Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com

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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
Don Giovanni
Wolfgang Amadeus Mozart

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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
Don Giovanni retrouve                                                                  Une Édition 2017
                          la scène de l’Archevêché                                                                  riche en promesses
    Don Giovanni de Mozart retrouve cette année la scène de l’Archevêché. Don Giovanni, le « coup de                L’édition 2017 – la 69ème édition du Festival d’Aix-en-Provence – est l’une des plus prometteuses avec
    maître » de la deuxième édition du Festival en 1949 dont les connaisseurs gardent en mémoire les                des chefs-d’œuvre de Mozart, Bizet, Stravinski, Cavalli et la création mondiale Pinocchio de Philippe
    décors réalisés par Cassandre. Le peintre, architecte, décorateur et affichiste avait accepté à l’époque        Boesmans. Tous ces opéras sont des nouvelles productions du Festival d’Aix-en-Provence, c’est ainsi que
    de faire les décors et les costumes à la condition d’édifier un théâtre. Ce théâtre à l’italienne dit de        notre Festival se place dans les tous premiers rangs mondiaux. À ces opéras s’ajoutent une série de 16
    « Cassandre » servira cette année-là de décor à la pièce mise en scène par Meyer, mais également                concerts, y compris celui de l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Harding.
    d’écrin à l’ensemble des représentations lyriques du Festival jusqu’en 1973.
                                                                                                                    Cette édition 2017 a été imaginée, préparée et dirigée par Bernard Foccroulle, Directeur général du Festival depuis
    Le musée du palais de l’Archevêché propose d’ailleurs à cette occasion – durant tout l’été – une                2005, dont le talent vient d’être récompensé. Ce dernier a en effet reçu le Prix du Leadership aux Opera Awards
    exposition intitulée « Don Giovanni, l’opéra des opéras » dans laquelle on retrouvera des costumes,             de Londres le 7 mai 2017. Bernard Foccroulle a décidé de se consacrer pleinement à son activité de musicien à
    des esquisses ou des maquettes des décors de cet opéra intemporel que l’on retrouve régulièrement               partir d’août 2018. La ministre de la Culture et de la Communication et le Conseil d’administration du Festival ont
    dans la programmation du Festival depuis presque 70 ans.                                                        choisi Pierre Audi, Directeur de l’Opéra d’Amsterdam (Dutch National Opera), pour lui succéder à partir du 1er
                                                                                                                    août 2018. Pierre Audi, nommé directeur délégué, prépare dès maintenant les festivals 2019, 2020 et 2021.
    Le public retrouvera aussi la mythique Carmen de Bizet, Eugène Onéguine de Tchaïkovski, The Rake’s
    Progress de Stravinski, Erismena de Francesco Cavalli. Une programmation riche, donc, et ce n’est pas           AIX EN JUIN, pour sa 5ème édition, propose une quarantaine de manifestations à Aix et dans sa région qui
    le Pinocchio de Philippe Boesmans qui me fera mentir.                                                           s’achèveront sur une note festive : un grand concert gratuit sur le cours Mirabeau le 26 juin.
    Mais c’est surtout Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, que je tiens à saluer ici. Et         AIX EN JUIN poursuit l’action du Festival en matière d’éducation artistique et d’ouverture vers des publics de
    le remercier pour les dix années qu’il vient de consacrer à ce joyau de la culture aixoise. Ses qualités        plus en plus nombreux. À AIX EN JUIN vont participer des membres de l’Académie du Festival, qui réunira une
    humaines et professionnelles ont donné un souffle nouveau au Festival.                                          vingtaine de professeurs et 260 jeunes artistes. Parmi eux, les Lauréats HSBC de l’Académie proposeront des
                                                                                                                    récitals à Aix-en-Provence et dans sa région, avant de partir en tournée en France et à l’étranger.
    Il n’a pas souhaité briguer un nouveau mandat à la tête de l’institution pour se consacrer à l’interprétation
    et à la composition, ses deux passions. L’an prochain sera donc sa dernière programmation avant de              Les enjeux de transmission et d’accessibilité au public le plus large et diversifié sont deux axes primordiaux
    passer la main à Pierre Audi. Je sais qu’il va encore nous surprendre avant de tourner cette page de            auxquels nous restons particulièrement attachés. Ainsi, les retransmissions prévues sur Arte, Arte Concert,
    l’histoire du Festival. Une très belle page.                                                                    France Musique, France Télévisions et Culture Box, complétées par les projections gratuites de Carmen et Pinocchio
                                                                                                                    sur grand écran dans toute la région, permettent de prolonger notre politique d’ouverture au plus grand nombre.

                                                                                                                    Le Festival a poursuivi en 2016 et en 2017 son expansion à l’étranger à travers les deux réseaux qu’il anime,
    Maryse Joissains Masini                                                                                         celui d’enoa en Europe et celui de Medinea en Méditerranée. De nombreux pays étrangers ont accueilli le
    Maire d’Aix-en-Provence                                                                                         Festival d’Aix. Il faut noter en particulier nos collaborations avec le Théâtre Bolchoï à Moscou et le Beijing
    Président du conseil de territoire du Pays d’Aix                                                                Music Festival de Pékin.
    Vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence
                                                                                                                    Tout cela a été rendu possible grâce au soutien de nos mécènes, entreprises et particuliers, et tout
                                                                                                                    particulièrement Altarea Cogedim, premier partenaire du Festival.

                                                                                                                    Enfin le Festival d’Aix se félicite du soutien renouvelé du ministère de la Culture et de la Communication,
                                                                                                                    de la Ville d’Aix-en-Provence, de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Territoire du Pays d’Aix, du
                                                                                                                    Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et de
                                                                                                                    l’Union européenne.

                                                                                                                    Je souhaite à chacun d’entre vous une très belle édition 2017 du Festival d’Aix-en-Provence.

                                                                                                                    Bruno Roger
                                                                                                                    Président du Festival d’Aix-en-Provence
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Libertà !

