MONDE - Scénario macro-économique 2018-2019 - " Et pourtant, elle tourne ! " - Etudes économiques du ...

La page est créée Emmanuelle Riou
 
CONTINUER À LIRE
Trimestriel – N°18/200 – 3 octobre 2018

     MONDE – Scénario macro-économique 2018-2019
     « Et pourtant, elle tourne ! »

          Les sources d’authentique inquiétude ne manquent pas. Certaines menaces planent et il est ardu (voire
          illusoire) de leur assigner une probabilité, de leur donner une consistance tangible. D’autres ont déjà pris
          corps. Et l’économie résiste encore plutôt bien. Avant même qu’elles n’aient d’influence concrète sur
          l’économie réelle, les menaces font cependant sentir leurs effets sur les variables financières et les
          anticipations.

           Zoom vidéo                                                                                   Sommaire
                               « Et pourtant, elle tourne ! »
                                                                  Pays développés – Croissance assagie sans dérapage
                               En dépit de la multiplication       inflationniste .............................................................................3
                               indéniable des foyers de risque.    Pays émergents – Croissance résiliente mais marchés
                               Ceux-ci n’affectent pas encore      volatils ......................................................................................9
                               dramatiquement l’économie réel-     Pétrole – Le cap des 100 dollars en vue ................................. 12
                               le, mais encouragent un resser-
                                                                   Politique monétaire – Resserrements variés et encore
                               rement des conditions financières
                                                                   digestes .................................................................................. 14
                               et altèrent la confiance.
                                                                   Taux d’intérêt – Le cœur et la périphérie................................. 17
                                                                   Taux de change – Le dollar tire son épingle du jeu ................. 20
                                                                   Prévisions économiques et financières ................................... 23

         Les sources d’authentique              inquiétude    ne    consistance tangible. D’autres ont déjà pris
         manquent pas.                                              corps.

         Multiformes, circonscrites ou diffuses, nombre             Le resserrement monétaire américain (conforme
         d’entre elles ébranlent nos certitudes. Remise en          aux attentes) et la dégradation des conditions de
         cause du multilatéralisme, essoufflement du projet         marché liée à la montée (justifiée) de l’aversion au
         européen, montée du protectionnisme américain,             risque ont déjà fait des victimes à l’intérieur du
         accroissement des tensions géopolitiques notam-            monde émergent. Les exemples les plus éloquents
         ment au Moyen-Orient, Brexit dont on ignore                en sont l’Argentine (un climat financier moins
         toujours quelles en seront les modalités et, plus          clément a précipité une crise de change et mis en
         « prosaïquement », resserrement des conditions             lumière les contradictions d’un policy-mix ambitieux
         monétaires américaines. Certaines menaces                  mais incomplet voué à l’échec) et la Turquie
         planent et il est ardu (voire illusoire) de leur           (confrontée à un type de crise financière dont elle
         assigner une probabilité, de leur donner une               est coutumière, alors même qu’il est difficilement

Études Économiques Groupe
http://etudes-economiques.credit-agricole.com
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
« Et pourtant, elle tourne »

    envisageable qu’elle se précipite vers le FMI, elle       ralentit certes (autour de 2,1% en 2018 et de 1,8%
    souffre d’une réappréciation à la hausse des              en 2019), mais c’est un essoufflement naturel. La
    risques politique et géopolitique qui mine la             consommation des ménages se tient bien et,
    confiance des investisseurs).                             surtout, la reprise de l’investissement éloigne les
                                                              craintes d’une interruption précoce d’un cycle
    Les sanctions américaines à l’égard de l’Iran se          encore vertueux. La consolidation de la demande
    traduisent, par ailleurs, par une pénurie d’offre de      interne se poursuit donc. Les craintes relatives à
    pétrole sur un marché déjà confronté au déclin de         une pénurie de main-d’œuvre source d’augmenta-
    la production vénézuélienne et aux difficultés d’a-       tions de salaire localisées, puis diffuses générant
    cheminement aux États-Unis. Un marché qui aura            une accélération sensible de l’inflation et mettant un
    donc besoin de l’OPEP pour s’équilibrer en 2019 et        terme prématuré à la croissance, sont infondées.
    un prix du pétrole qui pourrait, au moins tempo-          Seule l’Allemagne est confrontée à une telle rareté.
    rairement, franchir le cap des 100 dollars par baril.     Les pressions salariales restent tout à fait mesurées
                                                              et expliquent que l’inflation sous-jacente reste elle-
    Enfin, le protectionnisme américain et les droits         même modérée.
    de douane imposés à la Chine dont il est probable
    qu’en 2019 ils s’appliquent à l’intégralité des           Ainsi, tant aux États-Unis qu’en zone euro, il n’y a
    exportations chinoises. Cette guerre commerciale          pas d’emballement inflationniste incontrôlé, pas de
    devrait marginalement amputer le pouvoir d’achat          resserrement monétaire précipité, pas de remontée
    des ménages américains et se traduire par une             pathogène des taux d’intérêt à long terme.
    remontée des taux des « Fed Funds » (seulement)
    légèrement plus marquée que ne le suggère                 Mais avant même que les menaces déjà
    actuellement le « dot plot ». Elle devrait soustraire     évoquées n’aient d’influence concrète sur l’éco-
    2 points de pourcentage à la croissance chinoise,         nomie réelle, elles font sentir leurs effets sur les
    intégralement compensés par le plan de relance            variables financières et les anticipations.
    « tous azimuts » déployé par Pékin et permettant de
    rester sur un rythme d’expansion inchangé autour          L’aversion au risque se traduit par des périodes de
    de 6,5%.                                                  fortes turbulences et une volatilité accrue. Elle
                                                              justifie que les taux longs « core » (États-Unis et
    « Et pourtant, elle tourne ! », en dépit de la            Allemagne) ne se redressent pas significativement
    multiplication indéniable des foyers de risque.           en dépit d’une croissance nominale, respective-
                                                              ment, réjouissante et satisfaisante et que le dollar
    L’économie, dans son ensemble, résiste encore             tire encore bien son épingle du jeu. Le risque peut
    bien. Aux États-Unis, poursuivant sur la lancée           évidemment également se traduire par une révision
    d’une année 2018 elle-même placée sous le signe           à la baisse des anticipations de croissance et
    de la poursuite d’une croissance forte (2,9%),            affecter négativement les comportements d’inves-
    encore peu inflationniste au regard de sa vigueur et      tissement.
    de sa longévité, l’année 2019 se présente sous de
    bons auspices. Toujours dopée par le programme            L’année 2020 risque ainsi de se révéler délicate
    fiscal apportant près d’un demi-point de croissance       avec un repli de la croissance généralisé. Aux
    supplémentaire (après 0,8 point de pourcentage en         États-Unis, alors que le stimulus budgétaire sera
    2018), la croissance resterait soutenue (2,5%),           largement épuisé, que les taux de la Fed se
    malgré la poursuite du resserrement monétaire qui,        situeront en territoire restrictif, la croissance est
    toujours graduel et assorti d’une communication           vouée à fortement ralentir. Quant à la zone euro,
    habile, ne propulse pas les taux d’intérêt longs vers     elle devra faire face à des temps bien plus difficiles,
    des sommets anxiogènes.                                   alors même qu’elle n’aura pas reconstitué les
                                                              marges de manœuvre propres à doper une crois-
    En zone euro, le fléchissement de la croissance ne        sance dangereusement faiblissante.
    doit pas être interprété comme le signe annon-
    ciateur d’un retournement imminent. La croissance

                                               N°18/200 – 3 octobre 2018                                          2
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
      « Et pourtant, elle tourne »

                              Pays développés – Croissance assagie sans
                              dérapage inflationniste
                               Le pic des rythmes de croissance très soutenus est passé : la croissance s’assagit sans emballement
                               inflationniste manifeste. Une fin de cycle que l’on peut encore espérer ordonnée tant que la guerre
                               commerciale reste circonscrite au conflit ouvert sino-américain.

