Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement

 
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Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
Déboires d’un confinement
                                                                                                                            ‘‘ Soit nous mourrons,
                                                                                                                        soit c’est le pays qui mourra ’’

                                                                                                                               RÉALITÉS
                                                                                                                                                               www.realites.com.tn

                                                                                                                               Hebdomadaire indépendant fondé en 1979                N° 1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Prix - Tunisie : 3,200 DT - Algérie : 120 DA - Maroc : 20 D H - Zone CFA : 1500 FCFA - France : 2,5 € - Suisse : 6 FS

                                                                                                                             Entre la peste et le choléra

                                                                                                                         Même Saint Louis
                                                                                                                         n’y échappa pas
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
RÉALITÉS  HEBDOMADAIRE INDEPENDANT
                  PARAISSANT LE JEUDI
      34, Rue Abdelaâziz Thaâlbi - 1013 El Menzeh 9
       Tél: 70.860.733 -70.860.724 - Fax:70.860.666
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              Site Web : www.realites.com.tn
                                                                                                                                                                                                                              Sommaire
                                                                                                                                                                                       Déboires d’un confinement
                                                                                                                                                                                                                                                                                               Entre la peste et le choléra
        DIRECTEUR DE LA PUBLICATION                                                                                                                                                  ‘‘ Soit nous mourrons,
                   Taïeb Zahar
                                                                                                                                                                                 soit c’est le pays qui mourra ’’                                                                              Même Saint Louis n’y échappa pas
           taieb.zahar@realites.com.tn

                                                                                                                                                                                        RÉALITÉS
                                                                                                                                                                                                                         www.realites.com.tn

                                                                                                                                                                                                                                                                                               Tout au long de son histoire, la
                                                                                                                                                                                                                                                                                               Tunisie a traversé des crises
                                                                                                                                                                                         Hebdomadaire indépendant fondé en 1979                N° 1789 - Du 10 au 16 avril 2020

              REDACTEUR EN CHEF
                Faouzi Bouzaiene                                                                                                                                                                                                                                                               sanitaires graves dont certains

                                                         Prix - Tunisie : 3,200 DT - Algérie : 120 DA - Maroc : 20 D H - Zone CFA : 1500 FCFA - France : 2,5 € - Suisse : 6 FS
              bechirf2003@gmail.com                                                                                                                                                                                                                                                            de nos historiens ont rapporté
Rédacteur en chef adjoint :
                                                                                                                                                                                                                                                                                               les effets ravageurs. C’est en
Ridha Lahmar                                                                                                                                                                                                                                                                                   me replongeant dans les vo-
ridha.lahmar@yahoo.fr                                                                                                                                                                                                                                                                          lumes de l’ouvrage « Ithaf Ahl El
Rédacteur en chef adjoint
                                                                                                                                                                                                                                                                                               Zaman Bi Moulouk Tounes we
Secrétaire général de la rédaction :                                                                                                                                                                                                                                                           Ahd El Aman » que j’ai pu, grâce
Mohamed Ali Ben Sghaïer                                                                                                                                                                                                                                                                        à son auteur, me rendre compte
bensghaiermohamedali@gmail.com
                                                                                                                                                                                       Entre la peste et le choléra                                                                            qu’entre la peste et le choléra,
Conseillers :
Hakim Ben Hammouda - Sami Mahbouli                                                                                                                                                 Même Saint Louis                                                                                            nos ancêtres n’ont jamais eu à
                                                                                                                                                                                                                                                                                               choisir puisqu’ils subirent les
                                                                                                                                                                                   n’y échappa pas                                                                                             deux fléaux.
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                   14
                     REDACTION

                    * Politique                                                                                                                                                  ACTUEL
Yasmine Arabi - Hatem Bourial -
Fayçal Chérif                                                                                                                                                                    Déboires d’un confinement
                                                                                                                                                                                                                                                                                                                              P6
                       * Société                                                                                                                                                 « Soit nous mourrons,
Khalil Zamiti - Yasser Maârouf -
Dr. Samira Rekik (Santé)
                                                                                                                                                                                 soit c’est le pays qui mourra »                                                                                       6

         * Economie et entreprises :                                                                                                                                             Face au coronavirus
Mohamed Ben Naceur - Alaya Becheikh -
Samy Chambeh - Nizar Mouelhi
                                                                                                                                                                                 Un effort national dans la cohérence                                                                                 10

                     * Magazine :
Nadia Ayadi - Dr. Ali Menjour - Alix Martin -                                                                                                                                                                                                                                     P20
Hédi Alouini

Iconographie : Lamine Farhat                                                                                                                                                                                                                                                                  Coronavirus
Suppléments : Amel Ben Naceur
                                                                                                                                                                                                                                                                                              Quel ressenti sociétal ?             20

            SERVICE TECHNIQUE :                                                                                                                                                                                                                                                               Coronavirus et ramadan
Responsable Technique : Issam Gharsalli
Infographistes : Houda Rezgui - Hajer Charchoufi-
Fatma Soltani
                                                                                                                                                                                                                                                                                              Le masque ne nous protégera pas!     22

                     “REALITES”
                                                                                                                                                                                 ECONOMIE
                     est édité par
              MAGHREB MEDIA
                                                                                                                                                                                  Plan de relance
                                                                                                                                                                                                                                                                                                P24
              au capital de 140.000 DT

Président du Conseil d’Administration :                                                                                                                                           Les contraintes
Taïeb Zahar                                                                                                                                                                       et les possibilités                                                                                   24
Directeur Général : Imed Mouaffak
Directeur Conseiller : Sofiène Mouaffak
Responsable Communication et Marketing :                                                                                                                                          Ne pas diaboliser le secteur
Amel Ben Naceur                                                                                                                                                                   privé                        28
Tél: 70.860.733 -70.860.724 - Fax:70.860.666
Directeur administratif et financier :
Mohamed Ali Trabelsi
Relations publiques : Khouloud Chebbi                                                                                                                                                                                                                                                                   MAGAZINE
Reportages régionaux :
Mohamed Larbi Ben Othman
                                                                                                                                                                                 P36
Recouvrement : Hamdi Sebaï - Tél.: 70.860.707
Service Abonnements : Sarra Znegui
Service Commercial : Sami Ouni                                                                                                                                                                                                                                                               Avons-nous perdu notre
Tél.: 70.860.733 -70.860.724                                                                                                                                                                                                                                                                 africanité ?                          36
Secrétariat : Mounira N’hidi
Diffusion: Nourreddine Madfaï                                                                                                                                                                                                                                                            Jeunes enfants
Pré-presse : MAGHREB MEDIA-Tél.: 70.860.733
                                                                                                                                                                                                                                                                                             Le drame silencieux des écrans        38
  Impression: Imprimerie Maghreb Editions
  15, Bis Rue 8602 - Zone Industrielle - La Charguia I                                                                                                                                                                                                                              Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 3
   Tél.: 71.772.216 - 71.773.371 - Fax.: 71.799.266
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
L'Edito

                           L’exemple asiatique
                                                                                                  Par Faouzi Bouzaiene

