Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
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Éditeur responsable : Andre Kiekens Asbl Solidarité Mondiale Chaussée de Haecht, 579 1030 Bruxelles Solidarite.mondiale@solmond.be – www.solmond.be Rédaction : Annelies De Gendt, Wouke Oprel, Jessie Van Couwenberghe, Jaklien Broekx, Sara Ceustermans, Jennifer Van Driessche et Ate Hoekstra Rédaction finale : Patrick Van Looveren Photos : Charles Fox/Solidarité Mondiale Une publication de Solidarité Mondiale, en collaboration avec l’ACV-CSC, achACT et la Schone Kleren Campagne en Flandre, © février 2017 www.vetementsclean.be www.achact.be www.solmond.be Une campagne pour des vêtements de sport propres à l’initiative de la CSC, la CSC Sporta, l’ACV-CSC METEA, la CNE, la CSC Alimentation et Services, la CSC Services publics, énéoSport, Altéo, en collaboration avec achACT. Animée par Solidarité Mondiale. Solidarité Mondiale, la CSC, la CNE et l’ACV-CSC METEA mènent depuis 20 ans des actions pour améliorer les conditions de travail dans l’industrie de l’habillement. Ces organisations travaillent en partenariat étroit avec des syndicats dans les pays de production comme le Cambodge, l’Indonésie et le Bangladesh. La ‘Schone Kleren Campagne’ (SKC) et achACT font partie de la coalition internationale ‘Clean Clothes Campaign’ et ont des réseaux pluralistes de syndicats, d’organisations non-gouvernementales de coopération au développement et d’organisations de consommateurs. Les deux plate-formes mènent des actions pour améliorer les conditions de travail dans l’industrie globale de l’habillement depuis le milieu des années 90. La SKC flamande et le réseau francophone achACT s’adressent aux consommateurs, aux travailleurs, aux entreprises et aux gouvernements pour faire augmenter l’offre et la demande de vêtements produits dans des conditions dignes et dans le respect des droits fondamentaux des travailleurs. Solidarité Mondiale (WSM), la CSC, l’ACV-CSC METEA et la CNE sont membres de la plate-forme achACT.
TABLE DES MATIÈRES PRÉFACE 4 1. L’industrie de l’habillement, une filière complexe 6 2. Le secteur des vêtements de sport sous les projecteurs 7 2.1. Les marques internationales donnent le ton 7 2.2. Le marché belge 8 2.3. Belge = éthique ? 8 3. Les plus grands défis de l’industrie de l’habillement de sport 11 3.1 Le salaire vital 11 3.2 La liberté d’association et le droit aux négociations collectives 14 3.3 Les contrats à court terme 16 4. Que peuvent faire les marques belges ? 19 4.1. La responsabilité des marques 19 4.2. Une feuille de route vers de meilleures conditions de travail 19 5. Et vous, que pouvez-vous faire ? 24 5.1. La campagne #vêtementsclean 24 5.2. En action ! 24 5.3. Faites valoir votre influence 25 5.4. Où acheter « clean » ? 25 5.5. Soutenir financièrement les travailleuses du textile 25
PRéFACE Vous portez un maillot de sport Adidas, Nike, Puma, ou une exactement, et dans quelles conditions? Consommateurs et autre marque de sport mondialement connue ? Alors, il y a citoyens, nous n’ avons pas accès à ces informations impor- de fortes chances qu’ il ait été fabriqué de l’ autre côté de la tantes. Les premiers entretiens ont déjà commencé avec cer- planète au Cambodge, au Bangladesh, en Chine ou en Indo- taines marques dans une dynamique de dialogue constructif nésie. Par des jeunes gens (dont une majorité de femmes) qui mais néanmoins déterminé. Nous avons 3 revendications travaillent de longues journées pour un salaire de misère et principales pour celles-ci : qu’ elles veillent à un salaire vital et dans des conditions de travail dangereuses. Le travail en usine la liberté d’ association pour les travailleurs de leurs filières de est lourd et difficile. La pression au travail est forte, avec des production, mais aussi à la transparence sur le(s) lieu(x) et les contrats intérim qui provoquent un stress constant, et de bas conditions dans lesquelles sont produits nos vêtements de salaires qui poussent à prester de nombreuses heures supplé- sport. Les marques de sport qui veulent vraiment s’ engager mentaires. Et ceux qui courageusement décident de réclamer sur la voie des ‘vêtements clean’ choisiront de s’ affilier à la de meilleures conditions via un syndicat sont régulièrement Fair Wear Foundation (FWF). victimes de violences et de discriminations… Avec le champion cycliste Ces abus sont la conséquence directe de la pression que Philippe Gilbert mettent les marques sur leurs producteurs pour qu’ ils pro- duisent à des prix toujours plus bas et dans des délais toujours Nous avons besoin de beaucoup de signatures à notre péti- plus serrés. tion. Pour prouver aux marques que les belges mordus de sport veulent des vêtements de sport clean. Le champion Les principales marques de sport que sont Adidas, Nike et belge de cyclisme Philippe Gilbert s’ est déjà engagé! Il est Puma consacrent des montants gigantesques à la publicité et le premier à avoir apposé sa signature sur un maillot cycliste au sponsoring de clubs de sport ou de sportifs du top. Et de ‘clean’ que nous avons dû acheter… en Allemagne ! l’autre côté de la filière, ceux qui fabriquent nos vêtements ne reçoivent que des miettes. Leurs salaires ne constituent que C’ est devenu notre visuel de campagne (voir ci-après). Avec 1% du prix de vente d’ un t-shirt de sport (voir p.7). Et ce pour- un nombre massif de signatures, nous espérons mettre au défi centage ne cesse d’être grignoté… les marques belges de réaliser une prestation de champion en matière de responsabilité sociale des entreprises, afin que Il est grand temps que les travailleurs au Cambodge ou en dans le futur, Philippe Gilbert, ses collègues champions de Indonésie puissent eux aussi marquer des points ! C’ est le cyclisme, mais aussi tous les amateurs de sport en général départ de notre campagne sur les vêtements de