Meurtre et sérialité : l'émergence du serial killer dans la culture médiatique américaine - Érudit

 
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Études littéraires

Meurtre et sérialité : l’émergence du serial killer dans la
culture médiatique américaine
Serge Chazal

Récit paralittéraire et culture médiatique                                        Article abstract
Volume 30, Number 1, automne 1997                                                 The last twenty years have seen serial killers become part of American culture,
                                                                                  with Charles Manson,Ted Bundy WiliamGacy, Hannibal Lecter and others of
URI: https://id.erudit.org/iderudit/501189ar                                      their ilk joining Dracula, Frankenstein and Hitler as icons of evil. This article
DOI: https://doi.org/10.7202/501189ar                                             traces the emergence in American media culture of various aspects of the
                                                                                  morbid fascination with serial killers : a cocktail of sex, violence and death.
                                                                                  Yellow journalism, true crime books, thrillers, comic books, movies and
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                                                                                  destined to reach its climax in the mid90s with the proliferation of Internet
                                                                                  sites. The recent appearance of a new star, the "profiler" - a species of vampire
Publisher(s)                                                                      slayer, as it were - signals, however, an emerging backlash to this escalation of
                                                                                  violence.
Département des littératures de l'Université Laval

ISSN
0014-214X (print)
1708-9069 (digital)

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Chazal, S. (1997). Meurtre et sérialité : l’émergence du serial killer dans la
culture médiatique américaine. Études littéraires, 30 (1), 71–79.
https://doi.org/10.7202/501189ar

Tous droits réservés © Département des littératures de l'Université Laval, 1997 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit
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MEURTRE ET SÉRIALITÉ
            L'émergence du sériai killer
       dans la culture médiatique américaine
                                         Serge Chazal

 • Si la production de la culture médiati-             milieu des années soixante-dix, il a été
 que a partie liée avec la sérialité, le tueur         amené pour la première fois à nommer et
 sériel ne serait-il pas le héros sombre et           forger le concept de sériai killer. D'une
 emblématique de cette culture dans l'ima-            part, il y a l'expérience-limite du tueur -
ginaire collectif américain ? À production            fantasmes aidant, le prochain meurtre est
sérielle et consommation sérielle répon-              anticipé, préparé, mis en scène, mais, pas
draient les récits de meurtres sériels. C'est         plus que les précédents, il n'amènera
un bref panorama des incarnations                     pleine satisfaction au meurtrier. D'autre
transmédiatiques de ce héros que l'on se              part, il y a cette expérience propre à la
propose de dresser ici.                               culture médiatique : évoquant, avec une
    « Mon Dieu, je l'ai tuée trop rapidement.         certaine nostalgie, les séances du samedi
Je n'ai pas pris assez de temps pour m'amu-           après-midi de sa jeunesse dans le Midwest,
ser avec elle, pour la torturer correctement.         Ressler insiste sur le sentiment de frustra-
J'aurais du l'approcher différemment,                 tion qui l'envahissait lorsque les aventu-
j'aurais du penser à d'autres formes de vio-          res du Fantôme ou de Dick Tracy se ter-
lences sexuelles » (sic).                             minaient de façon abrupte sur ces mots
    C'est ainsi que Robert Ressler, agent du          fatidiques... «la suite à la semaine pro-
F.B.I., fondateur du B.S.U. (Behavioral               chaine ». Ressler compare cette frustra-
Science Unit) de Quantico, Virginie, dans             tion, ce sentiment d'insatisfaction quasi
son ouvrage Whoever fights           monsters         existentielle à ceux des tueurs sériels,
(1992) \ tente de faire saisir comment, au            pour lesquels chaque meurtre appelle en

