Don Giovanni Wolfgang amadeus mozart - Festival-aix.com
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Don Giovanni retrouve Une Édition 2017 la scène de l’Archevêché riche en promesses Don Giovanni de Mozart retrouve cette année la scène de l’Archevêché. Don Giovanni, le « coup de L’édition 2017 – la 69ème édition du Festival d’Aix-en-Provence – est l’une des plus prometteuses avec maître » de la deuxième édition du Festival en 1949 dont les connaisseurs gardent en mémoire les des chefs-d’œuvre de Mozart, Bizet, Stravinski, Cavalli et la création mondiale Pinocchio de Philippe décors réalisés par Cassandre. Le peintre, architecte, décorateur et affichiste avait accepté à l’époque Boesmans. Tous ces opéras sont des nouvelles productions du Festival d’Aix-en-Provence, c’est ainsi que de faire les décors et les costumes à la condition d’édifier un théâtre. Ce théâtre à l’italienne dit de notre Festival se place dans les tous premiers rangs mondiaux. À ces opéras s’ajoutent une série de 16 « Cassandre » servira cette année-là de décor à la pièce mise en scène par Meyer, mais également concerts, y compris celui de l’Orchestre de Paris dirigé par Daniel Harding. d’écrin à l’ensemble des représentations lyriques du Festival jusqu’en 1973. Cette édition 2017 a été imaginée, préparée et dirigée par Bernard Foccroulle, Directeur général du Festival depuis Le musée du palais de l’Archevêché propose d’ailleurs à cette occasion – durant tout l’été – une 2005, dont le talent vient d’être récompensé. Ce dernier a en effet reçu le Prix du Leadership aux Opera Awards exposition intitulée « Don Giovanni, l’opéra des opéras » dans laquelle on retrouvera des costumes, de Londres le 7 mai 2017. Bernard Foccroulle a décidé de se consacrer pleinement à son activité de musicien à des esquisses ou des maquettes des décors de cet opéra intemporel que l’on retrouve régulièrement partir d’août 2018. La ministre de la Culture et de la Communication et le Conseil d’administration du Festival ont dans la programmation du Festival depuis presque 70 ans. choisi Pierre Audi, Directeur de l’Opéra d’Amsterdam (Dutch National Opera), pour lui succéder à partir du 1er août 2018. Pierre Audi, nommé directeur délégué, prépare dès maintenant les festivals 2019, 2020 et 2021. Le public retrouvera aussi la mythique Carmen de Bizet, Eugène Onéguine de Tchaïkovski, The Rake’s Progress de Stravinski, Erismena de Francesco Cavalli. Une programmation riche, donc, et ce n’est pas AIX EN JUIN, pour sa 5ème édition, propose une quarantaine de manifestations à Aix et dans sa région qui le Pinocchio de Philippe Boesmans qui me fera mentir. s’achèveront sur une note festive : un grand concert gratuit sur le cours Mirabeau le 26 juin. Mais c’est surtout Bernard Foccroulle, directeur du Festival depuis 2007, que je tiens à saluer ici. Et AIX EN JUIN poursuit l’action du Festival en matière d’éducation artistique et d’ouverture vers des publics de le remercier pour les dix années qu’il vient de consacrer à ce joyau de la culture aixoise. Ses qualités plus en plus nombreux. À AIX EN JUIN vont participer des membres de l’Académie du Festival, qui réunira une humaines et professionnelles ont donné un souffle nouveau au Festival. vingtaine de professeurs et 260 jeunes artistes. Parmi eux, les Lauréats HSBC de l’Académie proposeront des récitals à Aix-en-Provence et dans sa région, avant de partir en tournée en France et à l’étranger. Il n’a pas souhaité briguer un nouveau mandat à la tête de l’institution pour se consacrer à l’interprétation et à la composition, ses deux passions. L’an prochain sera donc sa dernière programmation avant de Les enjeux de transmission et d’accessibilité au public le plus large et diversifié sont deux axes primordiaux passer la main à Pierre Audi. Je sais qu’il va encore nous surprendre avant de tourner cette page de auxquels nous restons particulièrement attachés. Ainsi, les retransmissions prévues sur Arte, Arte Concert, l’histoire du Festival. Une très belle page. France Musique, France Télévisions et Culture Box, complétées par les projections gratuites de Carmen et Pinocchio sur grand écran dans toute la région, permettent de prolonger notre politique d’ouverture au plus grand nombre. Le Festival a poursuivi en 2016 et en 2017 son expansion à l’étranger à travers les deux réseaux qu’il anime, Maryse Joissains Masini celui d’enoa en Europe et celui de Medinea en Méditerranée. De nombreux pays étrangers ont accueilli le Maire d’Aix-en-Provence Festival d’Aix. Il faut noter en particulier nos collaborations avec le Théâtre Bolchoï à Moscou et le Beijing Président du conseil de territoire du Pays d’Aix Music Festival de Pékin. Vice-président de la Métropole Aix-Marseille-Provence Tout cela a été rendu possible grâce au soutien de nos mécènes, entreprises et particuliers, et tout particulièrement Altarea Cogedim, premier partenaire du Festival. Enfin le Festival d’Aix se félicite du soutien renouvelé du ministère de la Culture et de la Communication, de la Ville d’Aix-en-Provence, de la Métropole Aix-Marseille-Provence et du Territoire du Pays d’Aix, du Conseil départemental des Bouches-du-Rhône, du Conseil régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et de l’Union européenne. Je souhaite à chacun d’entre vous une très belle édition 2017 du Festival d’Aix-en-Provence. Bruno Roger Président du Festival d’Aix-en-Provence 2 3