sport qui puissent courir dans un maillot ‘clean’. Sous le slogan : « belge démarre en 2017. = éthique ! ». Campagne #vêtementsclean Contenu de cette brochure En 2014, les marques de mode belges ont été mises sous pression pour réaliser des progrès en vue de meilleures Cette publication fait le focus sur le secteur des vêtements conditions de travail dans leur filière. Et avec succès : suite à la de sport, au niveau international et au niveau belge, et sur les campagne, JBC et Bel&Bo se sont affiliées à la Fair Wear Foun- problèmes principaux que l’ on rencontre dans les filières de dation. Les usines en Asie où ces entreprises font fabriquer production. Les témoignages de travailleuses et de travail- leurs vêtements sont désormais contrôlées par cet organisme leurs de l’ habillement, mais aussi d’ un responsable syndical, indépendant. viennent compléter ces descriptions. Le journaliste Ate Hoekstra est allé au Cambodge à la rencontre de ces per- Cette fois-ci, nous nous tournons vers l’ industrie des vête- sonnes qui fabriquent nos tenues de sport à des milliers de ments de sport. Nous attendons toujours de nos sportifs kilomètres de chez nous. Ces témoignages sont illustrés par qu’ ils soient clean en pratiquant leur sport… Pourquoi ne pas les magnifiques portraits réalisés par Charles Fox, un photo- attendre la même chose de nos vêtements de sport et des graphe renommé. La brochure indique également un plan marques qui les produisent? en 8 étapes que nous invitons les marques belges à suivre Avec la campagne #vêtementsclean, nous commencerons le pour de meilleures conditions de travail, et le rôle que la Fair travail près de chez nous. Nous entrerons en dialogue avec les Wear Foundation a à jouer dans ce cadre. La dernière partie marques belges comme Jartazi, Bioracer, Patrick ou Vermarc, détaille comment chacun et chacune peut s’ approprier cette surtout connus comme fournisseurs de clubs de sport. Eux campagne et mener des actions concrètes. Nous lançons un 4 aussi font fabriquer leurs productions à l’ étranger. Mais où appel chaleureux à chacun-e d’ entre vous !
1. L’industrie de l’habillement, une filiEre complexe L’industrie de l’habillement est un exemple type les vêtements, mais sous-traitent les aspects moins lu- de la globalisation. Nos vêtements sont des pro- cratifs à un agent ou à un fournisseur, qui à son tour sous- duits globaux : fabriqués d’un côté de la planète et traite la production à des sous-traitants ou des usines. Il vendus de l’autre. Les marques de vêtements telles est très rare que les marques occidentales de vêtements que H&M, Nike, Zara, … ont aussi bien des fournis- possèdent encore elles-mêmes les usines dans lesquelles seurs que des magasins partout dans le monde. elles font produire leurs vêtements. L’ industrie du textile et de l’ habillement a connu des Alors qu’ en haut de la chaîne, les parts de marché se mouvements tout au long de son histoire, mais la vitesse concentrent de plus en plus entre les mains d’ une poi- à laquelle la production des vêtements s’ est déplacée de gnée de grandes marques, le bas de la chaîne a connu une l’ Occident vers l’ Asie au cours de la deuxième moitié du énorme prolifération du nombre de pays et de fournis- 20e siècle est sans précédent. Les facteurs principaux qui seurs qui peuvent fournir à ces entreprises. Cette inégalité ont joué un rôle dans ce phénomène sont les bas salaires, offre aux marques de vêtements un énorme pouvoir la disponibilité de travailleurs flexibles, les mesures d’ en- d’ achat qu’ elles utilisent pour exiger des prix et des dé- couragement pour les entreprises étrangères, les nou- lais de livraison toujours plus bas. Les plates-formes In- velles technologies de communication et les frais de ternet où les fournisseurs surenchérissent pour rempor- transport peu élevés. ter une commande au prix le plus bas intensifient encore ce ‘nivellement par le bas’1. La délocalisation de la produc- Ces facteurs ont permis aux marques de vêtements de se tion vers les pays à bas salaires n’ apporte pas le progrès, transformer en entreprises internationales. Elles créent contrairement à ce que l’ on croit souvent. La chaîne complexe des vêtements en images – exemple de la marque Patagonia HAÏTI Tisserands Usines de fabrication Production de coton 6
2. LE secteur des VÊTEMENTS DE SPORT sous les projecteurs Le secteur des vêtements de sport représente environ keting et sponsoring sont compensés par des économies 7 % du secteur total de l’habillement en Europe et le ailleurs dans les dépenses, ce qui a des conséquences di- secteur des chaussures de sport, y compris les baskets, rectes sur les travailleurs de l’habillement qui produisent en représente environ 20 %. Le secteur des vêtements les vêtements. Les marques de sport tentent d’organiser de sport connaît une croissance deux fois et demie leur production au meilleur marché possible. Pour chaque plus rapide que le secteur de l’habillement général. modèle de chaussures, elles déterminent d’abord le prix Une grande partie des vêtements de sport du marché de vente et la marge de bénéfices souhaités et seulement européen sont produits en Asie, dans des pays tels que ensuite les frais de production maximaux par pièce. Sur la Chine, le Vietnam, le Cambodge et l’Indonésie. Aussi base de ces éléments, elles déterminent avec les fournis- bien les grands distributeurs, tels qu’Intersport, De- seurs quels matériaux elles vont utiliser, combien de mi- cathlon et Foot Locker, que les trois grandes marques nutes sont nécessaires pour monter une pièce, et combien Nike, Puma et Adidas, sous-traitent leur production à seront payés les ouvriers. Dans cette approche, ce sont les des usines en Asie depuis des années. travailleurs de l’habillement qui sont le dindon de la farce. Un exemple concret : le T-shirt des supporters de l’équipe nationale