      1   Traduit sous le titre Chasseur de monstres (Presse de la Cité, 1993).

                            Études Littéraires Volume 30 N° 1 Automne 1997
ÉTUDES LITTÉRAIRES          VOLUME 30 N° 1 AUTOMNE 1997

 soi une nouvelle victime. Compulsion, frus-                        Il existe près d'une vingtaine de magazi-
 tration, répétition, fidélité (aux victimes,                   nes. Pour la plupart, ce sont des mensuels,
 aux auteurs, aux genres...), lecteur sériel                    mais certains publient un numéro spécial,
 et tueur sériel ont sans doute en partage                      annuel, un yearbook. Il y a peu de variété
 un certain nombre de comportements in-                         ni dans les titres {True Détective, True Po-
 quiétants.                                                     lice, Inside Détective, Startling Détective,
    Qu'est-ce qu'un tueur sériel ? Les ex-                      Front Page Détective, etc.), ni dans les cou-
 perts débattent : un meurtrier (ou une                         vertures (elles présentent, en couleurs, des
 meurtrière) doit, sur une période variable                     femmes plus ou moins dénudées, menaçan-
 (jours, mois et même années), tuer un mi-                      tes ou provocantes, menacées ou effrayées,
 nimum de trois à quatre victimes, généra-                      mortes...), ni dans le style raccrocheur des
lement selon une formule ritualisée — type                      articles : « La police est confrontée à un Jack
 de victime choisie (étudiantes, enfants,                       l'Éventreur moderne... LE TUEUR SADIQUE QUI
prostituées...) et un tnodus        operandi,                   TRAQUE LES PROSTITUÉES DANS LES COUINES ». C e s
c'est-à-dire la méthode utilisée pour circon-                    magazines, dont certains existent depuis les
venir ou agresser la victime potentielle,                        années vingt, se sont spécialisés, depuis la
mais aussi les sévices, sexuels pour la plu-                    fin des années soixante-dix, dans les tueurs
part, qui accompagnent ou suivent les                            sériels, ce qui leur permet d'associer de fa-
meurtres.                                                       çon très lucrative (forts tirages), sexe, vio-
    Toutefois, pour nous, le tueur sériel n'a                   lence, sang et mort.
d'existence dans l'imaginaire collectif amé-                        Les monographies, elles, se multiplient
ricain que dans la mesure où il est identifié                   au début des années quatre-vingt. Elles sont
sous ce vocable. L'émergence du sériai                          soit des études globales sur le phéno-
killer dans l'imaginaire collectif américain                    mène 3, soit des biographies consacrées à
s'est faite lentement, par étapes, à travers                    un tueur particulier. Au palmarès du meur-
un nombre de plus en plus important de                          tre en série, on trouve bien entendu
médias porteurs.                                                Théodore « Ted » Bundy (sept titres), John
    Tout commence, à la fin des années                          Wayne Gacy « The Killer Clown » (quatre
soixante-dix, avec un genre très particulier                    titres), David Berkowitz « Son of Sam » (qua-
que l'on appelle dans les pays anglo-saxons                     tre titres) et, dernièrement, Jeffrey Dahmer
le true crime. Dans la toute récente col-                       « The Milwaukee Cannibal » (quatre titres).
lection « Crimes & Enquêtes » chez «J'ai                        À l'heure actuelle, de la plus modeste à la
Lu » (1993), on utilise l'expression « histoi-                  plus prestigieuse, chaque librairie aux États-
res policières véridiques » pour le décrire 2.                  Unis dispose d'une section consacrée au
Ce genre s'illustre dans la culture médiati-                    true crime, section représentant parfois
que américaine par deux supports, les                           plus d'une centaine de titres dont la moi-
magazines et les monographies.                                  tié est consacrée à des tueurs sériels.

        2     II faut remarquer, à ce sujet, la popularité $.   indissante de ce genre en France, à travers la collec-
tion citée   précédemment mais aussi avec l'apparition,         i Fleuve Noir, de la collection « Crime Story ».
        3     Comme The Sériai Killers de Colin Wilso            & Donald Seaman, 1990, Sériai Murderers de Art
Crockett,    1991, ou The Murder Year Book de Brian L;          e, 1992.

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MEURTRE ET SÉRIALITÉ : L'ÉMERGENCE DU SERIAL KILLER ...