                      I
                           nconscients, insoucieux des risques de         n’a jamais été une forme d’oppression. Les
                           contamination qu’ils peuvent causer au-        Chinois, les Sud-coréens et les Japonais l’ont
                           tour d’eux, ils sèment la mort là où ils       démontré : l’éducation peut aider à surmonter
                      passent, peut-être sans s’en rendre compte. La      les crises, à aplanir les difficultés.
                      question du non-respect du confinement s’est        Certes, rien ne vaut la liberté de parole, d’opi-
                      posée dans nombre de pays, notamment en             nion, de conscience, de mouvement, mais
                      France. En Tunisie, elle est en passe de provo-     sans garde-fous, cette liberté est menacée.
                      quer l’irréparable. Pourtant, cela ne demande       Parmi ces garde-fous, un degré de maturité
                      qu’une quatorzaine de jours en isolement, la        suffisant qui impose le respect de la liberté
                      distanciation sociale et le lavage fréquent des     d’autrui et des lois en vigueur. Est-ce notre
                      mains, pour éviter le pire aux Tunisiens. Est-      cas aujourd’hui ? Il faut en douter. Le mi-
                      ce si difficile de se conformer à ces trois pe-     nistre de la Santé, sidéré, n’a pu retenir ses
                      tites règles, alors que l’intégrité de sa propre    larmes par sentiment d’impuissance devant
                      vie et celle de ses proches en dépendent ? Les      l’irrespect de certains à l’égard des consignes
                      Chinois l’ont fait et ils ont réussi : Wuhan        de confinement et a averti les Tunisiens des
                      est aujourd’hui déconfinée, rouverte. Ses 11        dangers qu’ils encourent suite à ce comporte-
                      millions d’habitants ont repris le travail et       ment irresponsable. Mais il a en même temps
                      leurs habitudes, avec masques et restrictions       démontré la faiblesse de l’Etat et son impuis-
                      d’usage à cause des revenants de l’étranger         sance à faire respecter son autorité quand les
                      qui menacent de déclencher une deuxième             garde-fous n’existent pas.
                      vague de contaminations. Les Coréens du sud         Un effort national incommensurable est en
                      aussi ont réussi. Ils sont un exemple de sortie     train d’être consenti pour sortir de la pandé-
                      de crise sans même avoir eu recours au dé-          mie avec le minimum de dégâts. Certains ne
                      confinement. Ils ont impressionné le monde          semblent pas en être conscients et menacent
                      entier. Les Japonais, c’est pareil. Ces trois       de tout détruire. Il incombe à tous les Tuni-
                      pays asiatiques nous ont donné une leçon de         siens, sans exclusive, d’y faire front et d’agir
                      civisme, de discipline, de correction, de res-      pour le bien de tous, en dénonçant les dépasse-
                      pect de l’intérêt général, de grande éducation.     ments et en renforçant la prise de conscience
                      Au risque de froisser les convictions de cer-       dans leur entourage. Le ministre de l’Intérieur
                      tains, le régime dit autoritaire chinois a réussi   s’est finalement décidé à passer aux sanctions
                      ce que les grandes démocraties ont raté : évi-      pénales contre les contrevenants, on espère
                      ter la mort de milliers de gens, alors que leur     que cette fois, ce n’est pas qu’un effet d’an-
                      survie dépendait du respect des règles déci-        nonce. Tous les pays qui ont été confrontés
                      dées par les autorités et les instances concer-     à ce genre de laxisme et de « rébellion » ont
                      nées. La discipline, le civisme, le respect de      décidé de durcir les sanctions, le but étant
                      son prochain sont des valeurs inscrites dans        de sauver les vies humaines et de réduire la
                      notre culture, dans notre éducation. Pourquoi       période de confinement qui tuera l’économie
                      sont-elles prohibées, réfutées, diabolisées         et des vies humaines également. Le modèle
                      dans le contexte actuel de démocratie et de         asiatique basé sur la discipline nous siérait
                      libertés que nous vivons ?                          bien aussi; il aurait déjà évité l’enfermement
                      La discipline est la qualité des gens bien          de tout un peuple à cause d’une poignée d’in-
                      éduquées. Jadis, celle des aristocrates. Elle       conscients et d’entêtés. n

4 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
En couverture

Déboires d’un confinement
« Soit nous mourrons,
soit c’est le pays qui mourra »                                                                             Par Yasmine Arabi

                 Tout aurait pu être différent, moins dramatique, moins compromettant, sans
                 l’indifférence, l’égocentrisme et, dans certains cas, la volonté de nuire, venant
                 de certains compatriotes, testés Covid+, placés en isolement forcé, mais qui ne
                 respectent pas les règles du confinement. A croire que la vie vaut moins qu’une
                 quatorzaine dans son logis.

                      L
                             es premiers cas de corona étaient importés       faire face au virus et à sa propagation. En Tunisie,
                             d’Italie, de France, d’Egypte, de Turquie. A     l’inquiétude des officiels augmente. Le non-res-
                             présent, ils sont bel et bien tunisiens, et la   pect du confinement laisse présager de lendemains
                      contamination transmise horizontalement poursuit        apocalyptiques. Les autorités sanitaires sont ter-
                      son chemin. Aux dernières estimations, on se rap-       rifiées à l’idée que la courbe épidémiologique
                      proche inexorablement du millier de cas confirmés       dépasse le seuil de tolérance des CHU publics.
                      et d’une trentaine de décès. Rien d’alarmant, en        « Ce serait catastrophique, nous n’avons pas les
                      apparence, par comparaison aux voisins du sud de        moyens d’y faire face, nous serons dépassés »,
                      la Méditerranée et à d’autres pays, mais la Tunisie     affirmait, ému, Abdellatif Mekki, ministre de la
                      n’est pas la France, ni l’Italie, ni l’Espagne, trois   Santé au cours d’une conférence de presse, mardi
                      puissances économiques où les grands moyens             dernier. C’est un scénario que les pouvoirs publics
                      nationaux et autres européens sont déployés pour        ont tout fait pour éviter, notamment en gérant la

6 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
période de crise sanitaire mondiale, au moment
                                                                             où les forces armées et sécuritaires sont mobili-
                                                                             sées pour mettre à exécution la stratégie nationale
                                                                             de défense et de prévention contre le coronavirus
                                                                             qui, aux dernières nouvelles, a tué plus de 80
                                                                             mille personnes à travers le monde. Selon ces of-
                                                                             ficiels, des éléments suspects se seraient même
                                                                             mêlés aux foules qui se sont agglutinées devant
                                                                             les bureaux de poste pour retirer l’aide financière
                                                                             de 200 dinars octroyée par l’Etat dans le cadre
                                                                             des mesures sociales décidées pour porter assis-
                                                                             tance aux plus démunis. D’autres auraient incité
                                                                             ou aidé des personnes malades, testées Covid+,
                                                                             à quitter clandestinement des zones déclarées
                                                                             foyer épidémique (Ile de Djerba) pour se rendre
                                                                             dans d’autres zones moins infectées (Médenine).
                                                                             « C’est un crime », déclare Abdellatif Mekki,
                                                                             avouant sa crainte que l’indiscipline de certains
                                                                             citoyens détruise tout ce qui a été accompli et
                                                                             voue à l’échec les sacrifices inestimables des
                                                                             personnels soignants qui défient la mort chaque
                                                                             instant au prix de leur propre vie. Pour le ministre
                                                                             de l’Intérieur, « la situation est grave » et il parle
                                                                             d’endurcissement des mesures de confinement,
                                                                             dans le cas où les rues ne désempliraient pas. Il
                                                                             annonce, enfin, que l’indiscipline sera désormais
                                                                             sévèrement réprimée par la force de la loi, mettant
                                                                             ainsi fin (espérons-le!) au laxisme de l’Etat face
                                                                             aux infractions quotidiennes au confinement et
                                                                             aux dépassements de toutes sortes. Il est, en effet,
                                                                             regrettable, voire condamnable, que le pays et la
                                                                             majorité des Tunisiens soient placés en confine-
                                                                             ment indéterminé, payant ainsi lourdement, au
crise sanitaire par anticipation, par prévention, en                         prix de leur liberté et de leur gagne-pain, la faute
prenant des mesures draconiennes avant terme.                                d’une poignée d’indisciplinés prêts à mettre en
Mais cela semble insuffisant, voire même ineffi-                             péril la vie des autres, sans s’en soucier. Peut-être

