Multi-Domain Battle : comment l'Army se prépare
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Multi-Domain Battle : comment l’Army se prépare
pour une confrontation majeure en 2035 !
[Version refondue et actualisée de une évolution, non une transformation devait initialement sceller une coopé-
l’article paru dans la Revue D&I n°10 radicale. ration limitée à l’Air Force et la Navy.
de décembre 2017.] L’ensemble de ces documents ad-
La première racine généalogique de
MDB est évidemment la réponse aux mettent que les forces américaines ne
Le 17 octobre 2017, Multi-Domain disposeront plus d’une suprématie
fameuses menaces de A2/AD (Anti-
Battle (MDB), le concept commun à dans l’ensemble des milieux. Elles
Access, Area Denial).
l’US Army et l’US Marine Corps a été doivent donc désarticuler le dispositif
rendu public, après deux années de MDB se nourrit ainsi du concept inte-
A2/AD adverse en créant des brèches,
préparation. rarmées publié en 2012, le Joint Ope-
en opérant à partir de « fenêtres
rational Access Concept, construit
MDB se présente sous la forme d’un d’avantage » temporelles ou géogra-
autour de la notion de « Cross-Domain
document devant guider la stratégie phiques, dans un ou plusieurs milieux.
Synergy », la nécessaire synergie entre
capacitaire des deux services pour les Compte tenu des systèmes adverses
les opérations dans les milieux ter-
années 2025-20401. La notion de multi de défense anti-aérienne multicouches
restre, aérien, maritime, spatial et
-domaine est par ailleurs incluse dans longue portée, de guerre électronique
cyber. A cette époque, les Américains
la nouvelle version du manuel de doc- et de frappes de précision dans la pro-
étaient surtout préoccupés par l’A2/
trine de base de l’Army pour les opéra- fondeur, la séquence classique de
AD chinois et le rééquilibrage en ré-
tions, le FM 3-0 Operations2. Du côté l’acquisition initiale de la suprématie
gion Asie-Pacifique, un environnement
des Marines, le document prolonge aérienne et navale préalable à la pro-
accordant la primauté aux réponses
The Marine Corps Operating Concept . jection des forces terrestres ne serait
aériennes et navales. A cet égard et à
How an Expeditionary Force Operates plus opérante4. L’Army et l’USMC esti-
l’aune du défi posé de nouveau par les
in the 21st Century3 publié en 2016. Si ment donc, d’une part, devoir opérer
Russes depuis 2014, MDB constitue
les Marines sont créditées de l’élabo- sans soutien, d’autre part, pouvoir
l’aboutissement du rétablissement des
ration de la notion de MDB, c’est sans contribuer à ce contre-déni d’accès
forces terrestres dans le jeu institution-
conteste l’Army qui en assure le mar- avec leurs propres moyens de projec-
nel pour développer la stratégie de
keting le plus actif et a pris les mesures tion des feux.
contre-déni d’accès. Il s’inscrit dans le
les plus radicales pour réorienter sa Pour le Marine Corps, qui rappelons-le
prolongement du Joint Concept for
stratégie capacitaire. est une force intégrée interarmées par
Access and Maneuver in the Global
MDB constitue la réponse des forces Commons (JAM-GC), réécriture inte- destination, le problème se présente
terrestres aux défis générés par l’émer- rarmées du concept Air-Sea Battle qui de la manière suivante : « The Marine
gence militaire chinoise puis la réémer- Corps is currently not organized, trai-
gence russe et auxquels l’instrument Le développement de MDB découle direc- ned, and equipped to meet the de-
américain tente de trouver des ré- tement de la « troisième stratégie de mands of a future operating environ-
ponses depuis une décennie. MDB compensation » (Third Offset Strategy) ment characterized by complex terrain,
entérine ainsi le retour au primat du destinée, sous la précédente administra- technology proliferation, information
haut du spectre des opérations. L’Army tion, à accélérer la transformation des warfare, the need to shield and exploit
achève ainsi de tourner le dos à la forces américaines pour faire face aux signatures, and an increasingly non-
guerre irrégulière et à la contre- défis capacitaires russes et chinois. Son permissive maritime domain »5. En
insurrection, sa priorité absolue entre plus ardent promoteur, le Deputy Secreta- d’autres termes, la mission principale
2004 et l’orée de la décennie 2010. ry of Defense Bob Work appelait ainsi en des Marines qui consiste à entrer en
MDB au croisement du contre-déni 2015 au développement d’une doctrine premier devient problématique, d’au-
d’accès et de la compétition straté- « Air Land Battle 2.0 » par analogie à la tant plus que la zone littorale d’enga-
gique permanente doctrine Army-Air Force qui structurait la gement s’urbanise tendanciellement
seconde stratégie de compensation face et très rapidement.
