Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean

 
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Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
Nous voulons
   des vêtements
  de sport clean
Brochure de Campagne
Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
Éditeur responsable :
Andre Kiekens
Asbl Solidarité Mondiale
Chaussée de Haecht, 579
1030 Bruxelles
Solidarite.mondiale@solmond.be – www.solmond.be

Rédaction : Annelies De Gendt, Wouke Oprel, Jessie Van Couwenberghe, Jaklien Broekx, Sara Ceustermans, Jennifer Van
Driessche et Ate Hoekstra
Rédaction finale : Patrick Van Looveren
Photos : Charles Fox/Solidarité Mondiale

                          Une publication de Solidarité Mondiale, en collaboration avec l’ACV-CSC, achACT et la Schone
                          Kleren Campagne en Flandre,
                          © février 2017
                          www.vetementsclean.be
                          www.achact.be
                          www.solmond.be

                       Une campagne pour des vêtements de sport propres à l’initiative de la CSC, la CSC Sporta,
l’ACV-CSC METEA, la CNE, la CSC Alimentation et Services, la CSC Services publics, énéoSport, Altéo, en collaboration
avec achACT. Animée par Solidarité Mondiale.

Solidarité Mondiale, la CSC, la CNE et l’ACV-CSC METEA mènent depuis 20 ans des actions pour améliorer les conditions
de travail dans l’industrie de l’habillement. Ces organisations travaillent en partenariat étroit avec des syndicats dans les
pays de production comme le Cambodge, l’Indonésie et le Bangladesh.

La ‘Schone Kleren Campagne’ (SKC) et achACT font partie de la coalition internationale ‘Clean Clothes Campaign’ et
ont des réseaux pluralistes de syndicats, d’organisations non-gouvernementales de coopération au développement et
d’organisations de consommateurs. Les deux plate-formes mènent des actions pour améliorer les conditions de travail
dans l’industrie globale de l’habillement depuis le milieu des années 90. La SKC flamande et le réseau francophone
achACT s’adressent aux consommateurs, aux travailleurs, aux entreprises et aux gouvernements pour faire augmenter
l’offre et la demande de vêtements produits dans des conditions dignes et dans le respect des droits fondamentaux des
travailleurs.

Solidarité Mondiale (WSM), la CSC, l’ACV-CSC METEA et la CNE sont membres de la plate-forme achACT.
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TABLE DES MATIÈRES
PRÉFACE                                                                       4

1. L’industrie de l’habillement, une filière complexe                         6

2. Le secteur des vêtements de sport sous les projecteurs                      7
   2.1.   Les marques internationales donnent le ton                           7
   2.2.   Le marché belge                                                     8
   2.3.   Belge = éthique ?                                                   8

3. Les plus grands défis de l’industrie de l’habillement de sport             11
   3.1    Le salaire vital                                                    11
   3.2    La liberté d’association et le droit aux négociations collectives   14
   3.3    Les contrats à court terme                                          16

4. Que peuvent faire les marques belges ?                                     19
   4.1.   La responsabilité des marques                                       19
   4.2.   Une feuille de route vers de meilleures conditions de travail       19

5. Et vous, que pouvez-vous faire ?                                           24
   5.1.   La campagne #vêtementsclean                                         24
   5.2.   En action !                                                         24
   5.3.   Faites valoir votre influence                                       25
   5.4.   Où acheter « clean » ?                                              25
   5.5.   Soutenir financièrement les travailleuses du textile                25
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PRéFACE

    Vous portez un maillot de sport Adidas, Nike, Puma, ou une             exactement, et dans quelles conditions? Consommateurs et
    autre marque de sport mondialement connue ? Alors, il y a              citoyens, nous n’ avons pas accès à ces informations impor-
    de fortes chances qu’ il ait été fabriqué de l’ autre côté de la       tantes. Les premiers entretiens ont déjà commencé avec cer-
    planète au Cambodge, au Bangladesh, en Chine ou en Indo-               taines marques dans une dynamique de dialogue constructif
    nésie. Par des jeunes gens (dont une majorité de femmes) qui           mais néanmoins déterminé. Nous avons 3 revendications
    travaillent de longues journées pour un salaire de misère et           principales pour celles-ci : qu’ elles veillent à un salaire vital et
    dans des conditions de travail dangereuses. Le travail en usine        la liberté d’ association pour les travailleurs de leurs filières de
    est lourd et difficile. La pression au travail est forte, avec des     production, mais aussi à la transparence sur le(s) lieu(x) et les
    contrats intérim qui provoquent un stress constant, et de bas          conditions dans lesquelles sont produits nos vêtements de
    salaires qui poussent à prester de nombreuses heures supplé-           sport. Les marques de sport qui veulent vraiment s’ engager
    mentaires. Et ceux qui courageusement décident de réclamer             sur la voie des ‘vêtements clean’ choisiront de s’ affilier à la
    de meilleures conditions via un syndicat sont régulièrement            Fair Wear Foundation (FWF).
    victimes de violences et de discriminations…
                                                                           Avec le champion cycliste
    Ces abus sont la conséquence directe de la pression que
                                                                           Philippe Gilbert
    mettent les marques sur leurs producteurs pour qu’ ils pro-
    duisent à des prix toujours plus bas et dans des délais toujours       Nous avons besoin de beaucoup de signatures à notre péti-
    plus serrés.                                                           tion. Pour prouver aux marques que les belges mordus de
                                                                           sport veulent des vêtements de sport clean. Le champion
    Les principales marques de sport que sont Adidas, Nike et
                                                                           belge de cyclisme Philippe Gilbert s’ est déjà engagé! Il est
    Puma consacrent des montants gigantesques à la publicité et
                                                                           le premier à avoir apposé sa signature sur un maillot cycliste
    au sponsoring de clubs de sport ou de sportifs du top. Et de
                                                                           ‘clean’ que nous avons dû acheter… en Allemagne !
    l’autre côté de la filière, ceux qui fabriquent nos vêtements ne
    reçoivent que des miettes. Leurs salaires ne constituent que           C’ est devenu notre visuel de campagne (voir ci-après). Avec
    1% du prix de vente d’ un t-shirt de sport (voir p.7). Et ce pour-     un nombre massif de signatures, nous espérons mettre au défi
    centage ne cesse d’être grignoté…                                      les marques belges de réaliser une prestation de champion
                                                                           en matière de responsabilité sociale des entreprises, afin que
    Il est grand temps que les travailleurs au Cambodge ou en
                                                                           dans le futur, Philippe Gilbert, ses collègues champions de
    Indonésie puissent eux aussi marquer des points ! C’ est le
                                                                           cyclisme, mais aussi tous les amateurs de sport en général
    départ de notre campagne sur les vêtements de sport qui
                                                                           puissent courir dans un maillot ‘clean’. Sous le slogan : « belge
    démarre en 2017.
                                                                           = éthique ! ».
    Campagne #vêtementsclean
                                                                           Contenu de cette brochure
    En 2014, les marques de mode belges ont été mises sous
    pression pour réaliser des progrès en vue de meilleures                Cette publication fait le focus sur le secteur des vêtements
    conditions de travail dans leur filière. Et avec succès : suite à la   de sport, au niveau international et au niveau belge, et sur les
    campagne, JBC et Bel&Bo se sont affiliées à la Fair Wear Foun-         problèmes principaux que l’ on rencontre dans les filières de
    dation. Les usines en Asie où ces entreprises font fabriquer           production. Les témoignages de travailleuses et de travail-
    leurs vêtements sont désormais contrôlées par cet organisme            leurs de l’ habillement, mais aussi d’ un responsable syndical,
    indépendant.                                                           viennent compléter ces descriptions. Le journaliste Ate
                                                                           Hoekstra est allé au Cambodge à la rencontre de ces per-
    Cette fois-ci, nous nous tournons vers l’ industrie des vête-
                                                                           sonnes qui fabriquent nos tenues de sport à des milliers de
    ments de sport. Nous attendons toujours de nos sportifs
                                                                           kilomètres de chez nous. Ces témoignages sont illustrés par
    qu’ ils soient clean en pratiquant leur sport… Pourquoi ne pas
                                                                           les magnifiques portraits réalisés par Charles Fox, un photo-
    attendre la même chose de nos vêtements de sport et des
                                                                           graphe renommé. La brochure indique également un plan
    marques qui les produisent?
                                                                           en 8 étapes que nous invitons les marques belges à suivre
    Avec la campagne #vêtementsclean, nous commencerons le                 pour de meilleures conditions de travail, et le rôle que la Fair
    travail près de chez nous. Nous entrerons en dialogue avec les         Wear Foundation a à jouer dans ce cadre. La dernière partie
    marques belges comme Jartazi, Bioracer, Patrick ou Vermarc,            détaille comment chacun et chacune peut s’ approprier cette
    surtout connus comme fournisseurs de clubs de sport. Eux               campagne et mener des actions concrètes. Nous lançons un
4   aussi font fabriquer leurs productions à l’ étranger. Mais où          appel chaleureux à chacun-e d’ entre vous !
Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
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Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
1. L’industrie de l’habillement,
                          une filiEre complexe