     La présentation des ouvrages a évolué nouveauté, une cassette permet dans cer-
 depuis le milieu des années soixante-dix 4. tains cas (Henry Lee Lucas) d'entendre le
 Au départ, ils font partie de la très large tueur sériel raconter dans les détails ses
 catégorie non-fiction et ne se distinguent meurtres les plus horribles 5.
 pas particulièrement du reste de la produc-         Or, depuis quelques années, un lien
 tion (première ou quatrième de couverture s'établit explicitement dans la présentation
 par exemple). Cependant, on y mentionne paratextuelle non plus entre fiction et réa-
 qu'il s'agit d'histoires vraies ayant pour lité, sur le modèle réaliste, mais entre réa-
 sujet des meurtres en séries. À partir du lité et fiction, sur le mode du simulacre.
 milieu des années quatre-vingt, un certain Ainsi, sur certaines quatrièmes de couver-
 nombre de changements apparaissent : la ture apparaissent des commentaires
 première de couverture présente une ou comme « Se lit comme le meilleur des
 plusieurs photos du tueur, assorties de thrillers » ou « Se lit comme le meilleur des
 commentaires-choc dans la veine des ma- récits d'horreur ». Car il faut dire que, de-
 gazines consacrés au true crime. On y pré- puis la fin des années soixante-dix, les
 sente les victimes : « jeunes », « belles », tueurs sériels se sont glissés discrètement
 « violées », « torturées », « mutilées », « mor-d'abord, puis de façon de plus en plus en-
 tes » ; les criminels, eux, sont « intelli- vahissante dans le roman policier.
gents », « diaboliques », « sadiques », « bizar- En 1973, c'est Daniel G. Blank et son
res », « fascinants » et même « séduisants » ! pic à glace dans The First Deadly Sin de
Et on nous promet, grande nouveauté, huit Lawrence Sanders. Ce même Sanders nous
pages de photographies : « dramatiques », présente quelques années plus tard une des
« inédites », « choquantes », « horrifiantes ». rares incarnations féminines du tueur sériel
Ces photographies se répartissent selon avec Zoe Kohler et son couteau suisse dans
quatre grands thèmes : les victimes (avant The ThirdDeadly Sin (1981). S'il n'est pas
et après, le meurtre), les tueurs (avant et dans notre propos de passer en revue tous
après, l'arrestation), les policiers, les ins- les romans policiers mettant en vedette les
truments de la mort. Quelquefois s'y ajoute sériai killers 6, soulignons une évolution
un cinquième thème : les lieux de la mort récente du thème avec la sérialisation du
(cave, rivière, clairière, maison abandon- tueur sériel, l'introduction du tueur sériel
née).                                            sérialisé, récurrent, dans la littérature de
    Tout dernièrement, les grandes maisons fiction : celui qui apparaît aujourd'hui
d'édition américaines, Warner, Signet, comme l'archétype du tueur sériel dans
Zébra, Pocket Books, ont officialisé et clai- l'imaginaire collectif américain, le Docteur
rement identifié le genre true crime sur le Hannibal Lecter (Hannibal le Cannibale).
dos et la première de couverture. Dernière Sinistre héros du roman de Thomas Harris,

       4 Nous ne prenons en considération ici que la version paperback, livre de poche, des ouvrages.
       5 Tout ceci pour la modique somme de 5.95 $ : « For the first time ever ! A tape of the authentic
confessions of America's most notorious sériai killer ! »
       6 Non seulement la liste en serait-elle trop longue mais elle serait redondante à celle incluse dans
l'ouvrage récent de Norbert Spehner (1995).

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ÉTUDES LITTÉRAIRES        VOLUME 30 N" 1 AUTOMNE 1997