de football allemande coûte 85 euros, alors que 2.1 l’ouvrière qui l’a fabriqué reçoit 0,60 euros. La marge de LES marques internationales bénéfices pour Adidas s’élève à 24,30 euros2. donnent le ton Nike, Adidas et Puma dominent le secteur des vêtements de sport. La concurrence entre les ‘Big Three’ est très intense et Prix de ve résulte en des dépenses de marketing et de sponsoring fara- en ma nte gasin € 85,0 mineuses. En 2015, elles ont ainsi ensemble dépensé plus 0 de 6 milliards d’euros en marketing et activités de sponso- ring. Les activités de sponsoring dans le football européen atteignent aujourd’hui des sommes astronomiques: les deals avec les 10 principales équipes de football ont quasi doublé en trois ans, jusqu’à 406,9 millions d’euros. Pour stimuler les ventes de leurs vête- Marque de sport -bénéfices € 24,30 ments de sport, les marques utilisent la publicité lors d’événements sportifs majeurs tels que les compétitions de football et les Jeux Olympiques. Les marques de sport veulent évidemment rester rentables et rémunérer royalement leurs actionnaires. Le Distributeur/détaillant € 35,40 chef de file, Nike, a fait, en 2015, 2,9 milliards de bénéfices, contre 610 millions d’euros pour Adidas et 40 millions d’euros pour Puma. Les énormes investissements en mar- Frais matériaux € 2,50 Frais salariaux € 0,60 Autres frais de production TVA € 14,20 + marge de bénéfice pour l’usine € 1,90 Frais de transport € 0,20 ITaxes d’importation € 0,60 Marque de sport – autres frais € 2,80 Marque de sport – frais de marketing et de sponsoring € 2,00 Marque de sport -taxes € 0,50 7
2.2 Le marché belge Politique RSE De plus en plus de marques et de chaînes de vêtements Beaucoup de tenues sportives que l’ on peut acheter en Bel- développent des initiatives en matière de Responsabi- gique sont vendues chez nous par de grandes chaines de lité Sociale des Entreprises (RSE). La RSE est une forme distribution de sport étrangères. En Belgique, on trouve 5 d’autorégulation, sur base volontaire, sans engagements grandes marques sur ce marché : Decathlon, Sports Direct, légalement contraignants. Il y a donc autant de bons Intersport, JD et Foot Locker. A côté des marques Adidas, que de mauvais exemples de RSE. Dans le meilleur des Nike et Puma, les distributeurs vendent aussi leurs propres cas, la RSE est un processus à travers lequel une entre- marques. La production de celles-ci est également organi- prise prend ses responsabilités par rapport aux effets de sée, comme pour les grandes marques, dans des pays à bas ses activités dans le domaine social, écologique et éco- salaires comme la Chine, le Vietnam, le Cambodge, la Thai- nomique, dans l’ensemble de sa chaîne de production. lande, le Bangladesh et l’ Inde. Des dizaines de milliers de Dans le pire des cas, il s’agit simplement d’initiatives en personnes en tirent leur travail. Leurs chiffres d’ affaires se vue de redorer le blason d’une entreprise, sans effets comptent en milliards. positifs sur les conditions de travail. Ces chaines de distributions de sport mettent l’ accent dans leurs publicités sur une image jeune, active, en bonne santé, 2.3 tout en gardant le silence sur les travailleurs de la produc- Belge = éthique? tion. Un article de Test-Achats (note 3) montre que toutes ces chaines souffrent des mêmes maux : elles n’ accordent Aucune entreprise de vêtements de sport belge ne commu- que peu d’ attention aux conditions de travail dans leur nique à propos de sa filière de production ni de sa politique chaine de production, ainsi qu’ aux impacts environnemen- de RSE (voir encadré). L’ argument le plus souvent entendu à taux de celle-ci. Aucun retailer n’ obtient un bon score de la cet égard: « ce n’ est pas d’ usage dans le secteur et il n’ y a pas part de Test-Achats en matière sociale ou environnemen- de demande de la part des consommateurs.» tale, en contraste douloureux avec l’ image que ces marques souhaitent renvoyer. Lorsque l’on regarde les marques de sport belges qui pro- duisent des tenues d’équipes personnalisées, on remarque Comparé aux ‘Big Three’, il n’ existe pas vraiment de grandes qu’aucune marque ne communique à propos des pays dans marques de sport belges. Les marques belges qui pro- lesquels elles produisent leurs vêtements, ni des conditions duisent des vêtements de sport font surtout des tenues de travail dans lesquelles ils sont produits ou ce qu’elles font personnalisées destinées aux équipes pour les clubs et sont pour tenter d’améliorer celles-ci. De par nos contacts, nous donc surtout connues des sportifs, et en moindre mesure savons que certaines entreprises s’inquiètent de l’aspect du grand public. Les marques belges les plus ‘importantes’ ‘humain et environnemental’ de leur gestion commerciale, qui vendent des vêtements de sport pour le football et le mais cela ne se retrouve ni sur leur site Internet, ni dans leurs cyclisme, sont Bioracer, Vermarc, Jartazi, Patrick et G-Skin. rapports annuels. Elles n’ont pas non plus de rapports indé- Un critère important dans le secteur des tenues d’ équipe pendants à présenter concernant les démarches concrètes personnalisées est - outre le prix - un délai de livraison qu’elles entreprennent. La présente campagne veut entamer rapide. La concurrence entre les marques est énorme, ce un dialogue constructif avec les entreprises belges pour faire qui a évidemment des conséquences importantes pour les des ‘Vêtements Clean’ une réalité. Voilà pourquoi nous pro- fournisseurs. posons la feuille de route en 8 étapes et un instrument tel que la Fair Wear Foundation pour les aider à réaliser cet objectif. Nous lançons le défi au marques de sport d’ accomplir une prestation de haut niveau en matière d’ entrepreneuriat éthique afin que nous puissions à l’ avenir avancer un slogan 8 tel que ‘Belge = éthique!’, car cela bénéficiera à tout le monde.