Libertà ! L'opéra a toujours entretenu un rapport étroit avec la liberté de pensée et d'expression. À Venise, la La fable de Pinocchio est quant à elle un véritable récit initiatique : on ne naît pas libre, on le devient. ville qui a abrité dès 1637 les premières salles ouvertes au public, l'opéra a connu un premier essor La marionnette est incapable de maîtriser ses désirs et ses pulsions, incapable aussi de tirer les leçons fulgurant durant quelques décennies de liberté intellectuelle et artistique exceptionnelle, liberté de ses mésaventures. C'est seulement dans le ventre de la baleine que Pinocchio prendra son destin impensable à Rome à la même époque. Monteverdi et Cavalli ont su profiter de ce climat privilégié en main : il provoque – contre l'avis de son père – son expulsion, revient au monde et trouve le chemin pour écrire des œuvres dont l'audace et la liberté de mœurs ne cessent de nous surprendre. Erismena d'une liberté chèrement acquise. L'opéra de Philippe Boesmans et Joël Pommerat, dont Aix présentera témoigne du goût typiquement vénitien pour le travestissement, pour le mélange des genres comiques, la création mondiale, n'est pas juste un « opéra pour enfants » : il se veut accessible à tous les publics, tendres et tragiques. À travers les jeux de l'amour et les déclinaisons infinies de la séduction, l'opéra enfants compris, et notre espoir est que les spectateurs de tous âges et de toutes origines forment, le de Cavalli nous incite à voir dans la passion amoureuse un aveuglement fatal, l'aliénation même de la temps de la représentation, cette communauté humaine, intelligente et sensible, qui donne sens au liberté. conte revisité et réincarné. Avec Don Giovanni et Carmen, nous nous trouvons face à deux figures incarnant la liberté la plus À un moment de l'Histoire où les valeurs de liberté et de démocratie sont contestées ou combattues un radicale. Chez Molière comme chez Mozart, Don Juan ne se contente pas de séduire toutes les femmes peu partout dans le monde, il n’est pas inutile de faire résonner ces œuvres dans toute leur force, d'en qu'il rencontre, il bouscule les interdits les plus incontournables de son temps : il défie l'ordre social sonder la charge émotionnelle et critique et de s'interroger sur leur pertinence et leur actualité. et l'ordre moral, les règles profanes et sacrées. Refusant tout repentir, Don Giovanni meurt mais sa condamnation morale n'est pas exempte d'une forme de transfiguration. Bernard Foccroulle Directeur général du Festival d’Aix-en-Provence Carmen incarne quant à elle une liberté qui, heurtant de front les préjugés du XIXe siècle, provoqua des réactions bien plus violentes qu'à la création de Don Giovanni. Carmen séduit, charme, se rebelle, ne cède à aucune menace et choisit la mort plutôt que de renoncer à sa liberté. Plus que le roman de Prosper Mérimée, l'opéra de Bizet a porté son héroïne au rang de figure mythique : la force du chant consiste précisément à exacerber les sentiments, à renforcer les caractères, à porter les relations humaines à une forme d'incandescence qui accroît l'intensité de notre réaction émotionnelle et facilite la projection de chacun de nous dans le récit. Composé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, The Rake’s Progress dépeint de manière aussi virtuose que cauchemardesque la descente aux enfers d'un homme trahi non seulement par sa soif de richesses et de plaisirs, mais par toute la société en laquelle il a cru : la déchéance du libertin s'accompagne de la progressive privation de liberté qui était la sienne. Les innombrables allusions littéraires et musicales qui parsèment la partition lui confèrent une dimension kaléidoscopique unique dans l'histoire de l'opéra. On peut y lire aussi la désillusion et le ressentiment de ses auteurs, Auden et Stravinski, tous deux récemment immigrés aux États-Unis, à l'égard d'une civilisation qui avait généré tant de destructions et de catastrophes. 4 5
WOLFGANG AMADEUS MOZART (1756-1791) Don Giovanni Dramma giocoso en deux actes Livret de Lorenzo Da Ponte Créé le 29 octobre 1787 au Théâtre des États de Prague Direction musicale Jérémie Rhorer Mise en scène Jean-François Sivadier Décors Alexandre de Dardel Costumes Virginie Gervaise Lumière Philippe Berthomé Maquillage / coiffure Cécile Kretschmar Collaboratrice à la mise en scène Véronique Timsit Collaboratrice aux mouvements Johanne Saunier Assistant musical Nicholas Bootiman Pianistes répétiteurs Jorge Gimenez / Benjamin Laurent* Répétitrice de langue Roberta Salsi Assistant à la mise en scène Rachid Zanouda Assistante aux costumes Morganne Legg Assistant à la lumière Jean-Jacques Beaudouin Don Giovanni Philippe Sly Leporello Nahuel di Pierro Donna Anna Eleonora Buratto Don Ottavio Pavol Breslik Donna Elvira Isabel Leonard Zerlina Julie Fuchs* Masetto Krzysztof Ba¸czyk* Il Commendatore David Leigh Figurants Juliette Allain, Cyprien Colombo, Rachid Zanouda Nouvelle production du Festival d’Aix-en-Provence Chœur English Voices En coproduction avec : Opéra national de Lorraine, Les Théâtres de la Ville de Luxembourg, Chef de chœur Tim Brown Teatro Comunale di Bologna Orchestre Le Cercle de l’Harmonie Reproduction de l’œuvre Cloak of Conscience avec l’aimable autorisation de l’artiste Anna Chromy Spectacle en italien surtitré en français et en anglais – 3h10 entracte compris Théâtre de l’Archevêché 6, 8, 10, 13, 15, 17, 19 et 21 juillet 2017 – 21h30 *Ancien.ne.s artistes de l’Académie Retransmis en direct sur le 8 juillet et en direct sur Culturebox le 10 juillet 7
Argument Vue d’ensemble Acte I Acte II Don Giovanni est le deuxième opéra que Wolfgang une longue descendance, au sein de laquelle on Leporello fait le guet devant la maison où son Don Giovanni, ayant réussi à convaincre Leporello Amadeus Mozart (1756-1791) a composé sur compte notamment le Dom Juan de Molière. Da séducteur de maître, Don Giovanni, s’est introduit de rester à son service contre monnaie sonnante et un texte du librettiste Lorenzo Da Ponte (1749- Ponte et Mozart en reprennent les articulations masqué. Il peste contre son sort de valet quand Don trébuchante, lui expose son nouveau plan : séduire 1838). Tous deux venaient de rencontrer le succès essentielles. Leur Don Giovanni est un « dramma Giovanni surgit, poursuivi par Donna Anna dont il a la suivante de Donna Elvira en endossant les avec Le nozze di Figaro, fruit de leur première giocoso », c’est-à-dire un opéra bouffe, forme tenté d’abuser. Celle-ci tâche en vain de lui arracher habits de son valet. Les deux hommes s’exécutent : collaboration et créé en 1786 à Vienne. L’année d’origine italienne appréciée dans toute l’Europe son masque pour savoir qui il est. Alerté par les cris Leporello attire Donna Elvira qui le suit dans la nuit suivante, en réponse à une commande du Théâtre des Lumières (et toujours chantée dans la langue de sa fille, le Commandeur provoque le séducteur en pendant que Don Giovanni chante une sérénade à sa des États de Prague, Da Ponte propose à Mozart de Dante, quel que soit le pays). L’opera