    L'opéra a toujours entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d'expression. À Venise, la       La fable de Pinocchio est quant à elle un véritable récit initiatique : on ne naît pas libre, on le devient.
    ville qui a abrité dès 1637 les premières salles ouvertes au public, l'opéra a connu un premier essor        La marionnette est incapable de maîtriser ses désirs et ses pulsions, incapable aussi de tirer les leçons
    fulgurant durant quelques décennies de liberté intellectuelle et artistique exceptionnelle, liberté          de ses mésaventures. C'est seulement dans le ventre de la baleine que Pinocchio prendra son destin
    impensable à Rome à la même époque. Monteverdi et Cavalli ont su profiter de ce climat privilégié            en main : il provoque – contre l'avis de son père – son expulsion, revient au monde et trouve le chemin
    pour écrire des œuvres dont l'audace et la liberté de mœurs ne cessent de nous surprendre. Erismena          d'une liberté chèrement acquise. L'opéra de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, dont Aix présentera
    témoigne du goût typiquement vénitien pour le travestissement, pour le mélange des genres comiques,          la création mondiale, n'est pas juste un « opéra pour enfants » : il se veut accessible à tous les publics,
    tendres et tragiques. À travers les jeux de l'amour et les déclinaisons infinies de la séduction, l'opéra    enfants compris, et notre espoir est que les spectateurs de tous âges et de toutes origines forment, le
    de Cavalli nous incite à voir dans la passion amoureuse un aveuglement fatal, l'aliénation même de la        temps de la représentation, cette communauté humaine, intelligente et sensible, qui donne sens au
    liberté.                                                                                                     conte revisité et réincarné.

    Avec Don Giovanni et Carmen, nous nous trouvons face à deux figures incarnant la liberté la plus             À un moment de l'Histoire où les valeurs de liberté et de démocratie sont contestées ou combattues un
    radicale. Chez Molière comme chez Mozart, Don Juan ne se contente pas de séduire toutes les femmes           peu partout dans le monde, il n’est pas inutile de faire résonner ces œuvres dans toute leur force, d'en
    qu'il rencontre, il bouscule les interdits les plus incontournables de son temps : il défie l'ordre social   sonder la charge émotionnelle et critique et de s'interroger sur leur pertinence et leur actualité.
    et l'ordre moral, les règles profanes et sacrées. Refusant tout repentir, Don Giovanni meurt mais sa
    condamnation morale n'est pas exempte d'une forme de transfiguration.                                        Bernard Foccroulle
                                                                                                                 Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence
    Carmen incarne quant à elle une liberté qui, heurtant de front les préjugés du XIXe siècle, provoqua
    des réactions bien plus violentes qu'à la création de Don Giovanni. Carmen séduit, charme, se rebelle,
    ne cède à aucune menace et choisit la mort plutôt que de renoncer à sa liberté. Plus que le roman de
    Prosper Mérimée, l'opéra de Bizet a porté son héroïne au rang de figure mythique : la force du chant
    consiste précisément à exacerber les sentiments, à renforcer les caractères, à porter les relations
    humaines à une forme d'incandescence qui accroît l'intensité de notre réaction émotionnelle et
    facilite la projection de chacun de nous dans le récit.

    Composé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, The Rake’s Progress dépeint de manière aussi
    virtuose que cauchemardesque la descente aux enfers d'un homme trahi non seulement par sa soif
    de richesses et de plaisirs, mais par toute la société en laquelle il a cru : la déchéance du libertin
    s'accompagne de la progressive privation de liberté qui était la sienne. Les innombrables allusions
    littéraires et musicales qui parsèment la partition lui confèrent une dimension kaléidoscopique
    unique dans l'histoire de l'opéra. On peut y lire aussi la désillusion et le ressentiment de ses auteurs,
    Auden et Stravinski, tous deux récemment immigrés aux États-Unis, à l'égard d'une civilisation qui
    avait généré tant de destructions et de catastrophes.

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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791)

                                                                                                   Don Giovanni
                                                                                                   Dramma giocoso en deux actes
                                                                                                   Livret de Lorenzo Da Ponte
                                                                                                   Créé le 29 octobre 1787 au Théâtre des États de Prague

                                                                                                   Direction musicale 			                Jérémie Rhorer
                                                                                                   Mise en scène			                      Jean-François Sivadier
                                                                                                   Décors				                            Alexandre de Dardel
                                                                                                   Costumes			                           Virginie Gervaise
                                                                                                   Lumière				                           Philippe Berthomé
                                                                                                   Maquillage / coiffure		               Cécile Kretschmar

                                                                                                   Collaboratrice à la mise en scène     Véronique Timsit
                                                                                                   Collaboratrice aux mouvements         Johanne Saunier
                                                                                                   Assistant musical			                  Nicholas Bootiman
                                                                                                   Pianistes répétiteurs		               Jorge Gimenez / Benjamin Laurent*
                                                                                                   Répétitrice de langue		               Roberta Salsi
                                                                                                   Assistant à la mise en scène		        Rachid Zanouda
                                                                                                   Assistante aux costumes		             Morganne Legg
                                                                                                   Assistant à la lumière		              Jean-Jacques Beaudouin

                                                                                                   Don Giovanni			                       Philippe Sly
                                                                                                   Leporello				                         Nahuel di Pierro
                                                                                                   Donna Anna			                         Eleonora Buratto
                                                                                                   Don Ottavio		                         Pavol Breslik
                                                                                                   Donna Elvira			                       Isabel Leonard
                                                                                                   Zerlina				                           Julie Fuchs*
                                                                                                   Masetto				                           Krzysztof Ba¸czyk*
                                                                                                   Il Commendatore			                    David Leigh

                                                                                                   Figurants				                         Juliette Allain, Cyprien Colombo, Rachid Zanouda

Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence                                                  Chœur     			                         English Voices
En coproduction avec : Opéra national de Lorraine, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg,         Chef de chœur 			                     Tim Brown
Teatro Comunale di Bologna
                                                                                                   Orchestre 			                         Le Cercle de l’Harmonie
Reproduction de l’œuvre Cloak of Conscience avec l’aimable autorisation de l’artiste Anna Chromy

Spectacle en italien surtitré en français et en anglais – 3h10 entracte compris
Théâtre de l’Archevêché 6, 8, 10, 13, 15, 17, 19 et 21 juillet 2017 – 21h30
                                                                                                   *Ancien.ne.s artistes de l’Académie
Retransmis en direct sur         le 8 juillet et en direct sur Culturebox le 10 juillet