Bioracer est un acteur important dans la région pour les maillots d’ équipes pour les cyclistes. Cette marque a été établie à Tessenderlo en 1985 par le coach de cyclisme Ray- mond Vanstraelen. Chaque année, ils produisent des vête- ments pour 3500 clubs. Bioracer a des contrats de sponso- ring exclusifs avec plusieurs équipes nationales, y compris l’ équipe nationale belge de cyclisme. Ils ont également des contrats de sponsoring avec la ligue de cyclisme flamande ‘Wielrennerbond Vlaanderen’ et la chaîne de télévision Sporza. Outre les vêtements de cyclisme, ils produisent également des vêtements de patinage sous la marque Hunter. 60 % de leur production se fait en Roumanie, dont la moitié en gestion propre. Les autres pays de production sont la Tchéquie (25%), la Tunisie (10%) et la Belgique (5%). Leur chiffre d’ affaires annuel s’ élève à 17 millions d’ euros. Le site Internet de Bioracer ne comporte aucune informa- tion sur la chaîne de production ni sur leur politique de RSE4. La marque Vermarc, de Wezemaal, a été fondée en 1977 Jartazi, établi à Denderhoutem, s’ est lancé en 1992 en pro- par Frans Verbeeck, un ancien cycliste professionnel. Ver- duisant des vêtements de football. Depuis la reprise par marc produit des vêtements d’ équipe pour les cyclistes, le Groupe Vijverman en 2010, ils produisent également mais a également étendu sa gamme aux vêtements de du ‘fait sur mesure’ pour quasiment toutes les disciplines sport pour joueurs de football, athlètes et coureurs. 95% de sportives. Jartazi a des contrats sportifs avec La Gantoise, la production se fait en Italie, depuis 25 ans, dans une seule Lokeren et le Club de basketball Ostende. La production usine où Vermarc achète environ la moitié du volume de se fait au Bangladesh, en Chine et en Turquie où leurs four- production. L’ usine dispose d’ un syndicat et d’ une conven- nisseurs sont audités par la BSCI8. Leur chiffre d’ affaires tion collective de travail5. Nike y est également client. Pour annuel s’ élève à 5 millions d’ euros. Aucune information les produits très basiques, la production va déménager n’ est disponible sur le site Internet de Jartazi concernant sa en Bosnie-Herzégovine. Les 5% restants sont produits en chaîne production ni sa politique de RSE9. Belgique. Leur chiffre d’ affaires annuel s’ élève à 10 mil- lion d’ euros. Vermarc est le sponsor vêtements du club de football OH Leuven et des clubs de cyclisme Lotto-Soudal et Etixx-Quick Step. Leur site Internet ne mentionne nulle part les détails de la chaîne de production ou la politique de RSE de Vermarc, mais indique simplement que les vête- ments sont à 100% ‘Fabriqués en Europe’ 6. La marque Patrick, créée en 1992, est une marque de la société anonyme Cortina qui est surtout connue pour ses chaussures de sport mais également pour ses vêtements d’ équipes pour les clubs de football. Cette marque originaire d’ Audenarde est le sponsor vêtements de Zulte-Waregem, KSV Audenarde, Boussu Dour Borinage et Mouscron-Pé- G-Skin est un plus petit joueur également actif sur le mar- ruwelz, pour n’ en nommer que quelques-uns. La société ché des vêtements de cyclisme. Leur siège social se situe anonyme Cortina utilise le système de management de la à Windhof, au Luxembourg. Ils collaborent depuis des an- BSCI (voir la note 8). La production se fait majoritairement nées avec un producteur en Pologne. Leur chiffre d’ affaires en Chine où Cortina dispose de sa propre équipe. Ni le site annuel s’ élève à 1,3 millions d’ euros. G-Skin ne commu- de Patrick, ni le site de Cortina ne mentionnent la filière de nique d’ aucune manière sur sa chaîne de production ni sur production. Patrick dépense plus de 200.000 euros par an sa politique de RSE7. à des projets sociaux, mais il n’y a aucune information sup- plémentaire sur sa politique de RSE.10 9
l a t r e ... À co n ren de ceux qui fabriquent nos vêtements de sport au Cambodge Nike, Adidas, Reebok et Puma sont certaines des 589 usines répertoriées Ministère du Commerce extérieur, des grandes marques de vêtements officiellement, être membre d’un dont 40 % en exportations vers de sport dont nombre d’entre nous syndicat mène même au licenciement l’Union Européenne. 33 % du textile possèdent quelques exemplaires à la immédiat. Avec un salaire minimum sont exportés aux États-Unis. Il n’y maison. Beaucoup de ces vêtements de 140 dollars américains (125 euros) a pas de chiffres exacts concernant sportifs et branchés sont produits par mois, bien inférieur au niveau l’industrie des vêtements de sport, au Cambodge. Ce pays emploie de vie, les ouvriers sont forcés de mais les marques telles qu’Adidas environ 630.000 travailleurs de faire des heures supplémentaires. et Puma sont parmi les plus grands l’habillement, un chiffre énorme Des semaines de 50 à 60 heures acheteurs au Cambodge. Le groupe sur une population de 15 millions de travail sont monnaie courante, Adidas, dont fait également partie d’habitants. mais même avec toutes ces heures Reebok, collabore ainsi avec 26 usines supplémentaires, les travailleurs de cambodgiennes. Pour de nombreux Cambodgiens, l’habillement ont souvent du mal la production de vêtements et de à joindre les deux bouts tous les Les 600.000 ouvriers ne voient chaussures représente une tentative mois. Les salaires sont si bas qu’il pas vraiment la couleur de la d’échapper à la pauvreté chronique. faut faire des compromis, comme croissance impressionnante qu’a Ils ont besoin de ces revenus pour par exemple acheter des repas bon connue l’industrie de l’habillement garder un toit au-dessus de leur tête marché mais mauvais pour la santé. au Cambodge depuis le début des et pour prendre soin de leur famille. Des négociations sont néanmoins années 90. Ils sont nombreux à vivre Pour de nombreux ouvriers, leur en cours pour un nouveau salaire dans des conditions de pauvreté salaire doit également leur permettre minimum et les syndicats espèrent abjecte et de grande incertitude. d’entretenir leurs parents et leurs obtenir à partir de 2017, 180 dollars Et pourtant ils rêvent d’un avenir frères et sœurs qui vivent souvent (160 euros) par mois. meilleur et plus juste, avec un revenu dans des conditions misérables à la plus élevé, des usines plus propres campagne. L’industrie de l’habillement est d’une et plus sûres et des syndicats libres grande importance pour l’économie qui permettent à chaque ouvrier et Mais le travail dans les usines est cambodgienne. Avec le tourisme, ouvrière de revendiquer ses droits. pénible, les contrats de courte durée l’exportation de vêtements et de causent du stress en permanence chaussures est le moteur le plus Le journaliste néerlandais Ate et les courageux travailleurs qui important d’une économie en Hoekstra leur a rendu visite, à la revendiquent leurs droits par le biais forte croissance. En 2015, la valeur demande de Solidarité Mondiale. de syndicats sont souvent victimes de d’exportation s’élevait à 5,7 milliards Qui sont donc ces gens qui discrimination et de menaces. Dans de dollars américains, selon le fabriquent nos vêtements de sport à des milliers de kilomètres de chez nous ? Charles Fox, un photographe britannique de grande renommée, accompagne leurs histoires de portraits qui ne laissent pas indifférent. 10
