New Babylonians. A History of Jews in Modern Iraq by Orit Bashkin (review)

 
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New Babylonians. A History of Jews in Modern Iraq by Orit
   Bashkin (review)

   Leyla Dakhli

   Le mouvement social, Numéro 252, juillet-septembre 2015, pp. 208-211 (Review)

   Published by Association Le Mouvement Social

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       https://muse.jhu.edu/article/594537

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208 n Notes de lecture

   programmes des écoles fondées par l’AIU au Maroc à partir de 1862 et en Tunisie à
   partir de 1878, et des manuels scolaires qui y sont en usage : au dialogue initial entre
   histoire juive et histoire universelle (représentée par les manuels de Moïse Fresco qui
   présentent vers 1890 la conquête arabe du Maghreb et le pouvoir ottoman sous un
   jour favorable), s’ajoutent bientôt l’histoire de France puis l’histoire du pays – dont
   témoigne la publication en 1888 d’un Essai sur l’histoire des Israélites de Tunisie par
   l’instituteur David Cazès. En Algérie, le Bulletin de la société des conférences juives
   d’Alger, publié dans les années 1920, témoigne d’une volonté de mettre en valeur les
   qualités morales des Juifs d’Algérie.
        Le dernier chapitre présente les études publiées après 1945, où s’esquissent à la
   fois un « tournant scientifique », symbolisé par les travaux de Robert Brunschvig
   et Georges Vajda, et « l’idée d’une symbiose judéo-musulmane ». Il réserve une
   place particulière à l’œuvre d’André Chouraqui, « balise placée entre [les] eaux » des
   traditions populaires et de la littérature coloniale d’une part, des analyses sociales et
   anthropologiques d’autre part.
        De ce tableau très complet qui rend compte, au risque d’un certain éclate-
   ment, de nombreux travaux pour la plupart tombés dans l’oubli, Colette Zytnicki
   conclut que l’histoire des Juifs du Maghreb, jusqu’à la fin de l’époque coloniale, n’a
   guère intéressé les savants universitaires. Composée avant tout par des amateurs,
   des rabbins et des instituteurs des écoles de l’AIU, elle reste en grande partie une
   histoire communau­taire où prévaut la question des origines. À la marge des histoires
   nationales, d’une histoire générale des civilisations et peut-être aussi, quoiqu’en
   dise l’auteur, de l’histoire coloniale, elle ne s’inscrit que tardivement dans des
   problématiques plus générales envisageant les Juifs dans des ensembles plus vastes.
   C’est qu’écrite dans le cadre d’institutions coloniales, en rupture avec les traditions
   savantes maghrébines, elle peine à conjuguer connaissance des sources tradition-
   nelles et maîtrise des méthodes modernes.
                                                                     Alain MESSAOUDI

Orit BASHKIN. – New Babylonians. A History of Jews in Modern Iraq,
Stanford, Stanford University Press, 2012, 328 pages.
        Le deuxième livre de l’historienne Orit Bashkin, après The Other Iraq. Pluralism
   and Culture in Hashemite Iraq (Stanford University Press, 2009), est à la fois un
   approfondissement de sa contribution à l’histoire intellectuelle de l’Irak contem-
   porain – son champ de recherche d’origine – et une incursion dans une histoire
   spécifique, celle des communautés juives du monde arabe, avant et après la création
   de l’État d’Israël. Entre 1941 et 1951, la communauté juive d’Irak, qui comptait
   plus de 150 000 membres, a presque totalement émigré vers Israël ou en Occident.
                                                                                               Le Mouvement social, juillet-septembre 2015 © La Découverte