 Red Dragon (1981), puis de The Silence                 à l'autre tueur, « Buffalo Bill » l'écorcheur.
 ofthe Lambs (1988), ce psychiatre char-                Comme dans le domaine du true crime et
 mant et charmeur, cultivé, intelligent, gas-           de la littérature de fiction, le tueur sériel
 tronome à ses heures, est quelquefois pris             envahit depuis quelques années les écrans,
 d'une violente fringale qui lui fait commet-           devient incontournable dans le cinéma
 tre les pires excès. Emprisonné, il se ré-             américain d'horreur 7, dans le film de sus-
 vèle un consultant fort apprécié des mi-               pense 8 et même dans le cinéma d'auteur 9 .
 lieux policiers qui lui demandent à                   Au point de vue promotionnel, il a rem-
 plusieurs reprises de l'aide pour mettre la            placé le psychopathe des années soixante-
 main sur des tueurs sériels en activité. Il a          dix.
 depuis peu trouvé un rival, un autre méde-                Autre type de consécration, autre cir-
 cin, le docteur Michael Bekker, qui                    cuit, même personnage : le seul film qui
 apparait à deux reprises, sous la plume               nous semble échapper à cette mode du
 de John Sandford, dans Eyes of Prey                   tueur sériel est le film Henry, portrait ofa
(1991) et SilentPrey (1992). Ce patholo-               sériai killer, tourné en 16 mm avec de très
giste, médecin au Vietnam pendant la                   petits moyens 1() par Jim MacNaughton en
guerre (il était alors surnommé Doctor                  1986. Ce film, sans concessions mais sans
Death), est un consommateur gastronome                 complaisance, est une libre adaptation de
lui-aussi, mais il s'agit dans son cas d'am-           la vie du meurtrier Henry Lee Lucas. Si ce
phétamines, d'euphorisants et d'hypnoti-               film ne devait avoir que peu de succès
ques, avec lesquels il se concocte de re-              auprès des spectateurs américains, il aura
doutables cocktails qui lui permettent                 beaucoup mieux réussi avec le bureau de
d'accomplir les meurtres les plus horri-               censure des États-Unis, qui lui a décerné la
bles. Connaîtrons-nous l'éternel retour des            côte X : réservée aux films pornographi-
tueurs en série, Doctor Lecter III, Doctor             ques, elle rend difficile son exploitation en
Bekker VII ? Seul l'avenir le dira.                    salle n . Néanmoins, porté par cette vague
    Autre effet de la culture sérialisante, la         du tueur sériel qui réaménage le paysage
fortune transmédiatique du personnage de               thématique de la culture de grande diffu-
tueur sériel, grâce à Hannibal le Cannibale            sion, depuis quelques années Henry circule
devenu star dans le film de Jonathan                   dans le circuit des « films cultes » (salle de
Demme tiré du roman de Thomas Harris                   répertoire, séances de onze heures ou mi-
(1991). Qui peut oublier la performance                nuit), les cinéphiles et autres intellectuels
d'Anthony Hopkins dans le rôle du Doc-                 s'étant faits à la violence brute de ce film.
teur Lecter ? Il vole littéralement la vedette         Voire, Henry est devenu un must qui se

        7 Comme Jason, de la série « Vendredi 13 » ; Freddy Kruger, de la série « Les griffes de la nuit »,
Michael Myers, de la série « Halloween », etc.
        8 Manhunter de Michael Mann, 1986 ; Sea ofLove de Harold Becker, 1989 ; Blue Steel de Kathryn
Bigelow, 1989 ; Rampage de William Friedkin, 1988.
       9 Barton Fink de Joël Coen, 1991 ; Twin Peaks, Fire Walk Witb Me de David Lynch, 1992...
        10 Quatre semaines et 120 000 dollars.
        11 Réflexion désabusée de Mac Naughton, à l'époque, sur son film : « trop artistique pour les ama-
teurs d'hémoglobine, trop sanglant pour les cinéphiles ».