3. Les plus grands défis de l’industrie de l’habillement (de sport) La concurrence globale entre les marques de vête- 3 .1 ments (de sport) mènent à la violation des droits Le salaire vital fondamentaux du travail dans les pays de produc- tion. Qu’ils produisent des vêtements sportifs ou Qu’est-ce que cela signifie ? autres, les ouvriers indiquent tous trois problèmes Le salaire vital est un concept reconnu internationalement. majeurs concernant leur travail et leurs conditions Il représente une rémunération pour une durée de travail de vie : l’absence d’un salaire vital, l’absence de normale, qui couvre les besoins de base du travailleur et liberté d’association et les contrats à court terme. de sa famille (logement, alimentation, vêtements, soins Ces problèmes ne sont pas nouveaux, au contraire. de santé et enseignement) et permet également de faire Cela fait des dizaines d’années qu’un large éventail quelques économies. Il est basé sur une semaine normale d’organisations mènent des campagnes et des ac- de travail de maximum 48 heures sans bonus, primes ni ré- tions pour mettre fin aux abus dans le secteur. Bien munération d’heures supplémentaires, il suffit à couvrir les que des avancées importantes aient été réalisées besoins de base d’une famille de quatre personnes (deux par le passé, en particulier par les grandes marques adultes, deux enfants)12. Le montant du salaire vital varie de sport, nous sommes encore loin du but. par secteur, par pays et par région. Les différentes facettes d’un salaire vital SALAIRE VITAL Voici le minimum qu’un travailleur devrait pouvoir se permettre avec son salaire Nourriture Loyer Soins de santé Education Un droit humain pour toutes et tous partout dans le monde. Vêtements Transport Epargne 11
Les rémunérations qui correspondent à un salaire vital sont l’exception qui confirme la règle dans l’industrie de l’habillement. La plupart des salaires dans l’industrie dé- passe à peine le salaire minimum légal et celui-ci se situe bien au-deçà d’un salaire vital. De nombreux gouvernements dans les pays producteurs maintiennent le salaire mini- mum légal à un niveau délibérément bas, de peur de voir partir les marques de vêtements internationales. Et ces peurs sont fondées car des études ont démontré que les trois grandes marques de sport, Nike, Adidas et Puma se retirent systématiquement des pays où les salaires augmentent. Elles ont par exemple quitté la Chine pour le Vietnam lorsque les salaires chinois ont commencé à augmenter.13 L’absence de salaires vitaux dans l’industrie de l’habillement est un problème global : ainsi, les travailleurs de l’habillement en Europe de l’Est ne gagnent eux non plus souvent même pas le salaire minimum légal.14 Les bas salaires mènent au travail supplémentaire. Les tra- vailleurs de l’habillement se voient obligés de faire de nom- Ouk Channeng: ‘Rêver d’une breuses heures supplémentaires afin de pouvoir faire vivre leur famille.15 Des semaines de travail de 70 heures ou plus ne belle maison constituent pas une exception. En outre, les bas salaires engendrent d’autres problèmes liés à la pauvreté. Les travailleurs de l’habillement souffrent ainsi de carences en calories, d’un accès limité à des soins de santé pour Ma adéquats, de l’absence de sécurité sociale, de logements in- salubres, d’un accès limité à l’éducation et de l’exclusion de la famille’ vie culturelle et politique. Une solution ? Ouk Channeng (21 ans) vit dans la Aucune partie prenante de l’industrie de l’habillement capitale de Phnom Penh et travaille ne veut hélas faire le premier pas vers un salaire vital. Les dans l’usine New Mingda qui produit marques considèrent qu’il est de la responsabilité des gou- notamment pour Puma et Adidas. vernements et des fournisseurs d’augmenter les salaires. Les gouvernements ont peur de perdre leur avantage Ouk Channeng gagne 230 dollars concurrentiel par rapport aux autres pays producteurs. Les (178 euro) par mois, dont 140 de fournisseurs maintiennent qu’ils ne peuvent pas payer de salaire minimum et le reste grâce à salaire minimum plus élevé car leurs marges bénéficiaires deux à quatre heures supplémen- sont trop étroites. taires de travail chaque jour. Sur ces 230 dollars, elle envoie chaque On ne pourra sortir de cette impasse que si les marques mois 100 à 120 dollars à ses s’engagent à payer un montant spécifique et à prendre des parents à la campagne. Ils ont bien mesures en vue de faire augmenter les salaires petit à petit. besoin du revenu de leur fille pour (une façon dont elles peuvent accomplir cela est expliquée survivre. Le restant de son salaire dans la feuille de route du chapitre 4). passe en loyer et en nourriture. « Il ne me reste jamais rien pour faire des économies. » Le peu qu’elle gagne et les lon- gues journées de travail forcent Channeng à acheter de la nourriture de mauvaise qualité au marché près de chez elle. « Je me fais du souci par rapport à l’hygiène, car quand 12
À la ren con tre... j’achète ma nourriture là-bas j’ai l’habillement. « Je crois que je vais plus de chance de tomber malade. travailler à l’usine jusque quand je Et si je tombe malade, je ne peux serai vieille et que je n’en pourrai plus entretenir ma famille avec plus. Mais j’espère que les salaires mon travail. » vont bientôt augmenter. Ce serait fantastique que les consommateurs Quand on tombe malade, cela mettent la pression sur les marques cause de toute façon plusieurs pro- pour augmenter nos salaires, parce blèmes. Il n’y a souvent pas d’argent qu’ainsi, je pourrais mieux soutenir pour acheter des médicaments, ma famille. Et qui sait, si je gagne et quand on est malade on gagne assez d’argent, je pourrai un jour leur moins. « Si je tombe malade, je construire une belle maison.” devrai emprunter de l’argent, mais ici les taux d’intérêt s’élèvent à 20 La jeune femme n’a pas encore %. Si j’emprunte 10 dollars, je devrai fondé de famille, mais si elle se en rembourser 12, ou même plus si marie un jour, elle espère juste une je prends du retard. » chose : “que mes enfants puissent aller à l’école et qu’ils ne doivent pas Channeng raconte qu’elle n’a travailler à l’usine.” presque aucun choix dans sa vie. Elle ne voit sa famille que deux “Ce serait fantastique que les fois par an, mais les aider passe consommateurs mettent la pression avant tout. Et comme elle n’a pas sur les marques pour augmenter terminé l’école, elle ne voit pas nos salaires, parce qu’ainsi, je d’alternative à sa vie d’ouvrière de pourrais mieux soutenir ma famille.” 13