                                                                      États-Unis : ralentissement en vue…
                                                                      Le rythme d’expansion a probablement atteint son point haut au
                                                                      deuxième trimestre (à 4,2% en rythme trimestriel annualisé) et
                                                                      devrait permettre à la croissance de s’établir à 2,8% sur l’ensemble
                                                                      de l’année 2018. Un ralentissement de la croissance vers 2,5% se
                                                                      dessine pour 2019, un niveau qui reste toutefois supérieur à la
  USA : la solidité du marché du travail sou-                         croissance potentielle de long terme (environ 2%) et continuera donc à
  tient la confiance des ménages & la conso.                          exercer des pressions, d’une part, à la baisse sur le taux de chômage
350
                                                    cvs, %
                                                              5,5     et, d’autre part, à la hausse sur l’inflation.
       cvs, 000'
300
                                                              5,0
250                                                                   Tout concourt encore actuellement à soutenir la confiance des
200                                                           4,5     ménages et la consommation. Et tout d’abord, la solidité du
                                                                      marché du travail. Depuis le début de l’année, les créations nettes
150                                                           4,0     d’emplois se sont établies à 200 000 unités par mois en moyenne. Le
100                                                                   nombre d'offres d'emplois excède actuellement celui des chômeurs. Le
                                                              3,5
50                                                                    taux de chômage (3,9%) est inférieur au taux de plein emploi estimé
 0                                                            3,0     par la Fed (4,5%) et devrait continuer à baisser. La croissance du
                                                                      salaire horaire moyen semble accélérer (+2,9% sur un an) et le
                                                                      resserrement du marché du travail va continuer d’exercer des pressions
Sources : BLS,               Évolution de l’emploi total non agri.
                                                                      haussières sur les coûts unitaires du travail, puis sur l’inflation. La
Haver, CA CIB                Taux de chômage (dr.)                    situation financière des ménages est confortable, avec un service de la
                                                                      dette faible, quoiqu'en hausse. Le patrimoine net agrégé des ménages
                                                                      a continué de progresser rapidement et entretient un effet de richesse
                                                                      positif qui soutient les dépenses. Simultanément, le taux d'épargne se
                                                                      maintient à un niveau relativement élevé, à 6,7% des revenus
                                                                      disponibles.
                  USA : augmentation des
                  tensions inflationnistes                            Après l’effondrement de l’activité dans le secteur pétrolier et gazier en
3,0%
         a/a, %                                                       2016, l’investissement des entreprises se renforce. Tout contribue
2,5%                                                                  à son expansion : les entreprises réagissent au niveau élevé de la
                                                                      croissance domestique, à la hausse des bénéfices après impôts, à
2,0%
                                                                      l’allègement des règlementations et aux incitations de court terme à
1,5%                                                                  l’investissement inscrites dans le nouveau code des impôts. Il semble
                                                                      cependant que les profits rapatriés après la loi fiscale de décembre
1,0%                                                                  2017 aient plutôt servi à financer des rachats d’actions que de
                                                                      nouveaux investissements matériels. Par ailleurs, à court terme, les
0,5%
                                                                      entreprises sont confrontées à une montée des incertitudes liées à la
0,0%                                                                  question délicate du commerce international. Certaines entreprises ont
    13 - T1        15 - T1   17 - T1       19 - T1                    ainsi déjà indiqué qu’elles reportaient certains investissements
                                   Inflation PCE                      planifiés, en attendant d’y voir plus clair sur la question du commerce
Source : Crédit Agricole CIB       Inflation PCE s/s jacente          international.

                                                                      Financé par le déficit (baisse des impôts et augmentation des
                                                                      dépenses), le stimulus budgétaire devrait ajouter 0,6 point de
                                                                      pourcentage à la croissance cette année et l’année prochaine. Ses
                                                                      effets positifs sur l’activité diminueraient néanmoins fortement
                                                                      après les deux premières années et les « dommages collatéraux »
                                                                      ne peuvent être ignorés. Les mesures budgétaires devraient conduire
                                                                      à un déficit de plus de 1 000 milliards de dollars en 2019 et en 2020.
                                                                      Son financement peut susciter des pressions haussières sur les taux
                                                                      obligataires (prime de risque pour attirer les investisseurs), générant un
                                                                      effet d’éviction pénalisant l’investissement des entreprises privées et

                                                                     N°18/200 – 3 octobre 2018                                   3
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
      « Et pourtant, elle tourne »

                                                                 pesant sur la croissance de la productivité. De plus, la forte hausse des
                                                                 déficits est susceptible de rendre plus ardue la mise en œuvre de
                                                                 politiques contra-cycliques lors du prochain ralentissement.

                                                                 Les pressions à la hausse de l’inflation s’accumulent. L’inflation
                                                                 PCE sous-jacente1 va probablement rester supérieure à 2%. Le
                                                                 maintien d’une croissance excédant son potentiel a permis d’absorber
                                                                 les ressources inemployées et fait baisser le taux de chômage sous son
                                                                 niveau naturel. Les tensions croissantes sur le marché du travail
                                                                 conduisent à des hausses de salaire. Le relèvement des droits de
                                                                 douane, en renchérissant les importations américaines, pourrait ajouter
                   USA : croissance liée                         0,3 à 0,4 point de pourcentage à l’inflation. Enfin, les cours du pétrole
                   aux lois budgétaires                          devraient augmenter au cours des deux prochaines années.
3,5%
3,0%               0,2%                   0,0%                   Les mesures protectionnistes augmentent le risque d’un choc
                   0,3%     0,8%          0,3%        0,6%
2,5%
                   0,3%                   0,3%
                                                                 négatif lié au commerce international. La possible perturbation des
2,0%                                                             chaînes d’approvisionnement peut conduire à une hausse des prix des
                                                                 biens de consommation et à une croissance plus faible. Les droits de
1,5%
                                                                 douane ont également pour effet de décourager l’innovation dans les
1,0%               2,2%                   2,2%
                                                                 secteurs protégés, ce qui réduit la croissance de la productivité. Or, il
0,5%                                                             semble probable que la guerre commerciale entre les États-Unis et la
0,0%
                                                                 Chine se traduira l’année prochaine par une taxe de 25% sur la quasi-
               2018                      2019                    totalité des exportations chinoises à destination des États-Unis et par
 Autres textes                   Dépenses                        une hausse des droits de douane sur les exportations américaines à
 Loi fiscale                     Croissance avant lois budg.     destination de la Chine. La perturbation des chaînes d’approvisionne-
Sources : CFRB, CBO                                              ment et la baisse du pouvoir d’achat des ménages pourraient retirer
                                                                 entre 0,2% et 0,3% à la croissance au cours des six prochains
                                                                 trimestres. La hausse de l’inflation de 0,3 à 0,4 point qui résulterait de
                                                                 la hausse des prix des importations aura une répercussion sur la
                                                                 politique de la Fed.