                                                  74
MEURTRE ET SÉRIALITÉ : L'ÉMERGENCE DU SERIAI KILLER ...

  retrouve sur les étagères des clubs de loca-          Au milieu des années quatre-vingt ont
 tion de cassettes vidéo.                            commencé à fleurir un certain nombre de
     Parallèlement, aux États-Unis, la télévi-       fanzines consacrés à tout ce qui touche de
 sion s'est intéressée aux tueurs sériels. De        près ou de loin à la mort. À titre d'exem-
 nombreux téléfilms ont été consacrés aux            ples édifiants, évoquons Murder Can Be
 sinistres exploits de Ted Bundy 12, Wayne           Fun et Answer me !. Le premier, qui en
 Williams 13, Richard Ramirez 14, Bianchi et         est à son quatorzième numéro, paraît de
 Buono 15, John Wayne Gacy 16 ; et est an-           façon erratique depuis 1985. Entièrement
 noncé un téléfilm sur Jeffrey Dahmer,               réalisé par le californien John Marr, MCBF
 l'ogre de Milwaukee. Ces films, sans grand          se penche avec beaucoup d'humour (noir)
 intérêt, présentent en fait une version très        sur toutes les formes de morts violentes :
 édulcorée des événements violents qu'ils            catastrophes naturelles, accidents de che-
 évoquent où est mis en vedette le travail           mins de fer, épidémies, suicides d'adoles-
 acharné d'une poignée de policiers qui fi-          cents et, bien entendu, meurtres en séries.
 nissent par mettre la main sur le terrible          Dès le premier numéro, une devinette sous
 tueur. Il n'est quand même pas pensable            la forme du jeu du pendu teste nos connais-
 de voir dans les salons américains, aux            sances sur Ted Bundy. Le numéro quatre
 heures de plus haute écoute, Ted défon-            consacre deux pages à une bibliographie
 cer le crâne de ses victimes à coup de             complète des ouvrages parus sur le même
 démonte-pneu, Angelo Buono torturer ses            Ted Bundy. Le numéro huit réserve six
victimes tout en les asphyxiant à l'aide            pages et la couverture à trois tueurs sériels,
d'un sac en plastique... transparent (pour          Ed Kemper, John Linley Frazier et Herbert
ne rien perdre du spectacle). Effacement            Mullin. Chaque année, Marr propose un
télévisuel politically correct des victimes         calendrier qui fait une large place aux
et des sévices épouvantables qu'elles ont           tueurs sériels : nous y apprenons, par
pu subir ; il est des images qu'on ne sau-          exemple, que c'est un 18 juin que Jeffrey
rait montrer, l'acte se métonymisant en             Dahmer a étranglé et démembré la pre-
son « juste avant » (c'est tellement exci-          mière de ses dix-sept victimes. Answer
tant) et son « juste après » (mort et châti-        me ! se présente sous l'apparence d'un
ment).                                              magazine plus que d'un fanzine (près de
    Vingt ans après avoir envahi le livre et        cent pages), il en était, en 1993, à son se-
le cinéma, les tueurs sériels s'étendent            cond numéro. L'auteur-rédacteur en chef-
aujourd'hui à de nouveaux supports, mi-             éditeur, le californien Jim Goad, se pas-
neurs ; bande dessinée, vente par corres-           sionne lui aussi pour la mort sous toutes
pondance, cartes de collection, fanzines,           ses formes, la pornographie, la violence,
rien ne leur échappe plus désormais.                etc. Le numéro deux livre sur cinquante

      12   The Deliberate Stranger de Marvin Chomsky, 1986.
      13   The Atlanta Child Murders de John Erman, 1985.
      14   The Nightstalker de Max Kleven, 1987.
      15   The Hillside Stranglers de Steven Gethers, 1989.
      16   To Catch a Killer de Eric Till, 1991.