buffa duel. Blessant mortellement le vieil homme, Don suivante. Masetto et ses compagnons recherchent d’écrire un opéra sur le thème de Don Juan. se distingue de l’opera seria par ses sujets, qui Giovanni s’enfuit avec Leporello. Revenue avec son Don Giovanni pour le punir, mais, tombant sans le Ce dernier connaît une grande vogue auprès laissent une large place à des situations comiques fiancé Don Ottavio, Donna Anna découvre le cadavre savoir sur celui qu’ils poursuivent, le faux valet les du public européen depuis le siècle précédent. et mettent en scène des personnages représentant de son père. Tous deux promettent de se venger de disperse, sans avoir omis de rosser Masetto. Tout en Mozart travaille donc à sa partition dès juillet les classes sociales de l’époque. Pour refléter ces l’assassin inconnu. lui prodiguant des soins, Zerlina se réconcilie avec 1787 et l’ouvrage est créé le 29 octobre devant différentes strates, Mozart jongle entre divers Malgré les remontrances de Leporello, Don son fiancé. le public de Prague, qui lui fait un triomphe. En styles musicaux qui sont comme des niveaux Giovanni n’éprouve aucun remord. Donna Elvira, à Errant dans la nuit, le faux gentilhomme et Donna mai 1788, Don Giovanni est repris à Vienne (après de langage : les personnages nobles n’adoptent qui il avait promis le mariage, se dresse inopinément Elvira se heurtent à Donna Anna et Don Ottavio, quelques réaménagements opérés par les deux pas l’idiome musical des paysans ou des valets. sur son chemin, bien décidée à faire valoir ses droits. bientôt rejoints par Zerlina et Masetto. Tous se artistes) avec moins de succès. Mais l’œuvre Par ailleurs, l’opera buffa accorde une place Don Giovanni s’éclipse laissant Leporello essuyer précipitent sur celui qu’ils prennent pour Don s’imposera rapidement auprès des mélomanes importante aux ensembles, c’est-à-dire aux les reproches de l’amoureuse abandonnée et lui Giovanni. Terrifié, Leporello se démasque et réussit de tous les pays dès le début du XIXe siècle, pour duos, trios ou finales d’acte qui permettent à dérouler la liste des innombrables conquêtes de à s’enfuir. ne plus jamais quitter l’affiche. Les romantiques plusieurs personnages de s’exprimer ensemble son maître. Zerlina, une jeune paysanne, fête ses Don Giovanni s’est réfugié dans un cimetière. Il tels qu’E.T.A. Hoffmann étaient fascinés par son et à l’action de se développer en musique. Don fiançailles avec Masetto. Don Giovanni, promettant y retrouve Leporello et lui raconte ses nouvelles mélange de scènes comiques et tragiques ainsi que Giovanni est un exemple de dramma giocoso à tous les paysans une fête somptueuse, parvient aventures. La statue surmontant la tombe du par l’irruption du surnaturel dans ses dernières transfiguré par son sujet et par le génie de son à rester seul avec la jeune fille. Il est sur le point Commandeur l’avertit alors du peu de temps qu’il scènes. Aujourd’hui encore, Don Giovanni est l’un compositeur. On y trouve certes le mélange des de la convaincre de l’épouser quand surgit Donna lui reste pour s’amuser. Le séducteur la défie en des opéras les plus aimés du répertoire, repris genres et des styles que nous venons d’évoquer, Elvira, qui la met en garde et l’éloigne. Donna Anna l’invitant à venir souper chez lui. La statue accepte. constamment par les théâtres lyriques du monde mais aussi une composante « fantastique » et Don Ottavio, ignorant l’identité du meurtrier, Alors que Don Ottavio se fait toujours plus pressant, entier. Il est l’ouvrage emblématique du Festival plutôt inhabituelle, liée au motif de la statue sollicitent Don Giovanni pour mener à bien leur Donna Anna l’assure de son amour. d’Aix, où il a été donné très souvent depuis la animée. Ce dernier introduit dans les codes projet de vengeance, mais Donna Elvira interrompt Dans son palais, Don Giovanni se met à table, servi fameuse production de 1949 dans des décors de l’opera buffa une dimension métaphysique l’entretien. Don Giovanni tente de la faire passer par Leporello. L’entrée intempestive de Donna peints par Cassandre. La nouvelle production vertigineuse que Mozart prolonge par une pour folle et la repousse. Donna Anna, stupéfaite, a Elvira interrompt les agapes. Elle l’exhorte en vain de l’été 2017, confiée au metteur en scène Jean- musique à la fois grandiose et effrayante. Son reconnu la voix de son agresseur. à changer de vie. On frappe à la porte : la statue du François Sivadier et au chef d’orchestre Jérémie opéra oppose ainsi la course effrénée du Don Giovanni organise chez lui la grande fête à laquelle Commandeur, venue honorer l’invitation à dîner du Rhorer, est la huitième dans l’histoire du Festival. libertin au caractère hiératique de la musique tout le monde est invité. Les nobles s’y rendent, libertin, lui rend la pareille. En gage de sa promesse du Commandeur, à la fois torturée et imposante masqués, avec l’intention de dénoncer les forfaits du elle lui tend sa main. Don Giovanni est saisi Don Giovanni met en scène une des figures – deux aspects qui se télescopent d’emblée dans maître du bal. Zerlina tente de recouvrer la confiance d’angoisse, mais, refusant de se repentir, le voilà mythiques de la modernité occidentale, celle du l’ouverture de l’opéra. Don Giovanni apparaît dès de son fiancé, quand, mettant fin à l’entrevue, le livré aux flammes de l’enfer sous les yeux épouvantés libertin séducteur de femmes qui défie le Ciel, lors comme une œuvre-somme et l’on comprend seigneur l’entraîne à l’écart. Lorsque Zerlina parvient de Leporello. personnage apparaissant pour la première fois qu’il ait marqué les esprits à travers les siècles, à s’échapper en hurlant, Don Giovanni renverse Arrivant trop tard pour le punir, ses victimes ne dans une pièce du dramaturge espagnol Tirso Richard Wagner allant jusqu’à le proclamer la situation en accusant son valet Leporello. Mais, peuvent que constater sa disparition et s’en remettre de Molina (El burlador de Sevilla y convidado di « opéra des opéras ». comprenant que Donna Elvira, Donna Anna et Don à leur destin. pietra, publiée en 1630). Cette œuvre a suscité Ottavio se sont ligués contre lui, le séducteur profite de 8 9 la confusion générale pour s’enfuir.