                                                                                                                                                                                            7
Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
Argument                                            Vue d’ensemble
    Acte I                                                       Acte II                                                  Don Giovanni est le deuxième opéra que Wolfgang        une longue descendance, au sein de laquelle on
    Leporello fait le guet devant la maison où son               Don Giovanni, ayant réussi à convaincre Leporello        Amadeus Mozart (1756-1791) a composé sur               compte notamment le Dom Juan de Molière. Da
    séducteur de maître, Don Giovanni, s’est introduit           de rester à son service contre monnaie sonnante et       un texte du librettiste Lorenzo Da Ponte (1749-        Ponte et Mozart en reprennent les articulations
    masqué. Il peste contre son sort de valet quand Don          trébuchante, lui expose son nouveau plan : séduire       1838). Tous deux venaient de rencontrer le succès      essentielles. Leur Don Giovanni est un « dramma
    Giovanni surgit, poursuivi par Donna Anna dont il a          la suivante de Donna Elvira en endossant les             avec Le nozze di Figaro, fruit de leur première        giocoso », c’est-à-dire un opéra bouffe, forme
    tenté d’abuser. Celle-ci tâche en vain de lui arracher       habits de son valet. Les deux hommes s’exécutent :       collaboration et créé en 1786 à Vienne. L’année        d’origine italienne appréciée dans toute l’Europe
    son masque pour savoir qui il est. Alerté par les cris       Leporello attire Donna Elvira qui le suit dans la nuit   suivante, en réponse à une commande du Théâtre         des Lumières (et toujours chantée dans la langue
    de sa fille, le Commandeur provoque le séducteur en          pendant que Don Giovanni chante une sérénade à sa        des États de Prague, Da Ponte propose à Mozart         de Dante, quel que soit le pays). L’opera buffa
    duel. Blessant mortellement le vieil homme, Don              suivante. Masetto et ses compagnons recherchent          d’écrire un opéra sur le thème de Don Juan.            se distingue de l’opera seria par ses sujets, qui
    Giovanni s’enfuit avec Leporello. Revenue avec son           Don Giovanni pour le punir, mais, tombant sans le        Ce dernier connaît une grande vogue auprès             laissent une large place à des situations comiques
    fiancé Don Ottavio, Donna Anna découvre le cadavre           savoir sur celui qu’ils poursuivent, le faux valet les   du public européen depuis le siècle précédent.         et mettent en scène des personnages représentant
    de son père. Tous deux promettent de se venger de            disperse, sans avoir omis de rosser Masetto. Tout en     Mozart travaille donc à sa partition dès juillet       les classes sociales de l’époque. Pour refléter ces
    l’assassin inconnu.                                          lui prodiguant des soins, Zerlina se réconcilie avec     1787 et l’ouvrage est créé le 29 octobre devant        différentes strates, Mozart jongle entre divers
    Malgré les remontrances de Leporello, Don                    son fiancé.                                              le public de Prague, qui lui fait un triomphe. En      styles musicaux qui sont comme des niveaux
    Giovanni n’éprouve aucun remord. Donna Elvira, à             Errant dans la nuit, le faux gentilhomme et Donna        mai 1788, Don Giovanni est repris à Vienne (après      de langage : les personnages nobles n’adoptent
    qui il avait promis le mariage, se dresse inopinément        Elvira se heurtent à Donna Anna et Don Ottavio,          quelques réaménagements opérés par les deux            pas l’idiome musical des paysans ou des valets.
    sur son chemin, bien décidée à faire valoir ses droits.      bientôt rejoints par Zerlina et Masetto. Tous se         artistes) avec moins de succès. Mais l’œuvre           Par ailleurs, l’opera buffa accorde une place
    Don Giovanni s’éclipse laissant Leporello essuyer            précipitent sur celui qu’ils prennent pour Don           s’imposera rapidement auprès des mélomanes             importante aux ensembles, c’est-à-dire aux
    les reproches de l’amoureuse abandonnée et lui               Giovanni. Terrifié, Leporello se démasque et réussit     de tous les pays dès le début du XIXe siècle, pour     duos, trios ou finales d’acte qui permettent à
    dérouler la liste des innombrables conquêtes de              à s’enfuir.                                              ne plus jamais quitter l’affiche. Les romantiques      plusieurs personnages de s’exprimer ensemble
    son maître. Zerlina, une jeune paysanne, fête ses            Don Giovanni s’est réfugié dans un cimetière. Il         tels qu’E.T.A. Hoffmann étaient fascinés par son       et à l’action de se développer en musique. Don
    fiançailles avec Masetto. Don Giovanni, promettant           y retrouve Leporello et lui raconte ses nouvelles        mélange de scènes comiques et tragiques ainsi que      Giovanni est un exemple de dramma giocoso
    à tous les paysans une fête somptueuse, parvient             aventures. La statue surmontant la tombe du              par l’irruption du surnaturel dans ses dernières       transfiguré par son sujet et par le génie de son
    à rester seul avec la jeune fille. Il est sur le point       Commandeur l’avertit alors du peu de temps qu’il         scènes. Aujourd’hui encore, Don Giovanni est l’un      compositeur. On y trouve certes le mélange des
    de la convaincre de l’épouser quand surgit Donna             lui reste pour s’amuser. Le séducteur la défie en        des opéras les plus aimés du répertoire, repris        genres et des styles que nous venons d’évoquer,
    Elvira, qui la met en garde et l’éloigne. Donna Anna         l’invitant à venir souper chez lui. La statue accepte.   constamment par les théâtres lyriques du monde         mais aussi une composante « fantastique »
    et Don Ottavio, ignorant l’identité du meurtrier,            Alors que Don Ottavio se fait toujours plus pressant,    entier. Il est l’ouvrage emblématique du Festival      plutôt inhabituelle, liée au motif de la statue
    sollicitent Don Giovanni pour mener à bien leur              Donna Anna l’assure de son amour.                        d’Aix, où il a été donné très souvent depuis la        animée. Ce dernier introduit dans les codes
    projet de vengeance, mais Donna Elvira interrompt            Dans son palais, Don Giovanni se met à table, servi      fameuse production de 1949 dans des décors             de l’opera buffa une dimension métaphysique
    l’entretien. Don Giovanni tente de la faire passer           par Leporello. L’entrée intempestive de Donna            peints par Cassandre. La nouvelle production           vertigineuse que Mozart prolonge par une
    pour folle et la repousse. Donna Anna, stupéfaite, a         Elvira interrompt les agapes. Elle l’exhorte en vain     de l’été 2017, confiée au metteur en scène Jean-       musique à la fois grandiose et effrayante. Son
    reconnu la voix de son agresseur.                            à changer de vie. On frappe à la porte : la statue du    François Sivadier et au chef d’orchestre Jérémie       opéra oppose ainsi la course effrénée du
    Don Giovanni organise chez lui la grande fête à laquelle     Commandeur, venue honorer l’invitation à dîner du        Rhorer, est la huitième dans l’histoire du Festival.   libertin au caractère hiératique de la musique
    tout le monde est invité. Les nobles s’y rendent,            libertin, lui rend la pareille. En gage de sa promesse                                                          du Commandeur, à la fois torturée et imposante
    masqués, avec l’intention de dénoncer les forfaits du        elle lui tend sa main. Don Giovanni est saisi            Don Giovanni met en scène une des figures              – deux aspects qui se télescopent d’emblée dans
    maître du bal. Zerlina tente de recouvrer la confiance       d’angoisse, mais, refusant de se repentir, le voilà      mythiques de la modernité occidentale, celle du        l’ouverture de l’opéra. Don Giovanni apparaît dès
    de son fiancé, quand, mettant fin à l’entrevue, le           livré aux flammes de l’enfer sous les yeux épouvantés    libertin séducteur de femmes qui défie le Ciel,        lors comme une œuvre-somme et l’on comprend
    seigneur l’entraîne à l’écart. Lorsque Zerlina parvient      de Leporello.                                            personnage apparaissant pour la première fois          qu’il ait marqué les esprits à travers les siècles,
    à s’échapper en hurlant, Don Giovanni renverse               Arrivant trop tard pour le punir, ses victimes ne        dans une pièce du dramaturge espagnol Tirso            Richard Wagner allant jusqu’à le proclamer
    la situation en accusant son valet Leporello. Mais,          peuvent que constater sa disparition et s’en remettre    de Molina (El burlador de Sevilla y convidado di       « opéra des opéras ».
    comprenant que Donna Elvira, Donna Anna et Don               à leur destin.                                           pietra, publiée en 1630). Cette œuvre a suscité
    Ottavio se sont ligués contre lui, le séducteur profite de
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    la confusion générale pour s’enfuir.
Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
merveille le monde de Sarastro. Mozart puise en effet les harmonies les plus riches de son langage
                                                                                                                                             pour caractériser le discours de Sarastro et mettre en exergue tant sa psychologie que son message. À
Photo © Elodie Crebassa