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 pages (avec photos 17) un dictionnaire des               cartes de collection, la bande dessinée et
 sériai killers et de leurs cousins les mass              les jeux.
 murderers, sous le titre percutant : « Night                 Aux États-Unis, les cartes de collection
 of a Hundred Stars », allusion à la célèbre              se rattachent avant tout au domaine spor-
 soirée de remise des oscars à Hollywood.                 tif ; depuis plus d'une soixantaine d'an-
 Chaque article comporte, outre une bio-                  nées, un nombre imposant de jeunes
 graphie succincte, un certain nombre de                 Américains collectionnent ces petites car-
 pictogrammes significatifs : une tête de                 tes présentant au recto la photographie de
 mort avec le nombre de victimes, un chien               leur idole (base-bail, hockey, football, bas-
 (torture d'animaux), un sablier (torture                ketball) et, au verso, une courte biographie
lente), un lit (incontinence juvénile), etc.,            et surtout des statistiques (points accumu-
 correspondant aux petits travers des meur-              lés, buts marqués, moyennes diverses). Ces
triers. Chaque article s'accompagne aussi                cartes se trouvaient à Y origine comme pro-
d'une citation — comme « La seule chose                  motion fidélisatrice dans des paquets de
dont on puisse m'accuser est d'avoir dirigé              chewing-gum, de lessive. Aujourd'hui, el-
une entreprise de pompes funèbres sans                   les se vendent sous enveloppes (une di-
permis », John Wayne Gacy, responsable                   zaine de cartes différentes) et ne se can-
du meurtre d'une trentaine de jeunes                     tonnent plus au seul domaine du sport :
adolescents dont on a retrouvé les cada-                 personnages de BD, de séries télévisées,
vres dans le sous-sol de son bungalow de                 de films et, depuis peu, tueurs sériels. En
Chicago.                                                 1990, la compagnie Shel-Tone Publications,
    Par le truchement de la vente par cor-               dans le New Jersey, mettait en circulation
respondance, les amateurs peuvent se pro-                une première série, sous le titre Bloody
curer 18, les œuvres picturales de ce même               Visions, quarante-sept cartes de format tra-
John Wayne Gacy, condamné à mort en                      ditionnel 19, présentant au recto une illus-
attente d'exécution. Il affectionne particu-             tration en noir et blanc d'un sériai killer.
lièrement les clowns et différentes scènes               Certains tueurs célèbres sont représentés
du dessin animé Blanche Neige et les sept                sur plusieurs cartes (Bundy, Gacy,
nains. Pour quelques dollars de plus                     Manson...). Selon le principe des cartes
(125 $), et si vous envoyez une bonne                    sportives, au recto figure une biographie
photo (en couleur), l'artiste vous renverra              et surtout les statistiques pertinentes (nom-
dans les cinq semaines un portrait tout à                bre de victimes authentifiées ou présu-
fait ressemblant, avec dédicace de l'auteur.             mées), l'association entre vedette et statis-
    Plus récemment, le tueur sériel s'impose             tiques. En 1992, la même compagne
dans des domaines traditionnellement ré-                 mettait en vente une autre série, de trente-
servés aux enfants et aux adolescents : les              six cartes et en couleur cette fois, sous le

       17   Dont certaines sont d'un goût plus que contestable : le contenu du frigidaire du cannibale de
Milwaukee   par exemple...
       18   Pour la modique somme de 80 $, en moyenne.
       19   Ces cartes se vendent par boîte contenant les quarante-sept cartes en série complète pour la somme
de 20 $.

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MEURTRE ET SÉRIALITÉ : L'ÉMERGENCE DU SERIAL KILLER ...