Comme la plupart des concepts améri-
aux soviétiques au début des années 80.
cains, Multi-Domain Battle représente
14Résumons nous : pour l’Army, une fois converger ses capacités sur les La modernisation de l’Army implique une
entrée sur le théâtre, il faut survivre et points faibles des Américains et de rationalisation des procédures d’acquisi-
prendre la lutte à bras le corps, y com- leurs partenaires. tion et d’innovation. C’est à quoi va s’em-
pris en intervenant dans les autres « Compressed » (comprimé). L’ex- ployer le Futures & Modernization Com-
milieux aérien, maritime, spatial et tension de l’espace opérationnel et mand (FMC) installé à l’été 2018. En
cybernétique ; pour les Marines, il faut la convergence des capacités attendant, ces composantes sont déjà au
tout simplement pouvoir entrer ! aboutissent à une compression des travail sous la forme de huit Cross-
niveaux classiques de la guerre, Functional Teams (CFT) dans six do-
La seconde racine généalogique, plus maines prioritaires : Long Range Preci-
récente, réside dans l’émergence de la stratégique, opératif et tactique.
sion Fires, Next Generation Combat Vehi-
« compétition stratégique ». Les me- Cette configuration de la menace et de cule, Future Vertical Lift, Networks (deux
nées de Pékin en mer de Chine, l’inter- l’espace opérationnel amène l’Army et CFT : une sur l’architecture information-
prétation de la stratégie menée par l’USMC à identifier cinq grands pro- nelle sécurisée et l’autre sur le remplace-
Moscou en Ukraine ont redonné blèmes : ment de la technologie GPS), Air and
comme on sait une forte impulsion aux 1. Comment dissuader l’escalade, dé- Missile Defense, Soldier (soldat numérisé
notions de stratégies « hybrides », faire les menaces de déstabilisation et et augmenté). La dernière équipe appro-
« ambigues », de « zones grises ». De transformer les espaces déniés en fondira les systèmes d’apprentissage et
fait, à partir de la National Military espaces contestés en cas d’escalade ? d’entrainement par simulation.
Strategy de 2016, les Américains esti- Chaque CFT est confié à un général de
2. Comment manœuvrer de cette pro-
ment être engagés dans une compéti- brigade ou de division disposant d’une
fondeur stratégique et opérationnelle
tion stratégique permanente avec les expérience récente de commandement.
contestée avec suffisamment de puis-
grandes puissances « révisionnistes ». Sont rassemblés sous ses ordres des
sance de combat pour défaire l’enne-
Ces dernières usent du renseigne- mi ? équipes du TRADOC, du matériel, du
ment, de la guerre non- soutien, des spécialistes des armes, des
3. Comment conduire une manœuvre techniciens extérieurs ou des universi-
conventionnelle, de la guerre de
dans la profondeur terrestre, aérienne, taires. Leur mission consiste à qualifier
l’information et des démonstrations de
navale pour supprimer et détruire les précisément les futurs besoins opération-
forces conventionnelles pour consoli-
feux indirects, systèmes de défense nels dans leur domaine de compétence,
der leur diplomatie, interdire des es-
antiaérienne et réserves ennemis ? en accompagnement des programmes
paces et s’organiser pour une éven-
tuelle escalade. Une telle situation 4. Comment les forces américaines lourds, de proposer et d’expérimenter des
remet ainsi en cause la distinction permettent aux capacités terrestres de solutions innovantes rapides.
classique binaire paix/guerre. MDB défaire l’ennemi dans la zone de con-
entend donc préparer les forces ter- tact ? « Big six ». Dans la programmation
restres non seulement au conflit armé 5. Comment consolider les gains, réali- 2019-2023 qui accompagne la requête
mais aussi aux activités relevant de ser des effets soutenables, mettre en budgétaire 2019, elle entend réaligner
cette période de compétition perma- place les conditions de dissuasion de sur ces priorités plus d’un milliard de $
nente. long terme et s’adapter au nouvel (les crédits de R&D étant d’environ 10
Les auteurs de MDB construisent leur environnement de sécurité ? Mds$ par an)6. Leur développement
réponse sur une nouvelle représenta- est confié à plusieurs « Cross-
La réponse de MDB s’articule en trois
tion de l’espace opérationnel Functional Teams » 7.
