Narration et construction de la réalité par les médias. Le cas d'Oscar Pistorius
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Narration et construction de la réalité par les médias. Le cas d’Oscar Pistorius Silvia BRANEA Université de Bucarest silvia.branea@fjsc.ro Sorina GHEORGHE Université de Bucarest sorinaghe@gmail.com Abstract The paper seeks an explanation for the way media and their active audiences present personalities and their behavior. A research of the ways Oscar Pistorius was presented before and after his girlfriend’s death is supported by reviewed theories concerning the social construction of reality. His case, among many aspects, helps stress the excesses media make when writing their stories, the way the spectacular perspective prevails upon balanced information in their pages. Were analyzed articles published in Time, le Nouvel Observateur and l‟Express between august 2012 and september 2014; were also examined commentaries made by readers and several pages on Facebook dedicated to the paralympic athlete. Key-words: media, active audience, hero, intertextuality, journalistic responsibility Introduction Le développement de plus en plus accentué des histoires / narrations journalistiques fait repenser la mission de la presse quant à la réflexion de la réalité, suite à l‟émergence toujours plus prononcée des visions qui font relativiser la correspondance entre la vie sociale et le journalisme, en mettant l‟accent sur la construction de la réalité par les médias. Maxwell McCombs (1994: 11) n‟est qu‟un des nombreux auteurs qui déplacent l‟accent de l‟idée des médias en tant que miroir de la réalité à l‟idée des médias en tant que filtre / narration de la réalité: « Les nouvelles ne sont pas un reflet de la journée; ce sont un ensemble de narrations construites par des journalistes sur les événements de la journée. » Cette idée remet en lumière la force des médias, mais cette possibilité doit être mise en relation avec la théorie de l‟importance des publics actifs dans la construction sociale de la réalité. La classification des publics en publics actifs et publics passifs a été faite avant même l‟utilisation généralisée de l‟espace en ligne et le développement des démarches de communication. Une des distinctions à forte circulation à cet égard appartient à Frank A. Biocca (1988: 51): d‟un côté, le public actif et individualiste, « imperméable à l‟influence » rationnelle et sélective; de l‟autre, le public passif : conformiste, naïf, anomique, vulnérable, victime.
CULTURES DE LA COMMUNICATION, 2/2017 A présent, par le terme publics actifs on désigne surtout les lecteurs qui s‟impliquent dans les commentaires sur les nouvelles / les sites médias ou ceux qui fournissent des contributions sur leurs propres blogs ou qui évaluent la qualité des produits médiatiques par des sms et d‟autres messages. Il faut tenir compte aussi des « créations journalistiques » des acteurs sociaux qui n‟appartiennent pas aux institutions médiatiques. Toutes ces instances contribuent à façonner et imposer des points de vue qui sont ensuite transmis aux publics des médias traditionnels et des nouveaux médias. En d‟autres termes, les médias et les publics actifs essayent de construire une réalité que les autres membres de l‟auditoire (les auditoires passifs) acceptent probablement dans une grande mesure. Les publics actifs se constituent dans une sorte de voix / opinion publique (à cet égard, voir la définition de l‟opinion publique qui appartient à Gaëtan Tremblay (1991: 151): « Elle constitue une représentation sociale en ce qu‟elle rend perceptible, imaginable, la difficile question de la découverte et de l‟expression de la vérité d‟une collectivité. » Il convient également de souligner que ces constructions sociales sont caractérisées par un niveau alarmant de la polyvalence des narrations. Selon diverses circonstances, les mêmes événements et les mêmes « héros » sont dépeints par les médias et les publics actifs d‟une manière complètement antagoniste, et à des intervalles très brefs. Cela comporte des questions éthiques soulevées par le « pacte invisible » entre le public, d‟une part, et les médias traditionnels et en ligne, d‟autre part. Ce pacte mène à la perturbation de plus en plus élevée de la réalité et de la vérité. À cet égard on ne peut pas ignorer la distanciation des anciennes règles journalistiques qu‟engendrerait le développement des nouveaux