3.2 Marques de vêtements & syndicats La liberté d’association et le droit aux négociations Outre les gouvernements, les marques de vêtements ont collectives une influence sur le fonctionnement syndical au sein des usines où leurs vêtements sont produits. Le droit d’association et le droit aux négociations collectives Le respect de la liberté d’association est souvent inscrit est l’un des droits inscrits dans la Déclaration Universelle dans le code de conduite des marques de vêtements, mais des Droits de l’Homme (Art 23, 3). Ils offrent aux ouvriers cela n’est que de la poudre aux yeux quand les marques un cadre leur permettant de se défendre et de négocier de vêtements (de sport) telles que Nike, Adidas et Puma, leurs conditions de travail avec les dirigeants de l’usine. Ces choisissent consciemment d’installer leur production dans droits sont pourtant bafoués, aussi bien par la loi que dans des régions où il n’y a pas ou très peu de liberté syndicale, la pratique, dans de nombreux pays producteurs. Les gou- comme le démontrent les énormes commandes placées vernements et les dirigeants d’usine sont souvent hostiles dans les zones franches commerciales de la Chine, du Viet- au travail syndical indépendant. Les dirigeants d’entreprise nam et du Bangladesh.19 refusent parfois de reconnaître les syndicats ou de négocier Les marques de vêtements influencent les propriétaires avec eux. Les membres et les leaders des syndicats sont d’usines par le biais de leurs pratiques d’achat. Il existe des également souvent victimes de licenciement, de discrimi- exemples de marques de vêtements qui diminuent ou nation, de harcèlement, d’intimidation ou de représailles. retirent leurs commandes des usines qui lancent un syn- dicat. Les délais de livraison ont également une influence. Quel rôle pour les gouverments? Les délais très stricts entraînent beaucoup de stress et de travail supplémentaire. Lorsqu’un syndicat est présent, la Tout d’abord, les gouvernements peuvent faire un pre- chance d’être confronté à une grève augmente. C’est pour- mier pas en ratifiant la Convention 87 (Droit d’association) quoi les propriétaires d’usines sont souvent hostiles au tra- et 98 (Droit aux négociations collectives) de l’Organisa- vail syndical lorsqu’il y a des délais de livraison très stricts.20 tion Internationale du Travail. Les grands pays produc- Il existe des marques de vêtements qui installent elles- teurs de vêtements tels que la Chine, le Vietnam et l’Inde mêmes un comité de travailleurs. Elles créent ainsi l’illusion n’ont pas ratifié ces deux conventions. Dans ces pays, et que les droits des travailleurs sont respectés. Les ouvriers dans les zones franches commerciales d’autres pays, les de l’habillement ne peuvent néanmoins pas choisir les ouvriers ne peuvent pas créer de syndicats indépendants membres de ce comité, ce qui signifie que le comité prend et démocratiques. En Chine, par exemple, un syndicat ne des décisions en faveur des dirigeants d’usines et non des peut fonctionner légalement que s’il est membre de la All- ouvriers eux-mêmes. Au Cambodge par exemple, seule China Federation of Trade Unions (ACFTU). La ACFTU est une poignée des 63 syndicats existants sont réellement contrôlée par le gouvernement chinois. Dans les usines où indépendants. La plupart d’entre eux sont en réalité des les syndicats sont actifs, les ouvriers ne peuvent pas choisir ‘syndicats jaunes’ qui défendent les intérêts des dirigeants eux-mêmes les dirigeants syndicaux et ceux-ci sont donc d’usines ou du gouvernement, comme le montre une étude souvent des dirigeants de l’usine qui ne font presque rien du Solidarity Center cambodgien.21 pour protéger les droits des ouvriers. Les grèves sont consi- Si les marques de vêtements veulent réellement contri- dérées comme une menace de l’ordre social, et sont sévè- buer à l’amélioration des libertés syndicales, elles doivent rement, et parfois violemment, réprimées�. placer leurs commandes dans des usines où le droit d’as- sociation et le droit aux négociations collectives sont res- La ratification des conventions, comme l’ont fait la plu- pectés par le biais d’un syndicat qui fonctionne bien. Les part des autres pays producteurs de vêtements, ne signi- marques de vêtements peuvent également insister auprès fie néanmoins pas automatiquement qu’il existe un climat des gouvernements des pays producteurs sur l’importance idéal pour le travail syndical. Il y a ainsi dans presque tous d’un cadre légal clair, de syndicats indépendants et qui les pays asiatiques des problèmes avec l’application et la fonctionnent bien, et d’un bon dialogue social. régulation des droits syndicaux17. Et ce n’est pas seulement Les marques de vêtements peuvent aussi jouer un rôle le cas en Asie, même en Europe, la liberté syndicale n’est par rapport aux usines de production pour stimuler la pas une évidence. Des lois ont ainsi été introduites en Bul- liberté d’association. Cela bénéficie aussi à la marque de garie, en Roumanie et en Croatie qui rendent plus difficiles vêtements et à la qualité des vêtements produits. Des les négociations avec les dirigeants des usines pour les ouvriers satisfaits travaillent mieux, travaillent plus dur et représentants syndicaux.18 Afin de garantir la liberté d’asso- respectent les délais. Concrètement, les marques de vête- ciation, les gouvernements doivent donc inscrire les droits ments peuvent veiller à ce que des propagandistes syndi- des conventions dans la législation nationale et veiller à caux aient accès à l’usine afin de pouvoir créer un syndicat leur application. et à ce que les ouvriers qui deviennent membres du syndi- cat ne soient pas licenciés. L’existence d’une procédure de plainte efficace est également d’importance capitale. (Voir l’étape point 4.2. dans le chapitre ‘Que peuvent faire les 14 marques belges ?’)