axes :
(« battlespace operatonal frame- Cross-Domain Fires : les feux de préci-
work »), dictée par l’adversaire et qui
Une « posture calibrée » combi- sion de longue portée et les moyens
nant des forces de présence avan- cyber-électroniques afférant pour com-
présente trois attributs :
cée, des forces expéditionnaires en biner des effets matériels et immaté-
« expanded » (étendu). Cette ex- mesure de se projeter en quelques riels dans les domaines de lutte.
tension se manifeste dans le temps jours et les forces des partenaires ; L’objectif est tout d’abord de disposer
avec des cycles de compétitions / Des « forces résilientes » en me- dans les cinq ans de systèmes opéra-
conflits armés ; dans les milieux sure d’éviter la détection, de sur- tionnels doublant les portées des feux
avec l’extension de la confronta- vivre au contact, d’opérer sans d’artillerie. Ainsi, le programme Ex-
tion au cyber et à l’espace, dans la ravitaillement continu ni flancs tended Range Cannon Artillery (ERCA)
dimension géographique avec sécurisés, de manœuvrer en envi- prend en compte l’allongement des
l’extension des zones de contact ronnement dégradé selon les prin- portées des tubes de 155 mm
par les effets cyber de la guerre cipes du « mission command », du (extension de 40 km recherchée en sus
électronique et l’extension de la commandement par intention ; des 24 / 30 km acquis). Il inclut l’obu-
portée des armes ; dans le champ
Enfin, la « convergence » des capa- sier XM907, le projectile à propulsion
des acteurs avec un recours aux
cités permettant de mener des additionnelle XM1113, un système de
proxies. Par conséquent, toutes les
manœuvres « semi- chargement automatisé XM654
forces, même celles qui ne sont
indépendantes », « supercharge » et un tout nouveau
pas présentes sur le théâtre des
« crossdomain » dans la profon- système de contrôle de tir8. La Guided
opérations sont menacées comme
deur de l’espace opérationnel Multiple Launch Rocket – Extended
les forces au contact aussi bien par
depuis n’importe quelle localisa- Range permettra aux lance-roquettes
des munitions de précision à
tion. multiples de passer de 70 à 150 km de
longue portée que par des tenta-
La réarticulation de la stratégie capaci- portée. Enfin, les missiles ATACMS
tives de décrédibilisation par
taire de l’Army seront remplacés par des Precision
fausses nouvelles ou attaques
Strike Missile de 500 km de portée
systémiques cyber. Pour réaliser MDB, l’Army a redefini (Long-Range Precision Fires require-
« Congerved » (convergent). L’ad- les priorités de sa stratégie capacitaire, ment). Illustration type du multi-
versaire est en mesure de faire autour de six grands domaines, les domaines, une version anti-navire de
15ces PRSM doit être développée à plus blindé habité, optionnellement télépi- corruption des signaux) qui constitue
long terme pour dissuader et soutenir loté et un Robotic Combat Vehicle la base de la capacité de positionne-
la Navy dans l’approche littorale9. optionellement habité. Le général ment, de navigation et de timing de
Ces systèmes doivent pouvoir opérer Milley, Chief of Staff de l’Army, a en tous les systèmes, capteurs et effec-
dans l’environnement électromagné- effet expliqué que « Every vehicle teurs numérisés. De multiples axes de
tique dégradé qui caractériserait toute needs to have the capability to be ro- réponse doivent permettre l’« Assured
confrontation avec les puissants botic »14. PNT » : le renforcement du signal GPS
moyens de guerre électronique russes Future Vertical Lift (FVL) accompagne avec le code M, le développement de
et chinois (Voir ci-après). NGCV dans la troisième dimension. sources de PNT terrestres (les
L’aérocombat figure en bonne place « pseudolites »), la miniaturisation des
Les effets recherchés sont également
comme outil de renseignement, de horloges permettant la synchronisa-
immatériels. A cet égard, la doctrine
force de frappe et de transport de tion des réseaux de communication et
de l’Army a acté la convergence de la
troupes et de soutien pour les opéra- des radars18.