médias et l‟accentuation du spectaculaire au détriment de l‟angle grave, sérieux: Les attaques d‟ordre formel mettent l‟accent sur la forme que prennent les nouvelles produites à l‟aide des nouveaux moyens technologiques. Ces attaques affirment que les médias ne sont pas objectifs en raison de leur tendance à présenter une information « divertissante » au détriment d‟une information « sérieuse ». (Martin, 2004: 149) Si l‟on considère la construction des nouvelles de nos jours, il faut reconnaître la complexité de ce processus. Les journalistes doivent cibler des questions, les évaluer du point de vue de leur contenu informatif, rechercher ces problèmes en rassemblant les informations de fond, sélectionner les personnes interrogées, écrire l‟histoire à la fois en gardant les paramètres de rédaction déterminés par l‟organisation et en sélectionnant le niveau approprié de compréhension pour l‟auditoire. (Campbell, 1997: 64) Une nouveauté essentielle c‟est que le public soutient le travail des journalistes avec leurs observations et commentaires personnels. Les journalistes adoptent la même approche à la fois en ce qui concerne leur travail concernant la construction de la réalité et en relation avec leur destinataires: certains sont plus confiants, d‟autres le sont moins. (Gertler, 2013, p. 12). Ces points de vue émanant de l‟audience active des médias conduisent à un doublement de la subjectivité, parce que souvent ceux qui travaillent dans les médias sont très sensibles aux discours de ceux utilisant la presse en ligne. Les journalistes recherchent l‟information en prêtant attention aux attentes du public. La sélection des angles de la nouvelle, la perspective qui domine le récit tiennent compte des groupes influents au sein de l‟audience. (Campbell, 1997: 63). 26
CULTURES OF COMMUNICATION, 2/2017 Briggs et Burke considèrent que les médias électroniques à utilisation très dispersée et abondants en termes d‟offre, permettent plus de connaissances, un accès plus facile et une expression plus libre que jusqu‟à maintenant (Briggs, Burke, 2005: 234), pendant que d‟autres auteurs discutent le manque d‟objectivité des informations véhiculées sur internet, en parallèle avec le manque d‟objectivité de plus en plus grand des médias en général. Cohen Almagor estime que dans beaucoup de situations les médias préfèrent de manière consciente ne pas être objectifs, dans le sens que même quand ils offrent une image équilibrée d‟un fait quelconque ou quand ils luttent pour obtenir une manière claire de présenter l‟événement, ils le font en soulignant par exemple un certain aspect qu‟ils veulent spécifiquement rendre public (Cohen Almagor, 2005: 139) Le communicateur des médias ne peut évidemment pas être un messager fiable de la vérité, mais il peut contribuer à conduire le destinataire à attribuer du sens. Il doit être conscient de cette capacité. Ainsi la vision personnelle sur le monde du communicateur sera transmis vers le destinataire parce qu‟il non seulement informe, mais il fait également des commentaires (Gertler, 2013: 11). L‟habitude consacrée déjà de transformer en un spectacle les émissions d‟information à l‟aide des techniques empruntées à la production de fiction mène dans le temps à l‟apparition de la méfiance dans les médias. La tendance à simplifier excessivement et à rendre triviaux certains événements significatifs a rendu de plus en plus difficile l‟évaluation de la validité des informations. Le cas du fait divers peut contribuer à la méfiance croissante à l‟égard des médias, parce les journalistes qui pratiquent ce genre essaient de copier les structures et l‟atmosphère du genre policier pour séduire leur public. (Dubied, Lits, 1999: 120) « Une méfiance fondamentale envers les médias d‟infos et d‟autres sources d‟information traditionnelles semble être l‟un des facteurs qui ont contribué à la popularité croissante de l‟Internet et d‟autres réseaux en ligne de consommation » (Fiedler, 2004: 104). D‟autres chercheurs affirment que la satisfaction ressentie par ceux qui sont déçus par les médias traditionnels ne devrait être trop élevée: « L‟avènement de l‟Internet multiplie les acteurs et fait fragmenter les responsabilités, jusqu‟ à les pulvériser. » (Cornu, 2009: 205) La diminution de la confiance du public en les journalistes a conduit non seulement à la popularité croissante de l‟Internet, mais aussi à une augmentation de l‟attention accordée par les