merveille le monde de Sarastro. Mozart puise en effet les harmonies les plus riches de son langage pour caractériser le discours de Sarastro et mettre en exergue tant sa psychologie que son message. À Photo © Elodie Crebassa l’inverse, il utilise un langage extrêmement simple, presque binaire sur le plan harmonique afin que le public puisse s’identifier au personnage de Papageno dont on suit la trajectoire. Présents dans chacun de ses opéras, ces éléments ne peuvent être détectables que par le biais d’une connaissance intime du texte musical. Qu’en est-il du recours aux instruments d’époque ? Le recours aux instruments d’époque est, sans dogmatisme, une manière de se rapprocher de la texture pour laquelle tout compositeur écrit une œuvre. C’est au fond une idée extrêmement simple, mais qu’il convient d’expliquer. Un compositeur écrit pour un instrumentarium défini, à plus forte raison au XVIIIe siècle. À cette époque, les compositeurs connaissaient parfaitement les chanteurs pour lesquels ils écrivaient. Il serait illusoire d’imaginer qu’ils procédaient différemment pour les instruments. Ce que l’on considèrerait aujourd’hui comme une limite constituait à l’époque un véritable atout. Il n’en demeure pas moins vrai que les instruments évoluent : les instruments à vent étaient évidemment moins perfectionnés sur le plan de la technique comme de la facture – quoiqu’aujourd’hui, on trouve des instrumentistes capables de les maîtriser parfaitement. Ce qu’il convient de rappeler, c’est que les couleurs évoquées par ces instruments correspondaient précisément à l’univers sonore que le compositeur avait à l’esprit et qu’il s’en servait comme d’un peintre face à sa palette. Pour ce qui concerne plus spécifiquement l’opéra, la balance – à savoir l’équilibre voix/orchestre – qui en résultait était beaucoup plus naturelle. Les chanteurs n’étaient pas contraints de dépasser un orchestre trop massif, si bien qu’il était envisageable de distribuer des voix qui avaient le physique des rôles endossés, tout en donnant naturel et spontanéité à la dramaturgie musicale. L’équilibre entre tradition et modernité que l’on retrouve dans Don Giovanni n’est-t-il pas l’une des clés de son succès ? C’est une question qui, sur le principe, m’intéresse au plus haut point. Or, pour tout vous dire, je ne Don Giovanni comprends pas pourquoi vous l’appliquez à Don Giovanni. Je m’explique. L’idée même de modernité est absolument absente de la philosophie des compositeurs avant Wagner. Il s’agit là d’une lecture sous le signe de la fulgurance anachronique influencée par le déterminisme historique que connaît la période d’après-guerre. À l’époque de Mozart, un compositeur ne se soucie guère de la modernité. A contrario, il essaie de se Entretien avec Jérémie Rhorer, directeur musical tenir à un cadre et d’en exploiter les potentialités. Aussi les écarts qu’il se permet de faire par rapport à ces cadres et à ces canons ne sont-ils que des hasards de la création. De merveilleux écarts hasardeux L’orchestre « le Cercle de l’Harmonie », dont vous êtes le fondateur est, tout comme vous, rompu au certes, mais qu’aucune idéologie ne dicte. drame mozartien. Qu’est-ce que vous apporte la fréquentation intime et répétée de ce répertoire ? La notion même de fréquentation me semble cruciale car l’Œuvre de Mozart ne se révèle qu’au fil des On dit de cet opéra, créé deux ans avant la Révolution française, qu’il laisse poindre la tension entre esprit lectures, j’irais même jusqu’à dire, au fil d’une vie. Finalement, il ne nous est possible de saisir qu’une réformateur et conservateur, entre bourgeoisie et Ancien Régime… Vous qui vous intéressez à cette infime part de l’extrême richesse de son langage musical et dramaturgique. Ce que j’ai appris au contact période charnière, que pensez-vous de cette lecture politique ? de ses œuvres, c’est que le sens de l’œuvre trouve son éclairage dans l’expression dramaturgique. Pour C’est une œuvre dont l’aura peut justifier à peu près toutes les interprétations, donc pourquoi pas une le dire autrement, le langage musical de Mozart est en mesure de caractériser aussi bien les situations lecture politique ? Je pense cependant que ce serait un contresens de croire que Mozart prétend au théâtrales que la psychologie des personnages. Il me semble important de souligner que le chef politique dans cette œuvre. Après avoir affronté le répertoire lyrique de Mozart dans sa quasi-totalité, d’orchestre peut être le dépositaire du sens d’une œuvre. Je pense en effet qu’il y a des indications j’ai le sentiment que ce qui motive certaines de ses pages ne sont que des préoccupations humanistes dramaturgiques et psychologiques qui ne trouvent leur éclairage que dans la lecture de la partition. et j’éprouve personnellement le plus grand mal à apparenter l’humanisme au politique. Don Giovanni Nombreux sont les exemples que je pourrais citer pour illustrer mes propos, certains manichéens, évoque pour moi le défi de l’Homme à Dieu, à son existence et au surnaturel. J’ai du mal à y voir une d’autres plus techniques… Prenons La Flûte enchantée. La façon dont Mozart décrit le monde de la prétention politique, si ce n’est peut-être à travers le traitement du personnage de Masetto. L’écriture sagesse et les moyens musicaux prévus à cet effet vont bien au-delà des mots et des moyens dramatiques musicale qui lui est dévolue renvoie selon moi à la révolte et au renversement de l’ordre social. Car déployés. Renvoyant à la figure de Bach, le recours au contrepoint, rigoureux et précis, illustre à c’est ainsi que Mozart procède : son empathie et son attachement à l’égard d’un personnage nous 10 11