                                                                                                                                             l’inverse, il utilise un langage extrêmement simple, presque binaire sur le plan harmonique afin que le
                                                                                                                                             public puisse s’identifier au personnage de Papageno dont on suit la trajectoire. Présents dans chacun
                                                                                                                                             de ses opéras, ces éléments ne peuvent être détectables que par le biais d’une connaissance intime du
                                                                                                                                             texte musical.

                                                                                                                                             Qu’en est-il du recours aux instruments d’époque ?
                                                                                                                                             Le recours aux instruments d’époque est, sans dogmatisme, une manière de se rapprocher de la texture
                                                                                                                                             pour laquelle tout compositeur écrit une œuvre. C’est au fond une idée extrêmement simple, mais qu’il
                                                                                                                                             convient d’expliquer. Un compositeur écrit pour un instrumentarium défini, à plus forte raison au
                                                                                                                                             XVIIIe siècle. À cette époque, les compositeurs connaissaient parfaitement les chanteurs pour lesquels
                                                                                                                                             ils écrivaient. Il serait illusoire d’imaginer qu’ils procédaient différemment pour les instruments. Ce
                                                                                                                                             que l’on considèrerait aujourd’hui comme une limite constituait à l’époque un véritable atout. Il n’en
                                                                                                                                             demeure pas moins vrai que les instruments évoluent : les instruments à vent étaient évidemment
                                                                                                                                             moins perfectionnés sur le plan de la technique comme de la facture – quoiqu’aujourd’hui, on trouve
                                                                                                                                             des instrumentistes capables de les maîtriser parfaitement. Ce qu’il convient de rappeler, c’est que
                                                                                                                                             les couleurs évoquées par ces instruments correspondaient précisément à l’univers sonore que
                                                                                                                                             le compositeur avait à l’esprit et qu’il s’en servait comme d’un peintre face à sa palette. Pour ce qui
                                                                                                                                             concerne plus spécifiquement l’opéra, la balance – à savoir l’équilibre voix/orchestre – qui en résultait
                                                                                                                                             était beaucoup plus naturelle. Les chanteurs n’étaient pas contraints de dépasser un orchestre trop
                                                                                                                                             massif, si bien qu’il était envisageable de distribuer des voix qui avaient le physique des rôles endossés,
                                                                                                                                             tout en donnant naturel et spontanéité à la dramaturgie musicale.

                                                                                                                                             L’équilibre entre tradition et modernité que l’on retrouve dans Don Giovanni n’est-t-il pas l’une des clés de
                                                                                                                                             son succès ?
                                                                                                                                             C’est une question qui, sur le principe, m’intéresse au plus haut point. Or, pour tout vous dire, je ne

                                                    Don Giovanni                                                                             comprends pas pourquoi vous l’appliquez à Don Giovanni. Je m’explique. L’idée même de modernité
                                                                                                                                             est absolument absente de la philosophie des compositeurs avant Wagner. Il s’agit là d’une lecture