  titre peu original, mais bien américain,                une dizaine de numéros spéciaux : Psycho
 Bloody Visions IL Toujours en 1992, la                   Killers Classics (les grands classiques), Psy-
  compagnie Eclipse, qui jusqu'alors se con-              cho Killers Body Count (les statistiques),
  sacrait à la bande dessinée, propose à son              Psycho Killers Missing in Action (les tueurs
 tour une série intitulée True Crime. Il                  sériels encore en liberté), War Criminals
 s'agit, cette fois, de 110 cartes (couleur,              (un type particulier de tueurs sériels, mais
 même format) : cinquante-cinq cartes sont                pourquoi pas ?)... Du point de vue graphi-
 consacrées aux G. Men et aux gangsters                   que, la qualité artistique de ces publications
 des années trente, cinquante-cinq aux                    est affligeante alors que les illustrations fi-
 tueurs sériels (et aux mass-murderers).                  gurant sur les cartes de collection sont sou-
 Chacune de ces dernières est tachée de                   vent de grande qualité esthétique.
 sang pour faire plus vrai. Il fallait s'y atten-            Enfin, la compagnie « Comic Zone Pro-
 dre, quelques mois plus tard (fin 1992)                  ductions », outre la publication de BD, a
 devant le succès remporté par la première                produit la maquette d'un jeu de plateau très
 série, Eclipse récidivait avec True Crime                original The Sériai Killer Game. Cela se
 IL Le principe est le même, cinquante-cinq              joue un peu comme le Monopoly, mais il
 cartes consacrées aux gangsters des années               s'agit d'accumuler des cadavres plutôt que
 cinquante cette fois, cinquante-cinq con-                des propriétés immobilières, tout en échap-
 sacrées aux sériai killers 20. Signalons que            pant à la police et à la chaise électrique
 toutes ces cartes de collection sont en                 bien entendu.
vente dans les magasins spécialisés dans la                  Ainsi, des années soixante aux années
 bande dessinée, fréquentés par une clien-               quatre-vingt-dix, nous avons constaté que
tèle plutôt jeune.                                       le tueur sériel s'intermédiatise. Cantonné
     Clientèle qui, dans le même magasin,                au début à la sleazoïd press21 à grand ti-
peut se laisser tenter dans le rayon des co-             rage, il sera à l'origine d'un nouveau genre
mtes par des titres accrocheurs (sur cou-                non-fictionnel, le true crime. Les années
vertures aux couleurs criardes) comme :                  quatre-vingt verront le sériai killer réel ou
Psycho Killers, Killer Cuits ou War                      imaginaire envahir les médias (para-
Criminals. Seule la première série se spé-               littérature, fanzines, téléfilms, cinéma) jus-
cialise dans les tueurs sériels. C'est la com-           qu'à la consécration suprême : les oscars
pagnie « Comic Zone Productions » qui, en                de Silence ofthe Lambs. Nous ne pouvons
décembre 1991, devait lancer cette série.                que constater, après ce survol, le rôle gran-
Chaque numéro (trente-deux pages, cou-                   dissant qu'il joue dans la production cultu-
verture couleur, intérieur noir et blanc) est            relle aux États-Unis. La fin des années
consacré à un tueur sériel, Manson, Bundy,               quatre-vingt et le début des années quatre-
Dahmer, Gacy, etc. À ce jour, onze numé-                 vingt-dix aux États-Unis ont été marqués
ros sont parus. Il faut ajouter à ce nombre              par une monopolisation croissante des

        20 Les cartes de la compagnie Eclipse représentent un véritable défi pour les afficionados car, comme
les cartes de sport, elles sont vendues par paquets de douze. Chaque paquet coûtant à peu près 2 $, la série
complète, si vous avez de la chance, vous revient à une soixantaine de dollars !
        21 Combinaison de sleazy tabloïd, sordide tabloïd.

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médias par le tueur en série. Dernier ava-                ler. Le tueur en série ne serait-il plus à la
 tar du genre, le tueur sériel, prévisiblement,           mode ? Manifeste dans la paralittérature, le
 se sérialise : la chaîne NBC a lancé le sa-              cinéma et la télévision, c'est-à-dire les sup-
medi 21 septembre 1996 une nouvelle sé-                   ports massmédiatiques, plus contrôlables,
rie Profiler. On y voit une femme, Sam                    ce reflux épargne cependant le plus anar-
Waters, dont les talents de profiler (cet                 chique et acéphale Internet où de nom-
agent du F.B.I. chargé d'établir le profil                breux sites sont consacrés à Bundy, Gacy,
psychologique d'un sériai killef) lui per-                Dahmer, etc. Il semblerait que les médias
mettent de pénétrer à l'intérieur de l'es-                américains qui s'intéressent plus aujour-
prit tordu des meurtriers et de faire la                  d'hui aux chasseurs de psychopathes
chasse à un psychopathe qui, trois ans plus               veuillent, après nous avoir terrifiés pendant
tôt, a tué son mari. Plus tard cet automne,               des années, nous donner une image rassu-
la compagnie Fox (productrice de la série                 rante de la situation : les monstres de jadis
culte The X-Files) lancera Millenium, dans                sont confrontés, enfin, à de redoutables
laquelle un ancien agent du F.B.I. (en-                   adversaires, le sériai killer réduit, dans
core !), Frank Black, traquera, lui-aussi, de             l'imaginaire optimiste de la culture média-
nombreux sériai killers.                                  tique américaine, à l'état de simple faire-
    Aujourd'hui, dernier retournement                     valoir des tout-puissants agents du F.B.I. Le
donc, on constate que le tueur sériel, même               dragon a-t-il été, enfin, terrassé par Saint-
s'il reste encore relativement présent dans               Georges ? Pas si sûr ; il garde les yeux
les médias 22 semble peu à peu céder du                   ouverts et nous redoutons tous, incons-
terrain a son chasseur spécifique, le profi-              ciemment (impatiemment) son retour...