permettent de cerner ses préoccupations, que l’on retrouve d’ailleurs dans Les Noces de Figaro. Toujours L’opéra Don Giovanni est une course effrénée qui ne connaît aucune trêve, avez-vous l’impression de est-il qu’il n’y a pas d’avant-propos à cela et qu’il n’y a pas d’idée de modernité en amont. relever un défi athlétique en le dirigeant ? L’esthétique de la direction est un aspect rarement évoqué que je me réjouis d’aborder ici. Beaucoup N’y en a-t-il pas non plus sur le plan musical ? d’opéras de Mozart sont extrêmement difficiles à diriger, en particulier Così fan Tutte. Paradoxalement, Si, bien sûr ! Notamment pour ce qui est de la structure, mais aussi de l’invention et de la réinvention l’opéra Don Giovanni – de par l’équilibre des forces en présence, la dramaturgie des tempi, l’organisation permanente du fait dramaturgique. Ce qui dans Don Giovanni de Mozart a le don de fasciner Gounod, interne et d’autres raisons plus mystérieuses – ne m’a pas semblé si athlétique que cela ! Peut-être c’est que l’opéra commence à la manière d’un scénario de film. Dès le début, on détient presque la clé aussi parce qu’il s’agit d’une œuvre dont la logique est très organique. Dès les premiers accords de du dénouement tandis que la puissance de l’ouverture se dissout bientôt dans un univers beaucoup l’ouverture, le compte à rebours est déclenché. On comprend immédiatement que, loin d’avoir affaire plus solaire permettant au drame de se régénérer. Ces idées de dramaturgie sont absolument géniales à un simple dramma giocoso, on est face à quelque chose de plus abrupt. Par quoi commence-t-on et nombreux sont les exemples de ce genre chez Mozart, en commençant par Idoménée. au juste ? Par la mort… Pire que cela : par le jugement prononcé, celui du dénouement de la pièce. Commencer par quelque chose d’aussi sentencieux, pour ne pas dire brutal, il fallait le faire ! À ma connaissance, il n’existe rien de comparable dans toute l’histoire de l’opéra. Les ouvertures sont tantôt Don Giovanni présente une certaine dualité entre le registre buffa et sérieux, entre le rire et l’effroi, tout en majestueuses, tantôt légères, mais déployer, dès les premiers accords, une telle force tellurique : il n’y s’enrichissant d’une composante « fantastique ». Comment tout cela se traduit-il musicalement ? a pas de précédent ! Don Giovanni est placé sous le signe de la fulgurance. De tous les opéras, Don Giovanni est le seul qui trace une ligne aussi précise et fulgurante menant tout droit et sans détour au drame final. Je le Il y a des passages où l’urgence dramatique de Mozart se fait particulièrement sentir, je pense notamment distinguerais des Noces de Figaro sur ce plan-là et le fait même de l’avoir dirigé dernièrement a achevé au finale du premier acte, au sextuor du second, ou encore à la saisissante scène du Commandeur. Ces de me convaincre. On se rend compte que l’humour et le fantastique ne sont autres que des manières pages nécessitent-t-elles une direction plus incisive ? de régénérer et d’articuler cette grande ligne au point que l’on ne sent presque plus le passage d’un Pour ce qui concerne l’interprétation, il faut procéder à la manière d’un acupuncteur, en ce sens qu’il événement à l’autre. y a des points d’énergie à ne pas manquer pour que la mécanique parfaitement huilée de Mozart se révèle. Il y a en effet des moments de catharsis – ceux-là même que vous évoquez – qu’il faut amener par un processus de déclenchement en amont. Toute cette progression est évidemment structurée de Le choix des tessitures est intrinsèquement lié à la psychologie des personnages de même que les manière extrêmement consciente. Cet emballement des énergies a d’ailleurs toujours été utilisé de instruments choisis servent souvent à exprimer leur intériorité. On est loin de la musique purement manière formelle par Mozart. descriptive, n’est-ce-pas ? Il me semble que c’est le cas de tous les opéras mozartiens à partir de la période de maturité. Je dirais Le compositeur Ferruccio Busoni dit à propos de Mozart qu’« il dispose de la lumière et de l’ombre ; mais même que Don Giovanni est moins concerné par cet aspect que d’autres œuvres. Donna Elvira en sa lumière ne blesse pas et son obscurité montre encore des contours clairs », est-ce ce goût marqué pour constitue ici le meilleur témoignage. Il y a en effet des aspects de la sensibilité, de la personnalité le clair-obscur qui fait de vous un mozartien aussi convaincu que convainquant ? et de la complexité de ce personnage féminin qui sont révélés par le traitement de l’harmonie et par Pour commencer, je trouve cette citation très belle… Je me méfie cependant de la manière dont l’utilisation de la clarinette qu’une certaine tradition musicale avait tendance à déconsidérer. C’est, on réduit le langage et les inspirations de Mozart à de simples oppositions. Ce que dit Busoni est selon moi, le personnage le plus émouvant de l’opéra. Je suis notamment touché par la manière dont vrai, même s’il faut bien garder en tête les proportions du phénomène qu’il décrit… Je pense que elle respecte l’amour. Elle se résout au renoncement tout en respectant l’amour revêtu sous sa forme la Mozart est essentiellement habité par une lumière et par une empathie pour le genre humain. Il est plus paradoxale, celui de Don Giovanni. Par un effet miroir, la quête de Donna Elvira se voit magnifiée. le premier chantre de cet humanisme dans sa forme musicale. Or il utilise selon moi l’obscurité de manière pointilliste, comme de petites touches visant à révéler la lumière globale de son œuvre. J’ai pu Quel regard portez-vous sur Don Giovanni en tant que personnage et de quelle manière Mozart exprime-t-il notamment le remarquer dans sa musique concertante. Je préfère l’idée du petit nuage, échoué dans sa force dans