                                 sous le signe de la fulgurance                                                                              anachronique influencée par le déterminisme historique que connaît la période d’après-guerre. À
                                                                                                                                             l’époque de Mozart, un compositeur ne se soucie guère de la modernité. A contrario, il essaie de se
                                                              Entretien avec Jérémie Rhorer, directeur musical                               tenir à un cadre et d’en exploiter les potentialités. Aussi les écarts qu’il se permet de faire par rapport
                                                                                                                                             à ces cadres et à ces canons ne sont-ils que des hasards de la création. De merveilleux écarts hasardeux
                               L’orchestre « le Cercle de l’Harmonie », dont vous êtes le fondateur est, tout comme vous, rompu au           certes, mais qu’aucune idéologie ne dicte.
                               drame mozartien. Qu’est-ce que vous apporte la fréquentation intime et répétée de ce répertoire ?
                               La notion même de fréquentation me semble cruciale car l’Œuvre de Mozart ne se révèle qu’au fil des           On dit de cet opéra, créé deux ans avant la Révolution française, qu’il laisse poindre la tension entre esprit
                               lectures, j’irais même jusqu’à dire, au fil d’une vie. Finalement, il ne nous est possible de saisir qu’une   réformateur et conservateur, entre bourgeoisie et Ancien Régime… Vous qui vous intéressez à cette
                               infime part de l’extrême richesse de son langage musical et dramaturgique. Ce que j’ai appris au contact      période charnière, que pensez-vous de cette lecture politique ?
                               de ses œuvres, c’est que le sens de l’œuvre trouve son éclairage dans l’expression dramaturgique. Pour        C’est une œuvre dont l’aura peut justifier à peu près toutes les interprétations, donc pourquoi pas une
                               le dire autrement, le langage musical de Mozart est en mesure de caractériser aussi bien les situations       lecture politique ? Je pense cependant que ce serait un contresens de croire que Mozart prétend au
                               théâtrales que la psychologie des personnages. Il me semble important de souligner que le chef                politique dans cette œuvre. Après avoir affronté le répertoire lyrique de Mozart dans sa quasi-totalité,
                               d’orchestre peut être le dépositaire du sens d’une œuvre. Je pense en effet qu’il y a des indications         j’ai le sentiment que ce qui motive certaines de ses pages ne sont que des préoccupations humanistes
                               dramaturgiques et psychologiques qui ne trouvent leur éclairage que dans la lecture de la partition.          et j’éprouve personnellement le plus grand mal à apparenter l’humanisme au politique. Don Giovanni
                               Nombreux sont les exemples que je pourrais citer pour illustrer mes propos, certains manichéens,              évoque pour moi le défi de l’Homme à Dieu, à son existence et au surnaturel. J’ai du mal à y voir une
                               d’autres plus techniques… Prenons La Flûte enchantée. La façon dont Mozart décrit le monde de la              prétention politique, si ce n’est peut-être à travers le traitement du personnage de Masetto. L’écriture
                               sagesse et les moyens musicaux prévus à cet effet vont bien au-delà des mots et des moyens dramatiques        musicale qui lui est dévolue renvoie selon moi à la révolte et au renversement de l’ordre social. Car
                               déployés. Renvoyant à la figure de Bach, le recours au contrepoint, rigoureux et précis, illustre à           c’est ainsi que Mozart procède : son empathie et son attachement à l’égard d’un personnage nous
                          10                                                                                                                                                                                                                                  11
Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
permettent de cerner ses préoccupations, que l’on retrouve d’ailleurs dans Les Noces de Figaro. Toujours            L’opéra Don Giovanni est une course effrénée qui ne connaît aucune trêve, avez-vous l’impression de
     est-il qu’il n’y a pas d’avant-propos à cela et qu’il n’y a pas d’idée de modernité en amont.                       relever un défi athlétique en le dirigeant ?
                                                                                                                         L’esthétique de la direction est un aspect rarement évoqué que je me réjouis d’aborder ici. Beaucoup
     N’y en a-t-il pas non plus sur le plan musical ?                                                                    d’opéras de Mozart sont extrêmement difficiles à diriger, en particulier Così fan Tutte. Paradoxalement,
     Si, bien sûr ! Notamment pour ce qui est de la structure, mais aussi de l’invention et de la réinvention            l’opéra Don Giovanni – de par l’équilibre des forces en présence, la dramaturgie des tempi, l’organisation
     permanente du fait dramaturgique. Ce qui dans Don Giovanni de Mozart a le don de fasciner Gounod,                   interne et d’autres raisons plus mystérieuses – ne m’a pas semblé si athlétique que cela ! Peut-être
     c’est que l’opéra commence à la manière d’un scénario de film. Dès le début, on détient presque la clé              aussi parce qu’il s’agit d’une œuvre dont la logique est très organique. Dès les premiers accords de
     du dénouement tandis que la puissance de l’ouverture se dissout bientôt dans un univers beaucoup                    l’ouverture, le compte à rebours est déclenché. On comprend immédiatement que, loin d’avoir affaire
     plus solaire permettant au drame de se régénérer. Ces idées de dramaturgie sont absolument géniales                 à un simple dramma giocoso, on est face à quelque chose de plus abrupt. Par quoi commence-t-on
     et nombreux sont les exemples de ce genre chez Mozart, en commençant par Idoménée.                                  au juste ? Par la mort… Pire que cela : par le jugement prononcé, celui du dénouement de la pièce.
                                                                                                                         Commencer par quelque chose d’aussi sentencieux, pour ne pas dire brutal, il fallait le faire ! À ma
                                                                                                                         connaissance, il n’existe rien de comparable dans toute l’histoire de l’opéra. Les ouvertures sont tantôt
     Don Giovanni présente une certaine dualité entre le registre buffa et sérieux, entre le rire et l’effroi, tout en
                                                                                                                         majestueuses, tantôt légères, mais déployer, dès les premiers accords, une telle force tellurique : il n’y
     s’enrichissant d’une composante « fantastique ». Comment tout cela se traduit-il musicalement ?
                                                                                                                         a pas de précédent !
     Don Giovanni est placé sous le signe de la fulgurance. De tous les opéras, Don Giovanni est le seul
     qui trace une ligne aussi précise et fulgurante menant tout droit et sans détour au drame final. Je le              Il y a des passages où l’urgence dramatique de Mozart se fait particulièrement sentir, je pense notamment
     distinguerais des Noces de Figaro sur ce plan-là et le fait même de l’avoir dirigé dernièrement a achevé            au finale du premier acte, au sextuor du second, ou encore à la saisissante scène du Commandeur. Ces
     de me convaincre. On se rend compte que l’humour et le fantastique ne sont autres que des manières                  pages nécessitent-t-elles une direction plus incisive ?
     de régénérer et d’articuler cette grande ligne au point que l’on ne sent presque plus le passage d’un               Pour ce qui concerne l’interprétation, il faut procéder à la manière d’un acupuncteur, en ce sens qu’il
     événement à l’autre.                                                                                                y a des points d’énergie à ne pas manquer pour que la mécanique parfaitement huilée de Mozart se
                                                                                                                         révèle. Il y a en effet des moments de catharsis – ceux-là même que vous évoquez – qu’il faut amener
                                                                                                                         par un processus de déclenchement en amont. Toute cette progression est évidemment structurée de
     Le choix des tessitures est intrinsèquement lié à la psychologie des personnages de même que les
                                                                                                                         manière extrêmement consciente. Cet emballement des énergies a d’ailleurs toujours été utilisé de
     instruments choisis servent souvent à exprimer leur intériorité. On est loin de la musique purement
                                                                                                                         manière formelle par Mozart.
     descriptive, n’est-ce-pas ?
     Il me semble que c’est le cas de tous les opéras mozartiens à partir de la période de maturité. Je dirais
                                                                                                                         Le compositeur Ferruccio Busoni dit à propos de Mozart qu’« il dispose de la lumière et de l’ombre ; mais
     même que Don Giovanni est moins concerné par cet aspect que d’autres œuvres. Donna Elvira en
                                                                                                                         sa lumière ne blesse pas et son obscurité montre encore des contours clairs », est-ce ce goût marqué pour
     constitue ici le meilleur témoignage. Il y a en effet des aspects de la sensibilité, de la personnalité
                                                                                                                         le clair-obscur qui fait de vous un mozartien aussi convaincu que convainquant ?
     et de la complexité de ce personnage féminin qui sont révélés par le traitement de l’harmonie et par
                                                                                                                         Pour commencer, je trouve cette citation très belle… Je me méfie cependant de la manière dont
     l’utilisation de la clarinette qu’une certaine tradition musicale avait tendance à déconsidérer. C’est,
                                                                                                                         on réduit le langage et les inspirations de Mozart à de simples oppositions. Ce que dit Busoni est
     selon moi, le personnage le plus émouvant de l’opéra. Je suis notamment touché par la manière dont
                                                                                                                         vrai, même s’il faut bien garder en tête les proportions du phénomène qu’il décrit… Je pense que
     elle respecte l’amour. Elle se résout au renoncement tout en respectant l’amour revêtu sous sa forme la
                                                                                                                         Mozart est essentiellement habité par une lumière et par une empathie pour le genre humain. Il est
     plus paradoxale, celui de Don Giovanni. Par un effet miroir, la quête de Donna Elvira se voit magnifiée.
                                                                                                                         le premier chantre de cet humanisme dans sa forme musicale. Or il utilise selon moi l’obscurité de
                                                                                                                         manière pointilliste, comme de petites touches visant à révéler la lumière globale de son œuvre. J’ai pu
     Quel regard portez-vous sur Don Giovanni en tant que personnage et de quelle manière Mozart exprime-t-il
                                                                                                                         notamment le remarquer dans sa musique concertante. Je préfère l’idée du petit nuage, échoué dans
     sa force dans l’écriture orchestrale ?
                                                                                                                         un monde complètement solaire : si un assombrissement passager évoquant la souffrance humaine
     Ce n’est certainement pas le protagoniste musical, c’est le personnage dramatique par excellence.
                                                                                                                         apparaît avec pudeur, il disparaît aussitôt pour parler d’espoir et d’humanité. D’un point de vue
     Mozart se sert de lui comme d’un déclencheur dramatique : Don Giovanni n’est autre que le révélateur
                                                                                                                         pictural, c’est ainsi que Mozart procède, selon moi.
     des personnages qu’il rencontre, le fusible de leur humanité. Tout se joue et se situe dans la réaction
     des autres personnages à son égard.
                                                                                                                         Dois-je comprendre qu’à l’inverse d’un créateur lumière qui travaille la lumière à partir du noir, Mozart
                                                                                                                         travaillerait le noir à partir de la lumière ? Un peu comme Michel-Ange qui, loin de travailler sa sculpture ex
     Vous parlez de Don Giovanni comme d’un virus qui ébranle l’ordre établi… Le trouble qu’il sème n’est-il
                                                                                                                         nihilo délivre, à l’aide de son marteau, la silhouette prisonnière à l’intérieur de la matière…
     pas un incomparable remède à l’ennui, tant pour les personnages qui croisent son chemin que pour nous,
                                                                                                                         Oui, à la différence près que le noir n’existe pas chez Mozart et c’est cela qui, à mon sens, le rend
     le public ?
                                                                                                                         unique.
     Cela rejoint la question précédente. En désorganisant et en déstructurant, Don Giovanni crée
     l’humanité autant qu’il suscite l’empathie ou le dégoût. C’est celui que l’on aime détester, ou encore
                                                                                                                                                                                      Propos recueillis par Aurélie Barbuscia, avril 2017
     celui qui repousse les limites que l’on n’ose affronter soi-même. L’attitude transgressive de Don
     Giovanni engendre la fascination des personnages au même titre que celle du spectateur.