                                                                 Les démocrates ont des chances raisonnables de remporter plus
                                                                 de vingt-trois sièges supplémentaires lors des élections de mi-
         USA : confiance des entreprises                         mandat, ce qui leur donnerait la majorité à la Chambre des
          & dépenses d'investissement                    %       Représentants. Au Sénat, le nombre de sièges républicains
                                                         2,0     susceptibles de basculer chez les démocrates est plus faible et un
108
                                                         1,5     changement de majorité en faveur des démocrates semble peu
104                                                              probable. L’administration, divisée, devrait limiter fortement les lois
                                                         1,0
100                                                              partisanes. La Chambre des Représentants, hostile à l’administration
                                                         0,5     Trump, fera obstacle aux projets politiques de Donald Trump avec des
96                                                       0,0     enquêtes et des actions en justice sur le fonctionnement de
92                                                       -0,5
                                                                 l’administration et son agenda politique. Si le Sénat reste effectivement
                                                                 sous contrôle républicain, le président Trump continuera à procéder à
88                                                       -1,0    d’importantes nominations à des postes vacants dans le système
  2013      2014     2015    2016     2017     2018
                                                                 judiciaire et à la Réserve fédérale.
                            Contrib. investissement privé non
                            résidentiel à la croissance (dr.)
Sources : NFIB,             Indice NFIB de confiance des         Zone euro : une dernière ligne droite très modérée
BEA, Haver                  PME
                                                                 Dans la zone euro, la croissance s’est infléchie au deuxième
                                                                 trimestre : en décélération par rapport au pic du troisième
                                                                 trimestre 2018 de 2,8% (sur un an), elle se maintient néanmoins à
                                                                 2,1%. Elle profite d’une reprise de l’investissement éloignant, du moins
                                                                 temporairement, les craintes d’une interruption du cycle vertueux de
                                                                 l’accumulation de capital. Face à une contribution négative des
                                                                 échanges, qui risque d’être une constante au cours des prochaines
                                                                 années, la consolidation de la demande intérieure s’est poursuivie, la
                                                                 consommation étant alimentée par la poursuite de la baisse du
                                                                 chômage et l’investissement nourrissant la demande de biens
                                                                 d’équipement. Les dernières enquêtes d’août suggèrent une
                                                                 croissance légèrement supérieure à 2% au second semestre 2018 et

                                                                 1
                                                                     Indice de prix des dépenses de consommation personnelle (Personal Consumption
                                                                     Expenditure), indicateur privilégié par la Fed.

                                                                N°18/200 – 3 octobre 2018                                         4
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
      « Et pourtant, elle tourne »

                                                                 confortent notre hypothèse d’une croissance supérieure au potentiel.
                                                                 Notre scénario table sur un renforcement de l’activité dans la deuxième
                                                                 partie de 2018, puis sur un progressif ralentissement vers son rythme
                                                                 potentiel à l’horizon de la prévision (2,1% en 2018, 1,8% en 2019 et
                                                                 1,7% en 2020), assorti de risques clairement baissiers en provenance
                                                                 de l’environnement international.

                                                                 Plusieurs facteurs temporaires (climat, grèves, cycle des stocks)
                                                                 contribuent à expliquer l’affaiblissement de la croissance en début
                                                                 d’année et le rebond anticipé dès le troisième trimestre 2018, que
                                                                 nous signale, par exemple, le climat des affaires allemand de l’Ifo
               UEM : capacité de fixation
                                                                 stabilisé à un niveau plus élevé depuis deux mois. Certes, le taux
               des prix encore entravée
65                                                               d’utilisation des capacités ne remonte plus depuis avril, rassurant ceux
          solde                                                  qui s’inquiétaient d’une surchauffe précoce de l’économie de la zone.
        d'opinions                                               Les tensions sur les équipements, particulièrement fortes en
60
                                                                 Allemagne, ont également montré des signes de détente avec le
                                                                 ralentissement de la croissance en début d’année. En revanche, les
55                                                               tensions sur la main-d’œuvre croissent et s’intensifient dans la
                                                                 construction et les services. C’est surtout le fait de l’Allemagne,
50                                                               puisqu’en France une stabilisation s’est dessinée au cours de l’été. En
                                                                 moyenne, dans la zone euro, on se situe cependant encore sur des
                                                                 niveaux très élevés et supérieurs au pic précédent (2007). Il est dès
45
  2014           2015         2016         2017          2018    lors légitime de se demander si les contraintes sur la disponibilité
                                                                 de la main-d’œuvre sont susceptibles de rapidement se traduire
            Prix des entrants            Prix des sortants
 Sources : Markit PMI, Crédit Agricole S.A.
                                                                 par une accélération soutenue des salaires, elle-même capable de
                                                                 faire « dérailler » rapidement la croissance.

                                                                 La relation entre croissance, chômage et emploi est plus
                                                                 complexe à court et moyen termes que la simple baisse du
                                                                 chômage ne le suggère : la croissance peut accélérer, l'emploi
                                                                 progresser, mais la baisse du taux de chômage rester limitée, tant que
                                                                 la progression de la population active reste soutenue. L'amélioration du
             UEM : perspectives des prix                         marché du travail incite en effet les personnes (telles que les chômeurs
               secteur manufacturier                             découragés, les femmes au foyer, les étudiants) à rejoindre la
12        solde                                                  population active, car leurs chances de trouver un emploi sont jugées
        d'opinions
                                                                 plus élevées (c’est ce qu’on appelle les « effets de flexion »). La
                                                                 croissance de la population active a été assez rapide en 2017 en
7
                                                                 Allemagne et en Italie (1% et 0,7% respectivement), moindre en France
                                                                 (0,5%) et conserve des rythmes similaires au deuxième trimestre 2018
2                                                                (malgré un léger affaiblissement en Italie). Les créations d’emploi sont
                                                                 dynamiques, affichant une croissance plus soutenue que celle de la
-3                                                               population active, mais elles ont ralenti dans les grandes économies de
                                                                 la zone (1,4% en Allemagne, 0,9% sur un an en France et en Italie au
                                                                 deuxième trimestre). La combinaison de ces différentes dynamiques a
-8                                                               ainsi infléchi le rythme de baisse du taux de chômage. Les effets de
     2014        2015        2016         2017          2018
                                                                 flexion positifs continueront à jouer à l’horizon de la prévision, y compris
Sources : ESI, Commission européenne, CA S.A.
                                                                 en Allemagne, limitant ainsi la baisse du taux de chômage en dépit de
                                                                 créations d’emplois encore vigoureuses. L’Espagne se distingue : la
                                                                 stagnation de la population active va permettre une baisse supplé-
                                                                 mentaire importante du taux de chômage, malgré le ralentissement
                                                                 déjà visible des créations d’emplois. Ainsi, bien que dans la zone euro
                                                                 le contenu en emplois de la croissance reste encore élevé, les effets
                                                                 de flexion vont retarder l’atteinte du taux de chômage « neutre », celui
                                                                 à partir duquel les entreprises rencontreront des difficultés de
                                                                 recrutement qui suscitent des tensions inflationnistes.