À la ren con t re... Yorn theary: Une dirigeante syndicale constamment tenue à l’œil Yorn Theary (24) travaille depuis quatre mais ça n’avait aucun sens. Nous avions qu’ils connaissent la réalité de notre ans dans l’usine Din Han qui produit énormément de travail et devions faire situation. Si les marques faisaient en notamment des vêtements pour des heures supplémentaires tous les sorte que nous ayons un bon salaire Adidas. Elle travaille 10 à 12 heures jours pour terminer les commandes. La minimum, nous ne devrions plus faire par jour, six jours par semaine. Heures véritable raison de mon licenciement d’heures supplémentaires tous les jours supplémentaires comprises, elle gagne était que j’avais fondé un syndicat. » pour survivre. » entre 220 et 230 dollars américains (soit environ 178 euros) par mois. Une tentative de C.CAWDU de faire La travailleuse soupire profondément. récupérer son emploi à Theary via le Mi- En juin dernier elle a accouché de son Au printemps 2015, Yorn Theary a nistère du Travail resta sans résultat. Ce deuxième enfant. Il est né en mauvaise décidé de créer une branche du syn- n’est seulement qu’après que le syndicat santé et est décédé un mois après sa dicat local C.CAWDU. « Nous étions à ait incité Adidas à entrer en dialogue naissance. « La veille de la naissance, je l’époque sous très forte pression de la avec l’usine qu’elle a été réengagée. Elle travaillais encore à l’usine. Comme il fait part de la direction. Nos contremaîtres a maintenant le droit de défendre ses très sale et qu’il y a un mauvais climat, nous insultaient et se mettaient en collègues au nom du syndicat. « C’est j’avais beaucoup de problèmes d’esto- colère lorsqu’on faisait la moindre vraiment très difficile d’organiser quoi mac à l’époque. Le médecin m’a dit que erreur. Nous avions par le passé déjà eu que ce soit. On me tient constamment c’est ça qui a coûté la vie à mon enfant. » un syndicat à l’usine, mais il ne faisait à l’œil et parfois, ils font même des rien pour les travailleurs. Nous nous photos de moi quand je parle avec “Si les marques faisaient en sommes dit que nous avions besoin un collègue. Ils veulent m’empêcher sorte que nous ayons un d’un nouveau syndicat pour défendre d’attirer plus de nouveaux membres au bon salaire minimum, nous ne nos droits. » syndicat. Notre syndicat compte actuel- devrions plus faire d’heures lement 420 membres dans l’usine, mais supplémentaires Cette décision n’a pas été bien accueil- sur 2000 travailleurs, cela ne suffit pas tous les jours lie. Theary, qui était cheffe de produc- pour taper sur la table. » pour survivre.” tion du département découpes, a été licenciée par la direction de l’usine, une Tout comme nombre de ses collègues, punition souvent appliquée par les Theary doute que les marques telles usines lorsque les ouvriers adhèrent à qu’Adidas, Puma et Reebok soient suf- un syndicat indépendant. « Ils ont dit fisamment au courant de la réalité des qu’il n’y avait plus de travail pour moi, situations dans les usines. « Je voudrais 15
3.3 Les contrats à court terme L’utilisation excessive de contrats à court terme dans le sec- teur de l’habillement (sportif) est un problème énorme et très répandu. Dans 80 % des usines au Cambodge, les travailleurs de l’habillement travaillent sur base de contrats à court terme qui sont renouvelés tous les deux ou trois mois, parfois pen- dant des années22. Bien que cela soit interdit par la loi, c’est monnaie courante. Les contrats à court terme ont plusieurs conséquences néga- tives. Ils créent beaucoup d’incertitude parmi les travailleurs de l’habillement. En outre, les contrats à court terme dénient aux travailleurs toute forme de protection sociale à laquelle ils ont droit. En effet, toute une série d’aspects de la législation du travail n’est pas d’application pour les travailleurs avec un contrat temporaire. Une étude parmi les travailleurs de l’habil- lement au Cambodge a démontré qu’ils n’osent pas prendre de congés de maladie par peur de perdre leur emploi.23 Ceux Phouk Chroch: Stress qui prennent congé malgré tout ne reçoivent pas leur bo- nus mensuel. La même étude a démontré que les ouvrières et insécurité cachent leur grossesse le plus longtemps possible car être enceinte diminue leurs chances de voir leur contrat prolongé. suite aux Officiellement, la loi cambodgienne offre aux femmes le droit à un congé de maternité de trois mois avec salaire si elles ont travaillé pour le même employeur depuis plus d’un an. Mais la pratique est bien différente. En outre, les contrats de courte durée empêchent les travailleurs de l’habillement d’adhérer à contrats un syndicat, ce qui rend encore plus difficile de faire respecter la législation du travail existante. à court terme Que faire ? La pression énorme en vue d’être ‘flexible’ encourage l’utilisa- Phouk Chroch a 27 ans et s’exprime avec tion des contrats à court terme dans le secteur. Les marques précaution lorsqu’il parle de son travail de vêtements choisissent un modèle commercial dans lequel dans l’usine qui produit des vêtements non seulement les styles et les produits changent constam- de sport pour Puma et Adidas. ment et rapidement, mais aussi les usines et les pays où elles Mais derrière cette réserve se cache une réalisent leur production. Tout cela dans une course au four- frustration profonde. nisseur le plus rapide et fiable possible tout en étant aussi le meilleur marché. Lors d’une enquête par Oxfam Australie, un certain nombre de marques de vêtements ont indiqué qu’ Cela fait 10 ans que Chroch travaille elles souhaitaient construire des relations à long terme avec les dans l’industrie de l’habillement fournisseurs24, mais elles ont refusé de mettre par écrit qu’elles et il n’a toujours pas de contrat à souhaitaient proposer des commandes à long terme aux four- durée indéterminée : « j’ai travaillé nisseurs�. Il n’est donc pas étonnant que les usines de produc- dans plusieurs usines, et à chaque tion veulent elles aussi toujours garder leurs travailleurs ‘sous fois on me donne un contrat conditions’ par le biais de contrats à court terme. de trois mois. » Les contrats de Pour finir, ce sont les travailleurs de l’ habillement qui sont les trois mois sont bien connus des victimes d’un système de production et d’un modèle com- ouvriers cambodgiens. Les usines mercial qui poussent lourdement à la flexibilisation jusqu’au les utilisent pour intimider les bout de la chaîne de production. Les marques de vêtements travailleurs. Ceux qui se plaignent tout comme les gouvernements peuvent changer cette situa- trop, qui ne travaillent pas assez ou tion. Lorsque les marques construisent une relation stable avec qui refusent trop souvent le travail leurs fournisseurs, la sécurité de commandes à long terme peut supplémentaire sont menacés de ne se traduire par des contrats à long terme pour leurs travailleurs. pas voir leur contrat renouvelé s’ils C’est le rôle des gouvernements de rappeler à l’ordre les diri- ne changent pas d’attitude. geants d’usines et de leur imposer des sanctions lorsqu’ils ne 16 respectent pas la législation nationale.
