candidats proposés aux sondés scores du sondage le plus récent Il ne s’agit pas de revenir en détail sur changent régulièrement, et nombre sont inclus dans la marge d’erreur du la critique des sondages en général, de ces sondages proposent d’ailleurs sondage précédent 2 . Il est bien sûr qui varie selon les caractéristiques aux sondés de déclarer leur inten- totalement inepte de discuter de l’évo- des sondages considérés ; nous tion de voter pour… quelqu’un qui ne lution des « scores » des uns et des renvoyons pour ces aspects à l’article sera finalement pas candidat, comme autres à l’intérieur de la marge d’er- de Patrick Champagne « En finir avec Yannick Jadot, François Bayrou, Alain reur. De même, lorsque deux candidats les faux débats sur les sondages » (à Juppé ou Rama Yade. Analyser l’évolu- (ou plus) ont des « scores » dont les lire sur notre site). Mais une critique tion des scores de tel ou telle candidat marges d’erreur se chevauchent, dire élémentaire suffit à nuancer, sinon ou candidate depuis le mois de janvier qu’un tel est devant l’autre n’a aucun à discréditer, les interprétations des ou février est donc un exercice rendu sens. Mais il aura fallu attendre que résultats des sondages électoraux totalement incertain par la variété des quatre candidats voient leurs scores récents dont la grande majorité des adversaires qui lui ont été opposés sur se chevaucher de cette façon pour médias nous abreuvent, et auxquels la cette période. que cette incertitude soit évoquée, par grande majorité des commentateurs exemple dans un article du Monde, où s’abreuvent eux-mêmes. En effet, Mais surtout, un très grand nombre l’on peut lire que « compte tenu de la à lire la page Wikipédia qui recense d’articles et d’émissions rapportent marge d’erreur […], quatre candidats les principaux sondages électoraux et analysent des variations du score sont actuellement dans un mouchoir menés depuis janvier dernier, la des candidats, alors que ces variations de poche, sans qu’il soit encore seule conclusion qu’il soit possible de n’existent peut-être pas ! Et on peut possible de déterminer les deux fina- tirer est la suivante: dans la période être saisi de vertige devant le nombre listes ». Ce qui n’empêche pas l’auteur la plus récente, quatre candidats de journalistes et de commentateurs de cet article de juger que l’un de ces semblent recueillir plus d’intentions autorisés qui les détaillent et discutent candidats « confirme » tandis qu’un de vote que les autres 1. Au-delà de de résultats à la portée insignifiante. autre « plafonne ». Mystères de la cette donnée à peu près factuelle, le Un exemple, parmi de très nombreux sondologie… De tout cela on retiendra commentariat s’égare dans des inter- autres : dans un article de La Dépêche que comprendre ce que peut dire un prétations qui méprisent les limites on peut lire que « Jean-Luc Mélen- sondage n’est vraisemblablement pas de ce que ces sondages peuvent réel- chon confirme sa dynamique » et que nécessaire pour entreprendre de le lement dire. la « baisse se prolonge pour Marine faire parler. Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 5
La « course électorale », mythologie À la fin mars, deux candidatures inattendues avaient été pour sondomaniaques intoxiqués étudiées par un sondage rapporté par Lefigaro.fr : « Prési- dentielle : l’indécision et le vote blanc, en tête dans les Faisant mine de prendre au sérieux la déroute des sondages sondages ». Ce niveau d’indécision, qui fragilise encore les lors du référendum britannique sur le Brexit, des élections interprétations possibles, sera bien sûr discuté, et même présidentielles américaines et de la primaire de la droite qualifié d’historique, mais le commentaire sondagier ne en France, les commentateurs appliquent une recomman- s’embarrasse pas de tenir compte de ses propres réflexions : dation explicitée dans un article du site Europe1.fr : « Ce un sondage, même s’il ne dit rien, ça doit parler ! qui importe, au final, c’est toujours la lecture que l’on fait des sondages. Et là, experts et sondeurs disent la même Les publications les plus intoxiquées sont sans aucun doute chose : ne regardez pas la photo, ni même le chiffre. Ce celles qui ont décidé de rendre compte des « rolling » : des n’est pas une prédiction, c’est une tendance, c’est l’évo- sondages quotidiens qui se présentent comme des sondages lution qui a du sens. Il faut ainsi regarder les courbes, « en temps réel ». Le site LesEchos.fr met quotidiennement à sur plusieurs jours ou plusieurs semaines. » L’absence de jour les infographies donnant les derniers résultats, et livre portée réelle des variations constatées, compte tenu des un article d’« analyse » hebdomadaire. Mais c’est bien sûr éléments évoqués plus haut, n’empêche pas les commen- Paris Match, hebdomadaire entièrement dopé à la personni- tateurs sondagiers de se répandre au kilomètre, épiloguant fication et au sensationnalisme, qui va le plus loin, avec la sans fin sur les variations littéralement vides de sens qu’ils publication quotidienne de ces résultats et la présentation aperçoivent entre le dernier et l’avant-dernier sondage, ou