l’écriture orchestrale ? un monde complètement solaire : si un assombrissement passager évoquant la souffrance humaine Ce n’est certainement pas le protagoniste musical, c’est le personnage dramatique par excellence. apparaît avec pudeur, il disparaît aussitôt pour parler d’espoir et d’humanité. D’un point de vue Mozart se sert de lui comme d’un déclencheur dramatique : Don Giovanni n’est autre que le révélateur pictural, c’est ainsi que Mozart procède, selon moi. des personnages qu’il rencontre, le fusible de leur humanité. Tout se joue et se situe dans la réaction des autres personnages à son égard. Dois-je comprendre qu’à l’inverse d’un créateur lumière qui travaille la lumière à partir du noir, Mozart travaillerait le noir à partir de la lumière ? Un peu comme Michel-Ange qui, loin de travailler sa sculpture ex Vous parlez de Don Giovanni comme d’un virus qui ébranle l’ordre établi… Le trouble qu’il sème n’est-il nihilo délivre, à l’aide de son marteau, la silhouette prisonnière à l’intérieur de la matière… pas un incomparable remède à l’ennui, tant pour les personnages qui croisent son chemin que pour nous, Oui, à la différence près que le noir n’existe pas chez Mozart et c’est cela qui, à mon sens, le rend le public ? unique. Cela rejoint la question précédente. En désorganisant et en déstructurant, Don Giovanni crée l’humanité autant qu’il suscite l’empathie ou le dégoût. C’est celui que l’on aime détester, ou encore Propos recueillis par Aurélie Barbuscia, avril 2017 celui qui repousse les limites que l’on n’ose affronter soi-même. L’attitude transgressive de Don Giovanni engendre la fascination des personnages au même titre que celle du spectateur. 12 13
Huit et demi, Federico Fellini, Collection Christophel © Cineriz / Francinex Avec l’aimable autorisation de la Collection Christophel / www.collectionchristophel.fr Vanessa Beecroft - vb67, 2010 - vb67.007.rk - studi nicoli, carrara, Italy © Vanessa Beecroft 2017 photo: Reinhold Kohl 14 15
un événement considérable. Molière parle très peu des femmes et s’acharne sur le Ciel, Mozart évite Photo © Pascal Victor ArtComArt la question de Dieu et il écrit l’air du catalogue. Ce qu’on retrouve dans la pièce comme dans l’opéra, c’est la force d’une déflagration, d’un coup de poing à l’inconscient, d’une démonstration sans résultat. Don Juan existe et meurt sous nos yeux, comme un phénomène qui n’aura jamais vraiment dit son nom et dont la vie et la mort ne sont accompagnées d’aucun commentaire, d’aucune morale, d’aucun message. Mettre en scène la radicalité du personnage, c’est, pour les deux artistes, l’occasion d’un geste politique plus ou moins masqué. Molière part au combat contre la censure qui lui a interdit de représenter Tartuffe et contre tous ceux qui se servent du nom de Dieu pour défendre leurs propres intérêts. Mozart et Da Ponte (avec un petit coup de main de Casanova), deux ans avant la prise de la Bastille, remettent dans la bouche de Masetto les accents révolutionnaires de Figaro et bouleversent les rapports de classe jusqu’à confondre dans la voix des paysans celle des aristocrates. À la fin de l’acte I, le message sans équivoque « Viva la libertà », qu’Elvira, Anna et Ottavio sont obligés de reprendre en chœur, est la signature d’un manifeste pour la liberté absolue et sous toutes ses formes. Dans les deux cas, il s’agit de mettre en lumière Don Giovanni comme un héros, un libre penseur qui remet en cause tous les dogmes établis ; comme un matérialiste pour qui la compréhension du monde relève uniquement de la raison, qui piétine toutes les formes du sacré (à commencer par le mariage) et qui refuse tous les pouvoirs en général et celui de la religion en particulier. La morale, l’honneur, le rang, la noblesse, le contrat social : tout y passe. C’est un homme insaisissable dans tous les sens du terme, qui fait de sa vie un hymne à la gloire du plaisir et de la jouissance, mais surtout un hors-la-loi qui n’aura pas été jugé par la justice des hommes et qui, toute proportion gardée, ne s’en tire pas si mal. Au moment de payer l’addition, Don Giovanni assume jusqu’au bout ce qu’il est. Devant la mort même, il garde la tête haute. Si la chair se désintègre, le reste a l’air d’aller toujours bien. Et le feu de l’enfer, s’il fait disparaître le corps, élève l’homme au rang de mythe et laisse raisonner le rire du monstre dans sa chute : « même quand j’aurai disparu, vous entendrez parler de moi ! Vous n’en n’aurez jamais fini ! » Pour les rois, les dévots, pour tous les ennemis de la liberté, le malaise est total. Les détracteurs de Molière diront à Louis XIV qu’une telle œuvre ne peut être signée que par la main du diable. Et puis le travail sur Molière m’a révélé deux choses importantes de l’opéra de Mozart : la place centrale du couple Le rire et l’effroi Don Giovanni-Leporello et le mélange des genres et des registres. De la même manière que Don Juan s’affranchit des règles de la société, Molière et Mozart s’affranchissent des règles de la dramaturgie Entretien avec Jean-François Sivadier, metteur en scène classique en passant, sans scrupules, d’une forme à l’autre. À l’image toute en rupture du personnage, l’opéra semble ne jamais vouloir se laisser apprivoiser totalement et c’est ce qui en fait son mystère Le désir demeure en nous comme un défi au monde même et sa force. Mozart et Da Ponte ne nous disent jamais ce qu’il faut croire, ce qu’il faut penser de ce qui lui dérobe infiniment son objet qu’on voit, de ce qu’on entend. Ils nous laissent dans le doute et s’amusent même à brouiller les pistes Georges Bataille avec un sous-titre imparable : dramma giocoso. Comme s’ils prévenaient d’emblée leur public : c’est à vous de décider dans chaque scène, si