                                                                 Si, au cours du deuxième trimestre 2018, une accélération rapide
                                                                 des salaires a été constatée2, elle est surtout le fait des salaires
                                                                 allemands dont le rythme de croissance a accéléré de 2,5% à 3,2%
                                                                 sur la période. En France, elle est bien plus modeste, le taux de
                                                                 2
                                                                     Le taux de croissance sur un an du salaire par tête étant passé de 1,8% au quatrième
                                                                     trimestre 2017 à 2,4% au deuxième trimestre 2018.

                                                                N°18/200 – 3 octobre 2018                                              5
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
         « Et pourtant, elle tourne »

                                                               croissance du salaire par tête passant de 1,8% à 2,2% sur la même
                                                               période. En Italie, la forte hausse du taux de croissance du salaire par
                                                               salarié entre fin 2017 (0,7%) et juin 2018 (2,5%) est principalement due
                                                               à la fin du gel des salaires dans la fonction publique. La dynamique du
                                                               secteur marchand est plus modérée et rend cette accélération non
                                                               reproductible au cours des prochains trimestres. En revanche, en
                                                               Espagne, l’accélération (de 0,4% au quatrième trimestre 2017 à 1,1%
                                                               au deuxième trimestre 2018) est plus généralisée au sein des différents
                    UEM : indice des prix à la                 secteurs et plus susceptible de se poursuivre. La progression
                   production dans l'industrie                 allemande prend sa source dans la forte hausse des salaires négociés
4
         a/a, %                                                au premier semestre3. Les revendications salariales se sont conclues
3                                                              par des négociations ayant couvert 8,5 millions de salariés (soit 42%
2                                                              des salariés couverts par les accords de branche) et valables à
                                                               l’horizon de notre prévision (vingt-six mois en moyenne). La
1
                                                               progression des salaires a été tirée par les secteurs du bâtiment et des
0                                                              biens intermédiaires mais, également, par l’administration fédérale et
-1                                                             les municipalités. Pour l’ensemble de l’année 2018 et bien qu’un
                                                               nouveau tour de négociations s’ouvre dans la chimie et dans les
-2
                                                               chemins de fer, la progression du salaire négocié devrait s’arrêter sur
-3                                                             un rythme de 2,7%, rythme qui serait inchangé en 2019. Le seul
-4                                                             potentiel d’accélération des salaires allemands l’année prochaine vient
  2014         2015          2016         2017         2018    donc de la dérive salariale, avec une progression du salaire effectif plus
 Sources : Eurostat, Crédit Agricole S.A.                      rapide (2,9% en 2018 et 3,1% en 2019), qu’on observe dans cette
                                                               phase du cycle.

                                                               La pression de la demande sur l’offre de travail commence donc à
                                                               « mordre ». Mais à l’exception du cas particulier de l’Allemagne,
                                                               cette pression reste modérée et justifie notre scénario d’accé-
                                                               lération limitée de l’inflation sous-jacente. L’enclenchement de la
              UEM : obstacles à la production
                                                               boucle prix-salaires (comportement des entreprises qui répercutent sur
              dans l'industrie - main-d'oeuvre
30                                                             leurs prix de vente les augmentations des salaires, etc.) n’est pas avéré
               %                                               à ce stade. L’affaiblissement de la productivité en début d’année,
25         entreprises
                                                               consécutive au ralentissement de l’activité, n’a pas pu compenser
20                                                             l’accélération des salaires (ni celle du déflateur de la valeur ajoutée
15                                                             d’ailleurs) ; ce qui s’est soldé par une interruption de la hausse du taux
                                                               de marge. Les gains de productivité attendus avec l’accélération de
10
                                                               l’activité en fin d’année seront utilisés pour reconstituer les marges. Les
     5                                                         enquêtes auprès des entreprises montrent une dégradation des
     0                                                         opinions sur les prix anticipés de vente ; le pouvoir de fixation des prix
                                                               (tel qu’il ressort des enquêtes PMI) se détériorait encore en août. Les
 -5
                                                               prix à la production industrielle progressent quant à eux plus vite
         00   02    04   06   08   10   12   14   16    18
                                                               que les prix à la consommation (4% sur un an). Mais cette dynamique
           Zone euro        Allemagne             France
                                                               est principalement imputable à la production d’énergie (10,7% sur un
 Sources : Commission européenne, CA S.A.
                                                               an), avec une diffusion modérée sur les prix des biens intermédiaires
                                                               (3,2% sur un an) et inexistante sur les autres (1,1% pour les biens
                                                               d’investissement, 1,3% pour les biens de consommation durables). Si
                                                               le risque inflationniste refait surface du fait des tensions sur le prix
                                                               du pétrole, il reste affaibli par les canaux de transmission internes
                                                               dans un contexte de ralentissement progressif de la demande.
                                                               L’appréciation de l’euro en termes effectifs, du fait de la dépréciation
                                                               des devises émergentes, réduit aussi le potentiel de transmission d’une
                                                               inflation mondiale plus soutenue. Cette appréciation, dommage
                                                               collatéral des guerres commerciales, vient limiter les gains potentiels
                                                               que la zone euro pouvait tirer des baisses des tarifs chinois sur les
                                                               automobiles et composantes, ainsi que de la substitution des
                                                               importations sur les marchés chinois et américain. Les tarifs américains
                                                               minent néanmoins la profitabilité des entreprises européennes,
                                                               notamment dans le secteur de l’automobile, qui produisent 26% des
                                                               véhicules sur le territoire américain dont 60% sont exportés.

                                                               3
                                                                   De 2,4% fin 2017 à 3,1% au premier semestre 2018 en rythme annuel, soit un
                                                                   nouveau sommet après les pics de 2008 et 2014.