grandiloquente, notamment sur Twitter, de variations insi- parfois sur des périodes plus longues : ce qui ne résout rien gnifiantes à grand renfort de « chutes », « toboggans » et — voire complique encore les choses, notamment du fait de autres « dynamiques ». Le tout avec un petit clin d’œil au la variété des candidats proposés d’un sondage à l’autre pluralisme, puisqu’il faut bien faire état de candidatures qui jusqu’au mois de mars. recueillent des intentions de vote plus faibles, et qui n’inté- ressent donc pas tellement Paris Match : dans l’infographie, Sans renoncer au commentaire des sondages, certains les scores de quatre « petits candidats » (Nathalie Arthaud, médias de presse écrite, voire audiovisuels, ont inter- Jacques Cheminade, Jean Lassalle et Philippe Poutou) sont rogé et comparé les programmes des candidats. Il reste représentés avec la même couleur, il est donc impossible de que domine dans la plupart des médias une présenta- les discerner les uns des autres. tion « dynamique » qui montre la campagne comme une course de chevaux, pour reprendre une observation faite Et si les sondages étaient exacts ? dès 1980 3 . Et bientôt quarante ans plus tard, le vocabulaire utilisé relève encore massivement du registre hippique. Dès Les nombreux articles qui posent la question de la fiabi- le 21 février, soit deux mois avant le scrutin, et un mois lité des sondages ou qui prétendent expliquer aux lecteurs avant l’officialisation des candidatures, L’Obs met en ligne « comment bien lire un sondage » exposent le plus souvent un article titré « Sondage. Fillon repasse devant Macron, les choses de la façon suivante : « Un sondage n’est pas là Mélenchon rattrape Hamon ». pour donner une prévision sur un scrutin futur. Il est là pour présenter un rapport de force et donner une photographie L’élection approchant, le rythme de ce type de publica- de l’opinion à un “instant T” » (Lesechos.fr, 16 mai 2017). tion s’est nettement accéléré. Par exemple, on apprend le Oublions donc un instant que la photo est extrêmement 27 mars qu’« Emmanuel Macron […] devance toujours Marine floue, et que l’on compare parfois des prises de vue très Le Pen ». Le 31 mars, Jean-Luc Mélenchon « a déjà dépassé différentes, pour nous intéresser à la façon dont ces photos son frère ennemi Benoît Hamon et, cette fin de semaine […] sont « analysées ». il fond sur François Fillon ». Le 3 avril, « Le Pen et Macron s’accrochent toujours ». Le 5 avril, un sondage « voit Fran- Régulièrement, la présentation de ces sondages et de leur çois Fillon gagner un point en une semaine […]. Mais il est « dynamique » transmet implicitement l’idée que l’évolution talonné par Jean-Luc Mélenchon », et le lendemain, le 6 avril, des intentions de vote est liée essentiellement, voire unique- « Jean-Luc Mélenchon est sur une très bonne dynamique ment, à certains événements médiatiques de la campagne : […]. [Il] se rapproche non seulement de François Fillon mais un positionnement stratégique contenu dans telle ou telle aussi des deux premiers, Emmanuel Macron et Marine Le petite phrase tenue lors d’une interview, d’un meeting, ou Pen ». Logiquement, le 7 avril, « la cote de Mélenchon monte d’un débat télévisé, des révélations d’affaires judiciaires, en flèche chez les bookmakers anglais », et le 8 avril, « les ou encore, plus rarement, le talent d’orateur de tel ou telle favoris […] conservent 4-5 points d’avance, mais perdent un candidat ou candidate. peu de terrain ». Le 9 avril, « stable, François Fillon […] voit Jean-Luc Mélenchon […] le rattraper à grande enjambées ». Ainsi, le JT de 20 h du 10 avril de France 2 consacre un sujet Le 11 avril, « Le Pen et Macron toujours en tête, devant à la façon dont Jean-Luc Mélenchon est « désormais la cible Mélenchon et Fillon ». Et le 14 avril, on apprend à la fois de tous ses principaux adversaires », puisque les sondages qu’« un nouveau sondage donne Le Pen et Macron à égalité lui attribuent des intentions de vote de plus en plus hautes. et Mélenchon juste derrière », que « les quatre favoris sont Durant une minute trente, on apprendra qu’Emmanuel dans la marge d’erreur » ou « dans un mouchoir de poche », Macron « l’attaque sur son rapprochement avec la Russie », et également que ces favoris « s’effritent 4 ». que Marine Le Pen le « vise aussi […] parce qu’il tente de lui Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 6