    L’industrie de l’habillement est un exemple type                  les vêtements, mais sous-traitent les aspects moins lu-
    de la globalisation. Nos vêtements sont des pro-                  cratifs à un agent ou à un fournisseur, qui à son tour sous-
    duits globaux : fabriqués d’un côté de la planète et              traite la production à des sous-traitants ou des usines. Il
    vendus de l’autre. Les marques de vêtements telles                est très rare que les marques occidentales de vêtements
    que H&M, Nike, Zara, … ont aussi bien des fournis-                possèdent encore elles-mêmes les usines dans lesquelles
    seurs que des magasins partout dans le monde.                     elles font produire leurs vêtements.

    L’ industrie du textile et de l’ habillement a connu des          Alors qu’ en haut de la chaîne, les parts de marché se
    mouvements tout au long de son histoire, mais la vitesse          concentrent de plus en plus entre les mains d’ une poi-
    à laquelle la production des vêtements s’ est déplacée de         gnée de grandes marques, le bas de la chaîne a connu une
    l’ Occident vers l’ Asie au cours de la deuxième moitié du        énorme prolifération du nombre de pays et de fournis-
    20e siècle est sans précédent. Les facteurs principaux qui        seurs qui peuvent fournir à ces entreprises. Cette inégalité
    ont joué un rôle dans ce phénomène sont les bas salaires,         offre aux marques de vêtements un énorme pouvoir
    la disponibilité de travailleurs flexibles, les mesures d’ en-    d’ achat qu’ elles utilisent pour exiger des prix et des dé-
    couragement pour les entreprises étrangères, les nou-             lais de livraison toujours plus bas. Les plates-formes In-
    velles technologies de communication et les frais de              ternet où les fournisseurs surenchérissent pour rempor-
    transport peu élevés.                                             ter une commande au prix le plus bas intensifient encore
                                                                      ce ‘nivellement par le bas’1. La délocalisation de la produc-
    Ces facteurs ont permis aux marques de vêtements de se            tion vers les pays à bas salaires n’ apporte pas le progrès,
    transformer en entreprises internationales. Elles créent          contrairement à ce que l’ on croit souvent.

                                                  La chaîne complexe des vêtements en images – exemple de la marque Patagonia

                                          HAÏTI

                               Tisserands               Usines de fabrication       Production de coton

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2. LE secteur des VÊTEMENTS
                                    DE SPORT sous les projecteurs

        Le secteur des vêtements de sport représente environ               keting et sponsoring sont compensés par des économies
        7 % du secteur total de l’habillement en Europe et le              ailleurs dans les dépenses, ce qui a des conséquences di-
        secteur des chaussures de sport, y compris les baskets,            rectes sur les travailleurs de l’habillement qui produisent
        en représente environ 20 %. Le secteur des vêtements               les vêtements. Les marques de sport tentent d’organiser
        de sport connaît une croissance deux fois et demie                 leur production au meilleur marché possible. Pour chaque
        plus rapide que le secteur de l’habillement général.               modèle de chaussures, elles déterminent d’abord le prix
        Une grande partie des vêtements de sport du marché                 de vente et la marge de bénéfices souhaités et seulement
        européen sont produits en Asie, dans des pays tels que             ensuite les frais de production maximaux par pièce. Sur
        la Chine, le Vietnam, le Cambodge et l’Indonésie. Aussi            base de ces éléments, elles déterminent avec les fournis-
        bien les grands distributeurs, tels qu’Intersport, De-             seurs quels matériaux elles vont utiliser, combien de mi-
        cathlon et Foot Locker, que les trois grandes marques              nutes sont nécessaires pour monter une pièce, et combien
        Nike, Puma et Adidas, sous-traitent leur production à              seront payés les ouvriers. Dans cette approche, ce sont les
        des usines en Asie depuis des années.                              travailleurs de l’habillement qui sont le dindon de la farce.
                                                                           Un exemple concret : le T-shirt des supporters de l’équipe
                                                                           nationale de football allemande coûte 85 euros, alors que
        2.1                                                                l’ouvrière qui l’a fabriqué reçoit 0,60 euros. La marge de
        LES marques internationales                                        bénéfices pour Adidas s’élève à 24,30 euros2.
        donnent le ton

        Nike, Adidas et Puma dominent le secteur des vêtements de
        sport. La concurrence entre les ‘Big Three’ est très intense et                                                        Prix de
                                                                                                                                       ve
        résulte en des dépenses de marketing et de sponsoring fara-                                                            en ma nte
                                                                                                                                      gasin

                                                                                                                         € 85,0
        mineuses. En 2015, elles ont ainsi ensemble dépensé plus

                                                                                                                                           0
        de 6 milliards d’euros en marketing et activités de sponso-
        ring. Les activités de sponsoring dans le football européen
        atteignent aujourd’hui des sommes astronomiques: les
        deals avec les 10 principales équipes de football ont
        quasi doublé en trois ans, jusqu’à 406,9 millions
        d’euros. Pour stimuler les ventes de leurs vête-                            Marque de sport -bénéfices € 24,30
        ments de sport, les marques utilisent la publicité
        lors d’événements sportifs majeurs tels que les
        compétitions de football et les Jeux Olympiques.