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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
Huit et demi, Federico Fellini, Collection Christophel © Cineriz / Francinex
     Avec l’aimable autorisation de la Collection Christophel / www.collectionchristophel.fr

                                                                                               Vanessa Beecroft - vb67, 2010 - vb67.007.rk - studi nicoli, carrara, Italy © Vanessa Beecroft 2017
                                                                                               photo: Reinhold Kohl

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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
un événement considérable. Molière parle très peu des femmes et s’acharne sur le Ciel, Mozart évite
Photo © Pascal Victor ArtComArt

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                                                                                                                                                    c’est la force d’une déflagration, d’un coup de poing à l’inconscient, d’une démonstration sans résultat.
                                                                                                                                                    Don Juan existe et meurt sous nos yeux, comme un phénomène qui n’aura jamais vraiment dit son
                                                                                                                                                    nom et dont la vie et la mort ne sont accompagnées d’aucun commentaire, d’aucune morale, d’aucun
                                                                                                                                                    message. Mettre en scène la radicalité du personnage, c’est, pour les deux artistes, l’occasion d’un
                                                                                                                                                    geste politique plus ou moins masqué. Molière part au combat contre la censure qui lui a interdit de
                                                                                                                                                    représenter Tartuffe et contre tous ceux qui se servent du nom de Dieu pour défendre leurs propres
                                                                                                                                                    intérêts. Mozart et Da Ponte (avec un petit coup de main de Casanova), deux ans avant la prise de la
                                                                                                                                                    Bastille, remettent dans la bouche de Masetto les accents révolutionnaires de Figaro et bouleversent
                                                                                                                                                    les rapports de classe jusqu’à confondre dans la voix des paysans celle des aristocrates. À la fin de l’acte
                                                                                                                                                    I, le message sans équivoque « Viva la libertà », qu’Elvira, Anna et Ottavio sont obligés de reprendre
                                                                                                                                                    en chœur, est la signature d’un manifeste pour la liberté absolue et sous toutes ses formes. Dans les
                                                                                                                                                    deux cas, il s’agit de mettre en lumière Don Giovanni comme un héros, un libre penseur qui remet en
                                                                                                                                                    cause tous les dogmes établis ; comme un matérialiste pour qui la compréhension du monde relève
                                                                                                                                                    uniquement de la raison, qui piétine toutes les formes du sacré (à commencer par le mariage) et qui
                                                                                                                                                    refuse tous les pouvoirs en général et celui de la religion en particulier. La morale, l’honneur, le rang,
                                                                                                                                                    la noblesse, le contrat social : tout y passe. C’est un homme insaisissable dans tous les sens du terme,
                                                                                                                                                    qui fait de sa vie un hymne à la gloire du plaisir et de la jouissance, mais surtout un hors-la-loi qui
                                                                                                                                                    n’aura pas été jugé par la justice des hommes et qui, toute proportion gardée, ne s’en tire pas si mal. Au
                                                                                                                                                    moment de payer l’addition, Don Giovanni assume jusqu’au bout ce qu’il est. Devant la mort même, il
                                                                                                                                                    garde la tête haute. Si la chair se désintègre, le reste a l’air d’aller toujours bien. Et le feu de l’enfer, s’il
                                                                                                                                                    fait disparaître le corps, élève l’homme au rang de mythe et laisse raisonner le rire du monstre dans sa
                                                                                                                                                    chute : « même quand j’aurai disparu, vous entendrez parler de moi ! Vous n’en n’aurez jamais fini ! »
                                                                                                                                                    Pour les rois, les dévots, pour tous les ennemis de la liberté, le malaise est total. Les détracteurs de
                                                                                                                                                    Molière diront à Louis XIV qu’une telle œuvre ne peut être signée que par la main du diable. Et puis le
                                                                                                                                                    travail sur Molière m’a révélé deux choses importantes de l’opéra de Mozart : la place centrale du couple