vous devez rire ou pleurer. Forts de l’admiration qu’ils ont À l’automne 2016, vous avez signé la mise en scène du Dom Juan de Molière. Qu’est-ce que cette pour Shakespeare, ils trouvent dans l’éclatement de la forme, dans la juxtaposition de la farce et de expérience vous apporte pour affronter la version lyrique du tandem Da Ponte/Mozart ? la tragédie ainsi que de la trivialité et de l’élégiaque, une dimension proprement shakespearienne. J’ai la même sensation que lorsque j’ai mis en scène Les Noces de Figaro après avoir monté la pièce de Comme chez Shakespeare, la fable – sa légèreté et sa profondeur, sa faculté à frapper directement Beaumarchais. La sensation que si la musique a parfois tendance à simplifier les choses, à enlever de l’inconscient tout en séduisant par sa limpidité – peut, dans le même temps, émerveiller un enfant de la complexité, elle a ce pouvoir incroyable de transcender immédiatement chaque situation, de révéler dix ans et faire la joie des philosophes et des psychanalystes. la part d’inconscient qui se cache dans les textes, et de donner aux œuvres une portée universelle. Don Giovanni ressemble à Dom Juan mais les deux œuvres sont vraiment différentes et la lecture de Molière Le mélange des genres, c’est aussi, dans ce « dramma giocoso », l’irruption du surnaturel... est évidemment essentielle pour aborder l’opéra de Mozart. C’est toujours éclairant de voir comment C’est même là sans doute que réside la tension principale de l’œuvre, ce qui en crée le suspense, la les auteurs se saisissent d’un mythe pour y mettre leurs obsessions, leurs idées politiques, pour tension entre le possible et l’impossible, le monde terrestre et l’au-delà, entre le corps brûlant de témoigner de leur rapport à l’art, de la façon dont ils veulent parler du monde à leurs contemporains. Don Giovanni et l’immobilité glacée de la pierre. Dès l’ouverture, Mozart annonce la couleur : en deux De découvrir les questions qui les intéressent et celles qu’ils vont laisser de côté. Par exemple, Molière accords de ré mineur sublimes et terrifiants, son héros est condamné. L’œuvre est un compte à rebours. n’a pas l’air de croire beaucoup à cette histoire de Commandeur et Mozart fait de l’entrée de la statue L’énergie vitale, furieuse de Don Giovanni est un défi à la mort qui est déjà en marche. Le Commandeur 16 17
va patienter deux heures trente avant de faire son entrée, dans un costume impossible pour faire un l’autre, que le valet exécute ce que le maître ordonne. Mais, quant à leur importance dans la partition, geste impossible. Don Juan, c’est aussi l’histoire d’un geste impossible : la poignée de main entre un les deux sont exactement au même niveau. Il n’y a pas une scène où le maître n’oblige le valet à être mortel et quelque chose (quelqu’un ?) envoyé de l’au-delà pour l’anéantir. Le mythe commence là, son témoin ou à parler à sa place, voire à jouer son rôle. Molière, en jouant lui-même Sganarelle, sait dans la rencontre fatale entre celui qui s’est fait un devoir de ne croire en rien, de rire de tout, et la qu’il se donne le rôle du porte-parole des spectateurs et que ce système lui permet de faire dialoguer seule chose capable de le confondre et de lui passer définitivement l’envie de rire. Mais qu’est-ce qui Dom Juan avec le public. Les protestations de Leporello, qui dit tout haut ce que les spectateurs est le plus effrayant ? La main de pierre du Commandeur ou la détermination de celui qui la saisit pensent tout bas, sont les marches qui permettent à son maître de monter de plus en plus haut dans la en souriant ? La statue qui condamne à mort ou l’homme qui refuse de s’abaisser au repentir pour provocation. Être, pour Don Giovanni, c’est d’abord être contre, et Leporello est celui qui dit toujours : soulager notre conscience ? Refuser la mort serait lui accorder trop d’importance. Face à l’adversaire « non ! » (avant de penser : « pourquoi pas ?! »), qui dit toujours : « je pars !» (avant de penser : suprême qu’il semble avoir cherché (ou fui) toute sa vie, Don Juan se paie le luxe d’un dernier coup de « je reste encore un peu pour voir ! »). La vraie question n’est pas : « qui est Don Giovanni ? », mais : théâtre. Il regarde la statue dans les yeux et saisit la main comme il signerait son œuvre, sans trembler, « quel est ce double personnage, Don Giovanni-Leporello ? » Parce qu’évidemment, Don Giovanni dans la joie de savoir que sa disparition soudaine laissera le public aussi désorienté que son valet et n’existe qu’accompagné de son absolu contraire. Aucun plaisir de faire le mal si ce n’est pas en public, tous ceux qui se voient voler leur vengeance terrestre par une puissance surnaturelle. La scène finale et le premier spectateur c’est Leporello. Leporello est celui sans qui Don Giovanni n’existe pas et est emblématique de cette confusion des registres et surtout d’une double tonalité qui parcourt l’œuvre inversement. Il y a entre eux une chose magnifique, une cohabitation improbable, l’hypothèse d’une du début à la fin. Devant la statue, on peut rire comme Don Giovanni ou trembler avec Leporello, ou les amitié, un contrat mystérieux et apparemment indestructible. Contraires, indissociables, engagés deux à la fois. Le rire et l’effroi. Pas l’un après l’autre mais simultanément et, dans chaque scène, on dans un voyage, un long dialogue. Une maïeutique réciproque où, entre la rhétorique parfaitement peut s’émouvoir de la douleur d’Elvira et rire en même temps des pitreries de Leporello. huilée du maître (entre sincérité et mauvaise foi absolue) et les balbutiements hasardeux du valet (entre sincérité et lâcheté absolue), chacun des deux passe son temps à accoucher l’autre de ce qu’il Comment pourriez-vous définir le