        Alliant une connaissance approfondie de l’histoire de la région et la maîtrise
   des langues d’écriture et d’expression des acteurs (arabe, hébreu et bien entendu
   anglais), Orit Bashkin retrace une histoire complexe, celle d’une communauté juive
   arabe prise dans les turbulences d’une situation politique qui aboutit au départ de
   l’essentiel de la communauté pour Israël, laissant là-bas le fruit de générations et de
   générations de travail et ouvrant la porte à une impossibilité nouvelle : celle de parler
   de « Juifs arabes ». Comme elle l’écrit elle-même dans son dernier chapitre, ce récit
   est l’histoire de la construction d’un oxymore : « The Arab Jew, once desired concept,
   had become an oxymoron » (p. 214).
        Orit Bashkin ne fait pas une histoire généalogique, ni nostalgique, même si elle
   affirme la portée politique de l’exploration de cette question pour le temps présent.
   Le livre se clôt sur cet enjeu simple : « The alternative is not the construction of a
   false paradise of Arab-Jewish harmony, but simply to document and study periods
Notes de lecture n 209

                                                                  in which Jews and Arabs did not look at each others as enemies, but rather as neigh-
                                                                  bors, compatriots, and friends » (p. 237).
                                                                       L’historienne se place au plus près des sources pour comprendre le jeu des
                                                                  dif­férents acteurs : État irakien, politique britannique, expression des représentants
                                                                  des communautés, État d’Israël et, avant lui, mouvement sioniste, etc. Pour cela, elle
                                                                  a recours à une documentation diverse : journaux de l’époque en arabe et en hébreu,
                                                                  archives britanniques (Colonial Office, Foreign Office, Commonwealth and Foreign
                                                                  Offices, etc.) et sionistes (Agence juive, Jewish National Fund Records, Or Yehuda
                                                                  Archive, Yad Va-Shem – Oriental Collection), sources imprimées (rapports, textes
                                                                  littéraires, essais politiques, etc.). C’est la maîtrise de cette documentation qui lui
                                                                  permet d’écrire une histoire qui se tient loin des traditionnels récits surplombants
                                                                  sur le grand jeu moyen-oriental, où les acteurs ne sont que des jouets aux mains des
                                                                  puissances.
                                                                       Le livre s’ouvre sur une description minutieuse de la voix de la communauté juive
                                                                  au sein de la construction étatique irakienne dans les années 1920-1930 (« Visions
                                                                  of the Nation », p. 15 et suiv.) et son apport dans le débat intellectuel et politique
                                                                  de ces décennies fondatrices. Orit Bashkin insiste sur l’apport des Juifs à la culture
                                                                  arabe, à la littérature notamment et à la langue elle-même (p. 37) ; elle décrit avec
                                                                  beaucoup de précision ce lieu de rencontre des intellectuels, celui de l’État séculier,
                                                                  que tous souhaitent réinventer sous la forme moderne d’un État libéral où chaque
                                                                  citoyen jouirait de l’égalité des droits, quelle que soit sa communauté d’origine mais
                                                                  aussi son sexe. Parmi les points de rencontre entre les différentes communautés, il y
                                                                  a un anti-sionisme très largement majoritaire chez les Juifs irakiens.
                                                                       Son récit se tient loin d’une vision nostalgique du désenchantement car les
                                                                  acteurs (nationalistes arabes, sionistes, communistes juifs arabes…) sont envisagés
                                                                  dans la complexité de leurs appartenances et pris dans les tiraillements imposés peu
                                                                  à peu par la situation politique interne (conflit avec la Grande-Bretagne, luttes entre
                                                                  partis…) et externe (en particulier, question palestinienne).
                                                                       Ainsi en est-il du récit du Farhud, qui est au cœur du livre. Le chapitre 4, intitulé
                                                                  « Friends, neighbors, and enemies. Fascism, Anti-semitism and the Farhud », s’attaque
                                                                  à un pan très controversé de l’histoire de l’Irak et de la communauté juive en Irak.
                                                                  Ces émeutes anti-juives se déroulent dans plusieurs grandes villes d’Irak au printemps
                                                                  1941 et causent la mort d’environ 180 personnes issues de la communauté juive. Orit
                                                                  Bashkin déroule le fil des événements et donne de nouveaux éclairages sur la question
                                                                  de l’antisémitisme des nationalistes arabes, sur les liens entre ce nationalisme et le
                                                                  nazisme – histoire devenue comme une sorte de « marronnier » historiographique 30 –,
                                                                  sur les représentations que se faisait la communauté juive irakienne de la situation des
                                                                  Juifs d’Europe et de sa propre situation. Elle montre que, même après le Farhud, la
                                                                  majorité de la communauté juive irakienne ne remet pas en question son attachement
                                                                  à l’État irakien, ni ses conditions de vie. L’épisode est à la fois un sommet – unique –
Le Mouvement social, juillet-septembre 2015 © La Découverte