guerre cyber et de la guerre électro-
nique. Ce sont les Cyber- tions « distribuées » dans la grande Enfin le volet réseau/C3I inclut égale-
Electromagnetic Activities (CEMA). profondeur ennemie ; de même que ment la recherche difficile de l’intero-
L’intégration de ces deux fonctions et pour l’évacuation sanitaire de com- pérabilité des systèmes d’information,
le développement de nouveaux battants. Le premier projet du FVL, le le renforcement des capacités de ren-
moyens, comme les outils de situatio- Joint Multi-Role-Technology Demons- seignement d’origine électromagné-
nal understanding sont en cours de trator (JMR-TD), lancé en 2012, est de tique et le développement des capaci-
développement10. Surtout, l’Army remplacer les 3.000 hélicoptères tés cyber. L’ensemble de ces transfor-
entend remettre sur pied des capacités d’attaque AH-64 et UH-60 de ma- mations s’opère au moment où toutes
d’attaque électroniques négligées nœuvre arrivant en fin de vie opéra- les infrastructures informationnelles
pendant une décennie (hormis la lutte tionnelle15. Pour l’heure, les hélicop- du Department of Defense et des ar-
anti-IED). Le système de Multi- tères lourds CH-47 ne sont pas concer- mées passent en Cloud confiés à des
Function Electronic Warfare incluant nés et, une fois modernisés, doivent opérateurs privés.
une capacité sur drone MALE et l’inté- rester en service jusqu’en 2060. Dans Air & Missile Defense redevient une
gration de ces moyens au sein de com- le cadre de MDB, l’Army a besoin de préoccupation de survie pour des uni-
pagnie renseignement / GE doivent plate-formes durcies (blindage et sys- tés terrestres manœuvrants sous cou-
être opérationnels pour 202311. Enfin, tèmes redondants pour pilotage et verture aérienne temporaire et con-
il s’agit de démultiplier les capacités de navigation, autopilotées et téléopé- frontées aux munitions de précision
ciblage nécessaires à l’emploi de ces rées), capables de déplacements ra- (missiles ou couples hélicoptères-
moyens : réseaux de capteurs dissémi- pides, discrets, avec emport d’équipe- missiles) et aux drones (manœuvres de
nés, liaison directe des niveaux tac- ments lourds sur de grandes distances saturation en essaim). L’architecture
tiques avec les capteurs satellitaires, et en mesure de s’affranchir d’infras- antimissile est interarmées, mais il faut
etc . tructures sol devenues trop vulné- la compléter par une densification des
rables. BOEING-SIKORSKY avec le pro- systèmes de défense de courte portée
Next Generation Combat Vehicle
jet SB-1 Defiant et BELL HELICOPTER et (Maneuver Short-Range Air Defense –
(NGCV) constitue le second chantier. Il
son convertible V-280 Valor sont posi- SHORAD). Afin de reconstituer sa dé-
s’agit d’accélérer le développement
tionnés sur JMR-TD. Le second projet fense antiaérienne, l’Army compte,
des engins devant remplacer les chars
est le Next-Generation Tactical UAS. entre autres, sur le Low-cost Extended
M-1 et VBCI M2/3, une démarche un
Cette nouvelle génération de drones Range Air Defense qui doit remplacer
temps mise en sommeil après les deux
tactiques doit être multi-rôles le Patriot, et pour la plus courte por-
fiascos que furent les programmes
(reconnaissance, attaque, guerre élec- tée, le développement incrémental de
Future Combat Systems puis Ground
tronique, relais de communication, l’Indirect Fire Protection Capability
Combat Vehicle. Le NGCV doit consti-
lutte contre les autres drones) et pou- reposant sur une variante des missiles
tuer la famille d’engins blindés pour la
voir, là encore, opérer en environne- Sidewinder, puis potentiellement des
manœuvre semi-autonome ou auto-
ment dégradé16. lasers de combat de 100 KW vers
nome en environnement hautement
agressif. Il doit être de petite dimen- Les réseaux et le C3I ont constitué 202319. Toutefois, la grande affaire
sion (engagement en zone urbaine), pendant des années la priorité pro- réside dans l’Army’s Integrated Air and
surprotégé par des dispositifs passifs grammatique de l’Army. Cette der- Missile Defense Battle Command Sys-
et actifs, raisonnablement gourmand nière vient cependant de remettre à tem (IBCS). Il s’agit d’une architecture
en carburant et surdoté en munitions plat sa stratégie en matière de SIC17. C2 spécialement destinée à la lutte
à effets différenciés à longue portée. L’architecture Internet de combat antiaérienne et antimissile intégrée. Le
Pour l’heure, le concept mise sur un WIN-T, dont la version « On The programme, dont l’Army est l’intégra-
transport de troupe 2+6 équipé d’un Move » achève sa mise en service, teur, en est encore en phase de tests
50mm. Mais il ne s’agit que d’un dé- donne satisfaction en opérations de pour les anti-missiles20.