personnage de Don Giovanni ? Et en quoi vous touche-t-il ? est. Don Giovanni réveille l’ambiguïté du valet qui ne choisit la vertu que parce que le vice est interdit ; Précisément le personnage ne supporte aucune définition et c’est pour ça qu’il fascine autant. Ce Leporello attise la détermination du maître et révèle les failles d’un discours qui prône la liberté mais serait même décevant de lui inventer des raisons d’être ce qu’il est. Cette absence d’identité oblige le qui ne prêche que pour sa paroisse. Leporello ne sert à rien, c’est ce qui rend sa présence si nécessaire. spectateur à interpréter les paroles et les actes d’un inconnu qui passe deux heures trente sur scène sans Il s’est taillé le rôle en or de celui qui est juste à côté du diable qu’il déteste et admire profondément. jamais prendre la peine de se dévoiler, de chanter un air qui nous dirait, un tant soit peu, ce qu’il est Le couple s’épaule, comme deux voyous, deux sales types dans une série de mauvais coups. Le valet suit profondément. C’est qu’avant d’être un personnage, Don Giovanni est un espace de projection ouvert à son maître qui accumule les provocations et proteste, tout en profitant sans scrupule de son courage et toutes les interprétations possibles ; un corps en action qui se laisse uniquement définir par le regard des de son argent pour goûter les délices du vice, de la violence gratuite, de la dépravation, du théâtre, du autres ; un visage comme une page blanche où l’on pourrait reconnaître à la fois Valmont ou le Marquis corps d’Elvira, de celui des paysannes, de tout ce qui est interdit. de Sade, Richard III ou le Chérubin des Noces de Figaro qui aurait mal tourné. À la fin, en le voyant disparaître, il est impossible de savoir si l’on se sent soulagé ou orphelin, délivré ou abandonné, trahi ou Vous dites que le héros est déjà condamné dès les premières mesures. Dans ce compte à rebours, vengé. Impossible de savoir si on a adoré le libérateur, l’émancipateur (le précurseur des Lumières ?), comment Mozart et Da Ponte organisent-ils le récit ? le séducteur, la tête brûlée qui s’est fait une religion de son désir et de sa liberté. Impossible de savoir si Une phrase de Genet pourrait résumer à elle seule Don Giovanni : « Le plateau est un lieu proche de la mort on a détesté le petit marquis égocentrique, le misogyne, le parasite social, le meurtrier irresponsable qui où toutes les libertés sont possibles. ». Le théâtre, la mort, la liberté : trois mots qui pourraient donner à n’a jamais hésité à détruire tout ce qui l’empêchait d’avancer. C’est à cet impossible que Mozart choisit l’œuvre son centre de gravité. Dans le sursis, la liberté que lui laisse cette mort inéluctable et sans cesse de nous confronter en faisant de nous les jurés d’un procès qui n’a pas lieu ; en nous donnant le choix différée, Don Giovanni n’a rien d’autre à faire que du théâtre. Divertir pour se divertir. S’inventer des d’acquitter ou de condamner celui qui, avec un pouvoir de destruction extraordinaire, tout en ne parlant obstacles, des situations impossibles où il est sûr de devoir mouiller sa chemise. Des histoires pour que d’amour et de désir, nous aura, dans le même temps, séduits et scandalisés. La définition la plus épuiser le monde et s’épuiser lui-même pour se sentir vivant. Là où il n’y a aucun risque, il n’y a aucun précise que je pourrais donner aujourd’hui de Don Giovanni, celle qui me touche le plus, c’est que c’est plaisir ; là où rien ne résiste, il s’ennuie ; dans l’immobilité, il perd son équilibre. En faisant de lui un un acteur, un chanteur en l’occurrence ! Un homme capable d’être tout et son contraire ; capable d’être as de l’improvisation, Mozart et Da Ponte explosent d’emblée toute véritable possibilité de scénario. tout ce qu’on projette sur lui et sans cesse réinventé par le regard des autres ; un artiste en sursis qui va L’action, dans Don Giovanni, n’avance pas en ligne droite, elle tourne sur elle-même, dans une montée jouer sa vie sur scène jusqu’à ce que la mort lui dise : « fini de jouer ! » ; un drogué du désir, désirant, en puissance de l’ivresse, un mouvement aléatoire dessiné par l’instantané, l’esquisse et la déviation. désiré, poursuivant, poursuivi, d’une instabilité quasi pathologique, qui a moins le désir de séduire que celui d’être constamment ravi à lui-même par tout ce qui peut l’empêcher de se fixer quelque part. Cette impression de vertige vient aussi de la multiplicité des espaces, de cette façon de passer, d’une C’est un poète qui veut embrasser le monde et dont le regard clair, franc, direct est un défi à ceux qui scène à l’autre, d’un lieu à un autre. prétendent le juger, comme s’il nous disait droit dans les yeux à chaque seconde : « j’aime tout le monde Comme chez Shakespeare, l’espace et le temps ne s’embarrassent d’aucun réalisme, les décors mais je n’écoute que mon désir. Je n’ai aucun problème avec personne. Si vous avez un problème avec suggérés par Da Ponte n’ont pas de véritable incidence sur l’action. Tout pourrait se passer en huit moi, posez-vous des questions sur vous-mêmes ! » jours ou le temps d’une nuit, dans une ville ou un palais labyrinthique. En revanche, le livret et la musique ne cessent de mettre en scène le surgissement, la disparition, l’interruption, dans une danse Vous parliez de la place centrale du couple Don Giovanni-Leporello... générale où le rythme de chacun vient sans cesse contredire celui des autres. Tout cela peut suggérer C’est une chose qu’on ne remarque pas immédiatement si on imagine qu’un des deux a un ascendant sur un espace exposé, une arène, un ring, une piste de cirque, la scène d’un théâtre où l’on peut entrer 18 19
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