À la ren con t re... Pour les hommes qui travaillent chez moi sans faire d’heures Ce qui rendrait Chroch plus heureux à l’usine la situation est souvent supplémentaires, il est bien possible personnellement serait un contrat à encore pire que pour les femmes, qu’il me licencie. » durée indéterminée. « Je voudrais bien dit Chroch. « Les femmes reçoivent retourner dans ma province d’origine. souvent un contrat de six mois, mais Le père de deux enfants, qui travaille Quand nous aurons assez d’argent, je nous les hommes seulement des dur tous les jours, a le regard veux y acheter un lopin de terre pour contrats de trois mois. Les directions pensif. Il a vu les prix que paient cultiver des légumes et avoir une petite croient en effet que les femmes les consommateurs occidentaux ferme avec des poules ou des cochons. vont causer moins de problèmes pour les T-shirts de sport. « Il y a un Si je pouvais emprunter l’argent, que les hommes. Ils ont peur que grand écart entre le travailleur et le j’achèterais un terrain tout de suite. s’ils offrent des contrats à long consommateur », dit-il. « Ce serait Mais avec un contrat de trois mois, il n’y terme aux hommes, ceux-ci vont bien si cette proportion devenait a aucune banque qui accepterait de me s’organiser et se révolter contre les plus équitable. » prêter de l’argent. » conditions de travail dans l’usine. » Les contrats à court terme créent de nombreux problèmes. Ils créent beaucoup de stress et d’insécurité parmi les travailleurs et les empêchent d’avoir une vision positive de l’avenir. Chroch: « Je ne suis jamais certain d’avoir Croch a vu les prix que payent les consommateurs encore du travail dans trois mois. occidentaux pour les T-shirts de sport. «Il y a un Si jamais je ne suis pas les ordres grand écart entre ce que le travailleur gagne et du contremaître ou que je rentre ce que le consommateur paie. » 17
... À lacontre ren kong athit: ‘Les marques sont les acteurs les plus influents’ En tant que secrétaire général du plus nous répéter que le salaire minimum ne Les plus grandes marques de sport grand syndicat indépendant cambodgien, peut absolument pas dépasser celui de du monde produisent toutes des C.CAWDU (Coalition of Cambodian notre voisin, le Vietnam. Ils nous disent vêtements au Cambodge. Êtes-vous en Apparel Workers Democratic Union), un ‘si nous exigeons un salaire minimum communication avec elles ? partenaire de Solidarité Mondiale et de la trop élevé, nous détruirons les emplois.’ « Nous avons beaucoup de dialogue CSC, Kong Athit œuvre pour défendre les Nous sentons aussi la pression du et de discussions avec elles. Et comme droits des travailleurs de l’habillement. Myanmar, qui se présente au monde les marques sont les joueurs les plus C.CAWDU est notamment impliqué dans extérieur avec une main-d’œuvre bon influents, nous remportons la plupart les négociations sur le salaire minimum marché. Les entreprises qui remportent de nos victoires grâce à leur aide. et entre régulièrement en dialogue avec les commandes des grandes marques Nous avons notamment eu un cas les marques de sport. sous-traitent (en grande partie) les récemment dans l’usine de Din Han contrats. Les marques de vêtements qui produit entre autres pour Adidas. Quelles sont les difficultés rencontrées détournent le regard et se lavent les Notre dirigeante syndicale locale y avait par C.CAWDU dans la défense des mains de leurs responsabilités. Elles ne été licenciée et n’a été réengagée que droits des travailleurs ? sont soi-disant au courant de rien. Mais lorsque nous avons demandé à Adidas « Beaucoup d’usines nous mettent chez ces sous-traitants, les conditions d’aborder la question avec l’usine. » des bâtons dans les roues, mais sont lamentables. Les logements sont ce sont surtout les syndicats pro- insalubres. Les consignes de sécurité ne gouvernementaux qui nous rendent sont pas respectées. Les conditions de la vie difficile. Ils créent souvent travail sont exécrables. Un désastre tel “Un désastre tel que celui des problèmes dans les usines et que celui du Rana Plaza au Bangladesh du Rana Plaza au Bangladesh intimident les travailleurs. Ils offrent pourrait très bien se produire ici au pourrait très bien se produire de l’argent aux travailleurs pour Cambodge. » ici au Cambodge. ” quitter C.CAWDU et se joindre à eux. Ensuite leur syndicat quitte l’usine Et qu’en est-il des salaires ? et les travailleurs se retrouvent à la « Les marques telles qu’Adidas et case départ, c’est-à-dire sans aucune H&M disent qu’elles veulent un salaire représentation syndicale dans vital mais elles s’intéressent surtout à l’usine. » améliorer leur image. Elles ont conclu des accords au niveau global, mais si Les grandes marques de vêtements on veut vraiment changer les choses, disent souvent qu’elles veulent il faut agir au niveau des pays. En fait, améliorer la vie des travailleurs. Y les marques de sport n’ont aucune croyez-vous ? idée de la réalité de la situation. Et c’est « Des marques telles qu’Adidas et H&M la même chose pour l’usine modèle ne sont pas au Cambodge pour nos de H&M qui se trouve soi-disant ici beaux yeux, mais bien parce que les au Cambodge, mais personne ne sait frais salariaux sont moins élevés ici que de quelle usine il s’agit. Comment dans d’autres pays. Les employeurs pouvons-nous alors croire que les et le gouvernement n’arrêtent pas de choses se passent mieux là-bas ? » 18
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