                                                              N°18/200 – 3 octobre 2018                                      6
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
     « Et pourtant, elle tourne »

                                                                      Royaume-Uni : croissance plus forte qu’attendu à court
                                                                      terme
                                                                      Nous révisons notre prévision de croissance pour le troisième
                                                                      trimestre à la hausse, mais attendons un ralentissement à moyen
                                                                      terme sur fond d’incertitudes liées au Brexit qui devraient persister
                                                                      en 2019, même si la période de transition post-Brexit a lieu. La
                                                                      croissance a bien démarré au troisième trimestre, à la faveur de
                                                                      facteurs temporaires pendant l’été, tels que la Coupe du monde de
               R-U : croissance des salaires
7                                                                     football et des températures inhabituellement élevées. Nous avons
                                                                      révisé notre prévision du troisième trimestre 2018 de 0,4% à 0,5% en
6
                                                                      variation trimestrielle, soit une légère accélération par rapport au
5                                                                     deuxième trimestre (0,4%). Le PIB a progressé de 0,3% au cours du
4                                                                     seul mois de juillet par rapport au mois de juin, grâce à une solide
                                                                      progression de 0,3% des services et à un rebond de 0,5% de la
3
                                                                      construction. Au-delà du troisième trimestre, nous tablons sur une
2                                                                     croissance de 0,3% en moyenne au quatrième trimestre 2018 et au
1        a/a, %,                                                      premier trimestre 2019, une période de risque politique élevé avec
         mm 3m                                                        le début de la ratification du Brexit et notamment le vote du
0                                                                     Parlement britannique sur l’accord final. Selon notre scénario, les
    01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 13 14 15 16 17 18
                                                                      négociateurs devraient parvenir à conclure un accord de retrait vers la
             Economie totale             Secteur privé                fin de l’année au plus tard et nous n’attribuons qu’une probabilité faible
             Secteur public              Sources : ONS, CA S.A.       (d’environ 10%) au scénario d’absence d’accord (no-deal).

                                                                      La croissance des salaires se renforce sur fond de baisse de la
                                                                      main-d’œuvre disponible. Le taux de chômage était de 4% sur la
                                                                      période mai-juillet, au plus bas depuis février 1975. Alors même que la
                                                                      croissance de l’emploi s’est quasiment arrêtée pendant cette période
                                                                      (3 000 créations d’emplois seulement), les salaires ont connu une
                       R-U : immigration de                           légère accélération, avec une croissance de 3% sur un an dans le
                       travail UE & non-UE                            secteur privé et de 2,9% pour l’ensemble de l’économie. L’analyse par
200                                                                   secteur montre de fortes progressions dans le commerce de détail,
           000', fin
           d'année                                                    l’hôtellerie et la restauration où la croissance des salaires a rebondi de
150
                                                                      2,7% à 3,5%. Cela pourrait être dû aux facteurs temporaires qui ont
                                                                      soutenu les dépenses de consommation pendant l’été, mais, plus
                                                                      fondamentalement, la contraction de 0,2% de la population active entre
100                                                                   avril et juillet explique probablement en partie cette hausse des
                                                                      salaires. La croissance de la population active devrait s’affaiblir à
                                                                      moyen terme, l’immigration en provenance de l’UE étant amenée à
    50
                                                                      baisser davantage en raison du Brexit, ce qui devrait à son tour soutenir
                                                                      la croissance des salaires. L’immigration pour des motifs d’emploi a
    0                                                                 baissé de manière significative depuis le vote en faveur du Brexit (à
    déc.-09        déc.-11     déc.-13      déc.-15        déc.-17    77 000 sur un an à fin mars 2018, contre 130 000 au deuxième
Sources : ONS, CA S.A.                    UE             Non-UE       trimestre 2016), principalement en raison d’une baisse de l’immigration
                                                                      en provenance de l’UE.

                                                                      Japon : poursuite de la reprise lente, mais le risque
                                                                      d’instabilité politique lié à la réforme constitutionnelle sera
                                                                      à surveiller de près
                                                                      Selon les chiffres les plus récents, la croissance réelle a été de 3%
                                                                      en rythme annualisé au deuxième trimestre : il s’agit du chiffre de
                                                                      croissance le plus élevé depuis le premier trimestre 2016. La principale
                                                                      explication tient à l’accélération de l’investissement privé, qui a
                                                                      progressé de 12,8% en rythme annualisé sur le trimestre. Ce phéno-
                                                                      mène peut-il se poursuivre au troisième trimestre ? Notre réponse est
                                                                      clairement négative : la progression de l’investissement observée au
                                                                      deuxième trimestre semble, en effet, beaucoup trop élevée par rapport
                                                                      à celle, quasi-nulle, des exportations.

                                                                      Un ralentissement de l’investissement semble donc inévitable au
                                                                      troisième trimestre. Cette période a par ailleurs été marquée par des
                                                                      facteurs très défavorables pour la consommation privée, avec une série

                                                                     N°18/200 – 3 octobre 2018                                   7
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
      « Et pourtant, elle tourne »

                                                                 de typhons, des vagues de chaleur et le tremblement de terre sur l’île
                                                                 d’Hokkaido. Cela devrait conduire à un léger recul du PIB réel au
                                                                 troisième trimestre et nous tablons sur -0,3% en rythme trimestriel
                                                                 annualisé.

                                                                 Le recul du PIB au troisième trimestre restera temporaire : la
                                                                 phase de reprise va se poursuivre et atteindra un record de
                                                                 longévité pour la période d’après-guerre, à soixante-treize mois en
                                                                 décembre. Le secret de cette longévité ? Le Japon n’a, à ce jour,
                                                                 accumulé aucun des trois types d’excès (excès de capacités de
                                                                 production, de stocks et de main-d’œuvre) susceptibles de déclencher
           Japon : PIB réel & composantes
                                                                 une contraction économique. Pourquoi ces excès n’ont-ils pas été
T4 12=100          de la demande
                                                                 accumulés, malgré la durée de la reprise ? En un mot, parce que la
140
             Abenomics                                           reprise a été trop lente. La durée de la reprise n’est donc pas le résultat
130                                                              des Abenomics.
120
                                                                 À plus long terme, l’attention se portera sur la politique après la victoire
110                                                              de Shinzo Abe aux élections à la présidence du Parti libéral démocrate
                                                                 (LDP), le 20 septembre dernier. En remportant cette élection, le
100
                                                                 Premier ministre a entamé son troisième (et dernier) mandat de trois
 90                                                              ans à la tête de ce parti, ce qui implique qu’il pourra rester Premier
      12     13       14     15      16       17      18         ministre jusqu’en septembre 2021, mais pas au-delà.
         PIB réel                      Exports
         Invest.privé                  Invest.public
         Conso. privée                 Immo. résid. privé
                                                                 À court terme, la victoire de Shinzo Abe peut être perçue comme
Source : Crédit Agricole CIB                                     un signe de stabilité politique au Japon, alors que d’autres pays
                                                                 traversent des périodes d’instabilité. Il nous semble toutefois que
                                                                 les risques d’instabilité politique devront être surveillés de près à
                                                                 plus long terme. En effet, entamant son ultime mandat à la tête du
                                                                 LDP, Shinzo Abe ne peut désormais plus reporter la réforme consti-
                                                                 tutionnelle (sur le rôle des Forces d’autodéfense).
               Japon : Résultat du LDP
               aux élections législatives                        Les réformes constitutionnelles suivent un processus en deux étapes.
 70
            Avt la circonscription    Après la circons-          Tout d’abord, la Diète doit émettre une proposition approuvée par au
                    unique             cription unique           moins deux tiers des membres de la Chambre haute et par au moins
 60                                                              deux tiers des membres de la Chambre basse. Cette proposition est
                                                                 ensuite soumise à référendum et doit être approuvée à la majorité des
 50
                                                                 votes exprimés pour être adoptée. La première étape ne devrait pas
 40
                                                                 poser de problème, mais la seconde semble plus difficile à franchir.