                                                        “
cace, eu égard aux graves dépassements commis                                certains d’entre eux le font-ils sciemment, du fait
                                                                             que des théologiens s’accordent à dire que dans la
par certains patients ou porteurs du virus en infrac-   En attendant, les
tion aux mesures de confinement, unique mesure                               religion musulmane, toute personne décédée des
                                                        hommages et les      suites d’une épidémie est un martyr. Cela pour-
préventive actuelle. Or, cette mesure n’est pas         honneurs vont
respectée, mettant en péril la vie de tout un peuple                         rait en effet donner des idées à ceux qui veulent
et la pérennité même de l’Etat, et les autorités sé-    aux personnels       mourir en martyr et sans avoir recours aux armes!
curitaires impuissantes font face à l’indiscipline      soignants, ces
et à l’entêtement des fauteurs de trouble. « Soit       soldats aux          La bourse ou la vie
nous mourrons, soit c’est le pays qui mourra »,         blouses blanches,    Les clichés qui ont fait le tour des réseaux so-
lâche le ministre de la Santé à qui veut bien l’en-                          ciaux suscitent la consternation et la honte. Des
                                                        une armée au
tendre. Le pays mourra quand l’économie aura                                 hommes, des femmes, des vieillards, des enfants,
                                                        front sanitaire      en haillons, agglutinés les uns sur les autres, s’ar-
été anéantie, quand la famine se sera installée et
quand l’insécurité et l’anarchie auront confisqué       qu’il convient       rachant des sacs de semoule acheminés par des ca-
les institutions de l’Etat et le pouvoir. Abdellatif    de protéger et       mions de l’armée. Difficile de croire qu’on est en
Mekki, qui a pleuré en public, et ses plus proches      de respecter         Tunisie. Le spectacle est indigne du petit pays qui
collaborateurs, qui ont lâché leur colère en public,    en veillant à ce     a su surpasser ses carences naturelles et bâtir un
ont peur. Ils craignent quelque chose de grave,                              Etat moderne, économiquement viable, puis une
                                                        que la courbe        difficile transition démocratique, grâce à son seul
qu’ils taisent, sans doute pour ne pas déclencher
la panique. Mais le fait est là : de réelles menaces    épidémiologique      capital humain, à ses ressources en matière grise.
pèsent simultanément sur la vie des Tunisiens et        soit au moins “      La pauvreté est une réalité, elle est relative et elle
sur la stabilité du pays. Des attentats terroristes     stabilisée.          existe depuis la nuit des temps et partout, les pays
viennent d’être déjoués, des mouvements sus-                                 riches et industrialisés n’en sont pas exempts, ni
pects sont signalés dans les hauteurs des zones à                            les démocraties. Mais il existe aussi une pauvreté
risque et deux éléments terroristes ont été éliminés                         digne, sereine, patiente. Pourquoi celle-ci est-elle
ces derniers jours par les forces sécuritaires. Mais                         si laide, si humiliante? Il est évident d’en faire
encore: des officiels ont reconnu l’existence de                             assumer la responsabilité au gouvernement qui,
tentatives de déstabilisation de la Tunisie en cette                         fraîchement installé dans ses quartiers, n’a pas

                                                                            Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 7
Même Saint Louis n'y échappa pas - RÉALITÉS '' Soit nous mourrons, Déboires d'un confinement
En couverture

Abdellatif Mekki :
« Ce serait catastro-
phique, nous n’avons
pas les moyens d’y
faire face, nous serons
dépassés ». Ici, lors
d’une conférence de
presse conjointe avec
le ministre de l’Intérieur
Hichem Mechichi qui
considère que « la
situation est grave »

su anticiper les mouvements de foule et n’a pas                                       de poste ne craignent pas le Coronavirus autant
procédé à l’organisation de cette opération de                                        que le dénuement, ne se soucient pas des me-
distribution des aides financières. Alors que l’ad-                                   sures de confinement quand il faut aller chercher
ministration publique s’y connaît bien pour avoir                                     de quoi se nourrir et encore moins des risques
acquis des décennies d’expérience dans l’organi-                                      de transmission du virus. Pour ces hommes et
sation de la solidarité nationale. Par ailleurs, la                                   ces femmes, c’est la bourse ou la vie. En dépit
base de ce gouvernement est composée de partis                                        de quelques erreurs organisationnelles, le gou-
politiques censés avoir visité toutes les régions,                                    vernement Fakhfakh a fait bonne figure face à
toutes les localités et jaugé le degré de précarité                                   la pandémie, jusqu’à présent. A l’instar de tous
et d’impatience des populations locales. Il n’en                                      les autres pays, riches et moins nantis, et en dépit
est rien. Sauf que la faute est partagée. Les per-                                    du lourd endettement public, les mesures sociales
sonnes qui se sont amassées devant les bureaux                                        et économiques qui s’imposent, ou du moins les
                                                                                      plus urgentes, ont été prises. Mais il faut tout de
                                                                                      même souhaiter que le déconfinement commence
                                                                                      le plus tôt possible et que la vie reprenne petit à
                                                                                      petit son cours afin de stopper à temps la vague de
                                                                                      contestations sociales qui enfle inexorablement.
                                                                                      En attendant, les hommages et les honneurs
                                                                                      vont aux personnels soignants, ces soldats aux
                                                                                      blouses blanches, une armée au front sanitaire
                                                                                      qu’il convient de protéger et de respecter en veil-
                                                                                      lant à ce que la courbe épidémiologique soit au
                                                                                      moins stabilisée. Car en l’absence d’un vaccin,
                                                                                      qui débarrasserait l’humanité de ce virus mortel
                                                                                      à grande échelle, aucun pays n’est en mesure de
                                                                                      prévoir la fin de ce cauchemar, ni comment il
                                                                                      pourrait mettre fin au confinement et rouvrir la
                                                                                      voie à une vie normale. Une vie normale? Même
                                                                                      pas. Tant que le vaccin n’aura pas vu le jour, le
                                                                                      virus persistera et continuera de se transmettre
                    C’est la bourse ou la vie pour cette catégorie de Tunisiens qui   d’une personne à une autre et de menacer la vie
                        ne craignent pas le Coronavirus autant que le dénuement       de millions d’individus. n

8 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
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En couverture

Face au coronavirus

Un effort national dans la cohérence                                                                          Par Hatem Bourial

                   Engagés dans un effort national face à l’épidémie du coronavirus, les Tunisiens
                   se montrent solidaires. Malgré quelques couacs, les décisions prises par les
                   pouvoirs publics se concrétisent sur le terrain alors que le confinement est
                   globalement respecté.
                   Des ajustements restent nécessaires toutefois. Ils vont de la clarification de
                   certaines mesures d’accompagnement aux entreprises à l’ébauche d’un schéma
                   de sortie de crise.
                   En attendant, la solidarité se traduit partout avec de nombreuses initiatives à tous
                   les niveaux, une réponse convaincante des gouvernants et une mobilisation à
                   tous les étages de société. Ce sont là des indices de bonne santé de la société
                   tunisienne qui, confrontée au péril sanitaire, a su trouver les ressorts de la riposte.