                                                                                     Le rire et l’effroi                                            Don Giovanni-Leporello et le mélange des genres et des registres. De la même manière que Don Juan
                                                                                                                                                    s’affranchit des règles de la société, Molière et Mozart s’affranchissent des règles de la dramaturgie
                                                            Entretien avec Jean-François Sivadier, metteur en scène                                 classique en passant, sans scrupules, d’une forme à l’autre. À l’image toute en rupture du personnage,
                                                                                                                                                    l’opéra semble ne jamais vouloir se laisser apprivoiser totalement et c’est ce qui en fait son mystère
                                       Le désir demeure en nous comme un défi au monde même                                                         et sa force. Mozart et Da Ponte ne nous disent jamais ce qu’il faut croire, ce qu’il faut penser de ce
                                       qui lui dérobe infiniment son objet                                                                          qu’on voit, de ce qu’on entend. Ils nous laissent dans le doute et s’amusent même à brouiller les pistes
                                       Georges Bataille                                                                                             avec un sous-titre imparable : dramma giocoso. Comme s’ils prévenaient d’emblée leur public : c’est
                                                                                                                                                    à vous de décider dans chaque scène, si vous devez rire ou pleurer. Forts de l’admiration qu’ils ont
                                       À l’automne 2016, vous avez signé la mise en scène du Dom Juan de Molière. Qu’est-ce que cette               pour Shakespeare, ils trouvent dans l’éclatement de la forme, dans la juxtaposition de la farce et de
                                       expérience vous apporte pour affronter la version lyrique du tandem Da Ponte/Mozart ?                        la tragédie ainsi que de la trivialité et de l’élégiaque, une dimension proprement shakespearienne.
                                       J’ai la même sensation que lorsque j’ai mis en scène Les Noces de Figaro après avoir monté la pièce de       Comme chez Shakespeare, la fable – sa légèreté et sa profondeur, sa faculté à frapper directement
                                       Beaumarchais. La sensation que si la musique a parfois tendance à simplifier les choses, à enlever de        l’inconscient tout en séduisant par sa limpidité – peut, dans le même temps, émerveiller un enfant de
                                       la complexité, elle a ce pouvoir incroyable de transcender immédiatement chaque situation, de révéler        dix ans et faire la joie des philosophes et des psychanalystes.
                                       la part d’inconscient qui se cache dans les textes, et de donner aux œuvres une portée universelle. Don
                                       Giovanni ressemble à Dom Juan mais les deux œuvres sont vraiment différentes et la lecture de Molière        Le mélange des genres, c’est aussi, dans ce « dramma giocoso », l’irruption du surnaturel...
                                       est évidemment essentielle pour aborder l’opéra de Mozart. C’est toujours éclairant de voir comment          C’est même là sans doute que réside la tension principale de l’œuvre, ce qui en crée le suspense, la
                                       les auteurs se saisissent d’un mythe pour y mettre leurs obsessions, leurs idées politiques, pour            tension entre le possible et l’impossible, le monde terrestre et l’au-delà, entre le corps brûlant de
                                       témoigner de leur rapport à l’art, de la façon dont ils veulent parler du monde à leurs contemporains.       Don Giovanni et l’immobilité glacée de la pierre. Dès l’ouverture, Mozart annonce la couleur : en deux
                                       De découvrir les questions qui les intéressent et celles qu’ils vont laisser de côté. Par exemple, Molière   accords de ré mineur sublimes et terrifiants, son héros est condamné. L’œuvre est un compte à rebours.
                                       n’a pas l’air de croire beaucoup à cette histoire de Commandeur et Mozart fait de l’entrée de la statue      L’énergie vitale, furieuse de Don Giovanni est un défi à la mort qui est déjà en marche. Le Commandeur
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Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
va patienter deux heures trente avant de faire son entrée, dans un costume impossible pour faire un               l’autre, que le valet exécute ce que le maître ordonne. Mais, quant à leur importance dans la partition,
     geste impossible. Don Juan, c’est aussi l’histoire d’un geste impossible : la poignée de main entre un            les deux sont exactement au même niveau. Il n’y a pas une scène où le maître n’oblige le valet à être
     mortel et quelque chose (quelqu’un ?) envoyé de l’au-delà pour l’anéantir. Le mythe commence là,                  son témoin ou à parler à sa place, voire à jouer son rôle. Molière, en jouant lui-même Sganarelle, sait
     dans la rencontre fatale entre celui qui s’est fait un devoir de ne croire en rien, de rire de tout, et la        qu’il se donne le rôle du porte-parole des spectateurs et que ce système lui permet de faire dialoguer
     seule chose capable de le confondre et de lui passer définitivement l’envie de rire. Mais qu’est-ce qui           Dom Juan avec le public. Les protestations de Leporello, qui dit tout haut ce que les spectateurs
     est le plus effrayant ? La main de pierre du Commandeur ou la détermination de celui qui la saisit                pensent tout bas, sont les marches qui permettent à son maître de monter de plus en plus haut dans la
     en souriant ? La statue qui condamne à mort ou l’homme qui refuse de s’abaisser au repentir pour                  provocation. Être, pour Don Giovanni, c’est d’abord être contre, et Leporello est celui qui dit toujours :
     soulager notre conscience ? Refuser la mort serait lui accorder trop d’importance. Face à l’adversaire            « non ! » (avant de penser : « pourquoi pas ?! »), qui dit toujours : « je pars !» (avant de penser :
     suprême qu’il semble avoir cherché (ou fui) toute sa vie, Don Juan se paie le luxe d’un dernier coup de           « je reste encore un peu pour voir ! »). La vraie question n’est pas : « qui est Don Giovanni ? », mais :
     théâtre. Il regarde la statue dans les yeux et saisit la main comme il signerait son œuvre, sans trembler,        « quel est ce double personnage, Don Giovanni-Leporello ? » Parce qu’évidemment, Don Giovanni
     dans la joie de savoir que sa disparition soudaine laissera le public aussi désorienté que son valet et           n’existe qu’accompagné de son absolu contraire. Aucun plaisir de faire le mal si ce n’est pas en public,
     tous ceux qui se voient voler leur vengeance terrestre par une puissance surnaturelle. La scène finale            et le premier spectateur c’est Leporello. Leporello est celui sans qui Don Giovanni n’existe pas et