médias à l‟évaluation et aux contributions des lecteurs de la presse écrite. Méthodologie Le corpus de cette recherche comprend des articles en ligne qui traitent la personnalité d‟Oscar Pistorius avant et depuis le moment où il a tué son amie, Reeva Steenkamp. Les hebdomadaires qu‟on a choisis appartiennent aux espaces anglais et français: dix articles de la revue américaine Time, dix articles de la revue française Le Nouvel Observateur et huit articles de la revue française L’Express, publiés entre août 2012 et septembre 2014. Même si les articles qui ont été écrits avant cet événement sont beaucoup moins nombreux que ceux qui l‟ont été ensuite, ils sont pourtant pertinents pour retracer l‟évolution de l‟image de l‟athlète dans les médias. 27
CULTURES DE LA COMMUNICATION, 2/2017 Ensuite, nous avons examiné les commentaires du public à l‟égard de ces articles sur les hebdomadaires. Dans le cas de Time, quelques commentaires ont été écrits via Facebook ou Twitter. En outre, on a sélectionné quatre pages Facebook dédiées au débat concernant la culpabilité ou l‟innocence d‟Oscar Pistorius: Oscar Pistorius Shooting Coverage, Is Oscar Pistorius Guilty or not Guilty, Support for Oscar Pistorius, Oscar Pistorius case Ŕ Discussion and Current News et un groupe privé, Oscar Pistorius. Nous avons corroboré les syntagmes utilisés pour décrire l‟athlète dans les commentaires avec ceux des articles de la presse américaine et française pour voir comment l‟image et l‟identité de Pistorius se métamorphosent à travers les médias et les commentaires du public actif. Un des cadres théoriques que nous utilisons pour analyser les mécanismes par lesquels les médias et le public créent une image polarisée de l‟athlète c‟est l‟analyse du discours, une méthode d‟analyse du texte par laquelle on considère le modèle du langage à travers des textes différents et, en égale mesure, le contexte culturel et social dans lequel les textes ont étés écrits. Ce qui est important dans ce cas, c‟est la relation entre le langage et le contexte culturel, les méthodes d‟organiser les textes dans des situations culturelles spécifiques et les façons d‟écrire caractéristiques d‟une certaine culture (Paltridge, 2007: 1). Dans ce contexte, le concept d‟« intertextualité » est relevant : les textes peuvent être compris en relation avec autres textes et avec le contexte social, car chaque texte intègre, réinterprète, reformule et relit des textes précédents, chaque acte de communication est fondé sur des histoires sémantiques et pragmatiques qui ne sont pas simples ou linéaires, mais complexes, multi-stratifiées et fragmentées. » (Richardson, 2005: 100) Les textes et les commentaires qu‟on a analysés regroupent, dans une large mesure, les mêmes images de l‟athlète Oscar Pistorius qui se sont perpétuées pendant une période de deux années, entre 2012 et 2014. L’image d’Oscar Pistorius avant l’accident / le crime Champion paralympique, Oscar Pistorius a été le premier athlète double-amputé de l‟histoire à participer aux Jeux Olympiques des valides, à Londres en 2012. Cet événement a été le catalyseur de la création par les médias d‟une figure mythique et surhumaine de l‟athlète, déjà figure célèbre à ce moment-là. La journaliste Kharunya Paramaguru l‟a décrit comme une « icône pour les athlètes handicapés » et « une figure transformative » (Time, 3 septembre 2012). Dans un article intitule « JO LONDRES 2012. Pourquoi la participation d‟Oscar Pistorius, amputé, est légitime », le président de la Fédération française Handisport, Gérard Mason, l‟a caractérisé comme un « athlète époustouflant», doté « des qualités techniques hors norme» (4 août 2012). Son caractère hors-norme est subséquemment souligné par Mason, qui le présente comme un « athlète singulier », qui est « remarquable sur le plan technique et humain ». On peut dire qu‟une des images stéréotypée d‟Oscar Pistorius créées par les médias est le héros surhumain, une image iconique qui inspire les gens à surmonter leurs handicaps et dépasser leur condition. Time le nomme « l‟Olympien » en invoquant ses réussites sportives. Les journalistes appellent Pistorius souvent une « star » (Le Nouvel 28