L
       a vague de solidarité qui accompagne la       Réactivité des pouvoirs publics et discipline
       mobilisation générale face à l’épidémie
       du coronavirus se caractérise par un souci    grandissante des citoyens
d’efficacité perceptible à tous les niveaux de la    Globalement, la solidarité a investi tous les ter-
société tunisienne. Les premières illustrations de   rains. Bien sûr, ici et là, des écarts ont été consta-
cet élan ont commencé de manière diffuse et ont      tés en ce qui concerne le respect des quarantaines
concerné aussi bien la sphère politique que la so-   ou du confinement. De même, dans certains cas,
ciété civile. Plusieurs mécanismes ont été mis en    l’acheminement des produits de première nécessi-
place à tous les niveaux et se déploient avec plus   té a connu quelques épisodes scabreux. A chaque
ou moins de bonheur, depuis les semaines qui ont     fois, les solutions ont été rapidement trouvées et
vu surgir cette menace sanitaire.                    la parade a été vite mise en place. Que ce soit en

10 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
ce qui concerne la gestion des stocks, notamment
de farine, ou encore le respect des directives des
pouvoirs publics, le recours a toujours été trouvé,
associant réactivité des pouvoirs publics et disci-
pline grandissante des citoyens.
Toutefois, les motifs d’inquiétude demeurent en-
tiers. Comment ne pas se poser de questions à
la vue d’un ministre de la Santé, en larmes, qui
supplie la population de respecter le confinement,
sans quoi tous les efforts des dernières semaines
seraient anéantis? Comment ne pas prendre au sé-       Le président de la République aidant
rieux les injonctions du ministre de l’Intérieur qui   au transport de cartons contenant les
s’est voulu martial en insistant sur le respect des    aides à la population. Un geste qui a
règles du confinement? Et comment ne pas réagir        marqué les esprits
aux gestes récents du président de la République
participant à la distribution des aides sociales?                                  La dimension territoriale nécessite
Comme on a pu le voir ces derniers jours, si la                                    des ajustements
vague de fond est nettement solidaire, les accrocs                                 Sur un autre plan, l’aide sociale promise par le
ne manquent pas et soulignent autant un manque                                     gouvernement a été rapidement mise à la dispo-
de prudence des citoyens que certaines improvi-                                    sition du public grâce au ministère des Affaires
sations et approximations émanant des pouvoirs                                     sociales. Toutefois, le désordre et le manque de
publics.                                                                           prévoyance étaient au rendez-vous. Des grappes
Tous les observateurs ont ainsi relevé le positif et                               humaines, sans aucun respect pour les distancia-
ce qui l’est moins. La complexité et l’urgence de                                  tions sociales préconisées, se sont formées devant
la situation impliquent que les choses se fassent                                  les bureaux de poste ou les délégations. Avec des
rapidement, que les décisions soient prises et                                     débordements plus que prévisibles. Dans ce cas
parfois corrigées dans la foulée. Ainsi, le Chef
du gouvernement a participé à mettre en mou-
vement toutes les synergies possibles et engagé
                                                       “
                                                       Les pouvoirs
                                                       publics ont
                                                                                   précis, les modalités d’acheminement ont été mal
                                                                                   conçues et que ce soit pour un mandat ou pour
                                                                                   quelques kilos de farine, le désordre et les bous-
le combat contre le coronavirus. Après les inter-                                  culades étaient à déplorer. Rapidement, les choses
ventions télévisées d’Elyes Fakhfakh qui a dé-         ainsi le devoir             ont été recadrées grâce entre autres au soutien lo-
taillé les projets gouvernementaux, nous avons         de rassurer et              gistique de l’armée nationale et à un sursaut de
vu les premières concrétisations sur le terrain.       aussi placer les            discipline des bénéficiaires. Entre-temps, des dé-
En amont, le président de la République avait          dynamiques de               légués auront été limogés et des écarts constatés
auparavant tracé le cadre général des ripostes         soutien dans                dans plusieurs régions. Ces écarts peuvent aller
publiques. Même si les discours successifs des                                     de l’exfiltration de personnes confinées jusqu’à la
                                                       une perspective
deux têtes de l’Exécutif ont été diversement ap-                                   mauvaise gestion des aides gouvernementales. Il
préciés, la méthode y était et l’emboîtement des       à moyen terme.              n’en reste pas moins que ces accrocs ne sont pas
attributions se faisait dans la cohérence des ins-     La visibilité               la règle.
titutions.                                             est aujourd’hui             Des efforts sont en effet perceptibles à tous les
S’ils ont toute leur importance, ces aspects for-      amoindrie                   niveaux. Par exemple, l’effet de foule est désor-
mels ne sont pas tout. En effet, ils indiquent le      pour beaucoup               mais régulé grâce à des salles d’attente formées
bon fonctionnement démocratique mais peuvent                                       avec des chaises en plein air, disposées de façon à
être concrétisés de manière bancale. Les inten-        d’entreprises qui           ce que les distances de sécurité soient respectées.
tions de soutenir les entreprises sont bien là,        craignent des               De même, les mairies font un effort remarquable
mais elles restent encore floues et nécessitent        déséquilibres               pour agir dans la proximité des citoyens les plus
une explication de texte. Fragilisées, beaucoup        durables et un              vulnérables. Tous les arrondissements munici-
d’entreprises redoutent les mois à venir et leurs      alourdissement              paux sont mobilisés et les secteurs ruraux sont
difficultés sont évidentes. Les pouvoirs publics                          “        également dans la boucle solidaire. Cette dimen-
                                                       des ponctions
ont ainsi le devoir de rassurer et aussi placer                                    sion territoriale est importante dans la gestion de
les dynamiques de soutien dans une perspec-            fiscales.                    la situation actuelle. Elle souligne en effet que la
tive à moyen terme. La visibilité est aujourd’hui                                  réaction du tissu social est diffuse et globale. Elle
amoindrie pour beaucoup d’entreprises qui                                          induit aussi que les mesures prises par le gou-
craignent des déséquilibres durables et un alour-                                  vernement sont relayées efficacement. Bien sûr,
dissement des ponctions fiscales. La réponse                                       ces mesures sont plurielles et, pour employer une
solidaire des pouvoirs publics n’en est qu’à ses                                   métaphore, se répartissent entre petite artillerie et
débuts et nous avons assisté ces derniers jours                                    armes lourdes pour contrer l’épidémie.
à la mise en place des mesures d’accompagne-
ment des entreprises impactées. Des plateformes                                    Une mobilisation efficace et des gestes
numériques sont en train de rassembler les de-
mandes de compensation des commerçants et
                                                                                   symboliques
                                                                                   Dès les premières heures de la crise, un fonds
recenser les structures les plus lourdement im-
                                                                                   a été créé pour recueillir les donations et, en
pactées par l’épidémie.
                                                                                   quelques semaines, des sommes conséquentes