        22 Dans des films comme Seven de D. Fioncher, 1995, ou Copycat de J.Amiel, 1995 ; dans certains
épisodes de la série The X-Files (« Squeeze », 24 septembre 1993 ; « Beyond the Sea », 7 janvier 1994 ; « Tooms »,
22 avril 1994 ; « Aubrey », 6 janvier 1995 ; « Irrésistible », 13 janvier 1995).

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                                     Orientations bibliographiques

    Le lecteur curieux trouvera dans ces succinctes suggestions de lecture de quoi se constituer un
    corps de savoir minimal sur le tueur sériel, ce nouvel « emploi » de la culture médiatique américaine.

1) Le True Crime
DOUGLAS, John & Mark OLSHAKER, Mind Hunter (Inside the Elite Sériai Crime Unit), New York, Pocket
    Books, 1996. Les témoignages impressionnants des deux meilleursprofilers du F.B.I.
HICKEY, Eric W., Sériai Murderers and Their Victims, Pacific Grove, Brooks-Cole Publishing Company,
    1991. L'ouvrage de référence sur les tueurs sériels, New York, Académique et indispensable.
KEPPEL, Robert D & William J. BIRNES, The Riverman, New York, Pocket Books, 1995. Ted Bundy « colla-
    bore » avec le F.B.I. pour faire la chasse à un autre tueur sériel, le « Green River Killer ». Incontourna-
    ble.
MICHAUD, Stephen & Hugh AYNESWORTH, Ted Bundy : Conversations With a Killer, New York, Signet
    Books, 1989. Quelques heures, terrifiantes, en compagnie de Ted Bundy.
OLSEN, Jack, The Misbegotten Son (A Sériai Killer and His Victims) New York, Island Books, 1993. Le
    meilleur ouvrage écrit, de l'intérieur, sur un tueur en série.
RESSLER, Robert K. & Tom SHACHTMAN, Whoever Fights Monsters (My Twenty Years Tracking Sériai
    Killers), New York, St Martin's Press, 1992.

2) La fiction
CARR, Caleb, The Alienist, New York, Random House, 1994. 1896 ; un tueur en série hante les rues de
    New York. Édouardien.
HARRIS, Thomas, The Silence ofthe Lambs, New York, St Martin's Press, 1988. Un classique.
PERRY, Michael R., The Stranger Returns, New York, Pocket Books, 1992. Le 24 janvier, Ted Bundy est
    électrocuté dans la prison de Starke en Floride. Maintenant Ted a un alibi parfait. Tout le monde
   pense qu'il est mort... Surprenant.
SPEHNER, Norbert, Les fils de Jack l'Éventreur, Québec, Nuit Blanche éditeur (Études paralittéraires),
    1995. Le guide bleu de cet univers imaginaire.

3) Le cinéma
Halloween, John CARPENTER, 1978. Un des premiers du genre. Indémodable.
Seven, D. FINCHER, 1995. Un des derniers avatars du genre. Expressionniste et glauque.
Henry : Portrait of a Sériai Killer, John MCNAUGHTON, 1986. Cinéma-vérité, estomacs sensibles s'abs-
   tenir...

4) La Sleazoïd   Press
Inside Détective
Startling Détective
True Police
Pour amateurs seulement...

5) Les fanzines
Answer Me
Mur der Can Be Fun
Morbides et provocants.

6) Les Comics
Psycho Killers (1 à 10)
Psycho Killers Classics (1 et 2)
Désolants et aujourd'hui heureusement introuvables (ou presque).

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