        Les marques de sport veulent évidemment rester
        rentables et rémunérer royalement leurs actionnaires. Le                       Distributeur/détaillant € 35,40
        chef de file, Nike, a fait, en 2015, 2,9 milliards de bénéfices,
        contre 610 millions d’euros pour Adidas et 40 millions
        d’euros pour Puma. Les énormes investissements en mar-

                                       Frais matériaux    € 2,50
                                       Frais salariaux    € 0,60
                            Autres frais de production
                                                                                                TVA € 14,20
                      + marge de bénéfice pour l’usine    € 1,90
                                     Frais de transport   € 0,20
                                 ITaxes d’importation     € 0,60
                        Marque de sport – autres frais    € 2,80
Marque de sport – frais de marketing et de sponsoring     € 2,00
                              Marque de sport -taxes      € 0,50                                                                               7
Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
2.2
    Le marché belge                                                     Politique RSE
                                                                        De plus en plus de marques et de chaînes de vêtements
    Beaucoup de tenues sportives que l’ on peut acheter en Bel-         développent des initiatives en matière de Responsabi-
    gique sont vendues chez nous par de grandes chaines de              lité Sociale des Entreprises (RSE). La RSE est une forme
    distribution de sport étrangères. En Belgique, on trouve 5          d’autorégulation, sur base volontaire, sans engagements
    grandes marques sur ce marché : Decathlon, Sports Direct,           légalement contraignants. Il y a donc autant de bons
    Intersport, JD et Foot Locker. A côté des marques Adidas,           que de mauvais exemples de RSE. Dans le meilleur des
    Nike et Puma, les distributeurs vendent aussi leurs propres         cas, la RSE est un processus à travers lequel une entre-
    marques. La production de celles-ci est également organi-           prise prend ses responsabilités par rapport aux effets de
    sée, comme pour les grandes marques, dans des pays à bas            ses activités dans le domaine social, écologique et éco-
    salaires comme la Chine, le Vietnam, le Cambodge, la Thai-          nomique, dans l’ensemble de sa chaîne de production.
    lande, le Bangladesh et l’ Inde. Des dizaines de milliers de        Dans le pire des cas, il s’agit simplement d’initiatives en
    personnes en tirent leur travail. Leurs chiffres d’ affaires se     vue de redorer le blason d’une entreprise, sans effets
    comptent en milliards.                                              positifs sur les conditions de travail.

    Ces chaines de distributions de sport mettent l’ accent dans
    leurs publicités sur une image jeune, active, en bonne santé,     2.3
    tout en gardant le silence sur les travailleurs de la produc-     Belge = éthique?
    tion. Un article de Test-Achats (note 3) montre que toutes
    ces chaines souffrent des mêmes maux : elles n’ accordent         Aucune entreprise de vêtements de sport belge ne commu-
    que peu d’ attention aux conditions de travail dans leur          nique à propos de sa filière de production ni de sa politique
    chaine de production, ainsi qu’ aux impacts environnemen-         de RSE (voir encadré). L’ argument le plus souvent entendu à
    taux de celle-ci. Aucun retailer n’ obtient un bon score de la    cet égard: « ce n’ est pas d’ usage dans le secteur et il n’ y a pas
    part de Test-Achats en matière sociale ou environnemen-           de demande de la part des consommateurs.»
    tale, en contraste douloureux avec l’ image que ces marques
    souhaitent renvoyer.                                              Lorsque l’on regarde les marques de sport belges qui pro-
                                                                      duisent des tenues d’équipes personnalisées, on remarque
    Comparé aux ‘Big Three’, il n’ existe pas vraiment de grandes     qu’aucune marque ne communique à propos des pays dans
    marques de sport belges. Les marques belges qui pro-              lesquels elles produisent leurs vêtements, ni des conditions
    duisent des vêtements de sport font surtout des tenues            de travail dans lesquelles ils sont produits ou ce qu’elles font
    personnalisées destinées aux équipes pour les clubs et sont       pour tenter d’améliorer celles-ci. De par nos contacts, nous
    donc surtout connues des sportifs, et en moindre mesure           savons que certaines entreprises s’inquiètent de l’aspect
    du grand public. Les marques belges les plus ‘importantes’        ‘humain et environnemental’ de leur gestion commerciale,
    qui vendent des vêtements de sport pour le football et le         mais cela ne se retrouve ni sur leur site Internet, ni dans leurs
    cyclisme, sont Bioracer, Vermarc, Jartazi, Patrick et G-Skin.     rapports annuels. Elles n’ont pas non plus de rapports indé-
    Un critère important dans le secteur des tenues d’ équipe         pendants à présenter concernant les démarches concrètes
    personnalisées est - outre le prix - un délai de livraison        qu’elles entreprennent. La présente campagne veut entamer
    rapide. La concurrence entre les marques est énorme, ce           un dialogue constructif avec les entreprises belges pour faire
    qui a évidemment des conséquences importantes pour les            des ‘Vêtements Clean’ une réalité. Voilà pourquoi nous pro-
    fournisseurs.                                                     posons la feuille de route en 8 étapes et un instrument tel que
                                                                      la Fair Wear Foundation pour les aider à réaliser cet objectif.

                                                                      Nous lançons le défi au marques de sport d’ accomplir une
                                                                      prestation de haut niveau en matière d’ entrepreneuriat
                                                                      éthique afin que nous puissions à l’ avenir avancer un slogan
8                                                                     tel que ‘Belge = éthique!’, car cela bénéficiera à tout le monde.
Nous voulons des vêtements de sport clean - Brochure de Campagne - VêtementsClean
Bioracer est un acteur important dans la région pour les
maillots d’ équipes pour les cyclistes. Cette marque a été
établie à Tessenderlo en 1985 par le coach de cyclisme Ray-
mond Vanstraelen. Chaque année, ils produisent des vête-
ments pour 3500 clubs. Bioracer a des contrats de sponso-
ring exclusifs avec plusieurs équipes nationales, y compris
l’ équipe nationale belge de cyclisme. Ils ont également des
contrats de sponsoring avec la ligue de cyclisme flamande
‘Wielrennerbond Vlaanderen’ et la chaîne de télévision
Sporza. Outre les vêtements de cyclisme, ils produisent
également des vêtements de patinage sous la marque
Hunter. 60 % de leur production se fait en Roumanie, dont
la moitié en gestion propre. Les autres pays de production
sont la Tchéquie (25%), la Tunisie (10%) et la Belgique (5%).
Leur chiffre d’ affaires annuel s’ élève à 17 millions d’ euros.
Le site Internet de Bioracer ne comporte aucune informa-
tion sur la chaîne de production ni sur leur politique de RSE4.