 30                                                              Il est important de noter qu’un écart significatif s’est creusé entre la part
                                                                 des sièges gagnés par le LDP à la Chambre basse et la part des
 20                                                              électeurs qui ont voté pour le LDP lors des élections législatives. Cet
                                                                 écart s’explique principalement par le système de circonscription
                                                                 unique introduit en 1996, dans lequel un seul député est élu par
      Pourcentage de sièges           Pourcentage d’électeurs
 Sources : Cabinet Office, Crédit Agricole CIB                   circonscription, ce qui confère à ce système un aspect « tout ou rien »
                                                                 qui favorise le parti majoritaire.

                                                                 La part importante de sièges détenus par le parti au pouvoir
                                                                 permettra à la réforme de franchir aisément la première étape (la
                                                                 proposition de la Diète). Le fait que les électeurs soutenant le LDP
                                                                 ne détiennent pas la majorité rendra la deuxième étape (le
                                                                 référendum) plus difficile à franchir. Cela crée un risque d’in-
                                                                 stabilité politique, bien que Shinzo Abe ait été réélu à la tête de
                                                                 son parti le 20 septembre.

                                                                N°18/200 – 3 octobre 2018                                     8
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
       « Et pourtant, elle tourne »

                           Pays émergents – Croissance résiliente mais
                           marchés volatils
                             Escalade des tensions commerciales, poursuite des hausses de taux… Mais seulement un léger
                             ralentissement de la croissance des pays émergents, grâce au soutien apporté par la Chine à son
                             économie. Certaines devises émergentes devraient toutefois rester volatiles.

                                                               Les difficultés se sont aggravées au cours des derniers mois sur les
                                                               marchés émergents. Tout d’abord, les tensions commerciales entre
                                                               les États-Unis et la Chine se sont intensifiées. Les États-Unis vont
                                                               augmenter les droits de douane sur 250 milliards de dollars d’importations
                                                               en provenance de Chine. La Chine a répliqué en relevant les taxes sur
                                                               60 milliards de dollars d’importations en provenance des États-Unis. Les
                                                               deux pays ont opté pour un niveau de taxation inférieur à ce qui était
                                                               attendu lors de la dernière vague de taxation, ce qui pourrait être une
                   BRIC : croissance du PIB                    manière de laisser la porte ouverte à de nouvelles négociations. Le
8
       %                                                       manque de progrès dans les négociations au cours des quelques
7                                                              trimestres écoulés et la détermination de l'administration Trump à
6
                                                               maintenir la Chine sous pression rendent cependant tout à fait possible un
                                                               scénario d’escalade vers une situation, où l'ensemble du commerce
5                                                              bilatéral entre les deux pays sera à terme taxé.
4
                                                               Cependant, dans un tel scénario, la Chine continuerait de compenser les
3                                                              effets négatifs des droits de douane par des mesures de relance. L'impact
2                                                              négatif sur la croissance chinoise serait donc limité et si la croissance
                                                               chinoise reste forte, les pays exportant vers la Chine ne seront que
1
                                                               modérément affectés.
0
      Chine           Inde        Brésil        Russie         Autre facteur : la crise financière dans certains pays, notamment
 Source : Crédit Agricole CIB     2017       2018     2019     l’Argentine et la Turquie, a également alimenté l’aversion au risque. La
                                                               réponse inadaptée des autorités n'a fait qu'aggraver la situation,
                                                               particulièrement en Turquie où l'indépendance de la Banque centrale a été
                                                               menacée par la réticence de Recep Tayyip Erdogan à laisser les taux
                                                               augmenter. Au Brésil, l'incertitude politique liée aux élections a également
                     BRIC : balance courante                   alimenté la volatilité. Finalement, les secteurs à risque sur les marchés
2,5                                                            émergents ont fourni des points de pression aux marchés.
           % PIB
2,0
1,5                                                            Toutefois, la contagion vers les autres pays émergents a été inégale. Les
1,0
                                                               pays les plus affectés présentaient les vulnérabilités extérieures les plus
                                                               importantes (les pays présentant d'importants besoins de financement
0,5
                                                               extérieur, par exemple). Une telle différenciation suggère que les pays les
0,0
                                                               moins vulnérables sur le plan macro-économique devraient subir des
-0,5                                                           pressions de marchés moins importantes.
-1,0
-1,5                                                           Sur le plan de la politique monétaire, certaines Banques centrales
-2,0                                                           émergentes ont dû procéder à des hausses de taux défensives
-2,5                                                           (notamment en Turquie et en Argentine). Un scénario de guerre
             Chine        Inde      Brésil       Russie        commerciale totale pourrait alimenter l’aversion au risque et déclencher de
 Source : Crédit Agricole CIB          2017    2018    2019    nouvelles hausses de taux directeurs dans la sphère émergente.
                                                               Toutefois, la plupart des Banques centrales des pays émergents
                                                               continuent de bénéficier de marges de manœuvre importantes et devraient
                                                               pouvoir se permettre de ne pas relever leurs taux au même rythme que la
                                                               Fed.

                                                               Nous avons ainsi révisé nos prévisions de croissance pour les pays
                                                               émergents, mais de manière assez limitée. Nous tablons sur un
                                                               ralentissement de la croissance émergente de 4,4% en 2018 à 4,2% en
                                                               2019.

                                                              N°18/200 – 3 octobre 2018                                    9
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
     « Et pourtant, elle tourne »

                                                                  Le risque de volatilité sur les marchés financiers (notamment le
                                                                  marché des changes) reste plus important que le risque de
                                                                  ralentissement économique. Dans ce contexte de tensions
                                                                  commerciales, d’incertitudes politiques et géopolitiques et de poursuite de
                                                                  la hausse de taux aux États-Unis, les pays qui dépendent le plus de
                                                                  financements extérieurs (notamment la Turquie, l’Argentine et l’Afrique du
                                                                  Sud) et ceux qui vont connaître d’importants changements politiques (en
                                                                  particulier le Brésil) demandent une attention particulière.