                                                                                 Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 11
Actuel

ont été rassemblées. L’exemple venait d’en haut
et nous avons vu le président de la République
remettre la moitié de son salaire à ce fonds dont
il avait pris l’initiative de la création. Des res-
ponsables politiques, de grandes entreprises,
ainsi que des diplomates en poste ont également
contribué à ce fonds qui poursuit son action. Mo-
bilisant plusieurs millions de dinars, les mesures
gouvernementales commencent à se concrétiser
et, par ricochet, favorisent aussi l’état d’esprit so-
lidaire. Nous avons vu par exemple des hôteliers
mettre à la disposition des pouvoirs publics leurs
bâtiments comme nous avons constaté la disponi-          Société civile et autorités   du territoire et à la dissémination des bonnes vo-
bilité des cliniques privées à participer à l’effort     locales se sont mobilisées    lontés. Pour citer un exemple, durant les premiers
                                                         pour gérer la situation
national. Le personnel de la santé publique a pour                                     jours de confinement, les scouts tunisiens ont été
sa part connu une mobilisation salutaire, malgré                                       à l’origine de plus de 6000 actions de terrain.
les limites objectives de l’infrastructure. Dans ce
domaine, les lits hospitaliers sont mis à la dispo-                                    Entre impératif de vigilance et devoir
sition du public, y compris dans des lieux inatten-
dus. Ainsi, la Coupole d’El Menzah et d’autres
                                                                                       de solidarité
                                                                                       L’importance de cette kyrielle d’actions parfois
espaces sont désormais mobilisés pour les enjeux
                                                                                       minuscules, c’est qu’elle offre plus de latitude
de santé publique.
                                                                                       aux pouvoirs publics qui ont fort à faire avec
Beaucoup de gestes resteront dans les mémoires.
                                                                                       les grands équilibres macroéconomiques. Ce ca-
Kaïs Saïed mettant la main à la pâte, en aidant
                                                                                       ractère diffus de la riposte contre le coronavirus
au transport de cartons contenant les aides à la
                                                                                       apporte une intensité supplémentaire à l’effort

                                                          “
population, a marqué les esprits. On lui repro-
                                                                                       des Tunisiens. Alors que l’Etat se charge de la
chera toutefois de ne pas avoir pleinement donné
                                                                                       mobilisation des aides internationales ou du ra-
l’exemple en n’adoptant pas le port du masque             La crise est loin
                                                                                       patriement des Tunisiens bloqués à l’étranger,
de protection à plusieurs reprises. Les avis sont         d’être achevée.              la société civile dans son ensemble se mobilise
partagés à ce niveau: les uns invoquent le devoir         Alors que la                 à moindre échelle mais avec une efficacité qui
d’exemplarité du chef de l’Etat, les autres sou-
                                                          période de                   compte dans le bilan provisoire. Ces mille et une
lignent que l’essentiel est dans le geste et, selon
                                                          confinement a                 nuances de notre solidarité active se déploient
les affinités, le débat se poursuit. L’un des gestes
                                                          été prolongée de             dans toutes les directions et concernent aussi
qui ont le plus interpellé l’opinion publique a été
                                                                                       bien les villes que le monde rural, aussi bien les
celui de ces employées du textile qui ont choisi          deux semaines,               Tunisiens les plus fragiles que les résidents étran-
de rester confinées dans leur usine pour fabriquer        le rythme de                 gers, notamment d’Afrique de l’Ouest. Des ajus-
des masques de protection. Elles ont été saluées          l’économie                   tements restent toutefois nécessaires pour opti-
par un pays entier, sensible à la symbolique de
leur geste. Bien sûr, la société civile a constitué       ralentira en                 miser ce vaste mouvement de solidarité. Ainsi,
                                                          conséquence,                 l’exemplarité des pouvoirs publics ne doit faire
un relais efficace ainsi qu’une pépinière d’initia-
                                                                                       de doute à aucun niveau. De même, la cohérence
tives. En direction des plus démunis ou des sans-         suscitant de
                                                                                       de toutes les actions entreprises doit toujours être
voix, les associations tunisiennes ont engagé de          nouvelles                    mise en évidence. La réactivité des Tunisiens à
très nombreuses actions. Du couffin de survie au
soutien des enfants, les organisations non gouver-
                                                          difficultés pour     “        l’appel à la mobilisation lancé par les plus hauts
                                                          les ménages.                 responsables, a généré un activisme remarquable.
nementales ont elles aussi contribué au maillage
                                                                                       Il reste maintenant à l’inscrire dans la durée.
                                                                                       En effet, la crise est loin d’être achevée. Alors
                                                                                       que la période de confinement a été prolongée de
                                                                                       deux semaines, le rythme de l’économie ralen-
                                                                                       tira en conséquence, suscitant de nouvelles dif-
                                                                                       ficultés pour les ménages. Beaucoup de choses
                                                                                       restent en suspens, comme les examens scolaires
                                                                                       et universitaires, la reprise graduelle de l’activité
                                                                                       ou encore la bonne tenue de la réponse sanitaire
                                                                                       globale. Plus que jamais, la solidarité nationale
                                                                                       doit être de mise, ainsi que la dimension prospec-
                                                                                       tive de l’action publique. C’est une Tunisie sur le
                                                                                       mode pause qui essaie d’endiguer solidairement
                                                                                       la menace. C’est aussi un pays en veille qui fait
                                                                                       face à l’urgence tout en tentant de préserver les
                                                                                       fondamentaux de l’économie. Et si l’impératif
                                                                                       de vigilance est dans tous les esprits, le devoir
                                                     Un élan de solidarité envers
                                                                                       de solidarité est appelé à connaître de nouvelles
                                                les citoyens les plus vulnérables
                                                                                       concrétisations et une continuité dans l’effort. n

12 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Actuel

Entre la peste et le choléra

Même Saint Louis
n’y échappa pas                                                                                                 Me Sami Mahbouli*