La marque Vermarc, de Wezemaal, a été fondée en 1977               Jartazi, établi à Denderhoutem, s’ est lancé en 1992 en pro-
par Frans Verbeeck, un ancien cycliste professionnel. Ver-         duisant des vêtements de football. Depuis la reprise par
marc produit des vêtements d’ équipe pour les cyclistes,           le Groupe Vijverman en 2010, ils produisent également
mais a également étendu sa gamme aux vêtements de                  du ‘fait sur mesure’ pour quasiment toutes les disciplines
sport pour joueurs de football, athlètes et coureurs. 95% de       sportives. Jartazi a des contrats sportifs avec La Gantoise,
la production se fait en Italie, depuis 25 ans, dans une seule     Lokeren et le Club de basketball Ostende. La production
usine où Vermarc achète environ la moitié du volume de             se fait au Bangladesh, en Chine et en Turquie où leurs four-
production. L’ usine dispose d’ un syndicat et d’ une conven-      nisseurs sont audités par la BSCI8. Leur chiffre d’ affaires
tion collective de travail5. Nike y est également client. Pour     annuel s’ élève à 5 millions d’ euros. Aucune information
les produits très basiques, la production va déménager             n’ est disponible sur le site Internet de Jartazi concernant sa
en Bosnie-Herzégovine. Les 5% restants sont produits en            chaîne production ni sa politique de RSE9.
Belgique. Leur chiffre d’ affaires annuel s’ élève à 10 mil-
lion d’ euros. Vermarc est le sponsor vêtements du club de
football OH Leuven et des clubs de cyclisme Lotto-Soudal
et Etixx-Quick Step. Leur site Internet ne mentionne nulle
part les détails de la chaîne de production ou la politique
de RSE de Vermarc, mais indique simplement que les vête-
ments sont à 100% ‘Fabriqués en Europe’ 6.

                                                                   La marque Patrick, créée en 1992, est une marque de la
                                                                   société anonyme Cortina qui est surtout connue pour ses
                                                                   chaussures de sport mais également pour ses vêtements
                                                                   d’ équipes pour les clubs de football. Cette marque originaire
                                                                   d’ Audenarde est le sponsor vêtements de Zulte-Waregem,
                                                                   KSV Audenarde, Boussu Dour Borinage et Mouscron-Pé-
G-Skin est un plus petit joueur également actif sur le mar-        ruwelz, pour n’ en nommer que quelques-uns. La société
ché des vêtements de cyclisme. Leur siège social se situe          anonyme Cortina utilise le système de management de la
à Windhof, au Luxembourg. Ils collaborent depuis des an-           BSCI (voir la note 8). La production se fait majoritairement
nées avec un producteur en Pologne. Leur chiffre d’ affaires       en Chine où Cortina dispose de sa propre équipe. Ni le site
annuel s’ élève à 1,3 millions d’ euros. G-Skin ne commu-          de Patrick, ni le site de Cortina ne mentionnent la filière de
nique d’ aucune manière sur sa chaîne de production ni sur         production. Patrick dépense plus de 200.000 euros par an
sa politique de RSE7.                                              à des projets sociaux, mais il n’y a aucune information sup-
                                                                   plémentaire sur sa politique de RSE.10                            9
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l a     t r e ...
                                               À    co n
                                               ren

                                        de ceux qui fabriquent
                                    nos vêtements de sport au
                                                     Cambodge
     Nike, Adidas, Reebok et Puma sont        certaines des 589 usines répertoriées     Ministère du Commerce extérieur,
     des grandes marques de vêtements         officiellement, être membre d’un          dont 40 % en exportations vers
     de sport dont nombre d’entre nous        syndicat mène même au licenciement        l’Union Européenne. 33 % du textile
     possèdent quelques exemplaires à la      immédiat. Avec un salaire minimum         sont exportés aux États-Unis. Il n’y
     maison. Beaucoup de ces vêtements        de 140 dollars américains (125 euros)     a pas de chiffres exacts concernant
     sportifs et branchés sont produits       par mois, bien inférieur au niveau        l’industrie des vêtements de sport,
     au Cambodge. Ce pays emploie             de vie, les ouvriers sont forcés de       mais les marques telles qu’Adidas
     environ 630.000 travailleurs de          faire des heures supplémentaires.         et Puma sont parmi les plus grands
     l’habillement, un chiffre énorme         Des semaines de 50 à 60 heures            acheteurs au Cambodge. Le groupe
     sur une population de 15 millions        de travail sont monnaie courante,         Adidas, dont fait également partie
     d’habitants.                             mais même avec toutes ces heures          Reebok, collabore ainsi avec 26 usines
                                              supplémentaires, les travailleurs de      cambodgiennes.
     Pour de nombreux Cambodgiens,            l’habillement ont souvent du mal
     la production de vêtements et de         à joindre les deux bouts tous les         Les 600.000 ouvriers ne voient
     chaussures représente une tentative      mois. Les salaires sont si bas qu’il      pas vraiment la couleur de la
     d’échapper à la pauvreté chronique.      faut faire des compromis, comme           croissance impressionnante qu’a
     Ils ont besoin de ces revenus pour       par exemple acheter des repas bon         connue l’industrie de l’habillement
     garder un toit au-dessus de leur tête    marché mais mauvais pour la santé.        au Cambodge depuis le début des
     et pour prendre soin de leur famille.    Des négociations sont néanmoins           années 90. Ils sont nombreux à vivre
     Pour de nombreux ouvriers, leur          en cours pour un nouveau salaire          dans des conditions de pauvreté
     salaire doit également leur permettre    minimum et les syndicats espèrent         abjecte et de grande incertitude.
     d’entretenir leurs parents et leurs      obtenir à partir de 2017, 180 dollars     Et pourtant ils rêvent d’un avenir
     frères et sœurs qui vivent souvent       (160 euros) par mois.                     meilleur et plus juste, avec un revenu
     dans des conditions misérables à la                                                plus élevé, des usines plus propres
     campagne.                                L’industrie de l’habillement est d’une    et plus sûres et des syndicats libres
                                              grande importance pour l’économie         qui permettent à chaque ouvrier et
     Mais le travail dans les usines est      cambodgienne. Avec le tourisme,           ouvrière de revendiquer ses droits.
     pénible, les contrats de courte durée    l’exportation de vêtements et de
     causent du stress en permanence          chaussures est le moteur le plus          Le journaliste néerlandais Ate
     et les courageux travailleurs qui        important d’une économie en               Hoekstra leur a rendu visite, à la
     revendiquent leurs droits par le biais   forte croissance. En 2015, la valeur      demande de Solidarité Mondiale.
     de syndicats sont souvent victimes de    d’exportation s’élevait à 5,7 milliards   Qui sont donc ces gens qui
     discrimination et de menaces. Dans       de dollars américains, selon le           fabriquent nos vêtements de
                                                                                        sport à des milliers de kilomètres
                                                                                        de chez nous ? Charles Fox, un
                                                                                        photographe britannique de
                                                                                        grande renommée, accompagne
                                                                                        leurs histoires de portraits qui ne
                                                                                        laissent pas indifférent.