                                                                  de violence anti-juive dans le pays et la preuve que les liens d’interconnaissance, les
                                                                  relations de voisinage, sont une protection pour les minorités. « In fact, the attach-
                                                                  ment of the community was so tenacious that even after such a horrible event, most
                                                                  Jews continued to believe that Iraq was their homeland » (p. 139).

                                                                 30. Histoire par ailleurs renouvelée par des thèses et des articles récents : S. Wild, « National
                                                              Socialism in the Arab Near East Between 1933 and 1939 », Die Welt des Islams, XXV, 1985, p. 126‑173 ;
                                                              I. Gershoni et J. Jankowski, Confronting Fascism in Egypt: Dictatorship Versus Democracy in the
                                                              1930’s, Stanford, Stanford University Press, 2009 ; G. Nordbruch, Nazism in Syria and Lebanon :
                                                              The Ambivalence of the German Option, 1933-1945, New York, Routledge, 2009 ; P. Wien, Iraqi Arab
                                                              Nationalism : Authoritarian, Totalitarian, and pro-Fascist Inclinations, 1932-1941, New York, Routledge,
                                                              2006.
210 n Notes de lecture

         Ce qu’elle met au centre, à rebours de ce qu’elle nomme la « farhudization » de
    l’histoire des Juifs irakiens (p. 138), c’est 1948. Le Farhud est une étape de l’enchaî-
    nement vers la rupture, qui fait véritablement suite à la guerre israélo-arabe de 1948.
    À partir du traumatisme de 1941, on assiste au développement de mouvements
    de jeunes Juifs irakiens pour défendre la communauté, à l’entrée sur le territoire
    d’éléments sionistes – le sionisme y sera toujours très minoritaire, mais très radical –,
    et à un jeu complexe de radicalisation réciproque entre les nationalistes arabes et la
    communauté juive en quête de protection de la part de l’État.
         L’enchaînement des faits et des occasions manquées dans les années 1948-1950
    est décrit implacablement. Le récit est articulé à l’étude des stratégies étatiques (Irak,
    Israël, Grande-Bretagne), des lois stigmatisant les Juifs soupçonnés de collaborer
    avec l’ennemi israélien, mais aussi des perceptions plus intimes, du sentiment d’insé-
    curité qui grandit, des solidarités qui se rompent. L’analyse de la présence de Juifs au
    sein des mouvements communistes irakiens montre bien comment ils deviennent,
    comme juifs et comme communistes, la cible privilégiée d’un État contrôlé par les
    nationalistes. Le cinquième chapitre, consacré à l’histoire qui lie les Juifs irakiens
    avec le Parti communiste (« Red Baghdad. Iraqi Jews and the ICP, 1941-1951 »,
    p. 141-182), apporte des éléments nouveaux sur le rôle des Juifs dans le parti, leur
    perception du sens de leur engagement à la fois dans le cadre régional et étatique,
    mais aussi par rapport à une perception plus globale de l’engagement à gauche des
    communautés juives, lié au combat antifasciste.
         Orit Bashkin donne à voir des parcours singuliers, ceux du journaliste Menashe
    Somekh, du parlementaire Ezra Menahem Daniel, de l’écrivain Sasson Somekh,
    mais aussi des ouvriers militants communistes et anti-sionistes, des militantes fémi-
    nistes juives (Esterina Ibrahim, Maliha Sehayek, Miriam al-Mulla, citées p. 88), etc.
    Parfois ce sont les mêmes voix, les mêmes intellectuels, qui passent d’un nationa-
    lisme arabe/irakien affiché à des discours sur la condition juive unie dans l’exil. On
    aimerait suivre ces parcours davantage encore et mieux voir comment ces familles et
    ces individus vivent au quotidien à ces différentes périodes 31.
         Les départs se succèdent de manière massive à partir de 1948. Le mouvement
    sioniste joue son rôle, mais reste très minoritaire : il n’a jamais compté plus de
    2 000 membres. Les Juifs irakiens partent parce qu’ils se voient refuser une place
    dans un État qu’ils avaient très largement aidé à construire. Après avoir contribué à
    forger une identité arabe et juive, ils vont devenir le symbole de ce qu’Orit Bashkin
    appelle « l’universalisation de l’histoire juive » (p. 211). Alors qu’ils se revendiquaient
    comme une communauté ancienne, une part de l’identité nationale irakienne, ils
    deviennent, dans les récits postérieurs à 1950, une communauté de l’exil, rejoignant
    la condition commune des Juifs dans le monde. Alors qu’ils se percevaient comme
    privilégiés, ils vivent à leur tour les souffrances de l’arrachement, de la misère dans
    les camps de réfugiés, à leur arrivée en Israël. Le récit de cette face de l’histoire
                                                                                                            Le Mouvement social, juillet-septembre 2015 © La Découverte