Sondagite ravir le vote des classes populaires », et que François Fillon « ironise sur sa volonté de nationaliser massivement des entreprises ». Le tout illustré par les déclarations de meetings ou d’inter- views des trois candidats. Une minute trente durant laquelle plusieurs sujets complexes sont évoqués, mais un seul traité : les positions stratégiques des différents candidats en réaction aux derniers sondages. Dans cette perspective, le processus de décision aboutissant à un choix de vote (ou d’abstention) est simplifié à l’extrême : les électeurs auraient plus ou moins choisi « leur » candidat dès le la politique en général, et la campagne Au terme de ce raisonnement, Soazig mois de janvier (quand ce n’est pas le présidentielle en particulier, avec des Kéméner en vient à la question du mois d’octobre), et ce choix pourrait être œillères qui prennent la stratégie élec- vote utile : « Le vote utile c’est quoi ? modifié par les (re)positionnements torale comme unique clé de compré- C’est un vote tactique, c’est-à-dire stratégiques au cours de la campagne hension, et les intentions de vote de dire que pour porter les idées électorale, dont les médias sont le prin- comme mesure du succès de ces diffé- de gauche c’est Jean-Luc Mélenchon cipal théâtre5 . Ce modèle occulte donc rentes stratégies, produire une telle qui est le mieux placé aujourd’hui. » totalement l’influence des expériences analyse sans dire n’importe quoi est Il n’y a là aucun hasard : puisque personnelles, dans la sphère privée une véritable gageure. l’élection est présentée à longueur ou professionnelle, des discussions de colonnes et d’émissions comme publiques (réunions, débats) et privées On peut se contenter ici d’un seul un jeu, une course dont les enjeux (en famille, entre amis, au travail), de exemple, qui vaut d’être retranscrit sont principalement stratégiques, l’approfondissement de la connaissance in extenso pour le condensé de néant il est logique que le vote lui-même de certains enjeux et des programmes informationnel et même éditorial qu’il finisse par être perçu sous un aspect des candidats… autant d’éléments contient. Il s’agit de l’intervention de essentiellement tactique, tel un pari connectés à la production médiatique Soazig Kéméner, rédactrice en chef sportif, encore une fois au détriment qui les nourrit et dont ils déterminent politique à Marianne, à qui on deman- des véritables questions politiques, pour partie la réception. dait d’expliquer « la dynamique de qui trouvent difficilement une place Mélenchon », le 9 avril sur BFM-TV : dans un espace médiatique saturé C’est pourquoi la grande partie de la « Il y a plusieurs raisons, d’abord il par ce type de discussions. production médiatique qui ne s’inté- y a une excellente campagne, on sait resse qu’à ces jeux stratégiques et à que c’est lui qui est parti le premier en *** des sondages mesurant la « progres- campagne, au mois de février, il a refusé sion » ou la « régression » des joueurs, de participer à la grande primaire de On peut donc dire que Guillaume Erner évacue doublement le débat politique la gauche que réclamaient certains. Il passe sous silence une partie impor- sur les sujets de fond : une première a senti qu’il pouvait se lancer, il n’a tante de la critique des sondages fois en centrant toute la discussion pas de parti derrière lui, il a créé son lorsqu’il déclare, dans son émission sur les scores et leur évolution d’une mouvement La France Insoumise, et « Les matins de France Culture » du semaine ou d’un jour sur l’autre, et une il y a une dynamique qui s’est mise 11 avril dernier, à l’adresse du sondeur seconde fois en n’évoquant même pas, en route, ça, c’est la première chose. Brice Teinturier : « On accuse [les ou si peu, le rôle que les sujets propre- Ensuite, il y a eu le moment Hamon, un sondages] de tous les maux, et notam- ment politiques peuvent avoir dans choix de Benoît Hamon à la primaire de ment de s’être lourdement trompés la course qui les intéresse et dont ils la belle alliance populaire, au début ça avec le Brexit, avec l’élection améri- débattent sans fin. a été une mauvaise nouvelle pour Jean- caine, et également avec les primaires Luc Mélenchon parce qu’il y a eu un en France. » Mais au-delà de ce que semblant de petite dynamique Benoît les sondages peuvent ou non révéler La dynamique, la dynamique, Hamon, et puis Benoît Hamon n’a pas d’une campagne électorale en cours, il la dynamique su prospérer sur cette dynamique. » existe de bonnes raisons de critiquer Comme souvent, on trouvera le stade Certes la question posée est mauvaise, l’utilisation médiatique qui en est terminal de la vacuité sur les chaînes mais que dire de la réponse ? La dyna- faite, principalement par une édito- d’information en continu, où les édito- mique vient de la survenue d’une cratie au sein de laquelle les sondo- rialistes sont invités à analyser la dynamique, aussi bien que de l’essouf- logues et les politologues qui dirigent « dynamique » de tel ou telle candidat flement prématuré de la dynamique les instituts de sondages prennent ou candidate. Mais lorsqu’on regarde d’un adversaire… toute leur place, particulièrement en Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 7