T
        out au long de son histoire, la Tunisie a        tives à plusieurs savants durant cette période, tels
        traversé des crises sanitaires graves dont       que Ibn Habbab, Ibn Abdelsattar, Ibn Abdelssa-
        certains de nos historiens ont rapporté les      lam, El Kettani mort le même jour que sa femme.
effets ravageurs. C’est en me replongeant dans           En revanche, Ibn Abi Dhiaf n’est pas avare en in-
les volumes de l’ouvrage « Ithaf Ahl El Zaman Bi         formations sur la peste qui s’abattit sur la Tunisie
Moulouk Tounes we Ahd El Aman » que j’ai pu,             en 1468 sous le long règne du grand roi hafside,
grâce à son auteur, me rendre compte qu’entre la         Abu Amr Othman (1435-1488).
peste et le choléra, nos ancêtres n’ont jamais eu à      Si l’on en croit notre auteur, elle causa la mort de
choisir puisqu’ils subirent les deux fléaux.             400 000 sujets du royaume. Il précise qu’à son pic,
Pour mémoire, Ahmed Ibn Abi Dhiaf fut un grand           elle faucha en un jour 14 000 personnes à travers
commis de l’Etat beylical au 19e siècle, rédacteur       tout le pays. Le roi Abu Amr Othman se confina
du Pacte fondamental et dont l’ouvrage sus-cité          dans sa résidence du Bardo pendant plus d’un an.
demeure une référence incontournable pour tous           Six siècles plus tard, nous n’avons, en fait, rien
ceux qui s’intéressent à l’histoire de notre pays.       inventé en la matière…
Dans son ouvrage, notre auteur consacre de très          La peste noire frappa, de nouveau, à partir de 1493
nombreuses pages aux épidémies qui ont sévi              comme le rapporte Ibn Abi Dhiaf, faisant beau-
en Tunisie depuis le 13e siècle jusqu’à la fin du        coup de victimes dont le roi hafside de l’époque,
19e siècle. L’état des connaissances médicales et        Abu Yahia Zakaria (1488-1493). A cet égard,
le manque de moyens firent qu’elles eurent des           l’historien Bachrouch indique que les deux épidé-
conséquences démographiques et économiques               mies de peste noire de 1468 et 1493 expliquent la
souvent désastreuses.                                    crise démographique aiguë qu’a connue la Tunisie
Pour la période allant de 1270 à 1867, Ibn Abi           durant le 16e siècle.
Dhiaf recense pas moins de quatorze importantes          Durant le règne de Othman Dey (1598-1610), la
épidémies dont il relatera, parfois dans le détail, le   Tunisie sera affligée de nouveau par la peste en
déroulement.                                             1604; elle durera deux années et sera appelée sans
C’est en abordant la question du débarquement de         qu’on en sache la raison « l’épidémie Bouricha ».
Louis IX, Roi de France, et de son armée à Car-          Sous le règne de son successeur, Youssef Dey
thage en 1270, que l’auteur évoque l’épidémie de         (1610-1637), la peste fera des ravages entre 1620
peste qui s’abat sur la Tunisie. Celle-ci se répand      et 1621. On la désignera, d’après Ibn Abi Dhiaf,
dans tout le pays et Louis IX y succombera. Le           par «l’épidémie d’Abu Ghaith El Qachach », du
Roi hafside, El Mostancir Billah, en profita pour        nom d’un Saint vénéré de Tunis et qui y succom-
proposer aux Français un traité de paix en contre-       ba. Selon Taoufik Bachrouch, durant cette der-
partie d’un lourd tribut qu’il distribua, selon Ibn      nière épidémie, on dénombra à Tunis plus de 1000
Abi Dhiaf, à tous les sujets de son royaume. L’his-      morts par jour.
torien Taoufik Bachrouch, dans son encyclopédie          Entre 1643 et 1650, la peste sévira encore en Tu-
sur la ville de Tunis (Imprimerie officielle-1999),      nisie, faisant son tombereau de morts. Elle durera
estime que la première évocation d’une épidémie          7 ans et sera désignée par «l’épidémie d’Ahmed
collective en Tunisie remonte à la 8e croisade au        Khouja » du nom du Dey qui partageait alors le
cours de laquelle périt Louis IX connu comme             pouvoir avec le Bey mouradite Hamouda Bacha
étant Saint Louis après sa canonisation.                 (1631-1666).
Curieusement, Ibn Abi Dhiaf ne fait pas état dans        En 1663, la peste sévira, de nouveau, pendant huit
son ouvrage de la peste noire de 1347, véritable         mois avec son cortège de morts et de désolation.
pandémie qui ravagea l’Afrique du Nord jusqu’en          A la lutte fratricide qui déchira la dynastie moura-
1352. La seule allusion de l’auteur à cet événe-         dite à partir de 1675 s’ajouta la peste de 1676 dont
ment résulte des indications nécrologiques rela-         périra un des fils de Hamouda Bacha, Hassen Bey.

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Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 15
Actuel
                                                                                                                 La mort de Saint Louis

Si Ibn Abi Dhiaf ne nous livre pas plus de dé-
tails sur la peste de 1676, Bachrouch, par contre,
nous apprend que rien qu’à Tunis, on déplora plus
de100 000 morts.
Au début du 18e siècle, au cours du siège de la
ville de Tripoli par Brahim Echerif, un militaire
d’origine turque maître de la Tunisie entre 1702
et 1705, la peste décima son armée.
Elle ne tarda pas à s’étendre à la Tunisie où l’on
recensa plus de 700 morts par jour aux dires d’Ibn
Abi Dhiaf.
La série noire était loin de son épilogue: Ibn Abi
Dhiaf évoque avec force détails la peste qui éclata
dans le pays en 1783 et qu’on désigna par « la
grande épidémie ». Elle emporta de nombreux
savants et affecta lourdement l’économie. Le Bey
husseïnite de l’époque, Hamouda Bacha, prit des
mesures draconiennes à cette occasion: il ordonna
de brûler tous les vêtements et les meubles laissés
par les morts, de sceller leurs maisons et d’isoler
les personnes atteintes dans des dépôts du souk
des « Qallalin » situé dans la médina de Tunis.                                    jour. Face à l’épidémie, Ibn Abi Dhiaf nous ap-
Un des grands muftis de Tunis, Cheikh Ahmed                                        prend que deux clans s’opposaient : les partisans
El Bransi, l’adjura, face à tant de rigueur, de s’en                               de la quarantaine dont le chef de file était Cheikh
remettre à la volonté de Dieu et de ne pas ajouter                                 Mohamed Bairam, et ceux qui s’en remettaient à
à l’affliction des esprits celle du porte-monnaie.                                 la volonté divine à l’instar de Cheikh Mohamed
La protestation s’enflant, le Bey se résigna, selon                                Manaï.
Ibn Abi Dhiaf, à renoncer à cette mesure de pro-                                   Ces deux savants de l’époque rédigèrent des
phylaxie par le feu si onéreuse pour ses sujets.                                   épîtres enflammées et très doctes pour étayer
Après un répit de quelques décennies, la peste se                                  leurs positions respectives.
déclara en 1818. Le premier à s’en alarmer fut                                     Le prince héritier, Husseïn Bey, se rangeait parmi
un médecin chrétien converti à l’Islam, nommé                                      les sceptiques et raillait les tenants de la quaran-
Rejeb El Tabib. Il en informa aussitôt le Bey,                                     taine. Pour joindre la parole à l’acte, il se plaisait
Mahmoud Bacha, qui ne trouva pas mieux que de                                      à parcourir les ruelles de Tunis et de la Hara, le
le faire bastonner et jeter en prison.                                             quartier juif, malgré les nombreux malades qui
Bientôt le fléau se répandit et pendant deux ans,                                  s’y entassaient.
on dénombra parfois plus de 1000 personnes par                                     D’après Ibn Abi Dhiaf, l’épidémie de 1818 mar-
                                                                                   qua l’amorce du déclin après le règne prospère de
                                              Ahmed Ibn Abi Dhiaf , un grand       Hamouda Bacha car la Régence y perdit la moi-
                                         commis de l’Etat beylical au 19e siècle   tié de sa population et l’activité agricole en pâtit
                                                                                   gravement.
                                                                                   Après avoir enduré pendant plusieurs siècles les
                                                                                   affres de la peste, la Tunisie se trouva confrontée
                                                                                   dès le milieu du 19e siècle à une épidémie incon-
                                                                                   nue jusqu’ici : le choléra. Désigné par les Tuni-
                                                                                   siens de l’époque comme « le vent jaune », une
                                                                                   appellation venant du Hijaz, le choléra se déclara
                                                                                   dans notre pays fin 1849.
                                                                                   Ibn Abi Dhiaf, témoin direct de cette épidémie,
                                                                                   lui consacre de longs développements dans son
                                                                                   ouvrage. On apprend ainsi que le choléra sévit,
                                                                                   au départ, dans le Nord-Est du pays, notamment
                                                                                   à Béja.
                                                                                   Le Bey régnant, Ahmed Bacha, sur les conseils
                                                                                   de médecins français, tenta d’en empêcher la
                                                                                   propagation vers Tunis. A cet effet, il ordonna au
                                                                                   commandant de la cavalerie, Abu Abbas Ahmed,
                                                                                   d’isoler Béja et ses environs afin d’interdire à ses