monstrateur12. Bien entendu, l’en- contre-insurrection. Elle pourrait ce- L’équipement du soldat (numérisé et
semble est numérisé et conçu pour pendant se révéler vulnérable aux augmenté) fait partie du dernier chan-
travailler en collaboratif avec des uni- attaques électroniques et cyberné- tier. Concernant l’homme lui-même,
tés semi-robotisées. L’Army compte tiques. L’Army mise ainsi sur le déve- deux capacités nouvelles sont explo-
procéder en trois phases d’expérimen- loppement de la modularité des com- rées : les munitions à détonation pro-
tation : une série de test des premiers munications et des moyens de trans- grammable et autoguidées (combat
prototypes en 2020, une seconde en mission à basse probabilité d’intercep- urbain et en zones compartimentées)
2022, la troisième en 2023-2413. La tion et de détection (Low Probability of et les aides à l’effort (exo-squelettes).
R&D porte pour l’heure deux engins de Interception and Detection, LPI/LPD). L’Army se concentre sur des expéri-
combat : le NGCV proprement dit, un S’y ajoute l’extrême vulnérabilité du mentations de niveau groupe et
GPS (déni d’accès spatial, brouillage ou
16section de combat pour acquérir de à devenir une nouvelle norme, pour Le concept pose cependant de mul-
l’expérience sur la généralisation de réduire les coûts et les délais d’acquisi- tiples questions et défis. Sur le plan
binomes humains / machines. Il s’agit tion. stratégique tout d’abord, il s’ancre
surtout de tester des mini-machines Enfin, un nouveau type d’unité, la Multi dans la vision américaine d’une hyper-
de reconnaissance, des fardiers téléo- -Domain Task Force (MDTF), est mis sur rationalisation de la stratégie russe
pérés et d’introduire les premiers véhi- pied. Il s’agit d’une brigade de 1.500 dont beaucoup de spécialistes poin-
cules automatisés dans des convois personnels toutes armes, disposant de tent en fait les échecs, le caractère
logistiques21. Ceci constitue la pre- moyens de guerre électronique, cyber réactif ou opportuniste. MDB propose
mière étape d’un plan de long terme et d’appui spatial et de moyens d’aéro- une vision cyclique « compétition /
exposé dans l’US Army Robotics and combat permettant de créer les fa- conflits armés » qui ne vaut que par le
Autonomous Systems. Ce plan de robo- meuses « fenêtres d’avantage » contre caractère régional limité du dit-conflit.
tisation a été présenté en mars 201722. les capacités A2/AD adverses. Le plan A cet égard, on est frappé par l’ab-
Pour les Marines, il n’existe pas de est de mettre sur pied 5 MNTF. La 17th sence de la dimension nucléaire dans
document officiel comparable (ils dé- Field Artillery Brigade de l’Army Pacific la « période compétition ».
pendent de la Navy pour les Command (USARPAC) sert d’unité Ensuite, sur le plan institutionnel, MDB
programmes), mais une initiative robo- pilote jusqu’en 202025. L’objectif est propose une véritable stratégie, non
tique multi-milieux avec expérimenta- d’étudier toutes les contraintes et les une « bataille ». Détail révélateur, le
tions est en cours23. MDB va donc possibilités tactiques d’une unité de document cite 200 fois le terme
nécessairement évoluer, voir se trans- petite taille capable de mener des « Joint » contre quelques dizaines de
former, au fur et à mesure de ces opérations en semi-autonomie ou mentions des termes « Land »
avancées. autonomie complète, lors d’attaque ou « Ground ». Le niveau pertinent de
Une première réorganisation structu- contre les systèmes AD/A2 adverses mise en œuvre de MDB est clairement
relle : l’alourdissement des unités lé- ou en mission de reconnaissance interarmées / interagences. Un Rap-
gères et la création de brigades MDB. offensive dans la profondeur ennemie. prochement avec USAF est certes en
Ces expérimentations prennent pour cours mais MDB ne semble pas entiè-
En attendant que ces chantiers produi-
cadre le théâtre Asie-Pacifique, là ou rement compatible avec le nouveau
sent des résultats, il a été décidé
l’Army est susceptible d’intervenir au concept interarmes Joint Concept for
d’augmenter la protection et la mobili-
profit de la Navy et des Marines, voire Integrating Campaigning (JCIC).