période électorale. Ces raisons tiennent à la contradic- [1] Cette conclusion ne préjuge évidemment pas de l’écart qui tion entre les prétentions habituelles du journalisme en peut exister entre les intentions de vote déclarées et le résultat du scrutin. démocratie (informer les électeurs pour permettre un vote éclairé) et le contenu concret d’un grand nombre d’articles [2] Malgré son imprécision, nous reprenons l’expression « marge d’erreur » qui est facilement comprise. Voir l’encadré pour et d’émissions (état des courses, analyse de la piste et davantage de détails sur les résultats des sondages et leur tuyaux de turfistes). présentation. [3] Dans un article paru cette année-là, dans la revue The Public Mais voyons tout de même, à titre documentaire, ce que Opinion Quarterly, Anthony Broh analyse déjà le journalisme Brice Teinturier répond à cette mise en cause : « Écoutez, hippique (« horse-race journalism ») dans le traitement des c’est je crois très excessif, parce que quand vous regardez sondages de l’élection américaine de 1976. par exemple l’élection américaine, eh bien le vote popu- [4] Citations tirées des articles en ligne suivant, par ordre laire, on le sait maintenant, a donné Hilary Clinton avec d’apparition : « Présidentielle : Macron donné en tête du premier tour (sondage) » (Europe1.fr) ; « Mélenchon peut-il rattraper 3 millions de suffrages d’avance sur Donald Trump. Et les Fillon ? » (Lepoint.fr) ; « Sondage : Le Pen et Macron s’accrochent sondages du coup au niveau national étaient en réalité toujours, Mélenchon à 15 % » (LCI.fr) ; « Présidentielle : Fillon en assez proches de la réalité, même s’il y a eu des échecs hausse dans un sondage » (Lefigaro.fr) ; « Présidentielle : Jean-Luc dans des États-clés, et que le mode de scrutin fait qu’il Mélenchon pourrait bientôt apparaître dans des sondages de aboutit à la victoire de Donald Trump. Donc il ne faut pas second tour » (Marianne.net) ; « La cote de Mélenchon monte en flèche chez les bookmakers anglais » (Capital.fr) ; « Présidentielle : confondre les effets dus au mode de scrutin et la mesure Le Pen et Macron toujours en tête, devant Mélenchon et nationale, au moins d’une manière générale. Et puis sur Fillon » (Actu.orange.fr) ; « Sondages : les écarts se resserrent la primaire, pardonnez-moi mais toute la montée en puis- à l’approche du premier tour » (Lefigaro.fr) ; « Présidentielle. sance de François Fillon a été repérée et dans les derniers Sondages : ce que signifie le resserrement des écarts » (Ouest- jours, nous l’avons mesuré non seulement qualifié pour le france.fr) ; « Présidentielle : un nouveau sondage donne Le Pen premier tour mais en tête. On répète de manière un peu et Macron à égalité et Mélenchon juste derrière » (Lefigaro.fr) ; « Présidentielle : les 4 favoris sont désormais tous dans la marge pavlovienne que les sondages se trompent toujours mais d’erreur, selon Ipsos » (site de L’Obs) ; « Sondage Présidentielle c’est inexact. » 2017 : Le Pen, Macron, Mélenchon, Fillon au coude-à-coude dans les intentions de vote » (Lemonde.fr). Soit : les sondeurs américains avaient tout bon, mais [5] Dans l’article « Les médias font l’élection : une croyance qui a personne n’a pensé à leur expliquer le fonctionnement du la vie dure », publié sur le site Inaglobal.fr le 27 janvier 2017, Erik système électoral dans leur pays ; et les sondages sont Neveu rapporte que « la participation directe aux campagnes plutôt justes dans les derniers jours avant le scrutin, ce qui électorales, même sous la forme modeste de la présence à un meeting électoral, concerne moins de 10 % des électeurs », et en nous autorise, dans les mois qui précèdent, à occuper un conclut : « puisque le contact direct avec les candidats est une espace médiatique démesuré à l’aide de sondages aléatoires expérience rare, la campagne passe forcément par la médiation commentés jusqu’au délire. de moyens de communication. ». Quels sont les vrais résultats d’un sondage d’intention de vote ? Les résultats des sondages d’intention de vote sont habituellement donnés sous la forme d’un chiffre unique : on dit que 20 % des électeurs français déclarent leur intention de voter pour François Fillon dans le sondage BVA-La Dépêche publié le 14 avril. Plus rarement, on précise une marge d’erreur de 2 ou 3 %. Cette façon de présenter les résultats n’est rigoureuse qu’en apparence. En effet le principe de ces sondages est le suivant : si l’échantillon est représentatif de la population des électeurs français, alors on estime que les réponses qu’on obtiendrait en posant la même question à l’ensemble des électeurs sont proches de celles données par l’échantillon des sondés. Proches, mais avec un degré d’incertitude lié à l’extrapolation des réponses des sondés à l’ensemble de la population. C’est pourquoi le résultat donné sous forme d’un chiffre unique est trompeur : le résultat complet est un intervalle, qu’on appelle « intervalle de confiance à 95 % », puisque selon les calculs statistiques, il y a 95 % de chance que, dans le cas où l’on poserait réellement la question de l’intention de vote à tous les Français en âge de voter, le résultat se situe dans cet intervalle. Ce qui est donc souvent présenté comme une « marge d’erreur » n’en est pas une : l’intervalle est le résultat même du sondage. La véritable « marge d’erreur » est bien connue : il y a 5 % de chance que la réalité des intentions de vote des électeurs soit au-dessus ou au-dessous de l’intervalle de confiance à 95 %. L’expression « marge d’erreur » est donc mal choisie, et ce d’autant plus que nombre de commentaires sous-entendent, quand ils ne le disent pas explicitement, qu’en tenant compte de la « marge d’erreur » on obtiendrait l’intervalle du score prévisible le soir du scrutin. Las, comme expliqué plus haut, l’intervalle de confiance donne une mesure des intentions de vote le jour du sondage, et l’incertitude est liée à l’extrapolation à la population des votants à partir d’un échantillon. Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 8