16 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Actuel

                                                       duit intégralement dans « Ithaf Ahl El Zaman »,
                                                       le Bey considéra que la peur de ce mal était légi-
                                                       time et que s’il l’atteignait, il s’en voudrait de ne
                                                       pas avoir été prudent et de ne pas avoir observé
                                                       strictement la quarantaine. Il appuya ses propos
                                                       par l’opinion émise 30 ans plus tôt par l’illustre
                                                       uléma, Mohamed Baïram. Une polémique s’ins-
                                                       talla entre les savants de l’époque sur le point de
                                                       savoir si la victime du choléra était un martyr ou
                                                       pas. Cheikh Mohamed Taieb Riahi était de cet
                                                       avis tandis que Cheikh Mohamed Ben Slama le
                                                       rejetait. L’ironie du sort fut que nos deux véné-
                                                       rables savants moururent du choléra, sans que
                                                       l’on sache, du coup, comment les départager.
                                                       Malgré son confinement, le monarque Ahmed
                                                       Bacha assumait ses responsabilités tant bien que
                                                       mal avec l’aide de ses deux plus proches collabo-
                                                       rateurs: Ibn Abi Dhiaf et Mohamed Aziz Bouat-
                                                       tour, futur premier ministre sous le protectorat. Il
                                                       recevait les consuls et répondait aux lettres qui
                                                       lui venaient de toutes parts mais en s’entourant
                                                       d’un luxe de précautions : les lettres étaient brû-
                                                       lées après leur lecture et les cérémonies de vœux
                                                       pour l’Aïd furent annulées.
                                                       On assista, pendant plusieurs mois, à un curieux
                                                       ballet; en effet, le roi Ahmed Bacha se déplaçait
                                                       d’une localité à une autre pour échapper à l’épi-
                                                       démie: après Carthage, il se confina à M’hamdia,
                                                       puis à Ghar El Melh et de nouveau, à M’hamdia
                                                       avant de revenir à Carthage. N’eût été l’opposi-
                                                       tion de ses conseillers, le Bey envisagea même de
                                                       se transférer à Djerba.
                                                       Sa terreur du choléra n’empêcha pas le Bey
                                                       Ahmed Bacha de secourir de son mieux la po-
                                                       pulation. Ce mal faisant des ravages au sein des
                                                       juifs pauvres, il décida d’installer leurs malades
                                                       dans une caserne de Tunis où ils reçurent tous les
                                                       soins requis. Des sommes considérables furent
                                                       allouées aux pauvres et les médecins, souvent
                                                       espagnols ou livournais, mobilisés pour les se-
   Hamouda Bacha                                       courir.
                                                       Le Bey exigeait qu’un rapport sur la mortalité
habitants le moindre voyage à Tunis. Un autre of-      liée au choléra lui fût rédigé quotidiennement.
ficier, Salah Kahia, fut dépêché au Kef avec la        Lorsqu’on lui annonça en 1850 que le mal avait
même mission. Quant au Bey Ahmed Bacha, il             emporté le plus illustre savant de l’époque, Sidi
choisira de se confiner avec sa cour dans une de-      Brahim Riahi, quelques mois après la disparition
meure en bord de mer à Carthage, appartenant à         de son fils, Cheikh Mohamed Taieb, il en conçut
son premier ministre Mustapha Khaznadar. Il ex-        une profonde tristesse.
pédia son gendre, Mustapha Bach Agha, dans une         Quelques années plus tard, en 1856, une autre
demeure voisine au Kram de manière à pouvoir le        épidémie de choléra se déclara dans la régence
recevoir quotidiennement.                              mais elle fut de courte durée; contrairement à son
Selon Ibn Abi Dhiaf, la crainte qu’inspirait le cho-   prédécesseur, Mohamed Bey refusa la quaran-
léra au monarque était telle que selon la rumeur il    taine et tout confinement. Il réprima, en revanche,
avait quitté provisoirement le pays en laissant son    sévèrement les tribus montagnardes, comme les
sceau à Mustapha Khaznadar. Pour la démentir, le       Khemirs ou les Ouechtata qui, profitant du dé-
Bey se mit à faire des apparitions en dehors de sa     sordre causé par le fléau, voulurent se soustraire
résidence pour y inspecter sa garde.                   à l’impôt.
Dans un échange verbal avec Ibn Abi Dhiaf, repro-      La dernière épidémie qu’évoque Ibn Abi Dhiaf

18 - RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
Tunis – Porte de France

   Sadok Bey                                                                   la population musulmane. Il faucha de très nom-
                                                                               breux soldats, en particulier ceux de la méhalla
                                                                               du général Zarrouk, de triste réputation pour sa
                                                                               cruauté dans la répression du Sahel.
                                                                               La population de Béja fut, quant à elle, presque
                                                                               entièrement décimée. La Tunisie, sortie exsangue
                                                                               de la révolte de 1864 et de la répression féroce
                                                                               qui s’en est suivie, n’avait pas besoin de cette ca-
                                                                               lamité supplémentaire. Ibn Abi Dhiaf tient dans
                                                                               son ouvrage à mettre en exergue la générosité et
                                                                               le dévouement dont firent montre, durant la crise
                                                                               sanitaire de 1867, les commerçants français ins-
                                                                               tallés à Tunis, ainsi que leurs associés juifs. Ils
                                                                               formèrent entre eux une association caritative à
                                                                               laquelle chaque commerçant contribua à raison
                                                                               de ses moyens afin de venir en aide aux malades
                                                                               démunis; les commerçants français réunirent des
                                                                               médecins aidés par 20 auxiliaires dans un local à
                                                                               Bab El Bhar, connu également comme la Porte de
                                                                               France, pour y soigner ces pauvres hères.
                                                                               Il est intéressant de souligner qu’Ibn Abi Dhiaf,
                                                                               dont le penchant réformateur voire libéral est
                                                                               avéré, profite de la description des conséquences
                                                                               du choléra en 1867 et de la famine terrible qui sé-
                                                                               vira la même année pour régler ses comptes avec
                                                                               l’absolutisme. A ses yeux, ce dernier est la cause
                                                                               de tous les maux de la régence.
                                                                               Rappelons, dans cet ordre d’idées, qu’Ibn Abi
                                                                               Dhiaf s’est retiré de la vie publique à partir de
                                                                               1864 lorsque Sadok Bey décida de suspendre la
                                                                               constitution de 1861.
                                                                               Parcourir six siècles de notre histoire, au cours
                                                                               desquels la Tunisie risqua de sombrer sous les
                                                                               coups d’épidémies dévastatrices, n’offre peut-être
                                                                               pas l’occasion d’une lecture joyeuse; mais, dans
                                                                               cette conjoncture particulière où nous renouons
                                                                               avec les peurs d’un passé que nous pensions ré-
                          dans son ouvrage est toujours celle du choléra qui   volu, n’est-il pas réconfortant de voir que notre
                          frappa le pays en 1867. Les Juifs furent ses pre-    nation a survécu et s’est toujours redressée?
                          mières victimes avant qu’il ne se propage parmi                                  *Avocat et éditorialiste

                                                                               Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 19
Entre Parenthèses

Coronavirus
Quel ressenti sociétal ?                                                                                 Par Samy Chambeh

         L’Humanité a connu par le passé nombre d’épidémies qui ont massivement tué des
         personnes : peste et peste noire, vérole, syphilis, tuberculose, paludisme, sida et on
         en passe, qui ont pesé sur le destin des peuples. Le Coronavirus ou Covid-19, qui fait
         actuellement des ravages de par le monde, ne déroge point à la règle. Comment est-il
         perçu par la Société ? Quelques éléments de réponse.