10
3. Les plus grands défis
                                         de l’industrie de
                                         l’habillement (de sport)

            La concurrence globale entre les marques de vête-      3 .1
            ments (de sport) mènent à la violation des droits      Le salaire vital
            fondamentaux du travail dans les pays de produc-
            tion. Qu’ils produisent des vêtements sportifs ou      Qu’est-ce que cela signifie ?
            autres, les ouvriers indiquent tous trois problèmes    Le salaire vital est un concept reconnu internationalement.
            majeurs concernant leur travail et leurs conditions    Il représente une rémunération pour une durée de travail
            de vie : l’absence d’un salaire vital, l’absence de    normale, qui couvre les besoins de base du travailleur et
            liberté d’association et les contrats à court terme.   de sa famille (logement, alimentation, vêtements, soins
            Ces problèmes ne sont pas nouveaux, au contraire.      de santé et enseignement) et permet également de faire
            Cela fait des dizaines d’années qu’un large éventail   quelques économies. Il est basé sur une semaine normale
            d’organisations mènent des campagnes et des ac-        de travail de maximum 48 heures sans bonus, primes ni ré-
            tions pour mettre fin aux abus dans le secteur. Bien   munération d’heures supplémentaires, il suffit à couvrir les
            que des avancées importantes aient été réalisées       besoins de base d’une famille de quatre personnes (deux
            par le passé, en particulier par les grandes marques   adultes, deux enfants)12. Le montant du salaire vital varie
            de sport, nous sommes encore loin du but.              par secteur, par pays et par région.

Les différentes facettes d’un salaire vital

       SALAIRE VITAL
                                                                                                  Voici le minimum
                                                                                                   qu’un travailleur
                                                                                                   devrait pouvoir
                                                                                                  se permettre avec
                                                                                                     son salaire

                 Nourriture                    Loyer               Soins de santé                    Education

                                                                                               Un droit humain
                                                                                               pour toutes
                                                                                               et tous partout
                                                                                               dans le monde.
                 Vêtements                    Transport                Epargne

                                                                                                                                  11
Les rémunérations qui correspondent à un salaire vital
     sont l’exception qui confirme la règle dans l’industrie de
     l’habillement. La plupart des salaires dans l’industrie dé-
     passe à peine le salaire minimum légal et celui-ci se situe bien
     au-deçà d’un salaire vital. De nombreux gouvernements
     dans les pays producteurs maintiennent le salaire mini-
     mum légal à un niveau délibérément bas, de peur de voir
     partir les marques de vêtements internationales. Et ces
     peurs sont fondées car des études ont démontré que les trois
     grandes marques de sport, Nike, Adidas et Puma se retirent
     systématiquement des pays où les salaires augmentent. Elles
     ont par exemple quitté la Chine pour le Vietnam lorsque les
     salaires chinois ont commencé à augmenter.13

     L’absence de salaires vitaux dans l’industrie de l’habillement
     est un problème global : ainsi, les travailleurs de l’habillement
     en Europe de l’Est ne gagnent eux non plus souvent même
     pas le salaire minimum légal.14

     Les bas salaires mènent au travail supplémentaire. Les tra-
     vailleurs de l’habillement se voient obligés de faire de nom-        Ouk Channeng:
                                                                          ‘Rêver d’une
     breuses heures supplémentaires afin de pouvoir faire vivre
     leur famille.15 Des semaines de travail de 70 heures ou plus ne

                                                                          belle maison
     constituent pas une exception.

     En outre, les bas salaires engendrent d’autres problèmes liés
     à la pauvreté. Les travailleurs de l’habillement souffrent ainsi
     de carences en calories, d’un accès limité à des soins de santé
                                                                          pour Ma
     adéquats, de l’absence de sécurité sociale, de logements in-
     salubres, d’un accès limité à l’éducation et de l’exclusion de la    famille’
     vie culturelle et politique.

     Une solution ?                                                      Ouk Channeng (21 ans) vit dans la
     Aucune partie prenante de l’industrie de l’habillement              capitale de Phnom Penh et travaille
     ne veut hélas faire le premier pas vers un salaire vital. Les       dans l’usine New Mingda qui produit
     marques considèrent qu’il est de la responsabilité des gou-         notamment pour Puma et Adidas.
     vernements et des fournisseurs d’augmenter les salaires.
     Les gouvernements ont peur de perdre leur avantage                            Ouk Channeng gagne 230 dollars
     concurrentiel par rapport aux autres pays producteurs. Les                    (178 euro) par mois, dont 140 de
     fournisseurs maintiennent qu’ils ne peuvent pas payer de                      salaire minimum et le reste grâce à
     salaire minimum plus élevé car leurs marges bénéficiaires                     deux à quatre heures supplémen-
     sont trop étroites.                                                           taires de travail chaque jour. Sur
                                                                                   ces 230 dollars, elle envoie chaque
     On ne pourra sortir de cette impasse que si les marques                       mois 100 à 120 dollars à ses
     s’engagent à payer un montant spécifique et à prendre des                     parents à la campagne. Ils ont bien
     mesures en vue de faire augmenter les salaires petit à petit.                 besoin du revenu de leur fille pour
     (une façon dont elles peuvent accomplir cela est expliquée                    survivre. Le restant de son salaire
     dans la feuille de route du chapitre 4).                                      passe en loyer et en nourriture. « Il
                                                                                   ne me reste jamais rien pour faire
                                                                                   des économies. »

                                                                                   Le peu qu’elle gagne et les lon-
                                                                                   gues journées de travail forcent
                                                                                   Channeng à acheter de la nourriture
                                                                                   de mauvaise qualité au marché près
                                                                                   de chez elle. « Je me fais du souci
                                                                                   par rapport à l’hygiène, car quand
12
À la
                                                                                    ren
                                                                                        con
                                                                                            tre...