    s’ancre dans un renouvellement de l’historiographie israélienne de la communauté.
    Orit Bashkin rend compte de la transformation par la communauté de sa propre
    perception (« Becoming an exile », p. 202 sq.). Elle évoque l’épisode des attentats
    anti-juifs de 1950 et 1951 qui précipitèrent le départ des derniers hésitants. Les
    commanditaires de ces attentats ne sont pas encore identifiés de manière certaine,
    mais ils ont été, avec le Farhud, intégrés très rapidement dans une histoire de l’exil
    comme menace et comme lot commun des communautés juives dans le monde. Le
    fait que les archives du Farhud soient à présent conservées à Yad Va-Shem, le musée
    israélien de l’holocauste, doit être considéré comme un symbole (p. 102).

   31. Pour un aperçu du parcours d’un intellectuel juif irakien, émigré très tardivement, voir
O. Bashkin, « Un Arabe juif dans l’Irak de l’entre-deux-guerres : la carrière d’Anwar Shâ’ûl », Vingtième
Siècle. Revue d’histoire, vol. 103, n° 3, 2009, p. 120-131.
Notes de lecture n 211

                                                                  On comprend dès lors que l’histoire qui est ici esquissée soit une forme d’histoire
                                                              globale, celle des faits qui ont conduit à l’extinction de l’une des plus importantes
                                                              communautés juives du monde arabe, mais aussi à l’abolition de la possibilité même
                                                              de parler de Juifs arabes ; elle est aussi une histoire globale de la mémoire et des
                                                              enjeux de mémoire. Restituer la part d’incertitude dans la migration des Juifs arabes
                                                              n’est pas nier leur adhésion au projet national israélien in fine, mais comprendre
                                                              dans quelles conditions ils ont rejoint ce cadre national et de quelle manière ils y
                                                              ont été intégrés. Les quelques pages de conclusion, évoquant une forme de nostalgie
                                                              contemporaine pour la culture juive orientale, montrent bien que cette mémoire
                                                              « officielle » et événementielle n’est pas la seule à pouvoir se frayer un chemin, à la
                                                              fois dans la culture israélienne et dans un Irak de nouveau confronté à la difficulté
                                                              de définir ce qui fait son unité nationale.
                                                                                                                                   Leyla DAKHLI
Le Mouvement social, juillet-septembre 2015 © La Découverte
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