CULTURES OF COMMUNICATION, 2/2017 Observateur, 4 août 2012; Time, 14 février 2013; L’Express, 18 février 2013), le qualifient comme « célèbre » (Time, 12 septembre 2014, L’Express, 3 mars 2013, Le Nouvel Observateur, 15 février 2013), « légende » (L’Express, 3 mars 2013) ou « icône » (Time, 3 septembre 2012, 11 mars 2013; L’Express, 16 février 2013; Le Nouvel Observateur, 18 février 2013). Les commentaires ultérieurs du public ne sont qu‟un écho de cette image déjà consacrée (FIG.1-3). En outre, dans les articles de 2013, Pistorius est vu comme symbole de l‟identité nationale sud-africaine: Time l‟appelle « la dernière incarnation de l‟espoir de l‟Afrique du Sud » (Time, 11 mars 2013) et l’Express le voit comme « icône représentative d‟une certaine identité sud-africaine » (7 mars 2014). L‟image de l‟athlète est d‟autant plus impressionnante que les journalistes le dépeignent non seulement comme une figure d‟importance nationale, mais aussi comme un sportif de taille mondiale: « sprinter paralympique de classe mondiale » (Time, 15 février 2013), « mondialement célèbre » et « légende de l‟athlétisme mondial » (L’Express, 3 mars 2013) « star de l‟athlétisme mondial » (L’Express, 7 mars 2013) « célébrité du handisport mondial », « légende de l‟athlétisme mondial » (Le Nouvel Observateur, 15 février 2013). L’image d’Oscar Pistorius après l’accident / le crime Après le moment où Oscar Pistorius avait été accusé du meurtre de son amie Reeva Steenkamp (14 février 2013), le même « héros » a été dépeint par les médias et les publics actifs d‟une manière complètement antagoniste. Cette mutation a eu lieu dans une période de temps assez courte, plus précisément environ une demi-année. L‟image du héros surhumain est encore présente dans les textes des articles ou dans certains commentaires, mais seulement comme une figure du passé et plutôt comme une représentation contrastante de l‟image négative qui est maintenant plus réelle pour le public. Pour le but de cette recherche, on a groupé les mots et les expressions extraits des articles figurant dans les trois hebdomadaires et les commentaires des publics actifs faits dans les mêmes publications. (FIG.1-3) Une nouvelle image stéréotypée est associée maintenant à Pistorius, celle d‟un « héros sportif déchu ». (Time, 20 février 2013) Dans les articles de L’Express on trouve une image métaphorique encore plus vivante et évocatrice, celle d‟« un demi-dieu qui se retrouve en enfer ». (16 février 2013) A cause des accusations de meurtre, Oscar Pistorius se transforme ainsi d‟« un héros populaire » en un « antihéros ». (L’Express, 16 février 2013) Dans de telles circonstances, une autre représentation négative est ensuite liée à la personnalité de l‟athlète, celle de tueur. Les étiquettes qu‟on trouve dans les articles, par exemple « meurtrier accusé » (Time, 4 mars 2014), « tueur » (Time, 11 mars 2013), ont un correspondant dans les commentaires du public actif: « tueur » (Time, 15 février 2013), « assassin » (L’Express, 12 septembre 2012). L’Express utilise un terme encore plus fort, en insinuant même que l‟athlète est un monstre: « Les stars peuvent aussi être des monstres. » (18 février 2013). Le même terme apparaît dans les commentaires du public: « monstre ». (L’Express, 24 mars 2014) 29
CULTURES DE LA COMMUNICATION, 2/2017 Traits positifs – articles Traits positifs - commentaires icône pour les athlètes handicapés, premier héros national ; énergie et double-amputé qui a participé aux Jeux détermination pour exceller dans les Olympiques, Blade Runner, figure transformative sports, bon gars, inspiration pour (le 3 septembre 2012) beaucoup de personnes handicapées (le Olympien, icône globale, figure unifiant, dernière 14 février 2013) ; incarnation de l‟espoir de l‟Afrique du Sud, icône nationale (le 15 février 2013) l‟ultime méritocratie ; espoir pour l‟avenir, icône (le 11 mars 2013) Olympien de l‟Afrique du Sud, vraie star globale, perfectionniste, champion sans précèdent pour le droit à l‟égalité et pour les personnes handicapées (le 14 février 2013) sprinter paralympique de classe mondiale, exemple inspirant (le 15 février 2013) dernière incarnation de l‟espoir de l‟Afrique du Sud, héros blanc glamour, ultime méritocratie, (le 20 février 2013) star de la piste, héros, athlète à grande visibilité (le 4 mars 2014) athlète célèbre, champion du sport sud-africain, blanc riche et prospère (le 12 septembre 2014) Traits négatifs – articles Trais négatifs - commentaires explosion aigre et disgracieuse (le 15 février tempérament violent, mauvaise attitude 2013), héros sportif déchu (le 20 février 2013), envers les femmes, connard, manque de termes tels que meurtrier accusé, inculpé