j’achète ma nourriture là-bas j’ai       l’habillement. « Je crois que je vais
plus de chance de tomber malade.         travailler à l’usine jusque quand je
Et si je tombe malade, je ne peux        serai vieille et que je n’en pourrai
plus entretenir ma famille avec          plus. Mais j’espère que les salaires
mon travail. »                           vont bientôt augmenter. Ce serait
                                         fantastique que les consommateurs
Quand on tombe malade, cela              mettent la pression sur les marques
cause de toute façon plusieurs pro-      pour augmenter nos salaires, parce
blèmes. Il n’y a souvent pas d’argent    qu’ainsi, je pourrais mieux soutenir
pour acheter des médicaments,            ma famille. Et qui sait, si je gagne
et quand on est malade on gagne          assez d’argent, je pourrai un jour leur
moins. « Si je tombe malade, je          construire une belle maison.”
devrai emprunter de l’argent, mais
ici les taux d’intérêt s’élèvent à 20    La jeune femme n’a pas encore
%. Si j’emprunte 10 dollars, je devrai   fondé de famille, mais si elle se
en rembourser 12, ou même plus si        marie un jour, elle espère juste une
je prends du retard. »                   chose : “que mes enfants puissent
                                         aller à l’école et qu’ils ne doivent pas
Channeng raconte qu’elle n’a             travailler à l’usine.”
presque aucun choix dans sa vie.
Elle ne voit sa famille que deux                            “Ce serait fantastique que les
fois par an, mais les aider passe                           consommateurs mettent la pression
avant tout. Et comme elle n’a pas                           sur les marques pour augmenter
terminé l’école, elle ne voit pas                           nos salaires, parce qu’ainsi, je
d’alternative à sa vie d’ouvrière de                        pourrais mieux soutenir ma famille.”
                                                                                                     13
3.2                                                               Marques de vêtements & syndicats
     La liberté d’association et
     le droit aux négociations                                         Outre les gouvernements, les marques de vêtements ont
     collectives                                                       une influence sur le fonctionnement syndical au sein des
                                                                       usines où leurs vêtements sont produits.
     Le droit d’association et le droit aux négociations collectives   Le respect de la liberté d’association est souvent inscrit
     est l’un des droits inscrits dans la Déclaration Universelle      dans le code de conduite des marques de vêtements, mais
     des Droits de l’Homme (Art 23, 3). Ils offrent aux ouvriers       cela n’est que de la poudre aux yeux quand les marques
     un cadre leur permettant de se défendre et de négocier            de vêtements (de sport) telles que Nike, Adidas et Puma,
     leurs conditions de travail avec les dirigeants de l’usine. Ces   choisissent consciemment d’installer leur production dans
     droits sont pourtant bafoués, aussi bien par la loi que dans      des régions où il n’y a pas ou très peu de liberté syndicale,
     la pratique, dans de nombreux pays producteurs. Les gou-          comme le démontrent les énormes commandes placées
     vernements et les dirigeants d’usine sont souvent hostiles        dans les zones franches commerciales de la Chine, du Viet-
     au travail syndical indépendant. Les dirigeants d’entreprise      nam et du Bangladesh.19
     refusent parfois de reconnaître les syndicats ou de négocier      Les marques de vêtements influencent les propriétaires
     avec eux. Les membres et les leaders des syndicats sont           d’usines par le biais de leurs pratiques d’achat. Il existe des
     également souvent victimes de licenciement, de discrimi-          exemples de marques de vêtements qui diminuent ou
     nation, de harcèlement, d’intimidation ou de représailles.        retirent leurs commandes des usines qui lancent un syn-
                                                                       dicat. Les délais de livraison ont également une influence.
     Quel rôle pour les gouverments?                                   Les délais très stricts entraînent beaucoup de stress et de
                                                                       travail supplémentaire. Lorsqu’un syndicat est présent, la
     Tout d’abord, les gouvernements peuvent faire un pre-             chance d’être confronté à une grève augmente. C’est pour-
     mier pas en ratifiant la Convention 87 (Droit d’association)      quoi les propriétaires d’usines sont souvent hostiles au tra-
     et 98 (Droit aux négociations collectives) de l’Organisa-         vail syndical lorsqu’il y a des délais de livraison très stricts.20
     tion Internationale du Travail. Les grands pays produc-           Il existe des marques de vêtements qui installent elles-
     teurs de vêtements tels que la Chine, le Vietnam et l’Inde        mêmes un comité de travailleurs. Elles créent ainsi l’illusion
     n’ont pas ratifié ces deux conventions. Dans ces pays, et         que les droits des travailleurs sont respectés. Les ouvriers
     dans les zones franches commerciales d’autres pays, les           de l’habillement ne peuvent néanmoins pas choisir les
     ouvriers ne peuvent pas créer de syndicats indépendants           membres de ce comité, ce qui signifie que le comité prend
     et démocratiques. En Chine, par exemple, un syndicat ne           des décisions en faveur des dirigeants d’usines et non des
     peut fonctionner légalement que s’il est membre de la All-        ouvriers eux-mêmes. Au Cambodge par exemple, seule
     China Federation of Trade Unions (ACFTU). La ACFTU est            une poignée des 63 syndicats existants sont réellement
     contrôlée par le gouvernement chinois. Dans les usines où         indépendants. La plupart d’entre eux sont en réalité des
     les syndicats sont actifs, les ouvriers ne peuvent pas choisir    ‘syndicats jaunes’ qui défendent les intérêts des dirigeants
     eux-mêmes les dirigeants syndicaux et ceux-ci sont donc           d’usines ou du gouvernement, comme le montre une étude
     souvent des dirigeants de l’usine qui ne font presque rien        du Solidarity Center cambodgien.21
     pour protéger les droits des ouvriers. Les grèves sont consi-     Si les marques de vêtements veulent réellement contri-
     dérées comme une menace de l’ordre social, et sont sévè-          buer à l’amélioration des libertés syndicales, elles doivent
     rement, et parfois violemment, réprimées�.                        placer leurs commandes dans des usines où le droit d’as-
                                                                       sociation et le droit aux négociations collectives sont res-
     La ratification des conventions, comme l’ont fait la plu-         pectés par le biais d’un syndicat qui fonctionne bien. Les
     part des autres pays producteurs de vêtements, ne signi-          marques de vêtements peuvent également insister auprès
     fie néanmoins pas automatiquement qu’il existe un climat          des gouvernements des pays producteurs sur l’importance
     idéal pour le travail syndical. Il y a ainsi dans presque tous    d’un cadre légal clair, de syndicats indépendants et qui
     les pays asiatiques des problèmes avec l’application et la        fonctionnent bien, et d’un bon dialogue social.
     régulation des droits syndicaux17. Et ce n’est pas seulement      Les marques de vêtements peuvent aussi jouer un rôle
     le cas en Asie, même en Europe, la liberté syndicale n’est        par rapport aux usines de production pour stimuler la
     pas une évidence. Des lois ont ainsi été introduites en Bul-      liberté d’association. Cela bénéficie aussi à la marque de
     garie, en Roumanie et en Croatie qui rendent plus difficiles      vêtements et à la qualité des vêtements produits. Des
     les négociations avec les dirigeants des usines pour les          ouvriers satisfaits travaillent mieux, travaillent plus dur et
     représentants syndicaux.18 Afin de garantir la liberté d’asso-    respectent les délais. Concrètement, les marques de vête-
     ciation, les gouvernements doivent donc inscrire les droits       ments peuvent veiller à ce que des propagandistes syndi-
     des conventions dans la législation nationale et veiller à        caux aient accès à l’usine afin de pouvoir créer un syndicat
     leur application.                                                 et à ce que les ouvriers qui deviennent membres du syndi-
                                                                       cat ne soient pas licenciés. L’existence d’une procédure de
                                                                       plainte efficace est également d’importance capitale. (Voir
                                                                       l’étape point 4.2. dans le chapitre ‘Que peuvent faire les
14                                                                     marques belges ?’)
À la
                                                                                                  ren
                                                                                                      con
                                                                                                          t             re...