                                                                  Brésil : à la croisée des chemins
      Brésil : le chômage reste élevé
14
                                                                  L’élection présidentielle du 7 octobre est probablement la plus
      %                                                           incertaine de l’histoire de la démocratie brésilienne. Le pays est
                                                                  fortement divisé et le sentiment contestataire est très prononcé. Les
12                                                                frustrations liées à l’économie et notamment au niveau toujours élevé du
                                                                  taux de chômage expliquent la demande croissante de changement. Les
                                                                  treize années de politique populiste sous le gouvernement du Parti des
10                                                                travailleurs sont encore très présentes dans la mémoire des Brésiliens aux
                                                                  revenus modestes : le Parti des travailleurs bénéficie d’un important
                                                                  soutien électoral, malgré tous les scandales de corruption et
 8                                                                l’emprisonnement de l’ancien président Lula da Silva. Au second tour,
                                                                  programmé le 28 octobre, la victoire se jouera entre le candidat d’extrême-
                                                                  droite Jair Bolsonaro du Parti social-libéral (PSL), qui mène la course en
 6
  2012    2013    2014      2015    2016     2017     2018        tête avec un programme axé sur la lutte contre la corruption et la sécurité
 Sources : IBGE, PNAD                                             publique et, vraisemblablement, Fernando Haddad, le candidat du Parti
                                                                  des travailleurs. Les commentaires nationalistes de Jair Bolsonaro ne sont
                                                                  pas en accord avec le credo libéral de son conseiller économique, Paulo
                                                                  Guedes, très apprécié des marchés. Ce dernier est en faveur
                                                                  d’importantes privatisations et d’une réduction drastique de la taille de
                                                                  l’État. Il préconise également une réforme des retraites, mais les marchés
                                                                  se demandent si Jair Bolsonaro sera en mesure d’obtenir le soutien
               Russie : dollar/rouble
                                                                  nécessaire au sein du Congrès pour pouvoir réformer en profondeur le
                 et taux directeur
71                                                        7,80    système de sécurité sociale, en particulier, si ses convictions anti-
                                                      %
70                                                                corruption amenaient à une paralysie du Congrès comparable à celle que
                                                          7,70    le pays avait connue au plus fort de l’opération « Lava Jato » (lavage
70
69                                                        7,60
                                                                  express). Une victoire de Fernando Haddad serait inquiétante,
                                                                  principalement parce que son orientation politique l’amènerait à accroître
69
                                                          7,50    de nouveau l’interventionnisme du gouvernement dans l’économie et à ne
68
                                                                  pas se préoccuper de la trajectoire explosive des finances publiques. S’il
68                                                        7,40    était élu, Fernando Haddad enverrait probablement des messages positifs
67
                                                          7,30    aux marchés, pour essayer d’assurer une transition en douceur, mais les
67
     USD/RUB
                                                                  marchés ne mordraient pas facilement à l’hameçon. Notre scénario
66                                                        7,20    central table sur une victoire de Jair Bolsonaro et sur le fait que le
sept.-18   déc.-18   mars-19    juin-19    sept.-19               pays connaîtra probablement des ajustements macro-économiques
                                     USD/RUB                      positifs, dans un contexte qui restera cependant difficile.
 Source : Crédit Agricole CIB        Taux 1 semaine (dr.)

                                                                  Russie : un contexte favorable, terni par les risques de
                                                                  sanctions américaines
                                                                  La croissance économique devrait rester décevante dans les
                                                                  trimestres à venir en Russie. Le niveau relativement élevé des cours du
                                                                  pétrole devrait aider, mais la consommation privée (bien qu’elle contribue
                                                                  de manière importante à la croissance) progresse moins vite que les
                                                                  salaires, les consommateurs russes restant prudents quant aux
                                                                  perspectives du pays.

                                                                  Le principal risque en termes de marchés financiers est lié à la
                                                                  possibilité d’une nouvelle série de sanctions américaines touchant la
                                                                  dette souveraine, les banques et le secteur pétrolier. Il n’est pas certain
                                                                  que la loi américaine en ce sens sera adoptée, mais cette simple
                                                                  éventualité peut peser sur le rouble. La Banque de Russie a déjà relevé le
                                                                  taux repo une semaine, afin de limiter les risques inflationnistes consécutifs
                                                                  à la récente dépréciation du rouble (et à la hausse du taux de TVA). La

                                                                 N°18/200 – 3 octobre 2018                                     10
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
       « Et pourtant, elle tourne »

                                                                     Banque centrale pourrait resserrer davantage sa politique monétaire, si le
                                                                     rouble devait se déprécier en réaction aux craintes de sanction.

                                                                     Sur le plan de la dette souveraine, le budget du gouvernement
                                                                     bénéficie de la montée du prix du pétrole. La Russie devrait dégager un
                                                                     excédent budgétaire cette année et l’année prochaine, ce qui devrait limiter
                                                                     la vulnérabilité du pays à de possibles nouvelles sanctions de la part des
                                                                     États-Unis.

                                                                     Inde : le poids du déficit courant
                 Inde : solde courant et IDE
                                                                     8,2%, quelle performance ! Il s’agit de la croissance indienne
                  (cumul 12 mois, % du PIB)
-2,0                                                          2,0    enregistrée au deuxième trimestre 2018. L’une des plus fortes au
                                                                     monde. Mais ce chiffre est sans doute à relativiser à la lumière de l’effet
                                                                     de base très favorable qui le sous-tend en partie et qui devrait s’atténuer à
-1,5                                                          1,5
                                                                     compter du troisième trimestre ; même s’il faut reconnaître une demande
                                                                     interne dans l’ensemble un peu plus ferme.
-1,0                                                          1,0
                                                                     Et ce n’est en tout cas pas ce chiffre qui retient actuellement l’attention. On
                                                                     pense plutôt au creusement du déficit courant. À 1,9% du PIB en
-0,5                                                          0,5    données cumulées sur un an au deuxième trimestre, lorsqu’il s’était
                                                                     réduit à 0,5% du PIB à l’été 2016. Derrière, il y a la détérioration de la
 0,0                                                          0,0    balance commerciale, et encore derrière, le renchérissement de
     T3 15              T3 16         T3 17           T3 18          l’approvisionnement extérieur en pétrole (entre autres choses). On
    Solde courant       Investissements directs étrangers (dr.)      comprend aussi, par là même, que ce creusement pourrait se poursuivre
Sources : RBI, MCI                                                   à court terme, compte tenu de l’évolution attendue du prix du pétrole, plutôt
                                                                     à la hausse en moyenne.

                                                                     Le fait est que cette détérioration pèse sur la roupie. La devise indienne
                                                                     s’est dépréciée d’un peu plus de 12% face au dollar depuis le début de
                                                                     l’année. L’une des plus chahutées parmi les monnaies émergentes. La
            Chine - Etats-Unis : commerce                            conduite de la politique monétaire, et plus largement du policy-mix, en est
 500
         Mds USD,                                             466    compliquée. La Banque centrale a relevé son taux d’intérêt directeur à
            12M                                                      deux reprises depuis mai dernier, pour un total de 50 points de base, et ce
 400     glissants
                                                                     n’est probablement pas terminé. Un risque baissier plane au-dessus des
 300
                                                                     perspectives de croissance…
                                                              301
 200                                                                 Chine : prête pour la guerre commerciale
                                                              165
                                                                     Le défi le plus important pour l’économie et les marchés chinois est
 100                                                                 évidemment le conflit commercial avec les États-Unis. D’ici quelques
                                                                     mois, la quasi-totalité des exportations chinoises vers les États-Unis seront
   0                                                                 soumises à des droits de douane de 25%, ce qui se traduira par un choc
       00   02     04   06    08    10   12   14   16    18
                                                                     négatif sur la croissance de l’ordre de 2 points de pourcentage en 2019 (en
                                   Solde Chine/États-Unis
                                                                     raison d’effets directs pour une moitié et d’effets liés au climat économique
                                   Exports Chine vers États-Unis
 Sources : CEIC                    Imports Chine des États-Unis      pour l’autre moitié). Cependant, cet effet négatif sera probablement
                                                                     intégralement compensé par le plan de relance déployé par Pékin au cours
                                                                     des derniers mois, un plan qui comprend des assouplissements dans de
                                                                     nombreux domaines : monétaire, budgétaire, règlementaire et crédit. En
                                                                     conséquence, nous maintenons notre prévision de croissance à 6,6% pour
                                                                     2018 et à 6,4% pour 2019 et tablons sur 6,0% pour 2020.