accusé contrôle de soi-même, héros qui a mal de meurtre (le 4 mars 2014), tueur (le 11 mars tourné (le 14 février 2013); 2013) agresseur, psychopathe, tueur, agresseur domestique, passionné d‟armes, impétueux (le 15 février 2013) autoritaire et jaloux, con, moufle autoritaire, homme à la gâchette facile, amateur d‟armes autoritaire (le 10 avril 2014), cercle blanc et riche d‟Afrikaner (le 12 septembre 2014) Fig.1. Mots et expressions dans Time Le fait que le procès d‟Oscar Pistorius a été télévisé sur une chaîne spécialement dédiée à cet événement a maintenu vif le débat sur ce sujet dans la société et aussi dans les médias et les réseaux sociaux. Les journalistes ont suivi de près les évolutions, ont commenté les témoignages et les réactions de Pistorius, de sa famille et de la famille de Reeva. Les témoignages du procès ont dépeint Pistorius comme un homme violent, impulsif et instable qui était une menace pour les personnes se trouvant autour de lui. Sa passion pour les armes a non plus alimenté ces aspects négatifs, elle a inspiré l‟appellatif « Blade Gunner ». Ainsi, Time le dépeint comme « agresseur domestique », « passionné d‟armes », « autoritaire et jaloux » (10 avril 2014). Les autres publications présentent Pistorius comme « un passionné 30
CULTURES OF COMMUNICATION, 2/2017 d‟armes à feu », « parfois violent », « enclin à perdre facilement son sang-froid » ( L’Express, 3 mars 2013), «homme instable » ( L’Express, 7 mars 2014), « parano armé et impulsif » ou « adrénaline freak » (Le Nouvel Observateur, 15 février 2013). Des traits similaires sont signalés par le public actif dans les commentaires aux articles en ligne: « tempérament violent », « attitude mauvaise envers les femmes », « manque de contrôle de soi-même » (Time, 14 février 2013). Les commentateurs le voient comme un « agresseur », « psychopathe », « impétueux » (Time, 15 février 2013), « danger public » (L’Express, 24 mars 2014), « sportif entraîné ultra violent et ultra armé » (Le Nouvel Observateur, 17 février 2013) avec « un caractère instable » (Le Nouvel Observateur, 15 février 2013). Traits positifs - articles Traits positifs - commentaires icône du handisport, Blade Runner, (le 16 février modèle à suivre pour beaucoup de gens a 2013) travers la planète, inspiration énorme, Blade Runner, médaille olympique (le 16 mars incarnation du courage et du dépassement 2013) de soi ; demi Dieu pour certains (le 16 riche, célèbre dans le monde entier, premier homme février 2014) handicapé ayant couru avec des valides aux Jeux olympiques, Blade Runner, légende de l‟athlétisme mondial (le mars 2013) champion handisport sud-africain (24 mars 2013) champion paralympique (le 22 avril 2014), star célèbre, champion olympique (le 18 février 2013) star de l‟athlétisme mondial, icône nationale, Blade Runner, athlète hors du commun, icône représentative d‟une certaine identité sud-africaine, surhomme, héros national (le 7 mars 2014) Traits négatifs - articles Traits négatifs - commentaires demi-dieu qui se retrouve en enfer, héros retranché sur une grue (le 16 février 2013) populaire chuté, antihéros (le 16 février 2013) homme ordinaire [...] peut-être drogué; suicidaire, jaloux, violent, amoureux d‟armes, surpuissant, intouchable, gros problèmes homme brisé au bord du suicide (le mars 2013) d‟ego (le 16 février 2014) passionné d‟armes à feu, parfois violent, enclin à grand champion grâce à la science; pauvre perdre facilement son sang-froid, il descend aux misérable (le 16 février 2014) Enfers (le 3 mars 2013) monstre, danger public, menteur jeune homme très affecté par la mort de son amie (le irresponsable qui se croît au-dessus des 22 avril 2014) lois vu son statut, malade (le 24 mars flippant, complètement parano (le 18 février 2013) 2014) homme instable, égocentrique, insensible ayant un assassin, personnage petit, arrogant (le 12 goût prononcé pour les armes à feu (7 mars 2014) septembre 2014) Fig.2. Mots et expressions dans L’Express L‟intégrité et le caractère du sportif ont été également critiqués par les journalistes et le public. Le fait que l‟athlète a éclaté en sanglots et vomi plusieurs fois pendants que la Cour évoquait le meurtre, a créé des réactions polyvalentes parmi les médias et le public. Quelques-uns 31