  Yorn theary:
  Une dirigeante
  syndicale constamment
  tenue à l’œil
Yorn Theary (24) travaille depuis quatre             mais ça n’avait aucun sens. Nous avions      qu’ils connaissent la réalité de notre
ans dans l’usine Din Han qui produit                 énormément de travail et devions faire       situation. Si les marques faisaient en
notamment des vêtements pour                         des heures supplémentaires tous les          sorte que nous ayons un bon salaire
Adidas. Elle travaille 10 à 12 heures                jours pour terminer les commandes. La        minimum, nous ne devrions plus faire
par jour, six jours par semaine. Heures              véritable raison de mon licenciement         d’heures supplémentaires tous les jours
supplémentaires comprises, elle gagne                était que j’avais fondé un syndicat. »       pour survivre. »
entre 220 et 230 dollars américains (soit
environ 178 euros) par mois.                         Une tentative de C.CAWDU de faire            La travailleuse soupire profondément.
                                                     récupérer son emploi à Theary via le Mi-     En juin dernier elle a accouché de son
        Au printemps 2015, Yorn Theary a             nistère du Travail resta sans résultat. Ce   deuxième enfant. Il est né en mauvaise
        décidé de créer une branche du syn-          n’est seulement qu’après que le syndicat     santé et est décédé un mois après sa
        dicat local C.CAWDU. « Nous étions à         ait incité Adidas à entrer en dialogue       naissance. « La veille de la naissance, je
        l’époque sous très forte pression de la      avec l’usine qu’elle a été réengagée. Elle   travaillais encore à l’usine. Comme il fait
        part de la direction. Nos contremaîtres      a maintenant le droit de défendre ses        très sale et qu’il y a un mauvais climat,
        nous insultaient et se mettaient en          collègues au nom du syndicat. « C’est        j’avais beaucoup de problèmes d’esto-
        colère lorsqu’on faisait la moindre          vraiment très difficile d’organiser quoi     mac à l’époque. Le médecin m’a dit que
        erreur. Nous avions par le passé déjà eu     que ce soit. On me tient constamment         c’est ça qui a coûté la vie à mon enfant. »
        un syndicat à l’usine, mais il ne faisait    à l’œil et parfois, ils font même des
        rien pour les travailleurs. Nous nous        photos de moi quand je parle avec            “Si les marques faisaient en
        sommes dit que nous avions besoin            un collègue. Ils veulent m’empêcher          sorte que nous ayons un
        d’un nouveau syndicat pour défendre          d’attirer plus de nouveaux membres au        bon salaire minimum, nous ne
        nos droits. »                                syndicat. Notre syndicat compte actuel-      devrions plus faire d’heures
                                                     lement 420 membres dans l’usine, mais                      supplémentaires
        Cette décision n’a pas été bien accueil-     sur 2000 travailleurs, cela ne suffit pas                  tous les jours
        lie. Theary, qui était cheffe de produc-     pour taper sur la table. »                                 pour survivre.”
        tion du département découpes, a été
        licenciée par la direction de l’usine, une   Tout comme nombre de ses collègues,
        punition souvent appliquée par les           Theary doute que les marques telles
        usines lorsque les ouvriers adhèrent à       qu’Adidas, Puma et Reebok soient suf-
        un syndicat indépendant. « Ils ont dit       fisamment au courant de la réalité des
        qu’il n’y avait plus de travail pour moi,    situations dans les usines. « Je voudrais                                                  15
3.3
     Les contrats à court terme

     L’utilisation excessive de contrats à court terme dans le sec-
     teur de l’habillement (sportif) est un problème énorme et très
     répandu. Dans 80 % des usines au Cambodge, les travailleurs
     de l’habillement travaillent sur base de contrats à court terme
     qui sont renouvelés tous les deux ou trois mois, parfois pen-
     dant des années22. Bien que cela soit interdit par la loi, c’est
     monnaie courante.

     Les contrats à court terme ont plusieurs conséquences néga-
     tives. Ils créent beaucoup d’incertitude parmi les travailleurs
     de l’habillement. En outre, les contrats à court terme dénient
     aux travailleurs toute forme de protection sociale à laquelle ils
     ont droit. En effet, toute une série d’aspects de la législation
     du travail n’est pas d’application pour les travailleurs avec un
     contrat temporaire. Une étude parmi les travailleurs de l’habil-
     lement au Cambodge a démontré qu’ils n’osent pas prendre
     de congés de maladie par peur de perdre leur emploi.23 Ceux           Phouk Chroch:
                                                                           Stress
     qui prennent congé malgré tout ne reçoivent pas leur bo-
     nus mensuel. La même étude a démontré que les ouvrières

                                                                           et insécurité
     cachent leur grossesse le plus longtemps possible car être
     enceinte diminue leurs chances de voir leur contrat prolongé.

                                                                           suite aux
     Officiellement, la loi cambodgienne offre aux femmes le droit
     à un congé de maternité de trois mois avec salaire si elles ont
     travaillé pour le même employeur depuis plus d’un an. Mais la
     pratique est bien différente. En outre, les contrats de courte
     durée empêchent les travailleurs de l’habillement d’adhérer à
                                                                           contrats
     un syndicat, ce qui rend encore plus difficile de faire respecter
     la législation du travail existante.                                  à court terme
     Que faire ?
     La pression énorme en vue d’être ‘flexible’ encourage l’utilisa-      Phouk Chroch a 27 ans et s’exprime avec
     tion des contrats à court terme dans le secteur. Les marques          précaution lorsqu’il parle de son travail
     de vêtements choisissent un modèle commercial dans lequel             dans l’usine qui produit des vêtements
     non seulement les styles et les produits changent constam-            de sport pour Puma et Adidas.
     ment et rapidement, mais aussi les usines et les pays où elles        Mais derrière cette réserve se cache une
     réalisent leur production. Tout cela dans une course au four-         frustration profonde.
     nisseur le plus rapide et fiable possible tout en étant aussi le
     meilleur marché. Lors d’une enquête par Oxfam Australie,
     un certain nombre de marques de vêtements ont indiqué qu’
                                                                                      Cela fait 10 ans que Chroch travaille
     elles souhaitaient construire des relations à long terme avec les
                                                                                      dans l’industrie de l’habillement
     fournisseurs24, mais elles ont refusé de mettre par écrit qu’elles
                                                                                      et il n’a toujours pas de contrat à
     souhaitaient proposer des commandes à long terme aux four-                       durée indéterminée : « j’ai travaillé
     nisseurs�. Il n’est donc pas étonnant que les usines de produc-                  dans plusieurs usines, et à chaque
     tion veulent elles aussi toujours garder leurs travailleurs ‘sous                fois on me donne un contrat
     conditions’ par le biais de contrats à court terme.                              de trois mois. » Les contrats de
     Pour finir, ce sont les travailleurs de l’ habillement qui sont les              trois mois sont bien connus des
     victimes d’un système de production et d’un modèle com-                          ouvriers cambodgiens. Les usines
     mercial qui poussent lourdement à la flexibilisation jusqu’au                    les utilisent pour intimider les
     bout de la chaîne de production. Les marques de vêtements                        travailleurs. Ceux qui se plaignent
     tout comme les gouvernements peuvent changer cette situa-                        trop, qui ne travaillent pas assez ou
     tion. Lorsque les marques construisent une relation stable avec                  qui refusent trop souvent le travail
     leurs fournisseurs, la sécurité de commandes à long terme peut                   supplémentaire sont menacés de ne
     se traduire par des contrats à long terme pour leurs travailleurs.               pas voir leur contrat renouvelé s’ils
     C’est le rôle des gouvernements de rappeler à l’ordre les diri-                  ne changent pas d’attitude.
     geants d’usines et de leur imposer des sanctions lorsqu’ils ne
16   respectent pas la législation nationale.
À la
                                                                                   ren
                                                                                       con
                                                                                           t            re...