     est emblématique de cette confusion des registres et surtout d’une double tonalité qui parcourt l’œuvre           inversement. Il y a entre eux une chose magnifique, une cohabitation improbable, l’hypothèse d’une
     du début à la fin. Devant la statue, on peut rire comme Don Giovanni ou trembler avec Leporello, ou les           amitié, un contrat mystérieux et apparemment indestructible. Contraires, indissociables, engagés
     deux à la fois. Le rire et l’effroi. Pas l’un après l’autre mais simultanément et, dans chaque scène, on          dans un voyage, un long dialogue. Une maïeutique réciproque où, entre la rhétorique parfaitement
     peut s’émouvoir de la douleur d’Elvira et rire en même temps des pitreries de Leporello.                          huilée du maître (entre sincérité et mauvaise foi absolue) et les balbutiements hasardeux du valet
                                                                                                                       (entre sincérité et lâcheté absolue), chacun des deux passe son temps à accoucher l’autre de ce qu’il
     Comment pourriez-vous définir le personnage de Don Giovanni ? Et en quoi vous touche-t-il ?                       est. Don Giovanni réveille l’ambiguïté du valet qui ne choisit la vertu que parce que le vice est interdit ;
     Précisément le personnage ne supporte aucune définition et c’est pour ça qu’il fascine autant. Ce                 Leporello attise la détermination du maître et révèle les failles d’un discours qui prône la liberté mais
     serait même décevant de lui inventer des raisons d’être ce qu’il est. Cette absence d’identité oblige le          qui ne prêche que pour sa paroisse. Leporello ne sert à rien, c’est ce qui rend sa présence si nécessaire.
     spectateur à interpréter les paroles et les actes d’un inconnu qui passe deux heures trente sur scène sans        Il s’est taillé le rôle en or de celui qui est juste à côté du diable qu’il déteste et admire profondément.
     jamais prendre la peine de se dévoiler, de chanter un air qui nous dirait, un tant soit peu, ce qu’il est         Le couple s’épaule, comme deux voyous, deux sales types dans une série de mauvais coups. Le valet suit
     profondément. C’est qu’avant d’être un personnage, Don Giovanni est un espace de projection ouvert à              son maître qui accumule les provocations et proteste, tout en profitant sans scrupule de son courage et
     toutes les interprétations possibles ; un corps en action qui se laisse uniquement définir par le regard des      de son argent pour goûter les délices du vice, de la violence gratuite, de la dépravation, du théâtre, du
     autres ; un visage comme une page blanche où l’on pourrait reconnaître à la fois Valmont ou le Marquis            corps d’Elvira, de celui des paysannes, de tout ce qui est interdit.
     de Sade, Richard III ou le Chérubin des Noces de Figaro qui aurait mal tourné. À la fin, en le voyant
     disparaître, il est impossible de savoir si l’on se sent soulagé ou orphelin, délivré ou abandonné, trahi ou      Vous dites que le héros est déjà condamné dès les premières mesures. Dans ce compte à rebours,
     vengé. Impossible de savoir si on a adoré le libérateur, l’émancipateur (le précurseur des Lumières ?),           comment Mozart et Da Ponte organisent-ils le récit ?
     le séducteur, la tête brûlée qui s’est fait une religion de son désir et de sa liberté. Impossible de savoir si   Une phrase de Genet pourrait résumer à elle seule Don Giovanni : « Le plateau est un lieu proche de la mort
     on a détesté le petit marquis égocentrique, le misogyne, le parasite social, le meurtrier irresponsable qui       où toutes les libertés sont possibles. ». Le théâtre, la mort, la liberté : trois mots qui pourraient donner à
     n’a jamais hésité à détruire tout ce qui l’empêchait d’avancer. C’est à cet impossible que Mozart choisit         l’œuvre son centre de gravité. Dans le sursis, la liberté que lui laisse cette mort inéluctable et sans cesse
     de nous confronter en faisant de nous les jurés d’un procès qui n’a pas lieu ; en nous donnant le choix           différée, Don Giovanni n’a rien d’autre à faire que du théâtre. Divertir pour se divertir. S’inventer des
     d’acquitter ou de condamner celui qui, avec un pouvoir de destruction extraordinaire, tout en ne parlant          obstacles, des situations impossibles où il est sûr de devoir mouiller sa chemise. Des histoires pour
     que d’amour et de désir, nous aura, dans le même temps, séduits et scandalisés. La définition la plus             épuiser le monde et s’épuiser lui-même pour se sentir vivant. Là où il n’y a aucun risque, il n’y a aucun
     précise que je pourrais donner aujourd’hui de Don Giovanni, celle qui me touche le plus, c’est que c’est          plaisir ; là où rien ne résiste, il s’ennuie ; dans l’immobilité, il perd son équilibre. En faisant de lui un
     un acteur, un chanteur en l’occurrence ! Un homme capable d’être tout et son contraire ; capable d’être           as de l’improvisation, Mozart et Da Ponte explosent d’emblée toute véritable possibilité de scénario.
     tout ce qu’on projette sur lui et sans cesse réinventé par le regard des autres ; un artiste en sursis qui va     L’action, dans Don Giovanni, n’avance pas en ligne droite, elle tourne sur elle-même, dans une montée
     jouer sa vie sur scène jusqu’à ce que la mort lui dise : « fini de jouer ! » ; un drogué du désir, désirant,      en puissance de l’ivresse, un mouvement aléatoire dessiné par l’instantané, l’esquisse et la déviation.
     désiré, poursuivant, poursuivi, d’une instabilité quasi pathologique, qui a moins le désir de séduire
     que celui d’être constamment ravi à lui-même par tout ce qui peut l’empêcher de se fixer quelque part.            Cette impression de vertige vient aussi de la multiplicité des espaces, de cette façon de passer, d’une
     C’est un poète qui veut embrasser le monde et dont le regard clair, franc, direct est un défi à ceux qui          scène à l’autre, d’un lieu à un autre.
     prétendent le juger, comme s’il nous disait droit dans les yeux à chaque seconde : « j’aime tout le monde         Comme chez Shakespeare, l’espace et le temps ne s’embarrassent d’aucun réalisme, les décors
     mais je n’écoute que mon désir. Je n’ai aucun problème avec personne. Si vous avez un problème avec               suggérés par Da Ponte n’ont pas de véritable incidence sur l’action. Tout pourrait se passer en huit
     moi, posez-vous des questions sur vous-mêmes ! »                                                                  jours ou le temps d’une nuit, dans une ville ou un palais labyrinthique. En revanche, le livret et la
                                                                                                                       musique ne cessent de mettre en scène le surgissement, la disparition, l’interruption, dans une danse
     Vous parliez de la place centrale du couple Don Giovanni-Leporello...                                             générale où le rythme de chacun vient sans cesse contredire celui des autres. Tout cela peut suggérer
     C’est une chose qu’on ne remarque pas immédiatement si on imagine qu’un des deux a un ascendant sur               un espace exposé, une arène, un ring, une piste de cirque, la scène d’un théâtre où l’on peut entrer
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