CULTURES DE LA COMMUNICATION, 2/2017 des journalistes l‟ont vu comme un « homme brisé au bord du suicide » (L’Express, 14 mars 2013) ou un « jeune homme très affecté par la mort de son amie » (L’Express, 22 avril 2014), pendant que d‟autres ont considéré que les réactions de l‟athlète n‟étaient que simulations. On peut identifier donc une autre image projetée sur la personne d‟Oscar Pistorius: l‟acteur qui dissimule. Un article publié dans L’Express le 22 avril 2014 cite une journaliste, Jani Allan, qui a publiquement accusé Pistorius d‟avoir pris des cours de théâtre en vue de se préparer pour le procès. Même si Pistorius a démenti cette accusation, les commentaires qu‟on a trouvés sur Facebook et sur les sites des hebdomadaires démontrent qu‟une grande partie du public était de la même opinion que la journaliste. Sur la page Facebook Is Oscar Pistorius Guilty or not Guilty, il y a des commentaires qui caractérisent Pistorius comme « menteur » (11 juillet 2014), « menteur pathétique », « coupable sans doute » (9 avril 2014) et « hypocrite » (10 avril 2014). On a trouvé un commentaire similaire à un des articles inclus dans le corpus: « menteur irresponsable qui se croît au-dessus des lois vu son statut » (L’Express, 24 mars 2014). En outre, le public voit en Pistorius un homme très riche, arrogant, une personne qui a toujours eu tout ce qu‟il voulait et qui pense se trouver au-dessus des lois de l‟Afrique du Sud. Dans leurs commentaires, les lecteurs des articles du Nouvel Observateur parlent de l‟athlète comme d‟un « archétype de l‟enfant Roi » (18 février 2013) et d‟ « un enfant gâté » (13 septembre 2014). Toutes ces images négatives contribuent à délégitimer Pistorius dans l‟espace virtuel, en envoyant dans l‟ombre l‟image glorieuse qui avait été créée avant 2013. L‟hebdomadaire Time (12 septembre 2014) note aussi l‟appartenance de Pistorius aux milieux blancs et riches de l‟Afrique du Sud. L’Express le caractérise comme « égocentrique » (7 mars 2014), ce qui représente un point de vue très proche de ceux fournis par le public. Traits positifs - articles Traits positifs - commentaires athlète époustouflant, star des Jeux Olympiques champion aux jambes de carbone, beau de Londres, qualités techniques hors norme, gosse (le 15 février 2013) athlète singulier, athlète remarquable sur le plan grand sportif et modèle pour des technique et humain (le 4 août 2012) handicapés graves, charmant et violent, premier champion paralympique double amputé à charmeur et agressif, gamin et macho (le s‟aligner dans les épreuves pour les valides (le 18 13 septembre 2014) février 2013) célébrité du handisport mondial, star dans son pays, légende de l‟athlétisme mondial, exemple pour des millions de jeunes sportifs (le 15 février 2013) athlète d‟exception (le 15 février 2013) Blade Runner (le 14 février 2014) Traits négatifs - articles Traits négatifs - commentaires icône tombée, inculpé (le 18 février 2013) caractère instable (le 15 février 2013) héros en quête d‟adrénaline, parano armé et sportif entraîné, ultra violent et ultra armé impulsif, mauvais perdant, adrénaline freak, de (le 17 février 2013) mauvaise foi, surprotégé (le 15 février 2013) archétype de l‟enfant Roi (le 18 février 2013) enfant gâté, petit con, violent, névropathe (le 13 sep 2014) Fig.3. Mots et expressions dans Le Nouvel Observateur 32
CULTURES OF COMMUNICATION, 2/2017 Le rôle des médias dans la création d‟une identité surhumaine et qui plus tard se transforme en un antihéros est bien marqué dans les articles de notre corpus. Fait très intéressant, seulement deux jours après le crime, une journaliste de l’Express, Alcaide Magali, démontre une autoréflexion critique concernant la déification très courante des personnalités par les médias et le grand public (16 février 2013). La journaliste nomme cette manière d‟altérer la réalité, en créant des héros qui ensuite tombent de leur piédestal, «un regard „manichéen“ »: Nous sommes dans un monde qui trop souvent voit les choses de façon manichéenne, manquant de subtilité, de finesse, car la réalité est toute autre. Les personnages que nous adulons et ceux que nous détestons – sauf dans quelques cas extrêmes comme Mère Teresa et Adolf Hitler – ne sont pas là dans le « bien » ou dans le « mal », ils sont tout simplement humains. Cela comporte tout ce qu‟il y a d‟exceptionnel comme de minable (Magali, l’Express, 16 février 20113). Cet article a génère beaucoup de commentaires de la part du public, qui a eu des réactions diverses. Ainsi, la page de l‟article s‟est transformée en un espace de débat en ligne entre la journaliste et le public