Pédagogie Les bacchanales de la vertu : retour sur l’entre-deux-tours Alignement éditorial général en faveur du vote Macron, culpabilisation unanime des abstentionnistes et acharnement démesuré contre Jean-Luc Mélenchon : voilà l’unique et simpliste mélodie qui fut jouée pendant deux semaines dans toutes les « grandes » rédactions de France par des éditocrates de tout poil et de tout grade1. Face à la candidate du Front national, le choix de l’abstention ou du vote blanc, comme la décision de Jean-Luc Mélenchon de ne donner d’autre consigne de vote que celle de ne pas offrir une seule voix à Marine Le Pen étaient évidemment discutables. Mais de discussion il n’y eut point, les grandes consciences médiatiques préférant au débat démocratique qu’ils chérissent tant – et qu’ils piétinent si allègrement –, asséner à tour de bras des leçons de bienséance républicaine, de morale civique et de tactique électorale aux électeurs déviants. Un journalisme de prescription des choix électoraux légitimes et d’écrasement des opinions dissidentes. Il faudrait la minutie d’un chirurgien et la patience d’un archéologue pour rendre compte de cette période courte mais riche en enseignements. Ce travail titanesque – et indigeste – mériterait du temps et du recul, et peut-être même un autre format que celui d’un simple article. Tentons toutefois d’en proposer une ébauche. Nul besoin d’être devin pour prédire l’évi- contre un soutien de Marine Le Pen le ton moralisateur, fait la leçon : « Si dence : dès l’annonce des résultats du (Nicolas Dupont-Aignan en l’occurrence). Marine Le Pen obtient un score nette- premier tour, les éditocrates et média- ment au-dessus de 18 %, par exemple crates allaient s’unir dans la lutte contre Mais le fait médiatique le plus notable entre 25 % et 35 %, on pourra parler de l’abstention ou le vote blanc et nul. est le suivant : les médias classés à tremblement de terre politique. Car cela Avec un seul mot d’ordre durant deux gauche, ou dont l’auditoire se situe signifierait que […] près d’un tiers des semaines : voter Macron. Ou plutôt : votez plutôt à gauche, ont été en première Français veulent un président d’extrême Macron ! La partition — unique — jouée par ligne dans le combat contre l’abstention, droite pour diriger une des plus grandes une grande partie des médias n’a pas eu contre Jean-Luc Mélenchon, et pour le démocraties d’Europe » (26 avril 2017). la même intensité selon leur audience et vote Macron. Certes, la presse de droite Faisant fi d’une quelconque abstention leur positionnement politique. Les médias et ses chroniqueurs ont opté pour un qui rendrait ses angoissants calculs de masse (télévisions, radios), contraints vote Macron sans condition, mais la caducs, il se lance dans un plaidoyer en par les règles d’égalité du temps de culpabilisation a été moins visible. faveur du vote Macron, et gomme ainsi parole fixées par le Conseil supérieur de Moins violente. Car il est bien question définitivement — s’il en était encore l’audiovisuel, ont dû laisser paraître une de violence ici. Une violence médiatique, besoin — l’esprit libertaire de l’hebdo- forme de neutralité d’apparat. Une éton- symbolique, politique et idéologique. madaire fondé par François Cavanna et nante neutralité qui, sur France 2, le soir le Professeur Choron. des résultats du second tour, se solde Des médias garants par une composition du plateau risible : En tête de gondole des garants de la de la démocratie cinq soutiens d’Emmanuel Macron (Domi- démocratie, on retrouve naturellement nique De Villepin, Ségolène Royal, François Trois jours après le premier tour, dans un Bernard-Henri Lévy qui « ne regrette Bayrou, Gérard Collomb et François Baroin) éditorial publié dans Charlie Hebdo, Riss, pas de n’avoir, pendant ces semaines, Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 9
rien pardonné à ces gens qui, quand on leur parle de “faire barrage à Le Pen”, répondent avec leur hashtag débile “SansMoiLe7Mai” : relents antisémites, indul- gence envers le salafisme ou envers les massacreurs en Syrie, les Vénézuéliens canardés par les milices exsan- gues de Maduro tandis que leur petit chef ajuste son béret chavo-castriste — toutes les lignes de démarcation étaient tracées, et on les retrouve » (Le Point, 27 avril). Pour Jacques Attali, « ceux qui se prétendraient de gauche et qui en s’abstenant ou votant blanc voteraient en fait pour Marine Le Pen feraient le malheur des plus faibles » (Twitter, 25 avril). Même tonalité chez Raphaël Glucksmann qui manie l’analogie avec la dextérité d’un magicien : « Les apôtres de la canne à pêche font penser aux peut rendre possible l’inconcevable. C’est-à-dire l’avènement communistes allemands refusant de choisir entre la peste du post-fascisme au pays des Lumières. » sociale-démocrate et le choléra nazi. Ou, plus récemment et moins tragiquement, aux belles âmes américaines incapables La déferlante moraliste se décline aussi en dessins (avec de se décider entre Clinton