                                                                     La Chine va également faire face à une hausse du prix des
                                                                     importations : nous tablons sur une hausse de l’inflation à 2,5% en 2019,
                                                                     un niveau qui reste toutefois inférieur aux 3,0% visés par le gouvernement.
                                                                     Dernier point, le solde commercial de la Chine devrait reculer d’environ
                                                                     90 milliards de dollars, conduisant à l’émergence d’un déficit courant de
                                                                     0,9% du PIB en 2019. Un tel déficit restera cependant gérable, grâce à la
                                                                     hausse des investissements de portefeuille et à la taille colossale des
                                                                     réserves de change. Face au dollar, le renminbi ne devrait baisser que
                                                                     marginalement, à 6,95 en 2018 et 6,85 en 2019.

                                                                    N°18/200 – 3 octobre 2018                                      11
Monde – Scénario macro-économique 2018-2019
       « Et pourtant, elle tourne »

                              Pétrole – Le cap des 100 dollars en vue
                                                                   En deux ans, le marché pétrolier s’est retourné, passant d’un
                                                                   excédent de pétrole à une très vraisemblable pénurie d’offre en
                Prix pétrole : offre/demande                       2019 et 2020. Depuis le troisième trimestre 2018, il fait notamment face
2,0                                                         140    à la détermination de l’administration américaine de réduire à néant les
         Mb/j                                      USD/b
1,5                                                         120    exportations de pétrole iranien ; alors que, d’une part, la croissance de
1,0                                                                la production américaine devrait connaître un ralentissement et que,
                                                            100    d’autre part, la production vénézuélienne ne semble toujours pas
0,5
                                                            80     capable de se redresser. Il existe toujours de nombreuses incertitudes
0,0                                                                sur l’efficacité des sanctions américaines sur le pétrole iranien, sur la
                                                            60
-0,5                                                               capacité des producteurs américains à remédier aux difficultés de
                                                            40     transport et sur l’ampleur du déclin de la production au Venezuela. En
-1,0
                                                                   effet, il est encore trop tôt pour déterminer dans quelle mesure les gros
                                                            20
-1,5                                                               acheteurs de pétrole iranien que sont la Chine, la Turquie et l’Inde
-2,0                                                        0      parviendront à contourner l’extraterritorialité du droit américain et le
       2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020                          dollar américain dans ses transactions avec l’Iran, ou à bénéficier de
               Surplus        Dated Brent (dr.)      WTI (dr.)     dérogations en échange de diminutions « substantielles » des
 Sources : OCDE/IEA OMR, Thomson Reuters, CAS.A.                   importations de pétrole iranien.

                                                                   Même en considérant un scénario modéré notamment sur
                                                                   l’ampleur des sanctions américaines, la baisse de la production au
                                                                   Venezuela et la croissance de la demande mondiale sur les deux
                                                                   prochaines années, le marché pétrolier aura besoin de l’OPEP pour
                  Pétrole : scénario Brent                         s’équilibrer en 2019, mais aussi très vraisemblablement en 2020.
100
         USD/b
                                                                   Dès 2019, les productions des Émirats arabes unis et du Koweït
 80                                                                devraient très vite parvenir à leur maximum. En supposant un
                                                                   environnement stable en Irak, notamment à Bassorah dans le sud où
 60                                                                se situent les terminaux pétroliers d’où s’exporte la très grande majorité
                                                                   du pétrole irakien, la production irakienne devrait augmenter. Mais
 40                                                                l’essentiel de l’équilibrage du marché pétrolier dépendra de
                                                                   l’Arabie saoudite. Sa production devra augmenter de près d’un million
 20                                                                de barils par jour sur 2019 pour éviter un assèchement des stocks. Il
       T1 16      T1 17      T1 18     T1 19      T1 20            ne restera alors à l’OPEP et à l’Arabie saoudite que très peu de
                                           Historique              capacités excédentaires, juste un peu plus de 1,2 million de barils par
                                           Futures - 01/09/2018    jour d’après les chiffres de l’Agence internationale de l’énergie. Un
 Sources : Thomson Reuters,                Prév. - sept 2018       niveau de capacité excédentaire de l’OPEP aussi faible (seulement
 ICE, CAS.A.                               Prév. - juin 2018       atteint en 2008 et 2011) exposera le marché pétrolier aux risques
                                                                   de forte envolée des prix en cas de nouvelles pertes de production
                                                                   (même momentanées) dans certains pays à l’environnement politique
                                                                   instable comme la Libye. La récente attaque du siège de la compagnie
                                                                   nationale montre la vulnérabilité l’industrie pétrolière libyenne aux luttes
           Transport ferroviaire de pétrole aux                    intestines. L’Arabie saoudite a visiblement pris conscience que sa
kb/j              Etats-Unis* (PADD3)                              production sera fortement sollicitée. Elle a récemment attribué un
  35                                                               contrat à une société américaine pour augmenter la capacité d’un de
  30                      * Texas, Nv. Mexique, Arkansas,          ses importants champs.
                            Mississippi, Alabama
  25
                                                                   Si, en 2019, le marché pétrolier restera essentiellement perturbé par la
  20
                                                                   mise en place des sanctions américaines sur l’Iran, en 2020, les
  15                                                               nouvelles règlementations de l’Organisation maritime interna-
  10                                                               tionale (OMI) sur la qualité des fiouls à partir du 1 er janvier 2020
                                                                   devraient déséquilibrer le marché du gasoil. Le marché du gasoil
   5
                                                                   est l’un des marchés de produits pétroliers les plus dynamiques et
   0                                                               rentables pour les raffineries. C’est aussi le marché dont la croissance
                                                                   soutient celle de la demande en pétrole. L’exigence par l’OMI d’utiliser
                                                                   des fiouls à faible teneur en soufre en 2020 devrait provoquer une
 Source : EIA        De PADD3         Du reste des Etats-Unis      hausse de la demande pour les gasoils désulfurés au détriment des
                                                                   fiouls plus lourds et moins désulfurés majoritairement utilisés
                                                                   aujourd’hui par l’ensemble des flottes commerciales. Ces nouvelles
                                                                   règlementations pourraient alors indirectement impacter le prix du

                                                                  N°18/200 – 3 octobre 2018                                   12
Vous pouvez aussi lire