                      L
                              es maladies dégénératives ou infectieuses,      Europe, mais en dépit des alertes des médecins et
                              surtout lorsqu’il s’agit de pandémies qui ne    experts en santé quant à la rapidité de la contami-
                              connaissent pas les frontières des pays, ont    nation et aux mesures de prévention à observer, la
                      à coup sûr un ressenti sur les populations. Il en est   réaction d’un pan conséquent de la société n’a été
                      de même du Covid-19 qui ne cesse de se propager         qu’insouciance et risée.
                      à travers le monde en suscitant détresse et déso-       D’ailleurs, l’indifférence est encore perceptible
                      lation, au vu du nombre sans cesse croissant des        dans nombre de comportements répréhensibles
                      cohortes des contaminés et des victimes.                de citoyens qui transgressent, sans vergogne, le
                      Certes, les autorités publiques et sanitaires natio-    confinement sanitaire généralisé et n’observent
                      nales ont réagi et de manière assez précoce, depuis     pas la diligence nécessaire au contact de la foule
                      le début du mois de mars dernier alors que la pan-      ou pour subvenir à leurs besoins vitaux.
                      démie sévissait uniquement en Asie, et particuliè-      Mais vraisemblablement avec l’augmentation du
                      rement en Chine, le berceau du Coronavirus, et en       nombre des contaminés, voire des décès suite à

20- RÉALITÉS - N°1789 - Du 10 au 16 avril 2020
cette pandémie, la prise de conscience devrait être      Précisons, toutefois, que le bénévolat est une ac-
généralisée. Cependant, il est à craindre qu’un état     tion désintéressée qui est faite sans obligation et à
de panique ne s’installe et ne s’ajoute à la frénésie    titre gracieux, c’est-à-dire gratuitement. Il en est
et à la fièvre acheteuse des produits alimentaires,      de même pour ce qui est du volontariat, à la dif-
détergents et médicaments. D’où un risque de dés-        férence cependant qu’il est réalisé dans un cadre
tabilisation ô combien préjudiciable.                    organisé : association, confédération, coopérative,
Par ailleurs, qu’il soit de fabrication humaine          etc.
(guerre chimique ou bactériologique) ou non,             Dans ce contexte assez dramatique d’arrêt quasi
la cause du Covid-19 reste encore non élucidée           généralisé de l’activité économique, suite au
et donc on ne sait encore rien des agents patho-         confinement sanitaire généralisé, ces formes d’as-
gènes de ce virus, s’ils sont la conséquence de          sistance sociale (mises à part les mesures étatiques
l’évolution des conditions de vie des gens ou de         qui restent assez limitées) ont pris toute leur im-
leurs comportements et qui seraient source de la         portance pour venir en aide aux classes populaires
propagation et des dégâts desdits agents patho-          et personnes défavorisées qui en ont largement
gènes. En tout état de cause, deux choses sont déjà      besoin.
connues : la densité de la population et la rapidité     Par ailleurs, la dissociation sociale – terme en
des transports, notamment par le biais des avions,       vogue – occasionnée par la peur de contamina-
ont largement contribué à cette atteinte grave à la      tion et par les mesures de confinement sanitaire
santé et à la propagation du coronavirus.                généralisé, a provoqué un engouement sans précé-
Mais déjà que cette pandémie a réappris à nombre         dent pour les réseaux sociaux et l’emploi du web
d’individus l’importance des règles de propreté et       notamment pour les services à distance. Et cela
des mesures sanitaires.                                  demeure un grand acquis qui formera, sans doute,
En tout état de cause, une chose est sûre : la santé     des réflexes d’un comportement plus rationnel.
publique, à la lumière des succès qu’elle ne cesse       Enfin, dernier ressenti relevé : le retour au sacré.
d’engranger de jour en jour dans la lutte contre         C’est un fait : la crise ou la pandémie du Corona-
cette pandémie en dépit du manque criant de res-         virus fait vivre les gens dans l’anxiété et le désar-
sources financières, sortira grandie de cette dou-       roi. Ainsi, cette calamité est de plus en plus perçue
loureuse mais si enrichissante épreuve pour dé-          par un certain nombre de citoyens tantôt comme
velopper les différentes disciplines médicales, à        une fatalité, tantôt comme un châtiment divin.
savoir clinique, de réanimation, épidémiologique,        Alors que l’horizon s’assombrit de jour en jour
etc.                                                     avec la morosité ambiante, la religion est de plus
Pour l’heure, l’accent est mis sur la traçabilité des    en plus prise au sérieux par les individus et devient
présumés porteurs du virus, l’endiguement de la          une consolation et même une source d’inspiration,
propagation de la pandémie dans les hôpitaux ou          un moyen d’éviter le pire et un motif d’espoir en
ailleurs, et l’acquisition des masques, gants et gel     un lendemain meilleur.
anti-bactériologique pour le corps médical, outre        L’approche systémique et l’anthropologie reli-
la prise en charge et le traitement des malades.         gieuse s’évertuent à montrer qu’elles ne sont pas
Cela a occasionné une hausse impromptue des dé-          l’ennemi de la raison.
penses de santé notamment, que ne pourra amortir         En tout état de cause, ce retour au sacré, constaté
qu’une croissance économique qui soit d’un ni-           ici et là, est un moyen pour se projeter dès à pré-
veau tel pour garantir une politique efficace en la      sent dans l’après-Coronavirus, en essayant de se
matière. Mais là est un autre problème, puisque le       corriger pour se donner un meilleur sens à la vie,
contexte actuel ne s’y prête pas.                        en bannissant l’avidité et la convoitise démente,
Et toute la question est là : peut-on évaluer écono-     la prise de risque sans limite et l’égoïsme débridé.
miquement une vie humaine ? Peut-on déterminer           D’ores et déjà, les multiples formes actuelles de
le prix que la Société est disposée à payer pour         recul de l’esprit individualiste ou l’altruisme,
obtenir la réduction de tout risque de mortalité ?       l’amour du prochain, le pardon des offenses, sont
Mais il reste qu’une vie humaine a une valeur in-        autant d’expressions ou plutôt de comportements
commensurable que rien et n’importe quel prix ne         qui augurent un meilleur vivre-ensemble, si ja-
pourront compenser.                                      mais Covid-19 le permet.
Autre ressenti sociétal : la citoyenneté a été revisi-   En définitive, répondre à cette question du res-
tée. Elle s’érige désormais en un moyen tentant à        senti sociétal à l’ère du Coronavirus peut aider à
réunifier une société à deux vitesses, en réduisant      améliorer la prise de conscience quant aux dan-
le phénomène d’exclusion et de fracture sociale.         gers de ce fléau et aux moyens de s’en prémunir
On parle ici des concepts de bénévolat, volonta-         ou du moins d’en limiter la propagation, surtout
riat, entraide et solidarité qui ont été ressuscités     que son origine ou le facteur de risque et encore
(nous y reviendrons avec plus de détails dans un         moins le traitement ou le vaccin ne sont pas pour
prochain papier).                                        demain. n

                                                         Du 10 au 16 avril 2020 - N°1789 - RÉALITÉS - 21
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