d‟une part, et entre les membres du public, de l‟autre part. La plupart des lecteurs partageaient le point de vue de la journaliste, mais il y avait aussi une personne qui ne croyait pas que le public forgeait des héros. L‟article ainsi que les commentaires du public mettent en discussion un problème d‟éthique journalistique, qui témoigne de la nécessite de limites qui empêchent ces dérapages de la réalité. L‟article « Oscar Pistorius coupable d‟homicide involontaire: une histoire simple, un verdict cohérent », par Philippe-Joseph Salazar, publié le 13 septembre 2014, a aussi déclenché une vive réaction de la part du public. Suite à la réaction des lecteurs qui n‟étaient pas d‟accord avec le verdict, le journaliste a dû justifier son article et s‟expliquer plusieurs fois. Une fois de plus, l‟échange rapide d‟opinions et le débat ont eu lieu dans l‟espace virtuel, qui s‟avère très propice pour la communication entre les journalistes et le public. Les pages et les groupes Facebook qu‟on a inclus dans le corpus représentent aussi un espace virtuel de débat, où les intentions des utilisateurs sont très variées. Sur la page Support for Oscar Pistorius, page qui soutient l‟athlète et réunit les personnes qui croient en son innocence, l‟intention des utilisateurs est de transmettre des messages d‟encouragement pour Pistorius, soit écrits, soit en images. Dans ce cas, la communication est unidirectionnelle, car toutes les commentaires malicieux écrits par les personnes qui croient que Pistorius est coupable sont bloqués tout de suite. Les autre pages, Oscar Pistorius Shooting Coverage, Is Oscar Pistorius Guilty or not Guilty, et Oscar Pistorius case Ŕ Discussion and Current News sont dédiées au débat sur la culpabilité ou l‟innocence d‟Oscar Pistorius. Les gens postent des articles ou ils laissent des commentaires favorables ou non. Les qualificatifs négatifs abondent et ressemblent à ceux sur les articles susmentionnés. Sur la page Is Oscar Pistorius Guilty or not Guilty on trouve par exemple des expressions comme « menteur pathétique », « coupable sans doute » (9 avril), « très jaloux », « hypocrite » (10 avril), « lâche », « coupable » (16 août 2014); « tueur froid et cruel » (1er septembre 2014), « personnalité narcissique » (17 octobre 2014). 33
CULTURES DE LA COMMUNICATION, 2/2017 Conclusions Par conséquent, on peut établir quatre étapes dans l‟élaboration des narrations dans les médias: 1. La production de la narration journalistique en utilisant différents régimes de vérité (par exemple en utilisant les règles spécifiques au journalisme de fait divers) ; 2. La réception de la narration par les publics ; 3. L‟évaluation de la narration / l‟interprétation du récit journalistique ; 4. Les commentaires des lecteurs / téléspectateurs dans les médias en ligne / les interventions dans les réseaux sociaux. Pour établir un rapport bien équilibré entre les articles de presse et les informations fournies par diverses sources des médias, une vigilance réaliste doit être maintenue, selon certains auteurs : Face au storytelling hégémonique (qui fonctionne comme une machine à fabriquer des histoires en série), le journalisme narratif peut constituer une alternative pertinente, à une seule condition : celle que ses praticiens et ses farouches partisans manifestent en toutes circonstances un souci de vigilance réaliste. (Pélissier et Eyriès, 2014: paragraphe 25) Les appréciations sur les réseaux sociaux contribuent à la diffusion / multiplication des messages populaires parmi les lecteurs d‟une narration journalistique. La construction sociale de la réalité par les médias est caractérisée dans le dernier temps par la vitesse avec laquelle elle se produit, qu‟il s‟agisse de la glorification des personnalités dans l‟espace public ou de leur destruction, et le cas d‟Oscar Pistorius ne fait pas exception. Le modèle descriptif présenté donne l‟impression que l‟approche postmoderne semble justifiée. Selon ce paradigme, l‟évaluation sociale ne se fait uniquement par l‟élite – ce n‟est plus d‟actualité de donner de la priorité aux certaines instances sociales qui proclament les vérités puissantes. Maintenant, il y a beaucoup de vérités, une polyphonie d‟attitudes construites de moins en moins par les médias traditionnels et de plus en plus par les nouveaux médias. Cette variété d‟opinions, développée surtout après l‟apparition des nouveaux médias et des médias sociaux, répond