Pour les hommes qui travaillent          chez moi sans faire d’heures              Ce qui rendrait Chroch plus heureux
à l’usine la situation est souvent       supplémentaires, il est bien possible     personnellement serait un contrat à
encore pire que pour les femmes,         qu’il me licencie. »                      durée indéterminée. « Je voudrais bien
dit Chroch. « Les femmes reçoivent                                                 retourner dans ma province d’origine.
souvent un contrat de six mois, mais     Le père de deux enfants, qui travaille    Quand nous aurons assez d’argent, je
nous les hommes seulement des            dur tous les jours, a le regard           veux y acheter un lopin de terre pour
contrats de trois mois. Les directions   pensif. Il a vu les prix que paient       cultiver des légumes et avoir une petite
croient en effet que les femmes          les consommateurs occidentaux             ferme avec des poules ou des cochons.
vont causer moins de problèmes           pour les T-shirts de sport. « Il y a un   Si je pouvais emprunter l’argent,
que les hommes. Ils ont peur que         grand écart entre le travailleur et le    j’achèterais un terrain tout de suite.
s’ils offrent des contrats à long        consommateur », dit-il. « Ce serait       Mais avec un contrat de trois mois, il n’y
terme aux hommes, ceux-ci vont           bien si cette proportion devenait         a aucune banque qui accepterait de me
s’organiser et se révolter contre les    plus équitable. »                         prêter de l’argent. »
conditions de travail dans l’usine. »

Les contrats à court terme créent
de nombreux problèmes. Ils
créent beaucoup de stress et
d’insécurité parmi les travailleurs
et les empêchent d’avoir une
vision positive de l’avenir. Chroch:
« Je ne suis jamais certain d’avoir      Croch a vu les prix que payent les consommateurs
encore du travail dans trois mois.       occidentaux pour les T-shirts de sport. «Il y a un
Si jamais je ne suis pas les ordres      grand écart entre ce que le travailleur gagne et
du contremaître ou que je rentre         ce que le consommateur paie. »
                                                                                                                                17
...
                                    À lacontre
                                    ren

       kong athit:
       ‘Les marques sont
       les acteurs les plus
       influents’
     En tant que secrétaire général du plus              nous répéter que le salaire minimum ne         Les plus grandes marques de sport
     grand syndicat indépendant cambodgien,              peut absolument pas dépasser celui de          du monde produisent toutes des
     C.CAWDU (Coalition of Cambodian                     notre voisin, le Vietnam. Ils nous disent      vêtements au Cambodge. Êtes-vous en
     Apparel Workers Democratic Union), un               ‘si nous exigeons un salaire minimum           communication avec elles ?
     partenaire de Solidarité Mondiale et de la          trop élevé, nous détruirons les emplois.’      « Nous avons beaucoup de dialogue
     CSC, Kong Athit œuvre pour défendre les             Nous sentons aussi la pression du              et de discussions avec elles. Et comme
     droits des travailleurs de l’habillement.           Myanmar, qui se présente au monde              les marques sont les joueurs les plus
     C.CAWDU est notamment impliqué dans                 extérieur avec une main-d’œuvre bon            influents, nous remportons la plupart
     les négociations sur le salaire minimum             marché. Les entreprises qui remportent         de nos victoires grâce à leur aide.
     et entre régulièrement en dialogue avec             les commandes des grandes marques              Nous avons notamment eu un cas
     les marques de sport.                               sous-traitent (en grande partie) les           récemment dans l’usine de Din Han
                                                         contrats. Les marques de vêtements             qui produit entre autres pour Adidas.
             Quelles sont les difficultés rencontrées    détournent le regard et se lavent les          Notre dirigeante syndicale locale y avait
             par C.CAWDU dans la défense des             mains de leurs responsabilités. Elles ne       été licenciée et n’a été réengagée que
             droits des travailleurs ?                   sont soi-disant au courant de rien. Mais       lorsque nous avons demandé à Adidas
             « Beaucoup d’usines nous mettent            chez ces sous-traitants, les conditions        d’aborder la question avec l’usine. »
             des bâtons dans les roues, mais             sont lamentables. Les logements sont
             ce sont surtout les syndicats pro-          insalubres. Les consignes de sécurité ne
             gouvernementaux qui nous rendent            sont pas respectées. Les conditions de
             la vie difficile. Ils créent souvent        travail sont exécrables. Un désastre tel
                                                                                                        “Un désastre tel que celui
             des problèmes dans les usines et            que celui du Rana Plaza au Bangladesh
                                                                                                        du Rana Plaza au Bangladesh
             intimident les travailleurs. Ils offrent    pourrait très bien se produire ici au
                                                                                                        pourrait très bien se produire
             de l’argent aux travailleurs pour           Cambodge. »
                                                                                                        ici au Cambodge. ”
             quitter C.CAWDU et se joindre à eux.
             Ensuite leur syndicat quitte l’usine        Et qu’en est-il des salaires ?
             et les travailleurs se retrouvent à la      « Les marques telles qu’Adidas et
             case départ, c’est-à-dire sans aucune       H&M disent qu’elles veulent un salaire
             représentation syndicale dans               vital mais elles s’intéressent surtout à
             l’usine. »                                  améliorer leur image. Elles ont conclu
                                                         des accords au niveau global, mais si
             Les grandes marques de vêtements            on veut vraiment changer les choses,
             disent souvent qu’elles veulent             il faut agir au niveau des pays. En fait,
             améliorer la vie des travailleurs. Y        les marques de sport n’ont aucune
             croyez-vous ?                               idée de la réalité de la situation. Et c’est
             « Des marques telles qu’Adidas et H&M       la même chose pour l’usine modèle
             ne sont pas au Cambodge pour nos            de H&M qui se trouve soi-disant ici
             beaux yeux, mais bien parce que les         au Cambodge, mais personne ne sait
             frais salariaux sont moins élevés ici que   de quelle usine il s’agit. Comment
             dans d’autres pays. Les employeurs          pouvons-nous alors croire que les
             et le gouvernement n’arrêtent pas de        choses se passent mieux là-bas ? »

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