et Trump. Être tellement à gauche Plantu pour Le Monde et Jul pour L’Humanité) et sur les qu’on n’arrive plus à cerner le danger de l’extrême droite, « unes » des magazines (celle de L’Obs étant exemplaire). voici un concept étrange. Et dangereux » (L’Obs, 26 avril). Si les radios ne sont pas en reste, il faut Franz-Olivier Giesbert, dans Le Point, dire que France Inter est en première explique que « ne pas voter Macron, c’est ligne dans le combat contre l’abstention voter Le Pen ! » Avec ses petits poings et Mélenchon (voir plus bas). Ainsi, par serrés, il s’énerve : « Même s’il a surpris les exemple, l’humoriste Pierre-Emmanuel gogos, le ralliement de M. Dupont-Aignan Barré se voit refuser de faire son sketch était écrit. Il est même logique : quand on a par Nagui dans son émission « La Bande la haine de l’autre, de l’Europe, du monde originale ». Dans cette chronique censurée entier, il y a de fortes chances, à moins (diffusée ensuite sur le compte Facebook d’être d’extrême gauche, que l’on soit de Barré), l’humoriste défendait le point lepéniste ». Et de poursuivre : « Observez de vue des abstentionnistes. comme ils ont tous, des trotskistes à Mme Le Pen, le même programme écono- Laissons enfin Gérard Biard faire une mique : le repli sur soi pour dépenser à synthèse (arithmétique), trois jours après loisir de l’argent que l’on n’a pas […]. Du l’élection de Macron : « Avec les 10,6 millions gaucho-zemmourisme » (4 mai). d’électeurs qui ont voté pour elle [Marine Le Pen] et les 16 millions d’abstentionnistes Dans un registre plus lyrique, Laurent et de votants “blanc” aux mains propres Joffrin met en garde contre l’abstention : prêts à la laisser exercer le pouvoir, elle a « C’est bien l’esprit de la République qui est en jeu. […] toutes les raisons d’être optimiste. Car en additionnant les La République qui laisse ouvert le choix des politiques, du deux, on n’est pas très loin de la moitié des inscrits » (Charlie centre, de droite ou de gauche, au lieu de jeter la France dans Hebdo, 10 mai). Que les abstentionnistes et votants blanc en l’enfermement nationaliste. La République, les choses étant question aient envisagé de tels choix électoraux parce qu’ils ce qu’elles sont, c’est le vote anti-Le Pen. C’est donc le vote pensaient justement que Marine Le Pen n’avait, au vu des Macron » (Libération, 28 avril). rapports de force électoraux et des sondages2, aucune chance de l’emporter, cela n’a évidemment pas effleuré Gérard Biard. Fabrice Arfi, de Mediapart, qu’on a connu mieux inspiré, Aussi discutable et contestable que puisse être ce « calcul » a envoyé le soir même des résultats un tweet culpabilisa- électoral — comme tout autre d’ailleurs —, il est en effet beau- teur : « Les deux militants de la France insoumise qui, sur coup plus simple, rapide et amusant de traiter 17 millions France 2, disent qu’ils vont s’abstenir contre Le Pen. La d’électeurs d’irresponsables ou d’indifférents au fascisme. honte. » Et trois jours plus tard, alors qu’il esquisse le (bien improbable) scénario du pire sur son blog, il ne peut s’em- Douce pédagogie pêcher de prendre à partie le leader de La France insou- mise : « Aujourd’hui, l’accident n’est plus exclu. Un Macron Si les insultes et insinuations ont occupé le devant de la mauvais comme un âne, une Le Pen roublarde et menteuse, scène de cet entre-deux-tours, une douce propagande un Mélenchon irresponsable et aigri (qui a le “dégagisme” — certains parleront de pédagogie — en faveur du vote sélectif), une abstention de gauche possible, des reports Macron s’est jointe à ce vacarme médiatique. En témoignent de voix de droite à l’extrême-droite, une barbouzerie pouti- les « unes » de Charlie Hebdo, du Canard enchaîné et de nienne, un attentat… Un mauvais alignement de planètes Libération. Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 10
Pédagogie Sur France Inter, le 28 avril, Thomas Des exemples comme ceux-là, nous En n’appelant pas à voter Macron le Legrand dénonce cette « idée de en avons relevé à la pelle, dans les soir du premier tour, il « campe sur renvoyer dos à dos Marine Le Pen et émissions de débats, sur les ondes, et son non-choix ronchon » commente Emmanuel Macron [qui] prospère, à la dans la presse écrite où les tribunes Éric Emptaz du Canard enchaîné, le gauche de la gauche. » Puis, déclarant pour le vote Macron ont envahi les 26 avril. Pour Gérard Biard de Charlie sa flamme à celui qui sera son futur colonnes des journaux. Libre à chaque Hebdo (26 avril), « Jean-Luc Mélen- président, il fulmine : « Une équidis- chroniqueur ou éditorialiste d’appeler chon […] dans une séquence partagée tance entre un banquier et un fasciste poliment à voter Macron — surtout entre ego meurtri et rancœur bilieuse, est aussi absurde qu’entre un curé et face au Front national — mais on peut a lancé dimanche soir un “démerdez- un communiste, un pompiste et un s’interroger sur cette absence de plura- vous” bien peu républicain… » écologiste, un plombier-zingueur et lisme dans les médias. À propos de un centriste ! On est dans la carica- l’élection présidentielle de 2002, PLPL Point de vue partagé sur Twitter par ture et le schématisme