té des brigades d’infanterie légère
d’ouvrir des couloirs de pénétration à Sur le plan capacitaire, MDB n’apporte
(Infantry Brigade Combat Team – IBCT).
l’USAF. pas de réponse à plusieurs grands défis
Celles-ci deviennent en effet trop
lentes et trop vulnétrables. Notam- Apports et défis de la Multi-Domain déjà bien identifiés : la cohérence
ment les brigades aéroportées et aéro- Battle entre opérations « semi-
mobiles qui, une fois à terre, se dépla- indépendantes » selon le principe du
Il serait tentant chez l’observateur
cent à la vitesse du piéton24. Trois Mission Command et convergence des
blasé de ne voir dans MDB qu’un nou-
programmes sont donc lancés simulta- effets nécessitant une excellente syn-
velle avatar de communication. De fait,
nément : chronisation ; les seuils techniques
MDB est un vecteur de réaffirmation
Un transporteur léger de recon- limitant la projection de forces lourdes
de l’Army dans la compétition institu-
naissance et de mobilité ; le significatives ; le développement de la
tionnelle avec les autres services. De
Ground Mobility Vehicle (GMV). Un flexibilité doctrinale et organisation-
fait, il reformule et synthétise des
4X4 aérotransportable et aérolar- nelle nécessaire pour réaliser des opé-
éléments de concepts opérationnels
gable embarquant 9 hommes ; rations multi-domaines.
développés depuis les années 90,
Un blindé léger de découverte et comme par exemple la manœuvre Sur le plan financier enfin, la mise en
d’appui, aérotransportable (Light opérationnelle depuis des distances œuvre de MDB suppose la pérennisa-
Reconnaissance Vehicle – LRV), stratégiques. Il n’en reste pas moins tion de cette nouvelle priorité accor-
avec 6 hommes à bord et un 30 que MDB constitue un effort véritable dée à la modernisation et surtout le
mm capable d’engager blindés de reconceptualisation guidant de maintien du haut niveau de crédits
légers et points d’appuis adverses ; façon cohérente la stratégie capaci- actuels, obtenus par le volontarisme
Un blindé chenillé léger aérotrans- taire de l’Army. Il s’agit du premier vrai des « Defense Hawks » du Congrès.
portable (Mobile Protected Firepo- concept visant l’adaptation d’un ser- Dans le contexte politique « tendu »
wer - MPF), d’appui contre les vice à la compétition stratégique ac- que connaît Washington, la perspec-
blindés lourds et les casemates. Il tuelle. MDB oblige donc la plus puis- tive des élections de mi-mandat, ce
est doté d’une capacité de tir indi- sante force terrestre au monde à maintien n’est pas forcément garanti.
rect pour les zones urbaines. s’interroger :
L’ensemble illustre la nouvelle Sur la manière de conserver sa PHILIPPE GROS
« philosophie » de l’acquisition de liberté de manœuvre dans un envi- Maître de recherche, FRS
l’Army. Ces plate-formes sont déjà ronnement hautement létal ; p.gros@frstrategie.org
disponibles chez les constructeurs et Sur la manière de piloter les pro-
ne demandent que des modifications cessus d’innovation de plus en plus JEAN -J ACQUES PATRY
mineures pour répondre aux besoins complexes ; Chargé de mission, FRS
des unités légères. Il est donc possible Sur la manière de réexpliquer ce Directeur du Master 2 géopolitique et
de les intégrer en phase C du proces- qu’est la nature de la puissance sécurité internationale à l’ICP.
sus d’acquisition (production- terrestre à des personnels mili- jjpatry@gmail.com
déploiement) en éliminant les phases taires qui n’utilisent même plus ce
A et B d’études amonts et de réalisa- terme et à des civils qui n’en ont
tion technique. Cette pratique de re- qu’une vision parcellaire, défor-
cours aux ressources extérieures tend mée ou inexistante.
17Notes 10.Kashia SIMMONS, « Cyber Quest pseudolite characterization and perfor-
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