dans une plus grande mesure aux besoins et aux attentes du public que les opinions formulées par les médias traditionnels. Dans notre recherche sur le cas Pistorius on a vu comment, dans certains cas, les journalistes sont même critiqués à cause de leurs opinions par le public actif, qui conteste leur point de vue en demandant des justifications. Le point de vue conformément auquel les médias sociaux continueront à dominer les médias traditionnels d‟autant plus que les médias traditionnels satisferont avec toujours plus de difficulté les besoins et les attentes du public (Eang Teng, Mui Joo, 2014: 148) est réaliste, mais il convient d‟ajouter que cela ne devrait pas arriver en toutes circonstances. Les médias traditionnels ne doivent pas, à la suite des efforts pour s‟adapter à la concurrence des médias sociaux, abandonner les principes de la responsabilité journalistique bien que l‟adaptation aux besoins de l‟audience favorise un sentiment d‟appartenance du public à une ensemble plus vaste, comme le dit Herbert J. Gans (1992: 203) dans l‟étude sur la nouvelle de type multi perspective. La vérification de l‟information, la consultation de sources crédibles, la demande des avis de la part d‟experts peuvent, entre autres principes consacrés dans le journalisme, contrebalancer les erreurs qui découlent de la volonté de plaire à des publics particulièrement actifs. Par conséquent, bien que le contact 34
CULTURES OF COMMUNICATION, 2/2017 avec tous les publics doive être fort, la construction sociale de la réalité ne doit pas supprimer le processus de description rationnelle journalistique et d‟explication cohérente des faits au point de ne plus distinguer médias et littérature. En conclusion, on peut dire que le modèle hyperpersonnel qui modifie (conformément à J.B. Walther, cité par Ellison, Hancock, Thomas, 2012: 47) la source, le récepteur, le canal et la dynamique de rétroaction peut avoir un rôle bénéfique dans la construction sociale de la réalité basée sur de diverses perspectives, à condition qu‟à un moment donné les professionnels du journalisme précisent les contextes et les limites dans lesquels ces divers points de vue se produisent. Références BIOCCA, Frank A., 1988, « Opposing Conceptions of the Audience: The Active and Passive Hemispheres of Mass Communication Theory », Communication Yearbook II, p. 51-80 BRIGGS, Asa, BURKE, Peter, 2005, Mass-media. O istorie socială Ŕ De la Gutenberg la Internet, trad.roum., Iaşi, Polirom CAMPBELL, Fiona, 1997, « Journalistic construction of news: information gathering », New Library World, 98: 2, p.60-64 COHEN-ALMAGOR, Raphael, 2005, « Relatarea obiectivă în media: Între religie şi panaceu », dans Comunicarea şi puterea, sous la direction de Valentina MARINESCU, București, Niculescu, p. 130-160 CORNU, Daniel, 2009, Journalisme et vérité. L’éthique de l’information au défi du changement médiatique, Genève, Éditions Labor et Fides DUBIED, Annik, LITS, Marc, 1999, Le fait divers, Paris, PUF EANG TENG, Chan, MUI JOO, Tang, 2014, « Do social media (Facebook) cause the birth or death of traditional media news consumption? », dans Ten years of Facebook, sous la direction de Gisela HORVATH, , Rozalia Klar BAKO et Eva BIRO-KASZAS, Oradea et Debrecen, Partium Press et Debrecen University Press, p. 119-157 ELLISON, Nicole B., HANCOCK, Jeffrey T., TOMA Cătălina L., 2012, « Profile as promise: A framework for conceptualizing veracity in online dating self-presentations », New Media & Society, vol. 14, no 1, p. 45-63 FIEDLER, Roger, 2004, Mediamorphosis Ŕ să înţelegem noile media, trad.roum., Cluj-Napoca, Idea Design & Print GANS, Herbert J., 1992, « Multiperspectival News », dans Philosophical issues in journalism, sous la direction de Elliott D. COHEN, Oxford, Oxford University Press, p. 190-204 GERTLER, Martin, 2013, « Meaning generating propositions of reality by media: Quality attributes and functions of journalism », Journal of Information, Communication and Ethics in Society, 11: 1, p.4-18 MARTIN, Stéphanie, 2004, « Vérité et objectivité journalistique: même contestation? », Les cahiers du journalisme, no. 13, printemps, p.144-163 McCOMBS, Maxwell, 1994, « News influence on our pictures of the world », dans Media Effects Advances in theory and research, sous la direction de Jennings BRIANT et Dolf ZILLMANN, Hillsdale New Jersey, Lawrence Erlbaum Associates, p. 1-18 35
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