sectaire le plus (voir note 2) observait à juste titre que Fabrice Arfi (Mélenchon « irresponsable abouti ! » « l’entre-deux-tours [avait] simplement et aigri ») ou par Sylvain Bourmeau : posé sur le fonctionnement de la presse « En n’appelant pas à voter contre Le Sur la radio publique encore, André un verre grossissant. Le journalisme y Pen, l’irresponsable Mélenchon s’est Comte-Sponville, interrogé avec [avait] dévoilé sa prétention à dicter fait hara kiri ce soir. La gauche va enfin tendresse par Ali Baddou, s’inquiète : aux gens ce qu’ils [devaient] penser ; pouvoir se reconstruire. » (23 avril) « Si tout le monde pense qu’Emmanuel il avait mis à nu ses méthodes : un Puis : « Lamentable Mélenchon, inca- Macron va gagner, Marine Le Pen risque prosélytisme infantilisant dont l’aspect pable d’appeler, à titre personnel au de passer par accident » (28 avril). primitif aurait même indigné le Rodong moins, à voter contre Le Pen. » Tétanisé, l’auditeur de France Inter sait Shinmun, l’équivalent nord-coréen du ce qu’il lui reste à faire. Monde. » L’histoire se répète… Sur les réseaux sociaux toujours, Jacques Attali met en garde : « Atten- Dans L’Express, Christophe Barbier tion ! Le deuxième tour de la présiden- Les éditocrates s’émeut : « Emmanuel Macron incarne tielle n’est pas joué et l’attitude de contre Mélenchon (suite) déjà la plus incroyable aventure poli- #JLM est consciemment très utile à tique de la V e République. […] Nous Mais s’il est bien un individu qui l’extrême droite » (23 avril). Et Jean- avons été témoins de la concrétion centralise et cristallise la haine des Michel Aphatie se lâche : « Dans son d’un enfant du siècle. […] Mais, d’ores journalistes, c’est Jean-Luc Mélenchon. silence incompréhensible, @JLMelen- et déjà, par l’effet Macron, plus rien Peu importe qu’il ait clairement stipulé chon s’abîme comme il abîme le sens ne sera comme avant dans la vie poli- qu’aucune voix s’étant portée sur son des sept millions de suffrages qui se tique française. Il faut voter Emmanuel nom ne devait aller à Marine Le Pen. sont portés sur lui » ; « Un tribun qui Macron » (26 avril). Peu importe qu’il ait pris grand soin ne dit rien c’est comme une télévision d’expliquer qu’il ne prendrait pas le sans télécommande : un objet encom- Reçu avec un très grand empressement risque, en donnant une consigne de brant @JLMelenchon » (27 avril). et une extrême complicité par Patrick vote ou en faisant part de son choix Cohen dans la matinale de France personnel, de fracturer La France insou- Pour Bernard-Henri Lévy, « le réflexe Inter, le 1er mai, Edwy Plenel fait, lui mise, dont les membres, démocrati- de Mélenchon, ce soir-là, fut ignoble. aussi, comme c’est devenu l’obligation quement consultés, étaient partagés, Mauvais joueur… Je boude, donc je médiatique de l’entre-deux-tours, la dans des proportions à peu près équi- suis… » (Le Point, 27 avril). Dans un retape pour le vote Macron : « Parfois valentes, entre partisans de l’absten- véritable pamphlet, Raphaël Glucks- j’ai l’impression que je les convaincs tion, du vote blanc et du vote Macron. mann s’indigne : « Mélenchon […] se mieux [les électeurs, de voter Macron] Une position que l’on peut certes mure dans le silence devant l’Histoire. que certains de ses soutiens. » interroger et même critiquer, mais à [Il] refuse de choisir. Et ce faisant, il condition d’informer d’abord au lieu choisit. Il confirme son inclination de désinformer pour condamner, du populiste et démagogique, sa fasci- moins quand on se prétend journaliste. nation pour une culture politique Et pourtant… violente, fondamentalement hostile au compromis et la nature anti- démocratique de son projet » (L’Obs, 26 avril). L’éditorial de Sylvain Courage dans L’Obs, suinte la haine : « Macron, Le Pen ou vote blanc ? Le leader des “Insoumis” refuse d’exprimer un choix de second tour. Il révèle ainsi la nature anti- démocratique de son projet. […] Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 11
Blessé dans son orgueil, submergé par — Yann Moix : « Il a une responsabilité lorsque l’on est censé informer, à une sa noire colère et happé par ses démons, énorme. Si Marine Le Pen passait, il quelconque indignité. Sans compter Jean-Luc Mélenchon a refusé d’indiquer aurait à rendre des comptes. […] Il nous que toutes ces grandes âmes média- la moindre préférence entre Emmanuel a prouvé qu’il n’était ni démocrate, ni tiques qui prétendent disqualifier Macron, le centriste europhile et Marine républicain. Je tombe des nues. […] On toute position alternative à la leur ont Le Pen, la populiste xénophobe. Pas de s’aperçoit que c’est un petit dictateur l’indignation singulièrement sélective : consigne de vote. Débrouillez-vous. Le de carton-pâte. […] C’est indigne de ni les figures des Républicains3 refu- guide des “Insoumis” s’est évanoui, tout ce que j’imaginais sur lui. » sant d’appeler explicitement à voter abandonnant ses “gens” dans la nuit — Pierre Bénichou : « Il s’est conduit Macron, ni Nicolas Dupont-Aignan démocratique » (26 avril). Sur France comme une nullité à partir des résul- ralliant et signant un accord de gouver- Inter, Thomas Legrand se crispe : « Jean- tats du 1er tour. Il est devenu un ennemi nement avec Marine Le Pen, n’eurent Luc Mélenchon ne semble pas gêné de de la démocratie. » à subir l’opprobre de tout le système voir son discours kidnappé et violenté médiatique. puisqu’il encourage l’abstention (et Et cetera, et cetera. donc les chances de Marine Le Pen) en *** ne disant rien de son vote […]Une atti- Nous aurions aussi pu commenter tude qui peut faciliter la jonction impos- longuement le délire de Jean Birnbaum Entre divagations amnésiques et hoquets sible, devenue envisageable, entre les dans Le Monde (2 mai), qui, dans un moralisateurs, les médias oublient un deux “non” du référendum de 2005 » très long (et pénible) texte assimile le peu vite le rôle qu’ils ont joué depuis (28 avril). Le 1er mai, sur Mediapart, comportement de Mélenchon à celui plusieurs décennies dans la dédiaboli- Edwy Plenel explique que le leader de du Parti communiste allemand en 1933 sation du Front national. Ce sont eux La France Insoumise est un « apprenti — un parallèle historique hors de toute qui surfent sur la vague sécuritaire, qui sorcier ». Il ajoute : « Jean-Luc Mélen- mesure… Mais le pire est pour la conclu- se demandent si « l’Islam est soluble chon, qui, comme d’autres auraient fait sion : « La fin du “front unique” anti- dans la République », qui réfutent du plomb avec de l’or, a transformé un fasciste marque l’enterrement de cette toutes contestations du libéralisme ou indéniable succès collectif […] en défaite sensibilité antitotalitaire. Simultané- de l’Union européenne. personnelle. […] Le sectarisme, l’exclu- ment, elle signe la victoire posthume sive, l’intolérance n’ont jamais servi les d’un certain esprit stalinien. » Ils ont la mémoire courte, ces médias idéaux de l’émancipation, de l’égalité et indignés qui se sont mués en grands de la fraternité. Il n’y a pas, à gauche, Nous aurions aussi pu compléter cette défenseurs de la morale. Cet unani- de détenteurs de la vraie croix, légitimes liste avec les éructations de Bruno misme a duré deux semaines. Deux à excommunier tout contradicteur ou Roger-Petit (Challenges, 27 avril) : « En semaines durant lesquelles les voix tout dissident. » Et Frédéric Vézard du refusant de choisir entre Macron et Le allant contre le vent de la révolte Parisien-Aujourd’hui en France résume Pen, Mélenchon est devenu l’idole de consensuelle furent inaudibles. Les le point de vue des éditocrates : « En la droite identitaire tout en étant salué abstentionnistes, les partisans du vote désertant brutalement le jeu démo- par le FN. » blanc ou nul, ont été conspués. Tous. cratique, [Mélenchon] crée un appel Partout. d’air inespéré pour Marine Le Pen » Enfin, nous aurions pu disséquer l’édi- (27 avril). torial du Monde (30 avril) : « Compte Encore une belle illustration de plura- tenu de la responsabilité qui est désor- lisme dans les médias… Dans un registre moins soutenu, sur mais la sienne, cette nouvelle version France 2, les chiens de garde d’« On du “ni-ni” — ni Le Pen ni Macron — [1] Pour retrouver pareil déferlement, n’est pas couché » aboient avec la est périlleuse pour le pays et pour on ne voit guère que l’entre-deux-tours meute (29 avril) : M. Mélenchon lui-même. […] En ne de l’élection présidentielle de 2002, ou le référendum de 2005 sur le Traité — Laurent Ruquier : « Mélenchon, c’était pesant pas de tout son poids sur la constitutionnel européen. À propos de bien de piquer les électeurs de Marine campagne d’entre-deux-tours et en l’élection présidentielle de 2002, lire « Les Le Pen au premier tour, mais ça aurait se lavant peu ou prou les mains du bacchanales de la vertu », PLPL (Pour Lire été mieux de ne pas aller lui rendre résultat final, Jean-Luc Mélenchon Pas Lu) no 24, avril 2005. au second tour. […] La VIe République, laisse en déshérence l’espace politique [2] Des sondages qui ont dès le soir ce n’est pas pour demain, mais un qu’il s’est employé à occuper depuis du premier tour et sans jamais varier substantiellement, toujours donné deuxième Vichy, ça peut être dans huit des semaines. » Emmanuel Macron vainqueur avec une jours. » confortable avance, mais auxquels nos — Vanessa Burggraf : « On s’est souvent Autant de textes redondants et inter- médiacrates n’ont visiblement prêté, une posé la question du rapport de Jean-Luc changeables qui ont en commun de fois n’est pas coutume, aucune valeur Mélenchon avec le pouvoir et la démo- travestir, voire de falsifier le choix du prédictive. cratie. On a aujourd’hui la réponse. leader de La France insoumise de ne [3] Comme Éric Ciotti, Nadine Morano ou Henri Guaino ainsi que le rapporte, Jean-Luc Mélenchon n’a pas reconnu pas trancher l’équation électorale qui par exemple, « Présidentielle 2017 : “ni tout de suite les résultats. De ne pas lui était posée à l’issue du premier Macron, ni Le Pen” et les fissures du front donner de consignes de vote, je trouve tour. Une attitude évidemment discu- républicain », paru le 24 avril 2017, sur le ça indigne. » table, mais qu’on ne saurait renvoyer, site de RFI. Médiacritique(s) — no 24 — juillet-septembre 2017 12
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